(✰) message posté Mar 16 Fév 2016 - 2:48 par Invité
“Who decides the rules for lovers like you and I? ” ✻ Je tendis les bras vers les accessoires pour enfants. Mon regard glissait sur les différentes couleurs, les noms et les indications. C'était trop compliqué. Comment des êtres aussi minuscules pouvaient-ils avoir besoin de choses aussi encombrantes ? Je plissai le front en réalisant que j'ignorais absolument tout de la paternité et de la manière d'élever un enfant. Un frisson traversa ma poitrine alors que je raclais la surface des meubles. Mon ongle s’amenuisait contre les rebords en laissant échapper un grincement désagréable mais je continuais tout de même à esquisser ces gestes nerveux pour dénouer mon estomac. En réalité, j'étais complètement perdu dans l'ambiance juvénile du centre commercial. Je me sentais comme un étranger perdu dans une foule d'inconnus. A l'autre bout du magasin, on entendait une musique de dessin animé. Une chanson qui me semblait familière. Mais j'avais beau me concentrer sur la mélodie, je ne parvenais pas à reconnaître les paroles. Je n'avais aucune idée de la signification de ces chants. D'un geste fébrile, je levai les bras afin de rajuster le col de ma chemise. Mon coude frôla une rangée de jouets et je fis tomber quelques peluches par maladresse. Tous les regards étaient rivés sur notre couple. J'attirais l'attention sans le vouloir. Je n'étais pas à l'aise dans cet endroit, et fatalement, cela se répercutait sur Eugenia. Les gens remarquaient son fauteuil et la courbe généreuse de son ventre arrondi. Les gens s'attardaient sur les détails de notre histoire sans accorder la moindre importance aux sentiments qui nous avaient mené jusqu'ici. Je grinçai les dents en baragouinant. Nous avancions dans les couloirs comme deux automates destinés à rejoindre une destination précise. Je pensais qu'il était plus sage de suivre les recommandations de Ginny. Elle avait préparée une liste de courses et semblait complètement absorbée par son rôle de futur mère. Ce n'était plus le petite galloise apeurée. Aujourd'hui, elle luttait contre les complications de son handicap. Elle gérait ses complexes et ses douleurs fantômes, tandis que je restais impuissant. Je ne voyais rien même en écarquillant les yeux. Je ne faisais que tâtonner en trébuchant sur une route obscure. Parfois, je redevenais l'enfant battu. Je me cachais sous les meubles en adoptant une position fœtale car le monde semblait moins effrayant vu d'en bras. Je haussai les épaules en souriant. Je regardais Eugenia au coin. Je tentais de me conformer à l'image du mari idéal. Je voulais la rendre fier de mes progrès, mais j'avais l'impression d'enchaîner les erreurs. Son expression était vide. Sa bouche se tordait sous les rémanences des lampes. Elle était de mauvaise humeur, je l'avais pressenti dès qu'elle avait ouvert les yeux ce matin. Je fis la moue en croisant les bras sur ma poitrine. Puis je m'arrêtai devant un rangement de poussettes. Je fixais les jantes, les roues, les coussins et les places interchangeables pour jumeaux. Il y eut un silence. Je regardai Ginny et nos pensées confondues dans la même détresse, se croisèrent brièvement dans une étreinte glacée. Nos esprits se mélangeaient comme deux cœurs palpitants. Il y avait quelque chose de gênant dans cet échange. Je balayai mes cheveux de la main afin de chasser mes angoisses. Je voulais détendre l'atmosphère, égayer notre journée de shopping express. Et quoi de mieux qu'une blague de mauvais goût ? Je me redressai avec nonchalance et j'ouvris la bouche. Parfois, on oublie. On aime une personne si fort et on fini par oublier ses blessures. Alors, les mots dépassent la raison et la raison s’étouffe au creux de la gorge. Une brûlure de sang monte aux joues et le regard devient fuyant. C'était exactement dans cet enchaînement que j'avais ressenti les minutes qui avaient suivi ma déclaration. Quelques mots. Il suffisait de si peu pour briser l'équilibre. « Comme tu dirais bloody hell. Ces poussettes sont énormes tu arriveras jamais à traîner dans la rue… » Je m'interrompis brusquement. J'observais le visage de Ginny, puis je déglutis, tourmenté par la violence de mes propos. Je secouais les épaules en riant jaune. « Je ne voulais pas dire ça. Même une personne normale ne pourrait pas ... » Je m'enfonçais dans ma bêtise alors, je me précipitai à sa hauteur. Je glissai mes mains sur ses cuisses et je hochai frénétiquement la tête. « Je suis désolé, Ginny. » Marmonnai-je d'un air dépité. Je ne voulais pas la faire souffrir. Je m'étais fait la promesse de la protéger, mais parfois j'oubliais. Je l'aimais si fort et j'oubliais ses blessures.
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(✰) message posté Mer 17 Fév 2016 - 11:40 par Invité
JULIAN & EUGENIA —they say i was born a moon, always appearing among bright stars, always shining in the dark sky. they say i was born a moon but, oh, i don’t belong to this vast galaxy, and the only constellation i’m part of is one of radiant regrets and lost stardust, one of painful grief and glorious sorrow. i was born no moon, only a lonely star, and i will shine alone in the dark. ✻ ✻ ✻ Cette nuit-là avait été particulièrement éprouvante. Certaines personnes disaient qu’elles n’avaient pas dormi alors que, en réalité, elles avaient quand même réussi à s’assoupir pendant une dizaine de minutes, voire même quelques heures. Cependant, elles avaient tant l’impression d’avoir vu le temps défiler sur leur réveil qu’elles demeuraient persuadées qu’elles n’avaient pas trouvé de repos, à aucun instant de la nuit. L’esprit et le corps balayaient avec une facilité déconcertante ces instants de calme qu’elles avaient réussi à avoir, pour ne leur laisser que la sensation d’avoir passé une nuit à se retourner, encore et encore, dans leur lit. Puis il y avait les autres. Celles qui ne fermaient pas l’oeil du tout. J’avais veillé tard. Nous avions fait l’amour mais je ne m’étais pas couchée directement ; au lieu de quoi, j’avais travaillé, assise dans notre lit, une pile de dossiers à côté de moi, ma tasse de thé sur mon ventre et mon ordinateur sur mes jambes inertes. J’avais emporté un cas avec moi du bureau, trop heureuse d’être retournée au commissariat à temp partiel, trop heureuse de pouvoir m’occuper de nouveau avec des sujets qui avaient de l’importance. J’avais fini par rabattre mon écran aux alentours de deux heures et demi du matin ; avec toutes les précautions du monde je m’étais allongée à l’aide de la poignée de potence au-dessus de ma tête, puis m’étais blottie contre Julian avec une main sur mon ventre. J’avais retrouvé la chaleur de son corps, apaisée, mais ce sentiment n’avait duré qu’une poignée de minutes avant que je ne me rende compte que je n’avais sans doute pas bien dormir. Voire même pas dormir du tout. Mes jambes m’avaient brûlé. J’avais senti des flammes lécher ma peau nue entre les draps et j’avais fermer les yeux fort, si fort, sans que cela n’y change quoi que ce soit. J’avais eu la sensation que mon épiderme était ravagée par un incendie qui n’existait que pour mes connexions nerveuses endommagées. Je n’avais pas bougé pour ne pas alerter Julian ; pourtant, j’avais eu si mal que j’avais eu envie de crier, de pleurer, de faire les deux en même temps. Je n’avais pas réussi à faire abstraction de ma douleur tout comme je n’avais pas pu prendre d’anti-douleur ; ma grossesse limitait mes prises et les molécules que j’avais le droit d’ingérer et dans une situation de crise je n’avais aucune solution hormis attendre. Attendre que cela passe. Et, finalement, vers cinq heures et quart, lorsque cela s’était calmé, les jumelles avaient commencé à se débattre dans mon ventre. « Comme tu dirais bloody hell. Ces poussettes sont énormes tu arriveras jamais à traîner dans la rue… » Je revins sur Terre et levai la tête vers Julian qui me désignait une poussette pouvant accueillir deux bébés. Je fronçai les sourcils. J’avais beau avoir tenté toute la matinée d’être pleine d’entrain, j’avais bien vite rendue les armes ; mon esprit tout entier brouillait du noir et j’étais dans un tel état de fatigue que j’avais l’impression d’être à deux doigts de la crise de nerfs. Je n’avais pas voulu annuler nos courses pour les filles parce que j’avais eu peur qu’en repoussant Julian finisse par ne plus vouloir venir ; j’avais pris mon courage à deux mains pour me traîner hors de notre appartement et avancer avait été si difficile, entre mes essoufflements et ma profonde fatigue, que j’avais fini par lui demander de me pousser à plusieurs reprises d’une voix presque suppliante. « Je ne voulais pas dire ça. Même une personne normale ne pourrait pas... » Je sentis les couleurs abandonner mon visage ; je levai la tête vers lui sans réellement comprendre. J’avais presque peur que ses mots soient dans ma tête. Que mon esprit inventait tout de toutes pièces sans me demander mon avis. Cependant, en voyant l’expression de Julian et en sentant ses mains glisser sur mes cuisses, je compris qu’iil avait réellement prononcer ces paroles-là. « Je suis désolé, Ginny, » marmonna-t—il d’une petite voix comme si cela suffisait pour me faire oublier ce qu’il venait de me dire. Je pris une profonde inspiraiton pour me calmer mais ses mots revinrent faire surface dans mon esprit—je l’entendais répéter, encore et encore même une personne normale. C’était terriblement offensant. C’était terriblement vrai, également, parce que j’étais la première à me désigner de cette manière. Mais, l’entendre tenir ce genre de propos, lui, me blessait profondément. « Une personne normale, » répétai-je. Je n’étais plus réellement maîtresse de mes paroles. Maîtresse de ma propre tête. « Ah oui, c’est vrai, j’ai oublié que j’étais anormale. Bizarre. Un monstre de foire, » repris-je. Je l’observai dans les yeux mais mon regard était froid ; le pire était sans doute qu’il ne se rendait probablement pas compte que je n’avais pas déjà pensé à cette putain d’histoire de poussette. J’allais être mère. J’allais donner naissance à des petites filles. Et je n’allais même pas pouvoir les promener dans la rue. « Tu veux que je continue avec les synonymes ? » Les mots m’échappaient mais c’était ma colère, mélangée à de la peine, qui s’exprimait. Au fond, Julian avait simplement mis le doigt sur un sujet qui me tenait à coeur. Au fond, Julian venait de se rendre compte de certaines réalités et c’était précisément le temps qu’il avait mis pour comprendre tout ça qui me faisait encore plus mal.
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(✰) message posté Mer 17 Fév 2016 - 19:13 par Invité
“Who decides the rules for lovers like you and I? ” ✻ Je ne parvenais plus à soutenir le regard de Ginny. Je n'avais pas ma place dans cette pièce. Je n'avais ma place nul part ailleurs. J'avais l'impression de lui causer du tord depuis le début de notre relation, et malgré tous mes efforts pour expier mes erreurs et lui miroiter les vestiges de notre bonheur révolu, je ne faisais que sombrer dans la panique. Je croisai mes bras sur ma poitrine en esquissant un sourire triste. J'avais si peur de la perdre. J'avais si peur de détruire notre dernière chance. Je levai la tête vers le plafond. Les lumières des lampes traversaient les rayons comme autant de lames tranchantes. Et je les recevais toutes en plein cœur. Mon souffle crissait au fond de ma gorge sans que je ne parvienne à prononcer les mots justes et adéquats. Je jugeais sa condition. Je la traitais d'handicapée. Mais ce n'était qu'une réalité. Ce n'était qu'une façon parmi tant d'autres d'exprimer une opinion. Foutaise. Je n'en pensais pas un traître mot ! Ce n'était qu'un automatisme. Je secouai les épaules en baragouinant dans mon col. J'aurais tant espéré que les choses soient différentes. J'aurais tant aimé avoir la protéger de ses inquiétudes. Je plissai le front. Je pouvais supporter toutes les douleurs physiques. J'avais grandi dans l'émoi et la violence. Parfois, dans mes pires moments de détresse, je confondais les poings de mon père et les caresses affectueuses de ma mère. Je me conformais aux logiques telles qu'elles se présentaient à moi. Mais voir la lutte acharnée de Ginny, exister au milieu de ce chaos de forces cruelles. Cela demandait bien plus de courage que je n'en possédais. Je ne supportais pas ses gémissements étouffés dans la pénombre de notre chambre. Je ne supportais pas les contorsions de son corps contre les draps humides. Chaque soir, je me couchais avec la boule au ventre. Et doucement, sans m'en rendre compte, j'emportais toutes ces frustrations dans mon sommeil. Je rêvais éveillé de ses malheurs. J'imaginais les brûlures qui montaient dans ses jambes avant de s'étendre jusqu'aux tréfonds de son âme. J'étais impuissant. Je l'aimais mais je ne pouvais rien faire. Absolument rien. Je fronçai les sourcils en laissant mes doigts glisser sur ses cuisses fuselées. Eugenia se tourna vers moi, le regard dédaigneux, la bouche barrée par une expression de profond mépris. Je l'avais blessé. Mes paroles étaient déplacées. Elles m'avaient échappé tout à coup, et je m'étais retrouvé piégé dans les sens alambiqués de ces clichés. Je baissai les yeux sur ses doigts glacés. Je tendis le poignet afin de l'enlacer mais sa voix cassante interrompu tous mes élans d'affection. « Une personne normale, » Déclara-t-elle froidement. Je déglutis en sentant la sueur perler sur mon front. Une personne normale. Le concept était tellement ridicule. Il n'y avait aucune notion réelle ou normale. J'en avais fait un sujet de débat à de nombreuses reprises. « Ah oui, c’est vrai, j’ai oublié que j’étais anormale. Bizarre. Un monstre de foire, » Je la fixais avec étrangeté, le cœur balançant entre les battants de ma poitrine. Elle ne pouvait pas dénaturer l'essence de mes propos. Je n'avais aucune intention de l'insulter ou de la traiter de manière injurieuse. « Tu veux que je continue avec les synonymes ? » Je sentais une pointe de colère courroucée par une immense tristesse. Je maintenais ma position flétrie. Je restais à sa hauteur, penché sur son fauteuil, et lorsque les fibres de mon genou se mirent à trembler, je pliai mes jambes sur le carrelage glacé. Un frisson traversa mon bassin mais je ne rétorquai pas. Je ne bougeai pas, laissant Ginny déverser son venin sur mon armature de métal. A cet instant, je ne lui reprochais pas ses agressions verbales. Je n'étais pas touchée par ses blâmes. En réalité, j'étais blasé par sa tristesse. Son visage était noirci par ses émotions sombres et récurrentes. Je n'en voyais plus le bout. Les doses de ses médicaments avaient été réduites afin de s'accorder à sa grossesse. Tout allait bien. Pourtant, je mesurais les rythmes de sa respiration cadencée. Je remarquais la petite veine qui gonflait sur sa tempe et l'allure de sa mâchoire crispée, à chaque fois que le mal rongeait ses muscles. Je soupirai en l'observant. Je m'étais déjà excusé. Je ne voyais pas l'intérêt de réitérer mes demandes. Eugenia semblait déjà hors d'atteinte. Elle souffrait de manière continuelle, sans intermittence. Et je ne faisais qu'amorcer sa chute. «Je ne voulais pas dire ça. Tu le sais. » Couinai-je en effleurant sa joue. Je tournai son visage vers le mien. « Tu n'es pas une personne normale. Je ne suis pas une personne normale. Personne ici ne peut prétendre être normal. » J’acquiesçai doucement puis je souris, comme pour lui donner une raison de me croire. « Moi, je peux te donner d'autres synonymes : particulière, extraordinaire, spéciale, fantastique. » Je fis glisser ma caresse vers la pointe de son menton avant de sourire. Je ne voulais pas gâcher la journée. Je ne voulais pas ébranler sa fierté. Je savais à quel point cette sortie était importante à ses yeux. Elle représentait notre réconcilliation, notre manière de créer notre famille.
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(✰) message posté Mer 17 Fév 2016 - 21:50 par Invité
JULIAN & EUGENIA —they say i was born a moon, always appearing among bright stars, always shining in the dark sky. they say i was born a moon but, oh, i don’t belong to this vast galaxy, and the only constellation i’m part of is one of radiant regrets and lost stardust, one of painful grief and glorious sorrow. i was born no moon, only a lonely star, and i will shine alone in the dark. ✻ ✻ ✻ J’avais mal. C’était profondément idiot parce que je savais en mon fort intérieur que Julian n’avait pas voulu me blesser de cette manière. Je le savais, oui, mais pourtant il l’avait quand même fait ; ses paroles maladroites reflétaient ce qu’il pensait, reflétaient une réalité qu’il se bornait à taire alors qu’il l’appréhendait quand même. Je n’étais pas habituée à ce qu’il me juge. Je n’étais pas habituée à ce qu’il me rabaisse de cette manière, que ce soit volontairement ou non. Je n’étais pas habituée à ce que ce soit lui à me différencier des autres, à instaurer une frontière entre ma réalité et la leur. Après tout, il avait toujours été de mon côté. Il m’avait toujours défendu des propos blessants des élèves de notre lycée. Il avait toujours été à mes côtés pour me soutenir et me murmurer des paroles réconfortantes lorsque cela m’atteignait beaucoup trop. Il les avait toujours blâmé pour leurs imbécilités, pour leur insultes plus ou moins directes. Et, aujourd’hui, c’était lui qui m’insultait comme ils avaient tous bien pu le faire par le passé. Mes mains tremblaient. J’avais conscience de réagir démesurément à cause de la douleur et du grand manque de sommeil mais je ne parvenais pas à relativiser. Je ne parvenais pas à sourire. Je ne parvenais pas à me rappeler qu’il n’avait pas fait exprès et qu’il regrettait amèrement sa maladresse. Il s’était accroupi en face de moi, ses mains posées sur mes cuisses, mais j’avais simplement envie de faire demi-tour pour sortir du magasin. Mais, même cela, je n’aurais probablement pas été capable de le faire. J’étais trop fatiguée pour donner des coups dans mes roues. J’étais trop épuisée pour avancer jusqu’au bout sans me retourner. Il avait raison, au fond. Je n’étais pas une personne normale. Je ne l’avais jamais été, bien avant d’être dans ce fauteuil. J’avais toujours été décalée, étrange, pointée du doigt et blâmée. Désormais, ma différence était marquée dans mon apparence physique. Elle sautait aux yeux, m’empêchant de faire des gestes du quotidien comme le reste du monde. Des gestes comme promener ses propres enfants en poussette. Parce qu’au fond j’étais déjà moi-même coincée dans une poussette. « Je ne voulais pas dire ça. Tu le sais, » me contredit-il alors que ses doigts caressait doucement ma joue. Il était incroyablement calme, beaucoup trop pour que cela me paraisse normal. Une petite voix dans mon esprit me répéta qu’il avait simplement trop pitié de moi pour s’emporter ou qu’il voulait à tout prix éviter une scène dans le magasin. Je n’en savais rien. « Tu n'es pas une personne normale. Je ne suis pas une personne normale. Personne ici ne peut prétendre être normal, » poursuivit-il et je pris une profonde inspiration pour ne pas complètement perdre le contrôle. Il me servait ce même discours, encore et encore ; il me le servait mais, cette fois-ci, il avait une autre consonance dans sa bouche, maintenant qu’il avait fait preuve d’une honnêteté incroyable par mégarde. « Moi, je peux te donner d'autres synonymes : particulière, extraordinaire, spéciale, fantastique. » Je secouai la tête. Ses doigts avaient capturé mon menton et je l’observai dans les yeux. Une colère sourde grondait au fond de mes pupilles humides ; j’avais l’impression qu’il me menait en bateau avec ses explications nébuleuses simplement pour me faire taire, simplement pour endiguer ma douleur. Je ne raisonnai pas de manière lucide. Une part de moi en avait conscience mais elle était impuissante dans la marée destructrice de mon coeur. « Tu ne disais pas ça pour ces significations-là, » le contredis-je en faisant un mouvement pour échapper à la prise de ses doigts autour de mon menton. « Tu voulais dire anormale pour handicapée. Et depuis quand être handicapée c’est être extraordinaire ou fantastique ? T’es même pas capable de dire que j’suis une infirme alors que t’en penses pas moins. » Je retins ma respiration quelques instants. J’étais incroyablement honnête dans ma douleur, incroyablement honnête dans ma tristesse. Cela faisait des semaines et des semaines que je pensais ces mots sans jamais les dire à voix haute ; je lui en voulais sans réellement lui en vouloir mais, en cet instant précis, j’avais l’impression de tout remettre en question. Remettre en question sa retenue. Remettre en question ce qu’il pensait vraiment. Remettre en question ses mots. « J’devrais être habituée à ce qu’on me traite d’anormale, pourtant. Mais de ta bouche ça fait beaucoup plus mal. » Mes paroles n’avaient été qu’un murmure, un murmure à peine audible. Nous étions là, au milieu des rayons dédiés aux nourrissons, mais mon esprit se trouvait à des années lumières de la réalité. Il avait été blessé, après tout. Blessé parce que la seule personne qui avait semblé m’accepter dans mon intégralité avait simplement tu toutes les paroles qui ne m’auraient pas pu. Blessé parce que finalement, cet homme que j’aimais de tout mon coeur et qui m’avait promis que je n’étais pas si différente du monde, pensait en son fort intérieur que j’étais anormale. Je m’étais rendue compte que ma raison d’avancer était une sorte de leurre. Une sorte de mensonge. Une sorte de vérité arrangée pour que je puisse mieux dormir la nuit, pour que je sois plus apaisée dans mes horreurs.
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(✰) message posté Sam 20 Fév 2016 - 20:10 par Invité
“Who decides the rules for lovers like you and I? ” ✻ Les mots avaient laissé une trace sanguine dans ma bouche. Je fermai les yeux en sentant l'amertume de ma propre chair envahir l'espace. Il y avait trop de lumières entre les rayons du magasin. Trop de couleurs et d'objets. Le monde tournoyait autour de ma silhouette flétrie, tandis que je restais abîmé dans mes pensées. Eugenia était triste. Ses traits se transformaient peu à peu, prenant une allure maussade et rompue. Je remarquais son regard sombre, cerné par un océan de douleur. Je ne comprenais pas. Je ne savais pas comment réagir. Mon cœur tremblait au creux de ma poitrine, porté par un sentiment étrange. Celui de l'homme qui avait failli à sa promesse. L'homme qui portait au sein de son chaos, une tragédie encore plus grande : faire du mal lorsqu'il désirait aimer de toutes ses forces. Je secouai les épaules en frottant ma main contre mon menton. J'adoptais tous les signes nerveux qui précédaient une crise de colère. Je soufflais dans toutes les direction. Mes bras étaient crispés, prostrés contre les rebords métalliques de sa chaise roulante. Je tentais de fixer ses prunelles. Je cherchais les lueurs argentées qui saupoudraient ses paupières afin d'y trouver un antipoison pour mes vices. Mais Eugenia n'esquissa pas le moindre mouvement. Elle me rejetait à chaque fois qu'elle clignait des yeux. Un battement de cil et j'étais perdu. Un second, et je sombrais complètement. A quoi bon tergiverser ? J'en avais trop dit. Toutes mes déclarations étaient filantes, et comme des étoiles, elles dansaient dans les étendues du firmament. Elles disparaissaient dès que je les énonçais, noyées dans une couche épaisse de carbone. «Tu ne disais pas ça pour ces significations-là,» Ma respiration devenait bondissante. Je suffoquais en canalisant mon courroux. Je suffoquais car il m'était impossible de contrôler ma violence. Nous étions alliés. La colère était une amie de longue date. Ma seule confidente lorsque le monde semblait m'abandonner. Je serrai les dents afin de refouler mes instincts rageurs. J'étais calme et cela me coûtait énormément. Mon crâne était secoué par les battements effrénés de mon cœur. Je les entendais remonter dans ma gorge et cogner contre mes tympans. « Tu voulais dire anormale pour handicapée. Et depuis quand être handicapée c’est être extraordinaire ou fantastique ? T’es même pas capable de dire que j’suis une infirme alors que t’en penses pas moins.» Sa voix ondulait suavement autour de ma conscience. Elle fermentait mon désir d'exploser, de joindre tous les bouts et d'amalgamer toutes les notions. J'étais capable de crier. Ici ou ailleurs. Le contexte n'avait plus aucune importance. Les conséquences devenaient dérisoires, les actes manqués. C'était ça le vrai mal. Je redressai la tête en grimaçant. «Ne fais pas ça, Ginny. Me provoquer. Ne le fais pas s'il te plaît. » Marmonnai-je d'un air suppliant. Il était si facile de tomber dans l'excès. J'avais doublé mes doses de lithium afin de contrer mes troubles colériques, mais les effets secondaires étaient bien là. J'étais désorienté, affaibli, fatigué. Le moindre effort m'épuisait. Cette conversation en particulier m'épuisant. Je me sentais si coupable et je n'avais même pas l'énergie nécessaire pour expier mes erreurs. « Tu sais que je suis capable de le dire. Tu es handicapé et ce n'est pas ce qui m'empêchera de t'aimer. » Marmonnai-je d'un air profond. Je m'éloignai légèrement. Le chemin était encore long. A chaque fois que j'effleurais un semblant de joie, de bonheur ou de simplicité, le destin me ramenait cruellement vers la réalité. Nous n'étions pas normaux. Notre couple n'était pas normal. Sa grossesse non plus. Mes parents. Ma vie. Moi. Pourquoi tant de tabous ? D'un geste las, je me hissai sur mes jambes. Le silence était pesant. Les paroles de Ginny avaient perdu tous leurs sens. «J’devrais être habituée à ce qu’on me traite d’anormale, pourtant. Mais de ta bouche ça fait beaucoup plus mal.» Je me tournai brusquement vers son expression larmoyante. Elle était partie trop loin dans ses accusations. Et j'étais blessé à mon tour. Je me sentais ébranlé par son manque de confiance. Au moindre conflit, à la moindre bavure, elle remettait toujours ma sincérité en question. Comme si notre mariage ne reposait que sur une chimère. Comme si je n'étais là que pour assouvir un besoin primaire quelconque. Je déglutis en m'accrochant aux étagères. «J'ai dis que j'étais désolé. C'est entièrement ma faute. Je ne sais pas quoi faire.» Couinai-je comme un enfant boudeur. Je haussai les épaules dans l'espoir de faire une trêve. Je ne voulais pas me disputer avec elle. Je voulais simplement acheter les fournitures nécessaires aux jumelles et partir. Je l'avais accompagné pour lui faire plaisir et je n'avais aucune intention de m'engager dans des débats existentielles à cette heure. J'avais l'impression que plus j'existais, plus elle m'en voulait. Parfois, je voulais juste disparaître.
JULIAN & EUGENIA —they say i was born a moon, always appearing among bright stars, always shining in the dark sky. they say i was born a moon but, oh, i don’t belong to this vast galaxy, and the only constellation i’m part of is one of radiant regrets and lost stardust, one of painful grief and glorious sorrow. i was born no moon, only a lonely star, and i will shine alone in the dark. ✻ ✻ ✻ Les larmes m’étaient montées aux yeux alors que je perdais complètement possession de mes moyens. J’avais si mal que mon coeur semblait pleurer dans ma poitrine ; j’étais blessée dans mon amour propre mais également dans mon amour pour lui. J’étais blessée dans mes sentiments, dans toutes ces émotions que je ressentais. Je n’avais jamais songé que cela puisse être possible. J’avais été suffisamment naïve pour me dire que si Julian ne semblait jamais réellement vouloir évoquer mon handicap, cela ne signifiait pas forcément qu’il le rejetait. Pourtant, ses paroles avaient été la preuve même qu’il ne savait pas gérer cette facette indispensable de mon quotidien ; il n’envisageait pas notre quotidien en prenant en compte mon handicap comme critère. Il vivait dans l’ignorance, ce déni si réconfortant. Il vivait dans le noir, il vivait dans la volonté ferme de prétendre que tout allait bien, que tout était normal. Et cela me blessait. Cela me blessait parce que cela signifiait que tous ses sentiments étaient biaisés par une vision incomplète qu’il avait de moi ; il préférait fermer les yeux sur la réalité plutôt que l’affronter. Il préférait fermer les yeux sur la réalité plutôt qu’accepter qu’elle était bel et bien là. Il avait mis des mois avant de pouvoir prononcer le mot handicapé à voix haute. Des mois et des mois. Il m’avait détesté presque autant de temps, moi, mon fauteuil, mes jambes inertes. J’avais cru que tout irait mieux. J’avais cru que c’était derrière nous. Mais, au lieu de faire un pas en avant, nous nous étions retrouvés dix pas en arrière. « Ne fais pas ça, Ginny. Me provoquer. Ne le fais pas s'il te plaît, » marmonna-t-il et ses paroles prenaient l’allure d’une supplication. Et cela me mit en colère. Cela me mit en colère parce que ce n’était pas la première fois qu’il étouffait mes ressentis de cette manière simplement parce qu’il ne désirait pas que je m’exprime. Simplement parce que mes mots étaient susceptibles de ne pas lui plaire. J’étais fatiguée. Fatiguée de toujours devoir faire comme il fallait en dépit de tout ce que je pouvais bien ressentir. Fatiguée de toujours devoir courber l’échine et m’incliner face à lui. En cet instant, en ce moment précis, j’avais l’impression que notre relation tenait en équilibre sur mille-et-une injustices. « Alors j’ai pas le droit d’avoir mal, c’est ça ? J’ai pas le droit de te montrer que tu m’as blessé ? C’est toujours toi qui me provoques d’ordinaire, Julian. Et quand c’est mon tour, j’ai pas le droit. J’ai pas le droit d’être en colère. Pourquoi, hein ? Parce que mon avis compte pas ? Parce que mes émotions ne comptent pas ? Parce que j’suis pas normale et j’devrais être habituée à ne pas l’être ? » finis-je par m’emporter en laissant libre cours à ma colère, mes mots, mes paroles, mes ressentis. A force de tout garder au fond de moi, à force d’enfouir et d’entasser mes pensées négatives, je me retrouvais confrontée à un profond mal-être que je ne parvenais plus à taire. « Tu sais quoi ? On s’habitue jamais. Tu m’as jamais posé la question mais voilà la réponse. On s’habitue jamais à être une infirme, » ajoutai-je. Infirme, ce même mot qu’il ne parvenait pas à dire à voix haute alors qu’il dépeignait ma réalité. Infirme, ce même mot qu’il refusait catégoriquement alors que c’était ce que j’étais. Il rejetait ce mot. Mais, par extension, cela signifiait qu’il me rejetait moi. « Tu sais que je suis capable de le dire. Tu es handicapé et ce n'est pas ce qui m'empêchera de t’aimer, » dit-il. Il venait de contourner le problème et je prenais cela comme une offense personnelle. La bile se déversa dans ma bouche et mes yeux étaient inlassablement humides. « J'ai dit que j'étais désolé. C'est entièrement ma faute. Je ne sais pas quoi faire. » Il avait pris une mine boudeuse. C’était le problème de Julian, au fond ; lorsqu’il s’agissait de mes problèmes, lorsqu’il s’agissait de mes colères, elles n’avaient pas suffisamment d’importance pour être prises au sérieux. Du moins, c’était comme cela que je l’interprétais. Mes mains étaient sur mes cuisses, j’étais immobile parce que j’économisais le peu de forces qu’il me restait. Elles étaient petit à petit rongées par la colère, après tout. « Admets-le. Admets que tu le pensais quand même au fond de toi, » répondis-je finalement en le défiant presque du regard. Ce regard humide. Ce regard larmoyant. Ce regard de faible. « On en parle jamais. Tu ignores le sujet comme si c’était suffisant pour prétendre que tout est normal. Le truc c’est que t’es même pas prêt. Tu dis que tu m’aimes quand même mais tu t’es crevé les yeux devant mon fauteuil pour faire comme si, alors que ça fait partie de moi. » Mes mots étaient acides, acides comme je n’avais pas l’habitude de l’être, mais je ne réfléchissais plus avant de prendre la parole. J’avais tant étouffé. J’avais tant gardé de choses pour moi. J’étais si fatiguée. « T’avais même pas réalisé, hein, » ajoutai-je dans un souffle. « T’avais même pas réalisé que je pourrais même pas utiliser une poussette. » Je pointais du doigt le trou noir de notre relation. Julian avait ses crises de colère et je l’accompagnais dans sa lutte contre ses démons ; je cherchais avec lui un autre spécialiste lorsqu’il décidait de changer, je m’assurais qu’il prenait bien ses médicaments. Et moi ? Il n’y avait rien. Je n’étais même pas sûre qu’il sache quel comprimé je prenais le matin, le midi et le soir.
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(✰) message posté Ven 26 Fév 2016 - 1:38 par Invité
“Who decides the rules for lovers like you and I? ” ✻ Je secouais frénétiquement les épaules. Je remarquais l'expression larmoyante de Ginny. Je sentais la douleur se faufiler entre les plis de son visage. Très vite, j'avais eu l'intuition d'ignorer son handicap. Je pensais que fuir la réalité pourrait suffire à combler le vide. Fermer les yeux c'était isoler le mal. Mais il était là. Il battait au creux de sa conscience. Tout ce temps, le fauteuil roulait à mes côtés et je devais l'accepter comme un troisième membre de notre couple. Hodor existait. Je composais avec lui au quotidien. J'étais reconnaissais qu'il porte toutes les faiblesses de ma femme. Je lui avais confié son corps flétri et ses jambes immobiles. J'espérais qu'il puisse la porter jusqu'à moi. Et ainsi, nos étreintes, même biaisées, pouvaient garder une signification amoureuse. Je ne me plaignais jamais de sa condition. Pour moi, le réel obstacle à notre bonheur était la colère qui grouillait dans mes veines. Mes vices étaient pires que les siens. Je soupirai en agitant les épaules. Sa réaction était blessante. Elle s'était tout à coup fermée, et j'étais fatigué. Le traitement me rendait nauséeux. Je n'arrivais plus à contrôler mes raisonnements. Le sentiment était trop intense. Il explosait dans mon cœur alors que je tentais de me réconcilier avec mes démons. Je papillonnai des yeux afin de chasser les images de mes anciennes crises. Je connaissais les signes, les paroles et les violences. Je refusais de prendre parti. Je ne voulais pas capituler. Je lui adressai une expression implorante afin qu'elle taise ses reproches qui tombaient les uns après les autres sur ma poitrine. Je ne comprenais pas. Ce n'était qu'une simple blague, un lapsus. Je fronçai les sourcils en notant l'allure crispée de sa mâchoire. Ses muscles palpitaient au bord de ses joues. Eugenia était en colère. Elle semblait complètement plongée dans la rancune. «Alors j’ai pas le droit d’avoir mal, c’est ça ? J’ai pas le droit de te montrer que tu m’as blessé ? C’est toujours toi qui me provoques d’ordinaire, Julian. Et quand c’est mon tour, j’ai pas le droit. J’ai pas le droit d’être en colère. Pourquoi, hein ? Parce que mon avis compte pas ? Parce que mes émotions ne comptent pas ? Parce que j’suis pas normale et j’devrais être habituée à ne pas l’être ?» Je la fixais avec étrangeté. Il y avait une once d'amertume dans sa voix. Je ne réalisais pas l'ampleur de ses mots car je restais concentré sur les vibrations de ses lèvres qui se joignaient successivement. Elle crachait ses vérités comme un poison. «Tu sais quoi ? On s’habitue jamais. Tu m’as jamais posé la question mais voilà la réponse. On s’habitue jamais à être une infirme.» Je haussai les épaules en laissant échapper un ricanement. Je ne lui avais jamais posé la question pour une raison. Pourquoi enfoncer le couteau dans la plaie béante? Ma chair saignait déjà. Je vivais dans la hantise de la perdre. J'imaginais encore les détails de son accident. Quelle soit infirme ou ventriloque, quelle différence cela faisait-il réellement ? Je l'avais choisi. J'avais fais le deuil de notre relation pendant une année et j'avais fini par la choisir comme une entité complète. Je ne faisais aucune restriction. Je me détournai lentement. Mon regard glissait sur les fournitures. Un soupir filtra à travers les commissures de ma bouche pincée. «Je ne voulais pas te blesser. Je ne veux jamais te blesser. C'est pour ça que je ne dis jamais les mots. Je ne t'empêche pas non plus d'avoir des ressentis. Tu peux être en colère. Mais tu le regretteras. » On regrettait toujours le conflit. Je déglutis en me levant avec nonchalance. J'arborais une mine boudeuse, mais je ne me moquais pas de son attitude. Je préférais simplement me détacher de son emprise. Ma tête tourbillonnait dans la clarté du magasin. Je sentais les néons de lumière agresser mes rétines rougeoyantes. C'était la fatigue, la migraine, le manque de discernement. J'esquissai quelques pas dans le couloir. Mes semelles claquaient contre le carrelage dans un son mat qui remontait jusqu'au sommet de mon crâne. «Admets-le. Admets que tu le pensais quand même au fond de toi,» Son intonation grinçait dans mes oreilles. Elle me poussait à bout. Elle provoquait volontairement mon courroux et je n'étais plus sûr de pouvoir tenir plus longtemps. La rage compressait les parois de ma cage thoracique. Je soufflai comme un taureau de corrida, prêt à se ruer vers une mort sanglante. «Mais merde à la fin ! Admettre quoi ? Admettre quoi Eugenia ? Tu as déjà tout dis pour moi. Il ne te manque plus que l’échafaud et la corde. Tu me condamnes. Tu m'accuses. Je ne te suivrais pas dans tes délires !» Râlai-je sans pour autant hausser le ton. J'étais certainement irrité par son comportement mais il y avait encore de la marge avant que je ne m'abandonne à une démonstration de violence publique. Je soupirai en agitant mes doigts dans ma frange. «On en parle jamais. Tu ignores le sujet comme si c’était suffisant pour prétendre que tout est normal. Le truc c’est que t’es même pas prêt. Tu dis que tu m’aimes quand même mais tu t’es crevé les yeux devant mon fauteuil pour faire comme si, alors que ça fait partie de moi. » Je m'arrêtai un instant, suspendu entre les fluctuations de l'acide qu'elle versait sans la pièce. Depuis combien de temps refrénait-elle ses doutes ? Pourquoi avoir épousé un homme dont elle ne respectait pas l'opinion ? Pourquoi remettre en question chacune de mes déclarations ? Je pinçai les lèvres en claquant les dents. «T’avais même pas réalisé, hein, t’avais même pas réalisé que je pourrais même pas utiliser une poussette. » Je grimaçai en allongeant le cou. Je la toisai du regard d'un air meurtri, déçu et affligé. Je me sentais indigné. A chaque dispute, elle rejetait mes élans de sincérité. «Je l'ai ignoré au début. J'avais la haine. Je ne sortais même pas avec toi. Puis nous avons décidé d'être ensemble et je ne t'ai jamais manqué de respect. Je n'ai jamais jugé ton handicap. Si tu n'arrive pas à accepter qu'une personne extérieure puisse t'aimer en dépit de tes roues, je ne peux rien faire. Si tu ne me crois pas. Je ne peux rien faire.» Je ne lui avais jamais reproché son départ, son abandon et ses secrets pendant une année. Je ne lui avais jamais raconté le détail de ma vie, mes angoisses et ma dépression lorsqu'elle m'avait laissé sans nouvelles. Je lui avais pardonné. Je ne lui reprochais plus rien. Mais mes erreurs revenaient sans cesse dans nos discussions. J'arquai un sourcil en me penchant à sa hauteur. «Oui, je n'ai pas réalisé que tu ne pourras pas utiliser la poussette. Je n'ai pas réalisé qu'il faudra adapter les berceaux et les meubles. Que tu ne peux pas te lever la nuit. Mais si tu rend ces sujets tabous comment veux-tu que je trouve des solutions? La vie est belle. L'amour brille sous le soleil. C'est-ce que tu veux ? » Je restai accroupi sur son profil. Je n'avais pas crié. J'avais gardé un rythme ordonné et blasé. Elle vivait tous les jours avec son handicap. Et moi ? Pensait-elle que je jubilais lorsque je la sentais frétiller sous les draps, prises de spasmes musculaires et de douleurs fantômes ? Je hochai la tête sans la quitter du regard.
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(✰) message posté Mar 15 Mar 2016 - 21:43 par Invité
JULIAN & EUGENIA —they say i was born a moon, always appearing among bright stars, always shining in the dark sky. they say i was born a moon but, oh, i don’t belong to this vast galaxy, and the only constellation i’m part of is one of radiant regrets and lost stardust, one of painful grief and glorious sorrow. i was born no moon, only a lonely star, and i will shine alone in the dark. ✻ ✻ ✻ J’étais si blessée dans mon amour propre que je ne parvenais pas à me taire. A vrai dire, en temps normal, peut-être aurais-je réussi à le faire—j’aimais tellement Julian que j’acceptais de m’écraser régulièrement pour le plaisir de ses beaux yeux ou bien dans l’espoir qu’il ne s’emporte pas de nouveau dans une de ces colères qui me faisaient terriblement peur. J’acceptais de m’écraser parce que j’étais déjà partie du principe que j’étais la plus faible de nous deux : celle qui devait faire des concessions, celles qui devait s’incliner, celle qui devait taire ses ressentiments la plupart du temps. Cependant, l’intégralité de mon corps bouillonnait, en cet instant précis ; les mêmes pensées révoltées tournaient sans cesse dans mon esprit, tambourinant mon crâne de toutes ces aspirations indignées qui me tourmentaient. Tous les pores de ma peau étaient en éveil et me criaient à l’injustice. C’était comme si je me rendais compte pour la première fois que Julian acceptait sans doute moins que moi mon handicap. Le simple mot l’avait rebuté ; pouvoir le dire à voix haute avait été un véritable parcours du combattant pour lui. J’avais été suffisamment naïve pour me dire que cela était derrière lui lorsqu’il avait fini par vaincre le vocabulaire. Mais, maintenant que j’y pensais bien, il avait mis du temps avant de venir à mes rendez-vous médicaux. Il me laissait me débrouiller avec mes médicaments alors qu’on m’avait bien spécifié que je devais avoir une personne dans mon entourage proche connaissant les posologies et les bons réflexes en cas d’urgence. Il s’agissait de petits détails mais ils prenaient toute leur importance en cet instant. Il s’agissait de petits détails mais il faisait la différence. J’avais entendu parler des hormones de grossesse, ces hormones qui rendaient les femmes très émotives ; j’avais l’impression de tout ressentir en décuplé. Mon coeur tambourinait dans ma poitrine, encore et encore, sans que je ne parvienne à le faire redescendre. « Je ne voulais pas te blesser. Je ne veux jamais te blesser. C'est pour ça que je ne dis jamais les mots. Je ne t'empêche pas non plus d'avoir des ressentis. Tu peux être en colère. Mais tu le regretteras, » finit-il par me dire et je ris jaune. « J’attends encore tes pardons si on regrette vraiment tant que ça. » La remarque était partie toute seule. A vrai dire, il me blâmait souvent de sans cesse lui rappeler ses erreurs—l’une d’elle ayant failli me tuer, mais il l’oubliait bien souvent ou bien cela n’avait strictement aucune importance pour lui—mais je ne l’entendais jamais s’excuser pour les torts qu’il m’avait infligé. J’attendais toujours, presque. De nous deux, j’étais celle qui s’excusait le plus. « Mais merde à la fin ! Admettre quoi ? Admettre quoi Eugenia ? Tu as déjà tout dis pour moi. Il ne te manque plus que l’échafaud et la corde. Tu me condamnes. Tu m'accuses. Je ne te suivrais pas dans tes délires ! » dit-il. Il râlait comme si je faisais un caprice, il râlait comme si je n’étais qu’une sale gamine. Et, en cet instant, j’en eus marre. Marre d’être traîter comme une morveuse. « Je l'ai ignoré au début. J'avais la haine. Je ne sortais même pas avec toi. Puis nous avons décidé d'être ensemble et je ne t'ai jamais manqué de respect. Je n'ai jamais jugé ton handicap. Si tu n'arrive pas à accepter qu'une personne extérieure puisse t'aimer en dépit de tes roues, je ne peux rien faire. Si tu ne me crois pas. Je ne peux rien faire, » reprit-il. Ses mots étaient blessants. Du moins, il me blessait, alors que je ne m’étais même pas imaginé pouvant avoir encore plus mal. « Oui, je n'ai pas réalisé que tu ne pourras pas utiliser la poussette. Je n'ai pas réalisé qu'il faudra adapter les berceaux et les meubles. Que tu ne peux pas te lever la nuit. Mais si tu rends ces sujets tabous comment veux-tu que je trouve des solutions ? La vie est belle. L'amour brille sous le soleil. C'est-ce que tu veux ? » Il me regardait dans les yeux et j’avais l’impression qu’il se moquait de moi. Au fond, il avait sans doute raison sur certains aspects ; quoi qu’il dise, dorénavant, ne ferait qu’alimenter ma colère. Je n’avais pas de solution à mes blessures, je n’avais pas d’idées pour arranger ce que je ressentais. Mais, là, alors qu’il me parlait d’amour qui brillait sous le soleil, sachant qu’il m’avait plongé dans les ténèbres pendant de très longues semaines, me paraissait être une terrible offense. « Pardon ? C’est moi qui rends les sujets tabous ? » m’exclamai-je alors. C’était plus fort que moi. C’était bien plus fort que moi. « T’as besoin que je te rappelle de l’enfer que tu m’as fait vivre après l’annonce de ma grossesse parce que tu ne voulais rien entendre à propos de mon handicap ? Qui est-ce qui s’est fermé à la conversation à ce moment-là, hein, Julian ? Et après tu m’accuses de délirer mais tu m’as donné l’impression que tu me traitais comme une personne anormale. » Je m’arrêtai. Au fond, tout ce que j’avais accumulé ne faisait que ressortir. Au fond, tout ce que j’avais gardé pour moi finissait par se frayer un chemin jusqu’à mes lèvres. C’était terrible de se taire, en soi. Parce que j’avais laissé les émotions me ronger.
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(✰) message posté Sam 19 Mar 2016 - 16:23 par Invité
“Who decides the rules for lovers like you and I?” ✻ Mes efforts n'étaient qu'une longue poursuite insaisissable. Je crispai la mâchoire en l'observant. Le silence embrasait ma peau, il s'enfonçait dans ma gorge en me privant de mon éloquence habituelle. Je ne savais pas répondre à ses attentes, alors je choisissais d'abandonner. Je me noyais dans le silence. Eugenia était handicapée. C'était ce que les gens voyaient en premier dans la rue : sa lutte constante, son courage, sa bienveillante et sa tragédie. Personne ne remarquait la silhouette qui s'ombrageait à ses côtés. Personne ne comprenait l'origine de ma colère. J'étais invisible et parfois, je devenais toxique pour notre couple. Je la traînais dans mes délires obsessionnels. Je la blâmais pour mes fautes, pour mon enfance et mes erreurs. Je ressentais l'appréhension s'agglutiner sur mes membres, me figer dans un instant de doute et me tirailler de tous les côtés. Mais je n'osais plus me justifier. Je ne savais pas m'excuser. Ma vanité me retenait dans la bêtise. La lâcheté s'alliait à mon esprit afin de me transformer en monstre égoïste. Il ne s'agissait pas de dualité. Ma personnalité était tranchante. J'avais grandi dans la violence. L'alcoolisme de mon père avait aiguisé mes sens, il m'avait forgé à son image. Ginny refusait que j'utilise cette analogie, pourtant c'était la vérité. J'étais le clone de George Fitzgerald. La malédiction coulait dans mes veines. Je baissai les yeux vers son visage. Je restai immobile sous les néons de lumière. La grossesse avait perturbé son cycle de sommeil, ses humeurs étaient changeantes et ses douleurs récurrentes. Elle avait ajusté les doses de ses traitements et j'ignorais l'effet de ces nouvelles posologies. Je n'étais pas présent lors de ses premiers examens gynécologiques. Et je n'avais pas eu le temps de m'adapter depuis mon retour d'Irlande. Elle se vengeait inconsciemment de mon absence. Elle savait que j'avais été injustice. Je déglutis en croisant mes bras sur mon torse. Sa voix grinçait violemment dans mes oreilles, insufflant ces airs macabres qui accompagnaient les déroutes des âmes condamnées. «J’attends encore tes pardons si on regrette vraiment tant que ça.» Je me redressai en pinçant les lèvres. Je ne m'excuserais pas pour une très simple raison ; elle l'exigeait. Elle le demandait. Je refusais de lui offrir une satisfaction éphémère parce que je n'étais pas sincère. Je refusais de plier parce qu'elle me condamnait encore pour mes anciennes ratures. Je m'éloignai entre les rangements du magasin. Ma respiration était devenue sifflante. Le lithium calmait mes ardeurs, mais l'absence de ma colère, ne voulait pas dire qu'elle n'existait pas. Je suffoquais dans mes ressentiments. J'étais incapable de les extérioriser alors je sombrais inéluctablement dans mes vices. J'étais rongé par le mal, par toute cette hargne qui grouillait dans mon ventre. Je pressai mon poing contre le rebord afin de me raccrocher aux supports matériels qui m'entouraient. Je tentais de maintenir l'équilibre entre la folie et la lucidité, mais les discours larmoyants de Ginny tombaient sur ma poitrine comme une pluie acide et brûlante. Elle me poussait vers les limites. Ces mêmes limites que j'avais bordé un million de fois. «Pardon ? C’est moi qui rends les sujets tabous ?» Je fronçais les sourcils. Je le pressentais déjà. J'avais compris son allusion. Elle allait me reprocher mon comportement à l'annonce de sa grossesse. Elle allait me reprocher mes silences. J'affichais un sourire carnassier que ma bouche rendait inflexible lorsque je me penchais vers son fauteuil . «T’as besoin que je te rappelle de l’enfer que tu m’as fait vivre après l’annonce de ma grossesse parce que tu ne voulais rien entendre à propos de mon handicap ? Qui est-ce qui s’est fermé à la conversation à ce moment-là, hein, Julian ? Et après tu m’accuses de délirer mais tu m’as donné l’impression que tu me traitais comme une personne anormale.» Je tendis les bras avant de m'agenouiller à sa hauteur. D'un geste lent et discordant, je pressais mes genoux dans sa direction, rampant comme animal, enfonçant mon tendon défectueux dans la froideur du carrelage. Il me suffisait d'un soupir afin de briser tous les nœuds invisibles dans l'air. «Ginnys, on a déjà parlé.» Commençai-je d'une petite voix. Je l'aimais. Voilà, la seule vérité que mes lèvres criaient au vent. Je me crispai sous son regard. «Tu ne dois pas douter de moi. On est ensemble maintenant. Je sais, c'est difficile d'être heureux tout le temps mais on est ensemble. Et je ne changerais ça pour rien au monde. Je ne t'aurais pas traité différemment. Je suis possessif et idiot. Ce n'est pas ton handicap. C'est moi, je t'aime de travers. Je suis comme ça.» Je hochai la tête d'un air bien entendu. Je méritais sa colère. Je l'avais blessé en fuyant mes responsabilités. J'avais disparus pendant plusieurs semaines. Mais je ne l'avais pas oublié. Je fermai les yeux en effleurant ses mains.«Tu veux rentrer ? Je t'emmène à la maison et tu pourras tout me dire.Tu pourras aussi hurler.» Marmonnai-je avec lassitude. Quitte à subir ses foudres, je préférais lui épargner le spectacle affligeant d'une émeute de spectateurs disgracieux.
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(✰) message posté Mer 23 Mar 2016 - 20:23 par Invité
JULIAN & EUGENIA —they say i was born a moon, always appearing among bright stars, always shining in the dark sky. they say i was born a moon but, oh, i don’t belong to this vast galaxy, and the only constellation i’m part of is one of radiant regrets and lost stardust, one of painful grief and glorious sorrow. i was born no moon, only a lonely star, and i will shine alone in the dark. ✻ ✻ ✻ Je l’aimais trop. Je l’aimais beaucoup trop. Et, comme je l’aimais avec démesure, comme je l’aimais de tout mon coeur en oubliant de m’aimer moi-même, j’acceptais toujours ses erreurs—il pouvait me piétiner, me faire tout le mal du monde, me blesser encore et encore, je finissais toujours par lui pardonner. Je n’avais aucune considération pour ma propre personne. Je concentrais toute mon admiration et tout mon amour sur lui. Je le voyais comme étant la personne la plus importante de mon univers ; et, comme je l’aimais avec démesure, j’étais bien incapable de comprendre l’essence même de mes sentiments. A plusieurs reprises, Scarlet avait tenté de me ramener sur Terre. Elle m’avait rappelé la manière dont il m’avait parlé lorsqu’il avait appris que j’avais disparu tout ce temps parce que j’avais eu un accident, parce que j’avais fini dans un fauteuil roulant. Elle m’avait rappelé l’épisode à la mer, toutes ces choses pour lesquelles il m’avait blâmé. Elle m’avait rappelé qu’il m’avait même reproché de ne pas l’avoir attendu pour mon opération alors qu’il avait été celui à disparaître à son tour, intouchable ; elle m’avait rappelé qu’il n’avait jamais répondu à mes messages la veille d’entrer au bloc alors que j’avais eu besoin de lui. Elle m’avait rappelé toutes les filles qu’il avait sauté, toutes les filles qu’il continuait encore de regarder sans s’en rendre compte ; elle m’avait rappelé sa réaction avec Matthew et ses façons d’être égoïste alors que je n’avais même pas le droit de faire les mêmes erreurs que lui. Elle m’avait rappelé toutes ces choses et je l’avais ignoré, comme j’avais ignoré mes douleurs et mes ressentiments. Je l’aimais trop, après tout. Je l’aimais tellement que j’acceptais ses caprices, ses crises de colère. Je l’aimais tellement que je lui trouvais toujours des excuses. Mais, en cet instant, je ne parvenais plus à en trouver. Mais, en cet instant, je me rappelais de tout toute seule. Et cela me faisait mal. Cela me faisait mal de me rendre compte qu’il s’était passé tout ces évènements sans qu’il ne vienne s’excuser. Cela me faisait mal de me rendre compte que s’il m’infligeait ces épisodes-là c’était probablement parce qu’il ne m’aimait pas. Pas suffisamment. Comment pouvions-nous faire du mal aux personnes que l’on aimait ? Je refusais de croire que l’on puisse parvenir à le faire. Je n’aimais pas le voir souffrir. Je détestais le voir triste. En cet instant, son visage ne me renvoyait que du mépris, que de l’agacement, que de la profonde lassitude, alors je continuais. Je l’aimais trop. Je l’aimais beaucoup trop et je me rendais compte que cette relation n’avait aucun équilibre, aucune balance. Je l’aimais trop et il ne m’aimait pas assez. « Ginny, on a déjà parlé, » me rappela-t-il comme si cela était suffisant. Comme si en parler une seule fois avait suffit à balayer toutes mes souffrances, toutes mes douleurs. Nous en avions parlé, oui, puis il s’était contenté d’oublier ses erreurs, comme si c’était aussi simple. Comme si je pouvais faire la même chose. Mais, la vérité, c’était que je n’avais pas réussi à en faire autant. Je l’aimais, je l’aimais trop. Mais je n’oubliais pas. J’ignorais jusqu’à ce que je finisse par exploser. « Tu ne dois pas douter de moi. On est ensemble maintenant. Je sais, c'est difficile d'être heureux tout le temps mais on est ensemble. Et je ne changerais ça pour rien au monde. Je ne t'aurais pas traité différemment. Je suis possessif et idiot. Ce n'est pas ton handicap. C'est moi, je t'aime de travers. Je suis comme ça. » Ses mots sonnaient faut dans mes oreilles. Je suis comme ça voulait presque dire cela recommencera. Me jeter dans l’eau. M’abandonner pendant des semaines. Me reprocher le moindre de mes mouvements, le moindre de mes mots. Je ne savais pas si je pouvais supporter l’idée d’être encore piétinée alors que je savais que je le laisserais faire quand même. Parce que j’étais faible. Parce que je l’aimais trop. « Si, tu m’aurais traité différemment. Parce que tu ne m’aurais pas vu comme une petite chose fragile, » répondis-je. Il y avait de l’amertume dans ma voix, même si son volume avait fini par baisser; Il y avait de l’amertume parce que, pour une première fois, j’acceptais de lui montrer que j’avais mal. C’était comme si je n’avais plus rien à perdre. « C’est facile de dire ça quand c’est toi qui choisis quand est-ce qu’on est ensemble et quand est-ce qu’on l’est pas. » Il gouvernait notre relation, au final. Je ne lui faisais jamais faux bond. J’attendais toujours après lui, je veillais le soir quand il rentrait tard, je me levai le matin avec lui lorsqu’il devait partir tôt. J’endurais ses sarcasmes, ses emportements, je lui souriais quand il était de bonne humeur. Au final, je me calquais toujours à lui. Et lui jamais à moi. « Tu veux rentrer ? Je t'emmène à la maison et tu pourras tout me dire. Tu pourras aussi hurler. » Je secouai la tête. Je refusais de m’en aller pour cela. Je refusai de partir pour une raison qui m’échappait complètement. « On peut pas rentrer, on a rien acheté. » Nous avions rien acheté, non. Cette réalité me percuta de plein fouet et mes mains se joignirent sur mon ventre. Nous n’avions rien acheté, non, rien du tout. « On a rien acheté. Elles naissent dans quatre mois et on a rien pour elles, » finis-je par ajouter, des sanglots dans la voix. Nous n’avions rien fait pour préparer leur arrivée. Rien fait du tout. Comme si elles ne comptaient pas. Comme si elles n’avaient pas d’importance. Comme si nous ne les aimions pas assez. « On a rien acheté. On a rien acheté du tout. » Je paniquais. Je paniquais alors que je me rendais compte que j’aimais trop Julian mais pas assez mes filles.