RHYS & EUGENIA (of course you’re falling apart, darling, you’re human and sometimes, humans only know how to crumble. there is no such thing as a perfect heart.) Cela m’attristait sans doute plus que nécessaire d’être obligée de voir Rhys sans Julian. De voir Rhys lorsque mon mari n’était pas là. De voir Rhys alors que nous avions souvent été tous les trois, ensemble, en étant plus jeunes. Je savais que nous ne pourrions sans doute jamais revenir en arrière—nous n’étions plus des enfants, nous avions grandi et évolué chacun de notre côté. Nous avions laissé les adolescents que nous avions été derrière nous pour poursuivre notre route sans jamais nous retourner. Et puis, il s’était passé beaucoup de choses dans nos existences respectives, après tout. Il s’en était passé beaucoup trop pour que nous puissions les ignorer, pour que nous puissions faire
comme si.
Nous n’étions plus des enfants. La vie avait fait de nous des adultes.
Je tenais entre mes mains le tambour à broder de ma mère, ce même tambour que j’avais récupéré à Cardiff dans les jours qui avaient suivi son décès. Les sourcils froncés, je passais l’aiguille dans la toile afin de créer une croix avec du fil vert, puis une autre, et encore une autre, jetant de temps à autre des coups d’oeil vers mon modèle pour m’assurer que je ne faisais rien de travers. Je ne savais pas si j’aimais cette activité ; je passais bien trop de temps à réfléchir, à compter les espaces afin de ne pas faire de bêtises, à chercher des types de polices sur internet afin de broder Cecelia et Emilia de manière harmonieuse sans que cela ne fasse terriblement cliché. Cependant, cela m’occupait, et c’était ce qui comptait le plus. J’étais lasse de passer mes journées à l’appartement sans avoir l’occasion de me risquer dehors. J’étais lasse d’être sans cesse toute seule, de tourner en rond, de devoir limiter mes déplacements parce que mon ventre commençait à devenir trop encombrant avec mon handicap. Je ne réussissais pas à me résoudre à demander à Julians s’il pouvait travailler depuis l’appartement de temps en temps simplement pour que je cesse d’être livrée à moi-même parce que je ne voulais pas lui montrer que c’était difficile. Difficile entre la solitude et mon traitement incomplet. Difficile entre la grossesse double et toutes ces émotions qui se battaient dans mon crâne.
Je focalisai toute mon attention sur ce que je faisais, si bien que j’en oubliai presque l’heure ; au bout d’un moment, je sursautai légèrement en entendant la sonnette résonner et je rangeai mon aiguille dans une boîte et posai mon tambour à broder sur la table basse.
Mes mains se posèrent sur mes roues et, avec beaucoup d’efforts, je m’avançai jusqu’à la porte d’entrée que je finis par ouvrir ; là, je me retrouvai nez à nez avec un petit garçon de quatre ans qui avait un éclat coquin dans les yeux.
« Mais son ventre est trop petit pour qu’il y ait deux bébés dedans ! » s’exclama-t-il. Rhys poussa un profond soupir et un grand sourire amusé pris place sur mon visage. A vrai dire, je me faisais souvent cette même remarque. Mon ami se pencha vers moi pour me prendre dans ses bras ; je passai les miens autour de sa nuque lorsqu’il déposa un baiser sur ma joue. J’avais l’impression que cela faisait une éternité que je ne l’avais pas vu et c’était sans doute le cas, à vrai dire. Cela me faisait étrange. Si étrange. Mais, en même temps, j’étais indéniablement satisfaite.
Il finit par se redresser et je reportai mon attention sur Noha. J’avais encore du mal à imaginer Rhys avec un enfant—cependant, je me gardais bien de lui dire parce que j’avais passé de longues heures à lui répéter qu’il devait prendre ses responsabilités en main—mais, en regardant bien, peut-être réussirais-je à retrouver Rhys dans ce visage poupin.
« C’est un ventre magique, comme le sac de Mary Poppins. » lui dis-je, chuchotant presque, comme s’il s’agissait d’un secret.
« Mais non ça existe pas la magie. » J’haussai les sourcils en entendant sa réponse, feignant d’être offensée. Au fond, j’adorais les enfants puisque tout était possible, avec eux ; la vie ne leur avait pas encore tout fait connaître. Alors, ils s’émerveillaient encore. Alors, même la conversation la plus futile pouvait devenir sérieuse parce qu’ils étaient les seuls à y accorder de l’importance.
« Bien sûr que si ça existe. Tu n’as jamais entendu parler du sac de Mary Poppins ? » Il secoua la tête, les sourcils froncés.
« Tu demanderas à ton papa de te montrer son histoire et tu verras que la magie ça existe. » Je levai les yeux vers Rhys, un sourire flottant sur mes lèvres. Il était probable que Noha lui demande de le voir et qu’il soit donc obligé d’endurer une heure et demi de Mary Poppins. Cette image semblait si loin de lui mais elle était réelle, désormais. Elle faisait partie de cette réalité-là, désormais.
« Vous voulez quelque chose pour le goûter ? » demandai-je finalement. Rhys avait son fils avec lui, j’étais enceinte.
Nous n’étions plus des gosses, nous n’étions plus des gamins. Nous avions grandi.