Don't you want to spread your wings and fly? (Griffin)

Il regardait au fond de sa tasse de café d'un air vide, de grandes cernes creusaient son visage. Il ne fallait pas être doté de pouvoirs médiumniques pour comprendre que le jeune homme était profondément fatigué. Son visage était nonchalamment posé dans la paume de sa main, les yeux à demi clos. Il était impossible de savoir s'il luttait contre le sommeil, ou s'il se préparait simplement à lentement sombrer pour rejoindre les accueillants bras de Morphée qui lui faisaient tant envie depuis le début de son service de nuit. Il eut tout de même légèrement la force de regarder sa montre, dans un geste désespérément ennuyé signifiant clairement qu'il avait hâte de rentrer chez lui pour dormir et ne plus jamais sortir d'une hibernation improvisée dans son appartement dans un bazar sans nom, comme d'habitude. Sa mère le réprimandait souvent à ce sujet, quand elle venait lui rendre visite, et se plaisait même à faire le ménage pour que son fils ne vive pas dans un trou à rats dans le sens littéral du terme. Il n'aimait pas la voir ranger, et c'était probablement le seul moment où il remettait ses affaires dans ses placards au lieu du sol, pour l'aider. Elle n'était après tout pas sa femme de ménage. Griffin se retourna lentement, rouvrant les paupières qui s'étaient finalement fermées d'elle-même. Il découvrit le visage d'Aaliyah, une autre infirmière, avec qui il s'entendait extrêmement bien. Il avait eut le béguin pour elle lorsqu'il était arrivé dans ce service, frais, pimpant  et avec les hormones encore en furie, jusqu'à ce qu'ils se découvrent tous les deux et qu'une amitié indéfectible se fasse entre eux, brisant tout autre attirance qu'une connexion mentale comme ils se plaisaient à le définir. Elle semblait tout aussi épuisée que lui de ces nuits de travail harassantes qui n'étaient pas encore terminées. Ils en avaient pour toute la semaine. Des grandes cernes mangeaient ses joues, ses yeux d'un bleu habituellement perçant semblaient bien plus grisâtre, et ses cheveux blonds retombaient mollement sur ses épaules. Elle semblait soucieuse, mais sourit néanmoins à son ami, qui le lui rendit faiblement, refaisant peu à peu surface de son coup de barre.

« Griffin, le vieillard de la chambre douze te demande. Il refuse que je m'occupe de lui, même comportement avec les autres infirmières. Il ne veut que « le jeune barbu », comme il t'appelle, je trouve que c'est un charmant surnom. En tout cas, bouge toi, va t'occuper de ce râleur. Il n'en a plus pour longtemps, je n'ai pas envie d'insister et de le contrarier. »

Elle baissa lentement les yeux, l'air contrit, alors que Griffin sentait son cœur se serrer à l'entente de la dernière phrase. Il savait pourtant qu'il devait arrêter d'être triste et nerveux dès qu'un des patients allait mourir, mais il ne pouvait pas s'empêcher de ressentir une profonde tristesse à la simple idée d'une vie qui se terminera sur un lit d’hôpital. Lui qui a toujours rêvé d'une belle mort, il ne supporterait pas de rendre son dernier souffle entre les quatre murs blancs de cet établissement. Il poussa un long soupir torturé avant d'acquiescer, posant sa main sur l'épaule d'une Aaliyah visiblement tout aussi affectée que lui.

« J'y vais. Va te reposer un peu. La nuit est plutôt calme, tu peux te détendre. Je n'ai pas touché à mon café, il doit être encore chaud. Je te le laisse, si tu en as besoin. A tout à l'heure. »

Il déposa un léger baiser sur le front de son amie et se dirigea vers le couloir principal, baillant en ouvrant grand la bouche. Il observa un à un les numéros des chambres, plissant les yeux en raison de l'obscurité qui régnait au sein de l’hôpital. Il poussa finalement la porte qui portait le nombre douze, et barra son visage d'un sourire qui se voulait rassurant et aimable. Il entendit la voix rocailleuse du vieil homme retentir, dès qu'il eut posé un pied dans la pièce.

«  Ah ! C'est pas trop tôt. Elles prennent leur temps, les minettes de cet hôpital ! Approche mon petit. »

Griffin leva les yeux au ciel. Le patient était décidément le cliché de l'homme misogyne passant son temps à râler. Et le jeune Adams ne savait sincèrement pas s'il devait en rire, en pleurer ou s'en exaspérer. Il jeta donc un regard désapprobateur à Mr Teller, pour lui signifier que les infirmières n'étaient pas des « minettes », mais des femmes admirables ne faisant que leur travail. Le sourire revint bientôt sur le joli minois de Grif', pourtant.

«  Alors ? Pourquoi m'avez vous fait mander ? Vous avez besoin de quelque chose ? Une douleur, quelque part ? »

A cette dernière affirmation, il avait détaillé le regard du malade, cherchant un quelconque signe pouvant lui donner l'endroit où il pouvait éventuellement avoir mal. Mais rien. Le vieillard était stoïque, et fut secoué d'un rire quelque peu nerveux à l'entente des mots de l'infirmier.

« Vous posez toujours cette question ! Non, tout va bien, en dehors du fait que je suis aussi branché que si j'étais un ordinateur portable. Passons. Je voulais juste un peu de compagnie, et masculine, mon garçon ! Tu accepterais de discuter avec un vieux débris comme moi ? Je sais très bien que je vais passer l'arme à gauche dans pas longtemps, j'aimerais avoir une vraie discussion avec quelqu'un avant. »

La demande prit complètement l'Anglais au dépourvu. Il ne s'était absolument pas attendu à une telle requête, qui n'était pas vraiment habituelle. Il n'avait jamais vu cela depuis qu'il avait commencé sa carrière, un an auparavant. Ce que le vieil homme venait de lui demander le toucha profondément, mais le plongea aussi dans un drôle d'état ressemblant étrangement à une nervosité stoïque, réaction probable à la dernière affirmation de Mr Teller face à sa mort prochaine et imminente. Il finit toutefois par hocher la tête devant le regard insistant de Jakob, l'un des patients les plus casse pieds de l’hôpital.

«  Très bien. De quoi voulez vous donc discuter à une heure pareille ?  »

Griffin souleva le siège se trouvant près de la porte, et il l'installa à côté du lit, le visage de nouveau enjoué et souriant, attendant la réponse que lui donnerait Jakob Teller. Il ne savait pas vraiment de quoi ils pourraient bien parler. Ils ne se connaissaient pas, et ne s'étaient adressés la parole qu'une ou deux fois lors de la prise de sang du vieillard.

«  De tout. De rien. Qu'importe. Parle moi un peu de toi, je serais curieux de savoir qui se cache derrière l'uniforme blanc de l'infirmier au visage doux qui fait chavirer le cœur de toutes les patientes de l’hôpital ! Tu dois faire des jaloux ! Dis m'en plus sur ta famille, ce genre de choses. Ne fais pas cette tête, accorde cela au vieil homme que je suis, veux-tu ?  »

Le jeune Adams n'avait pas pour habitude de parler de lui, préférant s'enquérir de la situation de ses proches, qu'il jugeait beaucoup plus importants que lui. La demande de Jakob le mit alors mal à l'aise. Griffin passa sa main dans ses cheveux, dans un geste traduisant sa gêne, espérant que son interlocuteur changerait d'avis mais, buté, il gardait le silence. C'est donc résigné que Grif' entama son récit, qu'il allait abréger le plus possible.

« Bon, alors… Je suis né le 25 avril 1991 dans la ville de Glastonbury, dans le comté du Somerset, d'une mère femme au foyer et d'un père électricien. Comme vous devez vous en douter, nous n'étions pas bien riches, vous vivions avec de maigres moyens, mais ça me convenait. J'ai toujours été un gamin simple, je n'ai jamais aimé me prendre la tête sur des futilités. La simplicité m'allait très bien. Je suis l'aîné de la famille. J'ai une petite sœur que j'adore, et trois frères, dont l'un qui est mon jumeau, Benjamin. Nous sommes nés à quelques minutes de décalage, et il faut croire que ces dernières ont eut raison de l'entente qui aurait pu naître entre nous. Ben et moi sommes et avons toujours été complètement différents, de vrais opposés, on ne s'est jamais vraiment entendus. Je l'ai longtemps regretté, avant d'abandonner toute tentative de rapprochement, c'est inutile, il n'avait aucune d'être avec moi. Il nous a en honneur. Autant moi que tout le reste de la famille. Il s'appelle Bellamy Sinclair, maintenant, de ce que je sais. Il a changé d'identité il y a des années. »

Griffin omit volontairement de préciser l'appel de Thalie, qu'il avait reçu la veille. Sa belle-sœur s'inquiétait visiblement pour son mari, qui avait développé des tendances bipolaires, et le jumeau de ce dernier était tout aussi anxieux qu'elle. De l'aide, c'était ce qu'elle lui avait demandé. Mais pourrait-il être d'un quelconque secours à Benjamin ? Il en doutait, ce dernier n'avait jamais vraiment voulu la moindre main qui lui était tendue, encore moins quand elle venait de lui. C'était du moins comme cela qu'il avait vu les choses. Il n'était pas Elsa. Cette fille que Bellamy chérissait plus qu'il n'aimerait jamais personne. Griffin n'avait jamais été jaloux d'elle, il était juste heureux que son jumeau ait trouvé quelqu'un pour le comprendre et l'appuyer, même si ce n'était pas lui. Ils faisaient leurs vies chacun de leur côté. Proches, mais pourtant à des kilomètres l'un de l'autre.

«  Je vois. Et de qui te vient cette gourmette que tu portes toujours au poignet ? Tu n'as pas l'air de la quitter souvent. »

Le jeune homme ne put s'empêcher de sursauter à cette question, braquant son regard sur le bracelet en question. Ses yeux s'adoucirent aussitôt, une lueur étrange s'allumant dans son regard alors qu'un adorable sourire, bien que légèrement teinté d'amertume, se peignait sur son visage. Il n'eut pas la moindre hésitation, cette fois, il adorait parler… d'Elle

« C'est October qui me l'a offert. Je ne peux pas m'en séparer, c'est la seule chose qu'elle m'a laissée pour que je me souvienne d'elle quand elle est partie. C'est une étudiante en médecine, elle est venue faire un stage ici, il y a un an. A cette époque je n'étais en service dans cet hôpital que depuis deux mois. Nous avons quatre ans de différence, elle avait dix-neuf ans. Elle doit en avoir vingt, maintenant. Elle m'a tout de suite… fascinée, avec ses longs cheveux roux, ses tâches de rousseur et ses yeux noisettes. Nous avons beaucoup sympathisé, elle et moi, mais elle ne me voyait pas comme je la voyais. Enfin, j'en sais trop rien, elle avait l'ait troublée quand je lui prenais la main, parfois, mais elle sortait toujours avec des femmes. J'ai tenté de l'embrasser, il y a six mois, elle ne m'a pas repoussé, mais n'a plus voulu me revoir par la suite. Elle n'a laissé que cette gourmette. Elle adorait les expressions latines, c'est sa préférée qui est gravée dessus. Je me sens rendue compte que dans le fond, j'étais tombé amoureux d'une fille dont je ne connaissais rien, je ne vais plus la revoir, de toute façon, mais j'ai du mal à l'oublier, même si je devrais. Aaliyah ne cesse de me le répéter. »

Il resta pensif un moment, la main nouée autour du bracelet. Elle lui manquait, cette fille. October ne s'était jamais confiée à lui, il se doutait que sa vie n'était pas toute rose, mais il n'avait jamais osé la questionner, de peur d'avoir droit à une rebuffade. Le caractère enflammé de la rousse n'aidant pas.

«  Et ce frère jumeau, tu as des nouvelles de lui, depuis ? Tu sais ce qu'il est devenu ?  »

Griffin poussa un long soupir. Devait-il en parler ? Après tout, il était d'une nature franche. Il n'avait rien à cacher non plus. Le vieil homme semblait réellement intéressé par son histoire, à présent. Pourquoi ne rien dire ?

« Sa femme, Thalie, m'a appelé hier. Pour me demander de… l'aide, je crois. Apparemment, Benja… Enfin, Bellamy, ne va pas bien, et elle voudrait que je lui sois d'un quelconque secours. Je ne vois pas comment je pourrais leur apporter quelque chose, cependant. Il faudrait que je gagne Londres, en abandonnant ma vie ici. Je ne sais pas quoi faire. »

Et voilà qu'il se mettait à confier ses doutes familiaux à un inconnu. Il avait touché le fond, c'était plus qu'une évidence.

«  Tu devrais y aller. Aide ton frère. Tu t'en voudras, si tu ne le fais pas. Et je...  »

Il y eut un grand moment de silence, suivi d'un bip incessant. Griffin releva les yeux. Arrêt cardiaque.

Ils n'avaient pas pu le sauver. C'était ainsi que la discussion s'était terminée. D'une manière brutale et affreuse, les derniers mots du vieillard tournant en boucle dans l'esprit de Griffin. Il devait admettre que Jakob avait eut raison. C'était dans cet état d'esprit qu'il avait rendu son appartement, pour déménager sur Londres, bien décidé à raisonner son frère jumeau.