Should I stay or should I go ? ♧ Ciastan

J'ai définitivement besoin de soutien. Et de celui de quelqu'un de plus objectif que Siobhán qui n'attend que ça, que je rentre. Je crois qu'elle s'attend à ce que je repasse un moment en Irlande, mais autant j'aime énormément mon pays, autant je ne me sens pas vraiment prêt à revenir sur les terres de notre enfance. Quant à revenir chez moi...

« Je pense qu'ils savent ce qu'ils disent. Il faut que tu t'en ailles, tu as des choses à faire, n'abandonne pas tes rêves.
- Oh je ne les abandonne pas ! Ils sont juste... repoussés... »

C'est ce que tout le monde dit pour se donner bonne conscience, non ? Je me pince les lèvres conscient du ridicule de ma réaction.

« T'inquiète, tu seras le premier averti et ne pars pas sans me dire au-revoir.
- Oh mais j'en avais pas l'intention ! De partir comme un voleur, je veux dire, j'avais bien dans l'idée de te dire au revoir, enfin si... non... quand je partirai... »

Bon et je vais arrêter de tenter de me justifier, de me rattraper aux branches parce que c'est de pire en pire... Du coup je suis ravi qu'il relance la conversation. Et puis, c'est pas comme si c'était pour aborder un sujet qui ne me plaisait pas...

« C'est quoi ta boîte ?
- Pour l'instant, c'est qu'une coquille vide mais je perds pas de vue l'idée de la voir réellement exister un jour... Je tente de monter une société de jeux vidéos en fait. Je sais, ça fait vraiment gamin attardé... »

Je me sens toujours obligé de me justifier vu que ce domaine a tendance à faire penser que je ne peux pas être sérieux, pourtant je le suis on ne peut plus.

« Je sais que je pourrai pas concurrencer les grosses boîtes qui mettent des tonnes de zéros aux budgets de tous leurs projets, mais c'est aussi une question de gestion. Et de débrouille. Et puis des idées, des projets, j'en ai plusieurs déjà, mais il me manque un programmeur. Ça va être le premier truc à gérer... et un commercial aussi parce que ça par contre, j'y arriverai jamais... Je pense que je peux gérer les chiffres et l'administratif, mais vendre mon bébé, je sais que j'en suis pas capable... »

Euh... puis je vais peut-être arrêter de monologuer dans mon coin, non ?

« Hum... pardon, je m'emporte un peu je crois... »

Un petit sourire contrit et une main nerveuse dans mes cheveux témoignent de mon embarras.

« Quand je dis que je suis un vrai geek et que tu m'aurais détesté à l'époque... »

Je l'ai toujours été et je crois que je le serai toujours, toute ma vie... mais au final, j'en ai pas vraiment honte même si ça m'a parfois desservi... Et puis, je suis plutôt soulagé qu'on ne soit plus des adolescents, mal dans ma peaux et souffre-douleur des petites frappes de mon bahut pour ma part, plutôt du côté de mes tortionnaires pour lui... Ça aurait été dommage que l'on se rencontre dans ces conditions. Au moins aujourd'hui, même si elles ne sont pas super plaisantes, il y a des choses qui nous rapprochent. Et je suis réellement heureux d'avoir fait sa connaissance.

J'imagine évidemment pas que je viens de citer le point qu'on aurait pu avoir en commun, plus jeunes. J'aurais pas vraiment cru, d'ailleurs, comme ça. Faut dire que chez moi, quand t'étais fan autant que moi je pouvais l'être, tu te faisais charrier. Jouer à des jeux vidéos, c'était ok, mais être à ce point à fond de vouloir finir en le moins de temps possible, parler quasiment que de ça, et être persuadé d'un jour créer ses propres jeux, c'était pas tout à fait le même délire. Les mecs populaires, ils allaient plutôt jouer au foot. Et moi, mes cahiers et mes dessins, ça intéressait pas grand monde. Au mieux, on venait squatter mes manettes - principalement parce que ça venait me faire chier en prime - au pire, j'avais le rôle de la tête de turc dans la classe.

« J'étais con à l'époque, mais j'aimais les jeux vidéos, je les aime toujours d'ailleurs. J'ai plusieurs consoles à la maison, qui vont finir par être pleines de poussière quand je vais rentrer et puis j'ai quitté l'école tôt, je n'ai jamais passé ma graduation. Alors peut-être bien que c'est mieux d'avoir été un geek plutôt qu'un élève du fond de la classe.
- Si t'as besoin d'aide pour les dépoussiérer quand tu rentres, je suis ton homme ! »

Cri du coeur. Non mais on parle de jeux vidéos là quoi... C'est un sacrilège, c'est pauvres consoles qui prennent la poussière. Comme les miennes d'ailleurs, mais passons. Prochainement, donc, je pourrais les remettre en route, et j'avoue que ça, ça me motive un peu plus. Ca, et ma boîte, évidemment.

« C'était quoi ton jeu favori, du coup ? »

Non parce que je suis curieux pour la peine. Perso, je crois que j'aime à peu près tout - même si les jeux d'horreur sont capables de me rendre malade - mais il faut que j'évite les MMORPG sous peine de ne plus décoller de mon écran et de vivre dans le monde virtuel en question. J'essaie d'imaginer ce qu'il peut me répondre, sans parvenir à me faire une idée. En même temps, si on me retourne la question, je sais pas quoi répondre non plus. Je suis assez compétitif sur les jeux de baston - un peu trop même, et je suis capable de m'énerver dessus, ce qui me ressemble pas trop le reste du temps, pourtant ma manette en garde des stigmates - j'adore me casser la tête sur les jeux d'énigmes, j'ai un côté accroc au loot sur les RPG, et je peux pas m'empêcher de faire tous les stages de fond en comble sur les jeux de plateforme...

« Puis tu sais... Il est jamais trop tard. Il y a plein de gens qui passent leurs diplômes plus tard... »

Je doute pas une seconde que t'en serais capable. Puis si y a besoin, je peux toujours essayer de te filer un coup de main. Enfin je propose pas mon aide à haute voix encore, sans doute parce que je sais pas ce qu'il pense de tout ça, mais je sais que, si jamais il se décidait à passer sa graduation maintenant, je pourrais toujours l'aider à réviser. Il doit bien me rester des souvenirs du secondaire, après tout...

J'avoue, j'aurais pas forcément cru qu'on aurait pu avoir ce point-là en commun. La drogue, le fait d'aimer les garçons, d'accord, c'était assez évident, mais ça, c'est une surprise et plutôt une belle d'ailleurs. Du coup, je peux pas m'empêcher de le questionner à ce sujet, et son sourire devant mon enthousiasme certain ne risque pas de m'arrêter.

« Call of duty et Assasin's Creed je n'arrive jamais à me décider entre les deux.
- Ah c'est sûr que c'est pas tout à fait le même genre... En fait, j'ai hâte de sortir pour pouvoir tester le nouveau Assassin's. Tu sais que je suis un peu frustré qu'ils aient choisi Londres à cette époque pour le nouveau ? C'était une de mes idées, un rpg un peu steam punk dans le Londres victorien... mais ça risquerait de faire un peu plagiat maintenant alors va falloir que je tourne ça autrement... »

Moui je m'enflamme encore tout seul.. pardon.

« Ah et j'ai pas mal joué à need for speed même encore maintenant.
- J'ai jamais été super fan des jeux de course par contre, mais en vrai c'est parce que c'est le genre où je suis super nul. Le seul truc sur lequel je passe des heures, c'est sur le design des voitures... »

Bon bah évidemment, fallait encore que je dise une connerie. Le sujet des études, donc, c'était pas une bonne idée, même si ça partait d'un bon sentiment, je le vois à sa tête alors que je suis pourtant parfaitement sincère. Je n'insiste donc pas quand il relance la conversation vers moi.

« Donc toi tu as été à la fac je suppose ? Dans une matière scientifique ?
- Non en fait, j'ai fait une école d'infographie. Je suis venu à Londres exprès. Enfin, j'ai dû faire une année de fac avant parce qu'ils ont pas pris mon dossier la première fois, du coup, j'ai fait un an d'histoire de l'art avec une option informatique - ouais on m'a regardé un peu bizarrement quand je me suis inscrit - mais du coup, ça m'a permis de payer le loyer en faisant aussi un peu de free-lance en web design, après, même si c'est rudimentaire. Du coup, va falloir que je trouve un programmeur assez taré pour se lancer dans un projet aussi aléatoire que ma petite boîte indépendante, en premier lieu, et ça, ça va déjà être un gros morceau... »

Découragé d'avance ? Non pas vraiment mais je reste conscient que ça ne va pas être facile. Réaliste donc, simplement. Sur ce point toujours parce que c'est vraiment ma principale qualité dans d'autres domaines...

« Et ensuite trouver un autre taré capable de vendre nos jeux à des distributeurs, parce que si c'est moi qui m'y colle, on peut direct mettre la clé sous la porte, les mecs vont juste me rire au nez tellement je serais pas à l'aise et j'aurais l'air trop pas sûr de mon projet. Alors que c'est pas vraiment ça en fait. »

Je suis pas forcément très bien dans mes baskets et sûr de ce que je fais de ma vie, mais je sais ce que je veux faire de mes projets de jeux, et je suis sûr que ça peut marcher. Ca, j'y crois. Je sais juste que je suis incapable de le vendre...

J'aurais bien voulu avoir ma console, là, et lui proposer de jouer un peu. A ce qu'il veut, d'ailleurs, parce que j'ai mes jeux préférés comme tout le monde, mais je suis pas vraiment difficile quand il s'agit de jeux... Je suis beaucoup plus exigent concernant ce que je veux mettre en place, en revanche. Je laisserai pas le moindre détail au hasard, j'aurais trop peur que ce soit ce détail qui fasse tout foirer. Et ne pas étudier le reste du marché, ce serait clairement une bêtise. Proposer un jeu similaire à un best-seller serait suicidaire.

« Tu peux utiliser la même époque sans que ce soit le même contexte, ils font bien des tas de films du même genre sans que ce soit du plagiat pour autant.
- Sans parler de plagiat, si je sortais un jeu trop proche d'un best seller, je souffrirais beaucoup trop de la comparaison, ça aurait toutes les chances de me porter préjudice avant même d'avoir commencé en fait... »

Evoquer mon projet avec quelqu'un de façon aussi naturelle le rend plus réel, je crois, et je me retrouve songeur un petit instant après qu'on a évoqué mon parcours, jusqu'à ce qu'il reprenne la parole.

« Il faut que tu partes d'ici… »

Une petite seconde, je me demande ce qu'il veut dire. Faut que je dégage ou... ?

« Enfin pas là tout de suite... »

Petit sourire contrit de ma part, ça se voyait tant que ça que j'avais l'impression de me faire virer, là ? Je suis soulagé, j'avoue, qu'il n'ait pas voulu dire de partir.

« ...mais retourner à la vraie vie. Monte ta boîte et crée-toi une nouvelle vie. Tu as tout qui est à portée de main, tente ta chance, ça sera toujours mieux que d'être ici.
- C'est sûr que l'institut c'est pas l'endroit le plus glamour du monde... Mais y a des bons côtés aussi. Je t'aurais sans doute pas rencontré sinon... »

Un petit sourire un peu gêné, comme je regrette presque aussitôt que ces mots puissent être mal interprétés et je passe ça sous silence, dans l'espoir de peut-être un peu moins me taper l'affiche.

« Mais toi aussi, t'as intérêt à sortir d'ici bientôt ! Y a pas de raison pour que les choses s'arrangent plus pour moi que pour toi. Puis... Si y a quoi que ce soit que je peux faire pour t'aider, t'hésite pas, hein ? »

Je crois que cette pourtant assez courte conversation a fini de me rassurer, et que ma décision est finalement pas si difficile à prendre. Et je voudrais bien que ça soit le cas pour lui aussi. Ca va me faire drôle, c'est certain, de plus l'avoir juste à côté, mais je veux croire qu'on perdra pas le contact pour autant.

« Tu me promets ? Que tu sortiras vite, et qu'on continuera à se parler ?... »

Parce que j'ai franchement pas envie du contraire.

« Promis ?... »

Je tends la main, comme pour valider ladite promesse. Et j'espère qu'il va pas me mettre un vent, parce que j'aurais sans doute l'air sacrément con là... Bon ça serait pas la première fois que ça m'arriverait, mais c'est jamais super agréable, il faut bien avouer.

« Tu as sans doute raison, c’est toi l’expert après tout et je peux comprendre que tu veuilles quelque chose de spécial. Je te souhaite de réussir en tout cas.
- Houla, je suis loin d'être un expert en quoi que ce soit... Mais je me dis que si on se démarque, on a plus de chances d'être remarqué, justement, que si c'est une pâle copie d'un truc déjà existant... »

En tout cas, je n'ai pas l'intention d'abandonner mon rêve. Ni de l'abandonner, lui. Sortir d'ici, ça ne veut pas dire que je vais cesser d'avoir tout contact avec lui. Il fait partie des belles rencontres que j'ai pu faire dans ma vie, et j'ai pas l'intention de m'en priver. Il n'y en a pas tant que ça, après tout. Et puis... C'est sans doute pas le meilleur endroit pour rencontrer quelqu'un, mais pour ce qui nous concerne, c'est pourtant ce qui nous rapproche, et rien que pour ça, je crois que ça valait le coup. Je suppose que rien n'arrive jamais par hasard...

« On se serait peut-être pas autant intéressé l’un à l’autre si on n’avait pas été ici, c’est sûr, c’était peut-être écrit, mais ne t’inquiète pas. Je suis certain qu’on se reverra en dehors du centre, je n’en doute pas et j’ai confiance en toi. »

Je suis un peu bouche bée, là. C'est pas souvent qu'on me dit qu'on a confiance en moi, et venant de lui, ça me touche profondément. Je reste bloqué sur ses mots, sur son sourire quelques instants, sans savoir quoi répondre réellement à part le « Euh... merci... » embarrassé qui finit par passer la barrière de mes lèvres. Et je finis par lui dire de ne pas hésiter à me contacter, et à vrai dire, je crois que c'est autant pour lui que pour moi. Ca me ferait de la peine, je crois, de perdre sa compagnie. Même s'il s'agit seulement de quelques textos, ça m'ira.

« Je n’hésiterai pas. J’ai ton numéro de toute manière et puis tu… tu vas me manquer.
- Toi aussi tu vas me manquer... »

C'est sorti tout seul, naturellement, mais ça me fait bizarre de lui dire ça, comme ça. Et j'espère sincèrement qu'il pourra sortir rapidement. Parce que ça signifiera sa guérison, déjà, mais aussi parce que je sens bien que je vais avoir du mal à me faire à l'idée que je peux pas le voir quand je veux. Les visites sont réglementées, après tout...

« Je ne peux pas te promettre de sortir vite, je crois que j’ai besoin d’encore un peu de temps. Je ne me sens pas prêt, mais je te promets que l’on se reverra et que l’on continuera de se parler. Je ne pourrais plus faire sans de toute manière. C’est devenu un rituel de te parler quand ça ne va pas. »

Je souris à ces derniers mots. Je comprends bien qu'il ne puisse pas donner de délai, il sortira quand ce sera le bon moment. Mais ça me fait plaisir qu'il me promette qu'on garde contact et plus encore de savoir que ça lui fait du bien de parler avec moi.

« Je fais pourtant pas grand chose de spécial mais... Je suis content que ça te fasse du bien. Et tu sortiras quand tu seras prêt à le faire, bien sûr. Et je te promets que je serai là ce jour-là. »

Je lui ai serré la main, et puis je me suis levé, un peu embarrassé et ayant clairement besoin de bouger pour oublier - un peu - le trop plein d'émotions que cette conversation génère.

« Je vais te laisser à tes partitions... Et retourner à mes dessins... Enfin sauf si tu veux que je reste... »

Je veux pas non plus qu'il ait le sentiment que je fuie même si c'est un peu le cas, ou que je veux éviter de rester en sa compagnie, ce qui en revanche est complètement faux. Moi aussi, ça me fait du bien de parler avec lui, et je suis pas sûr que je serais déjà prêt à partir s'il avait pas été là. Je suis pas très doué non plus pour dire ce genre de choses, je suis plutôt réservé sur bien des points, mais une chose est certaine, je suis pas près de l'oublier, lui, et le jour où je partirai - j'imagine dans les semaines à venir - j'espère bien qu'il sera là pour me voir monter dans le taxi qui me ramènera à Londres, que je puisse lui dire au revoir comme il faut.