LOUISE ☕ j'voudrais pas faire ma raclette, mais la soirée s'annonce pas super.

« Parlez-moi un peu de vous, je vous prie. »

Elle en a de bonnes, cette psychologue. Raconter ma vie, comme ça, spontanément... Et puis pourquoi suis-je venue déjà ? Ah oui, des parents qui s'inquiètent beaucoup trop, comme ma sœur, d'ailleurs.
Avant de me racler la gorge, je buvait une tasse du thé vert que la femme aux cheveux grisonnant m'avait offerte quelques minutes auparavant.

« Je suis née à Caen, en avril 1990. Mes parents n'étaient pas ensemble depuis très longtemps et préparaient déjà leur mariage. Je n'ai jamais su s'ils se mariaient vraiment par conviction ou parce que j'arrivais dans leur vie. Ma mère était encore étudiante en informatique. Mon père était son professeur d'anglais. Ils prenaient des risques, leur relation ne faisaient pas l’unanimité dans leurs familles respectives mais cela n'a rien empêché et ils sont toujours ensemble aujourd'hui. Non, franchement, je ne peux pas me plaindre de mon enfance. Mes parents s'aimaient et ils m'aimaient même si j'étais de toute évidence une surprise dont ils se seraient passé à ce moment-là. Ils m'ont autant parlé en français qu'en anglais et c'est ainsi que je suis bilingue depuis que je sais parler. C'était franchement cool à l'école, pour moi qui a toujours été une quiche en maths et même dans tout ce qui est trop littéraire. Bref. »

Je marquais une pause. Je voyais bien que la dame m'écoutait mais que mes histoires de gamine n'étaient pas forcément des plus passionnantes. Elle voulait sans doute que j'en vienne au fait, au pourquoi j'étais ici. Mais je décidais de prendre mon temps. Après tout, c'est elle qui m'avait dit de parler de moi. Et dommage pour elle, je suis assez bavarde.

« Mon enfance était plutôt banale. Celle d'une fille unique dont les parents travaillaient tous les deux. Enfin ça, c'était jusqu'à mes sept ans. Mes parents m'ont annoncé l'arrivée de ma petite sœur, Irène. Nous avons déménagé dans une petite maison au lieu d'un appartement pour qu'on puisse avoir chacune une chambre. En fait, aucun changement majeur, je ne me suis jamais vraiment attachée au lieu et surtout, on ne changeait pas de ville et je restais dans la même école. J'avais juste un lardon qui pleurait la nuit chez moi. Mais un adorable lardon qui en grandissant devint une alliée précieuse. Malgré notre différence d'âge et le décalage, on s'est toujours pas trop mal entendu. Elle me couvrait toujours quand je sortais le soir et en cas de mauvais bulletin, je l'aidais à s'en tirer sans trop de bobos. Non, franchement, je n'ai pas à me plaindre de ma famille. »

Je voyais la psychologue prendre en note chacun de mes mots, comme si c'était important. Je me sentais presque mal de lui raconter des choses d'une telle banalité.

« Je n'étais pas spécialement une ado à problèmes et j'avais des amis, surtout un, en fait. Mon meilleur ami, Paul, que je n'ai pas quitté depuis la primaire. Je sortais et je buvais parfois un peu plus que de raison, mais rien de trop grave. J'avais des notes plus que correctes, aussi. Enfin en langues, en fait. Parce que sinon, je faisais un gros blocage sur les chiffres. Je ne comprenais pas et ne voulais pas comprendre. Bref, j'ai eu mon bac et j'ai finalement quitté ma ville natale pour mes études supérieures. Je voulais voler de mes propres ailes. Comme je vous l'ai dit, je n'avais pas à me plaindre de ma famille, mais mes parents m'étouffaient un peu trop. J'avais l'impression que je n'avancerais jamais dans ma vie si je ne partais pas. C'est ainsi que je suis partie faire mes études de langues à Toulouse, dans le sud. Le pays de la choucroute. Même si j'aime pas ça. Même si dans le sud, y a pas assez de bière à mon goût, que y a trop de soleil pour ma peau de rouquine et que... Et que c'est tout. Mais... J'avais aussi une idée dans la tête en allant faire mes études là-bas. J'aurais pu aller à Paris, Lyon, ou n'importe où d'autre. Mais c'est à Toulouse que mon copain allait... Et je l'aimais. A dix-huit ans c'était la solution qui était la plus évidente pour moi. Grégory et moi étions ensemble depuis déjà deux ans, je e voyais comme l'homme de ma vie. »

Je ne pu m'empêcher de lâcher un petit rire.

« Nous avions pris un appartement ensemble. Lui était en école d'ingénieur et moi à la fac. J'étais passionnée par mes études, au moins autant qu'il ne l'était par les siennes, en fait. Mais il semble qu'il était aussi passionné par quelques unes de ses camarades de promo. Il m'a trompée plusieurs fois avant que je le prenne sur le fait avec une nana dans notre lit. Notre lit... C'était en deuxième année, peu de temps avant que je partes pour mon semestre à l'étranger. Je l'ai dégagé de l'appartement à grand coup dans les burnes... Hm, pardon pour le vocabulaire. »

La dame leva les yeux de ses notes, nous échangions notre premier regarde depuis le début de la séance. Elle semblait désolée pour moi. Je lui sourit pour montrer que j'avais tourné la page depuis. Cela faisait un peu plus de cinq ans, après tout.

« J'ai donc passé un semestre en Italie, dans le cadre de mes études. Cela changea radicalement ma vision des choses et me libéra grandement. Avant ce voyage, j'étais encore une fille assez timide au fond de moi. Je n'allais que peu vers les gens. Là-bas, j'ai eu une aventure avec un autre français pour lequel j'avais beaucoup d'affection. Je savais qu'en France, une autre fille l'attendait. J'ai eu beaucoup de remords pour ça, mais j'étais loin de mes repères, il était le seul autre français... Je sais que ça n'excuse rien et je sais à quel point ça fait mal d'être trompée. Mais je me dis qu'au fond, j'ai été punie lorsque la fille en question est venue voir son copain à Florence et que j'ai fait comme si de rien était, afin de ne pas briser leur couple. Je savais qu'il n'y aurait rien de plus une fois rentrés en France, de toute façon. Il habitait en Alsace et un tel mec ne pouvait de toute évidence pas tenir une relation à distance. »

J’eus un sursaut de nostalgie en repensant à ce séjour. Le pire, c'est que je parlais toujours à Nathaniel et que nous étions amis. Nous ne nous sommes jamais revus en vrai, mais nous échangions toujours et je sais que sa copine n'a jamais rien su de son écart. Je ne suis en revanche pas sûre qu'il n'en ai pas refait d'autres depuis, la pauvre...

« Je suis rentrée à Toulouse par la suite. J'habitais seule et tout allait bien. Le rythme des cours se poursuivait. En troisième année, j'ai effectué un stage de fin d'année en Autriche et mon deuxième semestre de quatrième année au Japon. Là-bas, je me suis rapprochée d'un étudiant de ma fac avec qui je n'avais jamais vraiment beaucoup parlé, Simon. Nous nous entendions extrêmement bien et petit à petit, sommes tombés amoureux. Le retour en France n'y a rien changé et nous avons emménagé ensemble pour notre dernière année. Notre projet commun était de partir vivre à l'étranger. »

Ma voix commençait à trembler sans que je sache trop pourquoi. Enfin si, évidemment que si, je savais pourquoi.

« C'est ce que nous avons fait. Nous nous sommes installés à Barcelone. Nous étions tous les deux dans la traduction. L'Espagne n'aurait pas été mon premier choix puisque malgré ma maitrise de la langue, ce n'est pas ma préférée, ni même le climat ou la nourriture mais... Mais une fois de plus, j'ai suivi quelqu'un par amour... »

A ce moment, je me disais que j'étais franchement stupide et sans personnalité. Et puis je me décidai à continuer mon histoire.

« Nous avons vécu ainsi pendant un temps. Jusqu'il y a un deux mois, maintenant. »

J'avalais une longue gorgée de thé. Le liquide me brûla la gorge, mais j'en avais besoin.

« Un soir, nous sommes sorti pour fêter les trois ans de notre relation. Chose rare, il pleuvait, ce soir là. Nous rentrions à pieds afin d'éviter tout danger liés à un grammage trop important dans le sang... Mais ça n'a rien empêché quand nous avons voulu traverser. »

Ma voix se brisa quelque peu, mais je ne pleurais pas. Pas encore.

« Une voiture qui roulait bien trop vite ne s'est pas arrêter à temps. Simon m'a poussée sur le trottoir. Mais lui n'a pas pu l'éviter. Il est mort de ses blessures dans l'ambulance. »

Un lourd silence s'abattit durant quelques minutes. C'était nécessaire. Je n'avais pas envie de pleurer devant cette inconnue, en fait. Cette inconnue qu'on m'avait forcée à aller voir alors que tout va bien. Tout va bien...

« Par la suite, j'ai appris qu'il comptait me demander en mariage. »

Eh m... Une larme coula sue ma joue.

« Mais il avait du être nerveux et s'était dit qu'il le ferait à un autre moment. Qu'il avait "toute la vie pour ça". »

Je souriais malgré les larmes qui coulaient maintenant sans que je les retienne. La psy me tendit un mouchoir que je pris en murmurant de vagues remerciement. Je marquais une pause pendant plusieurs minutes, le temps de reprendre contenance. Cela faisait deux mois. Je ne savais pas si je pouvais dire seulement ou déjà.

« Mais j'ai des projets. Je vais partir vivre à Londres. Mon meilleur ami y va pour son travail. Je vous ai parlé de Paul, déjà. J'ai aussi une partie de la famille de mon père, là-bas. Je ne suis jamais allé en Angleterre encore, c'est l'occasion. Je sais que si je reste en France ou en Espagne, je ne ferais rien de bon. »

Je décelais un léger sourire chez la dame qui m'écoutait depuis un moment déjà. Et enfin, sa voix, douce, s'éleva.

« Vous êtes forte, mademoiselle. Je n'ai pas l'impression de vous être très utile. »

Je me retenais de lui dire qu'on m'avait forcée à venir. Je crois qu'elle l'avait compris seule.

La vie à Londres est plutôt agréable. Je travaille dur pour oublier. Mais tout va bien. Paul est là. Il est resté le même depuis que l'on est petits. Pourtant, j'ai l'impression que quelque chose est en train de changer. Mais impossible de mettre la main sur quoi...