Old yellow bricks. (River)

La porte se referma tandis que River prit place sur le fauteuil qui trônait au milieu du bureau. Face à lui, le psychologue resta immobile sur sa chaise, croisant les jambes tout en le fixant d'une façon qui rendait mal à l'aise River. C'était comme si il cherchait à lire en lui, à percer à jour tous ses secrets les plus sombres. Rien d'étonnant, c'était un peu son boulot au fond. En tout cas, le brun ne se laissa pas troubler bien longtemps et soutint le regard du professionnel. « Très bien, qu'est-ce qui vous amène ici, Mr Greenway ? » « Hm, c'est assez gênant, c'est à propos de mon petit-ami. En fait.. je.. J'ai... » Il n'y parvenait pas. Un sentiment de honte l'envahissait lorsqu'il tentait de dire ces quelques mots parfaits pour résumer la situation dans laquelle il était avec Julius depuis son réveil. Conscient de la torture dont il s'agissait pour River, le psychologue reprit la parole. « Et si on parlait de vous pour commencer ? Racontez-moi un peu votre vie que j'en sache un peu plus sur vous. » Sans qu'il ne s'en rende compte, il se détendit. Parler de lui serait assez facile puisqu'au fond, il n'y avait pas grand chose de bien intéressant à dire. « Et bien je suis né dans le Wisconsin. Ma mère était prof et mon père.. Bon, vous voyez ces types qu'on peut voir à la télé qui font des tas de discours sur la religion et qui prônent des valeurs qu'ils n'appliquent pas forcément ? C'était ça, son job. » Déjà, la rancœur qu'il éprouvait à l'égard de son père transpirait à travers ses propos. C'était plus fort que lui. Rancunier comme il l'était, même après tout ce temps, il ne parvenait pas à lui pardonner tout ce qu'il avait pu lui faire et lui dire. « Parlez-moi de votre père. » Soupire. Forcément, le psy avait bien remarqué qu'il s'agissait là d'un terrain dangereux, d'un point faible de l'homme. « On a jamais été très proches. J'veux dire.. J'ai essayé, vraiment. J'ai essayé de croire dans toutes ces conneries qu'il racontait sauf que j'y arrivais pas. J'arrivais pas à comprendre pourquoi c'était une telle abomination, le fait que deux hommes s'aiment. J'arrivais pas à comprendre pourquoi on devrait les insulter, les exclure, tout ça parce qu'ils s'aiment. Quel genre de Dieu prônerait ces valeurs ? » Sa jambe se mit à tapoter nerveusement contre le sol, signe de son anxiété. « A cause de lui, j'me suis détesté pendant des années. J'ai cru que ce que je ressentais pour les hommes n'étaient pas normal et que j'allais finir en enfer. » Son mal être était d'ailleurs évident à l'époque. Il était assez refermé sur lui-même et était à fleur de peau, s'énervant pour pas grand chose. Au final, River avait craqué. Il n'avait pas prévu d'avouer son homosexualité à ses parents de la sorte mais sur le coup, en entendant son père évoquer avec haine la pseudo décadence dans laquelle vivait tous les couples homosexuels lors d'une réunion avec certains de ses fidèles, il avait craqué. Il avait hurlé à son père ce qu'il pensait réellement de tout ce qu'il disait et surtout, il lui avait avoué qu'il préférait les hommes. Encore aujourd'hui, le gérant se rappelait du regard de son père, ce regard qui trahissait sa déception mais surtout, son dégoût. Ses mots raisonnaient sans arrêt dans son esprit, notamment les quelques insultes qu'il avait prononcé à son égard. Suite à cela, River était parti. Il avait rassemblé certaines affaires rapidement et avait quitté le domicile familial sans jamais se retourner. Il avait vécu quelques mois chez des amis avant de partir pour Londres, ville dont il fut tout de suite sous le charme au point de désirer y vivre. « Et maintenant, qu'en est-il de votre relation avec votre père ? » « Inexistante. Je suis partie de chez moi lorsque j'ai avoué être gay et.. J'ai pas eu de contact avec eux depuis. Et je cherche pas à en avoir, honnêtement. » Si son père n'avait pas été capable de l'assumer comme il l'était, alors tant pis pour lui. Évidemment, c'était douloureux pour le brun. Sa famille lui manquait mais il parvenait à faire sans. De plus, il préférait être loin d'eux mais pouvoir être qui il est plutôt que mentir constamment. « Je vois. » Le psychologue prit quelques notes avant de relever la tête vers l'américain. « Comment avez-vous rencontré votre petit-ami ? » Un léger sourire étira les lèvres du jeune homme quand il se remémora cette soirée. « C'était il y a quatre ans. Je fêtais le premier contrat décroché par mon entreprise dans un bar lorsque je l'ai vu. » Tout de suite, ça avait été une évidence pour River. Après une courte pause, il reprit. « C'est un peu cliché mais.. Quand je l'ai vu, j'ai senti mon cœur s'emballer et j'ai tout de suite su que je pouvais pas sortir de là sans avoir tenté ma chance avec lui. » Pour autant, il ne l'avait pas abordé tout de suite, mal à l'aise avec la séduction comme il l'était. Il y avait réfléchi, encore et encore et au final, en se levant pour tenter une approche, il avait percuté Julius, ce qui lui donnait ainsi l'occasion rêvé de lui parler. « Quand on a commencé à parler ensemble, j'ai eu l'impression qu'on se connaissait depuis des années tellement j'étais à l'aise. On parlait de tout et de rien sans aucune gêne alors même qu'on se connaissait à peine. » Son sourire ne l'avait pas quitté alors qu'il parlait de leur rencontre tant ce souvenir lui était agréable. « Et après ? Comment décririez-vous votre relation ? » River réfléchit quelques instants. Aucun mot ne semblait pouvoir décrire ce qu'il ressentait de façon assez juste. « Je dirais juste que.. Je me préfère quand je suis avec lui. Julius a cette façon de me regarder, vous savez, un peu comme si j'étais la solution à tous les problèmes du monde. Il suffit qu'il me regarde de cette façon, qu'il vienne prendre ma main et.. j'ai l'impression que tout va pour le mieux et que je peux tout faire. » C'était le cas, par exemple, lorsque River rentrait du boulot, contrarié à cause d'un contrat ou d'un problème qu'il ne parvenait pas à résoudre. Il suffisait alors que Julius ne le regarde avec toute cette tendresse, qu'il ne vienne caresser sa joue doucement et River se rendait compte que tous ses problèmes n'étaient pas si importants que ça. Pas tant qu'il avait Julius a ses côtés, en tout cas. Bien évidemment, leur relation était loin d'être parfaite. Il y avait les disputes communes à tous les couples. Puis il y avait Julius et ses crises aussi. Si au début ça l'avait étonné, il n'avait pas pour autant pris la fuite. Non, River avait simplement cherché à l'aider et à le calmer quand ça arrivait. Et ça fonctionnait plutôt bien. « Mr Greenway, si tout est aussi parfait que ce que vous racontez, pourquoi êtes-vous ici ? » En évoquant le passé, River en avait presque oublié la raison de sa présence. Il baissa les yeux quelques instants pour fixer ses mains, posées sur ses genoux. La pièce resta silencieuse quelques instants avant que finalement, il ne daigne ouvrir la bouche à nouveau. « Il y a eu un accident, il y a un peu plus de deux ans. Et.. Julius a été plongé dans le coma. » Le silence perdura avant que River ne relève la tête vers le psy pour reprendre. « Il s'est réveillé il y a quelques mois. J'étais fou de joie, vraiment. Je retrouvais mon âme sœur, après tout. Mais.. C'est plus vraiment pareil. » Il tournait autour du pot, encore et encore. Finalement, il prit une grande inspiration, comme pour se donner la dose de courage nécessaire à prononcer ces quelques mots. « Je... J'arrive plus. J'arrive plus à.. à avoir envie, à le toucher. Dès que je pose mes yeux sur ses brûlures, je repense à ce qu'il a traversé, à la souffrance qu'il a du enduré et.. je peux pas, bordel. » Il s'en voulait de s'arrêter à de tels 'détails'. Après tout, il aimait Julius plus que tout alors il aurait du être capable de passer outre. Sauf que c'était trop difficile. Ce n'était pas que l'aspect esthétique qui le freinait et coupait son désir. Non, c'était également ce qui allait avec ces brûlures. L'accident qui avait eu lieu, le coma qui avait suivi. Les larmes, la douleur, la distance. Alors quand il voyait cela, il ne parvenait pas à oublier, tout simplement. « Vous savez, c'est tout à fait normal de ne plus désirer l'autre après une telle épreuve. Il faut vous accorder un peu de temps pour que vous puissiez vous retrouver. » River leva les yeux au ciel, agacé. « Du temps ? Mais merde, plus le temps passe et plus on s'éloigne ! » Il se leva alors brusquement, faisant les cent pas. « C'est de ma faute, de toute façon, putain tout est de ma faute. » marmonna-t-il alors qu'il allait et venait nerveusement dans le bureau du psychologue. « Qu'êtes vous en train de dire ? » Le jeune homme se figea avant de se tourner vers le professionnel. « Je.. Je l'ai trompé il y a six mois. » Un rire jaune s'échappa de ses lèvres tant il s’écœurait lui-même. « Vous vous rendez-compte ? Mon petit-ami est dans le coma et moi, j'ai rien trouvé de mieux à faire que me taper un vulgaire inconnu en pensant que je me sentirais mieux après ! » Encore aujourd'hui, il était dégoûté par ce qu'il avait fait. La fidélité était une valeur qu'il prônait ; il partait du principe que tromper son petit-ami était la pire trahison qui puisse être. Et voilà que six mois plus tôt, il avait commis l'irréparable, trahissant à la fois son compagnon et ses principes. « Ne croyez-vous pas que cela joue un rôle dans votre blocage ? » « Pardon ? » « Je suppose que vous n'avez rien dit à votre petit-ami. Il est probable que le fait de lui cacher cela n'aide pas à régler votre problème, Mr Greenway. » Sans doute voyait-il juste. La culpabilité qu'il éprouvait était multiplié en présence de son petit-ami et sans même s'en rendre compte, il se montrait plus distant encore. « Vous devriez lui en parler, cela vous aiderait. Je suis sûr qu'il comprendra et.. » River secoua la tête vivement alors qu'il recommençait à faire les cents pas. Jamais Julius ne pardonnera son comportement. « Comprendre quoi ? Que je l'ai trahi ? Wow vous l'avez eu où, votre diplôme, pour me dire une telle connerie ? » Sans même laisser au psychologue le temps de réagir, River enfila sa veste et se dirigea vers la sortie. « Vous savez quoi ? C'était une mauvaise idée. Vous pouvez pas m'aider. » Et sur ce, il quitta le bureau, encore plus désemparé qu'à son arrivée.