(✰) message posté Mar 5 Mai 2015 - 23:42 par Invité
Le mois de mai venait de débuter depuis quelques jours seulement et le beau temps qui s’était installé durant une grande partie du mois d’avril s’était malheureusement retiré pour faire place à la pluie si caractéristique du temps anglais. Heureusement pour moi – et pour mes élèves –, je n’avais prévu aucune activité extérieure lors de mon cours de cet après-midi, qui serait également le dernier de la journée avant que les activités extra-scolaires tels que le cricket dont j’étais le coach depuis cette année seulement ne commencent. Par contre, ce n’était pas parce que j’allais enseigner dans ma salle de classe – ce que je faisais beaucoup plus souvent que l’on ne pouvait imaginer – que j’allais devenir tout à coup l’un de ces professeurs d’histoire totalement ennuyeux qui ne faisait que réciter des dates impossible à retenir à longueur de temps. Je comptais toujours fait revivre l’histoire à mes élèves – comme j’en avais pris l’habitude depuis que j’étais titularisé – et, aujourd’hui, nous allions nous attaquer à la guerre civile qui avait ravagé l’Angleterre au XVIIe siècle. J’avais même invité une connaissance à participer à cette reconstitution personnelle de cette période trouble qui avait secoué le pays en ce temps-là.
Cette connaissance s’appelait Thomas Knickerbadger – il ne valait mieux pas être dyslexique lorsque l’on portait ce nom – et je l’avais rencontré lors de ces nombreux meetings organisés par l’éducation nationale ou les écoles elles-mêmes durant lesquels on nous parlait de tout et de rien, nous donnant divers conseils sur la meilleure façon d’enseigner alors qu’ils n’étaient pas foutus de les appliquer dans leurs propres classes – quoique la plupart de ces intervenants avaient quitté les salles de classe depuis bien longtemps. Le jeune homme – qui devait tout comme moi avoir une petite trentaine d’années – enseignait la littérature française à l’université de King’s College – celle-là même à laquelle je tentais désespérément, et sans succès jusque-là, d’accéder – et, très certainement curieux de voir la façon dont j’enseignais l’histoire à mes élèves – puisqu’il n’avait pas paru me croire lorsque je le lui avais raconté –, je l’avais donc invité à non seulement observer, mais également participer à l’un de mes cours choisi au hasard parmi les nombreuses classes que j’avais.
Je l’attendais déjà depuis quelques minutes dans le hall d’entrée de l’école lorsque sa silhouette quelque peu imposante – il devait faire à peu près ma taille – apparu soudain dans mon champ de vision. Je m’approchai donc de lui, un sourire aux lèvres, et une main tendue en signe de bienvenue.
- Bienvenue à la City of London School ! le saluai-je sur un ton on-ne-peut-plus enthousiaste, sincèrement ravi de sa présence. J’ai pas trop le temps de te faire visiter, mais je le ferai après le cours, promis ! l’informai-je tandis qu’il signait la liste d’entrée des visiteurs. Puis, nous nous dirigeâmes ensemble vers ma salle de classe qui se trouvait au deuxième étage de l’aile ouest. T’as déjà enseigné à des collégiens ou c’est la première fois ? lui demandai-je alors pour faire la conversation le temps que l’on atteigne ma salle. Bon, t’inquiète pas ! Je pense pas qu’il y ait une grande différence, le rassurai-je, bien qu’il n’en avait très certainement pas besoin. Simplement, ici, quand un élève bosse pas, on l’y oblige, tentai-je alors une plaisanterie. Une fois devant la porte de ma classe, j’y entrai avec un tel fracas que la majorité de mes élèves assis tranquillement à leur table eurent un sursaut de surprise. Nous avons vu la dernière fois les tensions et les conflits dont Charles Ier a été victime depuis le début de son règne et, plus particulièrement, depuis son mariage avec une catholique ! Et tout cela va mener aux guerres civiles anglaises – parce qu’il y en a eu trois ! – qui vont secouer le pays de 1642 à 1651 ! Vous croyiez qu’il n’y avait que les Français qui s’étaient révoltés et avaient coupé la tête de leur roi ? Eh bien, les Anglais l’ont fait près de cent cinquante ans avant eux ! Je suis Charles Ier et je vous présente Oliver Cromwell, un ennemi de la couronne d’Angleterre ! présentai-je alors Thomas aux élèves avant de me mettre à le huer, ce qui incita bien sûr les élèves à faire de même.
J’espérais sincèrement que cela ne lui ferait pas peur…
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(✰) message posté Lun 18 Mai 2015 - 16:53 par Invité
Finir ma cigarette avant tout. Oh, c’était peut-être un peu impoli, mais j’avais le temps. Je marchais d’un bon pas, je n’allais pas arriver en retard. Etrangement, cela m’aurait presque gêné. Je n’avais pas l’habitude de m’en vouloir pour ce genre de chose. Selon moi, c’était celui qui était en retard qui perdait le plus. J’avais toujours quelque chose de mieux à faire que d’attendre, n’est-ce pas ? Ou bien ne me rendais-je simplement plus compte de la différence entre vivre et attendre ? A méditer. Je me postai devant le bâtiment et regardai l’heure. Une minute. Parfait. Je grillai ma cigarette d’un trait et la laissai tomber sur le sol, me dirigeant ensuite vers les escaliers. Je n’aimais pas rester trop longtemps dehors dans un endroit pareil. La City, c’était trop lisse. La blancheur des murs me donnait mal à la tête parfois. Et j’avais toujours l’impression que l’on me voyait tel que j’étais. J’entrai dans l’établissement. Le lieu de travail d’un collègue qui m’y avait convié. Je n’avais rien de mieux à faire, et cet homme me plaisait bien. Ryder Anderson. Un type sympa qui traînait aux mêmes conférences que moi parce qu’on y tirait les profs qui ne rêvaient que d’une seule chose : donner une bonne claque à toutes les figures de l’administration. Ryder était quelqu’un … de talentueux. J’avais discuté avec lui quelques fois et j’avais remarqué sa manière de plaire aux autres. De les laisser accepter sa marginalité parce que les gens hors-du-commun étaient bien plus géniaux que le reste de la population. Il en faisait sûrement partie, mais j’étais trop désabusé pour réellement le remarquer. Sauf qu’aujourd’hui, j’avais fait l’effort. Je voulais me changer les idées. Après une bonne nuit d’insomnies, une cinquantaine de cafés et un paquet de clopes entier, j’étais fin prêt pour venir à sa rencontre.
Il était là, planté au milieu du hall, et il m’attendait. « Bienvenue à la City of London School ! » J’inspectai les lieux en les balayant du regard, affichant une moue approbatrice et hochant la tête. Tu m’impressionnes presque, Ryder. Il était né pour ça, n’est-ce pas ? Il eut vite fait de critiquer l’éducation nationale, comme beaucoup de ses semblables, mais lui avec une certaine véhémence et des arguments poignants – en gros, les cours d’histoire, c’est chiant, arrêtez vos conneries. « J’ai pas trop le temps de te faire visiter, mais je le ferai après le cours, promis ! » Je lui souris avec courtoisie. « Avec plaisir. » Sympa quoi. J’aurais jamais pensé à faire visiter, personnellement. Je le suivis alors tranquillement, en observant toujours les lieux. C’était un bel endroit. Je commençais à me lasser de mes vieux amphis. Ils sentaient mon tabac froid. « T’as déjà enseigné à des collégiens ou c’est la première fois ? » Je haussai les sourcils, un peu surpris. J’avais oublié qu’il enseignait à des marmots. Enfin, vu le niveau de certains étudiants, ses élèves devaient parfois faire des remarques plus pertinentes que les miens. Et mes qualités de prof commençaient à rouiller sous le poids de ma détestable personnalité. Il méritait d’être à ma place et moi d’être … dehors, quelque part où je pouvais me cacher et oublier – l’Ecosse, j’y avais déjà pensé, c’est loin et il y avait du whisky. Je secouai la tête : je ne me souvenais même plus de mes années collège. Il avait probablement raison de vouloir dépoussiérer le système. Histoire que nos cadets puissent se rappeler de ce qui s’était passé entre les quatre murs d’une salle de classe. « Bon, t’inquiète pas ! Je pense pas qu’il y ait une grande différence. Simplement, ici, quand un élève bosse pas, on l’y oblige. » Je ricanai finalement, amusé. « Bonne technique. Je tenterai avec les miens. » Ah, oui, le laxisme de la faculté. Et dire que tout le monde voulait avoir notre poste. Je croyais que les profs étaient censés en avoir quelque chose à foutre de leurs élèves ?
Nous entrâmes dans la salle de classe. Ils étaient ridiculement petits. J’avais l’impression d’avoir pénétré dans un nid de nains de jardin. Je les observai de haut, une lueur vaguement condescendante au fond des prunelles. Si, finalement, je me souvenais du collège. On était minuscule et confinés dans des salles aux tables bancales et au prof antique. Heureusement qu’ils avaient Ryder. « Nous avons vu la dernière fois les tensions et les conflits dont Charles Ier a été victime depuis le début de son règne et, plus particulièrement, depuis son mariage avec une catholique ! Et tout cela va mener aux guerres civiles anglaises – parce qu’il y en a eu trois ! – qui vont secouer le pays de 1642 à 1651 ! Vous croyiez qu’il n’y avait que les Français qui s’étaient révoltés et avaient coupé la tête de leur roi ? Eh bien, les Anglais l’ont fait près de cent cinquante ans avant eux ! Je suis Charles Ier et je vous présente Oliver Cromwell, un ennemi de la couronne d’Angleterre ! » Je haussai les sourcils et mon regard glissa vers Ryder, un peu étonné, jusqu’à ce que je le vois me désigner en tant qu’acteur de ce cher Cromwell. Cela m’arracha un sourire. « Tu viens de me traiter de dictateur militaire ou je rêve ? » lui soufflais-je. Ils commencèrent à me huer et je me tournai vers la classe, relevant le menton et croisant mes mains dans mon dos pour faire briller ma dignité. Ryder n’était réellement pas prêt à être prof d’université. Et je disais ça pour lui : il allait se faire chier. Je méritais ces huées, de toute façon. « Attendez de voir ce que je vais faire des catholiques irlandais, franchement. » Il les mériterait ainsi beaucoup plus, lui aussi.
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(✰) message posté Lun 25 Mai 2015 - 1:30 par Invité
A peine eus-je ouvert la porte de ma salle de classe – faisant dans le même temps sursauter quelques-uns de mes élèves les plus impressionnables – que je commençais déjà à planter le décor pour le cours d’histoire d’aujourd’hui en rappelant aux élèves les éléments primordiaux de la leçon précédente. Puis, après les avoir aidé à se remémorer le contexte de l’histoire, j’en présentais les protagonistes : moi-même dans le rôle de Charles Ier et mon invité pour ce cours qui pourrait paraître particulier qu’un autre dans le rôle de Oliver Cromwell.
- Tu viens de me traiter de dictateur militaire ou je rêve ? vint alors me souffler Thomas à l’oreille, un petit sourire aux lèvres – ce qui me rassurait quant au fait qu’il n’allait très certainement pas prendre ses jambes à son coup et qu’il acceptait apparemment de jouer ce personnage quelque peu controversé.
- Je dirais plutôt un puritain obsessionnel, corrigeai-je avec un petit rire amusé. Puisque, s’il était vrai que certaines de ses actions pouvaient facilement être associées à celles d’un dictateur – notamment en Irlande –, je trouvais tout de même le terme un peu fort pour le qualifier. De toute façon, chacun avait le droit de penser ce qu’il voulait de cet homme qui – qu’on le veuille ou non – faisait partie intégrante de l’Histoire du Royaume-Uni, mais également de l’Irlande. Et puis, les historiens eux-mêmes avaient des avis divergents : pour certains, Oliver Cromwell était un héros national et pour d’autres, il n’était qu’un tyran.
- Attendez de voir ce que je vais faire des catholiques irlandais, franchement, annonça ensuite Thomas – semblant déjà dans son rôle de « dictateur militaire », comme il le disait si bien – aux élèves que je sentais déjà excité à l’idée de commencer ce cours.
Je me mis alors à leur raconter les débuts de la première guerre civile qui commença concrètement avec la bataille de Edgehill à la fin de l’année 1642 – j’avais pris l’habitude de toujours rester vague lorsque j’énonçais ce genre de dates (à l’exception évidemment de l’année) car j’étais pleinement conscient que les élèves ne les retenaient jamais ; donc au lieu de les perdre avec des dates complexes telles que le 26 octobre 1642, je préférais simplifier cela par « la fin de l’année 1642 » : l’information principale y restait.
- Les deux armées s’affrontent. L’une royaliste – qu’on appelle aussi les Cavaliers – est dirigée par mon neveu lui-même, le Prince Rupert. L’autre parlementaire, dirigée par Cromwell, est surnommée les Têtes Rondes. Quelqu’un sait-il pourquoi ? interrogeai-je afin que les élèves ne soient pas seulement spectateurs du cours.
- Parce qu’ils avaient la tête ronde ? proposa alors l’un d’eux, provoquant ainsi les rires de ses camarades.
- Ah, parce que tu connais des gens qui ont la tête carrée, toi, peut-être ? raillai-je, ce qui redoubla l’hilarité de la classe. Je n’étais jamais vraiment méchant lorsque je lançais ce genre de moqueries à mes élèves, mais je me permettais beaucoup de choses qu’un professeur banal n’aurait habituellement jamais osées, ce qui créait une ambiance plutôt bon enfant dans ma salle de classe. On les appelait les Têtes Rondes parce que certains puritains avaient les cheveux courts, contrairement à la mode de la Cour qui était de porter les cheveux longs. Par contre, ce terme était une insulte à l’époque, il ne fallait donc pas l’employer sous peine de punition !
Je me mis ensuite à énumérer les six batailles que composait cette première guerre civile anglaise, expliquant qu’aucun camp ne prit réellement l’avantage jusqu’à la dernière bataille de Naseby où les Parlementaires détruisirent presque totalement l’armée royaliste, obligeant ainsi le roi (joué par moi-même) à demander refuge auprès des Ecossais. J’avais d’ailleurs sorti les fausses épées que je gardais précieusement dans un de mes placards sous scellé dans le but de nous armer, Thomas et moi, et de rendre cette reconstitution plus vivante que jamais (bien que ni Cromwell, ni Charles Ier n’avait combattu personnellement dans cette bataille).
- Mais en 1647, après m’être caché pendant près de deux ans, les Ecossais décident finalement de me livrer au Parlement. TRAITES !!! hurlai-je alors aux élèves de la rangée de gauche que j’avais automatiquement pris pour jouer les Ecossais sur un ton digne de l’Actor’s Studio. Mais on va négocier, n’est-ce pas ? Vous m’aidez à combattre Oliver Cromwell et je m’engage à faire du presbytérianisme la religion officielle pendant trois ans !
- Hmm… Non ! fit un élève au premier rang, tout en rigolant comme un idiot.
- Bien sûr que vous acceptez ! Alors, prenez les armes et combattez, bande de chiffes moles ! m’exclamai-je en tendant l’une des fausses armes à l’élève en question qui se dirigea avec une assurance maladroite vers Thomas. Mais après un combat acharné qui dure de 1648 à 1649 – c’est la seconde guerre civile, commentai-je en même temps qu’ils jouaient la scène, les Ecossais sont défaits par les Parlementaires à la bataille de Preston. Cela étant, l’élève fit semblant de mourir, abusant même un peu trop de l’attention qui lui était porté. Bon, ça suffit maintenant ! T’es mort, alors retourne à ta place ! fis-je sur un ton claquant, ce qui le fit obéir immédiatement – il fallait aussi se faire respecter ! Le Parlement – toujours le même qu’au début de la guerre, c’est pour ça qu’on l’appelle le Long Parlement – n’est pas favorable à ma destitution et je suis contraint de signer des réformes qui restreint mes droits. Seulement, Cromwell ne souhaite pas me voir de nouveau gouverner, continuai-je en me tournant cette fois vers Thomas, et avec son compatriote Thomas Pride, ils vont faire le ménage dans le Parlement afin d’obliger que je sois jugé pour haute-trahison ! C’EST LUI, LE TRAITE ! criai-je de nouveau, exagérant tout de même le jeu d’acteur.
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(✰) message posté Jeu 4 Juin 2015 - 3:15 par Invité
« Je dirais plutôt un puritain obsessionnel. » me répondit-il dans un rire. Je haussai les sourcils et laissai échapper un « hmm hmm » peu convaincu. Je considérais Cromwell comme un sacré connard mais, après tout, l’historien qu’il était se devait de rester objectif. Le cours me plaisait déjà, bizarrement. J’étais là, planté comme la pauvre victime que Ryder avait choisi de torturer aujourd’hui, et je jouais le jeu avec un naturel qui me surprit presque. Il ne perdit pas de temps et suite à ma remarque, il s’empressa de raconter aux élèves la suite de l’aventure. « Les deux armées s’affrontent. L’une royaliste – qu’on appelle aussi les Cavaliers – est dirigée par Cromwell, est surnommée les Têtes Rondes. Quelqu’un sait-il pourquoi ? » Silence suite à l’interrogation, jusqu’à ce qu’un élève tente une approche un peu sarcastique qui m’arracha un mince sourire – ou presque. Ryder lui répondit, espiègle, et les rires redoublèrent. Voilà pourquoi je n’enseignais pas au collège. J’étais beaucoup trop cassant. Ma répartie en aurait fait pleurer plus d’un et ce n’était probablement pas le but de l’éducation nationale. Les étudiants, eux, ce n’était pas qu’ils s’en foutaient, mais ils devaient faire avec et on ne me disait rien. Ryder avait une aisance que je n’aurais sûrement jamais eu. Que je n’aurais sûrement jamais voulu avoir, en vérité. Je n’étais pas proche de mes élèves. Je ne cherchais pas à les faire rire, je tentais simplement de trouver le meilleur en eux-mêmes. Ryder aussi, je m’en doutais, mais d’une autre façon. Une façon qui me prouvait qu’il allait y parvenir. Il continua son cours, toujours aussi captivant et je m’adossai au mur de la classe pour l’écouter. Des élèves me jetaient des regards parfois, soit timides, soit défiants car ils prenaient le parti de leur professeur. Je relevai le menton, souriais avec malice à chaque fois et ils détournaient les yeux immédiatement.
Ryder finit par sortir d’un placard des épées et je fronçai les sourcils d’un air interrogateur. Il m’en tendit une, que je pris après une vague hésitation. « Mais en 1647, après m’être caché pendant près de deux ans, les Ecossais décident finalement de me livrer au Parlement. TRAITES !!! » Il hurla cela sur une partie de ses pauvres élèves et je secouai la tête, perplexe. Je ne me souvenais même plus de quand j’avais appris toute cette histoire moi-même, cependant j’étais certain qu’eux ne l’oublieraient pas de sitôt. Je penchai la tête et une moue approbatrice apparut sur mon visage pour soutenir les actes de Ryder. Ouais, clairement bande de traîtres. Je croisai les jambes et reportai mon attention sur le professeur. « Mais on va négocier, n’est-ce pas ? Vous m’aidez à combattre Oliver Cromwell et je m’engage à faire du presbytérianisme la religion officielle pendant trois ans ! » Je voulus lui sortir une réplique du style « tu parles, Charles », mais un élève me devança : « Hmm … Non ! » Je hochai la tête dans sa direction. Il avait parfaitement raison. Je malaxai le manche de la fausse épée avec une désinvolture non feinte tandis que Ryder répliqua : « Bien sûr que vous acceptez ! Alors, prenez les armes et combattez bande de chiffes moles ! » Je secouai involontairement la tête, un sourire aux lèvres, un air navré logé au fond des yeux. Ce cours tanguait entre quelque chose de parfaitement génial et une absence totale de sens et de raison. C’était cela qui me plaisait bien, en vérité. Il tendit l’une de ses épées à l’élève en question. Celui-ci s’en saisit et s’approcha de moi, d’abord hésitant puis finalement plus assuré. Je décollai mon dos du mur et levai mon arme à temps pour parer le coup qu’il m’envoya. Il était mince et frêle, je n’eus qu'à forcer un peu pour le faire reculer. Pendant ce temps, Ryder continua de relater les faits. Le garçon poursuivit ses attaques que je déjouai une à une, puis finalement, à l’annonce de la défaite écossaise, il rejoignit le sol dans un cri d’agonie qui arracha un nouveau fou rire à la classe passionnée. « Bon, ça suffit maintenant ! T’es mort, alors retourne à ta place ! » s’enquit Ryder d’un ton se voulant sec et autoritaire. Le garçon s’exécuta immédiatement et rejoignit les rangs. Je lui lançai un regard amusé, presque fier de l’avoir vaincu si facilement, puis baissai mon arme d’un geste souple, reposant mon dos contre le mur. Ryder conclut finalement : « C’EST LUI, LE TRAITRE ! » hurla-t-il, et je souris à nouveau. C’était n’importe quoi mais je semblais retrouver du sens à toute cette mascarade. Je me redressai et fis un pas vers lui. « C’est moi que t’appelles le traitre ? » Je poussai mollement son épaule avec le bout de mon épée pour attirer son attention. « C’est un peu facile tout ça, persuader la foule sans me laisser mon mot à dire … » Je fendis l’air avec la lame d’un mouvement désinvolte, un peu las, qui me caractérisait tant. On me mettait une foutue épée dans la main et je parvenais à rester le même. « Je suis pas prof d’histoire, hein, mais va m’en falloir un peu plus pour me convaincre. » Et je me doutais qu’il réagirait à ma provocation avec plaisir. C’était son boulot après tout. Ah non pardon, c’était ce qu’il avait fait de son boulot, nuance.
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(✰) message posté Mar 16 Juin 2015 - 23:20 par Invité
Il était vrai que j’allais peut-être un tout petit peu vite dans la façon que j’avais de reconstituer les événements passés avec les faibles moyens qu’un simple professeur d’histoire tel que moi avait en sa possession. Cependant, si j’avais toujours gardé ce rythme assez soutenu durant tous les cours que j’avais pu faire depuis que j’étais titulaire, c’était simplement pour éviter l’ennui auquel les élèves faisaient la plupart du temps face lorsqu’ils étaient à l’école. Alors, certes, il arrivait parfois qu’un ou deux élèves perdent un peu le fil de l’histoire en plein milieu du cours, mais cela n’était franchement pas grave en soi étant donné qu’ils pouvaient se permettre de jouer les flemmardes pendant une heure, n’ayant nullement besoin de prendre de notes puisque je leur donnais tout ce qu’il fallait à la fin du cours – en effet, je préférais qu’ils restent attentifs à ce qu’ils voyaient et écoutaient plutôt qu’ils loupent la moitié des choses seulement parce qu’ils étaient en train d’écrire…
- C’est moi que t’appelles le traitre ? commença alors réellement à jouer Thomas, semblant s’approprier peu à peu le rôle que je lui avais confié. Il s’amusa d’ailleurs à me pousser de la pointe de sa fausse épée d’un air quelque peu menaçant, ce qui aurait pu me faire rire si je n’étais pas aussi habité par mon propre personnage. C’est un peu facile tout ça, persuader la foule sans me laisser mon mot à dire… continua-t-il toujours sur le même ton, tout en fendant l’air d’un geste plutôt las de l’épée que je lui avais confié pour le cours. Je suis pas prof d’histoire, hein, mais va m’en falloir un peu plus pour me convaincre.
- Je propose qu’on demande l’avis du Parlement, annonçai-je finalement, en me tournant vers mes élèves qui semblaient presque vouloir nous voir battre le fer – malheureusement pour eux, nous ne faisions pas une reproduction des gladiateurs du Colysée à l’époque romaine… Qui est pour l’installation d’une monarchie constitutionnelle – c’est-à-dire que je reste sur le trône, mais avec un pouvoir limité ? sondai-je alors, avant de compter rapidement les quelques mains levées. Et qui est pour que je sois jugé lors d’un procès qui, si je perds, me condamnera probablement à la peine de mort ? Ma classe étant majoritairement composée de sadiques qui auraient sans le moindre doute eu leur place dans les arènes romaines, je ne fus pas le moins du monde étonné de voir tout à coup se lever une majorité de mains. Le Parlement a parlé : je serai donc jugé pour haute trahison. Le procès se tient à la fin du mois de janvier 1649. Seulement, je refuse de plaider ma cause. Tu peux prononcer ma sentence, chuchotai-je alors à Thomas qui allait également jouer mon bourreau. Et le 30 janvier… Je mis en place le tabouret que j’avais pris l’habitude d’utiliser lors des quelques exécutions que je mettais parfois en scène et je m’agenouillai devant, face à ma classe, tel le condamné que je jouais, avant de finir ma phrase par : Charles Ier fut exécuté. Je plaçai alors ma tête sur le haut du tabouret et priai silencieusement que Thomas aille en douceur car, bien que les épées fussent fausses, elle pouvait tout de même faire très mal.
Une fois la tête de Charles Ier coupée, nous finîmes la leçon par la reconstitution rapide des conquêtes cromwellienne de l’Irlande et de la troisième guerre civile anglaise dont je jouais à présent le fils du défunt roi : Charles II. Et lorsque la cloche annonça la fin du cours, les élèves rangèrent leurs affaires après avoir noté de manière consciencieuse leur devoir et ils sortirent de la classe dans un brouhaha typique d’enfants de leur âge.
- J’espère que ma façon d’enseigner ne t’a pas fait peur et que tu ne comptes pas me dénoncer auprès du Ministère de l’éducation – bien que je ne pense pas qu’il fasse grand-chose, m’enquis-je auprès de Thomas qui avait très certainement dû être choqué par tout ce qu’il avait vu pendant cette heure. En tout cas, tu as été un très bon Cromwell, le félicitai-je finalement pour son interprétation du « dictateur militaire ». Et merci d’avoir été doucement au moment de l’exécution. Ça aurait été con de perdre la tête maintenant, plaisantai-je, éclatant d’un rire cristallin qui m’était si caractéristique. Je ne manquerais pas de refaire appel à toi si j’ai besoin d’un autre tyran – t’es libre pour jouer Hitler la semaine prochaine ? continuai-je de blaguer tout en ranger les épées dans le placard sous scellé. Prêt pour une petite visite de l’école ou tu en as déjà marre de moi ?
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(✰) message posté Mar 23 Juin 2015 - 11:37 par Invité
« Je propose qu’on demande l’avis du Parlement. » me répondit-il. Il se tourna vers la classe d’un air solennel et leur déclara les choix qu’ils possédaient : « Qui est pour l’installation d’une monarchie constitutionnelle – c’est-à-dire que je reste sur le trône, mais avec un pouvoir limité ? » J’avais presque envie de lever la main moi-même, mais je me devais de rester dans mon personnage et d’être ambitieux jusqu’au bout. Je fis agilement tourner l’épée entre mes paumes, fronçai les sourcils tout en secouant la tête pour dissuader les quelques élèves qui avaient levé leur main de le faire. Ryder poursuivit : « Et qui est pour que je sois jugé lors d’un procès qui, si je perds, me condamnera probablement à la peine de mort ? » Il avait dit les mots qu’il fallait pour rassembler la foule autour de cette proposition. Rien de mieux qu’une exécution en plein cours d’histoire, surtout si c’était le prof que l’on pouvait tuer. Mettez-vous à leur place : ça n’arrivait qu’une fois dans une vie, de pouvoir se débarrasser du type qui les faisait se lever tôt et qui les emmerdait jusqu’à la dernière heure du jour. Mais je voyais dans leur regard qu’ils étaient captivés. Ils voulaient savoir ce qui se passerait ensuite. Ryder ne tarda pas à leur annoncer : « Le Parlement a parlé : je serai donc jugé pour haute trahison. Le procès se tient à la fin du mois de janvier 1649. Seulement, je refuse de plaider ma cause. » J’affichai une moue approbatrice alors qu’il glissait quelques mots à mon oreille : « Tu peux prononcer ma sentence. » Je claquai des doigts comme pour me sortir d’un songe, et m’avançai face au Parlement. « Charles Ier, pour avoir trahi le peuple anglais, vous êtes condamné à la peine capitale. » Je n’avais jamais prononcé de sentence, ce pourquoi je restai sobre et concis. Ryder poursuivit sa narration improvisée, jonglant entre tous les rôles avec habileté. « Et le 30 janvier … » Il se saisit d’un tabouret qu’il plaça en évidence et je haussai les sourcils, amusé. Il s’agenouilla devant, son visage marqué par une profonde tristesse – décidemment, il vivait l’instant. « Charles Ier fut exécuté. » Il posa sa tête sur le tabouret et j’attrapai le manche de mon épée à deux mains, la soulevai et l’abattis doucement sur la nuque de Ryder, sans prononcer le moindre mot. Voilà. Je venais de tuer un roi. J’avais presque eu des frissons d’anticonformiste. Presque.
Nous continuâmes le cours. Je conquis l’Irlande et éradiquai le moindre signe des catholiques en brûlant chacune de leurs ressources jusqu’à ce qu’ils meurent lentement de faim, Ryder eut un nouveau rôle, Charles II, le dauphin du roi. C’était amusant et je ne vis pas l’heure passer, tant elle fut pleine de rebondissements et de péripéties en tout genre. Parfois, j’observais Ryder sans prendre part au cours et approuvais son audace et sa détermination, logées dans ses gestes amples et ses déclarations pleines de vitalité. Il était un très bon prof. Il méritait mille fois d’avoir une place telle que la mienne. Finalement, la sonnerie retentit et les élèves se levèrent pour quitter la salle, un grand sourire posé sur chaque lèvre que je vis passer. Ryder s’approcha de moi. « J’espère que ma façon d’enseigner ne t’a pas fait peur et que tu ne comptes pas me dénoncer auprès du Ministère de l’éducation – bien que je ne pense pas qu’il fasse grand-chose. » Je haussai les sourcils, mon éternel sourire en coin sur le visage et lui répondis en lui rendant la fausse épée : « Ne t’inquiète pas, c’est pas mon genre de dénoncer les fous à la communauté. » Je préférais largement lorsqu’ils étaient dans la nature et qu’on pouvait tomber sur eux au détour d’une rue. Ou bien d’une salle de classe. « En tout cas, tu as été un très bon Cromwell. Et merci d’avoir été doucement au moment de l’exécution. Ça aurait été con de perdre la tête maintenant. » Il rit et je le suivis dans son hilarité en secouant la tête. « Je suis un pro pour tuer les rois. » Avec moi, c’était la qualité ou rien. Je pianotai sur son bureau en l’observant ranger ses fausses épées. « Je ne manquerai pas de refaire appel à toi si j’ai besoin d’un autre tyran – t’es libre pour jouer Hitler la semaine prochaine ? » Je fis mine d’être surpris, voire vexé, avant de rire de nouveau. « Bof, hein, je lui ressemble pas vraiment physiquement. » Non pas que je savais exactement à quoi ressemblait Cromwell, mais plus l’histoire était vieille et plus l’imagination des élèves pourraient jouer. Hitler, tout le monde savait qu’il était laid. « J’peux te faire un bon Staline si tu veux. On m’a traité de communiste plusieurs fois dans ma vie. » plaisantai-je à mon tour. « En plus, je sais parler russe. Enfin vite fait. » Je songeai d’ailleurs à reprendre des cours mais depuis peu, je n’étais pas en état de faire beaucoup d’efforts. Chose qui ne m’avait pas posé problème durant le cours de Ryder. C’était peut-être la bonne solution, finalement. « Prêt pour une petite visite de l’école ou tu en as déjà marre de moi ? » Je me redressai et attendis qu’il sorte le premier. « Allons-y, pour l’instant ça va. » Nous nous engouffrâmes dans le couloir et je passai une main dans mes cheveux avant de lui demander : « Sérieusement, t’as jamais eu de plaintes ? Non parce que si tu veux être prof à la fac, tu pourras jamais faire tout ça. » Je préférais le prévenir maintenant, histoire qu’il ne soit pas déçu si un jour il se retrouvait confronté à une foule d’étudiants le prenant pour le bouffon de service. Quelle bande de snobs.
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(✰) message posté Mar 30 Juin 2015 - 2:33 par Invité
La toute dernière heure de cours de la journée s’était donc terminée par la succession du fils de Oliver Cromwell à la « couronne » d’Angleterre – étant donné que la république de Cromwell ressemblait fortement à une monarchie qu’il dirigeait en souverain absolu – et la restitution de Charles II sur le trône. Et si mes élèves semblaient ravis par ce cours dans lequel ils avaient pu assister en direct à ma décapitation – bien que, d’après certains commentaires que j’avais malencontreusement pu entendre s’élever de la foule d’élèves qui sortaient dans un mouvement rapide de la salle de classe, il manquait du sang –, je m’inquiétais un peu plus de l’opinion de mon invité.
- Ne t’inquiète pas, c’est pas mon genre de dénoncer les fous à la communauté, entra-t-il sans le moindre effort dans mon jeu, ce qui m’amusa sincèrement. Je suis un pro pour tuer les rois, fit-il ensuite remarquer suite à mes remerciements concernant sa douceur au moment d’abattre la fausse épée sur mon cou. Après tout, il aurait très bien pu se laisser emporter par un élan cromwellien et ne pas contrôler la vitesse à laquelle il abaissait l’épée. Nous nous perdions si facilement dans l’Histoire… Bof, hein, je lui ressemble pas vraiment physiquement, refusa poliment Thomas après que je lui eus proposé de revenir dans le rôle d’Hitler, cette fois. Il fallait dire aussi que ce n’était pas un personnage sur lequel beaucoup de personne se ruait. J’peux te faire un bon Staline si tu veux, m’offrit-il alors en échange. On m’a traité de communiste plusieurs fois dans ma vie. En plus, je sais parler russe. Enfin vite fait.
- Ah, mais c’est parfait ! m’exclamai-je, ravi qu’il se montre partant pour rejouer un autre scène de l’Histoire. Le rôle est tout à toi, alors ! fis-je ensuite tel un directeur de casting qui annoncerait à un acteur qu’il avait réussi l’audition haut la main. Puis, je revins sur ma promesse de lui faire visiter l’école – sauf, bien sûr, s’il en avait déjà assez de mon excentricité.
- Allons-y, pour l’instant ça va, répondit-il alors, et nous sortîmes tous les deux de ma salle de classe que je pris soin de fermer à clé derrière moi. Sérieusement, t’as jamais eu de plaintes ? Non parce que si tu veux être prof à la fac, tu pourras jamais faire tout ça.
- Tous les jours, me mis-je à lui expliquer sans même me départir de mon sourire. Mais jamais de la part de mes élèves. Généralement, ce sont des parents qui ont eu vent de mes méthodes d’enseignements pour le moins… particulières et qui ont peur pour la sécurité de leurs enfants. Quelquefois, ce sont des collègues dont j’ai dérangé le cours ou dégradé le matériel. Je dois être le prof qui a reçu le plus d’avertissements de l’histoire de l’éducation, tous pays confondus ! Mais ils n’ont jamais osé me virer. Preuve que mes cours fonctionnent. Voilà la bibliothèque avec vu sur la Tamise, lui présentai-je alors la pièce dans laquelle nous venions d’entrer. Mais je suis sûr que je pourrais faire ça à la fac ! Après tout, jamais personne n’aurait cru ça possible dans un collège.
Et puis, au moins, les étudiants étant tous majeurs, je serais déjà beaucoup moins dans l’illégalité aux yeux de la loi.
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(✰) message posté Mer 1 Juil 2015 - 17:23 par Invité
« Ah, mais c’est parfait ! » déclara-t-il d’un ton enjoué. « Le rôle est tout à toi, alors ! » Je le remerciai dans un sourire et un vague haussement de sourcils. Je préférais jouer Staline à Hitler, clairement. Même si les deux restaient de pauvres cons. L’URSS, ça m’intéressait plus, ça me parlait plus. Je m’imaginai un instant devoir faire pousser une sacrée moustache pour lui ressembler, mais je n’allais pas y arriver. Il avait le visage trop gros, trop gras ainsi que les cheveux trop courts. J’aimais bien les cours de Ryder, cependant pas à ce point. Je tenais à mon apparence, quelque part. « On fait ça quand tu veux. » répondis-je, un peu rieur, comme si j’’étais à la fois ironique et partant pour revenir. Il allait peut-être décider de jouer Lénine. Ou Trotski, histoire que je puisse à nouveau le bannir, l’enfermer et l’envoyer à la mort de manière cette fois terriblement lâche et indigne. Je n’avais pas l’impression qu’il désirait recevoir une quelconque admiration de la part de ses élèves et c’était ce que j’appréciais le plus, en réalité. Il se ridiculisait sûrement, mais riait de lui-même, riait de l’histoire jusqu’à en faire comme un art du spectacle improvisé, laissant de côté l’aspect chiant, ne gardant que ce qui brillait, ce qui surprenait, ce qui amusait et ce qui touchait. Rien de plus. L’histoire c’est comme la vie. Elle n’est pas ennuyeuse. Voilà ce qu’il semblait vouloir faire comprendre à ses élèves et à tout le monde. Le nombre de personnes qui ressortaient le bac en poche en maudissant cette matière se faisaient de plus en plus nombreux. Il avait raison. Il avait raison de trouver cela préoccupant et de vouloir changer les choses.
« Tous les jours. m’avoua-t-il finalement, le sourire toujours brodé à ses lèvres. « Mais jamais de la part de mes élèves. Généralement, ce sont des parents qui ont eu vent de mes méthodes d’enseignement pour le moins … particulières et qui ont peur pour la sécurité de leurs enfants. Quelques fois, ce sont des collègues dont j’ai dérangé le cours ou dégradé le matériel. Je dois être le prof qui a reçu le plus d’avertissements de l’histoire de l’éducation, tous pays confondus ! Mais ils n’ont jamais osé me virer. Preuve que mes cours fonctionnent. Voilà la bibliothèque avec vue sur la Tamise. » Je le fixai sans détourner le regard, à la fois pensif et amusé. Il faisait partie des profs qui collectionnaient les entrevues avec le proviseur. Cela ne m’étonnait pas. Je songeai à ce que ce cher doyen pourrait bien lui dire s’il venait à travailler à la fac à mes côtés et j’eus un nouveau sourire. Ryder …, allait-il commencer, épuisé de devoir lui parler à nouveau sans oser le virer définitivement. Je ne suis pas sûr que vos méthodes conviennent à l’ensemble de l’établissement. Déjà qu’il m’emmerdait un jour sur deux parce que j’avais le malheur d’être désagréable. Mais il savait garder les bons profs, il avait un nez pour ça. Tant que Ryder n’arrachait pas les briques du bâtiment qui devait être classé aux monuments historiques, il ne devrait pas avoir de problème. J’attendais de voir pour croire, tout de même. Je finis par tourner la tête vers la bibliothèque et affichai une moue approbatrice. Elle avait l’air agréable. J’avais toujours aimé les bibliothèques, de toute façon. L’ambiance à la foi austère et studieuse, le parfum de la résine qui embaumait le bois des étagères, même si celle-ci me semblait déjà plus moderne et lumineuse que les antiquités auxquelles je pensais. Et puis, c’était une sorte de communion tacite, silencieuse, tout en restant un lieu de charme, là où l’on s’observait et où l’on se laissait observer à travers les couvertures des livres que l’on lisait et la forme de notre écriture. Je me tournai vers Ryder. « Très bel endroit. » Puis il poursuivit, sûr de lui. « Mais je suis sûr que je pourrais faire ça à la fac ! Après tout, jamais personne n’aurait cru ça possible dans un collège. » Je lui accordais un nouveau haussement de sourcil avant de rire légèrement. « Je ne suis pas certain que tout le monde y croit. Tu es un incompris, Ryder. » lançai-je, moqueur. « Je te comprends. J’en parlerai au doyen, il sera peut-être partant pour jouer ton Hitler. » Sauf que c’était lui faire plus de mal que de bien, vu comment ce pauvre idiot de doyen me portait dans son cœur. « Dis-moi juste ce que t’as fait de pire jusqu’ici et on avisera. » Et bizarrement, je m’attendais à quelque chose de franchement phénoménal. Après tout, il avait l’allure de jouer ce genre de rôle.
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(✰) message posté Mer 15 Juil 2015 - 0:25 par Invité
- On fait ça quand tu veux, affirma alors Thomas, confirmant ainsi sa participation à un cours prochain mettant cette fois en scène le dictateur de l’ancienne Union Soviétique, Joseph Staline. Et même s’il était peut-être quelque peu ironique en m’annonçant cela, j’étais tout de même ravi qu’il ait apprécié le cours auquel il venait de participer aujourd’hui au point d’être d’accord pour jouer de nouveau rôle tout aussi controversé que celui d’Oliver Cromwell – voire peut-être même plus !
Après lui avoir expliqué que mes cours n’étaient pas spécialement appréciés par tout le monde – en particulier les parents d’élèves et le corps enseignant dont j’avais déjà reçu quelques plaintes sur la manière que j’avais d’enseigner –, je me mis à respecter la promesse que j’avais faite juste avant de commencer le cours de lui faire visiter l’établissement dans lequel je travaillais depuis bientôt deux ans. Je commençai alors par lui montrer la bibliothèque qui se trouvait au même étage que ma salle de classe et dont la vue sur la Tamise, le Millenium Bridge et le Tate Modern Museum situé juste en face, sur la rive opposée, était imprenable – ce qui n’aidait d’ailleurs pas les élèves à se concentrer sur leur travail…
- Très bel endroit, s’extasia-t-il alors, tout en glissant son regard sur les nombreuses étagères remplies de livres en tout genre, avant que je ne continue à déblatérer sur mes capacités d’enseignement à l’université. Je ne suis pas certain que tout le monde y croit, m’avoua-t-il de manière tout à fait franche, une chose que j’appréciais tout particulièrement. Tu es un incompris, Ryder. Je te comprends, fit-il ensuite, et la formulation de ces deux phrases réunies me fit quelque peu sourire. Parce que si j’étais un incompris, mais que Thomas me comprenait tout de même, cela voulait donc forcément dire qu’il était également un incompris, non ? Et par conséquent, nous étions tous les deux des ovnis dans cette société dans laquelle nous tentions par tous les moyens de nous adapter malgré les nombreuses difficultés que l’on rencontrait, tombant parfois sur des personnes qui nous ressemblaient et nous comprenaient. J’en parlerai au doyen, il sera peut-être partant pour jouer ton Hitler, me proposa-t-il alors son aide, ce pour quoi je lui fus très reconnaissant. Dis-moi juste ce que t’as fait de pire jusqu’ici et on avisera.
- Ce que j’ai fait de… pire ?... m’exclamai-je, tout en réfléchissant à toutes les situations inhabituelles dans lesquelles j’avais pu mettre mes élèves. Hmm… Peut-être la fois où je leur ai fait passer la nuit dans les tranchées qu’ils avaient eux-mêmes creusés simplement pour leur montrer le mode de vie des soldats pendant la Première Guerre Mondiale. Cela n’a rien de dangereux en soi, mais nous étions en hiver et l’un de mes élèves s’est retrouvé en hypothermie. J’ai dû appeler une ambulance. Ou sinon, la reconstitution que j’ai faite du débarquement. Ce n’est pas parce que les gosses ont 13 ans qu’ils savent forcément nager, commentai-je en faisant allusion à cet élève qui avait failli se noyer en tombant malencontreusement dans l’eau. Non, finalement, je crois que c’est la fois où je leur ai fait découvrir la joute équestre. Un élève s’est pris la lance de plein fouet et il s’est cassé la clavicule. La chute était plutôt impressionnante, ajoutai-je sur un ton presque subjugué en me rappelant de la scène dans les moindres détails. Bien sûr, j’avais été dans un état de panique au moment des faits, mais à présent que je savais que l’élève allait bien, je pouvais me permettre un ton plus léger en racontant cette petite anecdote. Tu penses que j’ai bousillé mes chances d’enseigner à l’université ? finis-je par demander sur un ton beaucoup plus inquiet que lorsque j’avais raconté les « petits » accidents rencontrés par mes élèves lors de mes cours d’histoire.
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(✰) message posté Sam 15 Aoû 2015 - 12:12 par Invité
« Ce que j’ai fait de … pire ? … » s’enquit-il d’un ton presque enjoué. Il afficha une mine pleine de réflexion à mesure qu’il cherchait la réponse adéquate à ma question. J’observai le lieu avec amusement : en y repensant bien, on pouvait trouver un million de choses saugrenues à y faire. Mais je savais que Ryder pouvait me surprendre. Je n’attendais que ça : qu’il brise ma routine monotone. Je crois que je ne le connaissais pas assez pour être déjà lassé de le côtoyer, mais je savais qu’il avait la capacité de retenir mon attention. Il l’avait fait pendant plus d’une heure, il méritait presque une médaille. Je ne ressentais même pas encore ce besoin dévorant de fumer une cigarette. D’habitude, donner cours à des étudiants attentifs, voire passionnés, était l’un de mes échappatoires à la nicotine. Aujourd’hui Ryder parvenait à me faire penser à autre chose et je le remerciais silencieusement pour cela. Je n’allais tout de même pas prononcer les mots, je n’étais pas poli à ce point. Je tenais à ma réputation de misanthrope. « Hmm … Peut-être la fois où je leur ai fait passer la nuit dans les tranchées qu’ils avaient eux-mêmes creusés simplement pour leur montrer le mode de vie des soldats pendant la Première Guerre Mondiale. Ce n’a rien de dangereux en soi, mais nous étions en hiver et l’un de mes élèves s’est retrouvé en hypothermie. J’ai dû appeler une ambulance. Ou sinon, la reconstitution que j’ai faite du débarquement. Ce n’est pas parce que les gosses ont 13 ans qu’ils savent forcément nager. » Je fronçai les sourcils avant qu’une expression atterrée ne glisse sur mon visage. Cet homme était hors-norme. Quelque part, j’aurais voulu le connaître du temps où j’étais élève. Savoir ce que cela faisait d’avoir un prof aussi différent des autres. Savoir ce que cela faisait de réellement attendre un cours avec une impatience telle qu’on en oubliait l’importance des autres. Je savais que je ne faisais pas partie de ces profs-là. Si un jour j’avais été dynamique et extrêmement brillant, ma nonchalance avait fini par me rattraper au cours des années. Aujourd’hui, mes étudiants m’appréciaient pour l’allure désabusée que j’adoptais en permanence. J’étais froid, acide, tranchant, cynique et rapide : on aimait mon cours pour ça, parce qu’étrangement, on pensait que je me créais un personnage. Et lorsque je faisais preuve d’un peu plus de douceur ou d’un humour plus agréable, on s’attendrissait presque sur mon cas, comme si au fond de moi siégeait un cœur en chocolat. Ryder, lui, c’était une autre histoire.
« Non, finalement, je crois que c’est la fois où je leur ai fait découvrir la joute équestre. Un élève s’est pris la lance de plein fouet et il s’est cassé la clavicule. La chute était plutôt impressionnante. » Je me mordis la lèvre pour m’empêcher d’éclater de rire. Je savais que la situation ne devait pas avoir été belle à voir, qu’il avait sûrement paniqué lorsque cela était arrivé, mais mon sarcasme gagnait toujours dans ces cas-là. J’imaginai ce pauvre enfant gémissant sur le sol puis Ryder expliquant à l’infirmier quelle était la véritable raison de son mal : l’absurdité de son explication ne pouvait que m’amuser. « Tu penses que j’ai bousillé mes chances d’enseigner à l’université ? » Finalement, je laissai tout de même échapper un petit rire en entendant l’inquiétude qu’il avait soudain mêlé à sa voix. J’hésitai à lui dire que oui. Je me demandais vraiment comme il avait réussi à ne pas se faire expulser de cet établissement auparavant – mis à part le fait que les élèves l’adorent, ce type était dangereux ! – et j’en vins à l’imaginer sous le regard sévère du doyen du King’s College, ce qui m’arracha un nouveau sourire. « Au moins le doyen aura quelqu’un d’autre que moi à engueuler, personnellement ça m’arrange. » répondis-je en plaisantant, le regard malicieux. « Je pense qu’il faudra un temps d’adaptation. De plus, la plupart des élèves veulent garder la forme pour les examens. Je doute qu’ils aient tous envie de passer la nuit dans les tranchées ou bien se casser la clavicule parce qu’ils se croyaient au Moyen-Âge. La reconstitution, ça peut les intéresser, mais peut-être quelque chose de plus … léger, disons. » ajoutai-je plus sérieusement mais toujours amusé par ce qu’il venait de m’avouer. « Tu devrais faire un sondage auprès des étudiants, si ils aimeraient changer de système où si les cours chiants leur conviennent parfaitement. » Ca ne lui promettait pas une place à l’université, mais peut-être que ça le rassurerait un peu de savoir qu’où qu’il soit, ses méthodes étaient préférées à celles des autres. J’allais peut-être devenir jaloux moi-même.