"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici I'm coming home ( Elmas )  2979874845 I'm coming home ( Elmas )  1973890357
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I'm coming home ( Elmas )

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() message posté Sam 13 Juin 2015 - 23:55 par Invité

“How long will I want you ? As long as you want me to, and longer by far.”   Un souvenir surgit brutalement, illuminant mon esprit l’espace de quelques secondes ; je vis Thomas assis à table la veille de son grand départ à Londres. Son visage était creusé par la fatigue alors que j’observais sa mâchoire trembler, probablement indignée par les vapeurs fumantes de la nourriture qui lui rappelaient trop la cigarette sans lui apporter la même délectation. J’avais tout à coup cessé de manger et de boire lorsqu’il s’était redressé. Mon cœur était abîmé par des pensées profondes que ses yeux sombres ne pouvaient voir. Il ne me voyait jamais de toute façon. Je respirais difficilement, incapable d’échapper à ce sentiment terrible de gravité. Il partait de la maison. Il allait me quitter afin de suivre les voies de la solitude telles qu’il avait toujours rêvé de les explorer. Diane m’avait expliqué qu’il était temps pour lui de réaliser de grandes choses. Elle m’avait dit qu’il devait poursuivre ses études et que je devais me concentrer sur mes propres aspirations pour devenir moi-même quelqu’un d’important, mais je refusais de l’écouter. Je crispais mes doigts sur les pans de ma robe avant de me lever. J’avais l’impression d’émerger d’un flot infini de déceptions. Je le voyais s’éloigner en silence, comme s’il était tout à fait normal pour lui de se passer de ma présence. idiot ! Je te déteste tellement. Encore une fois, les flots qui m’avaient rejeté sur le rivage m’emportèrent au loin. Je me retrouvais dans le couloir sombre de l’étage. J’effleurais les crépis des murs, mais déjà mon envie de le retrouver avait faibli. Il s’entourait de cette force maléfique et inépuisable avant de disparaitre derrière cette porte et cette inscription glaciale; "ne pas déranger".  « Tomtom ? » Sifflai-je, indécise. Il demeurait imperturbable dans son château de pierre et je frémis d’effroi. « Emmène-moi avec toi. » Le suppliai-je au bord des larmes. Les fluctuations de ma voix tremblante raisonnaient en écho au creux de ma tête alors que je revenais à moi, mettant un terme à ce comte de fée révolu.  En réalité, je ne voulais plus lever les voiles qui enveloppaient mes sentiments. Je ne voulais plus m’avouer que j’étais attachée à Thomas, même si je lui appartenais comme une petite figurine de jeu d’échec. Il y en avait trente-deux comme moi, de couleurs et de formes différentes et pourtant, je me recomposais toujours dans ses parties interminables. Je tombais afin de protéger la vraie reine. Je soupirai en sortant de la gare. Mon esprit flottait autour des bruits, de l’agitation et des soupirs de la foule de voyageurs pressés. Ils ne me voyaient pas. Je n’étais qu’un fantôme blanc perdu au milieu de la pièce. Je tirais ma valise avec difficulté et je marchais avec nonchalance. Mon poignet gauche me faisait énormément souffrir. Putain de dystonie !  Je crispai la bouche en me traînant vers la rue. Je voulais ignorer les tiraillements de mes muscles mais comme à chaque fois, une impression atroce de vide et de silence précédait l’effondrement de mes idéaux. Le parkinson précoce était semblable à une douce mélodie funeste qui faisait vibrer mes sens avant de disparaitre dans un coin reculé de mon cerveau. Je poussais encore et encore, jusqu’à ce que mes doigts s’empourprent et que la douleur finisse par se verser dans l’ambiance morose de la ville. Je ne pouvais pas nier que tous ces ébranlements successifs m’avaient apporté quelque chose de nouveau: un certain isolement, un peu plus de liberté, une perte de toute attache et une envie presque fatale de cesser d’exister de manière dérisoire. Tomtom, emmène-moi avec toi … Je souris en relevant ma tête vers le soleil majestueux. J’entendais encore sa promesse filtrer à travers les voussures du ciel lorsqu’il m’avait répondu qu’il me prendrait avec lui partout ailleurs. Menteur !  Quel genre d’homme mentirait à une enfant ? J’haussai les épaules avant de prendre un taxi.  D’un point de vue purement objectif, les insignes lumineux et les façades des bâtiments gris semblaient engagés dans un processus de déclin perpétuel qui m’éloignait de plus en plus de mes fantasmes de princesse. Mais cette fois-ci, j’acceptais facilement la désillusion. Je me penchais sur la fenêtre en pensant à ma dernière altercation avec Thomas. J’avais mal vécu l’enterrement de William et j’avais déversé tout mon chagrin sur lui. C’était ma faute. Je le blessais toujours sans m’en rendre compte ; tout d’abord parce que j’existais dans son univers sobre et malsain, ensuite parce que je m’imposais malgré son refus constant et enfin parce que je l’aimais au-delà de la raison. Je m’étais construit un refuge entre ses pensées méprisantes et ascétiques parce que j’étais idiote par nature. Je fis la moue pendant quelques secondes avant de me redresser soudainement. J'avais reconnu tout de suite son immeuble lorsqu’on était arrivés à Shoreditch. Ma poitrine se serra alors que je sommais le chauffeur de s’arrêter un peu plus bas sur la chaussée. Je sentais la solitude absolue s’infiltrer sous ma peau. La même chose se reproduisait toujours ; je le retrouvais et il s’évanouissait entre mes doigts comme une trainée de poussière céleste. Je papillonnai des yeux avant de m’arrêter devant le miroir de l’ascenseur. Je rajustai mes cheveux d’un geste lent et appliqué. C’était peut-être  stupide mais je m’adonnais à ce genre de routine afin de détendre mes nerfs au bord de l’explosion. Si je suis assez jolie, peut-être qu’il sera moi méchant cette fois. Je longeai le couloir avec hésitation. J’étais parfaitement consciente que ces voies que j’empruntais me conduisaient vers des contrées où l’air se faisait de plus en plus rare. Je revoyais les fumées opaques de ses cigarettes, et je songeais que si les poisons de la nicotine finissaient par le tuer, je préférais les respirer afin de partager à la fois tous ses fardeaux et tous ses plaisirs.  Je ne parlais pas d’amour. Ma dévotion à l’égard de cette bête sauvage et effarouchée était un exercice spirituel complet ; une vraie torture, un engouement étrange, des confrontations successives  et une angoisse terrible de succomber. Je me postai devant la porte avant de frapper trois coups secs.  Je rajustai les plis de ma veste puis je levai la main lorsqu’il ouvrit la porte. « Coucou professeur. » Commençai-je en souriant. Je m’avançai pour déposer mes lèvres frémissantes sur ses joues.  « J’ai appris une phrase en français rien que pour toi. » Raillai-je en me lovant furtivement contre lui. L’odeur du tabac était étouffante mais je ne pouvais penser à une meilleure façon de quitter ce monde ; asphyxiée par une étreinte non désirée. Je gloussai légèrement en m’éloignant de lui. .  « Vou-lez vous couchééé avec moi cette soirrrr ? » Je lui tirai la langue d’un air enjouée.  « Alors qu’est-ce que tu en dis ? » Je passai ma main dans ma frange en faisant quelques pas dans l’entrée.   « Tu peux faire entrer ma valise s’il te plait ?   » Je battis des cils d'un air innocent avant d'épier les coins de son studio vide.
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() message posté Mar 16 Juin 2015 - 0:47 par Invité
Je grattai l’encre qui tachait le bureau du bout de mes oncles trop longs. Ils étaient sales, eux aussi. Tom, tu continueras pas les conneries très longtemps, tu le sais. Je sifflai sèchement pour intimer à cette terrible voix intérieure de se taire. Mais plus les jours passaient et plus elle se faisait insistante. Ta noirceur, ouais, attends, arrête de jouer le poète désabusé et commence à imaginer deux secondes que t’es simplement humain et que tu vas crever. Que ce n’est qu’une question de jours si tu continues ainsi. Je soufflai la fumée de ma cigarette, la tête posée contre mon avant-bras, sur la table. Je n’avais envie de rien et la voix me parlait parce que je la laissais tuer mon ennui, au risque de perdre la tête. Va manger, Tom. Je sens ta faiblesse courir le long de tes membres. Je sens ton sang malade prier pour que tu l’aides à couler dans tes veines. N’as-tu donc pas honte ? Je n’avais pas honte. Ce qui me concernait ne regardait que moi. Je passai une main sur ma poitrine et remarquai le creux que créait l’extrémité de mes côtes et le haut de mon bassin. Mon ventre était un abîme. Mes chemises étaient devenues trop grandes. Je flottai à l’intérieur, comme enveloppé dans la voile d’un bateau qui avait fait naufrage et dont l’épave voguait à présent sans but vers des terres inconnues, des landes perdues dans le brouillard. Je reculai ma chaise en un bruit désagréable et me levai pour venir me planter au centre de la pièce. Je tanguais. La métaphore maritime ne s’arrêterait-elle donc jamais ? Je me laissai glisser vers le lit et m’y installai, habillé, en position fœtale. Va manger, Tom. Putain. T’es tellement con. Je fermai les yeux et serrai les dents. Un problème à la fois, et je voulais dormir. J’en avais perdu la notion du temps. Incapable de me souvenir de l’heure qu’il était. Va manger. J’avais envie de pleurer. La douleur était insupportable. Je finis par réussir à me soulever avec peine et restai immobile, les bras tendus, avant de me redresser et de me remettre debout. Je chancelai vers la cuisine. Pas de vodka. Pas de café. Mange, sérieusement, mange. J’ouvris la porte du réfrigérateur et frissonnai alors que le froid rencontrait ma peau. J’étais si fébrile. J’attrapai un yaourt du bout des doigts. Oublie pas la cuillère. Je grognai que j’avais compris, comme un gamin se faisant sermonner par ses parents. Sauf que j’étais seul ici. Mon portable vibra et je jetai un coup d’œil au séjour, sans pour autant aller décrocher. Je m’y repris à plusieurs fois avant de réussir à ouvrir le yaourt puis plongeai dedans la première cuillère qui avait rencontré la paume de ma main lorsque celle-ci avait tâtonné près de l’évier. Je le mangeai lentement, sans le savourer. Il n’avait aucun goût et je peinai à le finir. Cela n’avait aucun sens. C’est toi qui n’as aucun sens. C’est toi qui nous emmerde tous. T’as qu’à mettre du sucre. Mon portable vibra de nouveau après quelques minutes et je laissai le pot de yaourt vide sur le plan de travail pour m’approcher de mon bureau. Je posai mes yeux sombres sur l’écran. C’était ma mère. Je ne réagis pas tout de suite. J’étais allé la voir. Arrête de m’emmerder, Diane, songeai-je en raccrochant. Je mis le mode avion et le dissimulai dans la poche de mon manteau. Puis je me rassis sur la chaise et repris ma position initiale. On aurait presque pu croire que je faisais semblant de dormir. Je lâchai ma cigarette et elle tomba sur le sol. Je l’écrasai et sentis qu’elle trouait ma chaussette pour venir me mordre le talon. Je n’y prêtai pas attention.

Trois coups sur la porte me tirèrent de ma torpeur et je me levai difficilement pour m’approcher de l’entrée. Je me moquais de l’identité de celui qui osait s’aventurer sur mon pallier. Il n’y était pas le bienvenu et ne le serait jamais. Je n’étais plus sociable. J’avais troqué ma gentillesse et je souffrais terriblement. Je voulais être seul. Mes doigts fragiles et tremblants glissèrent sur la poignet et j’ouvris après avoir déverrouillé. Mon regard parcourut le couloir avant de tomber sur une silhouette fine et souriante que j’aurais reconnu entre mille. Et cela m’énerva instantanément. J’ignorais s’il s’agissait de son sourire rayonnant, de sa main qu’elle agitait devant mon nez pour me saluer ou le simple fait que je ne me sois pas attendu à sa présence, mais j’eus envie de lui claquer la porte au nez et d’oublier cet instant. « Coucou professeur. » Et ces simples mots me firent hésiter fatalement. J’étais probablement trop estomaqué pour réagir et je la laissai se mettre sur la pointe des pieds pour venir déposer un baiser sur mes joues. « J’ai appris une phrase en français rien que pour toi. » Elle était toujours la même. Elle se blottit contre moi et je n’esquissai pas le moindre geste. Je restai de marbre, si ce n’est mon visage qui se baissa, interdit et perplexe, plongeant malgré moi mon nez dans ses cheveux d’or. Elle sentait la campagne. Elle sentait Glastonbury  et l’odeur acide des champs. Elle avait traîné dans la rivière il y a peu, je pouvais dénicher le parfum limpide de l’eau pour y avoir pénétré récemment. Elle desserra son étreinte et rit de son rire cristallin et espiègle, comme le miaulement discret d’un chat. « Vou-lez vous couchééé avec moi cette soirrrr ? » Elle me tira la langue mais je restai impassible. Elle était déjà sur le seuil de la porte, c’était impossible de la faire reculer à présent. « Alors qu’est-ce que tu en dis ? » J’ouvris la bouche mais aucun son n’en sortit. Je n’en disais rien. Cette scène était parfaitement absurde. Elle fit quelques pas dans l’entrée et je fis de même, incapable de la quitter des yeux. Comme si elle n’était pas réelle, comme si l’on me faisait une blague ou que je m’étais finalement endormi contre la froideur de mon bureau. Mais ses gloussements étaient véritables. Son regard pétillant également. L’espoir qui siégeait à l’intérieur plus que jamais. « Tu peux faire entrer ma valise s’il te plait ? » Mon cœur eu un raté. Il n’était pas très opérationnel d’habitude et cette fois-ci il me fit terriblement mal. Je ne cillai pourtant pas et restai concentré sur elle. Sur elle.

Elsa St. Claire, il faudra combien d’enterrements de mon père pour que tu comprennes que je n’ai pas envie que tu traînes dans mes pattes ? Combien de départs pour Londres, combien de regards froids et de remarques désobligeantes ? Probablement beaucoup encore. Je me penchai au-dessus d’elle et plissai des yeux d’un air grave. « Nan. » Cette unique syllabe claqua dans l’air et elle me délivra. Je posai ma paume gauche contre le mur le plus proche pour me calmer. Mon bras tremblait et j’étais nerveux. « T’as rien à faire ici. » Je détournai le regard. Je ne voulais pas de ses yeux se bordant de larmes, de ses dents se serrant pour les empêcher de couler sur ses joues propres. Je ne voulais pas de ses caprices. Je n’étais pas en état. « T’en as pas marre de toujours squatter l’endroit où je vis ? » Je savais qu’elle dormait très – trop – souvent dans ma chambre lorsqu’elle était à Glastonbury. Je n’avais jamais compris pourquoi. Enfin si. Si, bien entendu. Ce que je ne comprenais pas, c’était son acharnement. Elle savait que cela me fatiguait plus que tout mais elle continuait. Peut-être qu’ainsi elle s’imaginait que je n’allais jamais l’oublier. Mais j’allais l’oublier un jour. J’allais me réveiller et ne plus la reconnaître, malgré ses souvenirs et ses comptines envoûtantes. Aujourd’hui je refusais qu’elle nous inflige cela. Elle n’avait pas le droit. Elle ne pouvait pas me voler le coin de liberté que j’avais encore. Liberté ? Tu te fous de la gueule de qui, Tom ? Mes doigts se crispèrent sur le mur et je finis par quitter l’entrée pour me diriger vers le salon, sans la regarder. Je me saisis de mes cigarettes et craquai une allumette, craignant un instant qu’elle ne s’éteigne. Finalement non et je fumai, les yeux rivés vers les livres qui couvraient le sol, près de mon matelas. « Tu parles mal le français. » ajoutai-je gratuitement. Elle ne le méritait pas. Elle avait simplement voulu me faire rire, me plaire derrière son masque souriant et espiègle, mais je considérais cela comme une frivolité passagère. Tu ne peux pas t’attacher à moi Elsa. Qu’est-ce que tu fous là, bordel ? Je me tournai finalement et plantai mes prunelles noires dans les siennes. J’étais en colère. Un courroux inexplicable et inexprimable car je voulais me retenir. Rester froid et blessant serait suffisant pour la faire déguerpir. Je déglutis et la toisai comme l’intrus qu’elle était, plantée au milieu de mon appartement. Et elle avait la main posée sur ce qu’il restait de mon mystère. Ne fais pas ça Elsa. Je savais pourquoi elle était là et c’était pour cette raison que je voulais qu’elle parte. Tu le regretteras si vite, ne le sais-tu donc pas ? Ne l’as-tu donc pas compris à chaque fois que je t’ai refusé l’accès à mon esprit ? Mes ténèbres ne s’accorderaient jamais avec sa lumière. Ils la dévoreraient en quelques secondes et je n’allais jamais pouvoir l’empêcher de souffrir. Je n’étais pas sûr d’en avoir la force. Je n’étais pas sûr d’en avoir envie.
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() message posté Jeu 18 Juin 2015 - 16:09 par Invité

“How long will I want you ? As long as you want me to, and longer by far.”   Je chassais toutes mes déceptions en observant son visage faible et émacié devant la porte. Je n’étais pas prête à le voir comme ça. Il me semblait si différent – si fugitif au milieu des galeries obscures dans lesquelles il trouvait souvent refuge. Mon sourire se crispa un instant, mais je ne perdais pas espoir. Je vais te dire un secret Tomtom ; je suis ta maison même lorsque je tombe en ruines et que je ne tiens plus debout. Je suis ta petite sœur même si tu vis sans attache et que tu t’obstines à être mieux que tout le monde. Ce soir, je rentre chez moi. Tu me repousses mais ce n’est pas grave. Je pressens l’étreinte de l’abandon, de la haine et de la mort mais je me souviens aussi de tous nos jeux d’enfants. Je me souviens de tout. Tu m’as façonné à l’image de ton pire cauchemar. Tu m’as appris à me contenter de si peu, à aimer outre mesure, à m’accrocher à la girandole de l’écume qui s’enfonce toujours au fond de la mer, alors je m’adonne comme pour la dernière fois au plaisir éphémère d’être tout simplement moi. Mes pensées oscillaient sans cesse entre le sentiment d’une perte irrémédiable et une sensation de joie sacrée.  La lumière poursuivait toujours les ombres vespérales de la nuit. Il ne parviendrait jamais à me voler ça, malgré toute la cruauté dont il pouvait faire preuve à mon égard. L’odeur écœurante du tabac s’enroulait suavement autour de ma mâchoire alors que je m’approchais de ses longues boucles majestueuses. Je l’embrassai délicatement avant de me rétracter.  Les inquiétudes de mon cœur en quête d’unité se mêlaient sensiblement à la folle innocence d’une gamine de la compagne. J’étais dénudée de toute logique mais mes raisons se plaçaient sous le règne de la passion, du sentiment et de la loyauté. L’esprit de l’amour que je connaissais de Thomas s’inclinait uniquement vers le gouffre obscur de la désillusion, mais telle une magnifique plume d’oiseau, il dansait, valsait et tournoyaient avec légèreté au fil du vent sauvage avant de rencontrer le sol goudronneux. C’était une chute dans l’inconscience du péril mais elle s’offrait à moi comme une belle chorégraphie au creux d’un rêve. Je flottais trop haut dans le ciel et cela ne faisait que rendre mon voyage spirituel plus dangereux. Je me redressai en ignorant les crampes musculaires qui tiraillaient mon bras gauche. Je renonçais à la douleur intense de la maladie comme un corps mourant aspirant à rejoindre les éléments primaires de la vie. Thomas était mon élément. C’était le feu. Le chant brûlant qui rallumait les brasiers du monde avant de m’enflammer complètement. Je n’étais pas stupide. Je savais. Je comprenais. Je réalisais toute l’ampleur des choses.  Les filets de fumée qui s’échappaient de ses cigarettes m’emporteraient au bord de la misère, cependant, je consentais à fixer cette forme aussi imparfaite soit-elle d’attachement pour un homme perdu sur les chemins de la philosophie. Il existait sans raison, et moi, je m’offrais à lui comme un fardeau dans l’unique but d’animer en lui l’envie de continuer, de détruire et de vivre.

Quelle obscure puissance porte Thomas Knickerbadger vers la rivière de notre enfance? Pourquoi succombait-il aux instincts des ombres pressées de l’envelopper? Tu es une proie déjà morte au monde, laisse-moi t’insuffler ma vie. Tu ne peux pas me protéger du suicide, et je ne peux pas te sauver sans aucune peine. Sa silhouette maigre se pencha vers moi d’un air grave. Je me renfrognais sous mes vêtements, tout à coup gênée par sa proximité. Il pouvait sonder mon âme, la pénétrer jusqu’au tréfonds de sa solitude. Je me sentais si petite devant lui. J’avais toujours le même âge ; celui du premier échec amoureux. Dis quelque chose. Vas-y dis-moi quelque chose … La plus beau témoignage de notre histoire était écrit en lettres écarlates sur les portes de l’enfer, sans aucun hommage d’émotion ou de fraîcheur. Je clignai des yeux en déglutissant. Il ne perdait jamais son éloquence, même lorsqu’il semblait dépérir de l’intérieur. « Nan. » Claqua-t-il froidement en s’accoudant au mur. Il se laissait aller aux tremblements et à l’indignation, tandis que je combattais les symptômes du Parkinson de toutes mes forces. Je pouvais aligner toute une théorie sur l’univers opaque, gluant et noir, qui nous séparait mais mes défauts d’insouciance inhibaient tous mes instincts de survie. J’étais une petite créature effarouchée qui refusait de quitter l’antre effrayante de son bourreau. « T’as rien à faire ici. »  Je le fixais longuement avant de sourire avec espièglerie. Réaction typique de sa part. Etrangement, je n’avais pas peur d’avoir mal. Je connaissais déjà les limites de ses paroles et celles de mon corps. Je me mordis la lèvre inférieure, comme une enfant qu’on venait de gronder, puis je me ressaisis pleine d’assurance et de jovialité. « Ce n’est pas grave. Je la prendrais toute seule quand je me serais un peu reposée. » Mes doigts étaient paralysés par les contractions effrénées de mes nerfs. Je fermai mon poing avant de gesticuler dans la pièce vide. Le studio de Thomas n’avait aucune identité, et pourtant il correspondait parfaitement à son locataire. Il regorgeait de manifestations de ses habitudes sales et défaitistes. Il n’y avait aucun meuble décoratif alors je frôlai lentement le bord du mur sur lequel il s’était éloigné puis je m’arrêtai à quelques centimètres de sa crinière ébouriffée. « T’en as pas marre de toujours squatter l’endroit où je vis ? » Etait-il possible d’approuver  la sainte et le débauché ? Je voulais joindre nos pôles opposés et retrouver un semblant de liberté entre les reliefs de son désespoir. Je nourrissais en moi la passion divine, bien sur que je pouvais approuver les actions du criminel et du débauché, mais l’inverse me semblait si impossible. Je lui tendais la main mais il refusait d’effleurer cette esquisse de paix que je voulais partager avec lui. Il avait raison. J’en avais parfois marre de squatter les endroits où il vivait, mais j’avais aussi l’impression que ses lieux de perdition étaient aussi les miens.  « Je ne sais pas. » Soufflai-je naïvement. William disait que j’avais le droit de venir à la maison. Je n’avais jamais pensé aux conséquences, je me précipitais dans le jardin et dans le salon des voisins naturellement. Ce n’était pas un geste calculé de ma part. J’avais une deuxième famille. J’avais un père, une autre mère et Thomas. Je n’étais peut-être pas aussi intelligente que lui. Mon esprit ne s’approfondissait pas dans les grands théorèmes de l’existence humaine, mais il n’était pas nécessaire d’être littéraire pour accéder à la dimension tragique de la souffrance ou du bonheur. J’avais pénétré la sphère étoilée sans m’en rendre compte. L’annonce de ma maladie m’avait complètement brisé. Je me sentais vouée à l’absolu sans pouvoir m’accommoder à ses principes. Il y arrivait lui. L’ennui fortifiait ses convictions et le conduisait vers la haine fatale que je voyais dans son regard sombre. Il se détourna de moi et alluma une cigarette. Je souris. Cette vision faisait ressurgir des images du passé que je croyais avoir complètement éradiqué de ma mémoire. Je suivais les rayonnements de sa tige dans la pénombre avec allégresse. Il fumait pour deux ; pour la vie et la mort. J’enlevais ma veste et mes chaussures en silence. Le col de mon chemisier dévoilait la base de mon cou mais je me sentais suffoquer dans  le chaos infernal de ses routines. Je déboutonnai mon vêtement jusqu’au milieu avant de me glisser sur le sol, au milieu des livres entassés et des tas de  poussière. Son rapport avec l’abstrait alternait entre dévotion et mépris. Il croyait au bonheur simple sans juger qu’il était nécessaire de s’en approprier les valeurs. Il pensait que les Hommes étaient ennuyeux, lassants et sans profondeur et pourtant il cessait sa révolution contre la médiocrité. En réalité, il me donnait l’impression de se rebeller contre lui-même uniquement. Les arabesques de ses fumées s’enroulaient de façon elliptique autour de sa gorge avant de se dissiper au contact du plafond. Alors, le caractère irréversible de son ambition devenait momentané. Il se mourrait au gré d’un craquement d’allumette. « Tu parles mal le français. » J’haussai les épaules avec désinvolture.  Il ne m’apprenait rien de nouveau. Je savais.  J’arrivais parfaitement à apercevoir ma place dans l’édifice universel. Je devinais que je n’étais pas une fille très noble. Certes, j’en rêvais, mais les fantasmes ne faisaient que renforcer ma dépendance sans pour autant concrétiser mes espérances. Je ne possédais pas son aisance et sa magnificence. Je ne citais jamais de grand auteur ou de poète romantique. Je me laissais bercer pas tous les courants littéraires à la fois avant de m’enfoncer dans la stupidité. Je le regardais et je finissais toujours par décréter que mon optimisme finirait par vaincre cette torture continuelle qu’il m’infligeait. C’était aussi simple que ça. Il ne m’avait pas prise dans ses bras. Il n’avait fait que me laisser l’étreindre pendant une poignée de secondes et cette perspective, bien que douloureuse et très injuste, me rendait si reconnaissante. Les pulsations de mon cœur m’échappaient afin de se conforter d’abord dans des réflexions consolatrices puis dans un univers aveugle et maussade. Je t’aime comme ça.  Je posai mes mains sur mes genoux en faisant la moue. « Heureusement que tu parles anglais, alors. Ce serait chiant qu’on puisse pas communiquer. » Mes lèvres frémissaient en prononçant ce mensonge. J’étais à moitié consciente, presque morte. Je me crispai contre le mur en cognant mes jambes l’une contre l’autre. On ne se comprend jamais, Thomas. Tu es un astre lointain qui ne brille jamais dans l’horizon. Comment suis-je supposée te retrouver ? Je connaissais déjà sa réponse. Ne me retrouve pas. Le son de sa voix ponctuait mes divagations mais il était devenu supportable après toutes ces années. Il ne me rendait même plus triste. Je devais être aussi égoïste que lui. Je refusais de le laisser m’échapper par pur dépit, parce qu’il était important pour moi, pour mon équilibre et pour mes sentiments. Le reste. Son agacement. Son rejet. Ce n’était que des détails. Je l’épiais du regard et je le trouvais tellement fatigué. « Tu veux manger? On devrait manger ! » M’enquis-je subitement. Je me relevai avec difficulté avant de venir à sa rencontre. Je regardais son paquet de cigarette, à la fois impatiente et provocatrice. Il ne me laissait jamais fumer devant lui et je n’en ressentais l’envie que lorsqu’il me l’interdisait. Je me pavanais devant lui en détachant mes cheveux, puis je finis par souffle contre son torse. « Donne-moi une taffe. » Je ris avec légèreté. « S’il te plait. » J’avais des choses à cacher. Peut-être que si je jouais un peu avec lui, il finirait par remarquer ma condition. Peut-être qu’il suffisait de quelques effort pour que tout s’éclaire.
 
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() message posté Lun 22 Juin 2015 - 22:01 par Invité
« Ce n’est pas grave. Je la prendrai toute seule quand je me serai un peu reposée. » Je levai les yeux au ciel. Ça ne marchait pas comme ça et elle le savait très bien. Elle savait que comment j’allais réagir. Que mes yeux ne deviendraient que des fissures noires, que mes cernes accentueraient mon regard sérieux et défiant, que mes doigts maigres ne la serreraient pas contre mes côtes douloureuses et que mes cheveux ne brilleraient pas en se laissant caresser de nouveau, après tout ce temps que nous avions passé éloignés. Qu’est-ce que tu fais là ? La question resta coincée dans ma gorge. Je savais pourquoi elle était venue. Je savais pourquoi elle se tenait devant moi. Je sentais le vent qui l’avait poussée jusqu’ici glisser entre mes phalanges tremblantes. Tu trembles, Tom. Calme-toi. Respire. Je n’y arrivais pas. C’était idiot, mais la voir ici me rendait terriblement nerveux. Je ne voulais pas qu’elle s’approche. Je ne voulais pas qu’elle continue à s’attacher futilement à un homme tel que moi. Je m’évapore, on ne peut agripper la fumée, tu le sais bien. Mes ongles se plantèrent dans le mur à mesure qu’elle s’avançait, son sourire à présent figé sur les lèvres. J’ignorais si elle y croyait encore à ce sourire, s’il avait toujours sa fameuse signification, son innocence. Je ne voulais pas y voir son innocence. Je ne voulais pas y voir ce qu’il y avait en elle lorsqu’elle n’avait que dix ans. Mais je ne pouvais m’en empêcher. Elle n’avait pas changé depuis. Elle revenait me voir, ici, dans mon antre menaçant, elle revenait s’asphyxier en respirant la fumée de mes cigarettes et en buvant mes mots pleins de venin, elle revenait s’allonger sur mes draps froissés et imprégnés de l’odeur du tabac pour me regarder partir, encore. Regarde-moi, Elsa. Regarde où je vis, regarde ce que je vois tous les matins. Ce n’est pas un endroit pour toi. Elle brillait d’une lumière bien trop blanche pour être accueillie entre ces quatre murs. Je reculai, encore. Ne me touche pas, tu en as trop vu, tu en as trop senti. Mais Elsa était une princesse à sa manière. Elle ordonnait au destin de lui obéir, elle apparaissait comme une petite fée dans le coin de notre regard et elle nous souriait pour qu’on lui fasse confiance. Pour qu’on lui accorde l’attention qu’elle méritait. Cela avait toujours été difficile de lui refuser. Quelque chose nous unissait. Quelque chose de fort et de terrifiant. Quelque chose qui m’incitait à être glacial envers elle, mais qui me faisait pourtant regretter mes mots blessants lorsque je les laissais résonner dans ses oreilles. Quelque chose qui me tordait l’estomac et qui me forçait à la garder loin de moi. Tu es l’une des seules personnes au monde que je n’ai pas envie de blesser. Pourquoi ne profites-tu pas de ce privilège ? Ses aspirations n’avaient aucun sens lorsqu’elle me les clamait haut et fort, avec détermination. Je vais devenir une princesse, Tom. Pourquoi ne veux-tu pas jouer au prince, on serait parfaits ensemble. Je fermai les yeux pour empêcher les souvenirs de refaire surface. Lâche-moi Elsa. Je pars pour Londres, ça n’a rien à voir avec toi. Ça n’a rien à voir avec personne, pas même avec moi. Tu ne comprendrais pas mes rêves. Ils sont semblables à tes cauchemars les plus noirs et je suis le seul à les trouver brillants, à voir leur beauté luire à travers le brouillard. Mais elle n’avait jamais admis cela. Je la voyais aujourd’hui, traversant les ombres de mon appartement pour me retrouver, et elle ne l’avait toujours pas admis.

« Je ne sais pas. » Je serrai les dents. « Génial. » grinçai-je, exaspéré. Elle me voyait ici tel qu’elle ne m’avait jamais vu et rien de ce que je ferais ne pourrait lui plaire. Je n’étais plus le Thomas qu’elle avait connu. Je n’étais plus le feu brûlant, j’étais la cendre et celle-ci était bien plus redoutable. Elle recouvrirait son corps endormi et s’infiltrerait sous sa peau, dans ses narines, dans ses cheveux d’or et sous ses ongles soignés pour ne la faire ressembler qu’à un monstre de plus dans mon univers. Elle n’avait pas le droit. Elle n’avait pas le droit de me retirer l’image sereine que j’avais d’elle. Je n’étais plus l’extase étrange de l’alcool, j’étais le goût âpre du vinaigre. J’étais la vieillesse des Hommes, l’avenir désastreux vers lequel ils choisissaient de se diriger. Elsa était rayonnante, elle l’avait toujours été, mais elle ne pourrait jamais s’échapper si un jour je décidais de refermer mes griffes sur elle. Je n’étais plus l’aigle, j’étais le vautour, et même si la Bible disait aux Hommes de se méfier des deux, je savais que mon allure décharnée et malade la préoccuperait plus que les anciens éclats de mes yeux noirs. Ma déchéance l’attirerait plus que la force mystérieuse qui coulait autrefois dans mes veines. Et cela me tuerait de lui faire comprendre, ce pourquoi je préférais qu’elle me fuit maintenant. « La prochaine fois tu réfléchiras avant de venir, histoire de me trouver une bonne raison. » sifflai-je, agacé. Je voulais m’en aller. M’évaporer, cette fois-ci réellement, mais mon corps ne suivait pas mon esprit lorsque celui-ci cherchait à s’envoler. Alors je ne faisais que la regarder de haut, en espérant qu’elle ait peur, qu’elle décide de faire demi-tour car elle ne me reconnaissait pas derrière ce masque de glace et d’acier. Je sentis ses yeux parcourir mon dos alors que j’allumais ma cigarette et que je commençais à fumer, nerveusement. Tu trembles, Tom. Calme-toi. J’avais envie d’abattre mes paumes sur mon bureau pour en retrouver le contrôle. J’inspirai et expirai lentement la fumée, enveloppant impunément la pièce de ce poison. L’enveloppant elle. « Heureusement que tu parles anglais, alors. Ce serait chiant qu’on puisse pas communiquer. » Mon regard glissa jusqu’à elle. Elle s’était assise sur le sol et observai pensivement ce qui l’entourait, comme pour me redécouvrir alors qu’elle me connaissait déjà par cœur. Elle n’était pas étonnée par l’allure de mon appartement. Elle ne s’en fichait pas, elle n’était simplement pas surprise que je puisse y vivre. Que sur ces murs blancs se reflètent mes songes, que je garde mes souvenirs au fond de moi et non autour de moi, que les livres s’entassent, habillés de poussière et d’usure. « Mouais, bof. » lâchai-je à son attention. Je m’étais retourné et étais à présent installé contre le bureau, les yeux rivés vers le mur opposé. Je ne la regardais pas. La nicotine me détendit petit à petit et je sentis ma main gauche, crispée sur le rebord, relâcher sa prise. Je finis par la frotter contre ma cuisse : elle était moite et froide. Je n’avais décidément par la poigne d’un prince.

Elsa se releva finalement et cela suffit à me faire tourner la tête dans sa direction. Je fronçai les sourcils. « Tu veux manger ? On devrait manger ! » J’eus un léger mouvement de recul alors qu’elle s’approchait. Je savais qu’elle avait remarqué ma maigreur. J’en avais effrayé plus d’un. Je … J’ai mangé Elsa. Tout à l’heure, avant que tu n’arrives. Je ne pouvais pas lui répondre ça. Machinalement, je portai ma main à mon ventre, ou plutôt à ce qu’il en restait, comme pour tenter de cacher le mal que j’avais fait. Mes ongles se plantèrent discrètement dans le tissu et je cherchai la chair. Il n’y en avait plus. Seulement mes os et mes organes fragiles. Je portai ma cigarette à mes lèvres. J’avais recommencé à trembler. Dis-le. Dis-le que je ne mange pas assez et que je fume trop. Dis-le, sois franche pour une fois. Donne-moi une bonne raison de te virer de chez moi. Car à part mes réflexions les plus profondes à propos de notre relation, je n’en trouvais aucune. Elle avait le droit de rester. J’étais son ami, j’étais même mieux : son grand frère. Elle avait passé sa vie à rester chez moi. A s’endormir près de moi alors que je devais la surveiller jusqu’au milieu de la nuit lorsqu’elle était seule chez elle. A considérer mes parents comme les siens, attendrissant William et Diane à chacun de ses sourires rayonnants. Je ne répondis pas. Pas encore. Elle détacha ses cheveux et je me mordis la lèvre avec sévérité. Arrête. Elle réduisit la distance qui nous séparait et je me redressai pour la surplomber. « Donne-moi une taffe. » Je soufflai la fumée par le nez en considérant sa demande. « S’il te plait. » rajouta-t-elle après avoir ri de son rire doux et sucré. Je plissai les yeux. C’était dur de ne pas se laisser bercer par la mélodie de son timbre et le refrain de sa voix. Elsa plaisait aux gens. Elle plaisait à tout le monde. Elle me plaisait aussi. Voilà pourquoi elle ne pouvait pas rester. Je ne devais pas la corrompre et j’étais le seul à pouvoir le faire. Elle savait se détourner de tous les chemins hasardeux et sombres. Sauf du mien. Elle pouvait me suivre n’importe où. Elle ne voulait pas m’abandonner alors qu’il n’y avait plus rien à sauver. « Depuis quand tu fumes, toi ? » Je gardai ma cigarette près de moi, sans lui tendre. « Arrête tes conneries, tu sais très bien que je vais pas le faire. » claquai-je alors que son regard suivait l’extrémité orangée et brûlante lorsque je portai à nouveau le filtre à mes lèvres. Elsa n’était pas moi. Elle n’avait pas besoin de ça pour être géniale alors que je cherchais désespérément un semblant d’allure entre les arabesques de la fumée que j’inhalais chaque jour. « J’ai pas faim. » Je mentais. Face à la vérité, lorsque j’y pensais enfin, je devais me rendre à l’évidence : je crevais lentement de faim. Et même si je n’avais pas menti, même si j’avais vraiment été capable de manger si peu, elle n’aurait pas pu me croire. Elle aurait été trop préoccupée pour me laisser m’échapper ainsi. Arrête. Mon regard était à la fois dur et suppliant, quelque part. J’étais parvenu à rabattre la colère au fond de ma poitrine, mais Elsa pouvait la réveiller à chaque instant, à chaque geste. Je fuyais ses prunelles, mais ça aussi c’était difficile. Ça aussi, ça me demandait des efforts que je ne voulais pas fournir. Parce que ses mots résonnaient dans ma tête et qu’elle était trop proche de moi pour que je tente de l’ignorer. Je relevai le menton, mais elle pouvait se loger contre moi à tout moment. Et puis, oui, quelque part, j’avais envie de baisser les yeux vers elle et m’assurer qu’elle allait bien. Néanmoins, je gardai la tête haute et les bras tendus, immobiles, les doigts crispés autour du bureau et la cigarette tremblant entre eux, la cendre s’échappant vers le sol, s’envolant pour se déposer sur le bas du chemisier d’Elsa. C’était ce que mes pupilles suivirent avec attention. Je gardai le silence pendant plusieurs secondes avant de planter mes yeux dans les siens, enfin. « Tu t’es donnée comme objectif céleste de me faire sortir de ma misère ? T’y arriveras pas. » J’étais clair et sec. Je trouvais cela nécessaire. « S’il y a quelqu’un de plus têtu que toi sur cette planète, c’est moi. » Je décrochai ma main du bureau pour venir la pousser en arrière. Je me glissai près du matelas sans cesser de la regarder. L’ennui avec cet appartement, c’était qu’il était bien trop petit pour songer un instant à avoir la possibilité  de s’échapper. Mes pieds rencontrèrent une pile de livres et je l’esquivai de justesse, manquant de trébucher mais me rattrapant au dernier moment avec agilité. Je m’assis sur le matelas, ramenai mes cuisses contre mon torse et la toisai. « Y’a rien à manger de toute façon. » Je plissai les yeux et fumai, l’air sombre. Rentre chez toi Elsa. L’univers entier pourrait être ta maison mais tu t’acharnes à m’arracher ce que je veux laisser secret. Un jour je te détesterai pour cela. Et un jour, tu me détesteras aussi, pour les mêmes raisons.
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() message posté Mer 15 Juil 2015 - 9:51 par Invité

“How long will I want you ? As long as you want me to, and longer by far.”   Thomas me semblait différent. Pourtant, c'était son visage que je retrouvais sous les voiles de la désillusion. C'était ses traits fatigués et rongés par le temps. Mon cœur se serra alors que je m'avançais dans le vestibule. Les odeurs nauséabondes du tabac et du renfermé tapissaient les murs de cette vie dont j'avais rêvé pendant des années. Je pensais que la tour du phare était un refuge pendant la nuit, que mes anciens amours parvenaient au ciel après chaque scintillement, de sorte à toujours le ramener vers moi, à Glastonbury ou partout ailleurs. Mais ce n'était qu'un mensonge de plus, une autre fantaisie de mon esprit simpliste et rêveur. A ses yeux, je n'étais même pas une femme. Je n'étais qu'un petit être fragile, une petite sœur qu'on oubliait sur les quais d'une gare déserte sans même un au revoir.   Emmène-moi. Je serais sage, je prendrais pas beaucoup de place. Je parlerais pas pendant tout le trajet, mais emmène moi... Je pouvais encore entendre mes lamentations s'élever dans la pièce. Elles vibraient au creux de ma raison, puis soudain, le cri déchirant du désespoir coupait court à tous mes souvenirs. NON ! Vous l'avez obligé à partir sans moi. Maman, c'est toi, tu l'as obligé à me laisser parce que tu ne supportes pas de rester toute seule dans ton trou perdu ! J'en ai marre de vous ! Tu peux pas me contrôler ! Ce n'est pas ma faute si papa n'est plus là … C'était fini. Sa main avait violemment caressé ma joue et je ne pouvais pas dire si c'était sa gifle inattendue ou mon accès d'insolence qui m'avait le plus choqué ce jour là. J'avais relevé mon visage assombri vers elle, les yeux écarquillés de stupeur, la bouche tordue et les joues cramoisies, incapable d'excuser mon comportement ou de prononcer le moindre mot. Tout ce que je parvenais à penser c'était que je n'avais plus personne pour m'emmener au festival ou m'accompagner pendant mes longues balades autour de l'abbaye. Tom-tom était parti. Je redressai mes épaules en traversant le hall ; il était parti et je ne l'avais plus retrouvé depuis. C'est bien ça, n'est-ce pas ? Tu ne voulais plus revenir. Je tendis mes mains dans le vide avant de lisser les plis de mon pantalon. Je me sentais nerveuse. Je tremblais peut-être, mais j'étais surtout heureuse d'être là. Après tout, j'étais toujours la gamine qui préférait la tour de lumière d'où on pouvait apercevoir les étendues brumeuses et obscures de l'éternité. Je n'avais pas changé. Et lui, non plus. Je vivais dans l'illusion que je pouvais le soulager de son mal, cependant, j'étais incapable de nommer ou de désigner mes motivations ; était-ce un besoin de conscience ou un vice du cœur ? J'avais trouvé une autre de manière de le désirer, de me languir du parfum de la mort. Peut-être que j'étais destinée à tenter cette aventure, à grandir autrement que chaste et innocente. Il se déguisait en monstre mais je n'avais pas peur. Il ne pouvait plus m'effrayer maintenant que je m'étais résigné à rester à ses côtés. L'oiseau de la nuit ne voulait plus être reconnu mais je le voyais encore. Il n'avait jamais cessé d'exister dans ma mémoire. Je lui avais murmuré que je l'aimais pendant son sommeil. J'avais comblé les silences qui rythmaient sa respiration, pas pour la déclaration romantique, mais pour trouver une place entre ses excès. Un petit cadre où je pourrais me faufiler et me cacher de la cruauté du monde. Tom-Tom, c'est quand on commence à comprendre la vie, qu'on réalise à quel point les gens sont sales et malhonnêtes. Je veux avoir dix ans à nouveau. Je veux sourire sans me préoccuper de mon avenir, sans trouver ma vocation et mon ambition. Je veux uniquement penser à l'heure du souper, à l'odeur des cookies de maman Diane et à tes longues jambes qui s'évanouissent dans le couloir. Laisse-moi m'accrocher à toi encore un peu. Je glissai mon regard dans le salon. Je n'avais jamais songé à son mode de vie auparavant. Certes, je le trouvais minimaliste et trop simpliste, mais je n'étais pas surprise de remarquer qu'il ne faisait aucun effort pour aménager l'espace qu'il habitait. Thomas se méfiait de la beauté et de la sensualité. C'était certainement pour ça qu'il me rejetait. Parce que je m'accrochais au valeurs futiles et superficielles de l'humanité. Tu te trompes. Regarde-moi sans mes artifices. Je ne suis qu'une petite grenouille pâlichonne sur qui plus personne ne se retourne dans la rue. Je n'ai rien d'extraordinaire. Rien pour te couper le souffle. Je me vide quand je me déshabille. Je crois manger par gourmandise, mais mon corps est maigre et plat. Regarde-moi mes joues. Regarde mes os et leur crissement au contact du vent. Viens, touche moi. Je détachai mes cheveux comme pour ponctuer mes pensées, puis je déboutonnai le col de mon chemisier, dévoilant ainsi les stries de ma cage thoracique qui traversaient ma poitrine. « Génial.   » Siffla-t-il lentement. Il était agacé, alors je ris légèrement pour détendre l'ambiance. Je ris et je gloussai en évitant de rencontrer son regard profondément noir. Ce n'était pas une confrontation. Il menait la danse et je valsais tout autour du grand feu de la vie sans croiser son fantôme. Je m'éloignais allègrement, je frôlais l'inconnu, le spectre gluant et moche, puis je revenais vers lui, plus flamboyante et résistante que jamais. J'étais malade, mais il n'y avait aucun trouble sur terre, aucune souffrance physique ou morale qui pouvait me séparer de l'image du passé. « La prochaine fois tu réfléchiras avant de venir, histoire de me trouver une bonne raison.    »  Je m'arrêtai subitement dans mon élan de jovialité. Je penchai la tête d'un air songeur avant de glisser mon pouce sur mon menton aigu. Il connaissait déjà toutes les réponses à ses questions. Il savait que je n'étais pas résignée à parasiter son espace vital, mais que c'était le destin qui me poussait vers lui, que malgré son éloquence poétique et ses grandes connaissances en philosophie, l'Homme n'était qu'un simple pion. Un pion n'échappe pas aux forces mystiques de l'univers. Il bouge pour sauver la reine ou il succombe lorsqu'un autre pion, plus fort et plus puissant, l'évince du jeu. Je me demande s'il existe un tel dénouement pour nous. Un tel homme, plus fort et plus puissant que le grand Knickerbadger. Certainement. Dans ce cas, je suis heureuse de n'être qu'une princesse et non la reine. Je me redressai lentement.« Il n'y aura pas de prochaine fois. Il faut partir pour revenir. » Déclarai-je calmement. Je m'imposais peut-être dans sa routine, mais il était obligé de s'y faire. Il n'avait pas le droit de m'abandonner une seconde fois. J'avais essayé de vivre sans lui ; en Australie avec Remy, puis en trouvant l'amour aux côtés de Graham ou encore en Italie et en France, mais la distance ne me réussissait pas. Je me sentais démunie, perdue et mélancolique sans sa présence. Je m'installai contre le mur alors qu'il me tournait le dos en fumant. L'odeur de la nicotine parfumait ses souffles. J'avais longtemps fantasmé sur le goût amer de sa bouche contre mes lèvres. Je pensais que les fumées qui entouraient sa mâchoire le rendaient plus beau, plus mystérieux. Mais aujourd'hui, je voyais bien que ce n'était qu'une nuance de gris qui se rajoutait à l’atmosphère maussade de son studio. Je crispai mes doigts autour de mes genoux en balançant mon bassin contre le sol. « Mouais, bof. » Il faisait exprès d'ignorer ma présence et j'haussai les épaules sans protester. Il lui fallait s'adapter voilà tout. J'écrasai les semelles de mes ballerines contre le parquet grinçant en songeant à ma valise restée sur le pas de la porte. Mon poignet me faisait moins mal, mais je craignais qu'il m’enferme dehors si je venais à sortir de l'appartement. Alors je ne bougeai pas. Je gonflai mes joues en roulant des yeux.

 Je m'étais rapprochée. Son souffle brûlant chatouillait mes narines. Il sentait exactement comme je l'avais imaginé ; le goudron, la rivière, la tristesse … Tant de choses complexes que je ne comprenais pas. « Depuis quand tu fumes, toi ? » Il garda sa cigarette contre lui, toute proche de sa poitrine fébrile comme si son cœur avait besoin de sa dose de noirceur lui aussi. Je battis des cils, incapable de lui répondre. Je ne fumais pas. William ne voulait pas que je suive cet exemple, Remy avait un fibrome pulmonaire et je n'avais aucune raison de commencer. Je n'étais pas la débauchée. Je correspondais à un schéma différent. Celui de la princesse. « Arrête tes conneries, tu sais très bien que je vais pas le faire. » Je me mis sur la pointe des pieds afin de soupirer dans son cou. Je m'amusais à ses dépends et il ne le remarquait même pas. « Même si j'accepte de partir après une cigarette ? » Je plissai les yeux, songeuse. Jusqu'à quel point était-il prêt à aller pour me faire disparaître ? Je déglutis avant de secouer frénétiquement la tête. J'étais entrain de me leurrer. Je ne voulais pas avoir une forme déguisée d'approbation pour justifier ma présence. C'était stupide. Je n'allais pas partir même s'il invoquait Lord Voldemort et qu'à deux, ils me transformaient en cheminée rose. En réalité, une part de moi, désirait en avoir le cœur net : Comment me perçoit Thomas ? Une sœur qu'on protège ou une femme adulte et libre ? Je me mordis la lèvre inférieure en retombant sur mes talons. Je frôlai ses bras du bout des doigts avant de  me renfrogner dans mes vêtements. Il me faisait froid dans le dos. Il se tenait là, avec sa stature vaniteuse et son allure impériale mais ses plumes tombaient les unes après les autres. « J’ai pas faim.   » Claqua-t-il froidement. Il avait l'air d'avoir tout à coup pris cinquante ans. Il arborait l'expression sévère de son père et la dirigeait injustement vers moi. Je remuai le bout du museau en faisant un pas à reculons. Je portais en moi un instinct si personnel de la famille qu'il lui était impossible de le freiner ou de m'arrêter. Je l'observais bouger, puis trembler contre le bureau. J'étais tellement captivée par lui. J'en oubliais presque ma maladie et les spasmes qui parcourraient mon bras. J'en oubliais presque mes ressentiments et mon identité. Bientôt, nous ne saurions plus que deux âmes déchues, se bousculant, se chahutant et s'enfuyant vers la fenêtre. Ma gorge se serra. J'avais envie de pleurer. J'avais envie de succomber à la tristesse et d'hurler à la lune comme un chien galeux qui se prenait pour un loup. « Tu t’es donnée comme objectif céleste de me faire sortir de ma misère ? T’y arriveras pas.  S’il y a quelqu’un de plus têtu que toi sur cette planète, c’est moi.   » Ses grands yeux s 'étaient enfin posés sur moi. Il se présentaient comme deux fissures intemporelles dans lesquelles de désirer m'évader. Je fronçai les sourcils avant de tendre le bras vers lui. Je voulais toucher la vérité et m’imprégner de la dureté de ses mots, mais j'étais presque tétanisée. Ma main échappait à mon contrôle afin de valser au gré d'une musique que je n'entendais pas. Une musique qui n'existait pas. « Tu crois que je veux te sortir de la misère? » Je retenais mes larmes. Je m'efforçais à rester forte et gracieuse. « Mais je veux juste rester avec toi. C'est juste ça. » Ma voix trahissait mes émotions, elle était aiguë et instable. Je fis la moue en le suivant vers le matelas. Il me fixait avec cette lueur sauvage et dédaigneuse qui le caractérisait tant. Je m'assis silencieusement avant de poser ma tête sur son épaule. « Je veux être dans la misère avec toi. » Il fumait toujours. Les volutes grises engourdissaient mon esprit et je fermai les yeux un court instant, avant de me redresser en sursaut. «  Y’a rien à manger de toute façon.   » Je croisai les jambes avec nonchalance et cachai l'inflexion étrange de mes doigts sous mes bras. « J'ai des barres de céréales dans mon sac, un paquet de gommes et un chewing-gum. On peut partager. » Proposai-je avec douceur. Fais un effort.
 
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() message posté Mer 12 Aoû 2015 - 1:20 par Invité
Un instant, je la détestai. Mais je ne pouvais que fermer les yeux et oublier ma colère car je savais qu’au fond, elle ne la méritait pas. Elle était un ange frappant à ma porte, laissant derrière lui les risques, croyant dur comme fer qu’il y avait de la lumière au sein de ce logis sinistre. Je connaissais sa chaleur et sa brillance. Elsa était un petit être fragile que j’avais appris à protéger sans même le vouloir, sans même le savoir. Je me souvenais de tout. Je me souvenais de la raison pour laquelle elle m’en voulait tant : j’étais parti. Et si, à l’époque, cela m’avait paru évident, j’essayais aujourd’hui de me convaincre que c’était toujours le cas. Que je n’éprouvais aucun regret quant à ma décision. Je me souvenais de son corps d’enfant allongé et endormi dans les draps de mon lit alors que je m’étais levé aux aurores pour m’éclipser sans qu’elle ne le remarque. Sans qu’elle ne puisse tenter un seul instant de me persuader de rester. Elle n’aurait de toute évidence pas réussi, j’avais toujours été un garçon borné, dissimulant le moindre de ses sentiments car, oui, vous savez, il s’agissait de faiblesses après tout. Je ne lui avais jamais dit que je l’aimais, que j’étais heureux qu’elle soit à mes côtés, que j’appréciais sa présence car celle-ci était rassurante. Non. Au contraire. J’avais toujours eu ce timbre méprisant dans la voix à chaque fois que je m’étais adressé à elle, et pourtant elle s’était toujours accrochée à cette image qu’elle avait de moi, cette illusion qu’elle croyait réelle lorsqu’elle soupirait la nuit en observant les quelques étoiles que je fixais aussi, en même temps qu’elle. Nous étions un frère et une sœur, nous n’étions pas obligés de nous aimer. Mais quelque chose m’avait également toujours rattaché à elle. J’avais fait un million de choses pour lui faire plaisir, avec une violente nonchalance, certes, mais pour elle tout de même. Elle collectait le souvenir de chacune de mes apparitions. Pire encore, celui de mes absences. Elsa t’en veut d’être parti. Diane m’avait dit cela avec une neutralité d’usage. Les faits restaient inchangés. Je n’étais pas sûr d’avoir enfin compris qu’en quittant Glastonbury, j’avais brisé un morceau de son âme. Diane avait eu William. Elsa n’avait que le souffle froid du vent annonçant l’automne qui suivait le jour où je l’avais quittée. Elle l’avait pris personnellement, bien sûr. Elle manquait d’assurance et voilà que l’un des piliers de son enfance l’abandonnait sans même la prévenir. Pourtant, je n’arrivais toujours pas à me sentir fautif. Tu aurais dû comprendre. Tu aurais dû le supporter, mais tu as lamentablement échoué. Je ne pouvais voir que ses yeux d’enfant alors qu’elle se tenait ainsi devant moi. « Il n’y aura pas de prochaine fois. Il faut partir pour revenir. » Sa déclaration était maîtrisée et j’y ressentais presque une teinte de reproches. Tu es le seul à vouloir partir, Thomas. Moi je resterai auprès de toi. Toujours. Elle n’avait pas grandi. Elle était la même gamine excitée et souriante qui avait cru bercer mon enfance alors qu’elle n’était plus qu’une simple lueur. Certes plus brillante que ce qui m’entourait, mais ce n’était pas suffisant pour défier l’obscurité émanant de mon univers. Je soupirai en guise de réponse. C’était suffisant. Elle connaissait déjà mon opinion sur le sujet, elle pouvait lire ma lassitude dans mes iris cendrés.

« Même si j’accepte de partir après une cigarette ? » Je la fusillai du regard et restai immobile. « Oui. » lâchai-je sombrement. C’était comme une évidence, gravée au fond de moi. Même si elle tournait les talons et repartait ensuite vers ses horizons divers, je refusais de la traîner ainsi dans les décombres de mon existence, cette fois-là, et toutes les autres fois qui suivraient, toutes celles qui étaient déjà passées. Je ne me rappelais pas de lui avoir un jour accordé la possibilité de fumer l’une de mes cigarettes. Cela me paraissait si étrange, si malsain. Elle ne faisait pas partie de ces gens-là. Elle était une petite fée fragile dont on devait prendre soin. Je n’avais jamais pris soin d’elle, mais j’avais toujours fait en sorte de ne pas la mêler à mes desseins obscurs. Elle méritait mieux, bien mieux que moi. Pourtant, voilà qu’elle se trouvait devant moi aujourd’hui, un sourire timide aux lèvres, le regard plissé et presque défiant. J’étais une ombre. Celle qu’elle retrouvait en observant la sienne lorsqu’elle était confrontée à la solitude et à la mélancolie. J’étais une silhouette perdue au fond de sa mémoire, une qu’elle ne pouvait s’empêcher de reconnaître, cet individu auquel elle faisait confiance sans vraiment savoir pourquoi. Parce qu’il avait été là au bon moment. Parce que lorsqu’il était parti, il avait pris avec lui les dernières bribes de l’enfance qui arpentaient encore les parois de son esprit. J’avais brisé cette petite fille et je n’étais jamais revenu m’excuser. Je savais que quelque part, je me haïssais pour ce manque d’attention. Mais je voulais qu’elle me haïsse aussi et qu’elle reste loin de moi. Qu’elle m’oublie. On n’oublie pas les gens comme toi. Parce que j’avais l’habitude maladive de marquer les autres d’une empreinte indélébile. S’excuser n’est pas difficile, Thomas. S’excuser la ferait rester indéfiniment, car elle penserait que je cache une sincérité infinie derrière mon masque de noirceur. « Tu crois que je veux te sortir de la misère ? » Je hochai pensivement la tête. Elle dissimulait ses faiblesses bien mieux qu’auparavant, mais je savais qu’elle était à deux doigts de verser quelques larmes en constatant la froideur que j’avais adopté depuis qu’elle était apparue dans mon champ de vision. « Mais je veux juste rester avec toi. C’est juste ça. » Je suivis ses mouvements gracieux avec une attention particulière alors qu’elle vint s’assoir à mes côtés sur le matelas. Cet endroit ne lui correspondait pas. J’avais presque peur qu’elle s’asphyxie à force d’y rester, de respirer l’air auquel j’étais condamné chaque jour. Elle posa sa tête sur mon épaule et je ne cillai pas, me crispant un instant avant de me détendre lentement en écoutant le son de sa voix fluette : « Je veux être dans la misère avec toi. » Je clignai des paupières, presque sceptique quant à cet aveu étrange. Elle avait un million de possibilités et elle se restreignait à la voie que j’avais prise. La pire de toutes. L’échec, s’étalant sur une longue ligne droite et infinie. Elle finit par se redresser et je contemplai la courbe de ses épaules : elle avait changé, en vérité. Je ne savais pas pourquoi, et pourtant j’étais certain que quelque chose clochait terriblement. « J’ai des barres de céréales dans mon sac, un paquet de gommes et un chewing-gum. On peut partager. » Je levai les yeux au ciel, incapable de réellement rester calme. Incapable de faire les efforts qu’elle me demandait tacitement de fournir. Je restai silencieux en la toisant puis me penchai en avant pour venir à sa hauteur. « Pourquoi tu fais ça ? » demandai-je soudain. Cette question me retournait le cœur. « Sur toutes les personnes merveilleuses que tu as eu la chance de connaître, pourquoi tu te tournes vers le seul connard capable de gâcher ta vie ? » Mon ton était froid, sans retour. Je connaissais déjà la réponse, quelque part. Pourtant je poursuivis quand même. « Sérieusement Elsa, je te comprends pas. » Cela la blesserait. Je laissais la colère m’envahir peu à peu car c’était le seul moyen apparent pour la faire réagir. Je ne voulais pas qu’elle me sauve et encore moins qu’elle me suive. Car j’étais capable d’éteindre la lumière qui logeait dans son cœur, simplement en le serrant trop fort. Le paradoxe étant que je semblais être également capable de la rallumer. J’attrapai le filtre de ma cigarette et écrasai celle-ci sur le sol d’un geste désinvolte avant de relever les yeux vers elle. « Crois-moi, tu n’as pas envie de rester ici. Et même si tu tentes, tu partiras dès demain matin. » Je bluffais, bien évidemment. Elle avait passé des nuits entières à dormir dans ma chambre à Glastonbury alors qu’il y avait des salles bien plus accueillantes que celle-ci, juste parce que je lui manquais. Juste parce qu’elle ne pouvait correctement m’imaginer que lorsqu’elle s’allongeait sur ces draps lisses et doux, que l’on avait oublié d’utiliser car j’étais parti. Mais ici, dans cette pièce sombre, les draps regorgeaient d’un poison invisible qui l’envelopperait à la première occasion. A l’instant même où elle déciderait de ne pas m’écouter et de n’en faire qu’à sa tête. Attendez : c’était déjà le cas.
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() message posté Sam 26 Sep 2015 - 17:54 par Invité

“How long will I want you ? As long as you want me to, and longer by far.”   La nostalgie n'était pas une bonne conseillère et pourtant je me laissais toujours guider par mes sentiments. J'allongeais  le cou vers la silhouette de Thomas, afin de découvrir ses traits rongés par la fatigue. Je relevais le voile qui recouvrait ses écailles monstrueuses et je parvenais à le retrouver entre deux battements de cils. Il était là. Quelque part. Caché au creux de mes paupières. Je frémis en me redressant lentement. Je connaissais ses pensées. Il m'arrivait de les entendre parfois. Il pensait probablement que j'étais trop fragile, trop petite et trop lumineuse pour ses ténèbres. Il avait probablement raison. A l'époque, lorsqu'il m'avait laissé à Glastonbury, je n'étais qu'une gamine capricieuse et bruyante. Je m'accrochais à ses jambes en riant à gorge déployée. Je me cachais dans son placard ou sous son lit pour le prendre par surprise. J'inscrivais mon prénom sur ses cahiers de texte en espérant qu'il se souvienne de mon existence et je m'imposais dans sa routine quotidienne avec insistance. Je n'avais pas d'autres amis. Il me suffisait. Je souris tristement en baissant les yeux. J'avais été si lâche en le laissant me protéger. Mes doigts se fermèrent sur la lanière de mon sac. Ma gorge était encore douloureuse, mais ma stupeur semblait avoir diminuée. J'arrivais à lui sourire. J'arrivais à attirer son attention par un faible râle dans le silence. Il était seul avec moi, dans une pièce vide et hostile. La stature vaniteuse, la tête inclinée, le torse droit comme un chêne et le regard cendré. J'étais une intruse dans son univers mais je voulais rester à ses côtés.  Je priais intérieurement pour qu'il m'étreigne dans ses bras, pour qu'il me considère comme une ancienne amie ou comme une petite sœur. J'avais tellement besoin de sa froideur et de son amertume. Mais il ne me touchait jamais. Il ne voyait pas à quel point il me manquait. Je fis la moue. Mes lèvres se mouvaient silencieusement. Les rides naissantes au coin de mes yeux marquaient des zones d'ombres sur mon expression triste. C'était de cette façon, qu'on se retrouvait après des années de séparation. C'était ainsi, que je perdais toute mon énergie. Je me transformais en statue de marbre devant lui. Ma peau, devenue blême et brillante, grésillait sous les souffles du vent. Mon cœur était figé dans ma poitrine, subissant les pressions de mes muscles engourdis. Fais un effort ! Je n'étais pas très courageuse de nature. J'avais quitté ma mère. J'avais abandonné mes rêves et mes études. Mais, j'étais disposée à accomplir des choses absurdes pour obtenir des résultats improbables. Je croyais fermement que Tom était un damné qui traînait avec lui l'image de l'enfer dont il n'était jamais sorti. Il y avait une épée de Damoclès suspendue sur sa tête, une lame aiguisée qui menaçait de tomber à n'importe quel instant et de trancher le fil qui liait son âme à la mienne. Nous étions si loin l'un de l'autre. Nous étions si instables dans notre équilibre. Il soupira sans répondre à ma remarque. Il maniait les proses littéraires avec aisance, mais ses silences étaient encore plus déroutants que les mots. Son soupir était glacial. Il avait glissé sur les parois des murs avant de s'épandre sur moi. Je ne faisais pas le poids. Il était plus fort, plus grand et plus sombre. Je balayai mes cheveux d'un geste nerveux. Hormis mon arrivée inattendue à Londres, je lui réservais une autre surprise. J'étais malade. Je souffrais depuis plusieurs mois déjà d'un trouble neuro-dégénératif. Je me mordis la lèvre inférieure sans arriver à prendre les devants. Je n'ai pas froid, Tomtom. Je n'ai jamais eu froid. Ces mots étaient si facile à prononcer et pourtant, mais ma voix s'évanouissait au creux de ma gorge. Si seulement, je pouvais retourner en arrière. J'aurais probablement trouvé le courage de combler la distance qui nous séparait. J'aurais frotté sa joue piquante en souriant et je lui aurais tout simplement avoué mes sentiments et mes incertitudes. Je lui aurais affirmé que je me souvenais toujours de lui. Comment aurais-je pu l'oublier ? Je savais que sa proximité me faisait du mal, mais je l'aimais sincèrement. J'étais incapable d'autre chose. Je n'arrivais pas à supporter ce qu'on m'avait fait. D'abord mon père, puis Graham - tous ces hommes qui m'avaient brisé le cœur … Et dans ma tête d'enfant, Thomas était différent. Son regard ne me faisait pas mal même s'il était chargé de pitié et de dégoût. Lorsque je le croisais, même de loin, j'étais prise par un élan d'euphorie. Je voulais lui tendre les mains, me blottir dans ses bras et pleurer toutes les larmes de mon corps. Il était parti sans un au revoir, et même après toutes ces années, j'étais capable de reprendre notre relation telle qu'elle était. Lui, le grand frère mystérieux et moi, la fillette qu'on avait recueilli par erreur.

« Oui. » Je sursautai en le fixant d'un air perplexe. Pourquoi ? Il m’interdisait de fumer ses cigarettes mais il consentait à me blesser d'une autre manière. J'avais l'impression qu'il m'avait souillé jusqu'au tréfonds de l'âme. Parfois, je croyais avoir perdu son respect et sa considération. Je fis quelques pas dans le couloir. Mes pieds traînaient toujours sur le sol, mais ma silhouette possédait une certaine légèreté. Ma mère avait toujours insisté pour que je bouge de manière agile et gracieuse en présence d'inconnus. En marchant de façon noble et mesurée, je venais inconsciemment d'admettre la vérité. J'étais en face d'un homme que je ne connaissais pas. Il gardait la même apparence mais la noirceur qui auréolait ses traits allongés, semblait avoir ruiné les vestiges de mon premier amour.  Je m'assis au bord du matelas en triturant mes doigts. Je m'y prenais mal. Je devais lui parler de mon Parkinson, mais je n'avais pas la force de briser nos retrouvailles. Mon cœur se mourrait au bout de ma langue. La vérité me semblait insupportable à tenir. S'il te plaît, laisse-moi rester parce que je suis là. Laisses-moi avant que je ne te le dis … Mon visage était un livre ouvert sur lequel mes émotions s'écrivaient à grands traits de  plume. Il lui était si facile de lire mon inconfort mal contrôlé et ma peur de la solitude. Je me relevai pour chercher mon sac. Ma main gauche tremblait alors que je tentais de saisir mes barres de céréales. Alors, je m'appliquais silencieusement dans mes gestes. « Pourquoi tu fais ça ?  Sur toutes les personnes merveilleuses que tu as eu la chance de connaître, pourquoi tu te tournes vers le seul connard capable de gâcher ta vie ?   »  Je m'arrêtai subitement. Son ton était sec et réprobateur. Je me sentis pâlir sous la violence de ses paroles. Ma crampe était tout à coup devenue plus douloureuse. Je laissai mon avant bras tomber, ballant, contre ma hanche. Puis je fis un effort sensible pour me reprendre et me forcer à sourire. « Sérieusement Elsa, je te comprends pas. » Je cachai ma main derrière mon dos. Il s'attendait à ce que je lui donne une raison mais il ne me laissait aucune chance de m'exprimer. Je ravalai mes larmes avec difficulté, puis je décoiffai maladroitement ma frange.  « Tu ne peux pas comprendre. » Marmonnai-je d'une voix fluette.  « Il faut être capable de s'abandonner et d'aimer une personne pour comprendre. Alors tu peux pas. » Je plissai les yeux en remuant le bout du nez. Il écrasa son mégot avec désinvolture. J'entendais sa semelle grincer au contact de la surface du parquet sans broncher. Je laissai mon regard errer sur les murs de la chambre en soupirant.  «  Crois-moi, tu n’as pas envie de rester ici. Et même si tu tentes, tu partiras dès demain matin.   » Tout à coup, mon sang se glaça dans mes veines et je me raidis. Il n'avait vraiment rien remarqué. J'étais blessée par son comportement. J'étais blessée par son habilité et sa dextérité. J'étais blessée par tout ce qui faisait de lui un être égoïste et exceptionnel. « Non. Je partirais pas. Et tu ne me mettras pas dehors. Je vais crier si tu essaies. » Boudai-je en haussant les épaules.
 
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() message posté Dim 27 Sep 2015 - 19:59 par Invité
Je ne comptais plus le nombre de fois où elle semblait craquer et fondre en larmes. Peut-être dix fois, depuis qu’elle était arrivée, et elle pensait encore à combien ma présence lui apportait. Je restai silencieux, les sourcils froncés, le regard sombre et rivé sur son visage tendu. Elle savait que je pouvais faire pire. Que je pouvais physiquement la forcer à partir. Mais elle mettait tout sur le dos de ma conscience. N’avait-elle nulle part ailleurs où aller, bordel ? Car si je fermais la porte sur elle, si je jetais sa valise sur mon palier et l’empêchais d’entrer, c’était un parti pris. Ce n’était plus celui de l’abandon mais celui du rejet, pur et simple. Je ne pouvais pas la rejeter, c’était comme une évidence rusée que l’on m’avait enseigné dès mon plus jeune âge, dès sa naissance, en vérité. Elle avait ouvert ses yeux de bambin dans un landau chaleureux et j’y avais plongé mon regard noir d’enfant déjà différent, déjà sur la défensive. Puis elle avait grandi, elle avait pu marcher et parler, me sourire avec plus de profondeur. J’avais eu peur de cette affection qu’elle éprouvait pour moi. Elle comprenait mon détachement à l’égard de Diane et William mais n’hésitait jamais à faire de nous une famille unie. Ses gestes avaient toujours été des gestes remplis d’amour et les miens un bouclier de mensonges. Non. Pas de mensonges, pas exactement. Plutôt de non-dits. De réponses muettes qu’elle n’avait jamais su apprivoiser alors que c’était ainsi que je communiquais le mieux. Elle prenait mes silences pour du mépris. Ils l’étaient, quelque part, mais ils étaient aussi plus complexes. Réponds, Tom. Mais je répondais. Ne l’avait-elle pas compris ? Cela avait fini par m’agacer et à présent mes mots étaient secs, sans retour, sans joie. Elle sembla se recroqueviller sur elle-même  puis m’adressa un sourire forcé que j’accueillis durement, sans ciller. « Tu ne peux pas comprendre. » C'était donc ça, le nœud de notre querelle. Je laissai échapper un vague « ah. » conclusif tandis qu’elle poursuivait sur sa lancée. « Il faut être capable de s’abandonner et d’aimer une personne pour comprendre. Alors tu peux pas. » Je haussai les sourcils en mimant la surprise, l’air désolé. Mais en vérité ça n’était qu’un jeu. Elle disait enfin ce qu’elle avait sur le cœur. Elle était différente de moi en cela : elle ne pouvait pas se taire. « Mais le voilà le problème. Tu as tout compris toute seule, bravo. » La blesser ne servirait à rien et je savais que la violence de mon cynisme était gratuite, ou bien que l’un de ses aspects l’était, en tout cas. Même si je cherchais à lui faire entendre raison. Même si au fond, je voulais qu’elle pleure et qu’elle s’en aille car ce serait moins pire que de rester. Cependant elle ne comprenait pas cela. Pour elle, je sentais le parfum disparu de son enfance, ma silhouette était courbe comme l’horizon qui bordait la vue depuis la terrasse de nos maisons, et le son de ma voix lui rappelait ces soir d’hiver au coin du feu à faire cuire des châtaignes que nous avions passé la journée à ramasser. Moi, c’était tout le contraire : mes os étaient ceux d’une carcasse après le passage des vautours, l’étirement de la vie suintait de ma peau et de mes yeux, mon ton grave et rauque me rappelait à chaque fois les chuchotements et la respiration pénible d’un animal à l’agonie. Parce que j’avais vécu dans ce corps et qu’elle l’idéalisait pour une raison que j’ignorais. Elle était capable de s’abandonner et d’aimer. Voilà donc ce qui faisait d’elle un être tellement meilleur, tellement beau.

Elle se raidit subitement alors que je conclus mes mots d’acier. J’avais touché un point sensible. Je lui demandais de me forcer à ne pas la jeter dehors. Je la toisai un instant : c’était un défi bête et méchant entre la créature leste et agressive que j’étais et sa douceur funambule, prête à être brisée. « Non. Je ne partirai pas. Et tu ne me mettras pas dehors. Je vais crier si tu essaies. » Elle avait l’air sérieuse et impassible mais je savais qu’elle tremblait au fond d’elle, qu’elle ne supporterait pas un nouveau coup. Mes coups étaient les plus durs parce qu’elle s’y croyait préparée mais qu’elle ne l’était pas, qu’elle ne le serait jamais. Elle édulcorait mon personnage en n’en tirant que des qualités enjolivées et en lui écrivant des lettres mielleuses pour tenter de l’attendrir, mais j’étais un fauve avant tout : présentez-vous comme un être fragile et ma seule envie sera de vous bouffer. J’inspirai en m’humectant les lèvres, gardant un calme faux et grésillant comme un néon éclairant les couloirs sales d’un métro. J’allais craquer. J’allais prendre son poignet et la tirer dans le couloir, claquer la porte, l’empêcher de revenir. Elle pouvait crier : les voisins se chargeraient d’appeler la police et sa voix fade ne changerait rien à mes insomnies. N’avait-elle pas compris ? Je gagnais. Je gagnais toujours parce que je n’hésitais pas à ouvrir des plaies cicatrisées par le temps et à les presser pour qu’elles saignent de plus bel. La plupart des gens n’osaient pas. Ils avaient soit la faiblesse de se plier aux volontés, soit l’humanité d’achever leur victime. J’étais, à nouveau, dans l’entre-deux. Inclassable. Inhumain peut-être, mais Elsa n’était pas la solution à mes problèmes. Je ne voulais pas résoudre ces problèmes. Je ne voulais pas être sauvé et elle pansait mes plaies avec attention sans même me demander mon avis. Je ne veux pas que tu sois là. Je ne voulais pas la souiller, tout simplement.

Je soupirai lentement, crachant l’air qui siégeait dans mes poumons perforés et serrai ma main sur l’un de mes paquets de cigarettes. Je l’ouvris et le vidai nonchalamment à ses côtés, trois d’entre elles tombant entre ses cuisses. « Super alors. Autant que tu chopes le cancer volontairement. » Le carton du paquet se transforma en boule difforme et je le laissai retomber sur elle, sans cesser de la regarder. De la fixer avec ces yeux assassins qui lui intimaient à la fois le silence et les explications. Elle ne me survivrait pas. Elle pouvait m’agacer, m’énerver, m’amuser et même me changer, un peu, mais je n’étais pas la cible de tout ce manège : elle l’était. Elle allait vivre un enfer que je ne voulais pas qu’elle subisse. Je me levai brusquement, la laissant seule sur le matelas et fis volte-face pour ne pas la perdre de vue. Marchant à reculons pour me placer au centre de la pièce, j’écartai les bras avec une emphase cynique qu’elle détestait déjà : « Alors, qu’as-tu de beau à me raconter ? » Mes pas dansant s’immobilisèrent soudain et je me dressai tandis que mes mains se croisèrent dans mon dos. « Histoire de savoir s’il ne vaut pas simplement mieux te laisser crier. » La froideur de mes mots assombrit l’atmosphère et rendit le contraste entre mes gestes et la situation encore plus noir. « Dis-moi ce qui mérite tant mon attention, ce qui s’est passé dans ta vie depuis l’enterrement de mon père, ce qui t’a poussé à venir frapper à ma porte plutôt qu’à celle d’un autre. » Elle n’avait pas le temps de parler. Elle avait à nouveau – ou peut-être que cela ne l’avait jamais quittée – ce visage larmoyant et ces yeux brillant de crainte. « Parce que je ne suis pas la seule personne que tu connais dans cette ville, si ? Il doit bien y avoir une raison pour que tu t’infliges ça. » Je refusais de croire qu’elle n’était là que parce qu’elle m’aimait. Je refusais d’admettre une innocence pareille. Même si celle-ci brillait dans la cascade blonde de ses cheveux et la courbe tremblante de ses lèvres. Même si celle-ci venait se planter là où se serait trouvé mon cœur inexistant à chaque fois qu’elle levait les yeux vers moi.
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() message posté Dim 24 Jan 2016 - 20:51 par Invité

“How long will I want you ? As long as you want me to, and longer by far.”   Je souris timidement avant de me rapprocher de sa silhouette imposante. Sa chevelure ébène rendait les reflets de la lumière encore plus éclatants sur les rebords de la fenêtre. Il s’apparentait trop souvent au créatures de l'obscure, mais j'étais là, je le fixais et je retrouvais les étincelles de ses cendres qui retombaient sur le sol. Je plissai les yeux en repliant les genoux. Mes bras étaient parcourus de spasmes mais je préférai relever la tête vers le plafond et m'abandonner à la futilité : Il fait drôlement froid ici ! Je tremble parce que mon corps est incapable de supporter cet air épouvantablement glacial, et pourtant je me sens euphorique. Je sens l'espace et la vie s'écouler à travers mes blessures invisibles. Ma douleur est interne. La tienne aussi. Regarde-moi, je suis la réplique exacte de la fille que tu as abandonné dans ta chambre à Galstonbury. Regarde-moi ! Je me tournai vers lui, traversée par une sensation violente de solitude. J'étais étincelante comme l'acier et dénuée de toute ardeur. Cette lame était rouillée. Elle ne servait plus à rien. Je serrai les poings en essayant de canaliser mon énergie. J'observai la pièce. Je m'attardais sur chaque petit détail et je retrouvai les contours de ma silhouette blafarde sur le parquet poussiéreux. Je n'étais pas une immortelle. Mon cadavre gisait déjà parterre, bien avant que je ne fasse irruption dans son univers morne et sans couleurs. Il m'avait tué un million de fois mais j'étais revenue pour embraser son quotidien insoluble. J'étais si proche de lui. Je le sentais battre au creux de ma poitrine comme une mélodie. Tom me brisait le cœur, mais Tom me remplissait d'espoir. C'était ironique, mais dès que je le voyais, j'étais prise par cette envie étrange d'éclater d'un rire effréné. Mon esprit s'embaumait par les fragrances empoisonnées de ces lieux de perditions où il se réfugiait dans la nuit. Le tabac. L'alcool. Les livres. J'admirais toutes ces choses qui le rendaient inatteignable. Ma gorge se serra alors qu'il se redressait à mes côtés. Il était méprisant et plein de dédain. Non pas contre moi. Mais contre tout ce que je pouvais représenter en me tenant de manière aussi inattendue face à lui. Je portais sur mon expression toutes ces années de folle complicité qu'il avait balayé d'un revers de la main. J'étais la fille qu'il avait oublié mais dont le fantôme était bien réel. Et maintenant, il lui suffisait de tendre le bras afin de l'effleurer du bout des doigts. « Mais le voilà le problème. Tu as tout compris toute seule, bravo.  » Je haussai les épaules sans réaliser l'ampleur de son cynisme. Il avait cessé de me blesser lorsque j'avais décidé de devenir stupide. Pensait-il réellement que je n'avais aucun instinct de préservation ? Je connaissais les deux revers de la médaille. Pile ou face ? Un soupir m'échappa. Je ne voulais pas choisir. J'étais pile au bon endroit. J'avais déjà perdu la face. On s'abandonne, on oublie. Hélas, je savais tous les secrets des cieux. A force de les regarder poindre vers l'horizon, ils avaient fini par me crever les yeux. J'étais aveugle car les voiles de la nuit se déchiraient sur mes paupières et que ma bouche susurrait le nom de ces constellations que nous avions un jour contemplé sur le toit de nos anciennes maisons. On ne peut pas blesser l'étoile, Tom-Tom. Elle est déjà morte.

Je le fixais de nouveau, prête à verser toute ma passion sous les ailes du vent. Il était parti une première fois et je m'étais résolue à rester. Je tenais les fragments de mon âme entre mes doigts comme l'esquisse d'un rêve inachevé et je lui tendais en le suppliant de m'insuffler la vie ou de me la retirer pour toujours. Thomas se raidit, il sorti son paquet de cigarettes et le vida sur mes cuisses tremblantes. Sa voix s'éleva comme un cri assourdissant dans ma tête. Elle me sommait de le contenir au sein de ma bienveillante. « Super alors. Autant que tu chopes le cancer volontairement. » Il prononçait ses mots mais ce n'était pas ce que j'entendais. Dans ma conscience, chacune de ses injures résonnait différemment. Parce que j'étais ici et que j'avais tellement besoin de lui. Il se leva et je couinai comme une enfant. Sa démarche se découpait dans le couloir avec assurance mais il n'avait pas l'air en forme. Son allure n'était pas très différente et pourtant elle m'inspirait autre chose. Thomas avait vieilli. Il était parfaitement reconnaissable mais son expression était ternie par les siècles qu'il avait parcouru à travers les rangs de sa bibliothèque. Ses pas se dirigeaient vers la porte et je craignais qu'il m'échappe encore. Il s'arrêta néanmoins, adoptant une posture sévère et imperturbable. « Alors, qu’as-tu de beau à me raconter ? Histoire de savoir s’il ne vaut pas simplement mieux te laisser crier.  » Ses affirmations tombaient sur mes épaules comme une pluie acide. Je n'osais pas répliquer ou trouver des raisons pour justifier mon attachement à son égard. Il s'agissait simplement de sentiments. Il n'avait aucune limite entre le cœur et l'esprit, ils étaient en continuité. Tout le temps. Et s'il était arrivé à briser cette connexion dès son plus jeune âge, moi, j'étais incapable d'expier toutes mes émotions dans un purgatoire. Je n'étais pas qu'une écume inconsistante qui flottait à la surface de la mer. J'étais la vague, la mouette, le sable et le flot continuel du vent. «  Dis-moi ce qui mérite tant mon attention, ce qui s’est passé dans ta vie depuis l’enterrement de mon père, ce qui t’a poussé à venir frapper à ma porte plutôt qu’à celle d’un autre. » Il ne me laissait aucune chance. Il enchaînait avec une violence déconcertante. Il me maintenait en apnée en dressant une distance insurmontable entre nous. «  Parce que je ne suis pas la seule personne que tu connais dans cette ville, si ? Il doit bien y avoir une raison pour que tu t’infliges ça. » Je soupirai en levant les bras vers mon visage. Je cachai mes yeux larmoyants, puis d'une voix fluette, je me mis à grincer des dents. Je ne savais pas le retenir. Il trichait en imposant les règles d'un jeu sans signification. Il trichait toujours. « C'est à se tordre de rire. » Marmonnai-je avec douceur. Je pinçai les lèvres en rassemblant tout mon courage, mais c'en était trop. Le chagrin ne me laissait plus le loisir de m'abandonner à l'allégresse. « Il fait froid, Tom. » Je gardai le visage fermé, puis au bout de plusieurs minutes, je dégageai ma frange afin de retrouver sa grimace méprisante. Mais il n'était plus là. Je ne l'avais pas entendu partir, il s'était simplement évaporé. Je me levai brusquement, paniquée à l'idée de l'avoir perdu. Les larmes perlaient au coin de mes yeux tandis que la peur traçait de long sillons sur mes joues. Oh toi, le diable fugace avec tes doigts tachés d'encre et tes souffrances éternelles. Tu seras rossé d'avoir vécu toutes ces inepties. Tu seras maudis parce que je t'attendrais jusqu'à l'infini.
 
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