(✰) message posté Jeu 5 Fév 2015 - 23:59 par Invité
“ THAT UNMATCHED FORM AND FEATURE OF BLOWN YOUTH,
BLASTED WITH ECSTASY ” Hamlet, III,1
Je forçai sur mes doigts. Ils craquèrent sinistrement. La nuit tombait. L’heure de l’errance commençait. Je posai mon regard sur les étudiants. Il était de nouveau noir, accueillant les ténèbres en débutant avec celles-ci une danse sensuelle. Je restai assis sur la table et suspendis ma voix. C’était la fin du cours, je voyais leurs yeux tirés, leurs mains tremblantes, leurs airs affamés et fatigués. Faire cours au crépuscule, c’était quelque chose que j’aimais. Il y avait toujours cette atmosphère propre à la nuit qui enveloppait mes mots et mes gestes, ainsi que l’attitude des élèves. Une sorte de sérénité résignée. Toute une subtilité. Vous vouliez me retrouver dans l’université ? Essayez les grands amphis à partir de 19h. Et la bibliothèque à partir de 20h. Finalement, s’enfermer dans des routines, ça m’arrivait aussi. Je soupirai. « Rentrez chez vous. » Pas besoin de leur préciser qu’il fallait travailler. Au bout de quatre ou cinq ans d’études, on finissait par l’avoir compris. Donc je me contentai d’être froid – tout le monde savait que ça faisait mon charme. Ils se levèrent tous et l’effervescence qui résonna dans l’amphi me berça alors que mes yeux se posaient sur l’horizon londonien, pensifs. La voix d’un étudiant me tira de ma torpeur : il me demandait quelque chose, mais je le fis répéter, ayant perdu un instant la notion de la réalité. Nous étions presque seuls dans l’amphi et pourtant je n’avais pas rangé mes affaires, et mes manches étaient toujours retroussées, signe ultime de ma réflexion scolaire. Je descendis de mon perchoir et répondis au jeune homme en le contournant pour me placer derrière le bureau et mettre mes dossiers et mes livres dans mon sac. Je posai mon manteau sur mes épaules et nous sortîmes en discutant littérature. Quelque chose de très américain, je crois. Du genre Whitman, mais sans la barbe. Vous vous dîtes sûrement que j’abuse, et que je pourrais m’en souvenir mieux que ça, mais non. Parce que j’avais envie de rentrer chez moi, et que la suite des évènements me fit complètement oublier cette entrevue – dommage, c’était un étudiant très assidu et aux remarques pertinentes. Car oui, j’avais la capacité de facilement associer les visages aux noms, et que ce type, je savais très bien ce qu’il valait. Non seulement il avait un esprit d’analyste fin, mais discuter avec lui était quelque chose d’agréable. Comme l’écume des cours que je donnais, le parfum éloigné de ce qui réussissait à me faire oublier mon ennui et mon manque. Et pourtant, ellipse dans mon esprit : je ne pourrais pas vous dire avec précision quel avait été notre sujet de conversation.
Probablement que la suite vous intéresse beaucoup plus, de toute façon. Qu’est-ce que mes quelques accès littéraires vous procurent, à part la désagréable sensation d’avoir en face de vous un être bien prétentieux et à la voix suffisante et insupportable ? Rien. Vous en aviez marre de moi, mais je comprends votre opinion, je comprends votre exaspération, et je comprends que ma manière d’être vous ennuie – parce que, vous savez, j’étais le premier à me plaindre de moi-même, mais puisque je ne vous raconte que les parties intéressantes de mon existence, vous n’assistiez pas à mes crises les plus banales et les plus représentatives du mépris que j’avais pour la personne que j’étais. Nous nous sommes arrêtés en haut des escaliers devant l’université et j’ai tourné la tête vers mon élève, un sourire aux lèvres. Il m’en adressa un également, puis plissa des yeux : il ne me regardait pas. Ses yeux observaient furtivement quelque chose au-dessus de mon épaule droite. Il paraissait surpris mais le cacha bien – sauf que j’étais bien trop observateur pour lui. Il me fit un signe courtois de la main et descendit les escaliers dans la direction opposée à celle que j’empruntais d’habitude pour rejoindre le métro. Je me suis tourné, et ce fut à mon tour d’être surpris. Pas encore amusé. Laissez-moi le temps de savourer l’instant. A une quinzaine de mètres, assise sur les marches froides des escaliers, se trouvait Angèle. La réaction du jeune homme s’expliquait donc d’un coup. C’était qu’elle avait une réputation, la princesse, et que beaucoup d’étudiants avaient cette sorte d’admiration répulsive pour son caractère et sa singularité. Et puis, personne n’ignorait que j’étais passé outre l’admiration – admirer Angie, vous déconnez j’espère ? Elle crèvera dans un caniveau un de ces jours, c’était son destin. Elle était poussière et elle resterait poussière. Elle était de dos et ne m’avait pas vu – j’étais trop loin pour qu’elle ait entendu le son de ma voix, aussi suave soit-elle. J’hésitai à aller lui parler. J’avais été très déçu de constater la distance qu’elle avait placée entre nous depuis la fameuse nuit de la discorde. Comme quoi, il y avait des choses qui la freinaient , qui l’éteignaient : ses sentiments. Elle n’avait pas supporté cette soirée désastreuse durant laquelle elle avait failli mourir. Je finissais par croire que j’apportais la mort avec moi, car depuis peu, elle la frôlait à chaque fois que j’étais dans les parages. Soit parce que je l’étranglais, soit parce que j’hésitais à la sauver, soit parce que je lui faisais tant horreur qu’elle se laissait aller et jouait jusqu’à l’overdose. Et si ce n’était pas la mort, c’était la douleur. Mais pourquoi parler de cela, alors que je ne ressentais qu’une profonde déception. La déception de voir qu’elle pouvait n’être qu’une junkie frustrée par l’existence, sans aucune énergie. La déception de me rendre compte qu’elle m’en voulait et que mon sarcasme avait dépassé ses limites – et donc qu’elle avait des limites. La déception de constater un matin, devant mon miroir maudit, que la marque sur mon cou avait fini par s’estomper, après deux mois de règne. Et c’était bien probable que mes griffures soient également parties, laissant Angie comme libérée de mon poids, mais perdue, en un sens. Parce que j’avais tenté de l’aborder, neutre et indifférent, mais elle m’avait glacialement ignoré. Ce qui ne m’avait pas étonné – peut-être agacé, un peu, mais il fallait m’y attendre, n’est-ce pas ? Elle avait le droit de m’en vouloir, peu importait ce que moi j’en pensais. Après quelques semaines, je finissais par lui laisser le temps. Parce que oui, vous savez, j’étais assez prétentieux pour croire qu’elle reviendrait me voir un jour. Il fallait bien quelqu’un pour lui filer une cravate si elle n’avait plus de garrot sous la main.
Je m’avançai silencieusement vers elle, descendant discrètement une à une les marches de l’escalier, et m’assis derrière sa fine silhouette à un ou deux mètres, tel un chat et sa mesquinerie. Lui parler revenait à l’emprisonner dans mes filets. Elle n’avait aucune issue par laquelle s’échapper. Une fois la nuit tombée, les alentours de l’université glaçaient les âmes les plus agitées et laissaient chanter le vent d’hiver. Je sortis mon paquet de cigarettes. Elle n’avait rien entre les lèvres. « Salut Angie. » Elle se retourna brusquement et se leva. Peut-être qu’il y avait de l’horreur sur son visage. Peut-être que j’étais comme la cigarette mesquine à laquelle on ne peut s’empêcher de penser alors que l’on fait tout pour arrêter. J’en sortis deux de mon paquet, les mis côte à côte au coin de ma bouche et craquai une allumette, grillant d’un seul mouvement leurs extrémités respectives. Puis j’en saisis une et lui tendis, faisant rouler l’autre sur mes lèvres brodées d’un sourire. « Quoi, tu vas partir en courant ? Je vais pas te bouffer. » Ma main était toujours tendue vers elle mais elle n’esquissa pas le moindre geste pour venir cueillir la cigarette que je lui offrais en signe de diplomatie. Je haussai les épaules et la posai à côté de moi sur la marche, sans l’éteindre. « Tu me fais encore la gueule, sérieusement ? » Et peut-être que dans ma voix résonna ma déception, le fait que ma fée électrique me manquait et que son absence rendait mes journées moins amusantes. Que je devais me contenter des étudiants intelligents des cours du soir, et que le souvenir de son sourire sulfureux – pâle copie du mien, mais tout de même respectable – finissait par s'effacer, au même titre que son empreinte violacée. Angie disparaissait de moi. Elle commençait petit à petit à faire à nouveau partie du décor, et je détestais ce sentiment. Parce que je perdais une raison de me lever le matin, en vérité – on aurait presque pu trouver cette remarque poétique, mais n’oubliez pas qui j’étais pour Angie, et ce que j’aimais lui faire subir. La romance semblait bien loin à présent. Je me levai alors, fatigué par sa désinvolture, et descendis vers elle. Passant à ses côtés, je ne m’arrêtai pas mais lui lâchai quelques mots. « Viens. On va boire, je t’invite. » Je savais qu’elle allait me suivre – ou était-ce mon égo qui tentait tant bien que mal de me persuader qu’elle suivrait mes ordres ? Parce qu’il s’agissait d’un ordre auquel je lui demandais d’obéir, et elle l’avait bien compris. D’une certaine manière, j’avais presque envie qu’elle refuse, pour pouvoir jouer un peu et la faire céder en fin de compte. J’avais presque envie qu’elle m’assène une réponse cinglante au visage, parce que ça prouverait qu’elle n’était pas morte. Je méritais qu’elle me crache à la gueule, mais elle avait loupé le coche : elle aurait dû se défouler sur moi lorsque Jules s’était fait une joie d’écraser son poing sur mon nez. A présent, elle n’avait plus personne autour d’elle pour lui donner ce courage. Et quoique, j’avais vu sa floraison destructrice l’autre soir. Une vraie sorcière maudissant ses bourreaux. Dommage pour elle que je sois déjà damné. Je m’arrêtai quelques marches plus bas et me retournai, en haussant les sourcils. « A moins que tu ne préfères me snober et maudire ma descendance, bien sûr. Mais ce serait bien bête de gâcher notre belle amitié. » Ah, t’en avais presque oublié le sarcasme, Angie ? Il va falloir que tu revoies ton cours, depuis le début. Il n’avait pas changé. Et moi non plus.
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(✰) message posté Sam 7 Fév 2015 - 19:43 par Invité
J’avais troqué mes vieux jeans slim qui vieillissaient très mal, mes pulls informes, mes Converse bordeaux, j’avais troqué ce style qui m’était très familier, enfin si on pouvait parler de style, la plupart du temps je m’habillais de façon à être confortable, la mode ne m’intéressais que très peu, je ne savais pas mettre mes atouts en valeurs. Cependant ce matin là il fallait que je sois classe comme l’avait si bien souligné mon père lorsqu’il m’avait tendu milles pounds pour je cite ‘’refaire ta garde robe’’ en vu d’un voyage de dernière minute. Je me regardais devant le miroir, escarpins noirs, cheveux magnifiquement coiffés, maquillage impeccable, manteau noir aussi long que moi, pantalon de coupe droite et noir également, dans lequel s’était glissé ma chemise bleue clair bordée de blanc, une ceinture Hermes pour parfaire le tout et j’étais paré, sans oublier mon indispensable sac et ma valise. J’étais très élégante, peut-être même bien trop élégante, je peinais presque à marcher dans ces escarpins qui me taillaient presque les os. A mon poignet une montre, chose que je ne portais jamais, mais c’était la touche nécessaire à ce look qui me mettait en valeur mais qui ne me correspondait pas, on aurait pu me donner cinq ans de plus.
Citation :
Rendez-vous à 18h30, gate 58, n’oublie pas que les stupéfiants sont IN-TER-DITS.
Blake, mon frère, m’avait envoyé ce message très explicite, m’indiquant l’heure à laquelle nous devions nous retrouver à l’aéroport. Je ne vous parle pas de prendre un avion lambda, où même un avion en premier classe, non la réputation de la famille Powell était bien plus prestigieuse qu’une simple place en first class, Igor avait son propre jet privé, j’allais donc me retrouver à passer un peu plus d’une heure avec mon père et mon frère dans un jet privé qui allait nous diriger vers Amsterdam. Quelques semaines s’était écoulées depuis le décès de ma défunte mère, mon père qui semblait affecté –très peu je vous l’accorde- mais affecté quand-même par la perte de son ex-femme nous avait proposé quelques jours de repos, en famille, pour se ménager. L’idée m’avait semblée utopiste, pourtant notre grand-mère paternel était au petit soins pour son fils et ses petits enfants, nous ne pouvions refuser ça.
Avant de quitter mon appartement et me rendre dans la limousine spécialement apprêtée pour moi sous ordre de Mister Igor, celle-ci allait me rendre à l’aéroport, j’avais mis dans ma poche la fameuse lettre de ma mère que je lisais chaque jour comme on lit un horoscope. Dans un premier temps j’avais de la peine à croire que je ne m’étais pas encore envoyé un seul rail, un joint ou un cachet magique de la journée, l’idée de partir en famille semblait me satisfaire plus que les drogues ou du moins j’essayais de me le faire croire. « Bonsoir mademoiselle Powell. » Je n’étais pas habituée à baigner dans ce monde de luxure et d’avarice dans lequel mon père et mon frère nageaient aisément, le portier m’avait accueilli comme s’il accueillait la princesse d’Angleterre, j’étais flattée et quelque peu intimidée. Le chemin jusqu’à l’aéroport était court, pas plus d’une petite demi-heure, je regardais par la fenêtre de la limousine, la lune reflétait sur les vitres teintées et puis nous passâmes devant l’université, il semblait que la lumière de la salle du quatrième étage était allumée, non pas que je connaisse par cœur l’emploi du temps de Thomas … En fait oui, je connaissais son emploi du temps par cœur, comme si je suivais ces foutues cours de littérature. « Arrêtez-vous là, s’il vous plait. » D’un ton calme et serein j’avais demandé au chauffeur de s’arrêter, chose qu’il effectua, me demandant dans un premier temps si j’avais oublié quelque chose, pour simple réponse je lui avais dis de transmettre à Igor et Blake que j’avais un empêchement de dernière minute, il n’insista pas bien longtemps, me déposant sur le bord du trottoir avec ma valise. Je la traînais lourdement derrière moi, elle semblait peser des tonnes alors qu’à l’intérieur ne se trouvaient que des affaires pour quelques jours. Plus grand monde ne se trouvait sur le campus, je me dirigeais vers la porte d’entrée bordée d’escaliers, sur le chemin qui me menait à ses escaliers, les peu de gens qui s’y trouvaient semblaient me dévisager, avec ce look j’avais plus l’air de venir signer une contrat ou donner un cours d’économie plus qu’autre chose. Je laissais la valise aux pieds de l’escalier, m’asseyant sur les marches froides. La voix de Thomas ne fut pas bien complexe à trouver, elle résonnait parmi ces couloirs comme un écho, il semblait entretenir une conversation intéressante avec un de ses élèves. Puis plus rien, j’entendis simplement quelqu’un se déplacer vers moi. « Salut Angie. » Evidemment, je savais qu’il allait s’agir de Thomas qui m’avait sans doutes repéré de loin avec ses yeux de lynx, mais je restais tout de même stupéfaite, sursautant presque, tandis que j’avais la lettre de ma mère entre les mains. Je le regardais, lui et ses deux cigarettes, quel gentleman avais-je pensé cynique. Je ne lui avais pas retourné son salut, cela faisait des semaines que je l’évitais, je lui en voulais d’avoir tout foutu en l’air l’autre soir, mais je ne pouvais me défaire de sa personne, ce n’était donc pas pour rien que j’étais là ce soir, peut-être que je cherchais du réconfort, pourtant il semblait que j’avais frappé à la mauvaise porte, mais le temps avait peut-être lui aussi joué son rôle et rendu Thomas attendrissant avec moi, peut-être même, que dans mes rêves les plus fous, j’espérais lui manquer un peu. La cigarette qu’il me tendait ne m’intéressait pas, je ne le regardais plus de toute façon, posant une nouvelle fois mes yeux sur la fameuse lettre que je connaissais par cœur, comme un poème. « Quoi, tu vas partir en courant ? Je vais pas te bouffer, tu me fais encore la gueule, sérieusement ? » Même si je l’aurais voulu je n’aurais pas pu répondre franchement à cette question, je daignais enfin lui accorder un regard. « Ton écharpe … Elle est chez moi. » Ça ressemblait à une rupture, je lui disais ça comme pour lui faire comprendre qu’il fallait qu’il la récupère de cette façon je n’aurais plus rien à lui rendre, pas même des explications, parfois c’était plus compliqué d’expliquer que de disparaître laissant les gens dans l’indignation la plus complète. Je pris une grande inspiration, rangeant la lettre dans la poche de mon manteau, elle dépassait un peu. Ce matin j’essayais de me persuader que je voulais absolument aller à Amsterdam chez ma famille, là j’essayais de me persuader que je devais bannir Thomas de ma vie, je n’ai jamais été très forte pour persuader qui que ce soit, alors pourquoi essayer vainement de faire la même chose avec moi-même sur moi-même ? « Non. » Je refusais son invitation à boire un verre, d’un simple non, je n’avais pas d’autre réponse à donner, la justification n’étais pas nécessaire, il savait que je n’allais pas partager un moment amusant avec lui ce soir. Je retirais mes escarpins qui m’avaient vraiment taillés les os des pieds. « De toute façon, j’aurai beaucoup de peine à marcher avec ça, sauf si tu me portes sur ton dos. » Et encore … même s’il voulait bien me porter, j’aurais refusé, je voulais rester là, sur ces escaliers, il n’y avait personne, si ce n’est moi et lui et ça me suffisait amplement. Il s’était retourné l’air étonné, je ne lui refusais jamais rien, je faisais donc là opposition à mon caractère manipulable, nous étions assortis avec nos deux manteaux noirs. J’avais récupéré la cigarette qui trônait sur l’escalier, elle s’était à moitié consumée d’elle-même, je regardais l’horizon, sentant le regard pesant de mon interlocuteur sur ma personne. « A moins que tu ne préfères me snober et maudire ma descendance, bien sûr. Mais ce serait bien bête de gâcher notre belle amitié. » Premier sourire en coin depuis de longues semaines, le mot amitié résonnait dans ma tête, lui qui s’évertuait à ne jamais être dans les normes, semblait désigner notre relation en quelque chose d’amicale. Je me retournais vers lui, soufflant la fumée qui cachait mon visage. « Ta descendance est déjà maudite ... Et de quelle amitié tu parles Thomas ? » Il l’avait certainement perçu depuis le début de la soirée, je n’étais que l’ombre de moi-même, rien ne semblait m’intéresser, pas même mon merveilleux amant, sa fougue et sa témérité semblaient ne plus me convenir, autant que la drogue qui à l’heure actuelle ne coulait même pas dans mes veines. Je n’avais plus grande motivation et mon ton se voulait lasse. Je finissais par me lever, face à lui, tenant mes talons d’une main, la cigarette de l’autre. « Je suis certaine que tu as les clés de la cafétéria. » Je marchais à reculons, veillant à ne pas tomber, l’inviter à se joindre à moi. « J’ai faim … Un ami ne laisse jamais son autre amie dans le besoin. » Je lui souriais l’air désolée, car c’est tout ce que je pouvais donner à mon maximum, mon âme semblait s’être envolée avec ma mère.
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(✰) message posté Dim 8 Fév 2015 - 19:37 par Invité
« Ton écharpe … Elle est chez moi. » Je croisai mes bras autour de mes jambes et penchai la tête, affichant un air étrange et surpris. Je n’avais pas entendu la voix d’Angie depuis longtemps. Mais c’était bien la première fois que son timbre était triste et las. Elle semblait être éteinte : ses vêtements ne correspondaient en rien à ce qu’elle portait d’habitude, elle avait le regard vide et fatigué et les traits tirés comme lorsque l’on a beaucoup pleuré. C’était comme si elle avait pleuré pendant une semaine entière et que la trace de ses larmes lui avait sculpté un nouveau visage. Celui d’une Angie tombée du ciel, et elle était d’ailleurs misérablement sobre. J’avais l’impression qu’elle jouait dans un téléfilm aux couleurs fades. Je pris ma cigarette entre mes doigts et soufflai longuement ma fumée vers elle avec une lueur interrogative dans les yeux. « Ah. Embêtant. L’hiver, c’est fatal. » Je savais qu’elle me disait ça comme pour me dire « viens la chercher et disparais de ma vie – ou je peux la brûler aussi, ça te fera faire moins d’efforts ». Enfin, une partie d’elle-même. Cette fameuse moitié qui m’avait jeté la bouteille de vin au visage et qui avait eu besoin de me dire tout ce qui l’agaçait tellement chez moi. Paradoxal, vous ne trouvez pas ? De se dire qu’Angie ne pouvait pas se passer de tous les petits défauts qui constituaient mon être – l’égoïsme, le sarcasme, la prétention, la méchanceté, le cynisme, l’ennui, l’attirance pour l’interdit et le tabou, la désinvolture et l’irrespect – mais que tout cela l’énervait aussi plus que tout – à tel point qu’elle avait élevé la voix, l’autre soir, pour me blesser au plus profond de mon âme. Et à présent, voilà qu’elle me faisait jouer dans son téléfilm minable : l’amant, le type qu’elle pense détester, qui a oublié son écharpe. Je frissonnai de dégoût rien qu’à l’idée d’avoir un tel rôle. C’était inimaginable de penser que notre relation pouvait se terminer ainsi. Car si c’était le cas, elle n’aurait plus à craindre que je lui parle ou que je la regarde. Souvenez-vous : j’oublie. J’oublie les gens n’ayant plus l’éclat qui illumine ma mémoire. J’oublie ceux qui veulent m’oublier. Et j’oublierai Angie si tout ce qu’elle pouvait être, c’était un sac d’os dans une tenue bourgeoise, une fillette sobre et larmoyante. Et elle connaissait le mépris que j’avais pour des gens pareils, alors elle savait ce qu’elle faisait en me disant cela. Bats-toi Angie, bats-toi avec toi-même et vois qui gagne, car je n’ai pas de temps à perdre. Arg. Bien sûr que si que j’avais du temps à perdre. Je n’avais pas changé depuis le fameux soir. Pourquoi m’étais-je retrouvé entre les deux tourtereaux maudits ? Parce que j’avais eu du temps à perdre. Angie ne survivrait pas à mon ennui. C’était probablement l’une des seules choses dont elle ne se rendrait jamais compte et qui l’achèverait, comme une victime injustement lynchée sur la place publique, lorsque celle-ci s’abattrait sur elle. Et je serai là, je l’observerai mourir, sans dire un mot, et peut-être que la dernière lumière qu’elle verra s’éteindra dans mes yeux noirs, et puis je tournerai les talons et partirai. Peut-être que je m’arrêterai d’être celui que je suis après avoir consumé toute la vitalité de son âme, … et peut-être pas. Je n’y étais pas encore. Je voulais voir jusqu’où elle allait arriver. Mais, justement, je craignais qu’elle ne soit pas assez forte pour ça, pour ne pas me décevoir. Dans ce cas-là, oui Angie, pitié, fuis-moi. J’avais horreur de la déception.
« Non. » Sa réponse avait résonné comme un claquement sec et juste. Je me retournai vers elle, cigarette entre les lèvres, les yeux plissés et attentifs. Ah. Non. Simplement, non, espèce de sale con. Aïe, mon égo a mal, Angie, vraiment pas sympa. Elle retira ses chaussures. Elle ressemblait à une princesse, mais une vraie cette fois. Pas celle de mon royaume. Pas ma sorcière, pas la poussière qui ornait les livres de mon appartement, pas celle que je désirai violemment et à laquelle il m’arrivait de penser aux moments les moins opportuns. Ses pieds semblaient tout de même rougis de douleur : elle ne se sentait pas bien dans cette peau étrange, et cela me rassura un peu. « De toute façon, j’aurai beaucoup de peine à marcher avec ça, sauf si tu me portes sur ton dos. » Je souris, amusé. Tiens donc. Je l’avais déjà assez portée comme ça. Elle pouvait bien faire cet effort. « Ta descendance est déjà maudite … Et de quelle amitié tu parles Thomas ? » Je levai les yeux au ciel à sa première remarque. Très clairement c’était vrai. Si un jour (et Ôh combien détestable ce jour serait) j’avais une ébauche de descendance, celle-ci serait noircie par mon caractère abject dès le fœtus. Je me méprisais tant que j’avais horreur de l’idée que ma personne puisse plus ou moins se reproduire. Qu’un enfant puisse me ressembler : quel terrible cadeau fait à l’existence. Je ne demandais qu’à être détruit, cela aurait été idiot de prévenir les blessures en donnant naissance à une descendance maudite. Et quelle femme voudrait porter pareil fardeau ? Je ne répondis donc pas à cette fameuse première remarque, me contentant de ce simple jeu oculaire qu’Angie connaissait bien, mais la suite ne me laissa pas silencieux. Mon sourire disparut et je haussai les sourcils. « Quoi, tu préfères que je parle d’attirance couplée de répulsion ? De mépris mutuel ? De liaison ? De relation érudite et sexuelle ? Pitié, arrête. L'amitié, ça sonne beaucoup mieux. Ah mais j’oubliais presque le fait que tu veux pas me parler en ce moment. » Tout en parlant, je m’étais lentement rapprochée d’elle, remontant les quelques marches qui nous séparaient, en laissant une entre nous. « Amitié au sens ‘tu vas crever de froid dehors dans cette tenue ridicule et ça fait longtemps qu’on a pas discuté, toi et moi.’ » Qui me disait qu’elle avait envie de parler ? Certainement pas elle. Et pourtant, elle se leva, pieds nus, sa tête se retrouvant à la hauteur de la mienne. « Je suis certaine que tu as les clés de la cafétéria. J’ai faim … Un ami ne laisse jamais son autre amie dans le besoin. » Je lui accordai un sourire complice alors qu’elle m’invitait à retourner dans l’université. Je la suivis, bien évidemment, une main dans la poche, l’autre tenant mon cartable, les yeux plissés et attentifs, ma cigarette coincée entre mes lèvres. Nous pénétrâmes dans le hall et je n’éteignis celle-ci que lorsque je trouvai une poubelle. Nous déambulâmes à travers les couloirs, vers la cafétéria. Tout était silencieux. Les derniers cours se déroulaient, tranquillement, la bibliothèque se vidait, gardant en son sein les étudiants courageux et travailleur – ceux entre lesquels j’adorais lire un livre, car ils ressemblaient à des fantômes qui hantaient les lieux, et que j’avais moi-même l’impression de faire partie de cette sombre mascarade. Et ça sentait la résine – quelle odeur délicieuse et qui me correspondait si bien. Le tabac et la résine. Un parfum que l’on m’attribuait facilement lorsque l’on me connaissait un peu. N’est-ce pas Angie ?
Arrivés devant l’entrée de la cafétéria, je m’approchai de la porte pour constater qu’elle était en effet fermée. J’enlevai mes gants et sortis de mon cartable un dossier dont je retirai deux trombones que je dépliai et repliai avec mes mains et mes dents de manière experte, sans m’érafler ni le bout des doigts, ni le coin de la bouche. Je les introduisis ensuite dans la serrure et la porte s’ouvrit presque naturellement, nous accueillant dans son obscurité. « Allume pas la lumière, on va nous voir sinon. » Je refermai la porte derrière moi et la verrouillai de nouveau. Je lui fis un geste de courtoisie ironique vers les sandwichs et les viennoiseries qui s’offraient à elle. La laissant aller à sa dégustation, je m’avançai vers les tables près des fenêtres et m’installai dans un rayon de lumière urbaine et nocturne. Et puis je sortis mon paquet de cigarettes et en allumai une, croisant mes bras sur la table et posant ma tête dessus, la clope plantée dans la bouche. Angie me rejoignit et je levai les yeux vers elle, sans pour autant me redresser. « Ah, chère amie, vous voilà. » Mon ton était un brin moqueur, mais surtout très caractéristique de ma personne, celle qu’elle avait voulu oublier mais avec laquelle elle se retrouvait, dans cette atmosphère étrange et poétique. J’avais toujours aimé les pièces où la lumière se battait en vain avec les ténèbres, faisant luire le moindre objet d’un éclat cuivré et singulier. On ne percevait pas l’autre de la même façon non plus, à moitié caché par l’obscurité. Je me redressai finalement pour venir poser mon regard vers l’extérieur. Je fis glisser vers Angie mon paquet de cigarettes et mes allumettes. « T’allais où avec ta valise et ta sobriété ? » La fumée qui enveloppait mon visage me dissimula un court instant. Si tout à l’heure j’avais eu l’impression de la piéger en lui adressant la parole, à présent je la laissais faire ce qu’elle voulait, me dire ce qui l’agaçait tant chez moi et par quel subterfuge elle définissait notre amitié, ou même manger sans me répondre, en fumant mes clopes – car finalement, elle en avait bien voulue, de celle des marches de l’escalier. Comme quoi, il y avait des choses qu’elle appréciait encore chez moi. Ça me rassurait presque.
Il n’en avait absolument rien à foutre de son écharpe, mais il fallait qu’il commente ça. Comme si l’hiver pouvait l’atteindre, comme si l’hiver pouvait refroidirai cet être qui l’était déjà au plus profond de ses entrailles, c’était un iceberg, qui faisait chavirer tous les navires, tous ceux qui osaient se frotter à lui et la seule face visible au dessus de l’océan. Moi je le connaissais en entier cet iceberg, même ce qu’il cachait milles pieds sous l’eau, plusieurs fois j’avais faillis chavirer et puis l’autre soir, c’est ce qui s’est passé, j’me suis noyée moi et mon seul passager, Jules. L’iceberg lui n’avait pas une seule égratignure, il semblait encore plus froid et plus fort après ça. Je l’avais pourtant jeté de chez moi, lui disant qu’on ne pourrait plus jamais se revoir, il avait juste haussé les épaules en signes d’approbation et puis il s’en était allé, cela faisait aujourd’hui des semaines que je n’avais pas revu Thomas et pas mal de choses avaient changées. A commencer par moi-même, je n’avais plus goût à rien, ni même à la mesquinerie, jeu que nous aimions jouer ensembles, je n’avais pas vraiment le moral dans les chaussettes, là il était carrément enterrée au même titre que ma mère. Je regardais Thomas se balancer de droite à gauche, me tourner le dos pour me regarder une nouvelle fois, comme s’il veillait à ce que personne ne soit au courant qu’il entretenait une discussion avec moi, pourtant avait-il oublié que nous étions allés au bal ensembles ? Devant une foule médusée, ça avait fait jazzer, tout le monde en avait parlé durant des semaines, j’avais même entendu des gens dire qu’on couchait ensembles ! Quel affront ! Moi, coucher avec cet espèce de mal autrui ? Et bien oui, mes très chers amis, j’étais faible et encore plus faible face à lui, il pouvait faire de moi sa chose, son objet et j’en passe, de mon côté je ne lui laissais cependant pas la tâche facile. Je le regardais, souriant toujours, ses yeux, aussi noirs soient-ils, pouvaient me redonner le sourire, parce que j’arrivais à lire dans ces yeux et ça je savais que ce n’était pas donné à tout le monde, peut-être même que ce n’était pas donné à lui-même. Il semblait qu’il se batte toujours contre quelqu’un ou quelque chose au fond de lui, il ne le savait pas lui-même, mais il se battait, contre sa folie meurtrière qu’il avait acquit dès le berceau, contre son envie constante de dominer son monde, bref Thomas était Thomas et resterait Thomas encore longtemps, c’était bien pour toutes ces choses, pour tout ce condensé de personnage infâme que j’appréciait sa compagnie. Durant ces quelques semaines le temps ne m’avait pas été donné pour ressentir son manque, il me manquait uniquement lorsque je m’ennuyais et comme ma vie n’était pas palpitante, il me manquait souvent. Pourtant ces derniers temps, j’en avais presque oublié son visage, lui crachant dessus à l’occasion, ne voulant même plus sentir son souffle chaud se poser dans le creux de ma nuque. Thomas n’était plus, il ne faisait plus parti de mon petit monde de poussière que j’avais pris tant de peine à fonder après toutes ces années, il avait disparu, comme tous les autres gens que j’ai pu rencontrer, cependant je sentais bien qu’il n’était que caché derrière un amas poussiéreux et que malgré moi, malgré toute ma bonne volonté il referait surface un jour ou l’autre, parce qu’il avait la clé de ce royaume maudit et qu’il pouvait entrer et sortir à sa guise. « ... Ah mais j’oubliais presque le fait que tu veux pas me parler en ce moment. » Il avait totalement raison, je ne pouvais pas lui donner tord en ce moment, tout ce qu’il disait n’était pas qu’un tissu de mensonge. A nous deux nous avions nourri une relation étrange, qui n’avait pas de dénomination, amitié aurait été bien trop vaste et tout ce qu’il disait ne portait pas de nom, alors contentons nous des choses que l’on connaît. Il s’était rapproché de moi, je m’étais relevée, pieds nus sur cette marche, il était une marche plus bas et pourtant il restait toujours plus grand que moi. « Amitié … Très bien … Tenons-nous donc à cette simple amitié. » Comprenait-il que nous n’étions que des amis à présent, peut-être que oui, mais je sentais bien qu’il n’en avait que faire de mes envies. Je le regardais, ne quittant pas son regard qui m’avait tant manqué, s’en était presque intimident. J’avais faim et je lui avais fait part de mon envie de manger quelque chose, peu importe, tant que sa pourrait nourrir mon estomac qui criait famine. Nous arrivâmes devant la cafétéria, pour les clés c’était loupé, mais il ne voulait pas lâcher l’affaire, en deux temps trois mouvement, il trouva le moyen d’ouvrir cette fameuse porte. Une fois dedans je mis ma main sur l’interrupteur, il me demanda de ne pas l’allumer, sous peine de se faire remarquer, très bien, manger dans l’obscurité cacherait mon côté ogre affamé. Je riais lorsqu’il me présentait les sandwiches et les viennoiseries. Puis, il allait s’installer, et je le rejoignais avec deux cafés, un sandwich au poulet et un carac pour la gourmande que j’étais. Vous croyez vraiment que je me nourrissais de salades ? S’il y a avait eu un Macdo dans les parages je n’aurais pas hésité longtemps pour m’y rendre. « Sans lait, sans sucre, noir … Comme tu l’aime. » Je lui tendis son café, il avait une chance sur deux de se retrouver avec un café aromatisé à la morphine, quelle chance pour lui, je n’avais rien sur moi, Blake me l’avait si gentiment demandé par message quelques heures plus tôt.
La lumière de la lune tombait pile poil dans le coin où nous nous trouvions, elle éclairai l’œil de Thomas qui paraissait brun, tandis que l’autre était noir, tout en mangeant mon sandwich, goulument, je remarquais que s’en était presque artistique, ça émanait quelque chose en plus de sa beauté naturelle. « T’allais où avec ta valise et ta sobriété ? » Je lui souriais, repoussant ses clopes et ses allumettes, me servant directement à la source, je pris délicatement la cigarette de ses lèvres et finissait mon repas avec ça, rien de mieux pour terminer un repas. « J’avais l’intention de quitter le pays, direction le Vatican, arrêter la drogue et rentrer dans une église pour suivre un cursus de bonne soeur en dix leçons et puis j’me suis souvenu que j’allais te manquer … Alors je suis restée. » Je n’avais pas vraiment l’intention de lui annoncer que ma mère était décédée quelques semaines plus tôt, mais ma voix portait une lourdeur extrême, elle semblait mourir à chaque fois que je la sortais de mes cordes vocale, il le remarquait, bien évidemment. Il fallait alors que je change de sujet, je savais que s’il insisterait un peu il finirait par tout savoir, mais pas tout de suite. « Tu te tapes d’autres élèves ? » Gros silence, j’avais terminé la cigarette que j’écrasais dans mon assiette, buvant mon café à mon tour ne manquant pas de me bruler la langue au passage. « Parce que c’est ce que tu devras faire pour m’oublier, tu sais bien que toi et moi c’est terminé. » Ce qui était terminé, c’était nos parties de jambes en l’air à mon grand damne, le sexe, c’était quelque chose de nouveau dans notre amitié et je peux vous jurer que c’était la meilleure facette de notre amitié. Je me privais donc volontairement de ça, sadique je vous dis, j’étais sadique envers moi même. Sauf s’il essayerait d’y faire opposition, et qu’il me ferait l’amour là sur la table de la cantine, il fallait donc que je reste forte, moi la grande faible que j’étais.
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(✰) message posté Mar 10 Fév 2015 - 9:33 par Invité
« Sans lait, sans sucre, noir … Comme tu l’aimes. » Je levai les yeux vers elle. Elle m’avait apporté un café. Trop aimable, chère amie. Je la laissai le poser en face de moi sans esquisser un geste pour le prendre alors qu’elle me le tendait. Puis je lui adressai un sourire courtois en signe de remerciement, avant de me redresser. Elle s’installa en face de moi et commença à manger. Je l’observai, d’abord en silence : j’aimais bien voir Angie faire les choses les plus simples au monde, cela me rappelait qu’elle était humaine. Et que son corps d’humaine devait supporter tous ses caprices. Et que son âme d’humaine était tordue de toutes part, mais qu’elle tenait encore debout. Je trouvais cela assez incroyable. A l’écoute de ma question, elle me sourit à son tour et me rendit mes cigarettes sans en prendre une. Angie, sérieux ? Fume, princesse, fume. Mais aussitôt elle avança son bras de poupée vers mon visage et saisit ma propre cigarette entre ses doigts, sans me toucher. Et pourtant je trouvai ça sensuel, sans aucune hésitation. Je la laissai faire, l’observant décrire une courbe enfumée jusqu’à ses lèvres pulpeuses. « J’avais l’intention de quitter le pays, direction le Vatican, arrêter la drogue et rentrer dans une église pour suivre un cursus de bonne sœur en dix leçons et puis j’me suis souvenu que j’allais te manquer … Alors je suis restée. » Je laissai échapper un rire doux et amusé. Mais quelque chose clochait. Bien évidemment qu’elle me mentait et que la véritable raison, elle la gardait secrète – pour combien de temps ? Très bonne question – mais ce qui me frappa, c’était sa voix dont elle essayait de masquer les tremblements et la faiblesse. Je plissai les yeux. Elle savait que je remarquais tout. « Tu serais presque parvenue à me convertir, tu sais ? » C’était faux. Pour toutes les raisons énoncées plus tôt : Angie en nonne, ça ne m’aurait fait ni chaud ni froid – oh, peut-être que je me serais marré en l’apprenant, mais ça se serait limité à ça. Je ne l’aurais jamais revue, et je l’aurais oubliée. « C’est le moment où je dois te remercier d’être restée, c’est ça ? » m’enquis-je d’un ton moqueur. Elle ne m’aurait pas converti à la religion, elle était bien trop insignifiante pour ça. Et tout le monde l’était face à ma morale anticléricale. « De toute façon t’aurais jamais tenu, tu le sais bien. » Oui, je lui disais très franchement qu’elle était un échec ambulant, mais elle finissait par avoir l’habitude. J’étais terriblement dur avec elle : je la considérais comme un être lamentable et je m’amusais avec sa misère, me moquais d’elle et la rendais encore plus méprisable. Au fond, elle aurait dû continuer à m’ignorer. Ce qui m’avait frappé chez elle l’autre soir – mis à part le poing de ce cher Jules – c’était à quel point la violence dans les mots, les gestes et le regard de celui-ci trahissaient une véritable jalousie. Il n’avait pas voulu perdre la face et avait joué au machiste insensible et sarcastique – chose qu’il faisait probablement très bien au quotidien – mais je l’avais vu se déconstruire en apprenant que non, putain noooon : Angie n’était pas à lui. Angie laissait des pans entiers de son royaume inaccessible à Jules, et il détestait ça. J’avais été frappé, finalement, par le fait que l’homme qui l’aimait, confronté à l’homme qui la méprisait, n’en était pas ressorti vivant. C’était franchement une triste histoire. J’avais presque pitié pour Jules – et Dieu savait que j’accordais peu ma pitié. Mais il ne fallait pas qu’il le prenne bien. Cette pitié était teintée d’une ironie à laquelle il était déconseillé de se fier. Aïe. J’étais vraiment quelqu’un de mesquin. Je ne m’arrêtais donc jamais. Et pourtant, Angie était de nouveau en face de moi, à fumer ma cigarette d’un air absent. Irrécupérable, cette fille. Elle ne comprenait pas les leçons de la vie. Et ce n’était pas faute de l’avoir prévenue. En fin de compte, j’hésitais : elle n’aurait pas pu se passer de la drogue ou bien de moi, assise dans la chapelle de son église ? Les deux, probablement. Amen. Je lui accordai un sourire sulfureux – tu sais, Woland et tout. Elle avait choisi le côté du Diable, et cette fois j’en avais eu assez de la prévenir, alors je la laissais se tromper de chemin et retourner vers moi, faible et apprivoisée.
Je sortis une cigarette de mon paquet et l’allumai après qu’elle m’eut volé la mienne. Elle posa sur moi un regard sombre. « Tu te tapes d’autres élèves ? » Je soufflai la fumée, rieur. « Parce que c’est ce que tu devras faire pour m’oublier, tu sais bien que toi et moi c’est terminé. » Elle me précisait cela comme si c’était d’une nécessité flagrante. Heureusement que nous étions amis et que je pouvais tout lui dire. « Tu me fais rire Angie. » Parce que depuis tout à l’heure, elle semblait vouloir me montrer, certes avec ironie, mais tout de même, qu’elle savait qu’elle était au cœur de mes pensées nocturnes et peu orthodoxes. Ce qui était faux, même s’il m’arrivait de songer à son petit sourire et à ses manières excentriques de temps à autre. En faisant cela, elle tentait peut-être de se persuader qu’elle était au-dessus de moi. Elle jouait la prétentieuse sarcastique – ça ne vous rappelait pas quelqu’un ? Elle me ressemblait toujours, cette princesse. Pourquoi croyiez-vous que je la méprisais tant ? « Tu penses vraiment que je vais te répondre ? Voyons, c’est beaucoup plus amusant de te laisser dans le brouillard, comme tu le fais si bien avec tes propres petits secrets. » Je lui rappelais ainsi que sa petite boutade religieuse n’avait pas été suffisante pour me faire oublier qu’elle semblait mal dans sa peau. Son allure était pitoyable – une véritable pitié, cette fois. Et cela avait le don de m’intriguer. « Et je ne voudrais pas que tu sois jalouse. Toi qui as l’air de vouloir te persuader que tout est fini entre nous, c’est presque comme te mettre toi-même des bâtons dans les roues. » Je fumai avant de reprendre, les yeux plissés, un mince sourire aux lèvres, mon visage à moitié dissimulé dans l’obscurité. « Et si c’était le cas, si tout était vraiment terminé, tu sais très bien que tu ne m’aurais jamais laissé t’amener ici. Que tu ne m’aurais jamais laissé t’adresser la parole, comme tu l’as si bien fait pendant les dernières semaines. » Mais il avait suffi qu’elle se retrouve seule, démoralisée et fébrile face à mon sarcasme et mes clopes pour qu’elle rechute. Et vous me dites ensuite qu’il y avait de l’espoir pour cette enfant ? Mais, de l’espoir, vous en aviez à revendre ma parole. « Mais ne prends pas ça comme un échec, princesse. Au fond, c’est mieux ainsi. C’est plus marrant. » J’abusais, très clairement. Comme l’autre soir. Mais c’était comme ça qu’elle m’appréciait, non ? Dans l’abus le plus abject.
Je bus un peu de café : il était dégueulasse, comme si on avait essoré une serpillière au-dessus, mais ce n’était pas étonnant et je m’en contentais. Je carburais à ça : la nicotine, le mauvais café et les fonds de bouteilles de vodka. Je reposai ma tête sur mes bras croisés, fin de cigarette entre mes lèvres souriantes et levai les yeux vers Angie. « Dis-moi ce qui va pas. » soufflai-je doucement. Un ordre, à nouveau. Angie était bien la seule personne au monde à laquelle je donnais des ordres. Au fond de moi, la petite voix se sentait coupable, et je détestais qu’elle m’obéisse, mais son corps frêle pervertissait mon esprit : impossible de ne pas lui donner d’ordre. Probablement que quelque part, je voulais m’assurer que j’avais toujours ce pouvoir mesquin sur elle, même après tout ce temps passé à m’oublier. Elle aussi, elle m’avait donné un ordre. Un seul vrai ordre, auquel j’avais obéi : elle m’avait demandé de partir de chez elle. Elle s’était assise sur son canapé après le départ de Jules. J’avais écrasé le cachet vert du bout de la semelle et je m’étais tourné vers elle d’un air sombre. Elle s’était malaxé les poignets pour faire passer la douleur que je lui avais infligé, et puis, après quelques secondes, ou bien quelques minutes de silence, elle avait fini par m’ordonner de m’en aller, quelque chose du genre « sors de chez moi, Knick, sors de ma vie putain. » Oh, mais c’était il y a si longtemps maintenant, ma mémoire me faisait défaut. Alors je m’en étais allé, tout simplement, non sans allumer une dernière cigarette dans son salon, que j’avais consumé sur le chemin du retour, affichant un sourire froid. Les gens m’avaient regardé d’un air étrange dans le métro. J’avais sûrement eu l’air de l’allégorie de la déchéance : les cheveux noirs en bataille, les narines aux parois rougies par le sang, mes lèvres pâles brodées d’un rictus glacial, les pommettes saillantes, le cou découvert et laissant apparaître les espèces d’ecchymoses infligées par Angie, les mains couvertes de coupures, quadrillant mes paumes de sillons pourpres et inquiétants, des traces de sang sur ma chemise, l’air hagard de l’étudiant téméraire et violent qui vient de lyncher un camarade méprisable devant l’université. Le visage d’un diable dont Angie ne pouvait se défaire, j’en avais eu la certitude. Et à présent, mes hypothèses se confirmaient : elle me laissait entrer de nouveau. J’avais presque hâte de la retrouver. Presque hâte qu’elle m’accorde une autre danse et son joli regard empli de défi. Presque hâte de l’entendre m’appeler de mon surnom avec désinvolture et irrespect pour me montrer qu’elle était à mon niveau. Presque hâte de la voir repousser ses limites à nouveau. « Tu sais très bien que j’ai remarqué et que je lâche rarement l’affaire. » En soi, je lui faisais presque une faveur. Ce n’était pas l’envie de jouer avec elle qui me manquait. Je restais le chat mesquin auquel elle avait accordé naïvement sa confiance, et près duquel elle se sentait paradoxalement en sécurité. Et j’adorais ça, vous le saviez très bien. L’aspect abject et désireux de mon âme était présent à notre table. Elle ne l’ignorait pas. Et peut-être le craignait-elle un peu, mais n’était-ce pas elle qui avait commencé à parler de sexe ? Je lui accordai un sourire. Sans vraiment savoir s’il se voulait sincère, amical et conseiller ou bien malicieux, érotique et obscur. Peut-être tout à la fois. Ce n’était pas nouveau : avec Angie, j’avais l’impression de jouer tous les rôles. Et vous qui aviez essayé de me faire croire que notre relation était une simple amitié. Pauvre de vous.
« C’est le moment où je dois te remercier d’être restée, c’est ça ? » Sourire, rire, soupire. C’était le protocole, la marche à suivre lorsqu’il disait quelque chose qui semblait logique, évidemment qu’il devait me remercier, j’étais la seule et unique femme à pouvoir le supporter, lui et tout ce qu’il représentait, lui et son sarcasme qui se déversait en litres. Je me contentais de manger mon sandwich et boire mon eau, j’avais la bouche trop pleine pour sortir une connerie, alors je le regardais. Je le mangeais des yeux au même titre que mon repas. Parfois il m’arrivait de me demander si je n’étais pas une masochiste ? Il n’y avait qu’à voir, j’aimais les hommes les plus répugnants psychologiquement parlant, en voici des exemples : Blake, mon frère, je l’aimais, bien que je doute à l’heure actuel s’il me porte dans son cœur ou non, j’aimais mon frère, ce dictateur qui s’amusait de ma triste vie. Jules, le voisin, il avait réussi à faire chavirer le bateau de la perfection enfantine sur lequel je naviguerais depuis de longues années, il m’avait modelé à sa façon, faisant de moi sa poupée de porcelaine, il m’avait fait beaucoup de mal, mais je l’aimais. Et puis Thomas, nouveau au bataillon, j’avais la certitude qu’il me méprisait, que je ne représentais qu’un trou de plus à son palmarès, il n’y avait qu’à lire dans ses yeux pour savoir ce qu’il pensait de moi. Pourtant, tous ces hommes avaient un truc en commun, quelque chose qui ne corroborait pas avec leur attitude envers moi, ils me désiraient, amicalement, fraternellement, sexuellement et je me raccrochais à leur désir -les plus sombres pour certains-. « Toi non plus tu n’aurais pas tenue sans moi, alors remercie-moi, ouais. » Pour finir j’avais avalé mon morceau de sandwich et les mots étaient sortis de ma bouche avec rapidité, comme s’ils avaient été empêchés par un obstacle. Et puis il m’avait tendu ses cigarettes, prendre dans le paquet aurait été bien trop simple, je préférais quelques chose de plus sensuel, de plus élégant, tout était dans l’élégance et dans un début de sagesse lorsque je me trouvais avec Knick, je dis bien ‘’début’’ car la fin ne présageait jamais rien de bien saint ou calme. J’avais mené celle-ci à mes lèvres, fumer cette cigarette était le meilleur digestif au monde pour un sandwich de cantine et j’avais l’intention de le refaire autant de fois que mes poumons en auraient la nécessité, de la bouche de Knick préférentiellement, ça m’évitait de devoir abimer mes petites mains sur ses allumettes que je cassais sans cesse. Il n’avait pas de briquet, il n’avait que des allumettes, je n’avais jamais compris pourquoi, à croire que la technologie n’était pas faite pour lui, elle ne faisait pas partie de son quotidien, je vous l’accorde.
« Tu me fais rire Angie. » Qu’il rigole autant qu’il le veuille, je n’avais pas l’intention de retomber dans ses filets, dans les sombres filets de son âme tordue et egocentrique, pourtant je semblais en emprunter malicieusement le chemin, sans même y prêter attention, les racines de sa foret maléfique m’attiraient de plus en plus vers lui, faisant attention à ne pas m’égratigner, il l’avait déjà assez fait comme ça. La cigarette que je fumais semblait arriver à sa fin, vous savez cette sensation de doigts qui brulent quand on tire de plus en plus sur le bout de sa cigarette ? Et bien j’avais exactement la même sensation lorsqu’il parlait. Il frappait fort, je pensais qu’il n’allait pas pouvoir distinguer avec autant de perspicacité ma profonde dépression et ma mélancolie, pourtant ma voix, mes yeux, même mon odeur me trahissaient, je sentais l’âme en peine, la déchéance la plus étrange et j’étais aussi froide que le vent d’hiver. Je levais un sourcil, me décidant à écraser cette cigarette dans la première chose que j’avais en face de moi, le café de Knick, de toute façon au vu de sa tête j’avais deviné qu’il n’était pas consommable, alors tant qu’à faire …. Je lui retirais le bien que je venais de lui offrir gracieusement. « Tu sais bien que je suis déjà jalouse, mais je t’assure que ça ne va pas durer trop longtemps, aucune femme ne peut te supporter trop longtemps, t’es imbuvable … Comme ce café. » Je lui avais souris et j’avais repris une gorgée de mon eau, sans le quitter un seul instant des yeux. Il avait semblé mettre sa tête entre ses épaules, puis se redresser soudainement, il savait que j’avais raison, alors il n’allait pas me faire l’étonné, sauf s’il désirait vraiment jouer la comédie, ce qui ne m’étonnerait pas, ce mec était une boule de mystère à lui seul, alors j’en découvrais tous les jours et puis je m’étais éprise d’une mission, vous vous rappelez ? Celle de faire sortir son bon côté, qui était enfoui sous trente-trois ans de connerie humaine. « Et si c’était le cas, si tout était vraiment terminé, tu sais très bien que tu ne m’aurais jamais laissé t’amener ici. Que tu ne m’aurais jamais laissé t’adresser la parole, comme tu l’as si bien fait pendant les dernières semaines. » J’avais soupiré longuement, avant de rentrer dans son jeu, ainsi soit-il. « On le sait très bien tous les deux, mais tu crois vraiment que ça va durer ? Tu ne penses pas que je m’amuse de toi, parce que j’avais rien de mieux à faire ce soir ? » J’avais posé ma tête contre la vitre froide de la cafétéria, regardant dehors, utilisant un ton qui se voulait las. « On dirait que ces quelques semaines sans moi t’on fait du mal, pour que tu puisses t’en rappeler. Toi qui t’évertues inébranlablement à oublier tout ceux qui on le malheur de croiser ton chemin. »
Il avait ressorti ses allumettes, ne me quittant pas des yeux, je m’étais redressée sur la chaise, avançant mon corps sur la table, telle une fée j’avais pris une cigarette dans son paquet et avant même que l’allumette ne puisse atteindre sa cigarette, j’avais pris sa main la dirigeant vers ma clope, qui se tenait entre mes lèvres et d’un souffle j’avais éteint son allumette, approchant ma cigarette de la sienne, en tenant toujours sa main, deux cigarettes qui s’allument, bout à bout, s’en était presque condescendant. J’avais l’habitude de faire des choses étranges avec Thomas et ces choses se transformaient en quelques chose de sensuel, n’importe quoi était sujet à se transformer en quelque chose d’attirant, il y avait beaucoup d’animosité entre lui et moi et j’essayais de me tenir tant bien que mal, mais ce jeu de regard était bien plus fort que toutes les règles que j’aurais pu ériger pour ne pas céder. « Dis-moi ce qui va pas, tu sais très bien que j’ai remarqué et que je lâche rarement l’affaire. » Insinuait-il que je le connaissais assez pour pouvoir m’avancer sur le sujet ? Pour pouvoir avoir la certitude qu’il était ce genre de mec, qui ne lâcherait pas tant qu’il n’avait pas ce qu’il voulait ? Pourtant son corps qui se déplaçait après sa propre ombre, ses faits et gestes inhumain, ses cheveux négligés, sa barbe mal taillée, et sa mine grisée, rien ne semblait me faire dire qu’il était ce genre de mec, il m’étonnera toujours. Je le regardais et puis, parce que j’étais cette fille sensible qui pleurait en un rien, quelques larmes coulèrent sur mes joues, pourtant je continuais à lui sourire. « Fais abstraction des larmes, elles apparaissent quand je deviens trop mélancolique. » J’avais longuement soupirée, je savais que je n’allais pas sortir d’ici tant qu’il ne saurait pas la vérité. « Ma mère est morte, silence pesant épargne moi tes condoléances et ta pitié, s’il te plait. » J’avais envie de passer à autre chose, je n’avais pas envie de m’éterniser sur le sujet, même si au fond de moi s’il me demandait plus d’informations j’allais m’épancher sur lui, comme je savais si bien le faire. Je baissais la tête. « Ces temps-ci je perds beaucoup de monde, beaucoup de choses … A commencer par ''Le Maître et Marguerite.'' » Avait-il comprit le sous-entendu ? J’avais perdu Jules et puis délibérément Thomas, puis ma mère, sans même voir la chose venir puis terminant sur une fausse note : La perte du livre de Knick, qui était comme un enfant pour lui, certainement un de ses biens le plus précieux. Mais je savais me racheter, je fouillais dans mon sac, évitant au maximum ses yeux, je ne voulais pas savoir ce qu’il pensait, je sortis de mon sac un livre emballé dans du papier journal sur lequel on pouvait lire du russe, il sentait fort le bois et la vodka, je le tendis à Thomas. « Je regrette vraiment toutes ces pertes mais … J’espère que ce petit rien, pourra te consoler. » Petit rien ? J’étais bien trop modeste, je venais de lui offrir une édition originale écrite en vieux russe du livre ‘’Le Maître et Marguerite’’, merci Igor et ses relations dans le monde entier. Ce bouquin valait clairement un rein ou deux. « Je sais que tu apprendras le russe aussi bien que tu parles le français. » Je lui souriais, essuyant mes larmes qui perlaient bientôt sur le col de ma chemise bleu clair.
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(✰) message posté Sam 21 Fév 2015 - 15:03 par Invité
« Toi non plus tu n’aurais pas tenu sans moi, alors remercie-moi, ouais. » Je lui accordai un sourire, à nouveau. Merci Angie, disait-il en riant. Elle comprit que je n’allais pas lui répondre. Que je m’en moquais bien, de ces remerciements, de son sourire un peu suffisant et qu’elle me vole ma cigarette. Aurais-je tenu sans elle ? Vraiment ? Vous me posiez la question alors que vous saviez déjà quelle était la réponse. Angie restait Angie. Une petite fille qui a voulu grandir trop vite. Elle fumait avec une nonchalance qui m’était propre – à croire que prendre mes cigarettes la faisait fumer à ma manière – et m’observait d’un regard intense. Presque intimidant, mais j’étais quelqu’un de difficile à impressionner. Elle semblait manifester une certaine résistance. A quoi ? C’était elle qui nous avait amenés ici. Si elle ne voulait pas être là, elle serait repartie je ne sais où – habillée de la sorte, ça devait sûrement être un mariage, non ? Je souris. C’était vrai qu’elle était belle. Elle était l’un de mes oiseaux de nuit que je prenais plaisir à contempler. Mais elle errait. Les gens errants ne bousculaient pas mon esprit. Je passais à travers. « Tu sais bien que je suis déjà jalouse, mais je t’assure que ça ne va pas durer trop longtemps, aucune femme ne peut te supporter trop longtemps, t’es imbuvable … Comme ce café. » Je levai les yeux vers le gobelet à moitié vide entre les mains d’Angie. Son mégot flottait à la surface. « Moi, imbuvable ? » Je pris mon air faussement étonné. « Tu dois te tromper, je suis adorable, plutôt. » Ah, mais oui ! Je ne changeais donc pas ! Toujours le mot pour rire, Thomas. N’était-ce pas elle qui m’avait dit que j’étais bon à marier ? Je savais cuire des œufs, crocheter les serrures et j’étais un type franchement gentil, non ? Je comprenais qu’elle soit jalouse, donc. Ça allait bien avec son air désespéré et poussiéreux. « On le sait très bien tous les deux, mais tu crois vraiment que ça va durer ? Tu ne penses pas que je m’amuse de toi, parce que j’avais rien de mieux à faire ce soir ? » Je haussai les sourcils : oh, peut-être. Mais, même si elle aimait jouer avec le feu, je savais qu’elle n’était pas en état de s’aventurer vers de telles idées aujourd’hui. Suivez les sillons de sa peau. Tous les chemins mènent à son cœur brisé. La trace fossilisée de ses larmes lui donnait l’allure d’une vieille poupée de chiffons : elle avait troqué la porcelaine. Celle-ci était en morceau sur le sol froid de sa salle de bain. Dis-moi, Angie, le vin n’a pas été trop difficile à nettoyer ? « Qu’importe, le résultat reste le même. Tu es là, alors que tu ne devrais pas, j’imagine. » Non pas que j’avais deviné quoique ce soit, mais elle était simplement trop bien habillée pour s’être assise sur les marches du parvis de l’université. « On dirait que ces quelques semaines sans moi t’ont fait du mal, pour que tu puisses t’en rappeler. Toi qui t’évertues inébranlablement à oublier tous ceux qui ont le malheur de croiser ton chemin. » Je soufflai lentement la fumée de ma cigarette qui glissa jusqu’à son visage pâle. C’était une remarque judicieuse qu’elle faisait là. « Oh. Ça te ferait tellement plaisir que je te dise ça. T’es un peu orgueilleuse comme fille. » Elle l’était. Enormément, même. Depuis le début de notre conversation, c’était ce que je remarquais : son orgueil. Et sa franchise, comme si d’un coup, elle lâchait les rennes de ses propres pensées et les laissait m’attaquer. Pourtant, son ton avait quelque chose de résigné, de las. Et c’était cela qui m’intriguait.
Elle m’attrapa le poignet et avança ma main vers ses lèvres. Je sentis son souffle sur mes doigts, et elle éteignit mon allumette d’un air de défi. Puis elle s’approcha et, du bout de sa cigarette, elle grilla l’extrémité de la mienne avec une sensualité presque revendiquée. Je restai immobile alors qu’elle reposait ses doigts sur la table, satisfaite de son petit manège. Elle était étrange, cette fille, quand même. « A quoi tu joues, Angie ? » Peut-être qu’il restait chez elle quelque chose que je ne parvenais pas à saisir. Peut-être que sa naïveté me surprenait, finalement. Je savais que j’avais encore une sacrée emprise sur elle, et de son côté elle n’ignorait pas qu’elle ne me laissait pas indifférent. Mais je trouvais toute ce dialogue presque trop facile. Comme un calme synthétique avant une tempête glaciale. Elle ne pouvait pas simplement revenir. Me reparler. M’apprécier de nouveau. Trouver mon mépris sensuel et mon rire vicieux, comme avant. J’avais eu l’impression de la voir brisée, lors de la fameuse nuit apocalyptique. Au même titre que la bouteille de vin dont j’avais ramassé les morceaux. Je regardais mes mains : elles étaient encore couvertes de fines cicatrices, comme la signature du diable inscrite entre les plis de mes paumes. Mais être brisée ne l’arrêtait donc pas ? Je souris de manière imperceptible. Pars maintenant, Angie. Tu n’aurais pas dû t’arrêter en si bon chemin.
« Fais abstraction des larmes, elles apparaissent quand je deviens trop mélancolique. » Je penchai légèrement la tête sur le côté, masquant d’autant plus mon visage derrière l’obscurité. Elle semblait presque revivre. Les sillons s’animaient. « Ma mère est morte. » Je ne répondis pas. Ah. C’était donc ça. « Epargne-moi tes condoléances et ta pitié, s’il te plait. » Peut-être qu’elle n’allait pas à un mariage, finalement. Peut-être qu’elle revenait de l’enterrement de feue sa mère et que j’étais la connerie par laquelle elle avait décidé de s’oublier un peu. Alors, ce vœu, Marguerite ? On avait des allures particulières, au fond de cette cafétéria, dans notre bulle de fumée et de doubles sens. Elle aurait presque pu me demander de la faire revenir, en me vendant son âme déchiquetée. Mais non. Finalement, non. Elle ne voulait pas de ma pitié. Cela lui ressemblait bien : Tom, je pleure silencieusement, mais je souris parce que je ne veux pas que tu me vois ainsi. Je ne veux pas que tes yeux s’attardent sur les sillons de ma dégénérescence. Je ne veux pas que tu m’observes m’endormir en position fœtale, comme recherchant le vieux parfum oublié de ma défunte mère. Je n’étais pas navré, ni désolé pour elle. Je ne remarquais dans la mort que l’aspect poétique – et il n’était pas navrant, il était magnifique. Peut-être qu’Angie était belle ce soir parce qu’elle avait les airs de quelques vers tristes et sépulcraux. Quatre ou cinq vers. Ephémère. Comme sa mère. « Ces temps-ci je perds beaucoup de monde, beaucoup de choses … A commencer par “Le Maître et Marguerite”. » Je fronçai des sourcils. Quoi, elle avait perdu mon livre ? Elle en avait déchiré chaque page pour fumer son herbe avec rage ? Elle l’avait égaré, oublié pour me faire disparaître de sa mémoire ? Peut-être qu’elle n’avait plus envie d’être Marguerite. Peut-être qu’elle n’avait plus envie que je sois Woland et que je la regarde de cette manière insolente. Peut-être que, pour elle, la mort n’avait rien de poétique, que c’était une vaste connerie. Et peut-être trouvait-elle que le vide, ça faisait mal. Encore plus mal que la drogue. Elle fouilla dans son sac avec un détachement las et en ressortit un petit paquet qu’elle me tendit en murmurant : « Je regrette vraiment toutes ces pertes mais … J’espère que ce petit rien, pourra te consoler. » Je laissai deux secondes s’enfuir, la regardant derrière la fumée de ma cigarette, puis je mis celle-ci entre mes lèvres, me penchai et attrapai son cadeau. « Parce que je suis celui qu’il faut consoler ce soir ? Ce n’était qu’un livre, Angie. » Je n’allais pas la consoler. Ce n’était qu’une mère, Angie. Elle avait choisi de sombrer, comme attirée par la gluante noirceur qui me définissait, dans mon univers, à nouveau. Elle cherchait peut-être une issue au sien. Mais je n’étais pas une issue. Pas pour Angie, du moins. L’oubli n’était pas une issue. C’était une attitude bien lâche. Et j’étais lâche, tout comme elle. J’arrachai le papier d’un geste sec en la fixant, mais elle évitait mon regard. Alors j’ai fini par baisser les yeux, pour découvrir ce qu’elle m’offrait avec tant de modestie. Un livre. Un vieux livre épais et assez usé, mais dont l’âge mettait en relief le charme. Sur la couverture étaient inscrits les mots « Мастер и Маргарита » et je sus de quoi il s’agissait sans même comprendre le titre. Il sentait l’alcool et le russe révolté. Il sentait les douze ans de dur labeur et la fin des années 30. Il sentait le souvenir, mais aussi les nouveaux horizons. Je l’ouvris avec précaution : il sentait Angie aussi, déjà. Je caressai délicatement les pages en l’écoutant parler : « Je sais que tu apprendras le russe aussi bien que tu parles le français. » Je relevai les yeux vers elle. Elle me regardait de nouveau, ses prunelles bleues laissant couler ses larmes. Elle sécha ses joues d’un revers de la main et sourit étrangement lorsque mes iris se posèrent sur elle. « Merci. » Finalement, je lui accordais le fameux remerciement. Les livres me fascinaient plus que les hommes. Je refermai l’ouvrage et me penchai vers elle, coudes sur la table, doigts entrecroisés. « Pourquoi tu restes là, Angie ? » m’enquis-je d’un ton perplexe. « Finalement tu as sûrement raison : ça m’intrigue, que tu reviennes après tout ce temps. Je ne suis pas franchement quelqu’un d’accueillant. Et je sais que tu ne cherches aucune consolation, aucune pitié, aucun réconfort, mais … » Je suspendis mes mots, pensif. « … ce serait dommage que tu te perdes toi-même en restant ici. » Je ne souriais pas. Je ne faisais que la regarder avec sérieux et scepticisme. Peut-être feignais-je une légère ironie en jouant furtivement sur ses mots. Après tout, elle semblait déjà perdue. Mais ce qu’elle attendait de moi, dans toute cette histoire, je l’ignorai. Rien, probablement. Juste le noir de mes yeux et mon paquet de cigarettes. Elle se leurrait. Je n’avais pas le pouvoir de lui faire oublier quoique ce soit. Ni la mort de sa mère, ni la perte de ses proches, ni la nuit de la discorde, ni la drogue, ni rien. « Peut-être que tu devrais y aller dans ce couvent, tout compte fait. » Mon sourire avait réapparu, discrètement. Je ne pouvais pas lui faire oublier ses pensées, même si son être semblait se décomposer, comme une cendre macabre venue après un incendie et mouchetant les hommes de quelques taches immaculées, couleur du linceul de sa défunte mère.
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(✰) message posté Dim 8 Mar 2015 - 22:02 par Invité
« Qu’importe, le résultat reste le même. Tu es là, alors que tu ne devrais pas, j’imagine. » Il avait raison, je n’avais pas à être la pour deux raisons très importantes : La première était que j’avais vraiment fait la promesse à mon frère et à mon père de les accompagner pour notre voyage en famille, cependant ils auraient dû se douter que je ne tenais que très rarement mes promesses et la seconde raison pour laquelle je n’aurais pas le droit d’être ici portait un prénom qui était à présent encré en moi, tatoué sur ma chaire à tout jamais : Jules. Il ne m’avait pas explicitement dit que je ne devais plus revoir Thomas, mais il était certain que revoir un ex amant alors que notre couple prenait un nouvel envole n’était pas bien vu et s’il venait à le découvrir, à découvrir que j’avais revu son ennemi juré numéro un ce soir, et bien je serais morte au même titre que Knick. Je le regardais donc, arborant un sourire sans forme, sans expression, je ne faisais que montrer mes dents à vrais dire, mes yeux étaient vides et ils n’étaient pas assortis à mes lèvres. « T’imagines bien … J’imagine. » Nous imaginions beaucoup de choses à nous deux, nous aimions parler avec beaucoup de sous entendus et puis c’était de cette façon que nous nous exprimions le mieux, faire passer des messages avec d’autres mots, d’autres faits et gestes qui n’incluaient pas un seul mot du message, oui, ça en devient complexe, mais nous étions comme ça les deux : deux être compliqués et ensembles nous formions un amas d’étranges et de mystère. J’avais tourné mon visage vers la vitre, une nouvelle fois, remarquant que le ciel étoilé avait accueil ce soir, non pas cette fameuse lune avec laquelle il m’arrivait de parler dans mes phases de délire profonds, mais bel et bien des nuages, l’air gris, aussi gris que le teint de Thomas qui ne respirait pas la gaité. La pluie elle s’était liée avec ces fameux nuages pour nous donner un temps presque beau à voir, il y avait des éclaires dans ces fameux nuages et cela illuminait le ciel. Je regardais ces gouttes se poser sur les vitres et couler, pour finir à terre. Je retournais ma tête vers Thomas une nouvelle fois, il n’avait pas cessé de me regarder, ses yeux brillaient presque dans l’obscurité de la pièce.
L’envie de fumer était grandissante, je n’avais pas de cigarettes et encore moins de briquet, alors j’en avais volé une à mon voisin, il n’allait pas m’en vouloir et puis il avait machinalement allumé son allumette, j’avais enlacé mes doigts dans sa main, réchauffant presque ces deux mains froides qui tenaient cette allumette, et j’avais approché mon visage de cette fameuse allumette pour arriver à allumer la mienne. « A quoi tu joues, Angie ? » N’était-ce donc pas assez clair comme ça ? Je ne faisais qu’allumer ma cigarette, il n’y avait pas de protocole en ce bas monde qui nous dictait la façon avec laquelle nous devions nous faire allumer notre clope. J’accorde que la façon avec laquelle j’avais choisis de répondre à Thomas était spécifique, le mot sensuel ne serait pas le terme adéquat, mais il y avait quelque chose, quelque chose de mystérieux, je ne pouvais pas être comme tout le monde, il fallait que je me fasse mon monde, que je prenne ses mains, les approchant de mon visage, il fallait qu’il y ai un contact physique, presque électrique. « J’me suis toujours demandé pourquoi des allumettes ? Et pas un briquet, un simple briquet ? » Je n’avais pas répondu à sa question, je l’avais détournée, car il n’y avait pas de réponse effective. Je ne savais pas ce à quoi je jouais, mais mon compagnon de jeu ne le savait pas non plus, alors je ne répondais pas, je regardais Thomas dans les yeux une nouvelle fois, dans la noirceur de son regard ténébreux. Pourquoi avait-il toujours des allumettes sur lui ? Une fois sur deux on les cassait, on n’arrivait pas a les allumer ou alors elles se consumaient bien trop vite, nous brulant presque les doigts au lieu de bruler notre filtre de nicotine. Alors j’en avais conclu qu’il n’appréciait guerre la facilité et que le fait d’allumer ses cigarettes avec des allumettes lui donnait cette classe intemporel, lui son grand manteaux noir, son sac en vieux cuir brun, ses cigarettes, des Parisienne jaunes et ses cheveux bouclés.
« Dis-moi ce qui va pas, tu sais très bien que j’ai remarqué et que je lâche rarement l’affaire. » Il avait insisté, il voulait savoir et quand bien même je ne voulais rien lui dire, il y avait quelque chose qui me faisait m’épancher sur lui, il n’était pas un être doté d’une grande sensibilité humaine, il accordait plus d’importance à ses bouquins qu’à une femme, mais il était donc près à m’écouter, et dieu seul sait à quel point le fait de s’intéresser un minimum à moi était pour lui déjà un grand effort et pour moi un réconfort sans nom. Mes joues étaient comme ces vitres, elles accueillait des gouttes, mes larmes, je lui avais demandé pardon, pardonne-moi de pleurer Thomas, ce n’est pas beau à voir. J’avais horreur de pleurer devant lui, car il n’était pas comme les autres, il n’avait pas la sagesse d’esprit de me remonter le moral, même si je ne recherchais pas son réconfort, il le su très vite lorsque je lui demanda de m’épargner avec le peu de pitié qu’il lui restait, ce qu’il fit. Pas un mot ne sortit de sa bouche, puis vint le moment de passer par dessus ce moment très émouvant. ‘’Le maitre et Marguerite’’ je lui avais donnée une copie originale du livre datant des années trente, une antiquité sans nom, qui était le recueil d’une âme aussi tordue que le lecteur lui-même. « Merci. » Je fis un signe de tête, il avait ses yeux rivés sur son nouveau bien qu’il feuilleta très rapidement. Reniflant avec discrétion l’odeur de la vieille vodka russe distillée avec un peu d’essence sans plomb et d’autres insecticides. J’avais tournée, encore, ma tête vers la vitre. « Pourquoi tu restes là, Angie ? » Je n’avais pas daignée retournée ma tête, il savait très bien ma réponse, il savait que si j’étais là, c’était que très probablement que je ne pouvais me passer de son caractère douloureux psychologiquement et physiquement, à croire que j’étais sado. «C’est physique, psychologique, tu ne peux pas comprendre. » Evidemment qu’il pouvait comprendre, mais je n’allais pas le laisser sur sa fin, j’allais lui donner la réponse qu’il attendait, je me jouais de lui, le prenant pour plus bête qu’il ne l’était, son intellect n’avait pas d’égal, mais j’avais bien trop d’orgueil pour lui dire. « Finalement tu as sûrement raison : ça m’intrigue, que tu reviennes après tout ce temps. Je ne suis pas franchement quelqu’un d’accueillant. Et je sais que tu ne cherches aucune consolation, aucune pitié, aucun réconfort, mais … ce serait dommage que tu te perdes toi-même en restant ici. » J’avais enfin tournée mon visage vers lui, plantant mes yeux assassins dans les siens, souriant du coin de la bouche, retirant la mèche devant mes yeux qui m’empêchait de bien le dévisager. « Ce qui est dommage, c’est que tu puisses encore avoir un peu d’espoir pour moi. » J’avais sortis de ma poche un comprimé d’ecstasy que j’avalais sans le quitter du regard, pour lui montrer à quel point l’espoir s’était enterré lui-même le jour ou j’avais commencé les drogues dures et puis je m’étais levée, passant de l’autre côté de la table, mes bras massant délicieusement les épaules de mon bien aimé. « Je sais très bien que tu n’es pas devenu un enfant de cœur en mon absence, alors pourquoi tu crois que je suis revenue ? Pour te voir changé ? » Non, c’était évidemment que non, je continuais à masser délicatement ses épaules, il avait poussé sa tête en arrière, mes yeux plongés dans les siens. Dehors le ciel faisait des siennes, la pluie était de plus en plus forte et je sentais déjà mon corps se réchauffer très rapidement dû à la drogue ingérée. « Tu peux te perdre, au même tire que moi, ne te crois pas intouchables en ma compagnie. » Je n’allais pas lui rappeler la nuit que nous avions passé dans son appartement, il devait bien se douter de quoi je parlais, il avait autant de pouvoir sur moi, que moi sur lui, enfin c’est ce que j’espérais et j’étais persuadée par mes idées. « Peut-être que tu devrais y aller dans ce couvent, tout compte fait. » J’étais repassée de l’autre côté de la table, mettant ma veste et mon écharpe sur moi, prête à partir, je souriais malicieusement, ne disant pas un mot, j’avais tourné les talons et puis sans qu’il ne puisse comprendre quoi que ce soit j’avais laissé mon sac dans lequel il n’y avait aucune valeur pour voler son sac de cours, marchant a reculant. « James Middelton, dix-neuf sur vingt … T’as peur des représailles princière pour mettre une si bonne note ? » Cette drogue euphorisante, me faisait retomber en enfance, j’avais besoin d’être une grande enfant ce soir, alors je reculais lentement, tandis que Thomas décida enfin de se lever, je tenais fortement le sac contre moi, fouillant dans celui-ci pour y retrouver des centaines de copies d’élèves, puis il pressa le pas, je me mis à courir rigolant de toute mes forces. Une fois dehors je n’hésitais pas à me jeter sous la pluie qui me mouilla en moins de deux, tandis que je narguais Thomas qui était restée sous le préau. Il était comme les chats, il avait peut-être peur de l’eau ? Ou alors manigançait t’il une bonne stratégie pour me rattraper ? Je lui criais de loin. « J’m’ennuie avec toi Thomas Roman Knickerbadger, ça t'arrives de faire des trucs fous ? Je suis sûre que t'en es capable. » Je continuais à rigoler avec le sac à mes pieds et des copies d’élèves dans la main, levant mes bras de part et d’autre de mon corps, sentant la pluie tomber sur mon visage, les yeux fermés, dirigés vers le ciel, rigolant à m’époumoner, sans plus savoir où se trouvait Thomas. Qu’il le veuille ou non, ce soir nous allions, rire de joie, rire nerveusement, nous engueuler et puis nous aimer une nouvelle fois, l’image était bien belle, mais j’avais besoin de crier fort, de rire à en avoir des crampes d’estomac et tout ça avec Thomas, un être qui n’avait pas une seule ride d’expression, la tâche n’était pas gagnée, mais je voulais persévérer, j'étais certaine qu'il y avait une part de folie en lui, pas la mauvaise folie qu'il me montrait non, mais une âme d'enfant qui ne l'avait pas quitté.
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(✰) message posté Mar 10 Mar 2015 - 15:55 par Invité
« T’imagines bien … J’imagine. » Je lui adressai une moue approbatrice en haussant les sourcils, amusé. C’était qu’elle avait de la répartie à revendre. C’était agréable de la retrouver, de retrouver son petit sourire pâle et perdu, son regard de sorcière et ses traits de poupée. Elle tourna son visage vers la lumière blafarde de la nuit. Il pleuvait, depuis peu. La pluie, ça m’apaisait. Le temps semblait s’arrêter et tout devenait gris. Tout se ressemblait, mais pourtant tout paraissait unique. On ne voyait plus les choses de la même façon lorsque la pluie tombait. Angie avec une peau nouvelle, mouchetée des ombres des gouttes qui glissaient sur la vitre. Elle avait l'allure de ces femmes sur les photographies en noir et blanc que l’on trouve magnifiques sans vraiment comprendre pourquoi. Elle finit par reporter son regard bleu dans le mien, plongeant à nouveau la moitié de son visage dans l’obscurité. J’avais l’impression de me regarder dans un miroir et d’y voir un mystère. Nous avions le même sourire triste, la même cigarette, la même lueur malicieuse dans les yeux et puis … nous imaginions les pensées de l’autre avec la même curiosité insatiable. Elle ne répondit pas à ma question. Bien évidemment. Ce n’était pas son genre. Encore une fois, il fallait que je la comprenne dans son silence, dans la douce courbe de sa silhouette et dans ses lèvres pincées et veloutées. « J’me suis toujours demandée pourquoi des allumettes ? Et pas un briquet, un simple briquet ? » s’enquit-elle innocemment pour contourner mes mots. Ah. La fameuse question des allumettes. Mais parce qu’on n’était pas mystérieux et original en allumant ses clopes avec un briquet. Parce qu’on ne pouvait pas prouver son habileté à chaque fois qu’on avait envie de fumer. Parce qu’on ne se rendait pas compte de la beauté d’une flamme lorsqu’elle était si facile à créer. Quoi, j’aimais les choses fragiles et éphémères ? Pourquoi croyait-elle que je l’appréciais malgré tout ? On m’avait déjà posé cette question. On m’avait déjà fait cette remarque. Tu sais Angie, pour toutes ces allumettes cassées et ces doigts brûlés, il y en a une qui survit, et c’était celle-ci que je trouvais belle. Il fallait savoir regarder les autres comme on observait cette unique allumette. Emprisonner les instants fugaces de clarté. « Parce que j’aime bien l’odeur. » Je ne cassais plus mes allumettes. Elles ne me brûlaient plus les doigts non plus : il n’y avait plus grand-chose à brûler, pour tout dire. « Et la faible lumière des flammes. On dirait des êtres humains. »On dirait toi, pensai-je, mais je ne fis que ramener la cigarette à mes lèvres, et la fumée emprisonna ma remarque au fond de mon sourire, entre les arabesques de ses doigts gris. Du gris. Encore celui-ci.
« C’est physique, psychologique, tu ne peux pas comprendre. » Tiens donc. J’haussai les sourcils, surpris. Ah, mais j’oubliais que j’étais le sale con insensible qui la faisait toujours danser un peu plus près du feu, sans vraiment me rendre compte qu’elle brûlait vive. Je n’étais pas capable de la consoler. Sa mère était morte, oui. Je n’y pouvais rien. Son copain était lamentable, certes. Je n’allais pas l’aider. Et j’étais l’éternel symbole d’une déchéance assumée. Je me plaisais dans ce rôle à la fois attirant et détestable. Bien sûr que si que je pouvais comprendre, et c’était ça qu’elle n’aimait pas. J’étais surpris, certes, mais à bien y réfléchir, c’était facile de savoir pourquoi Angie avait décidé de me laisser la mener ici. Ou peut-être que c’était mon orgueil. Cela ne m’aurait pas étonné non plus, après tout. « Ce qui est dommage, c’est que tu puisses encore avoir un peu d’espoir pour moi. » Je ris doucement à ses mots. Puis je la regardai faire ce qu’elle faisait si bien, sortant un petit cachet coloré de sa poche et l’avalant avec désinvolture pour me prouver à quel point je me leurrais, à quel point j’avais tort. A quel point elle était à la fois au-dessus des autres et en-dessous, aussi, en-dessous, à six pieds sous terre entre les ossements des rats et des vieux camés du siècle dernier. C’était ça qu’elle me criait, à chaque fois : je suis irrécupérable, je suis monstrueuse et tu n’y changeras rien, Tom, personne ne peut rien y faire, et certainement pas toi. Mais je ne voulais rien y faire. Sa mère était morte, son copain était lamentable, j’étais détestable et elle était en cendres. L’allumette s’était éteinte il y a bien longtemps, ayant brûlé le tabac dont il ne restait rien. La cendre que je retrouvais sur le sol de mon appartement vide. La cendre d’une vie consumée bien trop vite. Alors ça ne m’étonnait plus vraiment qu’elle revienne : elle avait compris, elle aussi, qu’il n’y avait plus d’espoir. « Je n’ai jamais eu le moindre espoir pour toi, Angie. » J’avais prononcé cette phrase d’un ton froid. C’était vrai. On n’avait pas espoir en ces élèves qui arpentent l’université sans but, ni en ceux qui ont les yeux vitreux et des sillons sur les bras, et manque de bol ou quoi, Angie était les deux à la fois. Pourquoi avoir espoir en ceux qui n’en ont pas en eux-mêmes ? Je n’avais jamais incité Angie à se droguer. Mais je savais que ça ne servait à rien d’essayer de l’en empêcher. Alors je ne faisais que profiter du personnage qu’elle m’offrait. Elle était tout de même sympathique. J’avais dit quoi, déjà, attirant et détestable ? Ah non pardon, sale con insensible. « Je sais très bien que tu n’es pas devenu un enfant de cœur en mon absence, alors pourquoi tu crois que je suis revenue ? Pour te voir changé ? » Elle s’était finalement levée et s’était approchée de moi. Je l’avais suivie des yeux, attentif. Et elle avait glissé derrière moi, me saisissant les épaules et les massant doucement en me chuchotant ces mots. Cela m’arracha un sourire discret et je la laissai faire en regardant devant moi et continuant de fumer, feignant l’impassibilité. Elle était vraiment irrécupérable. Foutue camée. « Je ne changerai jamais. Autant t’y habituer tout de suite. » dis-je calmement en basculant ma tête en arrière pour venir rencontrer son regard azuré. Ni pour son absence, ni pour son sourire, ni pour ses sillons, ni pour ses larmes et le cadavre de sa mère, ni pour le reflet doré de ses cheveux, ni pour sa faiblesse et sa fragilité, ni pour la lumière tremblante de ses yeux bleus. Et elle le savait. « Tu peux te perdre, au même titre que moi, ne te crois pas intouchable en ma compagnie. » Un sourire moqueur apparut sur mon visage et je soufflai sur elle la fumée de ma cigarette. « Quoi, Angie, tu vas me droguer ? Encore ? Ça en deviendrait presque redondant. » C’était son truc à elle. Me voir rêver éveillé, violent et complètement fou. Ça, c’était le Tom qu’elle aimait. L’autre Tom lui avait fait de la peine. L’autre Tom ne savait pas la consoler. L’autre Tom, c’était celui devant lequel elle détestait pleurer.
Elle retira ses mains et retourna de l’autre côté de la table. Elle ne se rassit pas, enfila son écharpe et sa veste. « Tu t’en vas déjà ? » demandai-je, faisant mine d’être déçu en écrasant mon mégot sur la table. Et puis, sans que je m’y attende, elle attrapa mon sac et me lança un sourire satisfait et malicieux, le regard pétillant. « James Middleton, dix-neuf sur vingt … T’as peur des représailles princières pour mettre une si bonne note ? » Je levai les yeux au ciel alors qu’elle brandissait la première copie qu’elle trouva à l’intérieur. Je secouai la tête d’un air désolé. « Sérieusement ? Genre … sérieusement ? » Mais elle riait avec tant de chaleur que je ne lui en voulus pas. J’observai une dernière fois son visage parsemé de l’ombre des gouttes de pluie, parmi lesquelles se mêlaient les traces de ses larmes, et enfin son sourire soudain et lumineux, comme la flamme d’une allumette. Puis elle fit volte-face et commença à courir en sens inverse vers la sortie de la cafétéria alors que je me levai à mon tour. J’attrapai son sac et me lançai à sa poursuite dans une course désinvolte, mais chaque fois qu’elle me voyait approcher, elle redoublait d’efforts pour m’échapper. Je finis par la laisser prendre de l’avance. Quelque chose me disait qu’elle n’allait pas s’enfuir avec mes affaires. Quelque chose me disait qu’elle allait finir par revenir. Oh, j’étais tellement sûr de moi. Je me faisais presque de la peine. Je sortis de l’université et restai contre le mur, à l’abri de la pluie. Et je l’ai observée, faisant danser ses membres sous les gouttes en riant à gorge déployée. « J’m’ennuie avec toi Thomas Roman Knickerbadger, ça t’arrive de faire des trucs fous ? Je suis sûre que t’en es capable. » Mon sac gisait à ses pieds sur le parvis mouillé et elle tenait quelques malheureuses copies du bout de ses doigts. Misère, j’allais devoir expliquer ça aux pauvres étudiants qui retrouveraient leur copie trempée. Ou pas, après tout, j’avais l’autorité. Je penchai la tête et cherchai mon paquet de cigarettes dans ma poche. Ils avaient un truc avec les prénoms entiers, tous ? Je souris en craquant mon allumette que la pluie ne réussit pas à éteindre. Je m’approchai doucement d’Angie en récupérant ma cigarette entre mon index et mon majeur, puis m’arrêtai à une dizaine de mètres d’elle et à nouveau, la contemplai. C’était pour cette image que j’étais heureux au fond de moi de la revoir. Et ça, elle l’ignorait. Elle ne savait pas que certaines choses me faisaient sourire d’une sincérité mystérieuse mais bien réelle. Bien sûr, il y avait cette emprise mutuelle, mais c’était si nocif, si corrosif et éphémère, comme lorsque je craquais une allumette et que je la regardais mourir. Angie, c’était l’une de mes allumettes, et je l’éteindrai avant qu’elle ne me brûle les doigts. Mais d’ici là, laissez-là se consumer : j’aimais l’odeur du bois brûlé et celle d’Angie sous ecstasy. Alors j’en profitais. « Bah ouais. J’attends que tu me proposes un défi à ma hauteur, je t’avoue que courir sous la pluie, ça reste assez enfantin. » raillai-je à son intention. Elle jouait seule, pour s’instant. Elle avait pris son cachet et planait vers un autre monde dont elle agitait la clé devant mes yeux sans jamais me laisser l’attraper.
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(✰) message posté Ven 20 Mar 2015 - 21:39 par Invité
« Je n’ai jamais eu le moindre espoir pour toi, Angie. » Il avait ponctué sa phrase lourdement avec mon prénom, prénom qui était souvent emprunt à la discorde, un désordre sans pareil et un bordel incroyable, je n’aimais d’ailleurs jamais que l’on prononce mon prénom lorsqu’on me parlait. C’est impossible me direz-vous, pourtant je trouvais souvent que ça sonnait faux, parfois même je n’avais pas l’impression que c’était de moi qu’il s’agissait : Angie, Angélique et tous les autres prénoms et surnoms qu’on aurait pu me donner, j’avais un gros problème avec moi-même et peut-être l’avait il remarqué pour prononcer mon prénom à chaque phrase, comme si c’était indispensable. J’avais soupiré, évidemment je ne m’attendais pas à ce qu’il me dise qu’il me nourrissait d’espoir et qu’il voyait en moi une lumière des temps modernes, je n’étais ni plus ni moins que la flamme qui cramait, qui brulait les doigts des gens qui osaient l’approcher et qui finissaient pas s’effacer dès les premières gouttes de pluie. Le ciel était noirci, les nuages semblaient nous tomber dessus et la foudre n’allait pas tarder, cependant j’avais cette envie irrémédiable de vouloir sortir, de vouloir mouiller mon visage d’eau, pour que les gouttes salés d’une pluie londonienne puissent perler sur mon visage, comme perlent mes larmes lorsque la morosité et la mélancolie font partie de mes nuits sombres. « Je ne changerai jamais. Autant t’y habituer tout de suite. » Disait-il pendant que je lui massait vigoureusement les épaules, lui faisais-je peut-être même mal ? Peu importe, il n’aura jamais aussi mal que mon corps recouvert de griffes l’autre soir, des mois étaient passés et parfois je voyais encore des traces blanches sur mes cuisses, elles avaient cicatrisées, elles étaient restées sur ma peau, comme resterait probablement à jamais le tatouage de Jules derrière mon oreille, car si celui-ci était voulu, les traces blanches et désormais cicatrisées n’étaient pas les bienvenues sur mon corps et dieu merci, Jules le remarquait à peine lorsqu’il me faisait l’amour. Il était bien trop souvent défoncé pour pouvoir y porter attention ou bien trop concentré pour être romantique et puis la lumière était éteinte, seuls les rayons de la lune illuminaient nos corps frêles. La fumé qu’il me souffla au visage me fit sortir de mon petit cocon de pensées étranges dans lequel j’aimais voyager plusieurs fois par jour. « Quoi, Angie, tu vas me droguer ? Encore ? Ça en deviendrait presque redondant. » L’idée n’était pas mauvaise, pour une fois que ce bougre me donnait une satisfaction avec ses idées, pour une fois qu’il donnait une idée qui me ressemblait à vrai dire. Peu importe que ça en soit redondant, monotone, pareil, la routine … J’étais Angie et je ne manquais jamais une bonne occasion pour droguer mon hôte du soir et dieu sait à quel point j’aimais voir Thomas dans un appareil qui ne lui était pas familier, pour mon plus grand bonheur comme mon plus grand malheur. S’il devait être une drogue, il serait le LSD, une chance sur deux de faire un trip plaisant, une chance sur deux de tomber dans les limbes. Je le regardais, il ne savait pas qu’au moment où sa bouche s’était fermée, il avait crée en moi une idée géniale, pour qu’il puisse me suivre il fallait que je trouve un moyen de déplacer son corps de la chaise sur laquelle il semblait avoir prit racine. « Sérieusement ? Genre … sérieusement ? » J’avais réussi, il n’y avait qu’à regarder ses yeux, il se demandait ce qui était plus stupide dans l’histoire, moi ou l’idée ? Ou moi ET l’idée ? J’avais optée pour l’option B, car l’option A n’était jamais la bonne réponse et puis parce que je le connaissais assez pour savoir qu’à ce moment il se demandait où était passé mon calme. Il aurait dû se douter que je ne restais jamais calme bien longtemps et que les idées poussaient aussi vite que les mauvaises herbes dans ma tête, d’ailleurs la plupart du temps il s’agissait de mauvaises idées qui menaient à des choses mauvaises et à des règlement de compte tout aussi mauvais, autant pour moi que pour les gens qui m’entouraient.
« Tu m’ennuies. » Avais-je répété à voix basse, car la drogue me montait sagement au cerveau tandis que mon visage était exposé au ciel, les yeux fermés je sentais chaque goutte une par une tomber sur mon visage en slow mo’, certaines étaient plus froides que d’autres, certaines même très chaudes, ce n’était ni plus ni moins que mon corps qui se dérèglait très rapidement lorsque la drogue rentrait en contact avec mon système sanguin. « Bah ouais. J’attends que tu me proposes un défi à ma hauteur, je t’avoue que courir sous la pluie, ça reste assez enfantin. » La limasse dépressive et poète maudite à ses heures perdues avait refait surface, sa voix semblait lointaine, mais il était près de moi, à quelques mètres seulement, je lâchais les copies qui se trouvaient dans ma main, laissant son sac parterre et je baissais la tête vers lui. Rien à faire, même sous la pluie il prenait la peine d’allumer son allumette comme un roi et de fumer sa cigarette aussi trempe que la culotte d’une lycéenne à la vue de Justin Bieber. « A ta hauteur ? ... » J’avais commencé à rigoler et je m’étais approché de lui. « Alors dans ce cas, on rentre et on boit une verveine, ensuite au lit ! » Franchement il m’avait tendu une perche aussi grande que lui. Ce mec était toujours lent, las, faible, il ne me procurait du plaisir que lorsque je le piquais, que lorsqu’il était complétement défoncé, loin de sa zone de confort et quand son charme mystérieux faisait effet. Là, ce n’était pas le cas. Courir sous la pluie ça n’avait rien d’enfantin, mon esprit se mit à penser à Jules, avec lui la question ne se serait même pas posé, courir sous la pluie ! Quelle évidence, franchement ! Je comparais souvent ces deux hommes sans même y prêter attention, c’était presque devenu un mécanisme logique et vital de mon organisme, comme respirer par exemple.
Mon attention s’était porté sur la cigarette, elle illuminait dans cette pénombre lunaire comme une libellule en pleine foret, c’était sauvage, c’était beau, c’était mystique et c’était surtout mon esprit torturé qui le pensait, tout devenait artistique avec de l’ecsta dans le sang, même les cheveux mouillés de Knick qui perlaient de bout en bout avait un aspect merveilleux. Je fis bouger mes yeux un peu partout sur son visage, pour y retrouver ces quelques petites ridules d’expression au coin de ses lèvres fines, pour y contempler ses grains de beautés à l’aspect sphérique parfait, pour finir par trouver ses yeux et lui arracher un regard. J’avais son attention et c’est ce qui comptait le plus, je posais mes mains sur son col, m’approchant de lui et contre toute attente, j’avançais vers lui, il lui fit un petit moment de battement pour comprendre qu’il devait rebrousser chemin et marcher à reculons. « On va faire quelque chose à ma hauteur, tu veux bien ? » Il continuait à marcher à reculons sans que cela ne semble le déranger. Une nouvelle fois nous étions sous le porche, je l’avais poussé de toutes mes forces et il était enfin tombé à l’endroit où je voulais qu’il soit, assis sur les escaliers, une fois n’est pas coutume, je pouvais le regarder de haut, face à lui, je retirais mon blazer qui me coupait littéralement la respiration, le faisant tout bonnement tomber au sol. Et je vins m’asseoir près de lui remontant ma manche, attirant son regard vers les sillons violacés de mon coude. « J’vais te montrer un truc. » Je n’avais même pas imaginé un seul instant à sortir une seconde seringue, car voir Jules dans un état second lorsque je lui montrais comment s’injecter de l’héroïne et comment préparer une seringue l’autre fois, ça m’avait rebuté. Mais j’avais décidé de reproduire la scène devant Thomas, car comme je vous le disais, j’aimais les comparer l’un et l’autre, mais loin de moi l’idée de lui injecter quoi que ce soit, sauf s’il me le demandait gentiment et de toute façon il venait de voir commencer faire, alors il pourrait se faire son fix lui-même, il savait que mon sac était remplit de pleins de bonnes choses.
Lorsque la préparation fut terminée et fin prête sous les yeux médusés de Knick, j’avais approché celle-ci vers mon poignet, l’aiguille me pinçait la peau et je relevais la tête, comme un instant d’illumination divin. Je souriais à Thomas, lui tirant le poignet, posant délicatement la seringue entre ses douces mains. « C’est un défi à ta hauteur ? J’t’assure que les enfants ne font pas ça. » Je continuais de lui sourire, puis comme pour le défier j’approchais mon visage de son oreille, lui soufflant ces quelques paroles. « Mais tu peux te défiler, je ne t’en voudrais qu’à peine. » Avais-je ponctué avec un sourire malsain qui s’entendait à mon ton. Alors Thomas fera ou Thomas ne fera pas ? Le défit était de taille et très inapproprié, hors du commun, pourtant ça reflétait si bien ma personnalité que s’en était jouissif.