"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici uncover the lover you cannot replace (elmas) 2979874845 uncover the lover you cannot replace (elmas) 1973890357
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() message posté Sam 26 Sep 2015 - 12:49 par Invité
C’était comme dans un rêve. L’un de ces rêves que je vivais éveillé, le visage tourné vers le plafond, les paupières lourdes, m’imaginant lever les bras en direction du ciel. Tout n’était qu’imagination. En vérité je restais immobile et j’avais l’air mort. J’entendais tout. La respiration calme d’Elsa, enroulée dans la couverture que j’avais depuis longtemps abandonnée car j’avais toujours eu terriblement chaud dans des moments pareils. C’était le reste des braises qui avaient jadis brûlé en moi. Un feu qui n’avait laissé qu’un tapis de cendres. Je m’étais finalement levé, à pas de loup, mes pieds nus glissant sur le parquet froid, me donnant quelques frissons fiévreux que j’accueillis tout de même de bon cœur, puis j’avais gagné la salle de bain, toujours silencieux. Là, je m’étais adossé au mur et j’avais regardé toutes ces différences, tout ce à quoi j’avais appris à m’habituer depuis qu’Elsa était là. Le parfum plus soutenu car elle prenait le temps d’aérer les pièces de l’appartement. Tu connais le principe du courant d’air, Tom ? Ça va te changer la vie. Elle avait mis un bandeau à la poignée intérieure de la porte pour pouvoir l’accrocher au radiateur afin que celle-ci ne claque pas lorsque la fenêtre était ouverte. Ces premiers jours d’automne étaient encore beaux et lumineux, nous nous donnions le luxe de sentir l’air frais qui coulait le long des immeubles, avant qu’il ne pleuve à torrent. Londres était capricieuse, comme moi. Je me sentais lié aux mouvements des nuages et à la couleur du ciel, comme si j’étais habité par la pluie, le vent et les quelques rares rayons de soleil. Peut-être que j’étais de meilleure humeur parce que la grisaille n’était pas revenue, qu’elle laissait un peu de répit aux citadins, encore quelques jours. Mais la nuit était toujours la même. Je tombais dans cette torpeur hideuse qui me tordait l’estomac jusqu’aux premières lueurs de l’aube. J’étais pris de migraines, de tremblements, de sueurs froides et de bouffées de chaleur, comme si la misère du monde s’était abattue sur moi. Je mis mes mains en coupe dans le lavabo pour y cueillir de l’eau que je me passai sur le visage, mes joues et mon front brûlant me demandant le coup de grâce. Je soupirai, les yeux fermés, basculant ma tête en arrière comme si j’atteignais la surface d’un océan invisible, l’eau coulant depuis mon menton et mes mâchoires jusqu’aux boucles noires brodées sur ma nuque et le tissu de mon t-shirt, celui que j’avais enfilé en me levant. Je fis rouler mes épaules : mes muscles noués finirent par se décontracter. Je posai finalement mes prunelles sur l’étagère en-dessous du miroir. Je n’y reconnaissais rien. Tout était à Elsa, tout décorait étrangement la pièce morose, capturant la lumière du néon pour se donner un aspect brillant, vivant, propre. Ma brosse à dents et mon rasoir gisaient parmi ses affaires et dans ma fatigue, j’eus un mal fou à les retrouver. Pourtant, Elsa n’avait pas le défaut de trop s’étaler. Elle savait qu’elle brisait ma routine, elle faisait tout pour que j’accepte qu’elle soit là, alors elle mariait sa bonne humeur et ses aides quotidiennes à ce retrait étrange, cette façon de me rappeler que j’étais chez moi et qu’elle ne voulait pas me déranger. Je ne savais pas si j’appréciais ses efforts ou si, au contraire, je les trouvais vains et pathétiques. Cela devait dépendre de mon humeur et de la couleur du ciel. Il était noir à présent. Je me demandais ce que cela pouvait bien signifier mais abandonnai mes recherches : c’était évident. La nuit, tout me lassait. Tout m’agaçait. Tout me maintenait éveillé.

J’eus d’abord l’idée de prendre une douche mais j’étais tombé plusieurs fois auparavant en tentant de le faire, trop épuisé pour supporter l’eau brûlante couler sur ma peau blafarde. Et puis, ça ne marchait jamais. C’était un retardataire, car dès que je me recouchais, le mal être s’emparait de moi immédiatement, car je baignais de nouveau dans l’odeur amère du tabac froid et les traces de ma sueur. J’abandonnai l’idée et baissai les yeux. Là, il y avait un petit pot orange au bouchon blanc et je m’en saisis, l’agitant pour savoir s’il était vide. Non, il ne l’était pas. Il s’agissait de mes comprimés de morphine, des cylindres blancs minuscules qui m’avaient maintenu cloué au lit la nuit lors de mon séjour à l’hôpital. Avec modération, m’avait dit le médecin en me les prescrivant. Vos insomnies ne sont pas une maladie mais un symptôme. Vous vous voilez la face, on ne meurt pas de cela. Mais le reste ne m’avait jamais gêné. Ma faiblesse quotidienne me rappelait que j’étais vivant et me donnait l’allure d’un original. Là, non. Chaque position me semblait pire que la précédente et je ne faisais que me tourner et me retourner dans l’espoir de me fatiguer ainsi, à force de trop m’agiter. Mais du café coulait dans mes veines à la place de mon sang et mon système immunitaire avait dû comprendre comment fonctionnait la morphine, car elle ne me faisait plus dormir : elle me faisait rêver les yeux ouverts, j’imaginais des formes hideuses dans la blancheur de mon plafond et la lumière qui traversait la vitre de la fenêtre. Je ne goûtais même plus au loisir du sommeil artificiel. C’était simplement planer pour planer. Elsa l’avait compris. Elle n’osait rien dire mais elle le ferait le jour où j’allais trop la provoquer. Le jour où j’allais en avoir assez de la voir, de l’entendre. Ce jour n’était pas arrivé, mais je savais qu’il viendrait. J’étais ainsi. Je me détestais ainsi. Mais je ne changeais pas. J’étais trop fatigué pour vouloir le faire.

Je n’ouvris pas le pot mais le pris tout de même avec moi. J’enfouis mon visage dans une serviette pour le sécher et ouvris la porte pour sortir de la salle de bain. Je m’apprêtai à éteindre la lumière pour regagner le matelas mais me stoppai : elle était réveillée. Elle s’était assise, les bras croisés autour de ses jambes repliées contre sa poitrine. Elle observait la fenêtre mais tourna la tête dans ma direction lorsque j’apparus : elle mit sa main en visière pour se protéger de la lumière, plissant ses yeux encore endormis. Il devait être à peine quatre heures du matin et je ne travaillais pas aujourd’hui. J’avais encore du temps à passer à m’ennuyer entre ces draps maudits. Mais elle était réveillée, son cycle de sommeil brisé, elle ne pourrait pas se rendormir avant encore une, voire deux heures. Je connaissais Elsa. Elle ne voudrait pas, de toute façon. Elle préférait rester à mes côtés pour me tenir compagnie plutôt que m’abandonner. Qu’avait-elle pensé en se réveillant et constatant que je n’étais pas dans le lit ? Qu’encore une fois, j’étais parti sans lui dire ? Elle avait dû me détester l’espace d’une seconde, d’une fraction de seconde, avant de constater le rayon de lumière synthétique qui s’échappait de la porte de la salle de bain. Il est toujours là. Soupir de soulagement. Nous nous toisâmes sans parler mais je savais qu’elle ne voulait pas laisser passer cet instant. Il était unique. Elle dormait d’habitude, ou bien avait au moins la décence de faire semblant. Pour ne pas que je me dise que je déteignais sur elle. Pauvre créature. Bien sûr que je déteignais sur elle. Je déteignais sur tous ceux qui avaient l’audace de m’approcher de trop près. Ma main gagna l’interrupteur et j’éteignis finalement la lumière, plongeant l’appartement dans la pénombre, mais nos yeux félins connaissaient chaque forme, nous voyions tout. J’étendis le bras et attrapai mon paquet de cigarettes, en glissant une entre mes lèvres. Craquement sourd, flamme tremblante et voilà que je perdais à nouveau quelques minutes de ma vie si précieuse. Je soufflai la fumée qui s’entremêla à l’ombre puis m’adossai au mur pour regarder Elsa, ou au moins sa silhouette. Elle n’avait pas cessé de me fixer avec cet air navré, sévère et suppliant qu’elle arborait tous les jours lorsque je lui faisais de la peine. Lorsqu’elle se rendait compte qu’elle ne pouvait pas vivre sans ma présence à ses côtés même si je refusais la sienne. Cachait-elle le visage de ses amants en priant pour imaginer le mien à la place ? Peut-être. Oui. Non. Je n’étais pas romantique, j’étais frénétique et je n’étais pas certain qu’elle m’aime ainsi, même si les mots se ressemblaient dans leur prononciation. Je me mordis la lèvre. « Tu devrais te recoucher. » Je savais que c’était inutile, qu’elle allait refuser et que nous allions discuter de son erreur jusqu’à l’aube, mais mon conseil, ces mêmes conseils que ma voix sombre déguisait en ordres, je me devais de les lui faire entendre. Je fis tourner la boîte de comprimés entre mes doigts, baissai les yeux vers elle puis lui présentai avec nonchalance. « Tu peux en prendre. Ça marche. » Mon ton était sans appel. Elle savait que ça marchait. Avec tout le monde sauf moi. Voilà ce que je lui disais. Voilà ce qu’elle ne voulait plus entendre.
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() message posté Sam 26 Sep 2015 - 21:48 par Invité

“You are terrifying and strange and beautiful. Something not everyone knows how to love.”   La lumière des réverbères s'évanouissait derrière la fenêtre de la chambre, comme engloutie par la brume humide de la capitale. Je passai mes doigts tremblants dans mes cheveux avant de frotter ma joue contre l'oreiller. Mon sommeil était agité par des visions étranges. Des hallucinations et des sueurs froides dont je ne connaissais pas l'origine ou la signification. Je me couchais toujours vite pour rejoindre le quiétude de la nuit, mais la pensée qu'il était temps de chercher le sommeil me maintenait en éveil. Je restais suspendue dans le vide, les bras crispés sur le matelas, cherchant désespérément à retrouver la chaleur de Thomas à mes côtés. Mais il n'était jamais là lorsque j'avais le plus besoin de sa présence. Les silhouettes fugaces de mes rêves, s'agitaient dans mon inconscient comme des esprits diaphanes et effrayants. Ils portaient tour à tour les visages dansants de mes amis. Je voyais Remy, je pensais à Batholomew et à Milan. Je distinguais très nettement leurs cris déchirants dans l'obscurité, mais ils ne semblaient pas capable d'entendre mes appels de détresse. J'étais perdue dans une forêt sépulcrale où des créatures amorphes flairaient mon odeur. Elle s'avançaient vers moi, aux aguets, attirés par les pulsations frénétiques de mon pouls. J'étais une proie trop facile lorsque j'étais seule. J'étouffais un cri avant d'ouvrir les yeux. Je me redressai brusquement, la poitrine chevrotante et le visage blême. Je demeurai silencieuse pendant quelques minutes, les yeux rivés sur mes poignets squelettiques. Mes mains ne bougeaient pas. Elles étaient immobiles, exactement tel que mon esprit l'intimait. Et cette éventualité me faisait d'autant plus mal parce que je guettais le moment où mes muscles perdraient toute flaccidité.  Il me suffisait d'une simple crampe, d'un spasme involontaire ou d'une demie mesure d'inattention. Je tournai la tête vers le couloir en serrant les cuisses au bord du matelas. Puis, je recommençais à me demander quel pouvait être cet état d'extrême torpeur qui troublait mes réflexions. Je rétrogradais par la pensée jusqu'au moment où j'avais décidé de me coucher. Je visualisais chaque étape de ma routine. Je commençais toujours par la toilette. Je me démaquillais lentement, en prenant soin d'appliquer mes produits de beauté avec précaution. Je faisais attention à bien respecter les consignes. A n'étaler que ce qu'il fallait tout en évitant les zones sensibles. Ensuite, je me lavais les mains en utilisant un savon parfumé à la fleur d'oranger et je vaporisais mon cou avec un spray d'eau thermale sans odeur. Je ne voulais pas trop m'épancher dans l'univers de Thomas. J'étouffais mes pulsions afin de me conformer à sa nature silencieuse et discrète. Ainsi, il lui était possible de renaître dans mes souvenirs avec cette nouvelle attitude qu'il avait adopté. J'étais dans sa chambre encore une fois, mais l'ambiance de la pièce était différente de Glastonbury. Le plafond semblait plus haut, plus terne et vieux. Les volutes de fumées caressaient les parois de ma prison afin de me créer l'illusion de liberté. Mais ces évocations tournoyantes et confuses ne duraient jamais que quelques secondes. Souvent, ma brève léthargie se transformait en douleur et je me perdais au milieu d'un endroit que je ne connaissais pas. Je respirais les poisons de cendres et de goudron qui recouvraient l'espace. Je m'isolais dans le silence, jusqu'à ce que mon cœur hésitant au seuil des formes se réveille enfin. Mon corps se rappelait pour moi de l'appartement de Thomas, de la prise des fenêtres, de l'existence de la salle de bain et du faisceau de lumière qui traçait une ligne sous la porte. Et aussitôt une voix murmurait à mon oreille. « Tiens, je suis à Londres. Je suis avec lui. » Je papillonnai des yeux en posant mon menton sur mes genoux. J'attendais patiemment qu'il revienne. Je relevai mon visage fatigué, l'oreille anxieuse et la narine rétive, pour que sa silhouette oblique et cruelle apparaisse devant moi. Et quand ce fût le cas, j'allongeai presque machinalement, la main afin de filtrer la lumière entre mes doigts. Il ne fit aucun commentaire. Son regard glissa sur le mien comme une étoile filant à toute allure dans les étendues du cosmos. Thomas était intenable. Je dormais avec lui tous les soirs, je sentais le parfum de ses désillusions qui se mêlait au tabac froid, et je respirais les mêmes vapeurs empoisonnées que lui. Mais je n'étais toujours pas parvenu à le toucher ni même à l'effleurer. Il fit craquer une allumette en s'installant sur le matelas. La pointe rougeoyante de sa tige n'était qu'un point fixe et douloureux dans l'obscurité. Je voulais le distraire et prendre la place de ses terribles addictions, mais je n'étais pas assez étanche pour m'infiltrer dans ses veines rouillées. Je n'avais aucune empreinte sur sa peau tandis qu'il avait capturé l'essence de mon âme. Et sans elle, je mourrais à petits feux. C'était ça la lumière qu'il pensait voir. Les étincelles qui se détachaient de ma chair calcinée. Je soupirai en lui souriant au coin. S'il te plaît, ne repars plus jamais. Je croisais les jambes tout près de lui. « Tu devrais te recoucher.  » Probablement. Je haussai les épaules en esquissant une moue innocente. Mais je ne voulais pas me séparer de lui. Je voulais rester encore un peu. Du bout des doigts, je pressai son bras. « Et toi, tu devrais être plus gentil. » M'amusai-je en me tombant à ses côtés. J'adorais ces heures inaccessibles où il me permettait de goûter aux fragrances de sa cigarette. C'était une brèche inespérée que nous pénétrions tous les deux, les yeux dans les yeux, la main dans la main. Il me regarda pendant un instant. Ses pupilles perçantes se creusaient dans ma peau comme les joyaux brillants d'une étoile que je portais dans mon cœur. Je frissonnai en pinçant les lèvres puis je finis par tirer la couverture sur mes jambes. « Tu peux en prendre. Ça marche.   » Souffla-t-il en me proposant son flacon de Morphine. Je pouffai de rire en déclinant sa proposition. « Je préfère que tu me chantes une berceuse... » M'enquis-je d'une voix enfantine. En réalité, je ne l'avais jamais entendu chanter. Il marmonnait parfois en suivant les rythmes d'une musique sobre et entraînante, mais Tom n'était jamais tombé dans l'excès en ma compagnie. Je joignis mes mains sur ma poitrine en le juchant du regard. Cet instant me semblait plus réel que tous les autres, même peut-être plus important pour nous. « En vérité, j'ai commencé le traitement pour Pakinson cette semaine. » Confessai-je en me mettant sur le côté afin de mieux lui faire face. Je guettais la moindre réaction de sa part. La fumée qui ondulait autour de sa mâchoire dissimulait son expression mais j'anticipais un changement dans son allure. Un froncement de sourcil aussi léger soit-il, n'importe quel signe, que mon affection pour lui n'était pas vaine.
 
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() message posté Mar 29 Sep 2015 - 0:32 par Invité
Je décollai mes omoplates du mur et m’approchai lentement du matelas en faisant tournoyer l’extrémité embrasée de ma cigarette dans l’obscurité. Je mis le filtre entre mes lèvres, me tournai et m’assis à ses côtés, le menton relevé, les yeux rivés vers le plafond dans une attitude pensive. « Et toi, tu devrais être plus gentil. » La cendre tomba sur le sol lorsque j’affichai une moue approbatrice sur mon visage, sans la regarder. Sa répartie grandissait de jour en jour et je choisissais à chaque fois de lui laisser le dernier mot. Un semblant de victoire amère qu’elle ne voulait plus ressentir car mon silence pesant était bien plus fort que toutes ses vaines tentatives d’attirer mon attention. Mais il existait ces instants qui me paraissaient hors du temps, de la réalité, et celui-ci en faisait partie. Nous brisions l’immobilité. D’habitude, je devinais qu’elle était éveillée car elle avait une routine, des gestes répétitifs qu’elle réalisait. Elle s’agitait, se recroquevillait, adoptait une position fœtale et se faisait toute petite en priant au fond d’elle pour que je lui adresse la parole, même si elle avait le dos tourné et qu’elle faisait semblant d’être au milieu d’un rêve. Sa respiration n’était pas la même. Son silence n’était pas le même : endormie, elle était douce, éveillée, elle était tendue, anxieuse, appréhendant ma remarque. Je déteins sur toi, Elsa. Elle ne pouvait pas s’en moquer. Il existait un mythe appelé l’amour et il aveuglait les êtres les plus fragiles. On ne choisissait pas de qui on tombait amoureux mais ce sentiment était brodé d’un tel illogisme que, lorsque l’on me demandait pourquoi je ne le comprenais pas, je trouvais la question étrange. Elsa en était l’une des explications : elle aime un bourreau alors qu’elle pourrait aimer un ange. Nous vivions dans une société de déraison. Nous avions inventé ce concept en même temps que son contraire, cette vertu dont les Hommes montés au paradis étaient tous dotés. Non, je ne pouvais pas être plus gentil. Son idéal pouvait, mais je restais le même malgré ses sentiments. Pourquoi tant de surprises ? Pourquoi tant de demandes et d’incompréhension ? Elle avait été prévenue un million de fois déjà. Je tournai finalement la tête vers elle et ma main vint s’enrouler autour de ma cigarette. J’inspirai. La braise rougeoyante embrasa mes iris qui, l’espace d’une seconde, abandonnèrent leur robe noire pour enfiler un costume mordoré, presque vermeille, comme deux croissants de lune pourpres et sanglants. On ne tirait rien de bon d’une description pareille et pourtant, je le savais par avance, elle y décèlerait une poésie qui n’avait pas lieu d’exister mais c’était comme un réconfort. Il n’est pas si mauvais, puisque je l’aime. Voilà ce que je trouvais illogique dans son discours. Elle se mettait des œillères, même un bandeau sur les yeux pour ne pas voir la vérité. La chute serait bien trop difficile à supporter. Elle chatouilla ma peau pour conclure sa réplique et mes yeux se baissèrent vers ses doigts timides qu’elle ramena contre elle en s’allongeant subitement sur le matelas. Elle ne me quittait pas du regard, me caressant presque en m’observant simplement et j’eus du mal à soutenir ses prunelles qui brillaient dans la pénombre. Je m’en détournai simplement pour fixer le mur, la porte de la salle de bain, celle de la cuisine, l’horizon déchiqueté que les livres empilés formaient tels une chaîne de montagnes plongée dans la nuit.

Elle secoua la tête en souriant. « Je préfère que tu me chantes une berceuse … » Sa voix cristalline résonna dans mon crâne comme l’écho d’une enfance oubliée. Elle était toujours fidèle à elle-même. Fidèle à cette enfant sage et souriante qui avait si longtemps allumé dans le cœur de mes parents une lueur de joie que je n’avais jamais voulu leur apporter. Je devais moi-même le reconnaître : sa chaleur était contagieuse. On y prenait goût trop facilement et, comme une drogue étrange, on ne pouvait plus s’en passer. Je m’étais même parfois forcé à agir de façon distante pour ne pas qu’elle pense que j’avais changé, qu’elle m’avait chfangé. Elsa était de ces créatures que l’on ne pouvait s’empêcher de respecter, d’apprécier, d’aimer, pour ceux qui en étaient capables. Elle était catégorique à ce sujet : moi, j’en étais incapable. Moi, je ne faisais aucun effort. Même pas pour lui chanter son refrain préféré. J’ignorais duquel il s’agissait, de toute façon. Je lui rendis un sourire qu’elle ne put voir. Elle en rêva un instant et le résultat était le même. Elle ajusta sa position pour mieux me faire face et je daignai enfin l’aider en pivotant légèrement. « En vérité, j’ai commencé le traitement pour Parkinson cette semaine … » Je savais que ça lui coûtait de m’avouer cela. Tout s’était mal passé depuis le début car nous nous reprochions mutuellement notre manque de discernement. Je clignai des yeux, ne sachant pas exactement quoi répondre, me concentrant sur le filtre de ma cigarette, pensif. C’était un sujet qui fâchait. Je passai ma main dans mes cheveux et m’allongeai à mon tour, les paumes contre le ventre, mes boucles venant frôler son bras. Je cherchai une réponse dans la blancheur du plafond mais il n’y en avait pas. Il n’y avait aucune conclusion à ses paroles. Je formai des anneaux de fumée épais et résistants qui s’élevèrent au-dessus de nous comme les éclats de nos joies passées. Inaccessibles et éphémères. Insaisissables.

Je soupirai. C’était un début. Elle ne se recoucherait pas. Elle savait que j’étais piégé, incapable de m’endormir, alors elle en profitait. Ces moments d’aveux étaient rares et elle les considérait comme précieux. Je tendis le menton pour croiser son regard. « Et ça marche ? » Son visage bleui par la nuit accueillait les traits de lumière qui traversaient les volets fermés. Je la laissai prendre le temps de répondre. Nous avions toute la nuit devant nous, après tout, et celle-ci était d’autant plus longue que nous en attendions la fin avec toujours plus d’ardeur. Les monstres et les cauchemars m’ennuyaient eux aussi. Je n’avais même plus le loisir d’avoir peur, ni celui de sentir la chaleur exquise et la protection que procurait une couverture. Je me redressai, tendis le bras pour atteindre le cendrier posé sur le bureau et y écraser ma cigarette. Elle était à peine terminée, signe ultime de ma déchéance et de mon manque de volonté. Je restai un instant immobile, fixant la fumée qui s’échappait encore de la coupelle vert bouteille. Puis je me laissai lentement glisser vers mon oreiller. Je sentis quelque chose rentrer dans mon flanc et m’en saisis : le pot de comprimé qu’elle avait refusé avec cet air angélique qu’elle arborait lorsque mon ironie la faisait rire et non pleurer. « Faudrait que tu m’apprennes une chanson pour que je chante. Et puis sérieux, ma voix laisse clairement à désirer. » Je pliai les jambes et me mis sur le dos, changeant déjà de position, affrontant déjà l’inconfortable. « Me dis pas qu’il y a des effets secondaires à la con qui vont t’empêcher de dormir toutes les nuits toi aussi. » ajoutai-je avec un mince sourire. Pour une fois que je n’étais pas à blâmer si elle subissait le même sort que moi. Pour une fois que je souriais en lui faisant une remarque à propos de sa maladie. Pour une fois que je me comportais bien. Mais l’âpre douceur qui m’envahissait à cet instant se lèverait en même temps que le soleil et je ne voulais pas lui laisser le temps d’espérer que cette humeur pouvait durer. J’étais ainsi. Je coupais les bons sentiments à la racine car j’avais l’étoffe des cauchemars qui la hantaient, elle. Ceux-là même qui m’ennuyaient depuis déjà tant d’années.
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() message posté Mar 17 Nov 2015 - 3:29 par Invité

“You are terrifying and strange and beautiful. Something not everyone knows how to love.”   Si seulement, je ne me trouvais pas ici par dépit. J'aurais dû revenir pour l'amour et non pour la nécessité. Je m'en voulais parfois de trouver refuge dans son antre secret. Il voulait probablement le garder dans un coin refoulé de son imagination afin d'aiguiser ses armes contre le monde. Thomas était un symbole indéfinissable. Les arabesques de sa chevelure opaque s'emmêlaient entre ses lèvres, portant à la fois, le silence et la tension des mots. Il ne souriait pas. Il se contentait de fumer. Je fixais les flammes rougeoyantes de sa cigarette flotter dans la pénombre sans respirer. La nuit, il était encore plus beau. Car il y avait les lumières dans l'obscurité. Et presque toutes les lumières m'appartenaient. Mon visage rayonnait lorsqu'il se penchait sur ses traits saillants. Mes yeux pétillaient avant de sombrer dans les fondements de son esprit solitaire. Les habitants sains de la ville dormaient dans les ténèbres. Ils avaient déjà rejoins une entité merveilleuse, peuplée de vapeurs nébuleuses et de poussières d'étoiles. A cet instant, il ne restait plus que les vieux démons malades. Nous étions en marge de la médecine. Lui, incapable de trouver le sommeil. Et moi, incapable de vivre correctement. Je devenais exactement comme lui. Mon regard était rivé sur les cantons de l'univers mais je ne pouvais plus suivre ses tracés étincelants. Je fermais docilement les yeux afin d'appuyer ma tête contre son bras. Les gestes de Thomas se versaient suavement dans l'atmosphère maussade de la chambre. Je pouvais sentir ses râles me toucher, caresser mes joues et s'évanouir entre les plis du matelas. Sa voix était légèrement tintée de déraison. Mais je l'imaginais douce, musicale et vespérale. Il était si agréable de lui obéir. Pourtant je ne le faisais jamais. Je préférais me perdre au sein de son pragmatisme naturel. L'amour est une création du mal. Tu veux bien y croire si je te parle de douleur? J'effleurai son coude du bout des doigts avant de me rétracter. Mon optimisme me conduisait toujours dans ses pas,  mais les supplications de mon cœur s'étaient transformées en messages inouïs pour lesquels les Hommes de foi étaient tous devenus sourds. J'avais grandi entre les reliefs d'un paysage sauvage. J'avais couru avec insouciance dans les allées gravillonnées de jolis cailloux, et aujourd'hui, j'étais le résultat de mes souvenirs. J'étais une enfant puérile qui ne pouvait pas contenir les vices de l'homme qui n'avait jamais connu la foi. Thomas n'était pas devenu sourd. Il était né aveugle.

Mon âme se tenait là, petite et très raide. Elle grésillait sous les souffles brûlants de sa bouche avare. Il ne chantait pas mais sa voix semblait gouverner l'espace. Il hocha la tête dans le noir sans que je ne puisse prendre part à ses gestes. Il demeurait insaisissable même lorsque je me pressais contre son torse fébrile. Thomas se comportait de manière trop solennelle. Il faisait preuve d'une vanité excessive et de peu de sincérité. Qui était-il réellement ? Je voulais faire tomber le masque et découvrir le vide qui se cachait derrière son expression officielle. De toute façon, la déception était un versant de notre relation que je ne craignais plus. Il se tourna lentement vers moi. Ses prunelles de rapace croisèrent mon visage pendant une fraction de secondes avant de s'éteindre brusquement. L'adolescent effarouché qui m'avait promis de m'emmener à Londres apparaissait par épisodes entrecoupés entre les desseins de ses longs cils. Il était là. Il m'adressait une nouvelle prière mensongère. «  Et ça marche ? » Ce n'était pas une vraie question. Il faisait diversion puisque nous étions tous les deux piégés dans la même cellule. Je souris en glissant ma main tremblante sous la couverture. A cet instant, j'étais totalement vaincue. J'aurais voulu tomber à genoux et lui laisser le plaisir de juger ma faiblesse. Mais je résistai avec vigueur et continuai à m'agiter à ses côtés. « Je ne vais pas t'expliquer le concept du néant. Mais disons, que ce traitement est une nullité absolue qui existe quand même. » Soufflai-je en roulant des yeux. « J'ai retenu la définition en faisant la poussière dans tes livres. Pourquoi tu gardes toutes ces vieilleries ? Je ne te vois presque jamais lire. Tu prépares un stock à fumer au cas où les écolos ferment les régis tabac ? » M'enquis-je d'une petite voix. Je voulais réellement savoir. Je voulais m'approprier ses plus belles pensées et ses pires cauchemars afin de m'accrocher à sa déchéance jusqu'au bout. A l'instar de tous les grands esprits, Thomas avait clairement identifié les aspects précaires de la condition humaine. Il se jouait du désespoir. Il se moquait de la splendeur et de ses flétrissements. Il n'avait pas d'égal de comparaison. Je songeais à lui comme une lune qui après avoir aspiré la lumière de toutes les étoiles, attendait passivement le moment de sa destruction. J'attendrais aussi.

Je le regardais, toujours plongée dans l'apathie. Les fumées de sa cigarette avaient disparu, mais l'odeur âpre de la nicotine tapissait encore les murs de cet appartement trop petit. Une inspiration de plus et je ressentais son impossibilité à connaître l'élévation du sentiment. Thomas avait reconnu tous les concepts de la vie, et pourtant il prêchait absolument le contraire de son art. Il était indéfinissable ou trop définissable – Je n'étais pas sûre de comprendre. Il replia lentement les jambes. «  Faudrait que tu m’apprennes une chanson pour que je chante. Et puis sérieux, ma voix laisse clairement à désirer. » J'imitai ses gestes en prenant la même posture au bord du matelas. J'étais profondément touchée par sollicitude. Il lui suffisait d'une moindre attention afin d'effleurer mon cœur. Je voulais un signe d'affection et il m'accordait l'ébauche d'un rêve sur lequel perlait toutes mes désillusions. J'avais tellement de choses à lui dire mais l’éloquence n'avait jamais fait partie de mes attributions. Je baissai timidement les yeux vers le sol. « Je ne peux pas t'apprendre une chanson que tu connais déjà. » Murmurai-je en vacillant vers lui. « Dis-moi ta chanson préférée. » Je papillonnai des yeux en agitant les poignets en avant. Mes spasmes chatouillaient mes muscles sans troubler l'harmonie de mon corps recourbé. Je relevai mon menton vers la fenêtre en souriant. Ma gorge étouffait tous les cris de détresse qui tourbillonnaient au creux de ma poitrine. Et au lieu de pleurer, je me demandais quelle était la résonance des hurlements de Thomas lorsqu'il avait mal. Comment faisait-il pour souffrir ? Je me mordis la lèvre inférieure en capturant son bras. Je n'avais aucune force. Ma main tremblait au contact de son pull. Elle déployait ses ailes comme un oisillon qui prenait son premier envol. «   Me dis pas qu’il y a des effets secondaires à la con qui vont t’empêcher de dormir toutes les nuits toi aussi. » Son sourire s'ouvrait comme une brèche dans la nuit. La voilà, la mélodie des âmes brisées. Je pouvais enfin l'entendre. Je le regardais d'un air fatigué. « Je ne veux pas mourir comme ça. Sans être capable de choisir ma dernière tenue parce que l'infirmière qui m'habille tous les matins est une vielle mégère. Et quand tu me rendras visite, je ne pourrais pas me lever pour te prendre dans mes bras. Alors, je ferais semblant de t'avoir oublié. » Je fis la moue en hochant la tête. « Les effets secondaires n'ont aucune importance tant que je n'oublie pas. » Je voulais mener mon propre combat. Ma perte de discernement, les changements d'humeur, de comportement ou de libido. Les hallucinations acouphènes, les tics nerveux et les raisonnements déroutés. Tout cela n'étaient que des nouveaux prétextes pour qu'il puisse me mépriser. Or, Thomas n'avait pas besoin de prétexte. Il méprisait déjà tout le monde. Lui y compris.
 
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() message posté Mer 23 Déc 2015 - 14:07 par Invité
« Je ne vais pas t’expliquer le concept du néant. Mais disons que ce traitement est une nullité absolue qui existe quand même. » Sa remarque m’arracha un sourire. Son comportement, sa manière de minauder, tout devenait un peu plus calme et sucré lorsqu’elle en parlait. Son regard donnait des ailes aux plus démunis. Elle avait un pouvoir magique, c’était indéniable. Le même que j’avais découvert alors qu’elle grimpait sur mes genoux lorsqu’elle avait deux ans et moi neuf. Le même que j’avais compris lorsqu’elle avait posé pour la première fois sa main sur mon cœur et qu’elle avait prononcé de manière indistincte, mais pourtant bien réelle, le mot frère. Le même que je constatais aujourd’hui encore alors que la seule source de lumière dans l’obscurité de l’appartement venait de ses cheveux blonds, luisant d’un éclat d’or comme le miel en été. « J’ai retenu la définition en faisant la poussière dans tes livres. Pourquoi tu gardes toutes ces vieilleries ? Je ne te vois presque jamais lire. Tu prépares un stock à fumer au cas où les écolos ferment les régis tabac ? » Je tournai la tête vers les livres entassés contre le mur. Elle y avait mis de l’ordre, un ordre qui m’avait troublé au départ, et puis j’avais compris la logique : elle classait par collection alors que j’avais classé par époque. Mais je connaissais ces livres par cœur. Je pouvais décrire la couverture de chacun, l’odeur de chacun et l’histoire de chacun – quoique, j’étais peut-être un peu rouillé sur ceux du fond, qu’elle avait finalement remis en avant. Je tendis le bras et attrapai le premier venu : il s’agissait de La Petite Fadette de George Sand, une traduction que j’avais acheté il y avait sept ou huit ans de cela, lors de mes dernières années à l’université, et je me souvenais de cet étrange plaisir à lire ce roman, car il m’avait ramené à une époque oubliée, une époque originelle, celle de Glastonbury, celle de mon enfance effacée, plongée au fond du lit de la rivière. Et cette petite Fadette m’avait rappelé Elsa, parce qu’elle semblait être dotée d’un don semblable. Je glissai un regard vers elle en ouvrant au milieu du livre, l’une des pages cornées, et après avoir craqué une allumette pour m'éclairer, je lus une phrase soulignée : « On appelle aussi fades les fées auxquelles, du côté de chez nous, on ne croit plus guère. Mais que cela voulût dire petite fée, ou la femelle du lutin, chacun en la voyant s’imaginait voir le follet, tant elle était petite, maigre, ébouriffée et hardie. C’était un enfant très causeur et très moqueur, vif comme un papillon, curieux comme un rouge-gorge et noir comme un grelet. » Je m’interrompis puis soufflai la flamme en fermant l’ouvrage et en lui lançant d’un geste nonchalant. « Voilà. J’ai lu, et tu m’as vu. » Je penchai la tête avec un mince sourire. Je savais qu’elle ne s’en contenterait pas. Je savais qu’elle voulait me voir lire, comme si c’était ma seule richesse dans cet appartement vide. Une richesse intérieure. « Je ne prône pas l’érudition Elsa. Tu devrais me connaître, depuis le temps. » Je haussai les épaules. Elle ne connaissait que son fantasme. Que son Thomas idéalisé, celui qu’elle suivait partout. Moi, je ne voyais que les autres.

« Je ne peux pas t’apprendre une chanson que tu connais déjà. » Je levai les yeux au ciel : je savais déjà ce qu’elle allait me demander. « Dis-moi ta chanson préférée. » La question était, de toute évidence, difficile. Je n’en avais pas. J’avais arrêté d’écouter de la musique depuis longtemps car je me rendais compte que je m’en lassais trop vite. Il devait bien y avoir quelques morceaux qui suscitaient en moi un engouement particulier, mais ils étaient rares et si je n’en oubliais pas l’air, j’en oubliais le nom. Je soupirai en laissant retomber ma tête contre l’oreiller. « Je sais pas. » soufflai-je, mais elle attendait un effort de ma part. N’étais-je donc pas capable d’en faire ? Même sur ça ? « J’imagine que Wish You Were Here est une très belle chanson. » J’ignorais si Elsa la connaissait mais je la laissai retentir dans ma tête, mon esprit nébuleux à la rechercher des paroles. So you think you can tell Heaven from Hell, blue skies from pain. Can you tell a green field from a cold steel rail ? A smile from a veil ? Do you think you can tell ? Oui, c’était une très belle chanson. L’une de ces chansons qui nous rappelaient nos peurs mais également nos tourments, nos manques et nos joies passées. Je me demandais ce qu’Elsa en pensait, de ses joies passées, puisqu’elles semblaient encore peintes sur son visage de farfadet. Did they get you to trade your heroes for ghosts ? Hot ashes for trees ? Hot air for a cool breeze ? Cold comfort for change ? Did you exchange a walk on part in the war for a lead role in a cage ? Mes pensées furent ponctuées par le passage d’une voiture à l’extérieur, le bruit du moteur couvert par la vitre de l’appartement. Nous n’étions pas les seuls à être éveillés. Mais cela me surprenait. Je n’avais pas l’habitude de voir Elsa dans une telle pénombre. Elle semblait frôler la paroi fragile qui la retenait de plonger dans mes pensées les plus sombres, et j’étais un sale traître : je n’avais ni l’envie, ni la force de l’empêcher si elle décidait de faire le mauvais choix. Seuls mes yeux luisant dans le noir lui indiquaient que je préférais qu’elle se couche et qu’elle se rendorme, sans se préoccuper de moi. Quelle ironie. On parlait d’Elsa, tout de même.

« Je ne veux pas mourir comme ça. Sans être capable de choisir ma dernière tenue parce que l’infirmière qui m’habille tous les matins est une vieille mégère. Et quand tu me rendras visite, je ne pourrai pas me lever pour te prendre dans mes bras. Alors, je ferai semblant de t’avoir oublié. » Je déglutis. Je savais que ça lui coûtait de dire ça, mais je n’avais pas d’idée pour la reprendre. En un sens, j’étais pareil. Oublier pour rester digne. Car on oubliait ses joies aussi difficilement que ses peines, mais le résultat restait le même : un manque, une incompréhension, une brume trop épaisse. « Les effets secondaires n’ont aucune importance tant que je n’oublie pas. » Je hochai la tête. Elle semblait déterminée, mais d’une manière bien singulière. J’avais déjà abandonné cette optique, de mon côté. J’oubliais, déjà. Je me sentais terriblement vieux dans mon corps. J’oubliais les noms de mes élèves et de mes proches. Je me demandais si un jour j’allais oublier le nom de mes parents. Le nom d’Elsa. Les noms des êtres dits chers. Je haussai les épaules. « Je comprendrai, le jour où ça arrivera. » C’était étrange, mais je sentais la fatalité planer au-dessus de nos deux corps alors qu’elle emprisonnait mon bras entre les siens et qu’elle se pressait contre moi, ses cheveux d’or venant caresser le creux de mon cou avec douceur. Je la laissai faire. Je n’avais plus la force de la repousser. Plus l’envie non plus. La chaleur de son corps semblait éphémère, comme si à tout moment, elle pouvait s’éteindre. C’était drôlement ironique de se dire qu’elle devait se sentir âgée, elle aussi, la peau compressée par une jeunesse qu’elle n’avait pas consumée, pas entièrement, mais qui se sentait à l’étroit dans son enveloppe charnelle et malade. Ses mains tremblaient et le doute persistait : parce qu’elle avait froid ou parce qu’elle tentait en vain de ne pas m’ennuyer avec ses maux ? Le résultat restait le même, là aussi. Ma main se saisit des siennes et les couvrit avec calme, les calant sur ma poitrine et attendant patiemment qu’elles se réchauffent, qu’elles cessent de trembler. Je fis l’effort de respirer régulièrement pour qu’elle comprenne, pour qu’elle s’adapte à mon rythme, pour qu’elle apprécie mon effort. Et dans ma tête, je chantais. Toujours. How I wish, how I wish you were here. We’re just two lost souls swimming in a fishbowl, year after year, running over the same old ground. What have we found ? The same old fears. Wish you were here.
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() message posté Sam 9 Jan 2016 - 3:03 par Invité

“You are terrifying and strange and beautiful. Something not everyone knows how to love.”   Mes ongles effleuraient timidement le pull de Thomas. Je ne voulais pas dormir et lui dire au revoir. Ce soir, il semblait être réel. Il me fixait avec une étincelle dorée au fond du regard, un reflet maussade de ma propre chevelure dans ses yeux. Une part de moi en lui, pour la première fois. Je posai lentement mes doigts sur la pointe de son épaule saillante et cette dernière vibra harmonieusement au gré de mes tremblements. Je souris en raffermissant ma prise sur sa silhouette tandis qu'il lisait un extrait de son livre. J'étais perdue dans un ciel de poudre étoilée. J'étais parfaitement consciente de mes erreurs, mais malgré le rejet et la douleur que Thomas m'infligeait parfois, je parvenais toujours à me redresser pour le rejoindre dans sa mélancolie. «  On appelle aussi fades les fées auxquelles, du côté de chez nous, on ne croit plus guère. Mais que cela voulût dire petite fée, ou la femelle du lutin, chacun en la voyant s’imaginait voir le follet, tant elle était petite, maigre, ébouriffée et hardie. C’était un enfant très causeur et très moqueur, vif comme un papillon, curieux comme un rouge-gorge et noir comme un grelet.» La flamme de son allumette ondulait gracieusement dans la pénombre. Ses couleurs rougeoyantes se mélangeaient naturellement aux miennes, puis il souffla sur le feu, et je m'éteignis complètement. Je devenais noire et invisible. J'imaginais les étendues sauvages de Glastonbury et les ondulations mélodieuses du vent sur la rivière. La voix de Thomas était un rêve merveilleux qui m'emportait hors du temps. J'étais encore une enfant. J'attendais inlassablement le retour de mon frère en jouant sur le perron de la maison, puis, lorsque sa silhouette se dessinait dans l'horizon lointain, j'abandonnais mes poupées de chiffons et mes rubans de satin afin de courir à perte d'haleine vers le bord de la route. Je voulais être une mouette rieuse et épandre mes ailes sur le monde. Mes mains, aussi, étaient des mouettes. Elles volaient librement. Elles s'échappaient sans que je ne puisse les rattraper. « Voilà. J’ai lu, et tu m’as vu. » Je gloussai en secouant frénétiquement le visage. Son attitude était amusante et dénudée de fausse prétention. Il était égal à lui-même, à ses principes parfois méprisants et passifs. Je me penchai en mimant ses gestes. Je redressai le dos lorsqu'il haussait les épaules. J'arquais un sourcil lorsqu'il levait les yeux au ciel. Je souriais lorsqu'il arborait son expression habituelle. Et je l'aimais, quelque soit le port de sa tête ou le mouvement qu'il esquissait dans ma direction. «  Je ne prône pas l’érudition Elsa. Tu devrais me connaître, depuis le temps .» Je pinçai les lèvres en l'observant d'un air taquin. Nous avions grandi ensemble, et pourtant, je ne pouvais pas prétendre que je le connaissais entièrement. Le grand frère, n'était qu'une facette parmi les autres. Une ancienne cicatrice qui s'incrustait vicieusement sur sa peau, car j'en ravivais constamment les bordures. « Mais tu es érudit. Tu ne peux pas prôner ce que tu es déjà. Ce serait vaniteux. » Murmurai-je avec douceur. Mes arguments étaient pauvres et sans logique. Je n'étais certainement pas la partenaire idéale lorsqu'il s'agissait de débattre. Je pensais avec le cœur. Thomas, quant à lui, suivait les voies de l'intellect. Mais, j'étais vivante au moins. Contrairement à ses écrivains aux noms fantaisistes et compliqués. « Tu penses que je suis stupide parce que je dis Baudeloire au lieu de Baudelaire ? En même temps il a écrit un recueil où il traite les femmes de méchantes. Il le mérite un peu. J'ai un coté féministe. » Je ris jovialement avant de ramener mes genoux contre ma poitrine. « Mais tu as pas le droit de m'en vouloir pour ça. Je mépriserais tous les hommes sauf toi. » Je me penchai lentement vers son oreille, puis je retins ma respiration à quelques mètres de son cou. Je m'accrochai à ses épaules d'un air concentré, comme si je m'apprêtais à lui faire une confidence. « Tu es mon préféré, c'est pour ça. »

« Je sais pas. J’imagine que Wish You Were Here est une très belle chanson. » Mon attention était captivée par les réverbères. Je les observais scintiller dans la nuit, à travers la grande vitre de la fenêtre. Avait-il déjà aimé ? C'était un sentiment qui devait le lasser, alors comme tout le reste, il finissait par s'en défaire. Par rejeter encore et encore. Je souris en cachant mon visage derrière les boucles frisottantes de ma frange. C'était amusant. Je songeais à sa quête de l’ascèse et à son mépris de la perfection. A ses discours et leurs contraires. Puis je m'inclinais sans laisser la moindre trace. C'était moi, l'amour dérisoire qu'il tenait au bout de son fusil. J'étais la représentation de ce qu'il trouvait puérile et facile. Alors, pourquoi n'avait-il pas encore appuyé sur la gâchette ? « C'est une très jolie chanson. » Thomas n'avait plus besoin de chanter à présent, je pouvais l'entendre au creux de ma mémoire. Sa voix lente et mesurée pendait au bout de sa langue acéré. Et je m'en contentais même si elle était imaginaire. « Je préfère high hopes. Elle me fait penser à toi, même si j'espère toujours que tu sois là. » M'enquis-je en pressant mon pouce contre ma joue. Les images défilaient derrière mes paupières. Les mots reprenaient tout à coup forme et je me surpris à songer à son départ pour Londres. A sa promesse. Beyond the horizon of the place we lived. When we were young in a world of magnets and miracles. Our thoughts strayed constantly and without boundary. Je me laissais bercer par la mélodie. Je voulais retourner à la maison et retrouver la quiétude de mes jours heureux. Ils me manquaient tous. Maman. Diane. William. Et surtout Tom. Depuis, qu'il était parti, il n'avait jamais cessé de me manquer. The grass was greener.The light was brighter. The taste was sweeter. The nights of wonder with friends surrounded.The dawn mist glowing. The water flowing.The endless river, forever and ever. Je fis l'effort de contenir mon émotion. Je déglutis en me cramponnant aux draps avant qu'ils ne se dérobent complètement de ma prise. Parce que j'étais malade et que mon corps me le rappelait encore, ce soir.

«  Je comprendrai, le jour où ça arrivera.» Je penchai tristement la tête, accablée par la fatalité. Je ne pouvais pas bouger. Je ne pouvais plus marcher et danser. C'était aussi simple que ça ; les spasmes musculaires devenaient toujours plus violents. Je me redressai dans un regain de lucidité. « Tu es doué pour comprendre, mais moi je ne pourrais pas. » Soufflai-je entre mes dents. Mes pensées bourdonnaient tout autour de ma tête. Je n'étais plus sûre de rien, de mes rêves, de mon optimisme ou de mon insouciance. Je crispai mes orteils sous le rebord du tapis en laissant le mal prendre possession de mon corps. Parkinson ordonnait et mes phalanges claquaient les unes contre les autres, en suivant les fluctuations de la pièce silencieuse. Je le remarquais enfin. L’appartement de Thomas était triste et monotone. Était-ce une image qu'il renvoyait afin de décourager les curieux, ou simplement un reflet de son âme dans l'espace ? Il se saisi lentement de mes mains afin de les déposer sur sa poitrine. Il respirait dans un rythme régulier et apaisant. Je le sentais vivre de l'autre côté de sa cage thoracique. J'effleurai son cœur essoufflé par l'odeur du tabac et ses veines gorgées de poison. Je me tortillai sous sa prise, puis je me surpris à rougir en arrivant si près de son visage. Sa proximité était trop soudaine. Je l'avais espéré durant des années, mais je ne m'y étais jamais préparé. Pas de cette manière. J'ouvris la bouche en haletant. Si seulement j'avais la force de me dégager ou de le toucher. Si seulement, je pouvais me permettre cet écart une fois pour lui décrire l'étendue de ma douleur. La magie n'existait pas dans les mots. La magie c'était les gestes de tendresse et la tonalité de la voix. Je plissai les yeux afin de lutter contre mes larmes. « J'ai toujours eu beaucoup du mal à vivre sans toi. C'est stupide, je sais ... »  Confiai-je en sentant une crampe traverser mon bras. Je suspendis mes paroles en enfonçant mes ongles dans sa chair. « So you think you can tell Heaven from Hell, blue skies from pain... » Je chantonnais, les yeux bandés. Je me demandais ce qu'il en pensait. Pouvait-il faire la distinction entre le paradis et l'enfer ? Entre mes confessions et les marques de griffures que je laissais, sans le vouloir, sur son torse ?
 
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() message posté Jeu 11 Fév 2016 - 21:45 par Invité
« Mais tu es érudit. Tu ne peux pas prôner ce que tu es déjà. Ce serait vaniteux. » Je clignai des paupières dans le vide, sans la regarder, sans rien regarder. L’épuisement atteignait son comble lors de ces instants furtifs au milieu de la nuit et je me détachais petit à petit de la réalité. Seule Elsa cherchait à retenir ma lucidité qui s’échappait pourtant à chaque soupir. C’était vaniteux mais elle savait pertinemment que je l’étais. Incorrigible, qui plus est. J’avais mes livres et mon titre de professeur pour prouver à n’importe qui que j’étais un simple érudit, un type coincé entre les pages de ses livres, toujours une citation à la bouche pour souligner mes mots pédants et réprobateurs alors que je n’avais moi-même jamais écrit le moindre vers. J’étais un échec, plus particulièrement celui d’une vie entière, mais Elsa ne voulait pas le croire alors je ne prônais pas ça non plus, craignant qu’elle ne s’offusque ou qu’elle ne se blesse, sans comprendre ce qui m’avait mené à avoir une si basse opinion de moi-même. Je ne répondis pas, haussant simplement les épaules de manière imperceptible pour accentuer mon état d’incertitude : je n’étais pas sûr d’être totalement présent, à ses côtés, mais elle s’acharnait à voir en ces quelques minutes un moment privilégié avec moi. Je ne voulais pas briser son rêve, elle était bien la seule à encore en faire. « Tu penses que je suis stupide parce que je dis Baudeloire au lieu de Baudelaire ? En même temps il a écrit un recueil où il traite les femmes de méchantes. Il le mérite un peu. J’ai un côté féministe. » Un mince sourire étira mes lèvres et je daignai enfin tourner mon regard vers elle pour la toiser, amusé. Elle n’était pas stupide, elle jouait à la princesse naïve et inculte pour attirer mon attention. Quoi de mieux après tout qu’un esprit vide pour un érudit ne cherchant qu’à enseigner son savoir infini à tout le monde ? Mais elle était loin d’être bête ou inculte. Elle minaudait, ce qui avait le don de m’agacer beaucoup plus. Elle émit un rire doux, un de ceux dont elle avait le secret, avant de rabattre ses jambes contre sa poitrine ballante et de se blottir contre moi pour poursuivre son discours : « Mais tu as pas le droit de m’en vouloir pour ça. Je mépriserai tous les hommes sauf toi. » Elle tendit le cou pour approcher ses lèvres de mon oreille avant d’ajouter d’une voix sucrée et malicieuse : « Tu es mon préféré, c’est pour ça. » Je levai les yeux au ciel, son intonation me rappelant ces secrets que l’on brûlait de révéler à tout le monde et qui n’étaient finalement pas si terribles, pas si surprenants. Je laissai retomber ma nuque contre l’oreiller et mes prunelles balayèrent le plafond avant de revenir se poser sur Elsa. « Ne dis pas de bêtise. » répliquai-je d’une voix rauque et suave. « Si je suis ton préféré, je n’ai pas envie de voir la gueule de celui que tu détestes le plus. En admettant qu’il en ait encore une, parce que vu mon état, le sien ne doit pas être glorieux. » Je ponctuai ma phrase d’un rire essoufflé et fatigué avant de reprendre. « Tu racontes vraiment n’importe quoi la nuit, toi. » Oui, mais elle racontait quelque chose. Elle était encore pleine d’histoires et d’envies. Elle avait toujours des préférences et des opinions sur tout. Elle était capable de vivre.

« C’est une très jolie chanson. » confirma-t-elle d’une voix fluette. Un silence s’installa dans lequel nous entendîmes nos souvenirs résonner au loin : nous avions écouté cette chanson seuls, ensemble aussi, et nous en avions écouté d’autres, des dizaines d’autres que nous avions apprises par cœur et que nous avions chantées silencieusement dans nos cœurs scellés par la résignation et la crainte. Nous les avions chantées dans nos songes en priant pour que l’autre nous entende car au fond de nous, nous n’aimions pas chanter seuls. Nous n’aimions plus. Les hymnes perdaient de leur charme et de leur entrain. Les chansons n’étaient plus aussi jolies. Je m’humectai les lèvres alors qu’Elsa tendait le pouce pour venir me toucher la joue. Je la voyais faire. Je la laissais faire, sachant pertinemment que plus elle s’avançait sur cette voie et plus il me serait difficile de lui faire comprendre qu’elle ne prenait pas la bonne direction. Mais je voulais que quelque chose me berce pendant une poignée de secondes avant de me forcer à tordre le cou de toutes les espérances donc elle me parlait si souvent : « Je préfère High Hopes. Elle me fait penser à toi, même si j’espère toujours que tu sois là. » Je laissai échapper un souffle à la fois amusé et résigné. Mais je suis là, Elsa. Je ne vais nulle part. J’en avais assez de fuir des silhouettes qui se révélaient être mon ombre et celles de mes pensées troubles. Elsa ne s’en défaisait pas et elle ne s’en débarrasserait probablement jamais. Me détestait-elle parfois de ne pas autoriser son cœur à s’enfuir ? La réponse était oui, je le voyais dans son regard car j’avais créé l’ensemble des sentiments qui régissaient son esprit. J’étais un roi ivre qu’elle plaignait assez pour rester auprès de lui à jamais. Je lui manquais même lorsque j’étais là. Même lorsqu’elle se collait lentement à mes muscles noueux et mes articulations fragiles, même lorsqu’elle sentait la colère et le mépris couler dans mes veines et dans les siennes, même lorsqu’elle pouvait me toucher du bout de ses doigts qui redevenaient étrangement ceux de cette enfant que j’avais aimé de loin pendant onze ans et qui n’avait jamais compris les raisons de cette distance. Elle éprouvait pour moi un amour hybride et déchirant avec lequel je jouais sans le savoir. Je méritais d’être pendu pour mes méfaits, pourtant elle ne nouait pas une corde mais plutôt les artères de son cœur qui lui permettaient de vivre s’il lui venait à l’esprit que je puisse, à l’inverse, mourir.

« Tu es doué pour comprendre, mais moi je ne pourrais pas. » Ses mots étirèrent mes lèvres en un étrange sourire. Elle se trompait. Je pouvais toujours lui montrer comment faire, le moment venu. Je sentis ses articulations frémir et nous restâmes à nouveau silencieux, quelques secondes, touchant du bout des doigts cette tension qui nous unissait depuis toujours et dont je croyais m’être lassé – à tort, puisqu’elle m’intriguait tant ce soir. Elsa se glissa un peu plus près et je tournai mon visage vers le sien, sa bouche entrouverte cherchant les mots justes alors qu’il suffisait simplement de se taire et d’apprendre à s’endormir. Elle ne pouvait pas encore comprendre cela, c’était vrai, mais plus elle resterait avec moi et plus elle percevrait qu’il était inutile de lutter contre les caprices du sommeil – après tout, c’était un laisser-aller constant. Peut-être était-ce pour cette raison que je n’arrivais pas à dormir : je ne voulais pas que quelque chose me contrôle aussi bien, aussi facilement. La main d’Elsa effleurait le tissu de mon t-shirt avec précaution et désir mais je gardai son attention d’un seul regard, fronçant les sourcils pour lui dire que je n’avais pas envie de lutter contre elle ce soir mais que j’allais le faire si elle ne s’arrêtait pas alors qu’il était encore temps. Qu’importait mes sermons tacites : elle était une belle cascade qui se déversait sur mon torse et dans mes yeux. « J’ai toujours eu beaucoup de mal à vivre sans toi. C’est stupide, je sais … » Je soupirai et ne bronchai pas alors que ses ongles plongeaient délicatement dans ma chair. Je pensais fermement que les crampes crispaient ses doigts mais son regard larmoyant me disait qu’il y avait autre chose, encore une fois, et qu’elle saisissait une opportunité imaginée, embrumée par la fatigue et l’obscurité. Nous tissions ces instants avec le même fil que les songes et elle en était vêtue comme d’un voile de réalité. « So you think you can tell Heaven from Hell, blue skies from pain … » Je l’écoutai murmurer les paroles de cette si jolie chanson à mi-voix et fermai les yeux, glissant lentement dans des pensées d’ailleurs et des souvenirs disparus. J’étais incapable d’entonner le couplet ou le refrain. Je n’avais plus l’envie de le faire. C’était peut-être égoïste mais je me voulais me laisser bercer par ses intonations cristallines avant de briser tous ses espoirs comme autant de verres au bord d’un comptoir abandonné. Mes mains enroulèrent plus fermement les siennes pour retirer ses ongles félins et puissants de ma peau, puis je penchai la tête, nos cheveux s’entremêlant avec une tendresse impromptue. « Arrête de dire que tu es stupide, Elsa. Tu sais bien que c’est faux. » Mon soupir gagna le plafond et mon regard s’échappa par la fenêtre pour rencontrer la lumière lunaire, avant de revenir à l’intérieur de l’appartement, dans les ténèbres. « Et tu as aussi du mal à vivre avec moi. U2 avait donc raison toutes ces années. Peut-être que c’est vrai. Peut-être que Bono est le Messie. » Je plaisantai pour qu’elle s’éloigne, pour qu’elle comprenne qu’elle n’accomplirait rien ce soir, mais son esprit était ailleurs, et même si elle riait, son cœur pleurait. « Pourquoi tu ne m’as rien dit, Elsa ? » Je tournai la tête pour planter mon regard noir dans le sien, l’assombrissant probablement car nos teintes se mêlaient toujours mais qu’elle était incapable d’éclaircir la couleur de mes iris – ceux-ci ne s’ambraient que lorsque j’étais fou. « Pourquoi m’avoir caché ta maladie tout ce temps alors que tu aurais tout simplement pu me dire la vérité ? » J’ignorais si j’étais véritablement blessé par le fait qu’elle m’eût tu la nature, l’existence-même de ses maux. Mais je savais que je n’y étais pas indifférent. Que, quelque part, l’avoir su par Diane me prouvait à nouveau à quel point je l’empêchais d’être heureuse et épanouie : elle avait la langue liée et les pensées étouffées lorsqu’elle se trouvait près de moi. Je doutais d'être capable de supporter la responsabilité de son malheur, encore et encore. « Je suis un connard à ce point ? Au point de ne pas accepter un mal contre lequel tu n’as pas pu lutter ? » Je baissai finalement les yeux pour briser le contact visuel mais nous étions l’un contre l’autre et elle ne voulait pas partir. Mes insomnies doutaient même de vouloir la repousser. « Si oui, va-t’en, s’il te plait. » Parce que je finissais par exploser face à cette affection paradoxale qui la tuait. J’étais le seul ici à savoir comment mourir et c’était bien la seule chose que j'allais me garder de lui enseigner.
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() message posté Jeu 18 Fév 2016 - 20:30 par Invité

“You are terrifying and strange and beautiful. Something not everyone knows how to love.”   Je sentais la flamme brûler dans ma gorge. Les mots s'enroulaient autour de mes cordes vocales mais j'étais incapable d'en saisir les sens complets. Je n'avais pas ce don. La capacité de comprendre, de voir au-delà des frontières immatérielles. Mon cœur était aveugle. Il tournoyait dans le vide en exhalant mes sentiments comme une poussière d'étoiles. Je souris, portée par une légère pression. Le visage de Thomas était noirci par la pénombre qui régnait dans la chambre. Sa mâchoire ressemblait à un requin dont les crocs avaient développé une force incroyable. Je me rapprochai lentement de son étreinte. Je me sentais lestée par son odeur, piégée dans une presse hydraulique qui tourbillonnait à grande allure. Je n'étais pas complètement idiote. Ma mère m'avait appris les bases de la littérature, l'art d'aimer et la manière de converser. Il m'arrivait de parcourir les livres disposés sur les petites étagères poussiéreuses. Les citations étaient trop complexes, mais il suffisait de s'appliquer dans la lecture pour voir à travers les fibres du papier. Il y avait toujours une vérité. Une passion. Une pensée. Thomas s'amusait à les décortiquer afin de s'élever au-dessus des notions normales. Il souriait avec arrogance et semblait adresser un regard extérieur au monde. Il ne faisait pas parti des mortels. Mais il n'était pas éternel. Sa vie se résumait à ça ; l’esquisse. Comme une impasse qui bordait deux rives opposées sans prendre de direction défini. Je l'avais observé durant des années. J'avais grandi sous sa bienveillance, et même lorsqu'il rejetait mes élans d'affection, je continuais de considérer sa cruauté comme un acquis. Son caractère tranchant représentait l'entité suprême. L'amour au nom de la douleur. L'amour sous toutes ses coutures. Je n'étais pas attachée à l'image du passée. J'étais captivé par son prisme de lumière. Mon souffle ondulait suavement sur son oreille alors que je murmurais mon incantation comme un charme céleste. Ce soir, notre proximité était particulière. Les choses étaient différentes. Les masques tombaient, balayés par les bourrasques du vent qui était devenu immobile sur nos visages. J'étais l'une de ces racines du savoir que Thomas tordait dans tous les sens. Il était le maître de l'univers et je gravitais autour du cosmos en dansant sur les astres qu'il avait dessiné avec les volutes d'une fumée grise et éphémère. « Ne dis pas de bêtise.» Déclara-t-il d'une voix sombre. Son intonation vibrait sur le duvet de mes bras engourdis. Je la sentais transpercer mes souvenirs. Je pouvais être heureuse, ailleurs qu'à Glastonbury. Avec lui, je parvenais à concilier le rêve et la réalité. «  Si je suis ton préféré, je n’ai pas envie de voir la gueule de celui que tu détestes le plus. En admettant qu’il en ait encore une, parce que vu mon état, le sien ne doit pas être glorieux.»  Sa phrase s'essouffla brusquement. Je suivais les fluctuations de sa silhouette sur les draps. Il cala sa tête sur l'oreiller et j'hésitai à la rejoindre, prise par une sensation de malaise étrange. «  Tu racontes vraiment n’importe quoi la nuit, toi. » Je pinçai les lèvres en souriant. Je ne racontais rien. Je ne faisais que lever les voiles sur des mystères qu'il avait élucidé mille fois. Mes confessions étaient lasses, ennuyeuses et révolues. Thomas savait. Il avait toujours su. Je haussai les épaules en frottant mes cuisses contre ma poitrine. « Je pensais que tu me connaissais mieux que ça. Je ne déteste personne. Même pas Danny. » Marmonnai-je en rampant à ses côtés. Mon pouce se posa délicatement sur sa joue. J'en définissais les traits. Je remodelais les rides qui fissuraient cette expression qu'il pensait être faite d'acier, de métal et de matériaux solides. Je sentais le sang affluer dans ses veines déchiquetées par la sphère de solitude qu'il avait façonné de ses propres mains. Il nous avait tous abandonné. Diane, William, moi et mon petit cartable d'écolière. Je frémis en me redressant. La musique berçait le silence qui entourait nos carcasses vides. Thomas était déjà mort et je venais de rendre mon dernier souffle à l'instant. Mon cadavre était frais. Il sentait l'herbe, les champs de coquelicot et l'onguent de la rivière. Mais bientôt, mes organes se colleraient aux parois de ma chair pourrissante. Bientôt, je serais le fantôme de la fille qui l'avait un jour trop aimé.

Nous agissions toujours dans la nécessité mais ce n'était pas réelle.  Le sentiment se cachait dans les flottements des rideaux au bord de la fenêtre entrouverte. Il glissait entre les rainures du parquet, vicieusement, lentement, jusqu'au sommet du cœur. Je marmonnais les couplets d'une jolie chanson en défiant les ombres de la nuit. Thomas se redressa, ses doigts crispés autour de mes poignets comme des griffes monstrueuses. Je gémis sous sa prise. Ses cheveux ténébreux se mélangeaient aux mèches blondes qui retombaient sur mes joues, formant une symphonie de couleurs contraires. Un délire édulcoré où nous étions seuls face aux amalgames de la vie. Ce qui était irrationnel et inextricable, ce n'était pas la capacité de disséminer le mal partout autour de soi. Au contraire, c'étaient les bons côtés, la lumière, la beauté, toutes ces jolies choses qui étaient fascinantes. Et moi, je le voyais. Chaque jour auprès de lui, je sentais les étendards de mon amour émerger sous le vent. « Arrête de dire que tu es stupide, Elsa. Tu sais bien que c’est faux. » Je hoquetai en plissant les yeux. Non. Je ne pouvais plus arrêter. Tant qu'il refuserait de m'accorder son attention, je continuerais d'être vide et stupide. Je prenais l'image de son antipode, de la même manière, qu'il se conformait aux allures de mon optimisme déroutant. Son visage se tourna vers le plafond. Ses longs cils injectés de poison ceindraient l'air entre deux palpitations. Je m'arrêtai un instant, suspendue dans ses gestes si familiers. «  Et tu as aussi du mal à vivre avec moi. U2 avait donc raison toutes ces années. Peut-être que c’est vrai. Peut-être que Bono est le Messie. » Je laissai échapper un rire cristallin. Mon expression était sereine, figée dans une dimension parallèle. Je humai discrètement l'odeur du tabac qui auréolait son profil acéré. Un aigle déplumé. Voilà, ce qu'il était devenu. Je m'inclinai avec douceur dans sa direction. Mes muscles vibraient sur sa peau. Mes phalanges crissaient contre ses poignets. C'était ça la limite entre l'aube et le crépuscule qui bordait un horizon d'incertitudes. «Je le savais. Bono est le Messie. Je suis un farfadet. Tu trouves toutes ces explications dans tes livres ? » Marmonnai-je dans un souffle épuisé. Ma tête tomba au creux de son cou. Je m'accrochai à la chaleur qui s'épandait sur mes joues, libérée, apaisée, mais il brisa tout à coup mon équilibre. Je me relevai afin de croiser son regard abyssal. Deux trous noirs qui aspiraient toute l'énergie. Je restai immobile, paralysée par les morsures du froid. « Pourquoi tu ne m’as rien dit, Elsa ?» J'ouvris la bouche sans parvenir à émettre le moindre son. Mes yeux brillaient sous les éclats d'une demie lune rongée par les démons de la nuit. Thomas me faisait peur. Il me faisait toujours peur. « Pourquoi m’avoir caché ta maladie tout ce temps alors que tu aurais tout simplement pu me dire la vérité ? » Mon bras se raidit, assailli par une crampe douloureuse. Je fis la moue en détournant le regard comme une enfant que l'on réprimandait. Je n'arrivais presque plus à respirer. Je ne l'ai pas fait exprès, voilà mon excuse. Je n'avais pas prémédité ma maladie, la douleur, tous les mensonges. « Je suis un connard à ce point ? Au point de ne pas accepter un mal contre lequel tu n’as pas pu lutter ?» Je me sentais démunie. Je ne savais pas pourquoi je n'avais pas osé lui dire la vérité. J'étais simplement fatiguée. Ma mère me fatiguait. Parkinson me fatiguait. Je n'avais plus la force. Je ne pouvais plus le détester. J'étouffai un sanglot en agitant frénétiquement les épaules. Il m'avait brisé le cœur et je l'avais laissé éparpiller les fragments de mon âme à l'autre bout du monde. Alors à quoi bon lui expliquer maintenant ? Il était trop tard. Je fronçai les sourcils résignée à lutter contre ses injustices, mais mon corps bougeait. Mon esprit s'éveillait et les mots que je prononçais étaient différents de celles que j'avais imaginé. « Non. C'est pas ça. Je suis désolée. » Mon palais était inerte. Ma langue roulait entre mes dents comme un filament de lumière qui s'étranglait dans l'obscurité. « J'ai essayé. Tu m'as regardé et tu as dit que je devais rentrer à la maison parce que j'avais froid. » Couinai-je en frémissant. Mes larmes remontaient dans ma gorge. Elles renaissaient au bord de mes yeux sans m'accorder un seul instant de répit. Je reniflai en me débattant contre lui.« Parce que tu es parti sans moi. Et que ce jour là, j'ai réalisé que je n'avais plus de rêves. Je ne voulais pas être une stupide princesse. Quand je serais grande je voudrais rester avec toi. Ici. » Mes doigts glissaient sur son col. J'effleurai son torse en reprenant mon souffle. L'émotion véritable c'était de remplir chaque songe de larmes refoulées, de rejeter l'idée même des consolations médiocres que les gens s'offraient pour combler le vide. «  Si oui, va-t’en, s’il te plait.» Je grimaçai, paniquée à l'idée qu'il puisse me mettre dehors. Il faisait trop froid. Je risquais de trembler encore plus fort. Ma maison avait disparue, je ne pouvais plus y retourner. Je me mordis la lèvre inférieure. Je pleurais en silence, sans râles profonds, sans démonstration de faiblesse. « Je peux pas bouger. » Marmonnai-je avec lenteur. Je baissai les yeux vers mon articulation calcifiée. Ma main semblait rompue. « Tu n'es pas comme les autres. Tu n'as pas besoin de me voir comme ça pour comprendre que je suis pathétique. Tu le sais déjà. Ne me fais pas partir Tomtom. Je ne sais plus où aller. » Je me penchai vers son menton en chancelant. Avait-il déjà vu quelqu'un embrasser l'instant présent ? Avait-il déjà lu ces déclarations enflammées dans ses grands volumes de philosophie ? Je pinçai les lèvres en levant mon coude flétri vers sa poitrine. Je calai ma tête sur sa mâchoire d'un air obstinant puis je lui volais un baiser. Un vrai. Je m’écrasai sur sa bouche de tout mon poids, avec tout mon entêtement.
 
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() message posté Lun 29 Fév 2016 - 16:41 par Invité
Un battement de cil suffit à me faire comprendre que ce n’était pas un rêve. C’était comme dans un rêve, mais j’étais trop défaitiste pour simplement lâcher priser et m’endormir. Pourtant, cela semblait facile. Je le voyais partout : à la télévision comme dans mes amphithéâtres poussiéreux où les étudiants du soir finissaient par s’écrouler sur leur table, incapable de tenir plus longtemps devant la complexité de l’analyse. Je me souvins un instant de l’un d’entre eux, si fatigué que l’effervescence de la fin du cours n’avait pas perturbé son sommeil. Je m’étais assis à ses côtés et je l’avais doucement réveillé, lui indiquant qu’il allait mieux falloir qu’il parte s’il ne voulait pas que je l’enferme dans la salle jusqu’au lendemain. Il m’avait répliqué de, de toute façon, il avait cours au même endroit, prétendant avec un sourire amusé et espiègle que c’était la meilleure technique pour ne pas être en retard. Alors nous avions parlé durant de longues minutes, revenant sur le cours que j’avais donné de manière plus complice puisqu’il s’était platement excusé de s’être endormi. Ses remarques avaient été intelligentes et pertinentes, assez pour nous faire oublier l’heure. Un agent d'entretien nous avait finalement surpris puis nous avait indiqué que l’établissement allait fermer. Nous en étions sortis de justesse et il m’avait demandé avec une malice déguisant une véritable interrogation comment je faisais pour tenir des horaires comme les miens sans manger ni dormir. Ma réponse fut tout aussi énigmatique que mon sourire : je ne les tiens pas. Ses sourcils froncés m’avaient arraché un rire effacé, silencieux. Non, je ne tenais pas le coup. Mon corps se dressait devant un public avide de réponses et mon esprit s’étiolait un peu plus à chaque seconde, à chaque mot. J’avais l’impression de m’émietter devant eux, mais les ruines n’étaient véritablement visibles qu’à l’intérieur. C’était là que ma carcasse pourrissait, là que l’odeur nauséabonde de ma dégénérescence embaumait véritablement l’atmosphère. Elsa croyait dépérir ? Elle ne savait pas ce que ce mot signifiait vraiment. « Je pensais que tu me connaissais mieux que ça. Je ne déteste personne. Même pas Danny. » Je levai les yeux au ciel en la regardant s’approcher. Elle ne connaissait visiblement pas non plus le sens du mot haine, mais je n’étais pas bien placé pour le lui expliquer. On se construisait selon nos ennemis, autant qu’autour de nos amis et de nos amants. J’avais toujours refusé que Danny s’attaque à Elsa en ma présence, brisant la moindre de ses remarques désobligeantes d’un mot autoritaire, d’un ordre tacite ou d’un simple regard désapprobateur. A l’inverse, je me moquais éperdument qu’Elsa s’en prenne à Danny : cette dernière jouait un rôle qu’Elsa aurait détesté avoir, mais elle ne le comprenait visiblement pas. J’avais brisé Danny. Elle traînait en elle les relents de tous ces refus qu’elle n’avait pas osé manifester durant ces années à mes côtés. Elsa n’y aurait pas survécu. Elle n’aurait pas résisté à une telle laideur coulant dans mes veines, partout sur ma peau et au fond de mon regard. Tu ne m’as jamais connu ainsi, Elsa. Et, avec un peu de chance, elle n’aurait pas à le faire. Je me pinçai discrètement les lèvres, cherchant une réponse adéquate pour la contredire sans la blesser. Elle mentionnait Danny : elle remuait ainsi le couteau dans une plaie qu’elle avait elle-même ouverte, même si elle m’accusait de la lui avoir faite depuis bien trop longtemps. « Tu t’attends à ce que je te crois ? » soufflai-je avec lassitude. La différence entre elle et moi, c’est que je n’avais plus le temps de haïr. Je ne faisais qu’observer la médiocrité des autres – la mépriser, dans mes meilleurs jours, mais la détester me semblait trop cinglant, trop électrique pour que mon esprit y résiste. Elsa, elle, ne pouvait pas s’empêcher de ressentir. Mieux valait qu’à sa naïveté succède sa haine.

« Je le savais. Bono est le Messie. Je suis un farfadet. Tu trouves toutes ces explications dans tes livres ? » dit-elle dans un souffle rieur que je repris avec peine, laissant ma poitrine vibrer, se détendre. Elsa avait un don particulier. Elle était agaçante car parfois, elle l’utilisait trop, mais sa voix fluette et cristalline réussissait à m’apaiser et me faire sourire avec sérénité – et c’était si difficile de le faire, en vérité. « Non, je réfléchis, figure-toi. » m’enquis-je finalement en levant les yeux vers le plafond. Son odeur  sucrée fut cependant baignée d’acidité lorsqu’elle entendit mes mots. Son corps se raidit et je tournai la tête avec ces jugements que je ne pouvais m’empêcher d’avoir, là, au fond de mon regard ébène. Ses membres soupiraient un à un avant de recommencer à trembler de plus bel, mais la chaleur des miens ne l’aidait plus à surmonter la douleur et le mal : je voulais des explications et elle se débrouillerait seule. « Non. C’est pas ça. Je suis désolée. » Sa voix était faible, ébranlée par les émotions qu’elle ne parvenait pas à contenir et mon être sérieux était lisse : elle glissait sur ces parois de verre. « J’ai essayé. Tu m’as regardée et tu as dit que je devais rentrer à la maison parce que j’avais froid. » J’aurais pu détourner le regard et la contredire, lui dire qu’elle voulait passer pour une victime qu’elle n’était pas, mais la nuit de l’enterrement de William me revint en mémoire et je ne pouvais pas nier avoir été acerbe – j’avais cherché l’isolement mais elle avait tenu à rester. Savait-elle simplement que j’étais mort au fond de la rivière, quelques minutes plus tard, et que j’avais ressuscité, le monde suivant me refusant l’accès parce que ma quête semblait inachevée ? J’avais entendu des voix marines à travers la vase. Elles m’avaient chuchoté un millier de secrets qui avaient failli faire exploser mon crâne. Mais je les avais tous oubliés. Combien de déjà-vus, Thomas ? Bien trop pour pouvoir songer à les compter, et pourtant j’avais l’éternité pour le faire. « Parce que tu es parti sans moi. Et que ce jour-là, j’ai réalisé que je n’avais plus de rêves. Je ne voulais pas être une stupide princesse. Quand je serai grande je voudrai rester avec toi. Ici. » Mes dents se serrèrent, l’émail crissa et je tournai la tête pour ne plus la regarder, mais elle était partout. Ses doigts glissaient sur mes vêtements, ma peau, mes muscles, jusqu’à mes veines, mes os, mes pensées les plus obscures qu’elle effleura l’espace d’un instant comme on attirait un chat sauvage à la lisière d’une forêt, avant qu’il ne s’enfuit de nouveau à travers la végétation hostile. Son toucher, son parfum, le son de sa voix, tout avait un sens nouveau que je ne voulais pas entendre. Elle se crispait et se détendait en même temps, incapable de lâcher prise d’une manière ou d’une autre. « Je ne peux pas bouger. » Je reportai mon regard sur elle et le plongeai dans le sien dont les éclats lumineux vacillaient sous la faiblesse. Elle observa ses membres tremblant, résignée, et je ne sus quoi faire à part la regarder se figer. Je basculai légèrement sur le côté pour lui faire face mais elle n’avait plus besoin de moi pour reprendre confiance en elle : les mots se déversaient de ses lèvres sans aucune retenue. « Tu n’es pas comme les autres. Tu n’as pas besoin de me voir comme ça pour comprendre que je suis pathétique. Tu ne sais déjà. Ne me fais pas partir Tomtom. Je ne sais plus où aller. » Des battements de cœurs résonnaient dans l’espace mais j’ignorais s’il s’agissait des miens ou des siens. Les miens étaient essoufflés, manquant parfois la pulsation comme un orchestre déchiffrant pour la millième fois une partition pourtant évidente. Les siens étaient rapides, tentant en vain de briser la carapace qui glaçait ses membres, l’empêchant de bouger. Elle se redressa pour enfin plonger vers mon visage comme un oiseau qui fendait l’air pour défier la pesanteur et qui retombait une fois que le soleil l’avait ébloui de sa lumière. Elle chercha mes lèvres et les trouva sans peine, bleutées et sèches, au goût de drogue et de tabac, celles-là même qui sifflaient des mots cyniques à son intention depuis qu’elle était née, celles-là même qu’elle avait vu sourire mille fois avant de se rendre compte que j’étais heureux et triste de manière identique, empreint d’une froideur semblable quel que soit le sentiment, celles-là même qu’elle voulait étouffer ce soir de sa résignation : nous pouvons être beaux, Tomtom, semblait-elle vouloir me faire comprendre par ce baiser qu’elle me volait, qu’elle méritait quelque part au fond d’elle car elle y avait cru assez longtemps pour le rendre réel, fabriquant des souvenirs plus joviaux au-dessus de ceux que j’avais cassé en claquant la porte, à la fin d’un mois d’août qu’elle qualifiait de pluvieux et de mesquin. Une seconde passa peut-être, suivie d’une autre, de plusieurs autres, et mes mains malades, blêmes, striées de cicatrices à peine refermées, ces mains qui trahissaient toute la haine que j’éprouvais pour moi-même – car j’avais cette fois le temps de le faire – ces mains-là remontèrent jusqu’à ses cheveux et mes doigts s’y perdirent avant de rencontrer la courbe de sa nuque, raffermissant ainsi la prise que nous avions mutuellement sur l’autre,  prolongeant un instant qui n’aurait jamais dû exister car il nous faisait un peu trop vivre et que c’était devenu interdit dans notre monde d’apparences et de faux-semblants. Elle s’appliquait à vouloir contrôler le moindre de mes gestes mais je n’eus aucune peine à me redresser, sans la lâcher, sans même songer à mettre un terme à ce baiser qu’elle ne me volait plus, que je lui donnais parce qu'il n’avait aucune valeur et qu’elle parvenait étrangement à me faire ressentir quelque chose. Mes gestes étaient peut-être trop frénétiques, trop fébriles, trop surpris d’y prendre un plaisir insoupçonné, mais je m’abandonnais à son monde d’espoirs vains car la mélodie y était accueillante et qu’elle ne me laissait plus parler. Elle ne m’avait jamais dit qu’elle m’aimait. Comme un frère, oui, certes, mais pas comme un amant. Je le savais, je le devinais sans peine, et pourtant cela me surprenait toujours car elle conjuguait avec moi à la fois la complicité infinie, née d’une vie entière passée côte à côte, et la timidité, craignant mes refus et ma colère comme jamais personne n’avait pu le faire avant elle. Elle avait peur de moi. Elle venait de briser un équilibre fragile et nous en profitions tous les deux avant d’être rappelés à la réalité morose : elle était Elsa et j’étais Tom. Nous n’étions pas faits l’un pour l’autre car je brisais d’un seul coup la moindre notion de destin et toutes ses illusions d’enfant qui auraient dû disparaître au fil du temps mais qu’elle gardait comme de vieilles photographies truquées au fond de sa mémoire.

Et puis, plus rien. Ma main gauche gagna sa joue chaude, s’y égara un instant, puis se glissa entre nos lèvres et serra les siennes avec application, couvrant aussi les racines de sa mâchoire. Et mon regard noircit immédiatement, la fixant sans ciller avec ce mépris que j’avais pour ceux qui agissaient sans réfléchir ni penser aux conséquences. Je retins mon souffle, la réduisant au silence car ma main crispée l’empêchait de s’exprimer. Elle ne voulait de toute façon rien dire tant mes prunelles la glaçaient sur place, pleines d’une colère qui grimpait partout en moi et que je ne manifestai qu’en une phrase sèche et sans appel : « Ne refais plus jamais ça. » Ce ne fut qu’à cet instant que je la libérai de mon emprise, la rejetant sur le lit avec toute la force qui me restait, puis je me levai et me dirigeai vers la salle de bain, mes mains tremblantes parcourant les murs à la recherche d’un interrupteur dont j’avais oublié l’emplacement. Je finis par le retrouver à tâtons et m’enfermai dans la pièce aux murs trop blancs pour mon esprit. La lumière aveugla mes yeux habitués à l’obscurité d’une nouvelle insomnie qui n’en finissait pas. Mes doigts s’agrippèrent à la porcelaine du lavabo et je soufflai lentement tout l’air qu’il me restait dans les poumons, tentant avec difficulté de garder mon calme et ma concentration. Mes yeux rencontrèrent un nouveau flacon orangé, rempli d’antidépresseurs, et je l’ouvris d’un geste sec et tremblant, le vidant au creux de ma paume et fermant le poing pour écraser les cachets. Certains se fendirent, d’autres glissèrent et tombèrent dans le trou, mais bientôt une poudre blanche forma une pellicule farineuse sur mes phalanges et mes rides, les restes des échecs de la médecine sur mon corps condamné. Vous me dites que j’irai mieux en me vendant de la drogue ? Vous ne comprenez rien à l’essence des sentiments humains. Vous êtes des charlatans, des menteurs et des hypocrites. Je soupirai, arquant mon dos en avant car les nausées n’étaient jamais loin, même avec le ventre vide. Vous avez trouvé un médicament contre le cynisme, l’échec et la connerie ? J’attends l’ordonnance avec impatience. Je grognai des jurons que je peinais moi-même à entendre car tout cela n’avait plus aucun sens. Passant de l’eau sur ma main, je fronçai les sourcils comme pour retenir des larmes qui ne viendraient de toute façon jamais. Puis je fis volte-face et poussai la porte de la salle de bain pour me placer en son seuil, le regard rivé sur Elsa, le sang bouillonnant de dédain et de déni. Il suffisait de me percer les veines pour que tout s’arrête. Il suffisait de me faire saigner pour que je me rende compte que j’avais mal. Mais Elsa en était incapable. Je t’aurais brisée si tu m’avais suivi. Tu seras morte de douleur et de désillusion. Tu serais une carcasse, incapable de m’aimer. Mon souffle fut la seule chose que j’entendis durant les secondes vides qui suivirent mes pensées torturées. Puis je parlai comme si mes mots étaient forgés dans la roche d’une montagne au sommet dominant et aux pentes escarpées, infranchissables pour ceux qui ne savaient pas voler : « Ne me reproche pas de t’avoir laissée. C’est faux et tu le sais. » Je m’avançai finalement, mon corps maigre se dressant au-dessus d’elle en gardant mes distance. J’écartai les bras avec sarcasme. « Tu veux que je te dise que tu as raison, pour une fois ? » Je serrai les poings, haussai les épaules et relâchai le tout. « Tu as raison. Je te trouve pathétique. Je préférerais te voir réaliser tes rêves car je ne te les ai pas volés. Je préférerais te voir libre, en bonne santé, heureuse et amoureuse, mais tu n’en es pas capable. » L’eau perla au bout de mes doigts et j’imaginai qu’il s’agissait du sang coulant de mes poignets, car j’allais finir par me trancher les veines pour m’empêcher de dire un mot de plus. En vain. « Tu veux rester ? Reste. L’espérance de vie s’élève à un peu plus de quarante ans entre ces quatre murs. Profite bien des quinze années qu’il te reste parce qu’elles passent vite, surtout quand on est malade. » Et puis je vacillai, tout simplement, reculant pour rencontre le mur et glisser jusqu’au sol, me recroquevillant sous le poids de la douleur, de la fatigue et de ces mots que j’avais peur de penser pour de vrai, me répétant inlassablement dans la tête qu’ils n’étaient que le fruit de ma colère alors que je savais pertinemment que j’étais divisé et qu’une part de moi était terriblement sincère. Mon crâne tinta contre le mur lorsque je relevai la tête haletant, cherchant à respirer un oxygène qui manquait cruellement dans cette demeure souillée. Il me fallut une bonne poignée de secondes avant que mon cœur ne puisse reprendre un rythme plus calme et que mes poumons perforés réapprennent à accueillir l’air que j’aspirais. J’étais à bout de souffle et, dans un grognement à la fois dédaigneux et consterné, je prononçai ma conclusion morose : « Je ne veux pas que tu assistes à ça, Elsa. » Et, par ça,  j’entendais mon agonie ralentie, étirée, malmenée mais bien réelle. Par ça, j’entendais la fugue de mon esprit et la décomposition d’un corps que l’on croyait vivant mais qui était mort, en vérité. Par ça, j’entendais la victoire de mon cynisme noir sur tout ce qui existait en ce monde, parce que je l’avais trop vu, que le spectacle me lassait avant la fin et qu’Elsa faisait indéniablement partie de ce décor morose qui ne parvenait pas à me faire relever la tête, ne serait-ce que pour apprécier le jeu des acteurs jugés trop pathétiques dans le tribunal de ma pensée.
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() message posté Mar 1 Mar 2016 - 15:08 par Invité

“You are terrifying and strange and beautiful. Something not everyone knows how to love.”   Je me redressai sur le matelas. Mes jambes se pliaient contre les rebords tranchants d'un espace que je n'arrivais jamais à occuper complètement. J'étais lasse d'exister en synergie avec la maladie. Il n'y avait aucun point de repère, aucune solution miracle. Je ne tenais pas en équilibre. J'étais seulement brisée. Mon expression se tordait dans la pénombre de la chambre alors que je tentais d'absorber le silence. Thomas ne dormait plus. Et je le rejoignais dans son antre majestueux. Nous étions enfin ensemble, tel que je l'avais toujours dessiné sur les pages de mes cahiers d'écolière. Il était si près et pourtant, il ne m'appartenait jamais. Je crispai la mâchoire en le regardant avec affection. C'était donc ça. Il n'attendait rien de moi. Il n'attendait rien de personne. Je frissonnai sous les draps, puis je me hâtai de rire pour ne pas ressentir le besoin de pleurer. Je laissais échapper les éclats d'une jovialité transcendante. Je soufflais et je m'épandais sur son visage avec une légèreté illusoire. J'étais une petite fille émotive. Les mots m'avaient toujours manqué. Je n'en voulais pas. Je n'en voyais pas l'intérêt. Je préférais le toucher délicat et les gestes de tendresse. « Tu t’attends à ce que je te crois ?» Je me retournais lentement. C'était étrange de parler de Danny à cette heure aussi tardive. Je ne la détestais pas de manière formelle. Je n'aimais pas son aura, sa présence et les ombres obscures qui encerclaient son regard malicieux. On disait des amis qu'ils étaient sincères mais, en réalité, c'était les ennemis qui parlaient avec le cœur. C'était moi, à chaque rencontre, lorsque je croisais la silhouette élancée de cette fille venue d'ailleurs. Je ne comprenais pas l'attention que Thomas lui accordait. Je n'acceptais pas le temps qu'il passait en sa compagnie, car c'était du temps en moins. Des heures durant lesquels, j'avais l'impression de le perdre. Je redressai la tête. Je plissai les yeux et rajustai ma frange avec désinvolture. Je ne voulais pas lui répondre. Les blâmes ne feraient qu'appesantir l'ambiance morose de la nuit. Je n'avais pas l’énergie suffisante pour énoncer des vérités absurdes. Sa question aurait pu être rhétorique. Elle aurait pu amorcer mes sentiments et me donner l'illusion d'une puissance vicieuse. Mais je n'en voulais pas. Je ne voulais plus cracher mon venin car j’espérais qu'en le gardant dans mon système, il suffirait à me conduire vers l'apathie. Le sommeil pouvait me transporter et brûler mes organes jusqu'au dernier. Sans retour. Sans mesure. « Non, je réfléchis, figure-toi. » Je souris, le regard vitreux, la bouche crispée dans une expression rigide. Mes muscles étaient paralysés par le froid. Par la sensation de faiblesse qui creusait ses sillons jusqu'aux tréfonds de mon cœur. L'obscurité drapait mes blessures avant de me faire chavirer comme un navire sans voiles vers des horizons orageux. Je tendis les bras en gardant une position prostrée. Mes phalanges crissaient les unes contres les autres, feignant le tintement métallique de ces ustensiles de cuisine qui claquaient inlassablement contre les parois du placard. Je me redressai en grelottant. Thomas me fixait avec son beau regard d'acier. Il ne disait rien mais j’entendais ses soupirs dans la lumière de ses yeux. Je m'accrochais à son torse de pierre. J'effleurais ses mystères immondes et ses souvenirs biaisés par une douleur qu'il ne pensait jamais ressentir. Le deuil de William était marqué sur sa peau comme les traces d'une longue mutilation. Il se faisait du mal. Il se noyait au fond de la rivière en croyant que les gifles du vent étaient les étreintes divines d'une nature qui l'avait mise au monde. Il se trompait. Il n'était le fils de personne. Je l'avais vu se rouler dans la boue, aliéné par le chagrin. Je l'avais entendu hurler à la lune. Toute la ville l'avait entendu. Le loup solitaire avait le pouvoir magique d'attirer les autres. Les feuilles jaunes de l'automne craquaient sous les semelles des chaussures et les plumes des aigles oscillaient dans le vent. Tu sais, il y a pas de logique. C'est presque superstitieux de vivre. J'imposais un reflet doré dans ses pensées. Je m'imposais devant lui car la connexion entre ma raison et mes sentiments venait brusquement de se rompre. J'en avais toujours rêvé. De cet instant. Du contact de ses lèvres sur ma bouche. De mon souffle saccadé, se bousculant dans ma gorge comme une tempête d'hiver. Je pensais que mon cœur était en accord avec ma pensée, et que malgré toutes les failles, je pouvais exister en harmonie avec l'univers de Thomas. Il portait sa couronne ténébreuse et je filais entre les arabesques de sa chevelure noire comme un rayon de soleil qui s'était égaré loin du ciel. Je n'aurais pas dû. Je ne devais pas. Les larmes perlaient au bord de mes yeux avec une force solide. Je ne pleurais pas des gouttes d'amertume. Non. Mon âme s'effondrait. Elle se décomposait derrière mes paupières et saignait à travers mes rétines rougeoyantes. Ce baiser s'était envolé. Comme un oiseau. Comme une chimère. Comme mes doigts pressés contre sa poitrine. Je ne supportais plus sa proximité. Son amour me tuait car ce n'était pas un sentiment. Il était impur et cruel. Thomas représentait le complexe inhumain de ces esprits surélevés par une grâce ostentatoire. Il avait trop observé les danses des farfadets et les mouvements de l'eau à la surface de la rivière. Il en avait oublié l'émotion. Il m'avait oublié pendant un fragment de secondes. Je n'étais plus sa petite sœur. Je n'étais qu'une autre parmi les autres. Une femme. Une vraie femme. Ses doigts se perdaient dans ma nuque. Il m'embrassait en retour. Il m'embrassait lâchement avant de me rejeter avec toute la véhémence inhérente à ma passion. J'étais de nouveau seule, capable de ressentir toutes les émotions que je cultivais avec une inconscience rigoureuse. Il m'avait bousculé et je m'en fichais complètement. L'acidité de sa salive roulait dans ma gorge, elle glissait dans mon œsophage comme lampée d'alcool gluante. Il m'avait toujours possédé et ce soir, j'étais enfin contaminée. Sa maladie rongeait mes entrailles avant d'enlacer les signes de mon Parkinson et de former une nouvelle entité virulente. Je trésailles. Ses doigts ondulaient autour de mes lèvres afin de taire mes divagations. Je lui adressai un regard poignant, saturé de tristesse et de désillusions. J'avais peur mais je ne cillai pas. Je ne dévoilais plus mon émoi car ce dernier échappait à mon contrôle. Je n'étais plus sûre de pouvoir justifier mes tremblements. Ma bouche se pressait contre sa paume brûlante, enfermée dans une prise qui se voulait violente mais qui manquait cruellement de souplesse. Thomas était fragile. Il possédait un cynisme mordant et un esprit aiguisé. Mais physiquement, il était complètement dépouillé. Il souffrait et je ne pouvais rien faire pour l'aider. « Ne refais plus jamais ça.» Je me recroquevillais sur mon coussin, asservie par l'injustice de nos rencontres devenues encore plus douloureuses que les absences. Thomas vacilla entre les murs. Il se réfugia dans la salle de bain, et si j'en avais le courage, j'aurais rampé sur le carrelage pour m'accrocher à ses langues jambes d'acier. Je l'aurais supplié de rester. Je me serais excusée d'avoir manqué de tact, de respect et de discernement. Je l'avais imaginé un million de fois. Je l'avais toujours embrassé et je l'embrassais encore, à cet instant, alors qu'il s'était évanouit comme une nuée de poussière derrière la porte. Le premier baiser était un effleurement de lèvres entre deux roses délicates, la première se muait sous la brise et la seconde poussait un long soupir de soulagement quinté par un gémissement voluptueux. Mais Thomas était une épine tranchante. Il me faisait du mal. Je fermai les poings en me tortillant jusqu'au sol. Il avait peut-être raison. Je mentais. J'étais capable d'éprouver de la haine. C'était un sentiment que je n'assumais pas. L'aversion coulait dans mes veines alors que mes genoux froissaient les pans de ma robe. La rage foudroyait mon esprit, symbolisée par les mouvements frénétiques de mes lèvres sur sa peau glacée. Je me détestais. Je me détestais bien plus que je ne pouvais l'aimer. Alors, même s'il revenait, je ne bougeais pas. Même s'il était là, sous mes yeux, le corps flétri et l'âme rongée par la colère, je n'esquissais pas le moindre geste à son égard. Ce n'était pas un rejet de lui. C'était un rejet de moi, en tant qu'être fragile et désabusé par la vie. Moi, la parkinsonienne précoce. Je percevais toutes ses pensées, le déni torturé qu'il dirigeait injustement contre un baiser volé dans une impulsion médicale. Il s'avança d'un pas assuré et je restai lasse, les membres courbées vers une image fixe. Un point noir sur son front qui semblait se détacher de sa frange goudronneuse. «  Ne me reproche pas de t’avoir laissée. C’est faux et tu le sais.» Déclara-t-il en surplombant ma tête. Ce n'était pas très difficile de me prendre de haut. J'avais abandonné. J'étais à terre et je ne comptais plus me relever avant l'aube. « Tu veux que je te dise que tu as raison, pour une fois ?   Tu as raison. Je te trouve pathétique. Je préférerais te voir réaliser tes rêves car je ne te les ai pas volés. Je préférerais te voir libre, en bonne santé, heureuse et amoureuse, mais tu n’en es pas capable.  » J'étais silencieuse, le souffle happé par son assiduité. Je pensais défaillir. Je croyais qu'il pouvait m'achever, mais au lieu de cela, je laissai échapper un rire minable. Je clignai des yeux dans sa direction. « Je suis heureuse d'avoir raison. Il m'en faut si peu, si tu savais. Tu n'as pas volé mes rêves,Tom. C'est toi mes rêves et c'est ma lâcheté qui m'a tout pris. Je ne t'en veux pas d'être parti. Jamais je ne t'aurais empêché de poursuivre tes études. J'ai grandi maintenant, je ne peux pas t'en vouloir pour une raison aussi stupide ! Je t'en veux de m'avoir fait croire que tu resterais avec moi. Je m'en veux parce que je t'ai attendu. » Grinçai-je en secouant légèrement les bras. Je l'avais attendu. J'avais attendu mon père. Je pensais qu'il était parti par ma faute. Ils partaient tous par ma faute. Je fronçai les sourcils en suffoquant. Le port de ma tête était instable mais je tentais de rester digne, au moins le temps d'une confrontation nocturne. Les perles d'eau glissaient sur ses longs doigts avant d’égoutter l'essence de son âme sur le sol, tout près de mon visage blanchâtre. Mon sourire commençait à s'effacer mais je gardais son expression au bord des yeux. Je souriais dans un battement de cils et je m'évanouissais de la même manière. Pensait-il être le seul à transfigurer les contraires ? Je pouvais l'aimer et le mépriser avec le même degré d'attachement. Je le faisais depuis des années. «  Tu veux rester ? Reste. L’espérance de vie s’élève à un peu plus de quarante ans entre ces quatre murs. Profite bien des quinze années qu’il te reste parce qu’elles passent vite, surtout quand on est malade.» Quinze années ? Il était bien plus généreux que la plupart des médecins. Nous étions malades mais le mal que je portais possédait un caractère fulgurant. Je mourrais bien avant lui. Et que fera-t-il le moment venu? Plonger dans la rivière pour que ses larmes se mélangent à la vase ? Trouver une lagune irisée pour noyer son humanité ? Ce serait un terrible hommage. Je m'attendais à une crise de névrose au milieu d'un champ de fleurs, et pour lui faciliter la tâche, j'étais prête à prolonger mon agonie jusqu'à l'été prochain. Il aura moins froid si l'envie d'enlever ses chaussures lui prend à nouveau. Thomas chancela afin de retrouver la froideur du mur. Sa silhouette glissa vers le sol, se rangeant au même niveau que les vibrations de mon bassin. « Je ne veux pas que tu assistes à ça, Elsa.» Je le fixais sans parvenir à enlacer son haleine. Il y avait ce vide intercalaire entre l'enfance et l'âge adulte. J'avais l'impression d'avoir subitement grandi. J'agitai le poignet vers sa mâchoire, mais il était trop loin. Il était toujours trop loin. Je m'assis maladroitement de l'autre côté de la pièce. « Alors ne le fais pas. Arrête s'il te plaît. Tu n'es pas malade. Tu te rend malade. Arrête ça. » Et par ça, je redéfinissais les limites. Je lui avouais ses propres secrets. Je savais tout. Je voyais tout. L'ennui, l'addiction, le tabac, l'anorexie et parfois même la drogue. «Je comprend. Je te comprendrais toujours, mais tu ne pas mourir dans quinze ans pour accomplir une prophétie que tu as crée de toute pièce. Tu n'es pas supposé souffrir. Tu ne peux pas avoir peur des gens que tu aimes. Je veux que tu sois heureux, pas amoureux parce que j'ai des principes, mais je le veux vraiment. C'est ma condition pour cesser de t'aimer. C'est bien pensé. Je gagne à tous les coups.» Les notions se confondaient toujours, mais quelque soient ses résolutions, il ne pouvait pas éternellement renier sa condition. S'il était abîmé, c'est qu'il était doté d'un vrai cœur. Le phénix renaissait de ses cendres, dans son intégralité. Il n'y avait pas un seul organe qui mourrait en lui. Thomas revenait des flammes avec son mépris et son dédain. Mais ce derniers n'étaient que des camouflages pour la chair palpitante à l'intérieur. Je le voyais. J'y croyais. Et ma foi était inébranlable.
 
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