Charles C. Lewis - Chuck pour les intimes

On peut pas vraiment dire qu'on choisit son lieu de naissance
Ce que vont découvrir petit a petit les cinq sens
Moi un jour mes parents ont posé leurs valises, alors voilà
Ce sont ces trottoirs qu'ont vu mes premiers pas

Oh, effectivement, s’il y a bien une chose que l’on ne choisit pas – ou qui n’est pas une conséquence d’un fait passé – c’était ce lieu de naissance. Personne n’entendait ce que cette petite lentille plongée dans une poche d’eau dans l’utérus de la mère. Personne ne se préoccupait réellement de cette boule de cellule qui formait trop vite une main, ou un pied ou un cœur. Personne ne réfléchissait totalement aux conséquences d’aujourd’hui pour la vie future qui était en pleine création. Dans mon cas, ma tendre mère devait avoir sept mois, jeune étudiante en échange qui abandonnait ses études pour se marier avec le père de cet enfant, et le Roi de son Cœur. Un Roi digne de tous les contes : il ne pensait qu’à fêter et à boire. Sauf que nous parlons de la « vraie » vie, et dans celle-ci, le Roi devient ivre et violent, et un jour, il ne quitte « plus » du tout cette table et laisse sa Reine seule. Car oui, du jour au lendemain, fatigué de cette fratrie trop nombreuse, ce Roi claque la porte pour aller festoyer dans d’autres royaumes et sur d’autres tables.

Malheureusement, un Roi a des obligations comme des dettes dans bien des établissements de jeux et d’alcools envers des personnes peu fréquentables qui usent davantage de la violence que des voies égales pour obtenir leur dû. Ainsi, ma jeunesse était synonyme de donner tous les salaires et aides possibles - sans qu’on ne meurt de faim – à ces hommes, d’entendre une mère gémir sous quelques caresses contre monnaie à ces hommes, de voir ma fratrie trembloter de froid durant les grands hivers en raison de notre difficulté à payer les différentes factures … Pourtant, on a clôturé ces « dettes ». Et malgré cela, la situation n’allait pas au mieux : les frères et sœurs qui avaient « mille » besoins, une mère incapable d’assumer ce qu’elle avait mis au monde …

On ne choisit pas où on nait. Mais on peut choisir où vivre.

J’viens de là ou les mecs traînent en bande pour tromper l'ennuie
J’viens de là ou en bas sa joue au foot au milieu de la nuit
J’viens de là ou on fait attention a la marque de ses textiles
Et même si on les achète au marché on plaisante pas avec le style
J’viens de là ou le langage et en permanente évolution:
Verlan, reubeu, argot, gros processus de création
Chez nous les chercheurs, les linguistes viennent prendre des rendez-vous
On a pas tout le temps le même dictionnaire, mais on a plus de mots que vous

A dix-huit, je savais où je voulais vivre : Londres, la ville de tous les possibles ! La ville qui allait me voir renaître, flamboyant et fort, riche et puissant ! Dorénavant je n’aurais plus à baisser la tête face à ces hommes sans foi ni loi : ça sera à eux de le faire. Cependant, je dois avouer que les débuts furent compliqués : mon langage du Bristol détonnait avec le langage de Londres, sans parler des pratiques. Pourtant, j’ai su m’y adapter. Car c’était ceux qu’on apprenait quand on est pauvre : on prend ce qu’on nous donne, sans faire la fine bouche. Je dois admettre que je me suis sorti bien mieux que bien d’autres provinciaux avec des idées de grandeurs des grandes villes, et je pouvais mettre cela sur le compte de mon style, ou de mon langage. Même si j’achetais des choses bon marchés, je prenais soin d’accorder les différents styles ou couleurs ; Quant au langage, je n’avais guère la langue dans ma poche dans mes interactions avec les gens. Quand  on n’a pas de père, nous n’avons rien à perdre au final, n’est-ce pas ? Alors oui, je riais de la bêtise de chacun, je riais de mes bêtises … Je riais, et je faisais rire. Ma compagnie était agréable, ma compagnie était scandaleuse … Bref, ma compagnie était tout sauf ennuyeuse.

J’viens de là ou les jeunes ont tous un maîtrise de vannes,
Un DEA de chambrettes, une répartie jamais en panne
Intelligence de la rue, de la démerde du quotidien
Appel ça comme tu veux, mais pour nous carotter tiens toi bien
On jure sur la tête de sa mère à l'age de neuf ans
On a l'insulte facile mais un vocabulaire innovant

Je savais ce que je désirais : être avocat. Un avocat devait savoir répliquer, enjoliver les choses, jouer sur les mots… ce que je n’avais pas cessé de faire depuis ma plus tendre enfance, tantôt pour calmer un père violent, tantôt pour retarder au mieux les paiements de certaines dettes contractées par mon père, tantôt pour survivre dans les rues de Londres. Je pourrais prétendre que j’ai été criminelle mais  nullement : j’ai été tantôt vendeur porte-à-porte, tantôt sur un point de vente, tantôt un simple secrétaire d’un cabinet, tantôt un petit stagiaire … L’argent gagné avait servi à bien des fins : aider ma fratrie laissée au Bristol, financer mes études par correspondance, financer mon mariage, financer mon divorce ~

J’viens de là ou dans les premières soirées ça danse déjà le break
J’viens de là ou nos premiers rendez-vous s'passent autour d'un grec
J’viens de là ou on aime le rap, cette musique qui transpire
Qui sent le vrai, qui transmet,qui témoigne, qui respire
J’viens de là ou y'a du gros son et pas mal de rimes amers
J’viens de là ou sa choque personne qu'un groupe s'appelle nique ta mère

Oh, effectivement. Ma première soirée a été un petit combat de Break mais surtout, un bon concours de bière. Je ne sais pas ce que vous entendez par « grec » mais je pense que vous dites un équivalent du McDO ou d’un Burger King ou d’un KFC. J’adore ces enseignes, et même encore aujourd’hui. Et oui, j’ai quelques goûts musicaux insolites, notamment le rap américain. J’ai trouvé à bien des reprises mon inspiration dans ces paroles, quand c’était à mon tour de réaliser un véritable bras de fer verbal avec certaines personnes. Mais c’était également des paroles qui étaient un véritable écho au bordel de mes jeunes années, années où je ne pouvais pas crier ou hurler.

Car comme tout bon jeune homme, j’ai eu ma première déception amoureuse. Cependant, je peux dire que la mienne a été plus amère que la vôtre. Mon premier amour a été ma meilleure amie, la seule à connaître réellement chaque détail pourri de mon existence ou encore mes défauts comme qualités, voire même toutes mes erreurs et mes faits honteux. Et elle m’avait accepté, et elle m’avait aimé. Elle avait été la seule « bonne » chose qui me soit arrivée de toute mon existence : son simple sourire, sa présence chaleureuse, son rire cristallin … Un rien me rendait joyeux, un seul mot me suffisait. Bref, j’étais à ses pieds. Et un jour, je découvre qu’il y avait un autre à ses pieds, les deux batifolant dans « notre » lit même, ce lit qui avait été le témoin de notre première fois, de notre nuit de noce et de bien d’autres nuits, et de bien de confidences et de discussions où je me dévoilais telle que j’étais, avec tous mes peurs et craintes.

Beaucoup se relève d’une telle expérience. Ce n’est guère le cas pour moi. Mes parents ne m’ont pas réellement aimé – un père alcoolique égoïste, et une mère dépressive qui n’avait de yeux que pour l’égoïste -, j’avais assez tôt de très grandes responsabilités – notamment mes frères et sœurs – qui sous-entendait beaucoup d’attentes, et de mots amers … Je ne peux pas compter le nombre de fois où j’étais frustré d’être seul face à ces problèmes d’adultes, d’avoir ce sentiment d’impuissance, d’être tout simplement non aimé. Alors cette femme avait été ce rayon de soleil, celle qui m’abreuvait d’amour. Mais un amour empoisonné.

J’viens de là et je kiff ça malgré tout ce qu'on en pense
À chacun son territoire, à chacun sa France
Si je rends hommage a ces lieux à chaque expiration
C’est que c'est ici que j'ai puisé toute mon inspiration

J’viens de là ou dès douze ans la tentation t'fait des appels
Du bizness illicite et des magouilles a l'appel
J’viens de là ou il est trop facile de prendre la mauvaise route
Et pour choisir son chemin faut écarter pas mal de doutes
J’viens de là ou la violence est une voisine bien familière;
Un mec qui saigne dans la cour d'école c'est une image hebdomadaire
J’viens de là ou trop souvent un paquet de sale gamins
Trouvent leur argent de poche en arrachant des sacs à main

J’habite l’Angleterre. Je le sais. Malgré tout, cette chanson me semble sans frontière. Suite à ma déception, j’étais devenu un alcoolique. Exactement comme mon père. J’aurais pu sombrer profondément, si Noel n’existait pas. Je vous épargne les miracles de Noël – car il n’y en a pas eu. Sachez que comme chaque année, je me rendais auprès de ma famille à Noël …. Et ce noël-ci j’avais vu une vieille photo de mon alcoolique de père. Et je m'étais suis rendu compte à ce moment-là de la mauvaise pente que je prenais. La violence de cette découverte fut accompagnée par les récits de « violence » quotidienne dont ma famille était témoin au sein de Bristol. Et je me rappelle assez vite « pourquoi » j’avais fui pour Londres : pas pour rendre une femme heureuse, mais pour être un homme puissant à mon tour.

J’viens de là ou on d’vient sportif, artiste, chanteur
Mais aussi avocat, fonctionnaire ou cadre supérieur
Surtout te trompes pas j'ai encore plein de métier sur ma liste
Évite les idées toutes faites et les clichés de journalistes

Alors j’ai contacté sans tarder de vieilles connaissances, et avec l’aide d’un homme, j’ai commencé à bâtir cet empire légal. Aujourd’hui, on n’ignore pas Chuck Lewis – je ne désirais pas être appelé par Charles, qui me semblait un tantinet inapproprié au vu de mes modestes origines. Suis-je fier ? Oui, très fier. Suis-je seul ? Non, car je suis plus heureux qu’accompagné. En ce bas monde, nous ne pouvons pas accorder notre confiance à quiconque, au risque d’être cruellement blessé et jeté comme un tas de chiffon.