Stranger(s) in a strange land ♧ Ryder

Le soleil n’était pas encore couché, mais cette journée du samedi était déjà presque finie et bientôt, je n’aurais plus que celle du dimanche pour profiter encore un peu du weekend qu’il me restait avant de retourner sur mon lieu de travail qu’était l’école afin de faire travailler quelque peu les petites cellules grises des cervelles des macaques qui me servaient d’élèves. En attendant, je décidai de me poser quelques minutes dans un bar, le temps de boire une bière bien fraîche avant de finalement retourner chez moi dans le quartier de Notting Hill. L’établissement – que j’avais choisi un peu au hasard, je devais bien l’avouer – semblait plutôt populaire et, malgré l’heure plutôt prématurée de la soirée, sa fréquentation y était assez conséquente. Il était certes vrai que les bars anglais fermaient tellement tôt comparés au reste de l’Europe que les jeunes – et les moins jeunes – se retrouvaient déjà bourrés à une heure où en France, par exemple, on en était encore à se préparer. Mais bon, je n’étais pas là pour me noyer dans l’alcool jusqu’à en être ivre mort et je me posai tranquillement au comptoir du bar, attendant patiemment que le barman qui servait d’autres clients soit enfin disponible pour prendre ma commande.

J’avais passé cet après-midi plutôt ensoleillé dans le marché de Camden Town que j’appréciais tout particulièrement pour sa diversité et son originalité et, si je n’avais pas fait de réelles folies au niveau du shopping, j’avais tout de même passé un très bon moment. Après tout, j’avais beau être seul dans cette grande ville qu’était Londres, cela ne m’empêchait absolument pas de sortir en toutes occasions. D’ailleurs, si j’avais dû me priver de sortir par manque de compagnie, je serais encore en train de jouer les touristes – ce qui n’était franchement pas génial pour quelqu’un qui avait emménagé dans le pays depuis près de huit ans et qui en avait même obtenu la nationalité il y avait de cela deux ans à présent.

Une fois que le barman en eut fini avec la commande de mon voisin de haut tabouret de comptoir, il se tourna finalement vers moi dans le but de prendre ma propre commande qui fut plutôt banale puisque je ne demandais qu’une simple bière pression. Je tournai ensuite la tête vers mon voisin de droite qui était justement en train de me regarder avec un petit sourire aux lèvres et j’y répondis avec un plaisir non dissimulé, partagé entre la gêne et l’amusement. Sans vouloir le moins du monde me vanter, j’avais assez l’habitude que l’on me regarde cette façon et cela me faisait toujours autant rire, que cela soit un regard plutôt animal ou tout ce qu’il y avait de plus innocent.

- La vue vous plaît ? finis-je alors par l’aborder toujours avec ce sourire amusé collé aux lèvres. Je sais que je suis beau, mais… je suis humain avant tout, pris-je ensuite un ton très joué, tout en posant une main sur ma poitrine. J’avais beau jouer la comédie tous les jours au boulot afin d’animer mes cours d’histoire, il m’arrivait parfois de continuer à jouer des rôles en dehors de l’école, comme si le monde entier était une salle de classe à laquelle je devais enseigner. Pardonnez mon humour douteux, je ne voulais pas vous mettre mal à l’aise, m’excusai-je tout à coup de manière sincère. Je m’appelle Ryder, fis-je en tendant une main amicale pour qu’il la serre.

J’étais bien obligé d’admettre que la façon que j’avais eu d’interpeller ce jeune homme – qui n’avait, au final, absolument rien fait de mal puisqu’il avait tout à fait le droit de me regarder de la manière dont il le souhaitait (du moment qu’il ne se mettait pas tout à coup à faire une chose normalement interdite en public devant moi…) – avait pu être très embarrassant pour lui. Seulement, mes intentions étaient loin d’être mauvaises et je regrettais quelque peu de l’avoir incommodé à ce point. Surtout que je ne souhaitais à la base interagir avec lui uniquement dans un cadre humoristique, mais je crois qu’il fallait sérieusement que j’apprenne à éviter d’utiliser cet humour légèrement douteux avec de parfaits inconnus, cela me dispenserait de ce genre de situations quelque peu gênantes…

Je m’excusai alors de manière tout ce qu’il y avait de plus sincère auprès de lui et, comme pour réparer l’erreur monumentale que je venais de faire, je me présentai à lui, tout en tendant une main amicale qu’il se fit un plaisir de serrer – preuve qu’il ne me tenait absolument pas rigueur de la façon dont je l’avais abordé.

- Euh... Ciaràn, enchanté, se présenta-t-il en retour, et – bien que je n’étais pas un spécialiste dans ce domaine – je pus tout de même noter un léger accent irlandais (de toute façon, rien que le prénom m’indiquait ses origines…). Je suis vraiment désolé, c'était... si peu discret que ça ? fit-il alors, toujours très gêné que j’avais pu remarquer le regard qu’il m’avait lancé discrètement tout à l’heure. Enfin... Je voulais pas vous manquer de respect, vraiment...

- Ne vous en faites pas, je ne faisais que vous taquiner, tentai-je une fois encore de le rassurer. Et, pour être tout à fait honnête avec vous, vous êtes beaucoup plus discret que certaines personnes que j’ai rencontré, me permis-je ensuite de lui avouer. Après tout, je n’avais aucune raison de lui cacher une information pareille à part pour le mettre un peu plus mal à l’aise qu’il ne l’était déjà. Et puis, ce que je disais là n’était que l’entière vérité. Il m’était parfois presque possible d’observer un filet de bave couler du menton de certaines personnes… Bon, heureusement, les gens étaient la plupart du temps bien élevés et utilisaient, comme Ciaran, la discrétion – bien que j’étais généralement toujours capable de savoir lorsque l’on me reluquait avec insistance. Vous travaillez à Londres ou vous êtes ici en vacances ? continuai-je alors par lui poser une question. Oui, parce qu’il me semble que vous êtes Irlandais, je me trompe ? Votre accent vous fait défaut et puis, je dois bien avouer que votre prénom vous trahit aussi – bien que ça ne veuille rien dire !

- Ça, je veux bien le croire... n’eut-il aucun mal à avaler les paroles que je venais de prononcer. Il fallait dire aussi que, de nos jours, le comportement de certaines personnes en matière de drague laissait sérieusement à désirer, il n’était donc pas étonnant que le jeune homme n’ait absolument aucun doute envers les propos que je venais de tenir. Je me doute... répondit-il ensuite à la remarque que j’avais faite sur ses très probables origines irlandaises avec un sourire amical. Après tout, il devait très certainement avoir l’habitude d’entendre ce genre de commentaires de la part des personnes qu’il rencontrait pour la première fois. Mais bon, je devais tout de même bien avouer que son accent – contrairement au mien que je pouvais aisément faire disparaître si l’envie me prenait – était assez prononcé, il était donc difficile de passer à côté. J'ai fait mes études ici en fait, et je continue à vivre depuis... Un certain nombre d'années, maintenant, à Londres... eut-il la gentille de m’expliquer, alors que je jouais les curieux – ce qui pouvait être considéré comme de l’impolitesse par certains. Puis, il finit par se tourner vers moi dans le but de me demander à son tour : Et vous ? Vous venez d'où ? J'avoue que je ne suis pas très doué pour identifier les accents, le vôtre m'échappe... Vous aussi vous êtes installé ici, ou vous visitez seulement ?...

- Aaah ! C’est seulement parce que je le cache bien ! m’exclamai-je alors avec un petit sourire amusé en parlant bien évidemment de mon accent très souvent indétectable par les personnes généralement non-initiées à l’accent australien quelque peu particulier. Mais sinon, je suis Australien, me décidai-je finalement à répondre à toutes les questions qu’il venait de me poser, rajoutant même des détails inutiles dont il devait très certainement se foutre royalement. Je suis né à Melbourne, pour être précis. Mais j’ai fait mes études à Sydney. Vous y êtes déjà allé ? m’enquis-je alors, très intéressé de savoir s’il avait déjà visité mon beau pays – je n’étais habituellement pas très chauviniste, mais personne ne pouvait vraiment nier que l’Australie était l’un des plus beaux pays du monde. Ça fait maintenant huit ans que j’ai emménagé à Londres et, à vrai dire, je ne suis même plus un étranger puisque j’ai obtenu la nationalité britannique il y a deux ans de cela, lui expliquai-je avec presque l’envie d’aller chercher mon passeport rangé pourtant chez moi dans le quartier de Notting Hill simplement pour le lui montrer. Et ce n’était pas pour me justifier auprès de ce jeune homme que je venais à peine de rencontrer, mais parce que j’étais plutôt fier d’avoir obtenu cette double nationalité dont je n’avais même pas particulièrement besoin en plus. Et sinon, vous faites quoi, dans la vie ? me permis-je alors de lui poser une autre question – on n’était en train de faire connaissance après tout.