"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici I ain't here to break you, just see how far it will bend _ Eleah&James 2979874845 I ain't here to break you, just see how far it will bend _ Eleah&James 1973890357
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I ain't here to break you, just see how far it will bend _ Eleah&James

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James M. Wilde
James M. Wilde
MEMBRE
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() message posté Dim 8 Avr 2018 - 18:50 par James M. Wilde


« You wanna know if I know why
I can't say that I do
Don't understand the you or I
Or how one becomes two
I just can't recall what started it off
Or how to begin again
I ain't here to break you
Just see how far it will bend
Again and again, again and again »

Eleah
& James




_ Tu préfères laquelle au juste ?
Dans l'embrasure du dressing, je secoue deux chemises résolument noires, montrant tour à tour l'une et l'autre, devant ses yeux qui commencent à crever de l'ennui que je lui demande de boire. À mes côtés comme toujours, il est vautré au bord de mon lit, en train de pianoter sur son smartphone, jetant des regards à chaque fois que je daigne sortir pour lui proposer des variantes de tenue qu'il ne considère pas. Elles doivent être trop subtiles pour lui. J'ai dédaigné bien sûr tout ce qui peut faire le sel de ma garde robe quand je m'oublie à porter de la couleur, qui peuvent parfois être ignobles à regarder tant elles sortent tout droit d'un trip psychédélique. J'ai laissé de côté également tous mes habits de scène, bien trop m'as-tu-vu pour ce genre de sauterie où je ne souhaite pas faire rockstar. Greg geint, exténué par cette séance d'essayage quand je déteste cela d'habitude :
"Mais elles sont toutes les deux noires ! Tu ne vas pas y aller comme ça, on va croire que tu te pointes à un enterrement..."
Je roule des yeux devant son ton traînant qui lui donne l'air d'une tête à claques. Comme un marmot vexé de ne pas avoir su exactement ce qui trottait dans ma tête ces quelques jours où je fus loin, soit de corps, soit en pensée. Il faut dire que l'évocation du projet auprès des gars ne s'est pas bien déroulée. Pas bien du tout j'entends. Si Greg a comme toujours essayé d'entrevoir le bon côté des choses, sans doute rassuré que je m'élance dans une entreprise qui ne soit pas morne, ainsi rasséréné quant à mon état en pleine rémission, Ellis ne l'a pas du tout entendu de la même façon. La phrase tonne encore à mes oreilles, me hante depuis le début d'après-midi, une sentence qui se grave sous ma peau, juste après que Wells ait murmuré, c'est bien James, pourquoi pas, si cela te fait envie. Mon bassiste m'a regardé avec ses airs des mauvais jours : "Bien ? Bien ?! Qu'à deux mois de la tournée il se lance dans un autre concert, sur une pièce comme Exogenesis en plus ? Qu'il va falloir réécrire, réapprendre autrement ? Des heures de répétitions, alors que ses mains sont en vrac et que tout ce temps-là ne sera pas consacré à ce qui devrait pourtant le passionner en premier lieu ?" J'ai pris l'affront comme une gifle et me suis renfrogné. Les mots furent difficiles à digérer, ils ne le sont toujours pas, surtout qu'Ellis sait toujours distinguer la vérité dans mes mensonges, traquer tous mes instincts de fuite. Peu importe mes justifications, qui furent bien maigres d'ailleurs car j'ai simplement refusé d'argumenter sur une décision déjà prise, sur une perspective qui me donne encore l'impression d'exister. Mais Ellis a vu. Ellis me connaît trop pour s'en laisser compter. "Et Moira, elle est au courant ?" Silence. Greg a détourné ses regards, j'ai presque baissé le mien, mais j'ai redressé mon menton au dernier instant, ne souhaitant pas qu'il distingue la faille béante dans mon âme. La phrase fut vacillante. "Je ne vois guère en quoi cela la concerne. Ça n'a rien à voir, c'est quelque chose de personnel." Marlowe m'a presque craché à la gueule : "Personnel hein ? Personnel quand vous avez presque dessiné cet album ensemble ? Mais soit. Continue d'arpenter la voie des lâches, ça te connaît depuis longtemps." Je n'ai plus suffisamment de rage pour lui opposer ce qui dut pourtant me sauver, alors je me suis tu, blême, piteux. Déchu. Déçu aussi sans doute. Parce que je suis parvenu à me couper de ce qui fut tout le sel de mon existence pendant toute une année. Gregory s'est improvisé mon sauveur, comme bien souvent. "Laisse tomber Ellis, ça le regarde, et puis s'il sait donner du temps pour ça, il nous en consacrera également. Hein, James ?". Mes yeux dans ceux de Marlowe, parce que je sais ce qu'il va prononcer, je le vois dans son air, dans la moue qui craquèle une déception crue. Je pare le coup mais le prends en plein ventre. "Ça n'a rien à voir avec le temps, Greg, ça a à voir avec ce qui nous a tous frappés, avec ce qui mène toujours James à s'obséder pour quelque chose jusqu'à son anéantissement, avec ce qui fait qu'il ne sera pas à 100% sur notre foutu album juste pour finir par s'en débarrasser. Parce qu'il préfère courir après des fantômes plutôt que de vivre. Tu vois ce dont je veux parler ?" Ma gorge sèche, mes lèvres serrées, les dents qui laissent passer un sifflement. "Non. Non..." Je lui intime silencieusement de ne pas le dire à haute voix, mais il m'achève, sans ciller. "Elle lui ressemble trop, et tu le sais. Tu sais très bien où ça mène, Wilde." Je tremble. J'ai tremblé, et ils ont vu. Tous les deux. Que je m'en étais aperçu aussi. Mes yeux se sont éteints, parce que même Ellis n'a pas pu prononcer son nom devant moi, trop d'années à le taire sans doute. J'ai murmuré pour toute défense, ce que je crois être intimement vrai, quand pourtant ce qu'il soulève me perturbe aussi. "Ça n'est pas la raison... Ça n'est pas... Je te prie de me croire, ça n'est pas pour ça que je veux... que j'ai besoin de me consacrer à ce concert. Accorde-moi... Accorde-moi cette pause, s'il-te-plaît." Même le bassiste a eu l'air quelque peu ébranlé par cette franchise que j'ai opposé pour ne pas m'écrouler. Ça n'a rien à voir avec eux. Ça n'a rien à voir avec Moira. Encore moins avec Rebecca. Ça a à voir avec moi. Avec ce dont j'ai besoin désormais. Sinon je suis perdu... Je suis fini. Foutu. Il a dû le comprendre car il a conclu le débat en marmonnant. "Eh bien fais comme tu veux, comme toujours. Mais ne plante pas cette tournée-là. Ne la plante pas, James, pas celle-ci. Pas celle-ci. Pas encore." Je suis sorti, Greg sur mes talons, et nous n'en avons plus reparlé. Alors me voilà avec blondinet en train de parler chiffons, pour convaincre une harpie de m'offrir ce que je désire plus que tout. Instinct de fuite ou non, je dois me donner à une autre pour renaître. Je dois transcender mon univers avec elle, aussi longtemps qu'il le faudra. Je suis bien incapable de me concentrer sur les répétitions de la tournée, ils en sont sans doute conscients. J'aboie :
_ Alors ? Laquelle !
"Pfff... Mais ce sont les mêmes..."
_ N'importe quoi, je vais prendre l'italienne, elle est bien mieux coupée.
"Tu as des chemises italiennes toi ?"
Ses deux sourcils se haussent tandis que je passe sur ma maigreur patentée le tissu coupé sur mesure qui pourtant flotte un peu autour de moi. J'ai perdu plus de poids que je ne croyais. J'ai un léger sourire, comme si je conservais un secret honteux depuis longtemps :
_ Ouais... Faites sur moi. Mais ne me regarde pas comme ça, elles sont belles. Et elles durent longtemps.
"Pour le peu de fois où tu les mets, c'est sûr tu me diras."
_ Fuck off. Tu es renvoyé, tu es un conseiller plus que naze. Barre-toi. De toute façon c'est bientôt l'heure.
Gregory secoue la tête et remballe son téléphone dans sa poche, avant de dire depuis le salon :
"Tu me diras si tu as pu convaincre la vieille, n'est-ce pas ?"
Et je comprends que c'est cela que Greg me reproche le plus. Non pas les projets, mais bien les mensonges qui furent par omission. Tous ces doutes que je brasse, ma relation avec notre productrice et tout ce qui m'a complètement envoyé en eaux trouble et manqué de me noyer. Je lui ai dit que ça avait été compliqué, je sais que je lui confierai ce qui m'a horrifié. Bientôt... Quand il faudra que cela sorte.
_ Je te le promets, maman. Allez, barre-toi j'ai dit.

Je passe dans la salle de bain, bouclant ma ceinture et ajustant ma veste de costume. Bordel... Un enterrement, il a raison. De toute façon j'enterre mon estime de moi en jouant ce jeu pervers qui consiste à me faire passer pour ce que je ne suis pas. Je frotte l'eau de Cologne aux agrumes qui me plaît tant sur ma nuque, avant de rectifier ma coiffure pas si sage que cela. Il ne faut pas non plus exagérer. Entièrement de noir vêtu, dans mon costume coupé sur ma silhouette abrupte, je suis... différent. Je ne me reconnais presque pas. Je suis sans doute ce que j'aurais été si j'avais continué ma formation classique. Le noir et la peau blafarde en plus, qui rappellent malgré tout que de la voie céleste, j'ai su m'écarter pour terminer dans d'autres enfers. Je toise mon reflet, affrontant l'idéal tordu pour savoir réaliser celui dont je souhaite jouir pleinement, puis envoie un message à Eleah, que j'ai promis d'aller chercher à son domicile. L'exposition n'est pas loin, elle siège à la frontière de notre bruyant quartier, dans une petite rue de Bloomsbury. J'ai donc décidé qu'à la faveur d'un temps clément, presque doux, nous cheminerons à pieds, laissant là notre éternel débat concernant les moyens de locomotion. Mes pensées transitent jusqu'à elle. Deux jours. Sans que je ne daigne donner de nouvelles, sans la voir alors que je l'avoue, elle m'a beaucoup manquée. J'ai entendu son rire dans les clameurs du jour, j'ai ressenti son corps étreint contre ma peau dans les dénivelés de la nuit. Elle m'a empoisonné plus encore que je ne l'ai cru de prime abord. Les mots d'Ellis me taraudent. Ce qui me mène toujours à m'obséder pour quelque chose... Est-elle devenue ma toute nouvelle obsession, cette drogue substituée aux noirceurs dans mes veines, qui faillirent m'emporter ? Est-elle un moyen d'échapper mes devoirs, d'aller plus loin encore, ressentir quelque chose quand mon corps a manqué de dépérir totalement ? Après avoir brutalisé Moira contre ce foutu mur ? Un frisson de dégoût dévale ma colonne vertébrale, je ferme les yeux, et appuie sur la touche Envoyer. "Je pars. Je t'attendrai en bas."

Des pas, et les lueurs de la circulation enfiévrée. L'air nocturne s'invite contre moi, me pousse à ne pas renoncer, rassérène mes envies, balaye mes doutes. J'ai forcément raison, ça n'est pas pour ça que je l'ai choisie elle. Ça n'est pas pour sa ressemblance avec celle que j'ai aimée. Plus que tout, plus que moi. Plus que notre existence qui est morte ce soir-là. C'est justement parce qu'elle est libre. Eleah est libre. Elle m'a montré que je pouvais encore goûter à cela. À tout ce qui fit le tissu de mes rêves, et les flammes de mes désirs. C'est encore possible. C'est encore possible avec elle. Sans entrave. Sans entrave. Sans qu'elle ne cherche à me pousser à bout, à déformer ce qui fait ma nature, pour se voir détruite par elle. Je n'ai pas ce pouvoir, je n'ai plus ce pouvoir. Pas sur elle. Non. Je ne crois pas. Eleah est en dehors de moi. À l'intérieur de moi. Mais elle ne m'appartient pas. Elle ne m'appartient pas, je ne veux pas. Je ne veux pas. Mon coeur balance ses peurs, me fait progresser bien plus vite, insulter une voiture qui manque de me renverser alors que je continue mon chemin, inconscient de tous les autres, mes yeux masqués derrière mes lunettes de soleil. La presse n'a pas parlé de mon escapade nocturne dans la boîte des horreurs. J'ai eu beaucoup de chance sur ce coup-là et quelque chose me dit que si ça n'avait pas été le cas, ma conversation avec Ellis eut été pire encore. Je parviens au bas de son immeuble, je ne sonne pas, ne cherche pas à y monter non plus. J'en suis parti l'autre fois, sur un dernier café, un signe de la main, pour lui dire simplement que je la retrouverai vendredi. Aujourd'hui. Je fais quelques dizaines de pas, de long en large, profitant d'une clope en l'attendant, avant qu'il ne me soit plus permis de fumer. J'attends qu'elle apparaisse pour me souvenir de tout ce qui prévaut sur les raisons soit disant objectives qui me furent opposées. J'attends de replonger, entièrement. Peut-être a-t-il raison, qu'il s'agit d'une énième obsession... Et alors, pourquoi serait-ce un problème, quand cette même obsession me procure tant d'énergie que je me sens prêt ce soir à ravager la terre et conquérir mon dû ? La liberté étend ses ailes, plante ses serres, je pivote au moment où la porte s'entrouvre, inspire la fumée, me laisse dériver sur l'image qu'elle offre.
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() message posté Dim 8 Avr 2018 - 21:46 par Invité
I ain't here to break you, just see how far it will bend ☾
JAMES & ELEAH
Le téléphone vibre sur la console en bois brut. De longues jambes se déplient. L’une est plus traînante que l’autre, tandis que la silhouette se découpe dans les lueurs tamisées de la pièce. Arthur pose son index sur le bouton central du cellulaire, lit avec désintérêt le message qui vient de s’afficher. "Je pars. Je t'attendrai en bas." Une forme de dépit se peint sur ses traits blafards et fatigués. Il a renoncé à tenter de la dissuader de se lancer dans ce projet insensé. Chaque fois qu’elle a une idée en tête, elle est d’une obstination terrifiante. Impossible alors de la faire changer d’avis, cela il le sait. Depuis plusieurs jours il cherche les clefs qui lui permettraient de l’en détourner. Lui dresser un portrait peu flatteur de l’individu n’a pas fonctionné. Quoi faire alors ? Elle n’écoute pas. Elle n’écoute rien. Il ignore quel but elle poursuit, mais il s’est rendu à cette évidence : au moment de la chute il sera là, pour la rattraper, pour récupérer ce qu’il restera d’elle. Parce qu’il n’envisage pas d’autre issue que la destruction entre ces deux-là. Si ce n’est pas de lui, cela viendra d’elle. Il la connaît trop. Il ne peut y avoir d’exception. Une part de lui se réjouit à cette idée, chérit des pensées malsaines qu’il se blâme parfois d’éprouver. Mais ce sont les seules qu’il parvient à ressentir. Les seules qui réussissent à l’éloigner de la colère qui le ronge, à chaque fois qu’il la regarde s’enchanter, quand lui-même en est incapable. Sa voix claironne d’ailleurs en fond sonore. Elle chantonne, elle est sous la douche. Arthur s’amuse un peu de les imaginer tous deux, endimanchés, à cette soirée ridicule. Il sait qu’Eleah déteste ces soirées-là même si elle fait mine d’y être à son aise. Mais lui … Il peine à l’imaginer feindre quoi que ce soit. Il se rassied dans le divan, porte la bière qu’il vient d’ouvrir à ses lèvres. Elle s’agite à l’étage, en levant les yeux, il voit une silhouette dévêtue et empressée passer. Il compte les minutes avant qu’elle ne vienne l’interrompre dans sa retraite pour lui demander son avis. Avis qu’elle fait souvent semblant d’ignorer, mais auquel elle est malgré tout sensible. Car contre toute attente, Arthur a une réelle finesse pour ces choses-là. Le raffinement il connaît, même s’il en apprivoise rarement les contours pour lui-même.

« La noire. Mets la noire. dit-il, sans même avoir tourné la tête pour la regarder. Il a juste entendu le bruissement de ses pas sur les marches. Il la connaît par cœur. Il sait déjà qu’elle aura passé cette robe qu’elle affectionne tant, en soie sauvage, avec des motifs floraux et des jeux de transparence. Elle lui va à ravir, il l’admet volontiers. Mais pour convaincre Faulkner elle ne peut pas se permettre une tenue qui ferait tourner de l’œil les maris tirés à quatre épingles. Le noir c’est convenable. Cela ne jure pas dans un décor. Elle ne doit pas briller, elle doit convaincre.
- Mais c’est si triste le noir … rétorque-t-elle avec une moue de petite fille, en finissant malgré tout par se rendre à l’évidence qu’il a raison : Faulkner n’aime pas ce qui jure. Elle aime les chignons bien serrés, sans un cheveu pour s’en échapper. La noire, la longue alors ? Celle avec le col qui remonte ?
- T’es pas une nonne non plus. Non, mets l’autre. Celle avec le décolleté en dentelle, échancrée dans le dos. Et tes escarpins rouges. Ceux qui te donnent une taille décente. dit-il, avec cet air détaché qui donne l’impression qu’il sait parfaitement de quoi il parle. En même temps il triture un bout de peau sur son pouce.
- Ça ne va pas faire trop pour Faulkner ? s’interroge Eleah en farfouillant dans sa garde-robe, pour dénicher la noire, celle qu’elle affectionne, mais qu’elle jauge tout de même d’un regard critique.
- T’es trop jeune pour te cacher derrière une toile de tente. Rétorque le frère, en terminant sa bière. Tiens d’ailleurs tu ferais bien de te dépêcher, y’a ton cavalier qui va pas tarder à débarquer pour t’emmener au bal de promo. plaisante-t-il sans sourire, ignorant royalement les éclairs qu’il sent cogner dans son dos alors qu’elle descend et le regarde, réprobatrice.
- Je vois vraiment pas pourquoi tu te moques de lui en permanence.
Elle furète à droite, à gauche, encore à moitié débraillée parce qu’elle n’a pas remonté la fermeture éclair de sa robe. Ses pieds se glissent un à un dans des escarpins rouges, elle accroche un bracelet fin en or autour de son poignet, en ajustant le mouvement de ses cheveux détachés. Arthur s’est levé, se postant derrière elle, alors qu’elle se regarde dans le miroir de l’entrée.
- Arrête de gesticuler. Intime-t-il, posant ses grandes mains à plats sur ses épaules, avant d’entreprendre de remonter la fermeture invisible de sa robe partant du côté de sa hanche.
- Ça ne fait pas trop ? Le décolleté ? Le côté échancré dans le dos ? On voit clairement que j’porte pas de soutien-gorge. Faulkner va s’indigner. Je ferais mieux de mettre l’autre. A l’école elle me reprochait toujours l’indécence de mes tenues.
Arthur imprime une pression sur ses épaules, comme pour en ôter les tensions. Une prévenance étrange, qu’il n’a pas souvent.
- Arrête un peu. Elle ne serait pas satisfaite même si tu portais une cagoule. Tu es très belle. Il faudrait être aveugle pour ne pas le remarquer. Et ce n’est pas vulgaire, ni aguicheur … pas trop du moins. Juste assez.
Il joue avec l’une de ses mèches de cheveux, se détache enfin de sa silhouette en imposant une distance toute différente, tranchant avec l’ébauche d’une complicité affectueuse.
- Mais méfie-toi de lui d’accord ? Je te dis pas de ne pas faire ce dont tu as envie - de toute façon tu fais toujours ce que tu veux-, mais … Garde toi de lui … Ne sois pas un papillon de nuit qui se brûle les ailes sur des illusions perdues … Ne donne pas tout si tu ignores si c’est réellement toi qu’il veut … Ou une version biaisée de toi. Et ce … Même s’il parvient à convaincre Faulkner. Il serait capable d’y arriver … ce con. Il n’y a rien que tu ne puisses créer sans lui, Eleah. N’oublie jamais ça. » Il s’est souvenu de la remarque de James, lorsqu’ils étaient dans les toilettes. Ses poumons se gonflent d’aigreurs. Alors elle mourra avant toi … Les mots sont toujours là, gravés, quelque part. Il n’a pas oublié, non, il n’oubliera pas.

Tant qu’il sera là, toile de fond d’une vie aux lueurs éclectiques, elle aura toujours quelque chose à quoi se raccrocher. Même si elle a tendance à l’oublier au profit de ce qu’il considère comme une passade, il se plaît à le lui rappeler de manière implicite. Mais au lieu de s’enchanter, Eleah est prise d’un malaise étrange, une sensation oppressante qui naît au creux de son ventre. Elle essaie de se rappeler pourquoi elle fait tout cela, ce qui la pousse vers les desseins qu’ils ont décidé de tracer ensemble. Elle se remémore les regards échangés, cette façon dont il l’a protégée aussi, d’elle, autant que de lui-même peut-être. Les souvenirs lui sont revenus par bribes et impressions. Le puzzle demeure toujours incomplet, l’énigme de sa présence à ses côtés le matin venu demeure toujours entière. Mais elle s’est souvenue des méfaits de la drogue sur son corps. De la drogue, de l’étreinte, d’une odeur, d’une saveur. Celle de ses lèvres à l’orée des siennes, promptes à s’en emparer avec ferveur, mais se scellant pour la préserver d’assauts différents, et contraires. Elle se souvient de la puissance de ses bras autour de sa silhouette, de son odeur encore, partout, jusqu’à lui donner le vertige. Elle ne comprend cependant pas une chose : pourquoi ne l’avoir pas entraînée ? Pourquoi ne s’être pas perdu avec elle ? Ils étaient si proches, au bord d’un précipice, ensemble. Les explications se sont multipliées, tandis qu’elle rassemblait des signes au gré des conversations dont elle s’est remémoré les tournures. La préserver d’elle, ou de lui ? Elle ne sait plus. C’est peut-être pour cela qu’elle n’a pas cherché à le recontacter durant les jours où ils ne se sont pas vus. Elle a été prise de cours, entraînée par un quotidien ponctué de latences infimes où elle n’estimait pas devoir s’alanguir dans des civilités inutiles. Danser, danser encore. Il y a tant de projets dans sa tête que c’est un tourbillon incessant. Mais ce n’est jamais assez cependant. La partie la plus avide de sa nature se contrebalance de toutes ces prévenances pour la garder d’un mal aussi abstrait qu’attirant. Elle regarde l’écran de son cellulaire. Il est largement l’heure.

« Bon … J’y vais. Qu’est-ce que tu as prévu ce soir ? demande-t-elle finalement, en passant un manteau rouge et long sur ses épaules, assorti à ses chaussures, tout en fourrant dans une petite pochette le nécessaire de survie, à savoir : son rouge à lèvre carmin pour les retouches, son cellulaire, quelques mouchoirs, ses clefs, un peu d’argent, au cas où.
- Oh ce soir j’vais dormir chez Jody j’pense. On s’voit après son service … »

Ne pas s’inquiéter s’il ne rentre pas alors, c’est la conclusion qu’elle tire de l’échange. Jody. Elle n’aime pas particulièrement cette fille. Elle la trouve vulgaire, avec des mœurs dérangeantes. Elle la soupçonne de pousser Arthur à des consommations illicites. Mais elle ne peut guère juger ou choisir avec qui il décide de baiser. Si seulement cela pouvait l’égayer un peu, réveiller quelque chose dans sa carcasse. Mais rien à faire. Chaque fois qu’il rentre, il est égal à lui-même, plus taciturne que jamais. Eleah pose un regard sur sa grande silhouette, referme la porte derrière la sienne, beaucoup plus petite. Elle descend les escaliers, ses escarpins tintant avec légèreté sur le sol dans un empressement gracieux. Elle ouvre la porte du hall à la volée, enfonce ses mains dans le fond des poches de son manteau, regarde à droite, puis à gauche, ses lèvres carmins s’égayant d’un air enchanté lorsqu’elle distingue son profil un peu plus loin.

« Coucou ! » lâche-t-elle avec décontraction, l’ayant rejoint en quelques pas sautillants. Ses doigts se posent sur ses épaules. Elle se hisse un peu, car même avec les talons, elle n’est toujours pas si grande que cela, et vient déposer ses lèvres sur sa joue gauche, envahissant son espace durant un instant éphémère. Elle se recule ensuite, lui fait face, cherche à deviner ses regards derrière ses lunettes sombres. « Bah alors … Je ne comprends pas … Qu’as-tu fait de ta veste à strass ? Gregory m’en avait pourtant vanté les mérites … Je suis déçue. » le taquine-t-elle, en se mordant la lèvre, avant de venir apposer son  pouce à l’endroit même où se trouvaient ses lèvres, juste auparavant. « Bouge pas, je t’ai mis du rouge. Ça risque de faire trop de couleurs, de jurer avec le noir » Poursuit-elle, dans le même élan, avant de marquer une pause, et de l’observer avec un calme tout différent. « Tu vas m’insulter si je te dis que ça ne te va pas si mal ? » demande-t-elle du bout des lèvres, le gratifiant cette fois ci d’un sourire plus délicat en dégageant l’une de ses mèches de cheveux, passée inopinément devant ses yeux, balayée par la brise nocturne. « Je suis prête à parier qu’elle aura de ces robes avec les cols en froufrou remontant jusque sous le menton … Elle ne portait que cela aux événements de l’école. » Elle rit un peu, glissant avec un naturel confondant ses doigts autour de son avant-bras pour y prendre un léger appui, tout en lui emboîtant le pas. « Tu sais que personne dans mon entourage ne pense que l’on réussira ? Mon frère me prend pour une délurée … Mon partenaire m’a ri au nez. On doit être un peu fous … Ou inconscients. Lequel des deux te sied le mieux tu penses ? »

electric bird.
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James M. Wilde
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Eleah
& James




Les quelques minutes où je consume ma clope tel un acharné que l'on menacerait de priver d'oxygène, mes pensées caracolent et se perdent sur des chemins entrouverts et dangereux. Les remontrances d'Ellis corrèlent avec des peurs que je me tance de même ressentir quand j'en connais pourtant l'inique origine. Je ne veux pas me laisser dévorer par les influences d'un jugement extérieur. Mais c'est le mien... Le mien qui détaille les images les plus sordides, apposant les visages, les substituant à l'orée de la tombe et je trouve désormais la nuit bien froide en l'attendant, uniquement paré de ma veste de costume. Si je me fourvoyais quant à la nature de ce lien que je sens se tisser jusqu'à ces secrets excavés, si je me fourvoyais ? Si l'aventure s'avérait décevante ou pire encore, si elle décidait d'en rompre tous les serments au débotté, sans consommer la lie de nos destins emmêlés à mes côtés ? Si elle m'abandonnait dans l'ombre ? Si j'achevais de l'y laisser ? Un souvenir aux traits de mon fantôme. Les sentiments se bousculent et ravagent mon visage, je tente de fermer des expressions qui narguent ma maîtrise, et stoppe un instant ma marche incessante pour savoir mieux respirer. Mes certitudes, je dois m'y raccrocher, recouvrer tout l'élan qui m'a fait cheminer jusqu'ici pour la revoir. Je sais que je retrouverai dans son corps et dans ses confidences tout ce que je m'évertue à traquer. Je sais qu'elle le souhaite aussi, je l'ai sentie. Ressentie jusqu'à la trivialité de ma chair, la ferveur de sa bouche qui scellait des promesses qui ne souffraient guère d'être prononcées. Elle savait que c'était moi, elle n'a pas simplement jeté sa frénésie sur un inconnu pour exorciser des démons dans l'indécence. Non. Ce n'est pas vrai, ce ne fut guère l'illusion d'un instant mais bien la preuve que j'attendais. Tu es là. Tu es là. Elle n'a cessé de me le répéter. J'étais là, je suis là. Je ne puis être ailleurs quand ce que j'augure peint autant de délicatesses que d'appétits monstrueux, au fond de mon corps que j'entrave. J'ai eu envie de tant d'insolence, dans l'étreinte, envie d'une douleur qui n'était guère celle avoisinant la frustration que j'ai dû endurer. J'oscille cependant... Considérant depuis trois nuits ce qui me trouble et m'interdit. Il y a peu, j'aurais déchaîné l'horreur sur son corps, poussé tous les instincts sur sa peau pour qu'elle ne puisse plus que se damner à réclamer mes brûlures. J'aurais poussé tout l'avantage dont j'étais seul élu, là sur la piste de danse mais... Mais il y a eu cette fêlure. Cette fêlure qui m'a laissé autant bouleversé qu'elle, et plutôt que de la refermer dans l'outrage, j'ai substitué tous les désirs à des caresses plus intimes encore. Qui désormais me raccrochent à des échos que je remâche, me délectant de l'amertume procurée. Douce-amère, souvenirs sulfureux, je les ressens avec la brutalité de son apparition. Elle est là. Oui. Elle est là. Je demeure à ma place, attend qu'elle me rejoigne, masquant tous mes regards qui la détaillent en songeant déjà la dévorer. Elle est si prompte à imposer sa marque dans ma sphère que je la laisse en rompre toutes les digues, me prépare au contact sans même me crisper. Ou juste un peu sans doute, les muscles sont si prompts à se rappeler l'injure de la folie. Je respire ses parfums, plonge en fermant les yeux au creux de son univers. Du nôtre, je crois bien. Je n'embrasse pas sa joue, ma main frôle son cou, mon pouce glisse le long de sa jugulaire. Caresse intime. Encore. Encore. Avant de lui laisser tout l'espace qu'elle désire. Je ris légèrement, sa présence solaire me réchauffe tout entier. Les braises couvent des émotions viscérales, je ne sais plus les distinguer. La voix d'Ellis s'affadit et mon fantôme me quitte, effarouché par des traits par trop familiers.

_ Bonsoir, jolie fille.
Elle est bien plus que cela, elle est belle à se damner dans cette robe noire qui dévoile ce qu'il faut sans pour autant flirter avec la vulgarité. Exactement ce que l'on attend d'une jeune femme de son âge dans ce genre de soirée. Une pensée me nargue, je me demande s'il est vrai qu'elle ne porte pas de sous-vêtements, comme elle a sous-tendu un jour dans la conversation. En tout cas, pas de soutif, ça c'est clair. Et mon sourcil se hausse, déjà au bord de suggérer que le détail ne m'a guère échappé, mais je me tais, laissant ce jeu pour plus tard, quand il me faudra une distraction triviale à toute l'aigreur que je ressentirai au milieu de ces cons. Nous commençons à marcher, côte à côte, entremêlés déjà, j'aime sa main sur mon avant-bras. Elle me rassure.
_ C'est ça, évite de me donner bonne mine, sinon je risque de faire de l'ombre à tout les mâles alentours...
Raillerie de circonstance même si son compliment me fait plutôt plaisir, je sais que le costume me va plutôt bien, c'est juste que ce n'est guère mon élément. Je continue de plaisanter, nous faisant traverser l'avenue, au milieu d'un flot de personnes qui semblent toutes aller dans la direction inverse, comme si elles fuyaient notre aura. Contre-courant... Cela nous ressemble.
_ Et comment ça "ma" veste à strass. "Mes" vestes à strass, chérie, j'en ai plusieurs, et à lamée aussi, sans parler de celle que je préfère, même si c'est plutôt une sorte de manteau, rouge sang, avec des plumes noires sur les épaules et les manches. D'un raffinement certain. Mais... J'imagine fort peu raccord avec le raffinement de notre vieille austère.
Je me penche à son oreille comme pour glisser une confidence, de ma voix qui dévale contre sa peau, tel un velours épais, tant je ne cherche guère à maquiller combien elle est magnifiquement vêtue à mes yeux.
_ À ce propos... Ton genre de raffinement ce soir me plaît beaucoup. Ça ne vaudra pas le souvenir de ton déshabillé, certes... Mais il n'aurait pas non plus agréé la vieille.
J'ai un sourire en coin, carnassier, et nous virons vers la gauche, dans une rue piétonne, plutôt désertée à cette heure tandis que les petites échoppes pleines de couleurs enchantent les pavés sur lesquels nous progressons. J'ai même viré mes rangers, pour mes chaussures noires, italiennes elles aussi, que l'on ne m'accuse pas d'être un petit joueur quand il s'agit de m'apprêter. Mais déjà je triture le pan de ma veste avec ma main, guère autant à mon aise que sous ma veste en cuir. Je secoue la tête et fais la grimace lorsqu'elle me dépeint l'attirail de torture visuelle qu'arborera sans doute Faulkner. Bon dieu je me souviens. Quelle horreur ! Je grommelle :
_ De quoi me traumatiser une dernière fois. Il va me falloir tout le courage du monde pour ne pas m'esclaffer ou me payer sa tronche.
La rue piétonne s'élargit, il y a encore quelques centaines de mètres avant que nous ne puissions gagner la grande galerie qui dessine au loin ses assassines lumières. La fosse aux lions, je me redresse quelque peu, un brin tendu tandis que je l'écoute tranquillement, balançant mon mégot pour l'écraser de mon talon :
_ Le mien n'est pas particulièrement ravi à l'idée que nous réussissions je crois, mon échappée ne fait pas l'unanimité, à vrai dire. Mais j'en ai rien à foutre.
Mensonge. Mots trop enragés sans doute pour qu'ils ne trahissent pas quelques aigreurs quant à la conversation qui a bien assombri mon après-midi. Je rebondis sur ses phrases, mon sourire toujours là, plus acide sans doute :
_ On est fous. J'aime qu'on soit fous. Je nous pense au contraire beaucoup plus fous car nous sommes très conscients de ce que l'on est. Tu as envie de te débaucher à mes côtés, parce que je suis ce genre de connard qui a la fièvre dans le corps et dans la tête. J'ai envie de profiter de tout ce que tu m'offriras, c'est vrai, c'est ce que je suis, je prends, je dévore. Et toi aussi. Mais...
J'interromps notre course avec douceur, comme pour la voir vraiment, la laissant me faire face quelques secondes, ma main se posant sur la sienne, mon sourire évanoui, la solennité de mes certitudes dans mes yeux derrière mes lunettes ridicules en pleine nuit :
_ ... On sait l'un et l'autre que ça ne s'arrête pas là. Très peu de gens comprennent ce que cela fait. De vouloir tant que l'on n'en dort parfois plus. De repousser le vide avec tout ce que l'on pourra arracher à ceux qui nous entourent. Nous arracher. Donner, prendre, jusqu'à...
Ma voix ne donne aucun terme, exhale ce futur que je ne souhaite pas imaginer. Avant de ponctuer, avec délicatesse :
_ Fous peut-être, c'est vrai... Mais pas inconscients. Jamais.
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() message posté Lun 9 Avr 2018 - 12:19 par Invité
I ain't here to break you, just see how far it will bend ☾
JAMES & ELEAH
La lourde porte en métal se referme derrière sa silhouette, émet un grincement qui jure dans l’atmosphère étouffée de la nuit naissante. Ses pensées incertaines se dissipent. Les paroles d’Arthur cessent de s’imprimer dans sa conscience qui se calfeutre. Eleah inspire une bouffée d’air. Il fait un peu frisquet. Une vague de frissons vient la parcourir, et elle a ce réflexe de resserrer les pans de son manteau autour de son corps. Son regard se fait circulaire, cherche à se heurter à l’image surprenante qu’il finit par lui renvoyer, et qui ne correspond à rien de ce qu’elle connaît le concernant. Une forme d’excitation la gagne alors, la même que celle qui l’étreint dans les coulisses d’une scène, juste avant d’y entrer, de se glisser dans un rôle qu’elle cherchera à transcender. Ils seront des acteurs ce soir, à feindre, à se courber, à caresser dans le bon sens juste pour les manipuler. Elle ignore pourquoi, mais contre toute attente, la sensation est des plus exquise, plus puissante encore que la nervosité qui la taraude depuis que cette soirée s’est profilé dans leur horizon. Embrassant les rivages de cette nuit toute incertaine, mais pleine de promesses, l’entrain renaît dans tous ses membres, rend son pas plus sautillant et ses rires plus faciles. La sempiternelle présence de ses lunettes noires de star l’amuse : parvient-il à distinguer quelque chose là-dessous ? C’est que le jour s’éteint, et que les lueurs des lampadaires ont tendance à être blafardes. D’un balayement elle avise sa tenue, repère sans difficultés qu’il porte un ensemble de qualité. Est-ce du sur mesure ? Cela a dû l’être, mais il semble avoir un peu maigri depuis la dernière fois qu’il l’a porté. Peu importe, cela lui va quand même, elle est forcée de le reconnaître. Son inspection dérive sur ses cheveux, repère aisément quelques mèches hirsutes. Son sourire s’agrandit et avec lui, l’idée que l’on ne peut guère dompter toutes les natures : il reste toujours certains stigmates incontrôlables. Eleah ne fait aucune remarque sur les airs qu’il semblait arborer avant qu’elle ne fasse son apparition. Il était si loin alors. Inaccessible. Mais cela n’a duré qu’une seconde, le temps qu’il la voit, que les impressions s’évanouissent comme un mauvais souvenir. Elle n’a pas insisté. C’est peut-être une bulle dans laquelle il s’enferme/s’enferre qu’elle n’a pas envie de crever. Pas tout de suite en tout cas.

« Toutes les basse-cour n’apprécient guère l’arrivée d’un nouveau coq. » répond-elle en écho, avec légèreté, filant la métaphore.

Ils marchent, s’entraînent l’un l’autre. Ses talons tapent avec légèreté sur le sol : c’est l’avantage d’avoir passé des années sur les pointes, elle n’a jamais mal dans ces chaussures hautes perchées. La frivolité reprend ses droits sur tout son être au gré de ses plaisanteries. Elle pouffe de rire, n’a pas de mal à imaginer ce costume dont il dépeint toutes les excentricités. Elle ne peut s’empêcher de pousser une exclamation cependant :
« Quelle horreur, on dirait que tu décris un corbeau qu’on aurait égorgé sur un manteau gothique. »

Elle rit, encore, toujours. Une image furtive de Faulkner avec un crucifix, de l’eau bénite, et de quoi purifier son âme de damné la traverse, renforce ses airs enjoués. Il y a toujours eu tant de spéculations, d’idées plus incongrues les unes que les autres autour du personnage de cette femme. Certains l’imaginaient appartenir à une secte, d’autres au contraire à des cercles aux mœurs sordides et indécentes. Avait-elle seulement conscience du mythe qu’elle avait su créer autour de sa personne ? Cela n’était même pas sûr. Sa voix se fait plus sourde, vient dévaler le long de la courbure de son cou. Eleah penche légèrement sa tête dans son sens, prête à cueillir la confidence. Un sourire plus délicat s’empare de ses traits devenus plus énigmatiques tout à coup. Elle lui jette un coup d’œil en biais, le port de tête haut, les attraits félins de sa nature tous de sortie face à ses compliments qui sont loin de lui déplaire. De là à rougir cependant, à être de ces femmes pudibondes qui virent au pourpre à la moindre remarque sur leur sensualité mise en exergue, il y a tout un monde. Au contraire, elle se fait un peu provocante, glissant avec innocence :
« Tu dis ça parce que tu n’as pas encore vu le dos … de la robe. »

Des lueurs de malice brillent dans ses yeux. Elle songe à Faulkner, et si l’idée qu’elle puisse la trouver totalement indécente et mal élevée l’inquiétait tout à l’heure, désormais elle la grise. Elle n’aurait peut-être pas dû écouter Arthur. Se cantonner dans un tailleur classique, trop étriqué pour même lui donner envie de s’asseoir, sans doutes aurait-ce été plus sage.  Sa prise se resserre autour du bras de James tandis qu’ils s’approchent de leur point de chute, trahissant peut-être les appréhensions jusqu’alors si bien dissimulées.  

« Imagine qu’elle t’invite à danser. En plus de sa tenue, tu devras humer son parfum … Tu sais, l’entêtant, celui qui ressemble à de l’eau de Cologne pour homme. » surenchérit-elle, les plaisanteries douteuses sur Faulkner ayant le mérite de la détendre un peu.

Son timbre est plus enragé à présent, moins maîtrisé. Eleah le regarde, se heurte à son profil un brin contrarié qui se découpe dans l’obscurité. Elle n’est pas surprise du manque d’enthousiasme de ses comparses. Déjà, dans le studio, James avait montré des réserves à l’idée de leur en parler, à eux, et à leur productrice. L’échappée solitaire était une solution pour s’affranchir d’une justification auprès d’eux, mais pouvait passer pour de l’égoïsme pur. Cela, Eleah le savait. Contrairement à lui, elle savoure la chance d’être totalement libre, de n’être enchaînée à aucun contrat particulier. C’est pour cela qu’elle a quitté les rangs du Royal Ballet : pour n’avoir plus de comptes à rendre à personne, si ce n’est à elle-même. Et elle se fait parfois plus sévère envers elle-même que n’importe quelle autorité. La musique, c’est un milieu différent. Y évoluer sans attaches est difficile, plus encore lorsque l’on fait partie d’un groupe. Son image absente sur le trottoir, en bas de son immeuble, lui revient comme un flash. La connexion se fait sans effort. Mais Eleah n’insiste pas, ne cherche pas à lui faire dire l’indicible quand elle sent toute une frustration se réveiller dans ses membres. Elle n’est pas là pour ça.
« Ils ont peur que tu t’envoles … Que je t’emprisonne … Et ne te laisse plus leur revenir. » dit-elle du bout des lèvres, pour essayer d’orienter ses pensées vers autre chose.

Mais elle comprend les appréhensions de Gregory, ou même d’Ellis. Elle peut les concevoir sans difficultés. Elle sait aussi que ce projet illusoire a de l’importance pour lui, comme pour elle. C’est la fulgurance d’une envie qui les transcende, les passionne, leur donne le sentiment sublime d’être en vie, enfin. Pas à moitié. Pas seulement le temps d’un souffle. En vie, pleinement. L’un avec l’autre. Même si ce n’est que le temps enfiévré d’une création qui ne durera pas plus qu’une soirée. Cette frénésie-là est difficile à comprendre pour qui ne l’a jamais goûté, pour qui n’a jamais éprouvé ce vide étrange que rien n’est plus capable de combler, à part ces instants volés de création. Leur allure ralentit, il s’arrête. Eleah le regarde, suit le sillage de cette main qu’il vient poser sur la sienne. La compréhension est si pure alors qu’elle en est presque troublée. Donner, prendre … Arracher, jusqu’à briser. Jusqu’à étouffer, jusqu’à briser tout ce qui fut créé. Pour recommencer, encore, et encore, et encore. Car cela n’est jamais assez. Elle pense si fort à la suite de ses paroles qu’il pourrait l’entendre. Son murmure lui répond, intensité mêlée de candeur, face à cette vérité qu’il est parfois difficile d’admettre sans fard :
« Il faut connaître le vide pour savoir comment le repousser … Quelles limites franchir pour s’en détacher, un instant, juste un instant … Juste assez pour continuer et repartir. »

Le silence encore, pour ponctuer ces serments invisibles, incompréhensibles pour tous ceux qui ignorent. Elle le regarde encore. Elle le voit. Ses doigts se referment avec délicatesses autour des siens, s’y entremêlent avant de briser l’interruption, et d’amorcer un pas, puis un autre.

« Fous alors … Fous et exaltés. » dit-elle, en lui jetant un regard à la dérobée, avant de le tirer à sa suite pour traverser. « Vite le feu est rouge ! » s’exclame-t-elle en riant, accélérant le pas pour traverser la rue où les voitures s’insurgent, les chauffeurs avec le pied sur l’accélérateur, prompts s’ils le pouvaient à renverser les piétons indisciplinés.

Ils arrivent enfin à l’entrée du bâtiment où a été installée l’exposition. Des photographies, des gravures, des esquisses, des peintures. Tout pour honorer l’histoire de la danse de ballet, sublime lorsqu’elle n’est pas endoctrinée. Eleah sort de son sac les invitations, les présente à l’hôtesse d’accueil qui vérifie sur sa liste que leurs deux noms y sont bien inscrits.

« Madame, Monsieur, les vestiaires sont sur votre droite, juste après l’entrée. Passez une agréable soirée. Voici le programme. »

Eleah la remercie d’un sourire jovial, se saisit de la paperasse parce qu’elle se doute que James n’en aura pas l’utilité.  Ils se rapprochent des vestiaires. Il n’a pas de manteau, pas d’affaires dont il faudrait qu’il se déleste. Elle murmure alors à son oreille, presque suave :
« Pars devant, je te rejoins. Je vais poser mon manteau. »

Elle disparaît sur le côté, vers les vestiaires déjà surchargés. Méticuleuse, Eleah retire son manteau rouge, le dépose entre les mains d’un jeune homme, embauché sans doute seulement pour la soirée. D’un revers de main elle époussète le devant de sa robe, veille qu’il n’y a pas de faux pli, réalise quand le froid caresse sa peau nue que le décolleté dans le dos est vraiment vertigineux. Pas indécent cependant. Elle prend une inspiration avant de chercher à rejoindre James un peu plus loin, triturant la lanière de sa pochette en cuir au passage, portant des œillades un peu partout alentour. Elle ne reconnaît personne. Ne voit pas même la vieille Faulkner. Les regards deviennent plus intrusifs sur sa silhouette, ou alors est-ce juste le malaise qui la taraude qui lui donne cette impression. Elle ne se laisse pas impressionner pour autant, dégage les épaules, aimante un sourire bienveillant aux commissures de ses lèvres. Dire que ce n’était de que la scène d’exposition. Elle rêvait déjà de l’épilogue.


electric bird.
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James M. Wilde
James M. Wilde
MEMBRE
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() message posté Lun 9 Avr 2018 - 18:39 par James M. Wilde


« You wanna know if I know why
I can't say that I do
Don't understand the you or I
Or how one becomes two
I just can't recall what started it off
Or how to begin again
I ain't here to break you
Just see how far it will bend
Again and again, again and again »

Eleah
& James




Aussitôt, c'est sa magie qui s'instaure, parcourt les souvenirs et recouvre la mémoire pour n'y abandonner que ce que nous partageons. Ces moments hors du temps qui me rendent à une humanité farouche, où j'impose une autre conscience de moi qui ne cherche plus à contraindre ou à mordre pour savoir protéger ce qui demeure enfoui. Car plus rien ne l'est, tout est palpable à tout instant, tout à portée de nos imaginaires divins qui dérivent enlacés. Tout à restituer à celle que j'ai élue comme seul vestige de ma destinée d'homme quand j'ai su affronter le monstre. Et le laisser gagner. Avec elle, je ne dissimule pas. Je me découvre d'autres attraits, oubliés et trompeurs, des années qui dévalent de mon visage pour le rendre plus jeune, corrompu par d'autres feux que ceux qui détruisent ou destituent. L'apogée de mes outrages. Je les porte tous dans mon cœur, battant dans mes veines qui sillonnent la peau glacée de tant de routes quand il n'en reste qu'une seule. Une seule pour me sauver. Et rêver encore. Encore un peu. A tes côtés. L'un dans l'autre, l'un dans l'autre. Je plonge dans ses regards noirs, la bouche sanguine qui lui donne une maturité différente, deux rôles pour une soirée. Angéliques nuances, qui se froissent dès que nos confidences bruissent de nos sous-entendus. Jeux délicieux. Mes airs enchantés sous les étoiles grises, lueurs des lampadaires vacillantes, un décor donné à tous nos entre-deux. Entre toi. Entre moi. Entre en moi. Je crois que mes contrariétés ne se referment pas, elles s'envolent, prêtes à se savoir balayées par sa voix, timbre plein de musique. Entre en moi pour tout transfigurer. Je change. Je m'élève vers toi, sans me corrompre. Sans me corrompre. Corrompu en dehors, corrompu au dedans. Un rôle sur le tissu, une vérité triviale sous la veste qui palpite. Je n'ai pas peur, d'eux ou d'elle, de moi ou des autres. Je n'ai pas peur... Folie, folie. Tant mieux. Folies conjugués dès lors qu'elle me rejoint. Je joue avec mes lunettes de soleil, jetant parfois quelques regards par dessus car je ne distingue pas grand chose dans la nuit assombrie par les verre. Réflexe un peu passé, que j'hérite de tant d'ennuis qui furent balancés en pleine lumière, sortir en ce moment est devenu une contrainte. Si les gens ne m'importunent que peu, les vautours sont de sortie, souvent sur mes talons, à ces centaines de mètres à graver les moments qu'ils me dérobent, qu'ils interprètent et déforment. Je n'en ai cure, mais je n'ai pas envie de faciliter leur métier de fossoyeur, alors les lunettes pour passer pour un autre, pour tous les autres, au noir d'une nuit sans faille. Une touche de couleur à mon bras. Sans doute des clichés qui ne serviront pas même s'il fut aisé ce soir de demeurer sur mes talons, vu que j'ai choisi de marcher. Et l'on s'étonne encore que je me faufile à des vitesses indécentes sur ma moto... Nous nous regardons trop souvent, presque éblouis par l'image usurpées, dieux ou démons, l'air vicié sous nos pas. Je joue avec ma canine, ma langue passant lentement sur la pointe en répondant :
_ Je n'aurais pas pu mieux le décrire. Ce sera l'ensemble parfait lorsque je bâtirai un culte à mon image. Quoique c'est déjà fait. Tu en seras la grande prêtresse dis-moi ? On peut te faire faire un petit ensemble rouge et plumes...
Mon sourcil se hausse avant que je ne laisse le rire apaiser les derniers sursauts de mes tourments. L'imaginer dans une sorte de robe assortie me laisse des impressions confondantes, je ne sais si elles frôlent l'horreur ou la profonde vénération. J'ajoute :
_ Faulkner, avec son attirail SM sous ses robes à frou-frou sera le tortionnaire de nos foules. Je suis sûr qu'en lui vendant le projet ainsi elle se précipitera pour aller chercher son fouet.
Nos souvenirs semblent se rencontrer dans des délires hérités des murmures d'alcôves quant à la vieille professeur (car oui, elle était déjà vieille en étant jeune...) qui lui prêtaient des activités plutôt éclectiques dirons-nous à la nuit tombée. Tant de raideur... C'est ce que je lui ai dit un jour d'ailleurs, je crois : "Tant de raideur madame, c'est que vous devez souvent la façonner chez vos adeptes..." J'espère qu'elle ne s'en souvient pas et que la vieillesse a percé quelques trous dans sa mémoire, sinon je suis mort d'avance. Je m'entraîne à sourire, mais il y a toujours cette espièglerie dans mon regard, malice débordante qui rejoint Eleah. Plus palpable encore désormais qu'elle m'oblige à imaginer un dos nu que je cherche déjà à deviner en caressant des yeux la peau de sa nuque sous le col du manteau. Inspiration brusque, mes iris changent, percent les verres teintés, pèsent sur elle une longue seconde avant de se détourner pour se poser sur la rue que je ne vois pas. Je ne vais pas pouvoir... Pas pouvoir me retenir de balader mes doigts dans son dos si c'est la vérité. J'ai tout à coup très hâte d'arriver là-bas pour qu'elle sache se débarrasser de ses parures encombrantes pour m'apparaître entièrement cernée de sa petite robe noire. Putain, que je peux aimer qu'elle soit ainsi, entière, sûre de ses charmes, et des effets qu'ils étendent sur moi. Mes airs rêveurs se transfigurent en une moue désoeuvrée, avant que mon rôle ne prenne le pas sur l'affreuse étreinte qu'elle dépeint :
_ Je vois très bien, et je me suis toujours demandé si un gars comme moi était capable de liquéfier une frigide comme elle. Si elle veut de mon bras, je le lui offrirai. Je parie que je parviens à la faire rougir avant la fin de la soirée...
Un sourire mâle, assuré, comme ces défis que l'on se lance dans la fleur de l'âge, incapable d'imaginer un quelconque frein à son pouvoir dès lors qu'on en comprend les contours et les fascine au point de les rendre tranchants. Mais nous ne pouvons échapper à l'inéluctable rapprochement, qui nous renvoie à une société dont nous n'avons pas envie, et dont pourtant ce soir, nous avons grand besoin. Peut-être que c'est justement pour cela que ma voix trahit toute l'amertume de ma conversation, mais je ne commente pas, je sais les mots bien incapables de me détourner de ce dont je souhaite m'emparer. Elle avait raison ce soir-là, plus que raison. C'est juste moi, une aventure personnelle comme celles que je me permettais autrefois, quand nous n'étions pas encore connus, et que j'appartenais à d'autres milieux que ceux qui sont les miens aujourd'hui. Mais je me sais au seuil de l'injure, je conçois tout à fait la ligne de fuite que j'emprunte, acère, accentue en repoussant toutes les obligations qui demeurent en filigrane. Je me sais entravé quand j'ai pour la première fois l'impression d'être libre depuis longtemps. Entravé par mes soins, afin d'évider tous les instincts qui cherchent à me détruire. Eleah ne le sait pas, mais seul je ne sais pas m'élever, je retombe immanquablement dans l'horreur et mes méfaits, me laisse couler à pic en rêvant me noyer. Le choix de sa terminologie trouble mes prunelles, ma mâchoire se serre, comme pour retenir l'aveu qui choit :
_ Ils ont raison. D'avoir peur.
Je me sais au bord de tout plaquer, me débarrasser de l'infamie en condamnant l'album. Condamnant ainsi la seule perspective où je me réaliserai lors de la tournée. Travail avorté pour punition du crime. Mais je sais également que je n'ai pas le droit de les faire payer pour moi. Alors comme toujours j'irai... J'irai porter sur mon visage blême la tourmente jusqu'à crever. Car quelque chose sait... Quelque chose cherche à se sauver, à l'intérieur de mon être ce sont tant de symptômes qui m'indiquent que je n'en reviendrai peut-être pas. De là-bas. De cette solitude où je me retrouverai. Au milieu de la musique sans partage. Alors tout ce que je peux saisir jusqu'à cette date fatidique. Tout ce qu'Eleah saura m'offrir. J'ajoute doucement pour balayer l'angoisse :
_ Peut-être que j'ai envie que tu m'emprisonnes le plus longtemps possible.
Léger sourire mais qui dessine la gravité d'autres aveux dont elle est la destinataire. Je refuse avec brusquerie de me savoir jugé dans l'inconscience des rêveurs. Mes rêves sont entiers, dévoyés, malades et je les vois comme tels, prêts à me dévorer. L'addiction d'une sensation quelle qu'elle fut, qu'importe le prix qu'il me faudra payer. Qu'importe ce qu'il faudra qu'elle hérite de moi comme souffrance également. Si elle ne me fuit guère, jamais je n'aurai la lâcheté de l'épargner de la vérité de mes excès. Elle se fascine sous mes yeux, se laisse emporter par ce langage qui nous appartient. Prendre. Prendre. Il ne reste que cela. Peut-être continuer jusqu'à n'avoir plus rien à offrir du tout. Me condamner avant la chute. Et le vide de cette solitude horrible que j'entrevois. Qu'elle se drogue à mes méfaits avant de me vomir. Car c'est sans doute la seule fin que j'imagine entre nous et aucunement mes avidités ne cherchent à la retenir. J'en ai presque le vertige. Cette idée m'ôte le souffle. Que sa liberté soit entière, jamais entachée par moi comme elle peut l'être par son frère. Les mots noirâtres rampent... Les serres empoisonnées de cet amour fraternel. Il crève de l'imaginer se débaucher en dehors de lui, je le sais. Je l'ai immédiatement senti. Mais comment cracher sur son cadavre quand j'ai commis les mêmes erreurs, quand je suis constitué des mêmes hérésies. Sauf que si j'imagine traîner Eleah jusque dans mes désirs brutaux je ne la vois que victorieuse. Venue pourfendre toute la corruption pour s'en nourrir, me laisser désœuvré et exsangue. Je suis prêt à tout risquer pour qu'elle en sorte indemne. Non pas indemne... Plus libre que jamais après m'avoir renié. C'est ce qu'elle fera. J'en suis tant persuadé que je tremble un instant. Je te laisserai partir. Je te laisserai partir quand tu le souhaiteras. Pourvu que j'en conçoive la force. Mes doigts s'entremêlent aux siens. Pourvu que tu ne me laisses aucune place pour installer la tyrannie de mes sens. Que tu me prennes tout. Que tu m'offres tout en retour. Que je puisse construire un infini où je nourrirai tes tourments quand tu les coucheras sur ma peau. Infini. Encore. Encore. Jusqu'à. Ce jusqu'à qui n'offre plus rien si ce n'est le néant. Repartir. Repartir. Elle sait également. Repartir hors de moi. Repartir distingués quand nous aurons su nous prendre jusqu'à nous tuer. Mes lèvres couchent sur sa tempe une dernière promesse. Émue. Mutique. Je te laisserai partir. Partir. Je te le promets. Toujours. Des mots pour narguer nos silences :
_ Fous. Et libres. Libres.

Je me laisse entrainer, la rapidité de ses pas, le freinage intempestif d'un véhicule que j'insulte aussitôt. Suffisamment fort pour que les quelques invités sur le trottoir nous dévisagent. Je soigne toujours mes entrées. C'est le secret pour laisser là un souvenir immortel... Je zyeute en biais les oeuvres qui s'exposent, ne trouve véritablement rien digne de mon intérêt au premier regard, mettant cela sur le compte de mon esprit empli de vitriol rien qu'à la pensée d'aller m'enfermer au milieu de tout ce beau monde. Des robes, des costumes, des costumes, des costumes. Des pingouins et des flamants roses. Rouges. Bleus. Beurk. Je ne résiste pas à la tentation de passer une main dans mes cheveux pour désordonner mes allures un brin trop proprettes pour me laisser survivre en milieu hostile, je laisse à Eleah le soin de régler les formalités d'usage quand je me débarrasse de mes lunettes de soleil, dévoilant le bleu de mes yeux froids, la morgue sur les lèvres. Persona vaniteuse donnée à des feux qui furent mon monde, celui que j'ai rejeté avec toute la force que je pouvais convoquer. La détestation cogne sous mes côtes, son rapprochement brutal, le murmure qui m'enchante vient contraster l'équation. Emotions qui se déploient, qui se jaugent, cherchent à se déchirer. Ma main caresse sa nuque comme pour la maintenir à l'orée du jeu qui devra me contenir, lui en rappeler toutes les intensités. Unique réponse à sa désertion, j'ai un sourire moqueur, je m'en sortirai, Beauté. Je m'en sortirai. Et toi, alors ? Déjà je navigue en eaux claires, salue des inconnus qui ne me reconnaissent guère, c'est presque doux de me dire qu'ici, personne ou presque ne fera le lien entre "ce chanteur de rock qui baise des mineurs" avec James Wilde, le mec en costume noir, qui semble marcher tout droit vers ses funérailles. Je ne connais personne. Ou peut-être cet homme là-bas, que je peine à remettre dans un autre contexte. Est-il journaliste d'art ? Peut-être l'ai-je un jour vu au Viper ? Ailleurs ? Je lui fais un très léger sourire, il me salue aussi, affable, je ne dois pas avoir sauté sa femme, c'est déjà ça. C'était mon sport favori, lorsque j'avais la vingtaine. Humilier les associés de mon père, quand je devais subir leurs assommantes soirées. Pour voir le monde. Tu parles. Je l'ai vu le monde. L'autre monde. Je chope une coupe de champagne sur le plateau, puis une seconde quand je la vois entrer. C'est elle qui s'avance, majestueuse et j'embrasse tous les regards qui la détaillent. Relève la tête ma belle. C'est ce qu'elle fait. Un rôle. Notre rôle. J'attends qu'elle me rejoigne, dans une posture décontractée, comme si j'avais toujours été là, ici, maintenant. Au milieu de tout cela. Mais prompt à y rayonner. A y étendre des lueurs dérangeantes, un charisme qui frustre et tance, rien qu'à l'imaginer devenir sien. Le même que celui qui la constitue. Dedans. En dehors pourtant. Toujours. Je lui remets la coupe, puis trinque avec elle, la choyant d'un regard sans doute trop appuyé. Personne n'ose regarder quelqu'un ainsi dans une foule, comme s'il se permettait de le déshabiller. Ne fixe pas les gens, James, ça n'est pas convenable. Je les entends encore... Toutes les réprimandes. J'ai un sourire gracile, quand je fais mine très naturellement de l'accompagner voir une oeuvre dont je me fous totalement. Tout cela est prétexte à dessiner une cajolerie dans son dos, en effet dénudé. Putain... Ça va être très compliqué. Aucun soutif, j'en étais sûr. Je sais toujours ces choses-là au travers des fringues. Une vue trop aiguisée sans doute :
_ N'est-ce pas magnifique ce... cette... Qu'est-ce que c'est que ce truc-là ?
Je plisse des yeux, je peine à comprendre l'abstraction d'un tableau sombre, avec des raies de lumière qui décharnent une matière un peu surchargée. C'est... tout ce que je n'aimerais pas dans mon salon. Un tableau à se pendre. Ou que l'on collerait dans la cellule d'un condamné. Je cesse de toucher sa peau, interdit un contact que j'ai envie de prolonger. Une gorgée. Une seule. Je joue la retenue qui ne me caractérise jamais. Ça va être très très compliqué. J'ai déjà envie de descendre une bouteille entière, particulièrement quand un couple de quinqua nous flanque et susurre sur un ton des plus inspirés :
"Oh mais chéri, c'est une oeuvre du Borgorinaj. Tu te souviens, ce petit musée près de ce fleuve Russe ? Il y a toujours une telle inspiration..."
Elle parle d'une voix haut perché, nasillarde.
"Ce n'était pas lors de notre voyage de noces ? Je crois bien reconnaître sa patte, c'est toujours tellement extraordinaire."
Extraôôôôrdinaaaaaaaire. Chère amie. Les noces de ces deux machins-là, brrrrr. Dire qu'ils ont dû se reproduire. Je peine à ne pas leur lancer un regard de biais assassin.
"Tu vois tout le concentré de splendeur, à chacune de ses touches. C'est bien lui, c'est certain. Je suis presque émue."
Presque. Parce que l'émotion à haute dose, ce n'est pas conseillé pour la souplesse des tissus pleins de botox. Je vais aller me pendre. Maintenant. Avec le tableau. Ce sera parfait. Une deuxième gorgée. Beaucoup plus longue. J'ai soif, bordel. Je vais crever.
"Mais je vois que nous avons deux jeunes connaisseurs. Enchanté, je suis Edmond Mellbrook. Et voici mon épouse, Léonor."
Edmond et Léonor. Prends la main James, prends la main. Maintenant. Sinon il va comprendre combien tu le méprises. Voilà. Voilà, tu peux le faire. J'appuie un peu fort sur les articulations. J'ai un ton très ironique, que je manie toujours avec ces gens-là car en général c'est un art qui leur échappe. Ils ne savent plus quoi penser, est-ce vrai, est-ce faux ? C'est là tout l'intérêt :
_ James. Et voici Eleah. Nos alliances sont restées dans le dressing, c'est... fâcheux. Nous les oublions toujours, hein, chaton ? Particulièrement en public. Mais nous ne sommes pas moins ravis. Débordants de joie.
Rire. Voilà. Particulièrement de sa part à elle, parce qu'elle croit aussitôt que je verse dans l'humour, sous-entendant que nous ôtons nos alliances pour chasser des partenaires potentiels dans la foule. Je lui souris, un sourire agressif, elle va baisser les yeux dans trois ... non deux temps. Elle est blonde, elle a dû être très très jolie un jour, mais il y a quelque chose de dur dans son port de tête. Comme ma mère.
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() message posté Lun 9 Avr 2018 - 23:27 par Invité
I ain't here to break you, just see how far it will bend ☾
JAMES & ELEAH
Les humeurs vagabondes chassées, ne reste plus qu’une frivolité illusoire pour se glisser entre leurs deux silhouettes et les unir l’une à l’autre. Les rues revêtent des lueurs toutes différentes lorsqu’elles sont choyées par leurs humeurs légères. Toutes les contritions éprouvées depuis des jours se meurent. Elle oublie les doutes, toutes les impressions retrouvées à force de convoquer des souvenirs enfouis, sclérosés par la drogue dont il a su la préserver. Elle aime ce qui est, là, tout de suite, sans se soucier particulièrement de ce qui fut ou de ce qui sera. Il est là, partout, imprégnant sa sphère de ses attitudes changeantes, teintant de son caractère éclectique tout ce qui l’entoure. Les intensités de ses regards et de ses paroles la grisent. Mieux, elles la transcendent, car elles ne trouvent pas de semblable dans ce qu’elle connaît déjà. Elle distingue en lui tous les signes d’une convoitise qu’il maîtrise, cloisonne, bride pour des raisons qu’elle ignore encore. Se garder de lui-même, se garder d’elle ? Retarder l’échéance pour s’abreuver de toutes les notes délicieuses qui la composent ? Elle frémit presque à l’idée fantasque qu’il dépeint. Ce costume, taillé pour eux, pour elle, elle le voit comme s’il se trouvait là, juste devant elle. C’est une excentricité qui pourrait tout à fait lui convenir, même si sur scène, elle a plutôt tendance à préférer aux attirails ostentatoires les matières fluides, toutes en transparence, sans fioritures pour rappeler au plus près la pureté inégalable du simple appareil. Son rire claironne, est une réponse plus équivoque encore que toutes les phrases qu’elle aurait pu créer. Elle répond sans discontinuer :
« Je ne suis pas contre l’idée d’un boa de plumes noires … Cela donnerait un côté prêtresse burlesque. »

Ses lèvres viennent former un « o » quasi parfait à l’évocation des mœurs prétendument indécentes de Faulkner. Ses élans grivois ne peuvent se réfréner alors. Toute son imagination se déploie sans candeur dans un univers abrupte et trivial. Cela ne l’effraie pas, bien au contraire, cela la prête à sourire. Sous ses airs de pimbêche notoire, il ne serait pas si surprenant de la voir s’acoquiner avec trivialité, d’y prendre goût, de se révéler maîtresse dans ce jeu indécent. Des lueurs continuent de vaciller dans le regard d’Eleah, répondent à toutes les malices qui ponctuent les paroles qui se déversent de sa bouche.

« Tu plaisantes, mais je suis persuadée qu’elle manie les talons aiguilles à la perfection. » glisse-t-elle, avec un air des plus rêveurs.

La complicité devient tentaculaire, déploie ses longs filets pour les attraper, et les enfermer tous deux. Elle aime la sensation qui la gagne. Celle de n’avoir pas l’impression de le heurter, de le choquer, de pouvoir enfreindre toutes les limites de la bienséance parce qu’il n’en a aucune non plus. Suggérant les attraits d’une sensualité encore dissimulée derrière ses remparts de tissus, la complicité devient féline, mise en exergue par une assurance dont elle est capable de faire preuve, parfois, lorsque ses attraits de femme sont mis dans l’équation. La danse lui a appris une chose, sublime, unique. Le culte du corps, comment le subjuguer, quels muscles tendre, quels courbures accentuer pour le faire apparaître dans toute son élégance, comme suspendu au bout d’un fil ténu susceptible de se rompre à tout moment. La brûlure de son regard sur sa nuque fait courir un long frisson le long de son échine. La sensation est exquise. Elle ne tourne pas la tête cependant, fait mine de n’avoir rien vu, mimant une innocence toute factice quand elle sent pourtant son sang pulser plus fort à ses tempes. Ses évocations la tire de l’équilibre fragile où elle se trouvait, tout son regard enchanté par les défis triviaux qu’il vient de suggérer sans honte.

« Si j’étais sage, j’aurais tendance à dire que conjuguer un pari à un autre n’est pas raisonnable … Mais ce que tu suggères là … C’est irrésistible. Si tu y parviens vraiment, à la faire rougir … Comme les petites filles candides … A éveiller un émoi dans son corps austère … Je suis prête à parier n’importe quoi. Même à lever la sentence des 50km/h ... »

Le défi est entier, lancé en pâture de ses avidités, et de ses convoitises. S’il réussit tout, même le plus impensable, cette soirée sera peut-être leur plus bel accomplissement avant de monter sur les planches. Ce jour-là est encore loin cependant. Moins qu’hier. Plus que demain. Incertain, les clefs dans des mains qui ne leur appartiennent guère, mais face auxquelles ils doivent se rendre pourtant. Elle a imaginé un instant ce qu’il adviendrait d’eux qu’ils se confrontaient à un échec. Rien n’est impossible. A défaut des parquets du Royal Opera, ils pourront toujours arpenter ceux d’une salle moins prestigieuse, moins difficile d’accès aussi. La conversation s’oriente, devient plus houleuse, moins tempérée, mais toujours pleine de promesses étranges qu’ils semblent les seuls à comprendre. Elle sait les dilemmes auxquels il se heurte sans pour autant être capable d’en appréhender tous les contours sans se fourvoyer. Alors elle ne tente pas de discerner l’indicible en filigrane de ses paroles, se contente de ce qu’il a à lui offrir, car il n’est pas présent plus satisfaisant que celui offert sans fard, sans qu’on ait tenté de le dérober de force au préalable. Pourtant, sa réponse la cueille. Une expression de surprise la traverse. Elle ne s’y attendait pas. A cette suggestion, à ce que réellement il voit en elle une échappatoire que ses compagnons pourraient finir par trouver dangereuse. La frivolité de ses humeur s’affadit pour laisser place à une intensité toute différente, vertigineuse parce qu’elle en ignore les conséquences. Elle ne pensait pas qu’il la percevait autrement que comme une rencontre illusoire, et éphémère. Elle ne pensait pas non plus que ses attitudes pourraient avoir des incidences. Une parenthèse. Une parenthèse éphémère, voilà ce qu’elle croyait incarner. Voilà ce qu’elle pense toujours mériter être, quand il suggère des émotions gravées plus profondément dans la chair. Aller jusqu’au bout de ce tout, de ce jamais assez. Est-ce seulement possible ? Elle ne s’est jamais abreuvée de quelqu’un jusque-là, car elle en a eu peur. Pour avoir tout, il lui fallait tout donner en échange. Tout abandonner pour se plonger corps et âme, à la merci d’un autre pour triompher, sans savoir ce qui advient après. Elle ne pouvait pas, non. Ce lâcher prise absolu, c’était trop lui demander. Mais depuis elle a évolué, et ses envies avec elle. Peut-être n’était-ce pas le bon moment alors, peut-être l’adversaire n’était-il pas à sa mesure. De loin, figée par les mots qu’il vient de prononcer, elle observe le carrefour de son existence. Celui où elle a l’impression de se trouver depuis un moment, statique, mutique, muselée. Elle veut prendre une direction, sans savoir laquelle. Elle ne savait pas jusqu’alors, mais désormais, les perspectives changent. Elle change du fait de la collision de son sillage avec le sien, de leurs carrefours incertains entremêlés, pas encore prêts à se dissocier.

« Une prison sans fers alors. Sans entraves. Où tous les heurts sont faits pour réveiller, et non pour étouffer. »

Le murmure se dissipe. Ses doigts se resserrent, s’entremêlent. Elle esquisse un sourire fragile, mais qui se veut rassurant. Elle ne pousse pas l’image plus loin, referme déjà la porte entrouverte puisqu’il n’est pas encore prêt à s’y engouffrer. Elle ne veut pas être son bourreau, elle ne le veut pas assujetti à des règles, relié à elle par la contrainte. Elle ne le supporterait pas, tout comme elle peinerait à tolérer qu’on lui impose toutes ces choses qu’elle abjure. Elle aime le voir changeant, devoir distinguer les aléas de ses humeurs. Peut-être est-elle folle, de vouloir s’abreuver de tous les heurts. Mais elle les veut, tous. Pas dans une version imparfaite, galvaudée. Tous, sans fard, parce que tous autant qu’ils sont, ils le composent. Ils sont l’essence de ce qu’il. Et il n’y a que cela qui l’intéresse, au-delà de toute idée de possessivité factice.

« Libres. Oui … »

Son pouce vient tracer une arabesque délicate sur sa paume, scelle les infinis de l’accord qui les relie l’un à l’autre. L’enthousiasme dans son corps devient débordant, se conjugue à des impériosités furibondes et enfantines. Ses talons claquent plus vite sur le pavé. Elle rit lorsqu’il injure la bagnole, rejoint le trottoir en face à la vitesse de l’éclair. Lorsqu’ils paraissent à l’entrée, Eleah cherche à retrouver toute sa contenance, puise dans ses ressources pour paraître toute bien élevée. Mais elle ne peut s’empêcher de s’enchanter encore, d’avoir cet air réjoui insensé que tous les autres, claquemurés derrières des expressions mesurées, peinent à comprendre. Elle délaisse James au profit du vestiaire, se déleste de son manteau, sent des frissons la parcourir de part en part, dévalant sur la peau nue de ses bras, de son dos, de ses jambes. Le rôle n’est pas si simple à endosser. Sur scène, son nom n’a que peu d’importance. C’est le déploiement de son corps qui fascine, c’est sa performance que l’on décortique au millimètre, au tremblement près. Est-ce si différent finalement dans cet antre ? Ne sont-ils pas là tous pour se juger ensemble ? Pour trouver les failles, afin de s’estimer bien chanceux d’être mieux que tous les autres ? Sa posture retrouve sa droiture habituelle. Elle regarde tout autour d’elle, se force à ne pas s’attarder sur les tenues que les autres femmes portent, beaucoup plus raffinées que sa petite robe noire, qui doit être de bien piètre qualité en comparaison d’une Dior, ou d’une Chanel toutes de fils cousus. Peu importe. Ce sont là des superficialités qu’elle ne veut pas distinguer comme des menaces. D’un pas feutré, presque gracile, cherchant à se déployer dans cette salle avec la même aisance que sur une scène apprise par cœur, elle rejoint James, qui ne jure pas tant que ça dans le déco. Ce sont là des multitudes de codes qu’il connaît bien mieux qu’elle, elle en est persuadée désormais. Entre deux doigts elle saisit la coupe de champagne qu’il lui offre, la lève légèrement vers le ciel. Eleah ne boit presque pas d’alcool d’habitude, lui préférant les breuvages écœurants et sucrés qu’il déteste. Mais ce soir, elle en a besoin. Pour se donner du tempérament, et de la contenance. Un sourire délicat s’éprend de ses lèvres. Il amorce un déplacement, la tance d’un regard auquel elle répond par-dessous ses cils, se familiarisant avec des attitudes moins équivoques que celles qu’elle arbore d’habitude, mais plus subtiles de fait, plus dangereuses également. Ses doigts viennent effleurer la courbure de son dos, la brûlure est infime. S’en est trop. Ce n’est pas assez. Elle lui glisse un regard par-dessus son épaule, davantage absorbée par son profil que par la toile qu’il fait mine d’observer d’un regard critique. Il s’interroge, et son regard, juste à l’orée de sa bouche à présent, se détourne pour se heurter à …

« C’est … » Elle penche la tête sur le côté, pour essayer de distinguer un « sens » à pareille perspective. Ses yeux se plissent un peu, comme pour mieux voir. Elle va même jusqu’à tendre le cou, avant de reculer, circonspecte. « … Terrifiant. J’ai du mal à saisir le lien avec la danse. » Car il n’y en a aucun. A part le titre peut-être. Et encore, lui aussi est très confus, rendant les intentions de l’artiste difficilement perceptibles. Mais c’est sans compter les remarques admiratives de deux autres convives, qui accaparent leur attention. Les yeux d’Eleah s’agrandissent à les observer. Elle se concentre, s’enchante presque comme devant une pièce de théâtre. Derrière sa coupe elle dissimule un sourire amusé, sent James abattre ses cartes à ses côtés. Extraordinaire, a-t-il dit l’un ? Elle regarde de nouveau l’œuvre, cherche à distinguer ce qui peut les enchanter tous les deux à ce point. Elle ne voit rien d’autres que les rayons lumineux immonde. Et la saturation de couleurs épaisses, qui donne l’impression d’une superposition brouillonne. James déploie tout son personnages dans des mondanités surfaites, et avec une forme de fascination amusée, elle le regarde, ne tarde pas à la rejoindre dans le jeu puisqu’il l’y a conviée. Un sourire adorablement frivole de circonstance se greffe sur ses lèvres mutines. Elle glisse sa main autour de son avant-bras, fait des gestes avec sa coupe dans les mains comme pour accompagner la rhétorique.

« Toujours oui. C’est que toutes les opportunités sont divines à saisir, n’est-ce pas trésor ? » surenchérit-elle, faisant rougir la charmante Léonor qui les imagine déjà couple libertin, à saisir les opportunités au vol avec la voracité de leur jeunesse. Cela lui fera quelque chose de délicieux à raconter à ses comparses, lorsqu’elles seront arrivées avec leurs époux. « Cette toile est magnifique vous ne trouvez pas ? Si puissante … Si … » Elle pose son regard sur James, fait mine de chercher ses mots quand elle s’efforce de ne pas tomber tout de suite dans l’indécence, même si ce n’est pas l’envie qui lui manque. « … Vernaculaire ? » lâche-t-elle finalement avec un air candide, comme enchanté. Léonor semble convaincue par l’adjectif. Pas de faux pas pour l’heure. Et toujours pas de Faulkner en vue. Eleah se délecte d’une première gorgée de champagne, pour étancher une soif qui semble inextinguible, y va avec parcimonie cependant, parce qu’elle sait que le champagne est un breuvage démoniaque capable de la rendre plus frivole et grivoise que jamais.


electric bird.
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James M. Wilde
James M. Wilde
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() message posté Mar 10 Avr 2018 - 16:52 par James M. Wilde


« You wanna know if I know why
I can't say that I do
Don't understand the you or I
Or how one becomes two
I just can't recall what started it off
Or how to begin again
I ain't here to break you
Just see how far it will bend
Again and again, again and again »

Eleah
& James




J'ai des peintures en tête, sulfureuses et tragiques, son joli corps paré d'un unique boa de plumes noires. J'essaye de la représenter dans un fantasme hérité de notre première rencontre, mais les impressions prennent les images en tenailles, les modifient pour les rendre d'un onirisme dévastateur, le boa s'envole, il n'y a que des sons, dans mes oreilles devenues un court instant comme sourdes. J'enlève la fantaisie pour qu'elle s'envole ou plutôt déroule ses derniers feux dans mon corps avant de ne plus maîtriser que mon apparence et le rythme de mes mots. Elle se sait désirable, elle connaît ses attraits. J'ai vu tant d'intrigantes faire mine de ne rien déployer, rester dans une fadeur placide plutôt que d'assumer le trouble et la déchéance d'un désir brut, animal. J'en ai vues d'autres ne rien savoir embellir, ravager toute délicatesse dans des maquillages ou des mises si malhabiles que ne demeuraient plus rien des échos de l'attirance fugace que l'on peut ressentir pour une inconnue. J'ai toujours préféré les partenaires qui existaient, qui brassaient autour d'elles une aura d'une puissance telle qu'elles étaient capables d'ébranler toutes mes certitudes. Pour mieux que je ne cherche à les assassiner avec, sans doute. Mais c'était un jeu inlassable, une course inhérente à ce qui permet les plus implacables étreintes. Je ne peux pas me fourvoyer cependant, je me suis très souvent contenté de la fadeur d'un corps pour y enfouir le mien, disparaître un instant, en dehors de ma tête, mais Eleah l'a parfaitement résumé. Ça ne suffit pas. C'est comme goûter à l'amer après avoir perverti ses papilles dans des rondeurs divines, c'est usurper l'orage à une averse ridicule. Se contenter de peu. Effroyable dicton que j'ai toujours arrosé de mépris. Peu. Pas grand chose. Autant dire rien. Mon corps est toutefois une créature que j'ai peine à calfeutrer et j'ai parfois préféré l'amer pour entacher la beauté. Quand on est trop hideux, l'on supporte très peu les lueurs les plus belles. Il y a des chaînes dans ce qui ravit l'âme, car elle souhaite demeurer. Et l'on ne demeure jamais. Après la frénésie, il faut braver la splendeur du silence. Est-ce donc ce qui nous attend nous aussi ? Le point d'orgue après toute l'harmonie qu'elle me permet de déployer ? Je me connais. Je me connais. Pour une seule seconde d'intensité, je suis prêt à traverser l'infini du néant. Une seule seconde. Une seule. On ne fraie pas avec tout ce qui peut vous tuer par hasard. J'ai même goûté la première fois à l'héroïne non pas par désespoir, mais parce que je savais que rien ne pourrait combattre cette première injection. Et en effet, ce n'est pas une légende... Rien ne fut plus délectable que cette aiguille qui s'est enfoncée dans ma chair pour délivrer une tempête détestable, aux infinis trompeurs. Des dizaines d'années après, je peux encore convoquer ce qui fut au creux de mes cauchemars. Et malgré l'évidence d'une addiction qu'il me faut encore combattre, je pense que je recommencerais sans faillir. Pour une seule seconde. Une seule. Qui vaut toutes les avaries que mon corps put subir après cela.

Nous conjuguons nos rires, nos esprits se font choeur, ils se trouvent, se cherchent, tracent l'accolade protectrice de nos deux corps qui marchent d'un même pas. Naturel confondant, je me laisse emporter sans plus poser de question inutile, je ne suis pas venu dérober un triomphe à ses côtés pour m'interdire la chute. Mes jeux d'équilibriste se multiplient à chaque souffle, j'en viens même à parier l'irréel rien que pour la voir mordre à l'appât. Quand elle promet cependant une récompense tentatrice, c'est moi qui mord à pleines dents de mon sourire entier. J'ai l'air d'un môme à qui l'on promet sa première sortie de grand garçon. La précipitation de ma phrase est délectable :
_ N'importe quoi hein ? Même ça... Si je parviens à l'émouvoir... Non, quand je parviendrai à l'émouvoir, tu songeras, Eleah. A toute l'ivresse de la vitesse derrière moi. Mais promis, je serai raisonnable. Ou presque.
Sourire léonin que je prolonge d'un clin d'oeil. Comme pour lui promettre la perdition même si je sais déjà que je ne la soumettrai pas à l'angoisse. C'est comme lorsqu'on apprivoise un être, l'on prend son temps pour le convier dans la rythmique de ses rêves. Je saurai l'emporter dans les miens, même le temps d'une unique balade. Surtout quand elle saura où nous devons nous rendre. Mes yeux sont étoilés par les perspectives tendues par nos respirations effrénées. Ça ne s'arrêtera pas. Pas avec elle. Elle ne m'arrêtera pas. La sentence se glisse et rejoint toutes les autres preuves de mes exactions. Encore faut-il que je sache ployer Faulkner, que je parvienne à passer outre son apparence et son phrasé qui m'a toujours tapé sur le système. Mais... Il y a un souvenir. Un seul sans doute que je pourrais exploiter. Je ne sais pas. Je ne sais pas si j'oserai ou serai capable de le lui souffler avec la douceur nécessaire. Je me laisse toutes les cartes en main, prêt à transiter sur des voies aux embûches innombrables, je ne suis pas certain de pouvoir entièrement tempérer ma nature. Ma patience est un fauve, elle préfère ronger ses appuis pour se précipiter dans l'outrage plutôt que de savoir demeurer sans tache. Alors je regarde ma compagne de convoitise et je me souviens des promesses qui furent à peine esquissées. Une autre scène que celle du Royal Opera serait comme une injure à sa danse ou à ma musique enchâssée dans ses courbes. Je me souviens de ces lieux pour y être déjà allé, spectateur parmi d'autres. C'est une petite salle, une capacité moitié moins importante que celle du Royal Albert Hall, plus intime, au charme palpable, partout dans l'air. Et la scène est minuscule par rapport aux dernières que j'ai pu faire, même si cela remonte à présent à plusieurs années. La scène me manque... Mes esprits tournoient autour d'autres perspectives, me susurrent le plaisir que j'y trouvais alors, que je pourrais recouvrer si jamais je consentais réellement à partir. A me donner enfin à une création qui manqua de me précipiter dans des limbes dont je suis sorti amoché. Je n'y songe pas, mais la fraîcheur du soir m'étreint et je frôle les stigmates de mes heurts, qui marquent encore légèrement mes jointures, fais jouer ma main dans l'air comme pour m'assurer d'une souplesse qui reparaît. Je n'ai pas repris la guitare... Alors j'avoue. Ils ont raison de craindre le pire quand selon un planning décent, c'est une catastrophe. Je n'ai jamais autant repoussé les répétitions à ce point, ni fui le studio pour m'élancer dans un projet aux allures concurrentes pour me changer la tête. J'ai besoin... Besoin de croire que je suis encore capable de créer, quand tout me paraît déliquescent, moribond, dans mes rêves, dans ma bouche, dans mon ventre. Pas quand j'arrête de maltraiter ma main pour la poser délicatement sur la sienne, nos doigts qui se cajolent. J'ai moins mal. Et je sais que je me permets une évidence qui se fraye un chemin viscéral dans une soirée presque trop doucereuse pour ne pas s'en insurger. Je n'attends pas à ce qu'elle revête le même état d'esprit que moi, il est sans doute facile de lâcher prise quand plus rien ne vous retient à force d'avoir su brûler chaque entrave. De s'être convaincu que l'issue c'est l'étreinte de la nuit, boire les tourments d'un cri aphone. D'un présent imparfait, elle s'isole dans des lueurs plus chatoyantes, je la vois comme un accident qui laisse déjà des blessures. Que je ne souhaiterai pas refermer. Je suis comme ça, absolu dans des intensités qui broient, mordent, crament, dévastent et créent, tour à tour des horreurs ou des magnificences. Je ne peux me modeler à elle sans hériter à mon tour de conséquences sans doute malvenues. Mais devenues vitales quand elle a stoppé là une chute qui m'emportait sur des rivages... Définitifs. Avant de la revoir, j'étais entièrement prêt à ployer jusqu'à rompre. Prêt à subir tous les jugements dans les notes de mes compositions, les chanter jusqu'à hurler, finir dans une suite à désespérer. Sans laisser Greg me trouver cette fois. J'en suis sans doute là. Parce que je l'ai abandonnée. Laissée dans l'étreinte la plus crue, détestable, dans une douleur infâme pour ôter tout ce que nous avons su être un bref instant. Je lui ai fait payer la folie d'une rupture, la folie des obligations qui m'ôtaient le sommeil et toutes les sensations. Plus rien en dehors d'elle, c'était étouffer ou me rendre. Je ne me suis pas rendu. Pas ce soir-là. Je n'ai abdiqué dans son corps que pour mieux la rejeter. Je suis parti. Je suis parti. L'évidence me transperce, je rate une respiration. J'ai choisi. J'ai choisi. Je ne pourrai pas revenir en arrière. Je le réalise dans une brusquerie telle que je comprends en miroir toute l'appétence qui me fit choisir Eleah. Demeurer chez elle, malgré... la peur qu'elle m'a faite subir, partager, la frustration de ne pas prendre tout avant de me carapater. J'ai choisi. Le choix. Je n'ai fait que cela. Alors pourquoi mentir sur le caractère illusoire d'une étreinte que je prolonge auprès d'elle ? Pourtant je n'attends rien... Si elle ne se donne pas, je ne saisirai rien, et alors je me rendrai à l'aube de mes incertitudes. Je me rendrai. Non pas à Moira car il est bien trop tard, mais à moi-même. Je lâcherai prise. Enfin.

J'ai un sourire presque tendre quand elle me répond. Sans liens pour la retenir, sans fers pour la briser, sans peine pour la détruire. Uniquement celle qui peut nous faire vibrer d'une note intense. Uniquement cela. Le hochement de ma tête est menu, mais la promesse est là, sur mes lèvres et sous mes doigts, dans ce mouvement que j'amorce pour embrasser sa joue, à défaut de sa bouche dont je saurai ravager le rouge à lèvres plus tard. Peut-être. Je souris plus amplement contre sa peau :
_ Fais attention, si je réussis, Faulkner pourrait m'emprisonner avant toi...
Ce qu'elle édicte vaut pour elle. Je comprends que cela vaut aussi pour moi. Je ne lui devrai rien, et les remords... Les remords enfin, n'existeront plus. Parce que je lui ai tout promis, et qu'elle a tout saisi. Entre ses bras. Évidence au creux de ma paume, l’irrévérence de nos secrets excavés nous projette dans une nouvelle énergie, qui crépite partout, sous la peau et sous nos pas. Je souris plus, j'entre même dans les lieux du vernissage sans me faire prier. L'attend sans aucune remarque provocatrice pour mes comparses, je ne mets guère en péril ce qui nous porte. Peut-être est-elle un frein à mes envies de me détruire. Étrange. Peut-être pas tant que cela, à bien considérer. Mon pouce qui trace sa colonne vertébrale espère la voir frissonner, surpris un court instant qu'elle accepte aussitôt la coupe que je lui tends quand elle a cette préférence ignoble pour des boissons que l'on devrait bannir de la Terre. Voire de l'Univers. Ma main demeure sage. Trop sage. Je quitte son corps quand je l'aurais bien arrêtée dans la courbure de ses reins. Je préfère maîtriser ce qui manque de me dévorer à chaque fois que je la vois. C'est un jeu plein de nouveautés, je crois découvrir les délicates morsures de la frustration qui me torture depuis trois jours. Je ravale un rire derrière mon poing, faisant mine de toussoter quand elle semble aussi désarçonnée que moi face à cette oeuvre composite et bien trop sombre. Je commente tout bas :
_ Eh bien... J'imagine que ce monsieur n'a pas le même regard que nous sur tes domaines de prédilection.
Je déchiffre le titre et manque de m'étouffer. "J'ai dansé avec toi dans le silence". Hmm... Un silence implacable visiblement. Je suis presque rassuré de voir que des artistes sont encore plus désespérés que moi. Au moins ai-je la décence de produire une oeuvre plus magistrale que cette croute ombrageuse. Même si Léonor et Edmond ne sont pas de mon avis. Mon dieu, que cette conversation est grotesque, du moins jusqu'à ce que je la mène sur le ton d'une douce indécence. Je suis ravi de constater qu'Eleah adopte aussitôt le rôle que je dessine, lui en laissant les plus jolis attraits, qu'elle saura sans doute aucun fasciner de sa présence d'esprit. La rougeur qu'elle fait naître sur le visage de notre vis-à-vis est parfaite, je hausse un sourcil pour l'achever. Même si j'espère grandement que Edmond et son épouse ne sont pas ce genre de vieux adeptes que l'on trouve dans le bain social et désincarné des parties fines. J'essaye de distinguer dans leurs traits de ces lueurs de convoitise qui pourraient ainsi trahir leur hobby mais ne vois que ses airs inspirés qui les balancent plutôt dans le vivier désagréable des faux intellectuels. Ceux qui n'ont aucune culture mais qui savent que ça fait bien dans le grand monde. Pire encore que les prédateurs de chair fraîche je crois.
_ Il y a dans l'inconnu des voyages dont on est bien incapable de se lasser.
Edmond se racle la gorge, et nous revenons à la peinture dans un léger soupir de soulagement de la part de cet époux qui imaginait déjà des avances difficiles à repousser. Qui pourrait renoncer à un si joli couple que le nôtre, n'est-ce pas ? Je souris, moins prédateur, Léonor recouvre ses postures et le mot qui s'ébat dans la bouche de ma comparse manque de me secouer d'un rire brusque. Une gorgée de plus donc. Vernaculaire. Là je dois reconnaître mon maître en sa personne, j'ai un regard qui caresse son profil, un léger sourire en coin, surtout quand je vois madame Mellbrook s'exclamer :
"Mais bien entendu très chère, c'est tout à fait cela. Il a un langage rustre bien à lui, qui donne tant l'envie de le croiser."
Pour ma part, je crois que je m'abstiendrai volontiers de rencontrer ce peintre au bord du suicide. Mais passons.
"Chérie, si cela te comble, nous essaierons de dénicher son adresse."
Pauvre de lui. Et je ne suis même pas surpris d'entendre la suite :
"C'est qu'avec mes affaires, j'ai quelque influence à faire valoir."
J'ai un sourire très factice qui n'atteint pas une seule seconde mes yeux :
_ Ah oui, vraiment, Edmond ? J'imagine que les hommes de pouvoir tels que vous n'ont pas besoin d'avoir conscience de leur limite. Rien ne leur échappe, n'est-ce pas ? Il n'y a qu'à voir votre épouse.
C'est froid, froid, froid. Je suis certain qu'elle le trompe et je l'imagine aisément dans la finance, comme tous ceux qui croient détenir le monde entier. Pire encore si c'est la politique. La tournure de ma phrase cependant fait office de poudre aux yeux, il s'enorgueillit de cette absence illusoire quand je viens de pointer son aveuglement. Léonor fait mine de l'admirer mais je ne suis pas certain qu'elle l'admire réellement. Est-ce seulement possible de s'assortir ainsi pour ne rien véritablement partager. Juste du fric. Ma main reparaît à l'orée de sa peau délicate, une douceur plutôt qu'une brutalité qui tend mon échine.
"Oh vous savez, le tout c'est de savoir rester modeste et apprécier ce que l'on a."
Bah tiens ! Tu parles connard. Il dépose un baiser détestable sur le front de sa femme. J'ai presque un frisson de dégoût. Elle surenchérit :
"Il est modeste parce qu'il sait que mon influence sur lui est pire que celle qu'il peut avoir sur les autres."
Que tu crois, ma vieille. Mais comme beaucoup tu ne dois qu'avoir les restes, une liberté complètement enserrée de très jolis barreaux. Je fais mine de regarder Eleah et rajoute, sur un ton plaisantin :
_ Moi je n'ai aucune influence sur elle, je n'ai aucune intention d'en acquérir d'ailleurs, c'est là peine perdue.
Léonor rit. Un rire faux. Dissonant.
"C'est parce que vous êtes jeunes et amoureux. Vous croyez pouvoir faire ce qui vous chante, c'est le privilège des débuts."
Non non ma grande. Je ne crois pas. Je sais. Je fais ce qui me chante. Garce. Je garde mon sourire agrafé sur ma gueule. La coupe est vide. Pénurie et tristesse.
_ C'est peut-être le privilège de ceux qui préfèrent être surpris plutôt que de savoir à quoi s'attendre, j'imagine.
Je garde un timbre courtois, mais Edmond cherche la faille de notre soi-disant bonheur trop parfait :
"Et que faites-vous donc pour aimer la surprise et l'inédit ? Laissez-moi trouver... Eleah, vous êtes... Modèle peut-être ? Ou bien, écrivain ? Je vous imagine une personnalité artiste. C'est vrai que les artistes ne sont jamais comme tout le monde."
J'excave un rire aérien. Miracle. Même si j'ai des envies de meurtre. Avant de lui taper méchamment dans le dos comme s'il venait de faire une boutade tordante :
_ Mais c'est leur rôle, mon cher Edmond ! De manier un autre langage, tout comme dans ce tableau qui murmure tant de délicieuses pensées à votre épouse. Vous avez raison cependant... Les artistes ne préfèrent ressembler à personne.
Imbécile prétentieux. Comme tout le monde... Je crois entendre le mépris de mon père. Je le cherche d'un coup d'oeil par-dessus mon épaule, mais il n'est pas là. Il n'est pas là. Je distingue soudainement Faulkner, là-bas, dans la foule, accompagnée de quelques artistes étalant leurs tripes sur les murs ce soir sous nos regards ébahis. Je glisse dans l'oreille d'Eleah :
_ Garde à vous, chaton, voilà la valkyrie.
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Anonymous
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() message posté Mar 10 Avr 2018 - 19:56 par Invité
I ain't here to break you, just see how far it will bend ☾
JAMES & ELEAH
Il se voit déjà paré de tous les éloges de la victoire, et les augures se rassemblent. Elle ne regrette même pas d’avoir parlé trop vite, d’avoir fait naitre en lui des lueurs de défis nouvelles quand elles se font déjà légion. Cette voracité-là, non gangrénée par la peur, toute enfantine, lui rappelle ses propres élans, ce qu’elle est prête à faire pour réussir lorsque l’on cherche à la défier. Les limites n’existent plus dans ces instants : ne reste que la magnificence du but, la tentation de l’orgueil subjugué par la victoire. Difficile de résister à des attraits semblables. Rien n’est plus délectable. Il faut quelques minutes à l’idée pour s’installer dans son esprit, dévoiler toutes les conséquences possibles. Car il serait capable de réussir, fourbe comme il est. La spontanéité de sa nature a négligé de la prévenir, se confortant d’emblée dans l’idée que corrompre Faulkner, il ne peut y parvenir, même en déployant un arsenal. Mais à tout bien réfléchir, plus elle le regarde, moins elle est sure. Ses yeux se plissent un peu dans l’obscurité, cherchent à le distinguer derrière le voile sombre de ses lunettes. Son espièglerie est entière, aussi fascinante que détestable quand il la nargue déjà, dessinant les contours d’un échec pour elle. Oui, il serait capable d’y parvenir. Quelle idiote de s’être ainsi enflammée. Mais étrangement, si l’agacement la tenaille en caressant l’idée de sa réussite, la peur demeure absente, l’appréhension du lâcher-prise également. C’est ce qu’il veut, c’est pour cela qu’il a mis l’équilibre dans la balance : pour voir jusqu’où elle est prête à aller, à quel point elle saura s’abandonner. Eleah est plus coutumière des abandons triviaux. Des chairs qui se conjuguent, se consomment, s’unissent avec autant de brutalité que de délicatesse. Elle aime ces abandons dont les conséquences ne passent rarement l’aube. Cela implique un lâcher prise, certes, mais très différent de celui qui consiste à déposer ses armes dans les paumes de l’ennemi, à se rendre, à faire confiance. Faire confiance. C’est ça qu’il veut. C’est ça le vrai chemin périlleux à parcourir, celui-là même qu’elle sait beaucoup plus difficile à traverser. Pourquoi ne pas se claquemurer alors ? Pourquoi saisir l’opportunité de mettre en exergue devant ses yeux une faille ? Parce que les abandons factices n’ont plus la même saveur qu’autrefois. Avant ils parvenaient à l’emplir. Elle s’en abreuvait, avide, susurrant aux oreilles alanguies par le désir ce qu’elles avaient envie d’entendre pour tout prendre, avant de toute détruire. Aujourd’hui ce n’est plus assez. Rien n’est suffisant pour lui faire oublier le vide qui l’étreint parfois, toujours un peu plus depuis Galway, depuis la collision d’un regard avec son profil qui n’avait plus rien de terrifiant alors. Il ne respirait plus que la honte, le dégoût, l’absence. Cette absence qui l’a saisie toute entière, et qu’elle n’a pas réussi à oublier. Cette absence qui la ronge, la blesse, suppure dans son âme qui éprouve la sensation intolérable du dégoût, de la pitié … Mais de la culpabilité aussi. La culpabilité de l’avoir laissé à ses remords, d’avoir été le bourreau à son tour, de lui avoir tant ressemblé quand elle aurait pu devenir celle qu’elle avait toujours admiré. Elle n’avait pas pu faire autrement, tout le dégoût, toute l’horreur insufflée par sa bouche et ses mains avides sur ses illusions d’enfants se putréfiant plus encore. Les cris lui sont revenus. Les injures. Toutes celles qu’elle pensait avoir oublié. Le froid l’a étreint, puis le dégoût, malsain et suppurant. Puis le vide enfin. Elle n’a pas pu. Et après cela, tout ce qui jusqu’alors la rassasiait à peu près est devenu frustrant. Jamais assez. Jamais assez non. Rien pour étancher la soif inextinguible. Rien pour parvenir à remplir le vide qu’il a su créer et magnifier de ses horreurs tout à la fois. Rien d’assez fort, d’assez puissant, d’assez destructeur. La pensée la traverse avec fulgurance. Elle n’a pas peur. L’idée de s’abandonner, qu’il exige ce lâcher-prise délectable ne l’effraie pas autant qu’elle ne l’aurait cru, parce que c’est le prix à payer pour le dévorer à son tour. C’est l’une des clefs qui lui ouvrira les abysses de son monde pour qu’elle aille s’y abreuver. L’envie est si puissante qu’elle lui fait presque oublier cette terreur qu’elle éprouve, inexplicable, face à une vitesse trop grande dont elle n’a pas la maîtrise. S’il réussit, il ne la ménagera pas. Il ira jusqu’où il peut, jusqu’à la frontière du tolérable. Parce qu’il est comme elle. Parce qu’il ne l’a pas soutenue et épargnée par erreur dans l’obscurité de ses cauchemars. Parce qu’il veut quelque chose. Ce tout qu’elle garde farouchement depuis longtemps, qu’elle ne sait pas offrir sans chercher à vaincre en retour. Un léger vertige l’étreint, l’embaume. Elle n’a pas peur de lui, seulement du vide dans lequel ils pourraient se précipiter ensemble, y associant leurs lueurs pour créer un onirisme digne de leurs natures. L’idée est éminemment attirante. Mais comme une chute, elle peine à envisager les conséquences. Se relève-t-on vraiment ? Les jambes ont-elles assez de force ensuite pour porter ce qu’il reste sur d’autres rivages ? Repartir. Repartir. Si seulement cela était possible. Tout son cœur brûle d’y croire, d’en être capable. Puis elle se souvient de la douceur de sa peau glacée sous son pouce, du bruit du sang qui se fige, de la respiration tranquille d’Arthur en train de dormir, de leurs mains entremêlées, l’une à l’autre, l’une dans l’autre, sur son ventre sans respirations. Repartir. Son corps se souvient de la rugosité de ses doigts sur ses joues, de la tessiture de sa voix lorsqu’il la complimentait pour ses résultats à l’école, de l’odeur de son haleine lorsqu’elle venait lui chatouiller le cou. Une saveur amère naît dans sa bouche. Repartir. Voilà le rêve de tous ceux qui restent vivants, qui sont là, arpentant un monde insensé dont ils ont désappris les codes. Un monde éminemment solitaire, où les compagnons qui passent ne sont que des météores brûlants, fugaces, passagers. Il faut les prendre au vol. Devenir un Micromégas qui s’arrime à une comète pour voyager, voyager encore, d’un monde à l’autre, d’un univers à l’autre. Elle s’accrochera à lui jusqu’à ne plus savoir quoi faire de son monde, jusqu’à ce que la météore ne s’éteigne, étoile mourante parmi les astres renaissants. S’éteindre avec lui, ou repartir plus loin. Repartir. Saisir cette illusion jusqu’à la fin des temps. Puisqu’elle n’est rien d’autre que cela : une illusion filante. Une illusion déçue. Morte. Morte avec elle. Morte avec lui. Morte mais vivante, car c’est là le prix que la survie impose.

« Si tu dois réussir, je ne te veux pas raisonnable. » finit-elle par lui répondre, la tonalité plus abrupte, plus puissante.

Quitte à se brûler, quitte à tout donner pour réussir, autant s’enflammer et danser jusqu’à s’épuiser sur les cendres de la victoire. Pas de demi-mesure. Pas de victoire en demi-teinte. S’il réussit cet exploit insensé en plus de l’autre, elle lui abandonnera ses déraisons, elle lui donnera ses craintes pour qu’il en fasse ce qu’il veut. Car il aura mérité de les enserrer entre ses doigts, de lui faire éprouver ainsi sa défaite cuisante. Elle lui concèdera tout cela. Eleah n’est pas mauvaise joueuse, bien au contraire. Les concessions étaient bonnes pour la rassurer autrefois. Aujourd’hui elle veut éprouver, sentir, craindre. Rien, aucune émotion qui ne soit pas pure, ou étouffée. Tout dans son entièreté, sans fard, sans mensonge, sans injure. Son regard le tance, le cajole, le nargue et le défi. Elle est tout, elle n’est rien dans l’épaisseur de la nuit. La frivolité redevient un rempart entre leurs deux silhouettes vagabondes. Toutes les émotions chavirent dans son corps à l’évocation de cet emprisonnement qu’il murmure. Elle les distingue, les détoure d’un regard. Elles sont insensées, bouleversantes de vérité dans cette expression qu’elle parvient à lui dérober sans même qu’il s’en rendre compte. Cela ne dure qu’un fragment de seconde, le temps d’un balbutiement de paupière. Mais elle est là encore, la fracture. La fracture si belle et si terrible qu’il lui faut se retenir pour ne pas y planter les ongles, la rendre plus béante encore. Eleah ne dit rien, son mutisme passager le préservant encore de ses curiosités avides et insatiables. Elle rêve de distinguer les tourments qui le taraudent, mais en même temps, une grande partie d’elle ne veut pas exister dans autre chose que dans le présent qu’ils savent si bien tisser ensemble. Le présent. Juste cela. Ni passé, ni avenir. Que le présent pour les relier tous deux. Peu importe la durée. Peu importe les conséquences. Elle se fiche des injures qu’il a pu déverser sur d’autres corps, des promesses qu’il n’a pas tenues, des abandons triviaux auxquels il s’est adonné, des opportunités qu’il n’a pas su saisir. Elle le veut entier le temps qu’il se trouve à ses côtés. Entier, imparfait, trivial, espiègle, silhouette en clair-obscur arpentant un morceau de chemin en glissant ses doigts entre les siens, sans trop savoir quand cela a commencé, et en ignorant quand cela se terminera. Inatteignables. Ensemble, mais dissociés. L’un contre l’autre, l’un à côté de l’autre, mais jamais l’un à la place de l’autre.
« Ca c‘est un pari que je ne tiendrais pas. » glisse-t-elle, mutine, en levant son petit menton vers le ciel dans une mimique de fierté.

Elle ne voit pas Faulkner comme une rivale, juste comme une opportunité. Une clef pour déverrouiller toutes leurs envies conjuguées. Une clef qui lui fait presser le pas, car l’excitation du rivage acéré où ils vont se précipiter fait naître dans son ventre une exaltation nouvelle. L’idée de la chute n’a plus rien d’effrayante, devient au contraire attirante si elle doit avoir l’allure de ses sourires indécents, et de ses airs assurés. Ils arpentent la superficialité d’un univers, s’improvisent maîtres rompus par l’habitude quand ils ne sont de des passagers clandestins. Si quelques toiles et clichés croisés du regard parviennent à capter son attention, la peinture sur laquelle James s’est arrêtée est proprement immonde, insensée. De l’art contemporain diraient certains. Une perspective qui va plus loin, qui transcende, surpasse l’art lui-même. On lui trouvera peut-être des goûts vintage, mais elle préfère les toiles de grands maîtres. Qui voyaient dans l’art, au-delà de l’inspiration, une rigueur et une maîtrise. Ce sont des préceptes applicables partout. En musique. En danse. Aucun génie n’avait pas la maîtrise pour le porter au firmament. Aujourd’hui ce n’est plus la maîtrise qui est saluée, c’est l’aura de l’artiste, ses qualités de rhéteurs pour convaincre de potentiels acheteurs et le cercle qui l’entoure. C’est insensé. Gagner des millions, juste en manipulant les foules, en devenant le nom à la mode même si le travail est au fond de piètre qualité. Quelle horreur. Voilà bien un travers de la société qu’elle abjure, en plus de bien d’autres, alors même qu’ils font mine de se fasciner, pour les beaux yeux et la tenue sans anicroches de Lord Edmond et Lady Léonor. La grivoiserie sur le bout de la langue, Eleah trouve délectable le jeu auquel ils se prêtent, cherche à deviner les stigmates d’une gêne quelconque dans les expressions savamment maîtrisés de leurs interlocuteurs. Elle n’en distingue aucun d’intéressant, ou d’équivoque. Quel dommage. Gardant un sourire jovial plaqué sur ses lèvres sanguines, Eleah détaille la femme qui se trouve en face d’elle. Ses prunelles parcourent ses traits, dérivent sur ses lèvres. Son rouge à lèvre file très légèrement dans les commissures. C’est imperceptible. Elle en vient à se demander quel goût aurait la bouche d’une femme comme elle. Serait-elle avide, délaissant ses faux-airs pour s’enivrer ? Ou demeurerait-elle toujours dans cette maîtrise amère, qui lui fait réagir avec une docilité troublante. Troublante et absente. Comme si elle jouait un rôle elle aussi. Un rôle trop longtemps appris par cœur, dont il n’est plus si aisé de distinguer les failles. L’ironie de James la cueille, sa maîtrise de l’échange également. Elle manque de rire lorsque Léonor réagit positivement à sa remarque. Si elle avait glissé un autre mot complexe, aurait-elle réagi de la même manière ? Peut-être bien. L’envie de s’enliser plus encore, d’aller dans la surenchère est irrésistible. En exerçant une pression sur l’avant-bras de James, comme pour lui intimer un complice : « regarde, regarde le maître à l’œuvre », elle poursuit, le timbre toujours plus léger et entraînant :
« Tellement ! Ma chère vous avez tant raison. Un langage rustre, mais d’une puissance infinie. L’emprise de ses toiles est indicible. Si vous dénichez son adresse, n’hésitez pas à m’en faire la confidence. Ce serait un enchantement que de le voir, de mettre la ferveur d’un regard derrière ces toiles sublimes. N’est-ce pas chéri ? »

James a déjà repris l’échange en main, plus acéré. A l’évidence, Edmond incarne un type qu’il maîtrise, dont il saisit parfaitement l’essence pour être capable d’en jouer. Eleah n’intervient pas cette fois-ci, se contente de noter les indices quand son regard s’égare alentour, à la recherche de la silhouette de Faulkner. En même temps elle sirote sa coupe de champagne, s’impose de petites gorgées mesurées. Elle trouve le breuvage immonde. Elle déteste les vins mousseux, et a du mal à saisir ce qui bouleverse tant les palais des consommateurs de champagne. C’est léger c’est vrai. Un peu mer. Cela monte tout de suite à la tête. A choisir, elle préfère un bon verre de cidre frais. Mieux : une bolée. Elle se damnerait volontiers pour une bolée de cidre brut à l’heure actuelle. Son prénom retentit dans la conversation, la réveille. Elle renoue avec ses airs enchanteurs, balaye l’air d’un geste de main délicat.

« Et oui, que voulez-vous. Nous sommes désinvoltes, et libres. Trop libres peut-être. Vous avez l’œil Edmond, je dois le reconnaître. Il compose. Je danse. Nous essayons du moins. Et parfois nous parvenons à inverser les rôles, n’est-ce pas merveilleux ? »

Le « N’est-ce pas, mon bichon ? » a failli s’échapper de ses lèvres avec un naturel confondant. D’imaginer les éclairs dans ses yeux, cela l’aurait rendue hilare. Mais heureusement pour lui, le surnom a été avorté par la reprise de la conversation. L’assertion que James glisse à son oreille la fait se pencher très légèrement vers lui, puis avoir un regard de biais vers l’intéressée. Ils n’ont pas de temps à perdre. Un regard entendu plus tard, elle affiche un sourire de circonstance, prête à prendre son envol pour des rencontres plus … Constructives.

« Veuillez m’excusez j’ai quelques connaissances à aller saluer. Chéri, tu me rejoins plus tard ? Tu dois absolument saluer madame Faulkner. Elle est si exquise. »

Son regard le cajole, pourrait apparaître vu de l’extérieur comme un amour dévorant alors que se sont d’autres idées qui la taraudent. Elle pivote sur elle-même, rassemble ses assurances pour se diriger d’un pas feutré vers la silhouette de toutes les convoitises. Mais voilà qu’on l’interrompt, qu’une main flirte avec son épaule. Elle se retourne, peine à masquer un petit air stupéfait. L’homme est assez jeune. Grand aussi. Fin, comme le sont la plupart des danseurs classiques. Il se saisit de sa main, la porte à ses lèvres en s’inclinant légèrement, tout dans la grâce de sa posture trahissant une maîtrise d’un art qui sculpte le corps et le fascine. Un sourire lumineux équivoque se greffe sur les lèvres entre-ouvertes de la jeune femme pour toute réponse. Elle est surprise de le voir. Cela fait bien deux ans qu’elle ne l’a pas revu, depuis son départ du Royal Ballet.  

« Eleah ... Je ne pensais pas te voir un jour dans ce genre d’événement. Je croyais que tu les avais en horreur ...
- William ? Mais … qu’est-ce que tu fais ici ? Je te pensais à Paris.
- J’y étais jusqu’à la semaine passée. Et puis Faulkner m’a invité. Je ne reste pas, je repars demain soir. »

Son regard la cajole. Il a cet air bienveillant qu’elle a toujours apprécié, qui l’a charmée aussi, fut un temps. Il est peut-être de ceux qu’elle a su briser. Leur duo, en tout cas, était idyllique. Salué par les critiques. C’est un des meilleurs partenaires  qu’elle ait eu de toute sa carrière dans le classique. Il l’a menée jusqu’à des sommets, s’est transcendé avec elle. Et puis elle a signé la rupture de contrat. Celle-là même qui lui permettait de prendre son envol, de tout laisser, d’abandonner les règles scrupuleuses du classique pour des formes plus libres, plus en adéquations avec ce qu’elle avait envie d’être, sur scène, dans la danse aussi. Il est partit lui aussi. Il a disparu en France, est devenu un danseur prestigieux de l’Opera de Paris. Eleah semble un peu peinée d’apprendre qu’il ne reste pas, que sa présence n’est qu’illusoire. Mais en même temps, cela la rassure. Elle ne veut pas qu’ils aient le temps, de se revoir, de ressasser. Elle ne veut pas avoir à se justifier.

« Venu expressément pour Faulkner, quel honneur tu lui fais là.
- Pas tout à fait. Ma … Ma femme voulait visiter la capitale. Je lui ai proposé de venir avant qu’elle ne soit plus en mesure de voyager.
- Ta femme ? Elle n’est pas sure de comprendre, la stupéfaction rend les choses toutes confuses. Tu … Tu t’es marié ?
- Il y a un an et demi. Ça a été rapide. On attend un enfant pour septembre … Ca aussi c’était rapide. Mais c’est ce qu’elle voulait. … On s’entend bien, tu sais. »
Il la regarde encore, et c’est une forme de tristesse qui naît dans ses regards, et auxquels elle répond avec une forme de distance. Elle n’est pas attristée par la nouvelle, juste par sa manière de la formuler. N’est-ce pas censé être une bonne nouvelle ? Un événement enchanteur ? Il revêt plus les allures d’un condamné. Elle ne veut pas savoir. Pourquoi. Comment. Cela ne la concerne plus. Ne compte que ce qu’ils sont venus chercher, avec James. Pas de passé. Pas de futur. Juste le présent en pâture.
« Je suis très heureuse pour toi. Mes félicitations. Et sinon … Tu penses pouvoir m’introduire auprès de Faulkner ? J’ai … Un projet à lui soumettre. »
Il acquiesce, lui propose son bras qu’elle saisit. Faulkner est en pleine conversation mondaine avec un artiste méconnu, aux airs trop débonnaires pour le pas l’ébouriffer. William l’annonce, l’introduit, la voilà dans le cercle.

« Madame Faulkner, c’est un plaisir de vous revoir. Vous rayonnez ce soir. Dans votre légendaire robe froufrouteuse austère, aurait-elle  dû ajouter.
- Oh mais qui voilà, miss O’Dalaigh. Celle qui rejeta tous les honneurs pour embrasser des perspectives totalement absconses.
Eleah se raidit, sent le jugement la caresser, la refroidir. Elle jette un coup d’œil sur son côté, cherche à repérer la silhouette de James pour l’inviter à les rejoindre, et l’intégrer dans le cercle à son tour.
- Figurez-vous que toutes mes perspectives sont orientées vers vous aujourd’hui. Puis-je vous présenter monsieur Wilde, madame ? Nous sommes venus ensemble. »
Elle table sur le fait de ne pas évoquer tout de suite le fait qu’il est aussi un ancien élève. Au cas où elle aurait oublié, ou que sa mémoire lui ferait défaut, il serait dommage de tout gâcher avant même d’avoir commencé.


electric bird.
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James M. Wilde
James M. Wilde
MEMBRE
I ain't here to break you, just see how far it will bend _ Eleah&James 1542551230-4a9998b1-5fa5-40c1-8b4f-d1c7d8df2f56
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() message posté Mer 11 Avr 2018 - 20:33 par James M. Wilde


« You wanna know if I know why
I can't say that I do
Don't understand the you or I
Or how one becomes two
I just can't recall what started it off
Or how to begin again
I ain't here to break you
Just see how far it will bend
Again and again, again and again »

Eleah
& James




Et la voracité m'habite à chaque geste et à chaque mot qu'il me faut esquisser pour habiter les splendeurs factices où j'ai échu. Il y a trop de monde dans cette salle mais les espaces sont intelligemment découpés, donnant des effets de profondeurs qui me permettent encore de respirer. La frustration et l'ignominie. Le plaisir de savoir quand eux ne me transpercent pas de leurs regards, se contentant de l'emballage et des sourires faciles que je distribue alentours. Rien à voir avec l'orgueil que je peux bâtir sur une scène quand le public m'acclame, cette dernière est plus abrupte, plus sincère également, héritée d'un égo qui me constitue depuis que j'ai toute notion de mes talents. Non pas... Ici ce sont des sourires aiguisés, qui plastronnent mes pensées pour les rendre illisibles. Je me fais corruption pour ne pas me sentir vicié par leur monde. Le mien. Le leur. Jadis. Maintenant. Parfois, il me suffit de tourner seulement la tête pour rencontrer des visages inconscients de mes observations pour me sentir paumé dans une temporalité absconse, craché au milieu d'une épopée d'un autre âge, l'encre délavée d'une histoire qui s'oublie en moi. Se distingue parfois. Ce jeune homme que j'ai été, dans toutes ses parures, dans sa spontanéité crue pour savoir mieux choquer, existe-t-il encore ? Etait-ce seulement moi, quand aujourd'hui je n'ai plus la vanité de croire que j'ai su me sauver. Je suis parti c'est vrai. Loin. Loin. Dans ma tête. Dans mes voyages. Dans mon exil. Mais je suis resté là. Revenu au tempo retardé de ceux que je dévisage. Eux. Moi. Je me retrouve sur tous les traits, ce que j'aurais pu être si j'avais mâté ma nature, compris qu'il me faudrait ployer pour appartenir à un milieu plutôt que de n'appartenir à rien. Ella n'a jamais été chagrinée de jouer un jeu qui l'engonce, la fait souvent sourciller, mais dont elle se dépare aussitôt qu'elle retrouve son quotidien d'étudiante. Elle redevient cette jeune femme souriante, éminemment mutine, les stigmates s'affadissent dans les sourires, les soirées aux allures d'obligations sont des mauvais souvenirs. Des oublis. Elle remplace les moments inutiles par ceux qui comptent et savent la charmer. Ella est au présent de ses avenirs, elle les forge, elle ne recherche pas de faille, au final à ce milieu elle saura appartenir. Les quelques rêves d'émancipations sont comme des fables que l'on murmure avant que le sommeil ne vous prenne. Des vérités que l'on abjure le matin venu. Fantôme d'une pensée, disparition d'affect. Alors pourquoi est-ce une telle souffrance lorsque je m'y confronte, pourquoi mon coeur ne sait-il pas suivre le rythme imposé par la fourberie d'un quotidien classique ? C'est un milieu comme un autre, des faux-semblants l'on en retrouve partout. Alors pourquoi ce mensonge me gifle-t-il au point qu'il me semble devoir renoncer à une partie de mon essence, la tronquer dès lors que je me perds ici, à éprendre un rôle que je maîtrise trop bien pour que ce ne soit pas anodin ? Je fais ce geste avec la manche de ma chemine, sous la veste de costume, tiraille le tissu soyeux pour occuper mes doigts. Je sais que Wyatt fait pareil, c'est un réflexe que je l'ai vu esquisser tant et plus que je le porte en héritage. Cela et plus encore que je ne souhaiterais. Plus encore. J'ai un pincement contrarié dans le ventre, qui finit par atteindre mes lèvres, mais je laisse tomber l'insurrection au profit du défi qui tonne encore dans ma tête. Tous ces cris qu'elle a su éveiller. Je ne me perds pas. Elle est ici, à côté. A représenter les ambitions et ce que je saurai y convoiter. La confiance en filigrane des confidences murmurées. J'imagine ce lendemain, qui nous portera sur les routes, à des vitesses immenses pour peu que je parvienne à approcher Faulkner, suffisamment pour qu'elle existe un bref instant à travers mes regards sulfureux. Je repose ma coupe de champagne sur le plateau du serveur qui passe subrepticement, je ne saisis aucun petit four ou bouchée qui paraissent des plus raffinés. Je leur voue une haine éternelle qu'ils me rendent bien. Nos goûts toujours se distinguent, il y a quelque chose qui cloche dans les associations des traiteurs qui empâtent ma bouche. Je passe mon tour quand Edmond saisit deux petits pains farcis presque multicolores. Je cherche une seconde les yeux d'Eleah pour en silence lui montrer l'impatience qui approfondit mes prunelles. Mon sourire n'est plus sur ma bouche mais il est bien niché là dans le bleu tempétueux. Je vais réussir. Je vais réussir. Et je ne serai pas raisonnable. Je ne suis jamais raisonnable. Foudres conjointes à sa réponse qui rend tous mes autres projets à une frivolité de parade. L'étau se resserre sur elle, un souffle suspendu avant de retourner à cette conversation qui m'ennuie au plus haut point. Rupture. Je quitte ses yeux avec l'envie de m'y attarder bien plus tard. Il faut dire que nos deux amis du soir sont plutôt prolixes tant ils veulent se montrer, de corps et de talents oratoires. La robe de Léonor est d'une couleur terrible, de ces fushias qui agressent l'oeil et manquent de vous éborgner à chaque fois que votre attention revient à elle. Je me demande si les ridules qui navrent désormais son visage ont à voir avec le personnage de son époux ou bien plutôt avec cette soif de soleil que sa peau exhibe, dorée. Presque trop cuite. J'aime les carnations de porcelaine, et je reviens à celle d'Eleah, ceinte par une robe plus sobre mais non moins indécente. Sauf qu'il s'agit d'une indécence distinguée, les dissimulations des arguments les plus crus pour délivrer par touches l'épiderme tentateur. Les dos nus sont mille fois plus enivrants que les décolletés plongeants. Ma main est toujours là, glisse sa fantaisie, et je cherche dans son profil la dignité d'une égale plongée avec moi en eaux troubles. Nous dissimulons tant, et je la laisse faire montre de tout son art, déduisant qu'elle aussi a soupé de ce genre de sauteries. Suffisamment pour savoir manipuler ce genre de langage creux dont les Mellbrook nous abreuvent. La soif atteint la déraison. J'aimerais une boisson forte, le champagne laisse ma langue en pleine sécheresse, je n'aime pas particulièrement ce breuvage de circonstance. Surtout qu'entre nous soit dit, ils ne se sont pas cassés en servant ce que j'identifie être un simple Taittinger ou bien un Ruinart peut-être. L'on économise sur la boisson, c'est fâcheux. Aucune chance pour que je ne trouve un Irish digne de ce nom au buffet, même si mon envie me dicte déjà le chemin qui bruisse de plusieurs convives, quelque peu éméchés. Un homme rit fort, je secoue légèrement la tête tandis que je continue à dénouer le fil de notre fantasmagorie :
_ Bien entendu, trésor, tout pour te divertir, tu sais bien.
Je fais un geste ample, comme si l'assertion était vraie. D'une certaine manière, elle l'est totalement, sauf que je divertis Eleah au détriment de nos deux sycophantes. Qui se raidissent subrepticement dès lors que nous abordons la thématique d'une liberté d'artiste qui les laisse sans voix, surtout lorsque nos rôles respectifs leur sont donnés. La danse. La musique. Pire que la peinture sans doute pour des gens comme ceux-là. L'on peut difficilement exposer au mur de sa maison bourgeoise et engoncée, les notes ou bien les pas, les accords ou bien les entrechats. Difficile de se vanter ensuite, auprès de son cercle d'amis, pas aussi bien que lorsqu'on attire toute leur attention quant au nouveau tableau du salon, ou au livre stratégiquement abandonné sur le guéridon de l'entrée. Oh mais bien sûr, mon amie, vous ne l'avez pas lu, c'est un chef d'oeuvre pourtant ! Combien de fois ma mère a-t-elle abusé de ce genre de stratégie pour complaire à ses rombières ? Edmond, qui sait tout sur tout, trouve de bon ton d'ajouter :
"Splendide ! Deux créatifs qui se complètent parfaitement. N'est-ce pas seulement délicat de vivre dans ce genre de milieu ? J'imagine que l'on touche des sommes dérisoires."
Mes dents déchirent l'air que j'avale quand je murmure, une pique en plein dans son front faussement débonnaire :
_ Il est vrai que d'acheter un troisième appartement dans le centre ville fut d'une dérision subtile. Nous n'en avions absolument aucun besoin. Mais que voulez-vous, tous ces placements assommants, je ne vais pas risquer vous semer en route n'est-ce pas ?
Et là, sur ce mensonge éhonté auquel je n'ai su résister, j'ai le sourire désabusé de mon père après une boutade. La présence de Faulkner cependant m'arrache à mes meilleurs amis en devenir et si je fais patienter ma proie, abandonnant Eleah au préambule qui semble plus logique si c'est elle qui le danse, ce n'est guère pour aller m'oublier dans des conversations stériles. Je vise le bar, je demande au serveur son meilleur whisky que je conserve sec, avant de faire rouler une longue gorgée le long de mon palais. Aussi exquis que Faulkner, c'est une certitude.

Les visages se sclérosent, je n'en distingue aucun si ce n'est celui de la vieille professeur, qui très étrangement n'a pas vraiment changé. Plus parcheminée, bien entendu, mais il y a cette raideur terrible dans la nuque, ces oeillades froides lorsqu'elle distingue un inconnu qui s'approcherait par trop de sa sphère, même l'apparition d'Eleah, qui semble accompagnée par une connaissance ne semble guère l'émouvoir. Elle la considère, des pieds à la tête, comme pour la juger, sans esquisser pas même un sourire. J'arrive pile au moment où elle la réprimande. Comme quoi, avec Ava Faulkner, on n'oublie jamais le passé qui renaît avec la brusquerie de son langage. Mais il faut avouer que malgré son goût très discutable en matière de robe de cocktail, il y a chez cette femme une classe inébranlable. Celle des plus beaux glaçons toutefois, comme si on avait eu l'outrecuidance de l'arracher au champ de bataille pour venir la poser ici, en plein vernissage, et mener un combat au rythme de ses battements de cils, sévères, minutés. Même moi, je ne suis pas si à l'aise que ça, même si je la salue avec une certaine révérence. Elle ne me laisse même pas prononcer un bonsoir, quand elle esquisse une moue de serpent :
"Et voilà donc monsieur Wilde, qui continue à ce que l'on dit de se désoeuvrer dans des perspectives pires encore. Si je ne comprends pas le choix de miss O'Dalaigh, je sais que le vôtre est fait depuis longtemps."
Bien. Elle n'a pas oublié. Elle n'a même rien oublié. Fuck. Dois-je ainsi m'enorgueillir de laisser un souvenir inébranlable ? Je convoque un sourire sur mes lèvres tout en susurrant avec lenteur :
_ Moi aussi, je suis ravi de vous revoir, madame Faulkner.
Sa nuque est plus raide encore et elle nous regarde tour à tour, s'adressant plus volontiers à Eleah :
"Et que me vaut donc un tel ravissement ? Je ne pense pas que nos routes frayent au milieu de rigueurs compatibles si bien que vos perspectives, miss, sont troublantes."
Elle n'a jamais, jamais eu sa langue dans sa poche. Le poison déborde de ses lèvres, elle se moque volontiers de ceux qui ont su quitter le train en cours de route, celui de l'excellence. Je façonne mon agressivité naturelle pour ponctuer :
_ Voyons, les égarés n'oublient jamais la rigueur qui leur fut enseignée, c'est par elle qu'ils savent ne pas se perdre totalement.
J'ai le droit à un haussement de sourcil cette fois, comme si elle doutait que la bouche d'un tel être détestable puisse véritablement manier des mots d'esprit. Jouer la surprise, il n'y a que cela quand on tente de vous carcanter. Et j'ajoute doucement :
_ Je n'ai rien oublié non plus.
Pas de rougeur, mais quelque chose dans le regard qui brille, de l'intérêt ? Ou du dégoût... J'ai un sourire, charmeur, elle émet une sorte de grognement plein de cette désapprobation qu'elle a toujours eue à mon égard.
"Vous n'avez pas appris grand chose, si bien que j'imagine que votre mémoire ne souffre pas d'encombrement."
Je manque de rire. Charmante, n'est-ce pas ? Mais je prends pour un signe plutôt bon le fait qu'elle demeure à nous tancer plutôt que de nous congédier dans l'effroi.
_ Votre verbe a toujours été si raffiné. C'est justement ce raffinement que nous sommes venus courtiser. Le raffinement d'une femme qui sait parfaitement les projets dignes de son intérêt ou dignes de sombrer avant même de naître. Je me rappelle de ce que vous appeliez l'union divine, lorsque la musique transcende la danse, que la danse transcende la musique, accord à deux temps, parenthèse fugace.
Sa bouche se pince, mais elle nous regarde autrement, peut-être désarçonnée par notre apparition, et les perspectives qu'elle voudrait crayonner de noir pour montrer qu'elle eut raison un jour de nous renier. Elle regarde Eleah longuement, puis moi, puis elle encore.
"Au moins avez-vous su retenir quelque chose, monsieur Wilde. Quel est donc ce projet qui serait ainsi digne que l'on s'y intéresse ?"
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() message posté Jeu 12 Avr 2018 - 18:22 par Invité
I ain't here to break you, just see how far it will bend ☾
JAMES & ELEAH
La pique qui s’arrache de sa bouche pour mieux venir pourfendre les préjugés surfaits d’Edmond manque de la faire s’étouffer avec le champagne qui pétille encore dans sa gorge. Ses pupilles deviennent rieuses, dansent de désinvolture face à ce mensonge qui vient de couper court à la conversation. Edmond n’a rien osé rétorquer. Ses lèvres se sont scindées ensembles, dévoilant le mécontentement naissant que l’on éprouve à avoir été pris à son propre piège sans même pouvoir se délecter du dernier mot. Eleah a posé le plat de sa main sur l’arrière du dos de James, là, sur le costume, de manière mécanique au début, ayant ce geste de prévenance étrange qui se greffe à tous ceux qui jouent le rôle du couple affectueux. Et puis elle s’est aperçue qu’elle ne la retirait pas. Que ce geste, si simple, cette pression à peine sensible, incarnait une sorte de rempart invisible, de soutien dont elle avait plus besoin qu’elle ne l’aurait cru. Ses yeux glissent alentour, se dérobent. Elle cherche la silhouette de Faulkner, tant espérée et redoutée à la fois. Sa main s’aimante un peu plus, ne va cependant pas jusqu’à froisser le tissus qu’elle sent pourtant s’agripper à la pulpe de ses doigts. Un léger vertige la tance. Elle a un peu chaud. Effet du champagne qui a tendance à lui monter tout de suite à la tête. Elle n’a rien mangé avant de partir qui plus est, son ventre gronde, appelle, mais la vue des petits fours colorés, contre tout attente, ne déclenche chez elle aucune envie particulière. Ne compte que le but qu’ils cherchent à atteindre. Celui dont elle s’abreuve, celui dont elle se nourrit. Rien n’a plus de sens. Surtout cette conversation grotesque qui ne mène à rien si ce n’est à les engluer dans des rôles étouffants. Elle demeure joviale pourtant, ses sourires offrant la plus belle parade qui soit. C’est à s’y méprendre. Il faut avoir un œil aiguisé pour deviner qu’elle n’est pas si sereine, que c’est loin d’être naturel tout cela, pour elle. Son esprit chavire un peu, quitte la barque qui les a embarqués pour se perdre sur les silhouettes alentours. Jusqu’à la repérer, toute haute dans sa stature sans fin. Un port de tête de danseuse, un cou si long que l’on pourrait courir le long de la courbure et s’y essouffler. Eleah reporte sa coupe à ses lèvres. La voilà déjà terminée. Elles sont si petites ces coupes, si sournoises également. Ses yeux s’arriment à son profil une seconde. Elle croit croiser la complicité d’un regard. Celui qui dit en silence : Je suis là, je ne suis pas perdu, je suis là, pas encore corrompu. Corrompu par ce monde qui les entoure. Ce monde dont elle a envie de griffer les règles pour toutes les abolir.  La naturel de leurs interlocuteurs éphémère est si absent, si surfait, qu’elle en éprouve presque de la souffrance. Car elle ne distingue rien de vrai alentour. Rien pour équilibrer la balance. Rien pour faire croire que cela vaut vraiment le coup de s’aventurer pour pareil antre, de manquer d’y laisser son intégrité et son âme. Ses doigts s’appuient un peu plus, croient en cette matérialité-là. Celle qui enferme son épiderme qu’elle imagine refuser de ployer, celle qui pulse à ses tempes, qu’elle sent en filigrane, qui le fait répondre avec un tact incisif sans être discourtois. C’est une maîtrise qui la fascine au-delà de l’amusement. Elle aimerait savoir feindre aussi bien. Mais au fond, elle s’aperçoit que le personnage qu’elle incarne est perclus de failles béantes. S’agripper au but alors, s’astreindre à ce dernier. C’est la résolution qui la tance lorsqu’elle entreprend de rejoindre Faulkner, et de se dérober, libérant le tissu sous ses doigts pour flirter avec l’espace autour d’eux.

Sur la route qui mène au fléau capable de les précipiter ou de les transcender, Eleah croise une silhouette familière. Les avidités de ses regards se substituent pour devenir incertaines. Elle peine à feindre le ravissement de le revoir, quand les souvenirs qui les ont reliés l’un à l’autre la martèlent de toute part. Il a voulu tout lui donner. Sur scène, ils ont tout laissé entrevoir, leurs corps inlassablement reliés dans des danses exigeantes, souvent douloureuses, parfois fantasmées. Ils auraient pu atteindre des sommets ensemble. Devenir ce couple idéal, propret et bien élevé que des entités comme Léonor ou Edmond auraient sublimé de leurs compliments dégoulinants. On leur aurait tout donné : la gloire, le mérite, les récompenses dorées. Mais au moment de choisir, Eleah les a toutes reniées. C’était l’abandon, la fuite, ou bien la mort. Elle l’avait senti tout de suite. Elle n’avait pu s’imaginer, entité prisonnière d’une relation exclusive, avec époux et marmots en bas âge. Une carrière de rêve, c’est vrai. Mais quel rêve ? Le sien ? Non. Certainement pas. Celui de tous ceux qui voulaient la voir se « stabiliser ». Trouver quelqu’un à qui s’arrimer. Créer une famille. Respecter les règles qui incombent à ceux qui font partie d’une telle société. Elle n’a pas pu. Elle a choisi. Elle est partie. Elle l’a laissé. Et le voilà qui reparaît, silhouette éteinte et décharnée. Etait-ce cela la sentence du mariage ? L’extinction de soi-même au profit de l’autre ? Non non. Il a choisi lui aussi. Ses regards s’attardent sur son profil, ne reconnaissent plus grand-chose de celui qui a compté pour elle, un jour. Et puis Faulkner apparaît, vision sublime de perspectives rêvées. Plus rien n’a de sens après cela. Plus rien à part le but qu’ils pourchassent.

La raideur de la femme ne la brusque pas. Elle en a pris l’habitude, à force de la côtoyer. Entre l’école, et la compagnie du Royal Ballet, elle n’a jamais pu prétendre oublier sa froideur, oscillant avec une sévérité naturelle qui lui donne toutefois une présence unique, impressionnante. On ne hausse pas le ton devant Faulkner. On ne la contredit que peu. Tout est parcimonieux autour d’elle. Même William fait une légère inclination de la tête distinguée juste après l’avoir intégrée dans son cercle. L’échange débute, déjà de mauvais augure. Sa verve la déstabilise toujours un peu, mais il n’est rien qui puisse la détourner du but qu’ils cherchent à caresser. Alors elle ne se démonte pas, garde ses airs enjoués, portée par le champagne qui coule dans ses veines sans encore la trahir. Tout au plus rend-il ses joues un peu plus rosées que d’habitude. Imperceptible. James finit par intégrer le cercle après qu’elle l’ait officieusement présenté. Eleah se décale, pour lui laisser une place. Elle se fait spectatrice de l’échange à bâtons rompus, déglutit en silence lorsque Faulkner exprime clairement le fait qu’elle se souvient de tout. L’échec n’est pas encore là cependant. James se débrouille à la perfection. Il sait la manier, mieux que ce à quoi elle s’attendait. Il serait capable de réussir à éveiller sa curiosité. Peut-être pas son émoi, il ne faut pas déconner. Mais sa curiosité au moins. Juste cela, et ils auraient leur chance. Une chance unique, infime, fragile, mais une chance.

« Troublantes mais néanmoins délectables. » répond-elle, en sentant le regard de son ancien partenaire s’arrimer à son profil.

Jusqu’à la brûler, voire la gêner. Elle ne bouge pas cependant, demeure les yeux rivés sur James, puis sur Faulkner. Son cœur bat plus fort, sentant le danger. Le fil tendu sur lequel il se glisse. La chute est plausible, prévisible. Il tient cependant. Faulkner ne semble pas prompte à les enterrer tout de suite.

« C’est cette parenthèse fugace que nous aimerions vous offrir. »

Elle s’est rapprochée, son épaule flirtant avec celle de James, resserrant le cercle pour lui permettre de devenir plus intime. Elle renoue avec les réflexes qu’elle a toujours eut face à Faulkner : se tenir droite, impérieuse, majestueuse, toujours. Ce sont là les termes qu’elle a employé un jour, dans les rares échanges un peu « intimes » qu’elles ont pu partager, où sous-couvert d’une froideur calculée Eleah savait qu’elle cherchait à la pousser dans ses retranchements pour qu’elle aille plus loin encore. Elle avait cru en elle un jour. Elle n’avait pas oublié. Peut-être même y croyait-elle toujours, elle ne le saurait probablement jamais. A moins que son abandon ait totalement désacralisé l’estime qu’elle lui portait. Ça aussi, elle ne le saurait peut-être jamais. « Une parenthèse, comme une météore dans l’univers qui est vôtre, là pour montrer que danse et musique n’ont pas de limites, qu’elles savent utiliser les règles strictes pour se transcender, et atteindre de nouvelles harmonies. » Elle marque une pause, n’est pas sure de manier le vers avec autant de finesse que lui. Mais comme toujours, ce sont ses airs passionnés qui la portent. Passionnés et imparfaits, mais sincères.

« Nous aimerions créer quelque chose ensemble. Pour vous. Pour toute l’institution que vous représentez. Lui. Moi. Deux entités dont une partie de l'essence artistique a été façonnée par vous. »

Trop tard. Peut-être était-ce malhabile. Peut-être aurait-elle dû se taire, la faire languir davantage, tourner autour du pot. Elle sait cependant que Faulkner n’est pas de celles que l’on séduit par des sérénades à n’en plus finir. Franche. Allant droit de but. Elle n’a certainement pas de temps à perdre, eux non plus, alors à quoi bon louvoyer pendant des heures ? Ses nerfs se tendent cependant sous sa peau, tout son dos semblant se raidir. L’appréhension se dévoile. Il est trop tard désormais.



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