"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici my dear, my dearest dust; i come i come. + ginny 2979874845 my dear, my dearest dust; i come i come. + ginny 1973890357
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() message posté Lun 7 Mar 2016 - 2:22 par Invité

“Our memory is a more perfect world than the universe: it gives back life to those who no longer exist.” Je me redressai sur le bord du lit. Mes pieds rasaient le sol en traversant le hall. Je me sentais nauséeux, probablement, les changements de mes doses de traitement. Je n'avais plus le droit d'être en colère. Je ne pouvais plus sombrer dans ce sentiment terrifiant de solitude, parce que je n'étais plus seul. Il y avait Eugenia. Il y avait la vie tout autour de sa silhouette. Je papillonnai des yeux en croisant mon reflet à la surface du miroir. Mon expression était vide, comme celle d'un homme aliéné par l'absence de volonté. Je ne pouvais pas être moi-même. Je n'étais pas moi-même. Le lithium rongeait les tréfonds de mon corps fiévreux. Je me penchai vers le rebord du lavabo en soupirant. Mon haleine empestait. Toutes les saveurs se mélangeaient sur ma langue ; le désarroi, l'apathie, le tabac et le sang. Je n'étais plus sûr de comprendre. Était-ce les usages spirituelles ou physiques qui pesaient le plus ma conscience ? Était-ce l'impression de faiblesse ou le goût âpre de ma salive ? Je m'éloignai un instant, le souffle saccadé, l'humeur rembrunie par les médicaments. Je me redressai après avoir lavé mon visage, puis je rencontrai mon reflet à nouveau. Un fantôme blafard. Une image blanche. J'en étais réduit à cet état. Je me plaçai devant la petite pharmacie. Mon regard glissait sur les fioles et les comprimés magiques. Il y avait toute une rangée pour soulager les spasmes de Ginny, ses troubles urinaires, ses dépressions et ses chutes de tension. Je ne parvenais pas encore à mémoriser tous les noms, mais je connaissais les posologies ; quelle pilule avaler à quel moment. J'allongeai le cou afin d'effleurer ma boîte de lithium. Il s'agissait d'un régulateur naturel des flux nerveux. Un élément chimique qui prévenait mes phases de manie en me rendant complètement abruti. J'étais prisonnier des mes pensées car je ne parvenais plus à les écrire. L'autre revers de la médaille. Les effets secondaires. Je ressentais la léthargie, l'obnubilation, parfois les vertiges et quelques tremblements. Je pinçai les lèvres en ingurgitant mes comprimés. Je me posai un instant près de la fenêtre avant de me diriger vers le salon. Ma démarche vacillait entre les murs. Je succombais en élançant mes jambes dans le vide. Je perdais tous mes repères dans l'appartement, jusqu'à ce que le profil lumineux de ma femme se dessine au coin de la pièce. Je la voyais pour la première fois. Chaque jour, je tombais amoureux de la même petite galloise. Il y avait une beauté particulière qui appartenait aux femmes enceintes, dans leurs courbes arrondies où s'inscrivaient toutes toutes les poésies de la vie. Dans leurs réflexes attendrissants et leurs manières de se tenir le ventre en rêvant d'un horizon étoilé. Je haussai les épaules en me glissant entre les meubles. Mes doigts dansaient sur les rebords du canapé avant de frôler l'épaule de Ginny. Je m'inclinai avec douceur avant de déposer un baiser sur sa joue. Elle était assise devant son ordinateur, les sourcils froncés sur une affaire de police. Elle analysait les détails avec une attention scrutatrice, plongeant son regard curieux sur les lignes du rapport d'enquête. Je me posai silencieusement à ses côtés. Je lui accordais sa liberté. Je la laissais exploiter l'essence de ces passions qu'elle ne s'était jamais autorisé à ressentir. Je calai ma tête sur un oreiller. Je m'assoupis sans m'en rendre compte. Je tombais en apnée, dans un univers féerique et amorphe. Les souvenirs étaient comme des photographies dont l'éclat me revenait par fragments. J'avais grandi, là où, la mémoire se brisait dans le secret. Pourtant, je me rappelais de mon enfance heureuse. J'entendais le crépitement de la radio au fond de la cuisine. Je sentais les effluves de ce parfum sucré et maternel. Je revoyais ma silhouette flétrie en position fœtale, gloussant avec malice alors que les pas se rapprochaient de ma cachette. Aïda était morte, mais elle vivait encore. Elle existait en moi. Je me relevai d'un geste mécanique afin me diriger vers la chambre. J'ouvris un placard. Il y avait un vieil album entre mes vêtements. Je tournai les pages avec un pincement au cœur. J'étais pris au piège de la nostalgie. Mon esprit vagabondait au loin, rejoignant des clichés que j'avais vécu autrefois. Je m'attardai sur une photo de ma mère. Elle souriait à travers la surface rugueuse du papier. Elle me portait sur ses cuisses et elle me souriait, à cet instant. Je laissai échapper un gémissement. Elle était encore plus belle que dans mon imagination. Elle était toujours plus belle. Je crispai la mâchoire afin de m'enfermer dans le silence. Je battais des cils en faisant défiler les sourires et les regards, puis je suspendis mes gestes. Elle était enceinte. Année 1989. Elle était enceinte de moi. Je me tournai vers la porte afin de retourner au salon. Je m'installai avec nonchalance sur le canapé. «Regarde ! J'étais encore réduit à ma forme larvaire. Je suis sûr que même là, je t'aimais déjà.» J’acquiesçai jovialement, dans un regain d'énergie. J'appuyai mon coude contre le bras de Ginny afin d'attirer son attention. « Je t'aime depuis le plus longtemps. » Articulai-je d'un air taquin. Elle me contredisait toujours à ce sujet, mais j'étais sûr de mes affirmations. Il ne s'agissait pas d'une simple compétition. C'était un constat réel.
 
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() message posté Mer 9 Mar 2016 - 22:09 par Invité
JULIAN & EUGENIA —he is not just the light of my life, he is my only light, and i need him as much as i know the moon needs the sun in order to shine. for without him i would be lost in the shadows of faded stars and lonely nights ✻ ✻ ✻ Julian dormait à côté de moi. Je n’avais pas tourné la tête vers lui mais je pouvais entendre sa respiration calme et paisible, cette respiration qu’il avait seulement lorsqu’il s’en allait loin, très loin de cette réalité. Je me demandais s’il rêvait. Je me demandais ce qu’il se passait dans son esprit apaisé, en cet instant. Un sourire flottait sur mes lèvres alors que mes yeux continuaient de parcourir des éléments du dossier que Theodore m’avait envoyé pour que je continue de travailler depuis chez nous. Je ne parvenais pas réellement à me concentrer entre la présence réconfortante de mon mari et les coups incessants des jumelles dans mon ventre mais cela m’importait peu ; en cet instant, j’étais particulièrement heureuse, particulièrement satisfaite, comme si le tableau de mon existence offrait un paysage paisible et agréable. La perfection n’existait pas et n’existerait jamais mais, malgré la succession de désillusions qu’était ma vie, j’avais l’impression de frôler cet idéal du bout des doigts.
J’étais bien, assise sur ce canapé, mon ordinateur sur mes genoux, même si j’étais incapable de bouger. J’étais bien, assise sur ce canapé, enceinte de nos jumelles, même si elles, par contre, n’arrêtaient pas de remuer. J’étais bien, assise sur ce canapé, à quelques centimètres de mon mari assoupi, même s’il ne me tenait pas dans ses bras. L’atmosphère du salon me paraissait bien plus chaleureuse qu’à l’ordinaire. Les grosses mailles de mon pull étaient plus douces qu’elles ne l’avaient jamais été auparavant. Je lisais peut-être une histoire sordide mais mon esprit flottait au loin, parmi la layette et les bodys que Julian venait d’acheter, parmi les peluches et les tétines qu’il nous restait à acquérir.
Puis, finalement, Julian se réveilla. Je lui adressai un doux sourire avant qu’il ne se lève pour partir ailleurs et ma bulle fut perturbée par son départ ; cependant, je pouvais encore sentir sa présence dans l’appartement, comme si son corps envoyait des signaux au mien. Je vais bien, ne t’en fais pas. Je savais que, même s’il n’en parlait pas, prendre son traitement ne lui convenait pas ; je me rendais compte, également, qu’il semblait évoluer dans une dimension différente tant ses gestes étaient troublés par les substances qu’il ingurgitait. Cependant, j’étais pleine d’espoir ; je voyais cette avancée comme une preuve que, bientôt, sa colère serait sans doute derrière nous. J’étais suffisamment idiote pour penser qu’il suffirait d’ajuster les doses pour trouver un équilibre.
J’étais sans doute bête. Mais je me plaisais dans cet environnement aimant et chaleureux que je m’étais créé.
Julian revint dans le salon avec un album photo entre les mains. Il s’assit à mes côtés avant d’attirer mon attention en me donnant un coup de coude, comme un enfant. « Regarde ! J'étais encore réduit à ma forme larvaire. Je suis sûr que même là, je t'aimais déjà, » me dit-il, avant de reprendre. « Je t'aime depuis le plus longtemps. » J’esquissai un sourire en fermant l’écran de mon ordinateur. Je le posai sur le meuble à côté du canapé, à la même hauteur que l’accoudoir, et je tirai l’album photo vers moi pour mieux voir. Il s’agissait de sa mère ; je l’avais déjà vu tant de fois en photo que je connaissais les traits de son visage par coeur. Sur le cliché, elle était enceinte ; son ventre s’étirait sous son chemisier et ses mains le tenaient en coupe. Et je comprenais. Je comprenais ce qu’elle ressentait sur cette photo, je comprenais comment elle s’était senti à cette époque en étant enceinte de Julian.
Je tournai la tête vers Julian, un sourire attendri aux lèvres, l’émotion serrant un peu ma gorge, sans doute. « Tu dis des bêtises. Je n’existais même pas encore, à ce moment-là. On ne peut pas aimer ce qui n’existe pas, »  lui répondis-je. J’espérais qu’il ne verrait pas mon regard brillant ; je ne voulais pas qu’il se moque de l’émotion que je ressentais en cet instant. Alors, je détournai le regard pour le reporter sur la photographie. « Elle était vraiment belle, » soufflai-je. Je lui avais toujours dit, toujours répété. J’aurais aimé la rencontrer. J’aurais aimé la voir avec Julian. Elle semblait venir d’ailleurs ; elle avait une beauté lointaine, de pays bien plus ensoleillés. Comme ma propre mère, splendeur de Grèce. « Elle avait l’air si contente de t’avoir, regarde comme elle tient son ventre. Je suis sûre que tu devais lui donner plein de coups mais qu’elle s’en fichait. »  Je ris doucement. Elle avait l’air fatiguée, également ; cependant, la fatigue des femmes enceinte renvoyait une aura de tranquillité, de calme, de beauté. Parce que cette fatigue, même si elle était réelle, allait encore au-delà. C’était de la fatigue qui valait la peine. « Est-ce que tu peux aller me faire un thé, s’il te plait ? »  Je tournai de nouveau la tête vers Julian, un sourire désolé sur les lèvres. Malheureusement, avec ma grossesse, avec ce ventre qui ne cessait de grossir, j’étais contrainte de réduire mes déplacements ; alors, fatalement, j’envoyais Julian faire les choses pour moi, j’envoyais Julian me faire un thé avec un morceau de sucre et un doigt de lait. Je m’en voulais d’être obligée de lui demander sans cesse des faveurs mais je n’avais plus le choix.
C’était sans doute cela le pire. Mais je refusais que cela vienne troubler ma bulle de bonheur.
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() message posté Jeu 10 Mar 2016 - 22:57 par Invité

“Our memory is a more perfect world than the universe: it gives back life to those who no longer exist.” Je me tournai lentement. Les battements de mon cœur résonnaient suavement dans ma cage thoracique, bordés par une symphonie de douceur artificielle. Je n'étais pas moi même. Les médicaments m'avaient transformé. J'étais cette version calme et agréable, celle qui se fatiguait au moindre effort. Je ne ressentais plus la colère. J'étais plongé dans la léthargie, flottant comme un navire sans voiles dans une mer morte. Je n'avançais pas. Je ne pouvais pas. J'avais si peur des répercussions de ma thérapie. J'avais si peur de dénaturer mon travail, ou pire encore, mon talent. Je puisais ma force du désespoir, d'une infinité d'espaces noirs et inconnus. J'écrivais parce que j'avais perdu ma mère. J'existais parce que j'avais oublié l'essence du bonheur. Je baissai les yeux vers l'album photo. Le papier pliait sous mes mouvements las. Elle me manquait encore. Chaque jour, je lui accordais une pensée muette. J'avais longtemps imaginé nos conversations, nos ballades et nos danses dans la cuisine. Elle était la seule à m’appeler Julie en arborant une mine déconfite, annonçant une punition imminente. Je me mordis la lèvre inférieure. Mon regard était embué par l'émotion. J'adorais Aïda. Je l'aimais réellement. Pas seulement parce qu'il s'agissait de ma mère. Je lui avais inventé une personnalité, une histoire et une vie à travers mes souvenirs. Elle était fantasque et aimante. Elle déployait ses ailes dans le ciel et couvrait les étoiles par son plumage nacré. Lorsque les gens observait les nuages, moi, j’étreignais ses sourires effacés dans le néant. Mon âme s'était brisée après son décès. Pourtant, je continuais à respirer avec mes fragments ébréchés. Je remplaçais un amour par un autre. J'avais une famille maintenant. J'avais Eugenia et sa dévotion suffisait à combler toutes les lacunes. Elle ne s'en rendait même pas compte, mais elle m'avait complété. Après des années d'errance dans les hautes sphères du désespoir, après toutes les épreuves et les violences de mon père, je me sentais enfin entier. Certes un peu vaseux, mais heureux. Je posai ma tête sur son épaule en soupirant. « Tu dis des bêtises. Je n’existais même pas encore, à ce moment-là. On ne peut pas aimer ce qui n’existe pas, »  Je pinçai les lèvres en esquissant une moue enfantine. Elle se trompait. Le sentiment était immatériel. Je l'avais aimé avant qu'elle n'existe et je continuais d'aimer ma mère alors qu'elle n'existait plus. Je haussai les épaules avec désinvolture. « Moi, je peux. » Marmonnai-je d'une voix ensommeillée. Je ne voulais pas m'étendre dans un débat philosophique au sujet de mes croyances littéraires. J'étais trop éloquent, trop contradictoire pour qu'elle puisse tenir le fil de mes réflexions. Ma pensée était versatile. Elle voguait au gré des firmaments, apparaissant et disparaissant, tour à tour, dans un cycle intemporel. Je redressai la tête. Ma bouche effleura tendrement sa joue, sans l'embrasser, sans prononcer la moindre objection. « Elle était vraiment belle, » Je glissai mes doigts sur son poignet avant d'effleurer son ventre. Les jumelles battaient sous ma paume, insufflant la vie dans mon corps oppressé. Je souris, amusé par leurs interactions avec le monde extérieur. Il me semblait parfois qu'elles reconnaissaient les tonalités de nos voix, nos conversations et nos disputes. Elles devaient redouter mon courroux car son approche, succédait aux cris, aux fracas et aux discours injurieux. J'étais un père différent. Un père meurtri et désappointé, mais je les aimais plus que tout au monde. «C'est toi la plus belle. » Je plissai les yeux d'un air attendri. Ce n'était pas un compliment que je lui adressais par courtoisie. Eugenia était indéniablement la plus belle. A mes yeux, en tout cas. « Elle avait l’air si contente de t’avoir, regarde comme elle tient son ventre. Je suis sûre que tu devais lui donner plein de coups mais qu’elle s’en fichait. »  Je papillonnai des yeux en me relevant. La remarque de Ginny m'avait sorti de ma torpeur, et je lui souris avec entendement, bien avant de décortiquer le sens de sa phrase. Mon regard glissa sur la photo. Je redécouvrais le profil arrondi d'Aïda et son visage harmonieux. Elle brillait avec cette lumière éclatante comme une lampe éternelle qui se consumait pour éclairer l'univers. « Je suis sûr que non. Je ne frappe pas les jolies filles, que les moches. Une fois j'ai tapé Lucy Jefferson. Elle me piquait mes autocollants pokémon pendant la récréation en disant que je les méritais pas. » Râlai-je en esquissant un geste dramatique de la main. « Je n'ai pas pu passer au dessus ! Mais je donne pas de coups à ma maman et ma chérie. Que des bisous. » Raillai-je en lui dérobant un baiser furtif. Je repris une position plus souple sur le canapé, les jambes tendues vers la table. « Est-ce que tu peux aller me faire un thé, s’il te plait ? »  Je fixais son regard cristallin. Je restai silencieux un instant, perdu dans l'expression gracieuse qui auréolait ses traits délicats. Elle était lumineuse. Ce n'était pas la grossesse, j'avais l'impression que nous étions réellement parvenu à trouver un équilibre. Je passai ma main sur son menton en me levant. «Bien sûr, mais il faudra être très gentil avec moi quand je reviendrais.» La taquinai-je en haussant les épaules. Je me dirigeai vers la cuisine d'un pas assuré. Préparer un thé, cela ne semblait pas très sorcier. Je m'étais habitué à faire bouillir l'eau, à doser les quantités et à ouvrir les sacs de thé sans déchirer l'emballage. Je sortis les tasses d'un air concentré, mais les grognements de Danny perturbaient mon cheminement. Avais-je déjà mis le sucre ? «Get tae fuck ! Elle est encore dans mes pattes ! Ginny, tu peux l'appeler ? Elle mordille mon pantalon ! » Me lamentai-je de l'autre côté de la pièce. « Va, va chez maman ! Mais laisse-moi ! Daenerys tu es privé de sortie, voilà ! » Annonçai-je d'un ton ferme en portant le plateau jusqu'au salon.
 
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() message posté Dim 20 Mar 2016 - 19:30 par Invité
JULIAN & EUGENIA —he is not just the light of my life, he is my only light, and i need him as much as i know the moon needs the sun in order to shine. for without him i would be lost in the shadows of faded stars and lonely nights ✻ ✻ ✻ Les souvenirs. C’était généralement ce qui m’occupait, la journée. Des bribes du passé me revenaient sans que je ne le veuille réellement ; des images habitaient mes paupières lorsque je fermais les yeux et je vivais ce que j’avais déjà vécu des années auparavant. Je me retrouvais à Cardiff, chez ma mère, lorsqu’elle venait frapper à ma porte quand elle m’entendait pleurer en silence. Je me retrouvais dans ses bras, dans ses étreintes chaleureuses et délicates. Je me retrouvais avec elle, toujours, entourée par ses rires et ses paroles enjouées, emportée par sa bienveillance et son air contrit lorsqu’elle comprenait que, non, je ne sortirais sans doute jamais comme Scarlet. Lorsque je me perdais sur mon ordinateur, j’ouvrais parfois ma bibliothèque photos pour regarder des clichés de ma famille, de Julian et moi, de tous ces instants que j’avais vécu. J’observai les sourires et les yeux pétillants. J’observai le bonheur et la complicité qui se dégageaient des différentes images.
Les souvenirs. Je les connaissais bien parce que, désormais, ma vie était une reconstruction d’éléments du passé ; j’occupais mon présent en me remémorant certains épisodes de mon existence. Je passais le temps en appréciant tout ce que j’avais dans le crâne. Au fond, ma mère avait eu peur que je sois malheureuse mais elle ne s’était pas rendue compte, et moi non plus, que j’avais connu le bonheur à ma manière. Je n’avais pas eu besoin d’aller en soirée et boire plus que raison. Je n’avais pas eu besoin d’être appréciée par tout le monde au lycée. Je n’avais pas eu besoin d’une mère et d’un père qui s’aimaient très fort. Non, bien au contraire ; j’avais apprécié mes soirées seule, en compagnie de Julian, où je m’étais amusée à enquêter sur toutes ces personnes qui s’acharnaient à me faire vivre un enfer. Je n’avais pas souffert d’avoir deux maisons, j’avais même apprécié pouvoir passer du temps chez mon père, juste en face de la mer. Parce que, désormais, lorsque je repensais à tout cela, je n’avais pas envie de pleurer parce que j’avais été malheureuse, mais de sourire parce que j’avais réussi à me créer une bulle malgré tout.
Les souvenirs. Ils m’étaient si essentiels. « Moi, je peux, » affirma-t-il et je levai les yeux au ciel en secouant la tête. Ce débat était absolument stérile et je ne souhaitais pas m’attarder sur le sujet. Pas une fois de plus.
Il se pencha sur moi lorsque je parcourais le cliché de sa mère des yeux ; ses lèvres effleurèrent ma joue et ses doigts se glissèrent sur mon poignet pour se loger contre mon ventre. Les jumelles continuaient de donner des coups. C’était une habitude qu’il avait développé dès l’instant où je lui avais montré, la première fois ; il cherchait un contact avec elles et à chaque fois cela me remplissait d’une joie que je peinais à dissimuler. « C'est toi la plus belle, » dit-il lorsque je qualifiai sa mère de la même manière. Je tournai la tête vers lui pour lui offrir un sourire, secouer doucement la tête et déposer un baiser sur ses lèvres. « Je suis sûr que non. Je ne frappe pas les jolies filles, que les moches. Une fois j'ai tapé Lucy Jefferson. Elle me piquait mes autocollants pokémon pendant la récréation en disant que je les méritais pas. Je n'ai pas pu passer au-dessus ! Mais je donne pas de coups à ma maman et ma chérie. Que des bisous, » expliqua-t-il en me volant un baiser à son tour. Il était de bonne humeur. Il était enjoué et taquin, plein de répartie. J’avais l’impression qu’il perdait dix ans dans ces moments-là, comme si le monde qu’il se bornait à porter sur ses épaules s’échappait de sa prise le temps d’un instant. « Je suis sûre que là où elle est, Aïda doit te traiter de menteur. Un bébé est infernal dans le ventre de sa mère. Même toi. »  Mon expression était douce, mes paroles ne sonnaient pas comme des reproches. Après tout, en soi, ce n’était pas quelque chose de grave ; au contraire, j’avais ce contact avec nos filles, j’aimais les sentir s’agiter sous mes doigts même si cela m’épuisait énormément à la longue. Même si cela me fatiguait la nuit lorsque je cherchais à dormir.
Je finis par lui demander s’il pouvait me préparer une tasse de thé, presque gênée par une telle requête, et il se leva presque instantanément. « Bien sûr, mais il faudra être très gentil avec moi quand je reviendrais, » répondit-il. Je souris alors qu’il s’éloignait vers la cuisine et je reposai mon regard sur l’album photo. Je feuilletai pour trouver des clichés de mon mari dans les premières années de son existence et je ne pouvais m’empêcher de sourire. « Get tae fuck ! Elle est encore dans mes pattes ! Ginny, tu peux l'appeler ? Elle mordille mon pantalon ! » Je fronçai les sourcils en relevant la tête, la tournant vers la cuisine de sorte à pouvoir observer Julian se battre avec Danny. « Va, va chez maman ! Mais laisse-moi ! Daenerys tu es privée de sortie, voilà ! » Je me mis à rire avant de faire un bruit de baiser avec ma bouche. « Danny, viens par ici mon trésor, »  lançai-je. J’entendis ses petites pattes s’arrêter et je renvoyais un baiser dans le vide pour capter toute son attention. Puis, finalement, elle finit par s’élancer dans le salon pour se nicher sur le canapé et poser sa tête sur mes cuisses, juste en dessous de l’album photo. « C’est qui le gentil bébé à sa maman ? »  lui demandai-je en lui grattant derrière les oreilles. Elle vint attraper mon poignet avec ses pattes et je lui souris. « Et c’est qui le meilleur mari de toute la Terre entière ? »  repris-je lorsque Julian revint avec la tasse de thé. Je tendis les mains pour l’attraper et je la posai sur le meuble juste à côté de mon accoudoir de canapé.
Les souvenirs. Ils m’étaient essentiels. Et, le meilleur dans tout cela était sans doute qu’ils continuaient de se créer, encore et encore.
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() message posté Mar 29 Mar 2016 - 1:13 par Invité

“Our memory is a more perfect world than the universe: it gives back life to those who no longer exist.” Je me rendais avec elle dans un coin refoulé de ma mémoire. Je la retrouvais sur les allées étroites de Cardiff, pendant ces longues soirées, où elle était plus belle, plus passionnée et plus optimiste que jamais. Ginny me faisait savourer les caresses du vent et des jeux qui me paraissaient comme des signes d'affection amoureuse. La petite galloise n'avait jamais encouragé mes sentiments. Elle n'avait fait aucune promesse et pourtant, j'avais ressenti son éloignement comme une preuve d'abandon suprême. Quand elle partait chez son père certains week-end et que je restais seul, perdu dans les méandres poussiéreux d'une maison délabrée. Lorsqu'elle haussait les épaules d'un air grincheux avant de se détourner du chemin menant à la gare et que je devais prendre le train vers Liverpool. Après un dîner joyeux sur le perron de son appartement d'étudiante, à la fin du repas, lorsque je me levais afin de rentrer chez Robin. Chaque rupture avait laissé une marque dans mes souvenirs. Elle était aussi prodigue qu'une déesse. Sa bienveillance ne s'épuisait jamais. Je souris en pressant ma joue sur son épaule. Mes doigts glissaient voluptueusement sur les courbes de son ventre, sentant les balancements des jumelles sous les couches épaisses des vêtements. J'avais toujours peur. Je craignais que nos filles se décolorent comme des bourgeons de fleurs, que ce soient les ondulations des saisons qui m'enlèvent ma famille. Je soupirai en effleurant sa bouche. J'avais l'impression de l'aimer pour la dernière fois. Tous ces mois étaient des dernières fois supposées. Les suivis médicaux avaient réussi à apaiser mon angoisse, mais je restais alerte face à ses besoins. Je redoutais le pire parce que je n'avais connu que ça. Il était si facile de fermer les yeux, de se retrouver sans rien. J'appuyai mes lèvres tout contre son oreille avec sensualité. «Ça me manque de faire des bêtises. » Murmurai-je d'une petite voix avant de me redresser. Elle m'avait demandé une tasse de thé et je me pliais à sa volonté afin de faciliter son long périple. Ses formes étaient devenues plus proéminentes, je me doutais, qu'elle ne pourrait plus esquisser des gestes banales au quotidien. Elle avait besoin de moi. Je ressentais cette impression caractéristique de notre couple, cet équilibre ambivalent où son corps exprimaient notre discordance de manière physique. Mon attachement était émotionnel. Le vide émanait de mes organes sans être extériorisé. Il y avait la beauté et l'injustice. Le plaisir de goûter, de toucher, de se salir contre les sources de l'amour raffiné. Je souris en haussant les épaules. Cela ne me dérangeait pas. Je marchais pour deux, elle respirait pour nous. «Je suis sûre que là où elle est, Aïda doit te traiter de menteur. Un bébé est infernal dans le ventre de sa mère. Même toi.» Sa voix était douce et modérée. Je souris d'un air espiègle. Elle avait probablement raison, j'étais agité de nature. Je me demandais quelle sensation lui procurait sa proximité avec les jumelles, lorsqu'elles bougeaient dans sa chair, pouvait-elle faire la différence entre les battements de leurs membres fœtaux et les ondoiements de leurs squelettes fragiles ? Était-ce agréable ou perturbant ? Je me levai afin de prendre la direction de la cuisine. Je m'impatientai en sentant l'agitation de Danny. Elle gesticulait tout autour de mes chevilles, avide d'attention et de câlins. Eugenia l'interpella à ma demande et je la suivis d'une démarche vacillante. Je n'avais aucune crédibilité en tant que parent. Mes excès de colère me rendaient mauvais, pas autoritaire. Je ne connaissais pas la mesure exacte pour réprimander. Je fis la moue en m'installant sur le canapé. La petite chienne avait niché sa tête sur les cuisses de Ginny, glissant son museau sous l'album photo. «C’est qui le gentil bébé à sa maman ? » Elle prenait une intonation particulière en s'adressant à Danny, comme si les vibrations de ses cordes vocales portaient un message sous-jacent, comme si elle essayait de lui communiquer son affection de manière tacite. Je me lovai contre les coussins en lui tendant sa tasse. « Et c’est qui le meilleur mari de toute la Terre entière ?»  Je papillonnai des yeux en faisant tournant les clichés entre mes doigts. Je souris en me calant dans ses bras. J'observais les visages immobiles à la surface du papier. Il y avait mon père. Il semblait si heureux. Ses yeux pétillaient lorsqu'il se tournait vers Aïda. «Il n'était pas mauvais, tu sais. George. Il l'aimait vraiment.» Je remarquais toutes nos ressemblances sur cette photo. J'avais hérité de sa prestance et de sa nonchalance. Ma barbe était aussi sulfureuse, aussi terne que la sienne. Je pinçai les lèvres. Je me souvenais de lui. Je me souvenais de ses étreintes voilées de mélancolie. «Je pense que c'était un bon père avant. Il s'est juste perdu. Je ne veux pas devenir comme ça, agressif, misérable. Il est misérable, Ginny. C'est pour cette raison que je ne peux pas l'abandonner. » Il m'avait appris à détester. Il m'avait brûlé à vif. Mais il m'avait aussi libéré de ma condition humaine. C'était mon père et je ne pouvais pas changer ses années de perdition. Je ne pouvais qu'accepter mon destin et son prolongement.
 
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() message posté Mar 29 Mar 2016 - 5:33 par Invité
JULIAN & EUGENIA —he is not just the light of my life, he is my only light, and i need him as much as i know the moon needs the sun in order to shine. for without him i would be lost in the shadows of faded stars and lonely nights ✻ ✻ ✻ Je le sentais plus calme, presque nostalgique. Julian et moi ne parlions pas beaucoup du passé. Nous l’avions enterré au fond de nos coeurs, nous l’avions mis de côté. Il ne désirait pas discuter de ses parents et je ne souhaitais pas me rappeler de ma mère. Nous nous contentions de faire des plans pour notre avenir, nous nous contentions de parler de notre vécu à nous. Nous nous contentions de parler de ces soirées à la plage, de ces journées à nous courir après pour finalement fuir les sentiments de l’autre. Nous nous contentions de commenter le dernier film que nous avions bien pu voir ensemble, d’évoquer des sujets tout à fait banales sans que cela ne nous lasse. Je l’écoutais me parler de ce qu’il avait fait dans la journée, puis de lui narrer à mon tour les péripéties bien futiles de mon quotidien. C’était plus facile de cette manière. Nous avions nos tabous voilés, nos sujets interdits.
Il était différent, aujourd’hui. Je ne savais pas si cela était à cause de ses médicaments ou bien grâce à un regain d’énergie mais il était bien plus enclin à se souvenir de son enfance, de son adolescence. J’avais un album photo sur mes jambes et j’observai les clichés avec une nostalgie qui m’était bien peu familière. Je n’avais jamais connu sa mère, après tout. Je m’étais contentée de ce qu’il avait bien pu me dire à son propos.
Pourtant, j’avais l’impression de la connaître par coeur. « Ça me manque de faire des bêtises. » Ses lèvres s’étaient pressées contre mon oreille et j’esquissai un sourire lorsqu’il se redressait pour partir vers la cuisine. Je l’observai s’en aller, les lèvres toujours tirées dans un rictus mi-amusée, mi-triste, presque. « A moi aussi, »  murmurai-je mais je doutais qu’il m’ait entendu. Je me rappelai encore de l’année dernière, un peu plus tard, quand j’avais peur d’avoir une vie sexuelle avec lui. Il nous avait suffit de franchir le pas. Il m’avait suffit de comprendre que cela n’était pas un drame de ne pas pouvoir bouger pour finalement profiter. Profiter et prendre plaisir dans toute ma retenue.
Ma grossesse nous limitait dans nos ébats et nous avions fini par espacer nos rapports jusqu’à ne plus en avoir. Mais, avant ça, nous avions fini par trouver un équilibre, par repousser nos limites. Nous avion été comme chaque jeune couple. Nous avions été tout à fait ordinaire malgré nos différences.
Julian finit par revenir après s’être battu avec Danny. La chienne s’installa contre moi et je récupérai la tasse de thé qu’il m’avait préparé. Je la posai pour continuer de feuilleter l’album photo et Julian s’installa contre moi. Je le voyais observer son père avec attention, jusqu’à finalement briser le silence. « Il n'était pas mauvais, tu sais. George. Il l'aimait vraiment, »   me confia-t-il. Je regardai un cliché de son géniteur avec attention. Il avait l’air d’aller bien, à cet instant de la vie de Julian. Mieux que tous ces jours où j’avais pu l’entrapercevoir. Je me souvenais encore de son poing qui s’était abattu contre ma joue. Je clignai plusieurs fois des paupières avant de détourner les yeux. « Je pense que c'était un bon père avant. Il s'est juste perdu. Je ne veux pas devenir comme ça, agressif, misérable. Il est misérable, Ginny. C'est pour cette raison que je ne peux pas l'abandonner. »  Mon bras fut parcouru d’un frisson. « Mais il t’a abandonné, toi, »  répondis-je avec douceur en me tournant vers lui. Nous n’avions pas eu l’occasion de parler de lui depuis des mois, des années, même. Je n’aimais pas m’attarder sur George Fitzgerald. Il avait été le premier que j’avais voulu mettre derrière des barreaux mais je n’avais jamais pu le faire. « Je ne pense pas que tu deviendrais comme lui si un jour je venais à mourir, »  repris-je finalement. Je posai mes doigts sur son menton pour qu’il relève ma tête et me regarde dans les yeux. « Parce que toi tu sais. Tu sais ce que ça fait d’être l’enfant, d’être celui qui craint son père. Je suis persuadée que tu aimes—et que tu aimeras—suffisamment nos filles pour ne jamais leur infliger ce que tu as connu. »  Je savais que j’avais peur de lui, parfois. Je savais que je laissais la crainte m’envahir dans mes instants de faiblesse, dans ses moments de colère. Je m’en voulais à chaque fois de le regarder, apeurée. Mais, au fond, avec le recul, je me rendais bien compte qu’il ne me ferait jamais réellement de mal volontairement. C’était ses mots qui blessaient le plus. Il n’était pas écrivain pour rien. « Mais je ne vais nulle part, Julian. »  C’était nécessaire de le dire dans une pareille situation. Nécessaire qu’il ne comprenne et qu’il l’admette. Il continuait de me blâmer pour mon départ mais, désormais, je n’avais plus aucune raison de m’en aller. « Je… Je sais que tu pensais que j’étais capable de risquer ma vie mais je ne suis pas aussi courageuse que ça, tu sais. Je suis égoïste, moi aussi. Je tiens trop à toi, à… A notre famille pour me mettre en danger inutilement, »  poursuivis-je. « C’est pour ça que… Quand nos filles seront nées, j’aurais un choix à faire. Reprendre le programme ou tout arrêter. »  Je n’en parlais pas. Je n’en parlais jamais. Mais cela ne voulait pas dire que je n’y pensais pas. Cela me hantait, au fond ; je me rendais bien compte que Julian ne supportait pas mes absences, qu’il avait encore du mal à me laisser respirer. Mais, la vérité, c’était que je ne voulais pas qu’il m’abandonne. Qu’il me libère. « Je vais arrêter, Julian. Je préfère rester en fauteuil toute ma vie plutôt que tout foutre en l’air. Je ne vais nulle part. »  Je caressai doucement la paume de sa main. Je n’irais nulle pas. Je serais sans doute malheureuse mais cela signifiait que je ne mourrais jamais sur une table d’opération. Que je ne mourrais jamais pour un rêve alors qu’il se trouvait là, à mes côtés, et qu’il était déjà un rêve lui aussi.
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() message posté Ven 1 Avr 2016 - 23:53 par Invité

“Our memory is a more perfect world than the universe: it gives back life to those who no longer exist.” Il fallait surmonter le passé. Espérer qu'il disparaisse par lui-même. Ignorer l'étouffement des sentiments et les sources de la contrariété. Mais j'étais encore un enfant. Je suivais la lumière qui se reflétait sur le sentier. J'obéissais à la voix maternelle qui résonnait au fond de mes souvenirs. Je craignais les lendemains. Je me sentais horrifié à l'idée de grandir, de devenir vieux et gris. J'observais le salon en détail. Mon regard glissait lentement sur les meubles. Je m'arrêtai sur les décorations puis devant le portrait de notre mariage. Mon visage était placide, plongé dans un horizon lointain où le soleil s'étalait comme une ligne infinie. Les ondoiements du ciel oranger remplissaient le cadre de la photo. Ginny portait une robe légère, sans artifices, seulement une couronne de fleurs blanches. Ce soir-là, j'étais resté blotti dans ses bras. Elle avait pleuré en silence, oubliant la marche funeste de sa mère afin de se perdre dans une émotion nouvelle : la promesse que l'on s'était murmuré au sommet de la falaise. J'avais dansé deux fois avec elle. Et pendant la pause, je lui avais présenté ma vision de l'avenir. J'avais songé à nos enfants. J'avais imaginé nos routines, le titre de mon prochain livre ou l'entête de mon dernier article. Je lui avais expliqué mes raisons en marchant avec maladresse. J'avais évoqué les revers fascinants de notre histoire, l'attente de nos retrouvailles et le goût mielleux de ses baisers. Puis nous nous étions couchés sous les reflets de la lune, les mains serrées contre les alliances qui auréolaient les annulaires engourdis par le froid. Nous étions tristes et sereins à la fois. Endeuillés et amoureux. Je plissai les yeux en souriant. Tu vois, une fois qu'on maîtrise la technique, la mort devient aussi simple qu'une pensée. Elle finit par s'en aller. Je déglutis en effleurant le museau de Danny. La chienne claqua la mâchoire en braquant ses yeux brillants sur mon visage. Je me tournai vers mes clichés de famille. Je fixais la silhouette de mon père avec nostalgie. Je le reconnaissais. Je le reconnaissais toujours. «Mais il t’a abandonné, toi,  » Je souris avec lassitude. Ginny avait des ressentiments envers mon tortionnaire. Elle lui en voulait de m'avoir frappé, d'avoir brisé mon genou afin d'exprimer son chagrin. Mais je m'étais adapté à ses violences. Je ressentais une certaine empathie pour lui. Une contagion émotionnelle. J'avais survécu et je m'identifiais à son image. Il ne m'avait pas abandonné. Il m'avait détesté avec amour. «Je ne pense pas que tu deviendrais comme lui si un jour je venais à mourir,» Ses doigts effleuraient sur mon menton. J'agitai les lèvres en croisant son expression bienveillante. J'avais entendu ces mots un million de fois. Grâce à elle, j'avais fini par comprendre que j'étais un type bien, que je ne méritais pas d'être traité comme ça. Mais j'étais attaché à George. J'étais prisonnier de ses insultes. «Parce que toi tu sais. Tu sais ce que ça fait d’être l’enfant, d’être celui qui craint son père. Je suis persuadée que tu aimes—et que tu aimeras—suffisamment nos filles pour ne jamais leur infliger ce que tu as connu. » J'avais déjà remarqué ses réactions lors de nos disputes. Eugenia avait peur aussi. Je grimaçai en m'éloignant de sa prise. Puis d'un geste lascif, je me penchai vers son ventre. Mon oreille se pressait contre les courbes arrondies et entre deux battements de cils, je sentais les vibrations des jumelles caresser ma conscience. Je tâtonnais les bordures de la frange infernale. Je n'étais pas pas tout à fait sûr. Je poursuivais mon chemin sans savoir où j'allais. «Je pense que l'amour rend aussi les gens mauvais. A trop s'aimer on fini par se déchirer.» Murmurai-je d'une petite voix. Je relâchai la pression sur mes épaules afin de me laisser submerger par le silence. Je ne voulais pas tomber. Je ne voulais pas sombrer.
« Mais je ne vais nulle part, Julian. » J'aurais tant voulu la croire. J'aurais tant voulu lâcher prise et la laisser s'envoler. Mais elle était prisonnière de ma possessivité. Ginny m'appartenait. Son corps m'appartenait. Sa grossesse m'appartenait. Je me redressai avec nonchalance. Je lui adressai un sourire triste. « Je… Je sais que tu pensais que j’étais capable de risquer ma vie mais je ne suis pas aussi courageuse que ça, tu sais. Je suis égoïste, moi aussi. Je tiens trop à toi, à… A notre famille pour me mettre en danger inutilement. C’est pour ça que… Quand nos filles seront nées, j’aurais un choix à faire. Reprendre le programme ou tout arrêter. » J'absorbais ses paroles en secouant les cheveux. La colère avait finir par me briser le cœur. Je ne ressentais plus rien. Les médicaments m'avaient rendu stupide. Je sentais l'odeur putride des émotions usées, l'odeur putride d'un sentiment qui se fanait sempiternellement. «Je vais arrêter, Julian. Je préfère rester en fauteuil toute ma vie plutôt que tout foutre en l’air. Je ne vais nulle part. » Ma gorge se serra brusquement. Je pénétrais un peu dans l'ambiance singulière, étrangement innocente de Ginny. Je m'étendis contre son bras et son visage de fleur m'adressa une expression pleine de bonté. «C'est à cause de moi ? » M'enquis-je avec lassitude. Comment était-ce possible ? Comment avais-je pu en arriver jusque là ? J'étais subrepticement envahi par la paralysie, par la haine. «Je ne t'ai jamais demandé de faire ça. » Elle ne m'avait pas concerté. Elle avait juste pris la décision. Elle parlait de sa vie encore. Je plissai le front, j'étais perdu dans mes prises de position. J'avais l'impression d'être exclu. Je fermai l'album afin de saisir ses poignets entre mes mains. «Je sais que tu ne supportes pas de rester sur un fauteuil. Mais je suis aussi conscient que les essais cliniques ont une limite. Tu peux arrêter si tu le veux. » Sifflai-je en me tournant vers la table. Je pliai les genoux en soupirant. «On est différents Ginny. Tu as accepté ta grossesse dès la première seconde. J'essaie encore. Je me sens pitoyable d'essayer encore. Mais je le fais. Et tu devrais comprendre que … vous êtes ma famille. Toutes les trois, vous êtes à moi. » Je frottai mon front d'un geste frénétique, nerveux.
 
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() message posté Dim 3 Avr 2016 - 16:32 par Invité
JULIAN & EUGENIA —he is not just the light of my life, he is my only light, and i need him as much as i know the moon needs the sun in order to shine. for without him i would be lost in the shadows of faded stars and lonely nights ✻ ✻ ✻ Il s’était penché sur mon ventre pour poser son oreille contre mon ventre. J’esquissai un sourire en sentant la chaleur de sa tête se presser contre les pans tendus de mon pull ; mes doigts, eux, vinrent caresser ses boucles blondes et folles. Les jumelles s’agitaient et je sentis mon corps se remplir de ce sentiment étrange qui me prenait régulièrement, ces derniers jours. J’avais l’impression d’être à ma place. J’avais l’impression d’être là où j’étais censée être. J’avais l’impression d’être légitime.
Ma famille. Cela me semblait presque impossible d’être en train de construire mon propre cocon après avoir assisté à la destruction de mon enfance. Ma mère était partie avec mes souvenirs ; elle avait emporté avec elle les vestiges d’une ancienne vie. Je pensais encore à elle avec douleur. C’était difficile de se dire, après tout, que celle qui m’avait le plus aimé avait fini par disparaître. Elle avait toujours cru en moi. Elle m’avait toujours encouragé. Et, désormais, sa bienveillance avait quitté la surface de la Terre et je m’étais retrouvée seule avec moi-même. Seule avec mon manque de confiance. Seule avec cette haine que je nourrissais envers ma propre personne.
Puis, je m’étais mariée à Julian. Puis, j’étais tombée enceinte. En théorie, les évènements ne s’étaient pas déroulés dans cet ordre mais j’avais d’abord été sa femme avant d’être la mère de ses enfants. Les débuts n’avaient pas été faciles mais ces derniers mois avaient été un véritable baume au coeur. J’avais retrouvé l’espoir. J’avais retrouvé le sourire, aussi. J’avais peut-être dit au revoir à mon enfance mais j’avais compris que mon existence n’avait pas pris fin lorsque ma mère était décédée.
C’était à mon tour de grandir, à mon tour d’être entourée, à mon tour d’être le pilier d’autres personnes. C’était à mon tour de donner la vie, à mon tour d’évoluer aux côtés de Julian, à mon tour d’être mature. Il ne s’en rendait probablement pas compte mais le simple fait qu’il pose sa tête sur mon bedon me donnait le sourire. « Je pense que l'amour rend aussi les gens mauvais. A trop s'aimer on finit par se déchirer, » dit-il dans un murmure. Je ne répondis pas. Il avait dit au revoir à son enfance il y avait cela bien des années ; j’espérais réellement qu’en ma compagnie il avait l’impression de construire un foyer où il pourrait laver sa conscience de toutes ces désillusions. J’avais l’espoir de lui donner tout ce qu’il n’avait jamais eu l’occasion de connaître. J’avais l’espoir de combler ce vide qui habitait sa poitrine.
Mes doigts continuaient de caresser ses cheveux alors que je commençais à lui faire part d’une décision que j’avais commencé à murir dans mon esprit. Il se redressa pour m’observer et m’offrir un sourire rempli de tristesse. Je le connaissais suffisamment bien pour savoir que quelque chose n’allait pas. Pour savoir que quelque chose ne lui convenait pas. « C'est à cause de moi ? » demanda-t-il et je secouai aussitôt la tête à la négative. « Je ne t'ai jamais demandé de faire ça. » Ses mains se refermèrent sur mes poignets. Je sentis des plaques rouges se former sur mes joues et je continuai de l’observer dans les yeux malgré tout. « Je sais, Jules, »  répondis-je avec douceur. La vérité, c’était que nous n’en parlions pas. La vérité, c’était que nous laissions ce sujet de côté comme si c’était plus simple d’ignorer la fatalité qui arrivait peu à peu pour s’offrir à nous, lorsque les jumelles seront enfin nées. « Je sais que tu ne supportes pas de rester sur un fauteuil. Mais je suis aussi conscient que les essais cliniques ont une limite. Tu peux arrêter si tu le veux, » reprit-il. Ses paroles ne faisaient pas grand sens ; elles étaient contradictoires. Je fronçai les sourcils en constatant sa désorientation mais je ne l’interrompis pas. « On est différents Ginny. Tu as accepté ta grossesse dès la première seconde. J'essaie encore. Je me sens pitoyable d'essayer encore. Mais je le fais. Et tu devrais comprendre que… Vous êtes ma famille. Toutes les trois, vous êtes à moi. » Je ne comprenais pas, non. Je ne comprenais pas pourquoi est-ce qu’il me parlait de ma grossesse, pourquoi est-ce qu’il me parlait de nos filles et de sa difficulté à accepter leur arrivée. Cela allait contre tout ce que j’avais pu constater au cours des dernières semaines. Sous-entendait-il que je pensais qu’il n’acceptait pas mon fauteuil ? Cette idée était loin, très loin de mon esprit, désormais. Après tout, il avait fait preuve d’une grande patience avec mon immobilité. Avec tout ce qu’elle engendrait. Jamais je n’aurais pensé qu’il rejetait encore mon handicap. « Je sais tout ça, »  répondis-je finalement avec un sourire. Je dégageai mes poignets de sa prise pour prendre ses mains entre les miennes. « Et c’est justement pour notre famille que je veux arrêter, Jules. Tu te rends pas compte, »  poursuivis-je. « Avant, je n’avais que ça en tête. Remarcher. Courir. Pouvoir aller sur le terrain. Nager. Être indépendante… Je me levais le matin en pensant à ça et je me couchais avec les mêmes idées dans le crâne. » J’haussai les épaules. Mes pouces caressaient doucement le dos de ses mains et mon regard était plongé dans le sien. « Mais maintenant… J’ai d’autres visions du futur. J’en ai marre de me battre pour des chimères, Jules, alors que je vous ai tous les trois, toi et les jumelles, juste là. Je ne… Je ne pourrais pas repartir au bloc opératoire en sachant que je pourrais ne jamais me réveiller. Je pourrais pas vous laisser derrière moi. » J’avais l’impression d’être idiote de dire des choses pareilles. Mais, la vérité, c’était que Julian avait peur d’être abandonné mais, moi, j’avais peur de le quitter. De partir et ne jamais revenir.
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() message posté Dim 3 Avr 2016 - 21:39 par Invité

“Our memory is a more perfect world than the universe: it gives back life to those who no longer exist.” La lumière de la lampe se reflétait sur la parquet ciré. Elle s'amenuisait autour des meubles avant de s'éteindre derrière mes paupières. Je sentais l'agitation des jumelles contre mon oreille, j'imaginais leurs murmures silencieux et leurs élans de vivacité. Je soupirai en crispant les dents. La main de Ginny chatouillait mes tempes. Je me trouvais ici bas, dans mes pensées, là où le chaos semblait insoluble. Le temps était passé. Le deuil était révolu. Et pourtant je le ressentais encore. Ma mère me manquait. Mon père avait disparu. Parce que le jour de l'accident, j'avais perdu deux parents. Le premier était mort et le second avait choisi de mourir sans parvenir à franchir la limite. Il m'avait frappé pour vivre. J'avais saigné pour qu'il respire. Puis je m'étais effondré sur les marches de l'escalier, le visage tourné vers le sol poussiéreux. Je n'avais jamais eu d'impulsion suicidaire, ni l'envie de me défendre. J'avais simplement subi, croyant au fond de mon cœur, que je méritais tous les supplices infligés. Il faisait froid à Cardiff. Il faisait froid dans toutes les maisons que nous avions habités mais l'humeur glaciale du Pays de Galle m'avait profondément marqué. Elle s'était glissé sur ma peau afin de rogner mes cicatrices. Elle subsistait encore comme un fantôme dans ma poitrine. Je la sentais border les contours irréguliers de mes côtes. Je soupirai en humant le parfum de Ginny sur les pans de ses vêtements. L'odeur de la mer. L'aigreur salée, le souvenir d'une enfance perdue. Je pressai mes paumes sur ses jambes, comme pour lui insuffler le courage, la force nécessaire pour retrouver sa mobilité entière. Mais ma dévotion était banale. Notre amour ne connaissait pas le miracle, seulement la réalité. L'handicap était fulgurant, contenu dans notre équilibre. Quelle ironie. Je me demandais si notre histoire aurait pu être possible sans la paraplégie, sans la peur qui se consumait de ma gorge et l'inquiétude qui ébranlait ma conscience à chaque fois que le crissement de ses roues cessait de résonner au fond du couloir. Peut-être l'aurais-je mieux aimé. Peut-être aurait-elle eu le réflexe de me fuir, de courir à contre sens vers les versants opposés. J'étais corrompu. Je lui faisais du mal. J'avais la colère en moi. Voilà la fatalité de notre couple. Les défauts se rejoignaient dans une courbe convexe sans jamais s'estomper. Nous étions maudits. Nous étions monstrueux. Je me redressai avec nonchalance. Mon sourire était terne et mélancolique. Mes yeux étaient recouverts par une écaille émotionnelle, un voile brûlant qui embaumait ma vision. «Je sais, Jules,» Je déglutis en serrant les poings sur mes cuisses. Non elle ne pouvait pas savoir. Elle ne savait rien parce que je ne lui disais pas grand chose. Je soupirai en entremêlant ma frange dans mes doigts tremblants. Les médicaments m'empêchaient de ressentir la rage grandissante, mais je pouvais l'apercevoir au loin. Elle était toujours là. «Je sais tout ça. Et c’est justement pour notre famille que je veux arrêter, Jules. Tu te rends pas compte, avant, je n’avais que ça en tête. Remarcher. Courir. Pouvoir aller sur le terrain. Nager. Être indépendante… Je me levais le matin en pensant à ça et je me couchais avec les mêmes idées dans le crâne. » Je l'écoutais sans renchérir. Je l'écoutais parce qu'elle voulait m'expliquer la source de l’ambiguïté et que j'essayais de me conformer à l'éthique. Ma vraie nature était étouffée dans un mélange chimique et artificielle. Mon esprit était engourdi, trahi par les battements de mes veines sulfureuses. La colère ne me laissait pas le loisir de m'abandonner. Je tirai sur les boucles qui se collaient sur mon front. Je tirais pour allonger mes cheveux comme la ligne lumineuse d'une comète. Et je restai là, suspendu dans l'univers opaque. J'attendais que le cosmos vienne jusqu'à moi. «Mais maintenant… J’ai d’autres visions du futur. J’en ai marre de me battre pour des chimères, Jules, alors que je vous ai tous les trois, toi et les jumelles, juste là. Je ne… Je ne pourrais pas repartir au bloc opératoire en sachant que je pourrais ne jamais me réveiller. Je pourrais pas vous laisser derrière moi. » Sa voix était douce et mesurée. C'était probablement l'une des rares fois où je pouvais apprécier la clarté de ses reproches sans tiquer au moindre haussement de sourcil. Je pinçai les lèvres en lui adressant le même sourire, toujours aussi triste, toujours aussi sincère. Je partageais son avis, son futur et l'esquisse du rêve autour duquel nous avions construit notre empire. «Ce n'est pas ce que je veux dire. Tu ne me concertes pas. Ne va pas croire que je suis un macho, que je suis adepte d'un concept patriarcal quelconque. Mais tu me donnes l'impression que je ne compte pas. Parce que c'est ton corps et pas le mien. Parce que c'est tes jambes et ton handicap. » Je croisai les bras sur ma poitrine en fronçant les sourcils. Nous étions mariés maintenant. Il n'y avait plus de limite entre ses faiblesses et les miennes. Ginny supportait mon caractère complexe. Mes troubles comportementaux étaient son problème aussi. De la même manière, je jugeais que les grandes décisions me concernaient. Je voulais qu'elle arrête les essais cliniques aussi. Mais je n'étais pas d'accord sur le principe. «Quand tu ne bouges pas. Je le ressens aussi. Quand tu crois avoir mal, ça me blesse aussi. Tu es seule sur le fauteuil. Mais nous sommes deux ici. Tu le réalises parfois ? » Sifflai-je avec pudeur. Je ne lui faisais aucun reproche. Je ne me plaignais pas. Je voulais simplement exprimer un sentiment désagréable de rejet que j'étouffais depuis plusieurs mois. Je me souvenais de ses mots. Je me souvenais de ma crise. Je me souvenais de tout. Maintenant, je demandais une issue à notre querelle de Noel.
 
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() message posté Lun 4 Avr 2016 - 21:33 par Invité
JULIAN & EUGENIA —he is not just the light of my life, he is my only light, and i need him as much as i know the moon needs the sun in order to shine. for without him i would be lost in the shadows of faded stars and lonely nights ✻ ✻ ✻ La conversation prenait une étrange tournure. A vrai dire, je ne savais pas à quoi est-ce que je m’étais attendue en lui disant cela ; cette décision avait doucement muri dans mon esprit mais j’avais mis plusieurs jours avant de l’exprimer à voix haute. Je ne savais pas ce qui m’en avait empêché ; la peur, sans doute, cette peur que cela ne lui convienne pas. L’hésitation, sans doute, cette hésitation de ne pas être entièrement sûre. Après tout, j’avais voulu être persuadée de ma résolution avant de lui en faire part, comme si je ne devais le déranger qu’un minimum à propos de ce sujet. C’était quelque chose que je ne parvenais pas à aborder aisément avec lui puisque j’avais sans cesse l’impression qu’il s’agissait d’un sujet qui devait être passé sous silence.
Lorsqu’il m’avait jeté à la mer, il avait cru voir mes jambes bouger dans l’eau. Dans les faits, elles avaient réellement bougé ; j’avais retrouvé une mobilité minimale suite à ma toute dernière intervention. Son esprit était resté fixé sur la vision qu’il avait eu. Il m’avait hurlé que j’étais une menteuse et que je n’étais pas paralysée. Il avait longtemps refusé de pousser mon fauteuil, même lorsque mes mains avaient été si abimées que toucher mes roues m’avaient arraché des douleurs dans les doigts.
Il avait été si têtu, à ce propos. Si borné, si perdu dans son monde, si fuyant, comme s’il s’agissait d’une malédiction à laquelle il devait absolument échappé. Alors, j’avais voulu être sûre de mon coup. Sûre de ma décision. Sûre de moi pour ne l’évoquer qu’une fois, une seule et unique fois, et ne plus jamais en reparler par la suite.
Les mots s’étaient échappés de ma bouche sans que je ne les contrôle. La tristesse qui avait imprégné ses traits m’avait interpelé et j’avais souhaité le rassurer. Lui dire que je n’allais pas m’en aller. Lui expliquer que je ne désirais pas lui tourner le dos.
Mais la conversation prenait une étrange tournure et j’avais l’impression que cette annonce ne le rassurait pas, non. S’il n’avait pas été aussi calme, j’aurais presque pu penser qu’elle l’énervait. « Ce n'est pas ce que je veux dire. Tu ne me concertes pas. Ne va pas croire que je suis un macho, que je suis adepte d'un concept patriarcal quelconque. Mais tu me donnes l'impression que je ne compte pas. Parce que c'est ton corps et pas le mien. Parce que c'est tes jambes et ton handicap, » expliqua-t-il finalement, avant de croiser ses bras sur son torse. Je l’observai d’un oeil étrange, tentant de comprendre pourquoi il me disait cela alors que je venais de lui annoncer bien plus important encore.
Il n’avait pas eu sa voix au chapitre, non. Mais il le disait lui-même—il s’agissait de mon corps, de mon combat. Il ne m’avait jamais donné l’impression de vouloir s’impliquer dans cette facette de mon quotidien. « Quand tu ne bouges pas. Je le ressens aussi. Quand tu crois avoir mal, ça me blesse aussi. Tu es seule sur le fauteuil. Mais nous sommes deux ici. Tu le réalises parfois ? » Je continuai de l’observer, la gorge serrée. Mes mains avaient retrouvé leur place, sur mon ventre, et je continuai de regarder Julian en tentant de comprendre comment il avait espéré que je puisse savoir tout ça par moi-même. Il n’avait jamais réellement montré d’intérêt, après tout. Il n’avait jamais répondu à mes messages avant que j’entre en salle d’opération, après tout. Il n’avait fait que des reproches. Il n’avait fait que voir ce qu’il désirait voir. Mes jambes qui bougent. Je n’avais même pas su qu’il désirait être complètement impliqué. « Je sais que nous sommes deux, »  finis-je par lui répondre. « Mais je ne savais pas que tu voulais t’impliquer là-dedans, Jules. Ç’a toujours été moi et mon fauteuil. Moi et mon handicap. J’ai toujours été toute seule aux séances chez le kiné, toute seule avec mes médecins. »  Il avait un sourire triste au lèvre et, à vrai dire, je ressentais cette même tristesse au fond de mon coeur. Elle se déversait dans mes veines, elle se logeait dans ma tête, elle s’imprimait sur les pores de ma peau. J’avais l’impression d’avoir fauté sans qu’on m’ait donné les règles du jeu. « Tu as passé tellement de temps à rejeter ce qu’il m’était arrivé… Que je pensais que j’étais encore toute seule. La seule fois où tu es venu c’était le jour où on m’a annoncé ma grossesse, »  repris-je finalement. « Alors je suis désolée d’avoir prise cette décision toute seule, d’accord ? Mais j’ai tellement été habituée à l’être pour ça. » Nous étions deux depuis un peu moins d’un an, après tout. Nous étions deux après avoir passé beaucoup trop de temps à nous perdre, à nous rejeter, à nous reprocher le monde entier. Mon handicap était quelque chose qui me tenait particulièrement à coeur ; j’étais presque possessive puisqu’il s’agissait de mon combat, de ma lutte, de mon acharnement.
Du moins, c’était. J’aimais croire que tout cela était derrière moi.
Puis, finalement, je réalisais. Je réalisais que si Julian me reprochait de ne pas lui avoir demandé son avis, c’était sans doute parce qu’il n’était pas d’accord avec la décision finale. Parce qu’il ne voulait pas que je m’arrête. « Mais tu… Tu voulais que je continue ? »  lui demandai-je. Je réalisais que si Julian me reprochait tout cela, c’était sans doute parce qu’il ne voulait pas d’une femme handicapée toute sa vie.
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