"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici through thick and thin (lexie) 2979874845 through thick and thin (lexie) 1973890357
Le Deal du moment :
Pokémon Évolutions Prismatiques : ...
Voir le deal


through thick and thin (lexie)

 :: It's over :: Corbeille :: Anciens RP
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Mer 25 Fév 2015 - 15:49 par Invité
Mon doigt passa lentement sur les quelques lettres inscrites sur mon agenda. Aujourd’hui, 17h30, rendez-vous chez le médecin. Je restai impassible. J’avais l’impression qu’on me faisait une arnaque monstrueuse mais que je tombais quand même dans le piège. J’allumai une cigarette et laissai la cendre tomber nonchalamment sur la page. Mon écriture traduisait la lassitude et la résignation. Toujours le même. « vous n’irez pas, mais notez-le quand même », m’avait aimablement demandé l’infirmière la dernière fois que je m’étais retrouvé cloué à un lit d’hôpital. « on pourra essayer de régler votre problème d’insomnies, à défaut de vous convaincre d’arrêter de fumer », eh ouais, il est terriblement fort, ce corps médical. « vous buvez beaucoup de café ? ». Raisonnablement, avais-je répondu d’un air absent. « qu’est-ce que vous mangez ? décrivez-moi votre hygiène de vie », et sa question avait eu le don de faire apparaître sur mon visage un sourire narquois. Un léger sourire, comme un petit rictus volé, mais bien présent, bien réel. Je ne mange pas, avais-je soufflé, à moitié sincère, tournant lentement mon visage vers elle. Je bois du café et de la vodka, avais-je continué, et j’oublie de manger. « vous devriez sérieusement songer à aller à ce rendez-vous, Thomas », mais je n’avais pas répondu. « vous devriez être mort, si tout ce que vous me dites est vrai, c’est assez surprenant que vous teniez encore debout ». Ça tombe bien, je suis sur un lit d’hôpital, non ? avais-je sifflé, moqueur, et elle m’avait souri d’un air navré et amusé. « essayez de dormir un peu », ouais, c’est ça, donnez-moi de la morphine plutôt, avais-je grincé d’une voix suffisante et charmeuse. Peut-être que je m’en voulais un peu, finalement, d’être aussi méprisant avec le corps médical. Surtout quand je tombais sur des infirmières sympas. Elles ne méritaient pas ça, elles ne méritaient pas ma mauvaise humeur et mon pessimisme. Elles ne méritaient pas ma damnation personnelle et mon égoïsme. Et je n’avais pas mérité cette morphine, mais elle me l’avait quand même donnée, parce que l’être mesquin que j’étais lui avait fait croire que j’avais mal. Ma douleur était surfaite, elle aussi.

J’hésitai à écraser mon mégot sur la page de mon agenda, juste à l’heure du rendez-vous mais le souvenir du regard doux et concerné de l’infirmière retint mon geste et finalement, il atterrit sur mon bureau. Même plus de cendrier. Même plus de dignité. Même plus de volonté, de résignation ou de véritable personnalité. Juste une peau blanche, presque livide, comme les murs d’un hôpital. Ils n’arriveraient pas à me faire arrêter d’être aussi énervant, alors pourquoi vouloir m’enlever mes clopes et mes insomnies ? Elles faisaient de moi un genre de personnage torturé et appréciable. Décrivez-moi votre hygiène de vie, n’était-ce pas là la question la plus stressante de l’existence ? Avait-on déjà cessé d’avoir peur du jugement d’un médecin ? Pire encore, un médecin était-il encore capable de juger ? Après avoir entendu les horreurs les plus laides et vu les êtres les plus méprisables ? Je pianotai machinalement sur le bord de mon bureau, pensif. Ca me donnait presque envie d’aller au rendez-vous pour qu’il m’affronte. Comme pour me persuader que ça briserait mon ennui. Vous ne pensiez tout de même pas que je pensais que guérir était possible, si ? Oh, on pouvait surmonter les insomnies. On pouvait arrêter de fumer. On pouvait retrouver une alimentation stable. On pouvait cesser de boire. Mais on ne pouvait pas oublier ces sensations. Elles étaient si singulières. Un mal-être paradoxalement couplé d’une plénitude étrange. J’aimais l’ivresse, j’aimais l’état de semi-conscience dans lequel je planais à chaque instant, j’aimais mes clopes, même si elles n’avaient plus de goût, j’aimais mes trous de mémoire et mon odeur de tabac froid, je les aimais profondément car je savais que je détesterais bien plus violemment leur absence si on me les enlevait un jour. Et vous ne m’aviez jamais vu détester une chose. Vous m’aviez seulement vu en mépriser d’autres. Quelle pâle copie de ma noirceur.

Je me laissai retomber sur le dossier de ma chaise avec désinvolture avant de me décider à me lever et attraper mon manteau pour sortir. Je partis les mains dans les poches. Juste mon portefeuille et mes cigarettes. Je ne pris pas la peine de mettre une cravate ou de me rincer le visage – pour effacer les cernes, croyait-on. Je n’avais rien à cacher. Décrivez-moi votre hygiène de vie, oh, mais je suis un putain d’échec, tu sais. Je suis tout ce que tu veux sauver, en vain. Je suis le type mystérieux du dernier lit, tout au fond du couloir, qui a un peu oublié ce qu’il faisait là, ses cheveux noirs et ébouriffés dansant avec le clignement hagard et détaché de ses yeux fatigués. Et t’avais envie que je souris, que je revienne en disant que j’allais mieux, que je te remercie. Mais ça aussi, j’avais oublié comment faire. Mes bonnes manières s’étaient noyées dans les reflets cuivrés du verre resté sur le bar alors que j’avais rejoint le sol, inconscient. Et peut-être qu’avec un peu de chance, je vivrai seulement quelques mois de plus – mais j’étais trop suffisant pour mettre fin à mes jours : c’était quoi ces conneries ? Autant négliger son corps le plus longtemps possible, si on se détestait tant.

Dehors, l’air était froid et grippal, mais sec. Très désagréable. Je m’empressai de filer vers la bouche de métro la plus proche et de m’y engouffrer. Une fois dans la rame, je m’installai contre la vitre et comptai les stations qui me séparaient de l’hôpital, une à une, dans ma tête. Je savais que je m’en approchais petit à petit, mais je gardai les yeux fermés et ne bougeai pas. J’entendis le métro freiner et les portes s’ouvrir. Pas de réaction. Comme une dernière hésitation un peu fatale. Puis le quai disparut à l’extrémité du tunnel. Etrangement, je n’étais pas convaincu. J’étais comme dans un entre-deux désagréable. Il me fallait une raison de plus pour aller à ce rendez-vous. Alors je laissai le métro me guider vers celle-ci. Et je restai immobile, un mince sourire aux lèvres. Je savais où je voulais vraiment aller. Je savais qui je voulais vraiment voir. J’ouvris les yeux et vis la population du métro changer progressivement. Jusqu’à ce que je me décide à sortir moi-même. Je grimpai les escaliers et me retrouvai à nouveau dehors dans un froid austère qui me fit froncer le nez. D’un pas décidé, je marchai jusqu’à l’immeuble recherché. Celui d’Alexandra. Je n’étais jamais allé chez elle, mais une fois la station de l’hôpital dépassée, je n’avais pas hésité à venir jusqu’ici, une sorte de besoin soudain et inattendu animant mes muscles engourdis. Le besoin de m’en moquer avec elle. Mais aussi le besoin de la traîner avec moi vers les fameux murs blancs qui me donnaient mal à la tête. Qui faisaient ressortir de manière presque insoutenable le rouge de mon sang et la pâleur maladive de ma peau. J’avais une petite heure et demie à tuer avant le rendez-vous. J’attendis patiemment à la porte du bâtiment, jusqu’à ce que quelqu’un en sorte, puis je m’infiltrai à l’intérieur comme un voleur. Je montai les marches menant à son palier et m’arrêtai devant sa porte, posant mon front dessus pour en capturer la fraîcheur. Puis je toquai lourdement trois coups secs en grommelant : « Lexie, c’est moi, Thomas. » Ma voix s’était étirée sur son prénom, et j’attendis d’entendre ses pas se rapprocher de moi avant de retirer mon crâne de la porte. Elle ouvrit et je lui adressai un sourire étrange : à la fois complice et navré, rieur et narquois, comme si je lui préparai un mauvais coup qu’elle allait adorer. Et quel coup, dites-donc. « Viens à l’hôpital avec moi. Allons nous faire soigner. Mon rendez-vous est dans une heure et demie. » Je plaçai ma main gauche blessée sur la plainte de la porte, précautionneusement, comme si j’avais peur de salir la peinture avec mon bandage écarlate. Mais le sang avait séché depuis longtemps. J’avais oublié d’avoir mal, encore une fois.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Jeu 5 Mar 2015 - 1:33 par Invité
Je refermai un peu vivement la porte du frigidaire. Je venais d’y déposer les plats chinois que j’avais pris le temps d’acheter sur le chemin du retour. Kenzo rentrerait tard ce soir, et sûrement affamée comme à son habitude. Pour ma part, si l’appétit me faisait de plus en plus défaut, je m’efforçais de ne pas faillir à mes tâches et de faire le plein de provisions lorsque venait mon tour. Je retournai au salon, une bouteille d’eau sous le bras, finissant distraitement de répondre à son message, tout en jetant un coup d’œil au vieux clip musical qui s’échappait de l’écran de télévision. Je lançai un regard las au travers de la fenêtre. La lumière bleue de la journée donnait un relief étonnant aux nuages lointains. J’avais hâte qu’un orage éclate. Je l’espérais pour cette nuit. Les orages lavaient les ciels, la ville, et j’en avais besoin. J’exerçai distraitement de légères pressions sur le creux de mon bras avant d’abandonner, résignée. Les infirmières disaient qu’il fallait constamment reprendre ma fistule, qu’elle se bouchait, que je n’en prenais pas soin, que les veines s’affaissaient et empêchaient la pénétration du drain. J’en connaissais la douleur maintenant et je la craignais plus qu’elle ne me faisait souffrir. La souffrance n’était plus seulement maîtrisée à l’intérieur du corps, elle était provoquée artificiellement par une intervention extérieure, cachée derrière le prétexte de la soigner. Je n’y trouvais plus aucun sens mais restais contrainte de m’y soumettre. J’avais essayé d’utiliser les quatre heures de dialyse de la matinée de manière efficace. Je m’étais penchée sur d’anciens cours dans l’espoir d’exercer ma mémoire, j’avais été aimable avec les autres patients, m’étais intéressée à leur parcours, leurs expériences. J’avais donné le change et tenté de penser à autre chose. Mais ça ne durait que le temps de cet instant. Dans le fond, je n’y voyais plus qu’une guerre épuisante que j’étais contrainte de mener malgré l’évidence de ma défaite. Les journées ne faisaient que s’enchaîner et je devais y faire face, matin après matin, harassée du combat de la veille et déjà des batailles à venir. Je reconduisais l’effroi de ce quotidien, dans les couloirs sans fin de l’hôpital, aux machines bruyantes et sophistiquées. J’avais beau m’évertuer à m’agiter, m’occuper, me rebeller, je me voyais changer sans rien pouvoir y faire. A présent, j’étais également persuadée que personne ne verrait plus jamais en moi ce que James avait semblé percevoir. Ce qu’il avait voulu me montrer. Il m’avait rendue belle, un instant, et maintenant, je ne pouvais qu’avoir conscience que le charme était rompu. Je n’avais aucune idée de ce qui était censé venir ensuite, je souffrais simplement d’une sensation absurde d’impuissance et d’attente sans fin. Tous les possibles s’étaient éteints, beaucoup plus rapidement qu’ils n’avaient mis de temps à naître. Je me laissai aller dans le fond du canapé avant de sursauter presque instantanément en entendant les coups à la porte. Je fermai les yeux une seconde, espérant que ce temps d’attente suffirait à faire fuir les démarcheurs. Je n’avais aucune envie d’écouter leurs arguments, aucune intention de leur acheter quoique ce soit, aucune énergie pour le leur faire comprendre poliment. « Lexie, c’est moi, Thomas. » finis-je par entendre dans un marmonnement sourd et je relâchai mes épaule, en reconnaissant sa voix. Tout ceci était de toute façon ridicule. Personne ne pouvait vraisemblablement croire en mon absence étant donné le volume exagérément élevé de la musique. J’en baissais le son avant de lui ouvrir la porte. Son regard noir et effronté attrapa le mien et j’inclinai la tête sur le côté comme seul salut, amusée d’en savoir la cause. « Viens à l’hôpital avec moi. Allons nous faire soigner. Mon rendez-vous est dans une heure et demie. » Je le dévisageai quelques secondes sans comprendre. Tout me laissait croire dans son sourire qu’il ne s’agissait là que d’une plaisanterie, tout aussi sombre soit-elle, dans ces circonstances. Mais je percevais ensuite dans son regard une ébauche d’excuses, excuses de m’entraîner en enfer avec lui, excuses de s’en moquer et d’oser quand même plutôt que d’y aller seul. Je plissai les yeux un instant. « Je savais que je n’aurais pas dû te donner mon adresse. » marmonnai-je d’un air sérieux tout en ouvrant finalement la porte en grand pour le laisser entrer. J’avançai dans le salon et attrapai la télécommande pour éteindre la musique avant de me retourner vers Thomas qui m’avait suivi. « Tu as l’air en forme pourtant. » repris-je en lui adressant un regard malicieux. « Pourquoi veux-tu t’infliger ça ? J’ai fait quelque chose qui t’a déplu ? » Je plaisantai  à peine, pour ne pas avoir à répondre, pour ne pas avoir à savoir. Avait-il pensé à moi pour une raison particulière ? A notre rencontre, il avait été celui qui m’avait poussée à ne pas rentrer dans l’hôpital, il avait été le signe que je recherchais. Et il me demandait à présent d’être celle qui l’accompagnerait. J’avais l’impression qu’il rompait ici un contrat pourtant inexistant. Mon regard dériva sur sa main bandée et teintée de rouge. Je ne savais pas si Thomas avait l’air particulièrement mal en point ou au contraire fringuant. Je l’avais toujours vu ainsi, ses boucles emmêlées, son visage creusé et ses yeux perçants. Je trouvais cela singulier et familier en même temps, rassurant et énigmatique. J’avais été tellement inattentive sur ce point-là, comme d’habitude. Tellement inattentive pour ne plus avoir à constater ces mal-être, ces maladies, ces appels à l’aide qui parsemaient mon quotidien.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Sam 7 Mar 2015 - 0:49 par Invité
« Je savais que je n’aurais pas dû te donner mon adresse. » Je ricanai doucement à sa remarque. Pourtant, ça se voyait que j’étais un type malhonnête et étrange. Mais ils s’acharnaient à se dire que non, je n’étais pas que ça. Lexie, vraiment. On ne fait pas confiance aux hommes qui vous disent de ne pas aller à l’hôpital et qui fument deux clopes par minute. Je croyais que c’était clair dans les esprits, ce genre de principes. Apparemment, non. « Oh, mais j’aurais dû te préciser que j’étais un type chiant. » répondis-je dans un sourire alors qu’elle me laissait entrer. Pourquoi Lexie ? Des gens, à l’hôpital, je commençais à en connaître, et certains étaient très sympas. Ils n’auraient pas hésité à m’accompagner, à discuter, à me rassurer, à cracher sur les médecins qui n’ont pas les mots que l’on veut entendre. Mais je m’étais traîné jusqu’à cet appartement avec une sorte de satisfaction dans les gestes : c’était bien plus drôle de m’adresser à Lexie pour jouer le rôle auxiliaire. Elle allait refuser, et moi, j’allais la convaincre. Peut-être que je m’en foutais vraiment d’aller à l’hôpital. Peut-être que j’étais juste venu l’emmerder un peu. Oh, peut-être. Il y avait des choses que je gardais pour moi. Ça faisait partie de l’aspect énigmatique que je me donnais tous les jours – ne faites pas les frustrés, pitié.

Je pénétrai dans son appartement et balayai l’espace d’un regard discret. C’était toujours surprenant de découvrir le foyer d’un autre. J’avais l’impression que l’on me disait un secret au coin de l’oreille, que l’on me le chuchotait et que tout autour de moi me fixait car je n’aurais rien dû savoir. Alors je me suis retrouvé planté au milieu de son séjour et j’observais les moindres détails avec l’air félin qui m’était propre. Lexie éteignit la musique. Reflexe de chat, je me tournai vivement vers elle. Le moindre changement me faisait toujours tiquer. Elle avait le regard pétillant. « Tu as l’air en forme pourtant. » Je lui adressai un sourire navré en penchant la tête. En vérité, j’étais en forme. Je n’étais pas à demi-mort sur le sol, je n’avais pas une soudaine crise, des spasmes incontrôlables ou une migraine insoutenable, je souriais et restais aimable. Voilà quelques signes qui prouvaient mon bien être. « Peut-être, mais tu comprends, ce rendez-vous-là, je l’ai noté. C’est un signe du destin. »ou une connerie du genre, pensai-je pour moi-même. Dieu s’était penché sur mon cas en fronçant les sourcils, c’était sûr, et il me poussait à aller voir son archange le médecin pour qu’il m’annonce tout ce qui allait m’arriver. Je souris à cette pensée. Quel narcissique j’étais. A croire qu’Il pensait à moi, quelque part entre les nuages. Qui sait, j’allais peut-être retrouver Sa voie un jour. « Pourquoi veux-tu t’infliger ça ? J’ai fait quelque chose qui t’a déplu ? » Attendait-elle que je lui dise que non, qu’elle était parfaite et immaculée ? Les gens faisaient toujours des choses qui me déplaisaient. Moi le premier. Quand je restais inerte sur mon matelas, le son de la télévision me chantant une berceuse électrique, un mal de tête désagréable me grillant le crâne, je me déplaisais. Quand j’étais prétentieux et que je manquais de volonté et de joie de vivre, je me déplaisais. Quand je n’allais pas à l’hôpital alors que j’y avais ma place, je me déplaisais. Et quand j’y allais quand même avec résignation, le regard dénué d’espoir, je me déplaisais aussi. Je détesterais me rencontrer en vrai. Le type sur le parking qui dissuade une jeune malade d’aller se faire soigner : quelle plaie, ce Thomas. « Non, j’ai eu une révélation. Je me suis réveillé ce matin et je me suis senti en harmonie avec le monde. » Voilà que je prenais mon ton emphatique et suffisant, tant empreint d’ironie qu’on en oubliait de rire. J’avais les yeux rivés vers la fenêtre et laissai la lumière m'aveugler tendrement, pensif. « Plus sérieusement, il faut que je me rattrape. L’autre fois, tu n’y es pas allée à cause de moi, cette fois je vais t’y traîner. Je paye toujours mes dettes. » Je m’étais tourné vers elle avec un sourire narquois, presque charmeur. Tu ne vas pas me refuser ça, Lexie, si ? Je savais que la jeune fille serait difficile à convaincre, et que j’allais patauger un peu avant qu’elle n’accepte, mais je ne perdais pas espoir. La scène était si absurde, j’en ris presque. J’étais sûrement la dernière personne à laquelle elle aurait pensé pour jouer un tel rôle. Je n’avais pas l’allure de celui qui désire embrasser une vie meilleure, tout comme je ne ressemblais pas à celui qui se repent et recherche la sérénité. J’avais l’air d’être un arnaqueur, mais qui faisait sourire ceux qui connaissaient ses astuces.

Je fis un quart de tour et pris appui sur le canapé, les bras tendus, la fixant, mes traits légèrement rieurs. Si je m’asseyais, je n’allais jamais me relever, c’était certain. Je me voyais déjà prendre place au milieu de son séjour comme si c’était le mien, m’enfonçant lentement dans le coin du sofa, jusqu’à en oublier l’horaire même du rendez-vous. Je n’avais pas de volonté. Toutes ces années à penser que j’étais au-dessus des autres étaient aujourd’hui démenties : je n’étais pas au-dessus. J’étais même loin en-dessous, dans la vase du monde, et je cherchais peut-être une échappatoire improvisé en adressant ce mince sourire à Lexie. Je n’avais pas de volonté, elle était morte avec ma dignité. « Tu vas pas m’obliger à te tirer par le bras quand même. » Je penchai la tête, une lueur goguenarde dans les yeux. Machinalement, ma main vint saisir mon paquet de cigarettes et j’en glissai une entre mes lèvres sans vraiment y penser. Ce fut à l’instant où je trouvai mes allumettes que je suspendis mon geste pour adresser à Lexie un regard interrogateur : « On peut fumer ici ? » Politesse de dernière minute. Parce que oui, je n’avais ni volonté, ni dignité, mais je restais toujours aimable et courtois. Cela correspondait à, vous savez, mon personnage. C’était une politesse un peu décalée, un peu inattendue. Tout ce que j’aimais. Et il fallait qu’elle s’en contente. Je suis en forme, Lexie, je suis sympathique et je te fais rire ? Tu n’as pas envie de connaître le Thomas qui nage dans la vase humaine. Parce qu’il avait fini par s’y plaire, à force d’y rester.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Lun 9 Mar 2015 - 1:27 par Invité
J’entendis la porte se refermer et je ne me retournai pas. C’était aussi simple que cela. Je n’aurais pas du lui donner mon adresse, avais-je dit. Je n’aurais pas du lui laisser l’occasion de croire que je pouvais accepter sa proposition, et pourtant je le laissais entrer et prendre possession des lieux sans même m’en soucier. Mon incohérence me sautait aux yeux et il s’en servirait certainement. Il se servait de tout, je l’avais cerné. « Oh, mais j’aurais dû te préciser que j’étais un type chiant. » railla-t-il sans culpabilité aucune et j’arquai un sourcil, sans pouvoir empêcher mes lèvres de s’étirer en un sourire amusé. Il n’avait pas eu besoin de le préciser. Je m’étais arrêtée à sa hauteur sur le parking, je lui avais demandé une cigarette alors que je ne fumais pas, que je ne pouvais plus fumer, et puis j’étais restée avec lui. Nous ressemblions à deux égarés au bord d’une route, deux rescapés d’un terrible accident hésitant à aller demander de l’aide, dans le bâtiment juste en face. J’avais été intriguée par lui et pour cela, je savais qu’il m’attirerait des ennuis. C’était ainsi, je courais vers les problèmes dès que j’en décelais un. En leur absence, j’en créais de toutes pièces. C’était tout ce que j’avais toujours connu. Tout ce que j’étais.  « Peut-être, mais tu comprends, ce rendez-vous-là, je l’ai noté. C’est un signe du destin. » Je levai les yeux au ciel face à l’ironie de sa réponse. Il se moquait de moi, il était venu pour se jouer de moi. Et je laissais effectivement ses plaisanteries résonner dans mon esprit. J’étais certaine qu’il ne pouvait pas comprendre. J’étais certaine qu’il ne pouvait pas imaginer ce qui se provoquait en moi à chaque fois que je passais les baies coulissantes d’un hôpital. Je capitulais à chaque fois, je me résignais. Je me laissais à l’extérieur. Je n’avais aucune envie d’y retourner sans y être obligée. « Non, j’ai eu une révélation. Je me suis réveillé ce matin et je me suis senti en harmonie avec le monde. » A l’entendre, les décisions qu’il prenait en ce jour semblaient toutes empreintes d’une spiritualité improvisée. Je les accueillais d’un air détaché quoique diverti. Tout était plus simple pour ceux qui y croyaient, pour ceux qui se laissaient guidés ainsi. Nous étions les laissés-pour-compte, incapables d’être tranquilles ou sûrs puisque ne connaissant que l’ambiguïté et l’équivoque. Nous n’avions comme héritage que l’aléatoire et le suspect, rien ne nous était dicté. « Ca en dit long sur l’état du monde. Plus que sur le tien. » Je me penchai pour m’emparer de la bouteille d’eau en plastique sur la table basse et la débouchai distraitement lorsque Thomas se retourna vers moi, tournant le dos à la fenêtre. « Plus sérieusement, il faut que je me rattrape. L’autre fois, tu n’y es pas allée à cause de moi, cette fois je vais t’y traîner. Je paye toujours mes dettes. » Je réprimai l’envie de lui signifier que je n’y serais pas allée d’une manière ou d’une autre. Que c’était ce que je faisais toujours. Je cherchais des excuses, je faisais marche arrière à la moindre opportunité. Je réprimai cette envie car il n’y avait rien de quoi se vanter dans cet état des faits. « Je n’ai pas dit oui. Tu ne m’es pas redevable et, quand bien même, je t’acquitte sur l’instant. » J’inclinai la tête légèrement pour échapper aux rayons faibles mais sournois du soleil hivernal. Ils m’empêchaient de le voir, il glissaient sur son visage et n’en faisaient plus qu’une ombre. Je voulais comprendre, réellement. J’avais fini par être persuadée, avec le temps, que le courage résidait dans le fait de partir, ou de ne pas y aller. Dans le fait de résister. J’avais fini par être persuadée que je me perdrais inévitablement si je continuais sans opposer de résistance, si les ordres du corps médical finissaient par empiéter sur le reste, sur mes envies, mes pensées, ma manière de survivre. J’avais tranché. Et je ne pouvais dire si je me portais mieux ou plus mal, depuis. J’étais simplement satisfaite de ne pas avoir à éprouver de remords, de remords de subir mon sort. Et dans ces circonstances, je percevais dans la demande de Thomas un véritable défi que je voulais relever. « Tu vas pas m’obliger à te tirer par le bras quand même. » reprit-il et je pris une légère inspiration en imaginant la scène. « Non, je ne réagis pas bien aux rapports de force. » répondis-je en lui adressant un sourire malicieux. « Mais tu peux me demander gentiment, me supplier. » finis-je en redressant le dos. C’était une chose qu’il ne ferait pas, une manière de m’en sortir. J’étais, comme d’habitude, tentée par la revanche, par la nécessité d’avoir le dessus. Par la nécessité d’avoir le dernier mot dans toutes les situations. Car j’étais consciente qu’il me faudrait encore des années avant d’être en mesure de savourer la seule et unique victoire que j’espérais et qui s’éloignait de plus en plus. Alors je me raccrochais à toutes les petites, même les plus insignifiantes, même les plus ridicules comme celle-ci, avec lui. Cette victoire, si je l’obtenais, avait déjà la saveur d’une cendre froide. Je gagnais si l’on ne se soignait pas, je gagnais si on continuait de lutter contre ce qui nous ferait éventuellement du bien. Je l’observai fouiller dans ses poches et en ressortir une cigarette qu’il vint coincer entre ses dents. Il agita son paquet de cigarette et je plissai les yeux. « On peut fumer ici ? » Je relevai mon regard dans le sien, surprise qu’il y ait pensé, surprise qu’il s’en soucie. Il n’avait donc pas fait attention au cendrier sur la table derrière lui ou au paquet de cigarettes de Kenzo à l’entrée. « Non. » répondis-je simplement en secouant la tête. « J’ai une colocataire qui prend cette règle très au sérieux. » rajoutai-je avec le plus grand des sérieux. Je me plus à imaginer le temps qu’il lui faudrait avant de ne plus pouvoir tenir, avant de décider que ce n’était pas si grave finalement si je ne l’accompagnais pas, qu’il irait seul, simplement pour pouvoir fumer. « Qu’est-ce que tu t’es fait ? Ca va s’infecter. » remarquai-je en désignant d’un signe de tête sa main blessée. Son bandage rouge dansait devant mes yeux depuis son arrivée et je ne pouvais pas m’en détourner. Les infections pouvaient m’être fatales, je développais une sorte d’obsession sur les plaies mal soignées, négligées. « Tu ne sauras même pas quoi dire au médecin, de toute façon. Comme tu ne sauras pas quoi faire de ce que, lui, te prescrira. » enchainai-je doucement en relevant mes paupières vers lui, comme si je reprenais ici une conversation déjà en marche. Je passai une main dans mes cheveux. A force de me jouer de la médecine, je devenais un manque, un amas de nuits blanches et de malaises, un estomac retourné. Je pouvais en mourir. Mais en m’y pliant totalement, ce n’était pas mieux. Certaines douleurs s’estompaient, oui. Elles laissaient la place à autre chose, elles créaient le vide. Et on ne savait plus quoi en faire.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Mer 11 Mar 2015 - 22:04 par Invité
« Ça en dit long sur l’état du monde. Plus que sur le tien. » Je tournai la tête vers elle d’un air absent. Oh, c’était vrai que j’étais la parfaite représentation d’un monde qui avait oublié comment sourire avec amitié et pleurer à chaudes larmes. C’était vrai que j’étais à la fois las et frénétique, méprisant les médecins et les héros de guerre. Et c’était vrai qu’on ne savait jamais si j’allais bien ou pas. Un peu comme le monde lui-même : figé dans le perpétuel renouveau de la résignation et de la médiocrité. Je pinçai mes lèvres comme pour lui dire « pas faux Lexie, pas faux » mais l’état du monde ne me passionnait guère. Toute mon ironie le montrait à merveille. Le monde devait avoir perdu un rein lui aussi, et il ne savait plus où en trouver un autre. Ennuyeux. C’était ce que j’avais pensé lorsque Lexie m’avait dit de quoi elle souffrait. Ennuyeux. Mais encore une fois, je ne parvenais qu’à constater les choses, comme à jamais piégé sur un banc solitaire à observer les passants et leurs habitudes maladives. Les solutions, je les laissais aux rêveurs et aux poètes. Eux avaient encore foi en ce monde désabusé que je représentais si bien. Ils avaient foi en moi et cela me faisait sourire – sans compassion, juste un éternel amusement mesquin logé dans mon regard froid.  « Je n’ai pas dit oui. Tu ne m’es pas redevable et, quand bien même, je t’acquitte sur l’instant. » Je me mordis discrètement la lèvre inférieure en souriant – le fameux sourire – et l'observai plisser des yeux alors que les rayons du soleil l’agressaient avec austérité. « Tu es bien indulgente. » lançai-je simplement, comme une sorte d’avertissement improvisé. Elle n’avait pas dit oui et peut-être ne le dirait-elle jamais. Peut-être allais-je repartir d’une démarche penaude et traînante, allumant une clope sur son pallier après qu’elle ait fermé la porte. Peut-être qu’elle allait me convaincre de ne pas y aller, à ce rendez-vous. Mais j’avais encore du temps pour le lui arracher, ce oui. C’était dingue, à quel point j’en avais presque oublié le but de cette visite : je me moquais presque d’aller au rendez-vous, je m’amusais juste en la voyant refuser. Lexie disait non au monde. Elle disait non à la santé et non à l’espoir. Non aux médecins et non aux rayons du soleil. Elle me disait non à moi, et cela me faisait rire. Juste comme ça, parce que je trouvais son déni attendrissant. Si jeune, et déjà résignée. Misère, j’avais perdu la foi bien plus tard qu’elle. Je n’osai même pas l’imaginer lorsqu’elle aurait mon âge – si elle l’atteignait un jour. « Non, je ne réagis pas bien aux rapports de force. » Je ricanai doucement. Tiens donc, le fameux non. C’était un refrain qu’elle aimait bien, ma parole, elle le fredonnait de plus en plus. « Mais tu peux me demander gentiment, me supplier. » reprit-elle avec une malice détachée qui m’était si propre d’habitude. Je haussai les sourcils, surpris. Je m’étais imaginé lui saisir le poignet et l’inciter à me suivre en répétant son prénom de ma voix grave et agaçante, et j’avais déjà trouvé la scène assez absurde. Mais celle-ci l’était tant qu’elle ne m’avait même pas traversé l’esprit. Je n’étais pas quelqu’un de poli et encore moins quelqu’un de gentil. Bien heureusement son ironie me confortait. Mais j’avais oublié mes bonnes manières. Je les avais laissées sur un comptoir miteux, quelque part dans le vieux Londres, celui qui avait une odeur d’échec et de fermentation. « La gentillesse me fait défaut ces temps-ci. Dommage. » soufflai-je avec un flegme non dissimulé. Mais rien n’était perdu. Je n’en restais pas moins charmant.

« Non. » Je suspendis mon geste, ma cigarette pendant au bord de mes lèvres. Quoi, encore ? Elle n’en avait donc jamais marre, de tout refuser avec une telle détermination ? « J’ai une colocataire qui prend cette règle très au sérieux. » Je penchai la tête, agacé,  et repris ma cigarette sans pour autant la ranger dans mon paquet. J’allais la fumer dans cette pièce, ce n’était qu’une question de minutes. Au pire, que ferait-elle ? Elle se jetterait sur moi pour l’éteindre ? Elle réagissait pourtant mal aux rapports de force, non ? Je passai ma main dans mes cheveux. « Qu’est-ce que tu t’es fait ? Ça va s’infecter. » Elle avait les yeux rivés sur ma blessure et je baissai le regard vers celle-ci. Cela me redonnait mon petit air de révolutionnaire. Au fond, je l’aimais bien, cette blessure. Ce rictus pourpre contrastant tant avec ma silhouette droite et mon air sérieux. Mais elle était tellement représentative de ce que j’étais. C’était loin d’être une plaie de jeune révolté ayant trempé ses doigts sales dans le sang d’une patrie à l’agonie. Pourtant elle en avait tout l’air, et je la négligeais tant qu’elle avait fini par régner sur ma paume en souveraine. J’avais fini par transformer la douleur en une sensation étrange et unique qui me délectait, quelque part, comme une gourmandise inavouée. Les picotements me rappelaient que je n’étais que quelque chose d’organique et de fini. « Je me suis pris un bout de verre dans la main. Points de sutures et compagnie. » Quoi, qu’est-ce que j’allais lui dire ? Que j’avais été tellement mal cette fois-là que je m’étais simplement évanoui, assis à l’un de ces fameux comptoirs, et que qu’en tombant j’avais entraîné mon verre avec moi ? Que je m’étais réveillé dans un lit d’hôpital contre mon gré et que l’on m’y avait réparé mon membre meurtri ? Et que j’étais assez con pour m’en foutre et ne pas m’occuper de cette blessure comme je devrais le faire ? Pas la peine. La balafre était hideuse, un peu comme moi. « Et oui, ça va s’infecter. J’imagine que c’est pour ça que je dois aller à l’hôpital. » dis-je en haussant les épaules. « J’oublie qu’il faut guérir en fait. ». Mon ton était, pour une fois, dénué d’ironie. Ce genre de choses me sortait de l’esprit si rapidement. Après tout, la douleur, ça me changeait un peu. Et elle s’estompait si vite que j’avais à peine de temps de profiter de cet éclat fugace brisant mon quotidien monotone. Peut-être que je passais pour un fou, à apprécier cette peine, surtout devant une fille qui souffrait tous les jours. Mais je ne faisais qu’être franc avec elle. Je me négligeais moi-même avec bien plus de violence que je ne traitais les autres. N’oubliez pas que j’étais l’âme enfumée ce monde que je méprisais tant.

« Tu ne sauras même pas quoi dire au médecin, de toute façon. Comme tu ne sauras pas quoi faire de ce que, lui, te prescrira. » Je me reculai du canapé avec un sourire. « Douterais-tu de mon éloquence et de mon imagination ? » Mon ton feignait d’être vexé. « Je lui raconterai ma vie. Je lui dirai que j’ai empêché une fille d’aller à l’hôpital alors qu’elle a une défaillance rénale. Je lui dirai que ça me pèse sur le cœur. Je lui dirai que j’ai perdu goût à la vie. Les médecins aiment bien s’improviser confidents. » Je m’adossai contre une table au fond du séjour et posai ma main blessée dessus. Celle-ci rencontra un cendrier rempli. Je le pris et levai les yeux vers Lexie en haussant les sourcils, perplexe. Ah, donc elle s’était foutue de ma gueule. Merveilleux. Sans un mot, je remis ma cigarette entre mes lèvres et craquai une allumette qui, une fois éteinte, se retrouva entre les vieux mégots du cendrier. Je soufflai la fumée avec prétention. « Et il me prescrira des somnifères. C’est pas non plus la première fois que je vais chez le médecin, tu sais. Je commence à les cerner ces types. C’est pour ça que je ne les aime pas d’ailleurs. Mais les somnifères c’est bien. Ça fait planer, à défaut de me faire dormir. C’est toujours mieux que rien. » Un jour on allait m’annoncer que j’avais un cancer, et j’allais simplement hausser les épaules en guise de réponse. Et cela ne m’étonnerait pas que sur ma tombe, on écrive quelque chose du genre « Déconnez pas, il l’a bien mérité ».
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Mer 18 Mar 2015 - 0:33 par Invité
« Tu es bien indulgente. » me lança-t-il simplement. Je ne savais pas si je l’étais, je ne savais pas si je ne trouvais pas cela plutôt plus simple de l’être. Plus simple que de devoir accepter sa tentative de se racheter, pour quelque chose dont il n’était pas coupable. Et d’une manière que j’avais, de plus, du mal à comprendre. Qu’avais-je à y gagner ? « J’essaie de l’être. » me contentai-je finalement de répondre avec un froncement de sourcils imperceptible. « La gentillesse me fait défaut ces temps-ci. Dommage. » J’hochai légèrement la tête, satisfaite, comme si je m’étais attendue à cette réponse. Je lui avais tendu une perche qu’il n’avait pas pu s’empêcher de saisir et c’était étonnant. Il était fantasque, un peu sauvage. Je ne pouvais m’empêcher de l’observer évoluer dans le salon, curieuse de le voir prendre possession des lieux comme s’il les connaissait depuis toujours, comme s’ils lui appartenaient. « Je me suis pris un bout de verre dans la main. Points de sutures et compagnie. » J’enviai la désinvolture qui se logeait dans sa gestuelle. Soudain, je me surpris à penser que j’aurais aimé retrouver une de ces douleurs concrètes, identifiables, provoquées par un banal accident. Elles étaient domptables, nous pouvions les rouler en boule et les balayer sous le lit. Elles n’avaient rien à voir avec les maux qui vivaient en moi à présent. « Et oui, ça va s’infecter. J’imagine que c’est pour ça que je dois aller à l’hôpital. » Je ne trouvai rien à redire à cela. Je ne voulais pas remettre un pied dans l’un de ces couloirs blancs aujourd’hui, je ne voulais pas me retrouver face à l’une de ces blouses blanches qui rythmaient mes cauchemars. S’il s’agissait de courage, il était évident que j’en manquais sur l’instant. Mais je n’étais pas certaine non plus de vouloir être la raison que Thomas saisirait pour ne pas s’y rendre. Je ne voulais pas, à mon tour, avoir de dette envers lui, que cela devienne une habitude. Je ne trouvais rien de reluisant dans le fait de devenir cette partenaire de crimes à mon tour. Je comprenais que cela puisse pourtant l’arranger aujourd’hui, qu’il était venu pour cela. Il avait été mon excuse, mon échappatoire la première fois, il attendait de moi que je fasse de même. « J’oublie qu’il faut guérir en fait. » rajouta-t-il avec un sérieux désarmant et je fronçai les sourcils. « Parfois, on aime ses propres cicatrices. Parfois, ce n’est pas une question de pouvoir, mais de vouloir refermer nos plaies. Le consentement à la douleur, je peux comprendre. Si on oublie, c’est que ce n’est pas si grave. » Si on oublie, c’est que ce n’est pas si grave. Je voulais vraiment le croire. Je déployais de l’énergie au quotidien à essayer d’oublier. Oublier les douleurs, oublier les rendez-vous, oublier les délais qui se rapprochaient de plus en plus, oublier ce rein qui ne venait pas. Il s’agissait de mettre de la distance, toujours plus de distance, entre ces réalités froides et cliniques et ce quotidien que je m’acharnais à défendre, de moins en moins bien. Je connaissais le déni et cette volonté de ne rien savoir. Si je n’y pensais pas, les douleurs disparaîtraient peut-être. Si je n’y pensais pas, c’est que je n’allais pas si mal, c’est que ce n’était pas si grave. C’était un mantra auquel je voulais croire, même si je le savais erroné. « Douterais-tu de mon éloquence et de mon imagination ? » s’enquit-il avec vigueur et je souris. S’il y avait certaines choses dont je pouvais douter après ce temps passé en sa compagnie, son éloquence n’en faisait pas partie. « Jamais. Mais il s’agit de dire la vérité ici, en l’occurrence. Sinon, je doute que ça ne serve à qui que ce soit. » lui répondis-je, toujours avec cette malice qui ne me quittait pas. Je m’amusais car ces mots, je les avais entendu prononcé maintes et maintes fois par les médecins. Je les avais ignoré, ils m’avaient agacée, fatiguée. A présent, j’en plaisantais. J’étais la première à ignorer les symptômes, même lorsqu’ils prenaient le pas sur mon corps. J’étais la première à les minimiser lorsque l’on me demandait de les décrire. « Je lui raconterai ma vie. Je lui dirai que j’ai empêché une fille d’aller à l’hôpital alors qu’elle a une défaillance rénale. Je lui dirai que ça me pèse sur le cœur. Je lui dirai que j’ai perdu goût à la vie. Les médecins aiment bien s’improviser confidents. » Je le regardai reculer jusqu’à rencontrer la table dans son dos. Il prit appui en arrière et s’empara quelques secondes après du cendrier utilisé. Je haussai les épaules avec désinvolture devant son air perplexe. Qu’étais-je supposée lui dire ? Que j’étais tellement malade en ce moment que je n’arrivais même plus à apprécier les saveurs du tabac sans en avoir l’estomac retourné ? Que je trouvais cela injuste depuis que quelqu’un d’autre puisse en profiter en ma présence ? Je ne pouvais pas. Il aurait fallu pour cela que je concède et avoue mon état du moment. A la place, je ne fis que regarder l’allumette craquer puis se consumer dans un crépitement presque inaudible. « La vérité, Thomas. » le repris-je en le défiant du regard. Il lui fallait un psychologue si c’était ce qu’il attendait de son rendez-vous, les médecins n’étaient pas aptes à recevoir nos états d’âme. Ils y étaient immunisés, hermétiques, et il valait mieux pour eux. « Et il me prescrira des somnifères. C’est pas non plus la première fois que je vais chez le médecin, tu sais. Je commence à les cerner ces types. C’est pour ça que je ne les aime pas d’ailleurs. Mais les somnifères c’est bien. Ça fait planer, à défaut de me faire dormir. C’est toujours mieux que rien. » Je me levai du canapé en passant les mains dans mes cheveux et en inspirant profondément. « C’est tout ce dont je rêve depuis un moment. Je suis si jalouse de toi ! Tu es venu pour me narguer en fait ? » Je souris avec amusement avant de le laisser derrière moi sans une indication et de me diriger vers la salle de bain. Cette pièce était une véritable pharmacie à force d’y accumuler des médicaments de toutes sortes, et pour tous les symptômes imaginables. Je les avais tous laissé tomber, sitôt prescrits, les effets indésirables se manifestant à chaque fois avec plus de violence que les maux censés être traités. Thomas pourrait aisément y trouver son bonheur s’il le voulait, ne puis-je m'empêcher de penser en fouillant dans une boite métallique. Je revenais dans le salon après quelques instants à peine et repris place sur le canapé en levant le regard sur Thomas pour qu’il se rapproche. « Crois-moi, je suis aussi efficace qu’une professionnelle. » me justifiai-je en ouvrant la boîte sur la table basse. Je n’attendis pas réellement son autorisation avant de m’emparer doucement de son avant-bras gauche. Je déroulai avec précaution la bande recouvrant sa paume et observai une demi-seconde sa plaie négligée sans rien laisser paraître. Je m’employai à nettoyer sa blessure délicatement, m’attendant à ce que Thomas se dégage à tout moment, indigné que j’ose seulement essayer d’atténuer sa douleur, à laquelle il semblait tant tenir. Je procédai mécaniquement, comme je l’avais vu faire maintes et maintes fois sur mes propres lésions. Je tamponnai la zone blessée d’une gaze imbibée d’antiseptique avant de rebander sa main à l’aide d’une bande propre. « Tu ne seras pas venu pour rien, c’est déjà ça. » Ou une autre raison de lui signifier que je n’étais toujours pas convaincue. « Ne me laisse pas gâcher tes bonnes résolutions, d’accord ? Je m’en voudrais plus que tu ne l’imagines. » Je me mordis l’intérieur de la joue en ramenant mes mains sur mes genoux et en reportant mon regard sur Thomas en face de moi. Je pouvais bien laisser tomber les armes l’espace de quelques secondes pour lui avouer cela. Je n’étais pas encore devenue cette fille à l’insouciance démesurée qui fermait les yeux sur les besoins des autres, seulement pour prouver son point. Je ne voulais pas le devenir.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Dim 22 Mar 2015 - 17:33 par Invité
« Parfois, on aime ses propres cicatrices. Parfois, ce n’est pas une question de pouvoir, mais de vouloir refermer nos plaies. Le consentement à la douleur, je peux comprendre. Si on oublie, c’est que ce n’est pas si grave. » Je haussai les sourcils, ignorant si j’étais perplexe ou amusé par ses mots. Se sentait-elle prise d’un soudain besoin de me rassurer ? Ou était-ce encore une façon de me convaincre de rester ici, avec elle, dans son cocon d’illusions et de déni ? Jeune et déjà égarée. Aimant déjà ses cicatrices. Consentant déjà à la douleur. Oubliant déjà de guérir. Je finis par sourire et me pencher vers elle. « Tu parles comme moi, c’est bizarre. J’espère ne pas avoir déteint sur toi si tôt. » lui soufflai-je, malicieux. Parfois, j’oubliais aussi qu’elle souffrait continuellement. Je ne la regardais pas comme ça. Cela me semblait absurde de l’observer par le prisme de son handicap. Elle restait humaine. Elle restait jeune. Pour l’instant. Pas pour toujours. Pourquoi la réduire à ce qui la soustrayait à la vie elle-même ? « Tu aimes tes propres cicatrices, Lexie ? Tu réussirais à me faire croire ça ? » Mon ton était toujours cristallin, quoiqu’un peu taquin. J’allais toujours finir par rire des pires malheurs que subissaient les autres. Non pas parce que j’étais un optimiste notoire – je fascinais les gens grâce  à mon détachement cynique. C’était donc un rire noir que l’on lisait dans mon regard. Quoi, traîner Lexie à l’hôpital et vouloir moi-même y aller, n’était-ce pas la preuve du contraire ? Bien sûr que non.  Nous restions des êtres fiers, à marcher d’un pas désinvolte dans les couloirs blancs, observant les autres de haut parce que, vous savez, on était au-dessus de la maladie. On était au-dessus de la souffrance. On était au-dessus de la mort. Nous avions oublié qu’elle nous menaçait chaque jour, glissant son couteau froid et invisible sur nos gorges fragiles. Je l’avais oubliée à force de l’attendre. Moi j’allais proposer une clope au médecin qui m’annoncerait que j’avais un cancer. Le consentement à la douleur, Lexie ? Détrompe-toi, je n’ai pas mal. C’est bien là mon plus grand malheur.

« Jamais. Mais il s’agit de dire la vérité ici, en l’occurrence. Sinon, je doute que ça ne serve à qui que ce soit. » Je souris, la foutue malice toujours logée au coin des yeux. La vérité. Tu ne la vois donc pas ? Je la dissimule pourtant si peu. On s’acharnait à m’embellir, et encore une fois, je ne pouvais que me moquer de ceux qui essayaient de le faire. Il n’y avait plus de couleur pour me repeindre : j’étais déjà enduit de noir, jusqu’au bout de mes ongles trop longs. « La vérité, Thomas. » Je lui adressai un sourire narquois. Elle aussi, elle essayait. Etais-je donc le seul connard égoïste à arpenter les rues de cette ville ? La vérité, Lexie, c’est que tu vas mourir. Bientôt. Et que tu devrais aller pleurer chez le médecin, parce que cela effacerait l’insolence de ton si beau visage. La vérité, c’est que tu devrais me virer de chez toi, parce que je suis ton insolence, réincarnée en une créature cancérigène et moqueuse. Son corps semblait trop petit pour son âme. Elle se tordait à l’intérieur et menaçait de craquer sa peau fragile. La vérité, c’est que je me fichais qu’elle vienne ou non à l’hôpital. Ce n’était pas à moi de décider pour elle. Je ne pouvais pas m’empêcher de la juger, mais j’avais cette manie de plaquer mes propres défauts sur les gens pour pouvoir me critiquer moi-même. Et Lexie était arrogante et orgueilleuse, comme moi. Elle était sarcastique, comme moi. Elle couvrait sa peine jusqu’à l’étouffer pour que personne ne puisse la découvrir. Comme moi. La vérité, c’était que j’avais envie de la secouer, parce que je voulais me réveiller moi-même. La vérité, Lexie ? La vérité t’emmerde. Ma lassitude était telle que je finissais toujours par me résigner. Dire que j’aurais pu devenir un grand homme, à force de me rebeller contre n’importe quoi. Dire que j’aurais pu changer le monde. Et aujourd’hui, tout ce que je désirai, c’était des foutus somnifères, parce que j’avais aussi oublié de dormir. Je la toisai, mes cernes creusés par la lumière du soleil sur mon visage émacié, crachant la fumée de ma cigarette sans la reprendre entre mes doigts. « La vérité, les bons médecins la connaissent déjà. » Et j’étais tellement plus aimable lorsque je jouais un personnage.

« C’est tout ce dont je rêve depuis un moment. Je suis si jalouse de toi ! Tu es venu pour me narguer en fait ? » Je ricanai. Si son âme étouffait dans son corps mince, elle se noierait dans le mien. Mais elle avait le mérite d’être drôle, au moins. « Si tu viens avec moi, je te filerai la moitié des cachets. » C’était un marché assez équitable. Elle voulait foutre sa vie en l’air, autant le faire avec les personnes qui s’y connaissaient bien. Mais elle n’avait pas la carrure pour vivre une vie comme la mienne. On ne s’ennuyait pas lorsque l’on avait vingt ans. On avait de l’énergie, des désirs, des passions. Et quoiqu’en dise Lexie, elle rayonnait d’une lumière que j’avais perdu depuis longtemps et qui aujourd’hui m’aveuglait lorsque je tentais de la contempler chez les autres. Elle disparut dans la salle de bain et je soupirai en la regardant partir, m’avançant jusqu’au milieu de la pièce et l’enfumant lentement. A nouveau, mes yeux fatigués se posèrent sur la ville, observant l’horizon à travers la fenêtre et me laissant bercer par la mélodie urbaine. Qu’est-ce qui m’avait retiré cette lumière ? Qu’est-ce qui faisait que je n’arrivais plus à trouver les choses belles ? Qu’est-ce qui avait rendu ma vision si triviale ? La réponse était large et m’ennuyait déjà. J’entendis les pas de Lexie se rapprocher mais ne tournai la tête qu’à l’instant où elle s’assit sur le canapé. « Oh super, de la drogue. » soufflai-je avec détachement en remarquant la boîte pleine de médicaments qu’elle avait apporté avec elle. J’enlevai mon manteau et le posai sur une chaise avec nonchalance. Je m’avançai vers elle sans la quitter des yeux et m’installai à sa droite, les yeux souriants d’une brillance espiègle et moqueuse. « Crois-moi, je suis aussi efficace qu’une professionnelle. » Je me raclai la gorge, feignant la perplexité. Je lui faisais confiance. Concernant ma santé, j’étais le seul à m’empoisonner. Elle se saisit de mon avant-bras et je tirai la manche de ma chemise. Ses doigts étaient froids. C’était désagréable, mais ses gestes étaient si doux que je ne bronchai pas, fumant en observant de loin, comme si ce bras n’était pas le mien, comme si c’était celui du personnage que je jouais depuis mon arrivée, et que je ne ressentais pas la douleur. Et pourtant, je la subissais. Elle me transperçait la peau et me brûlait toute la paume. Elle s’appliquait dans cette tâche étrange qu’elle s’était elle-même assignée. M’ouvrait-elle la porte de la rédemption et de l’avenir ? Je souris. La fumée de ma cigarette embruma l’air autour de ma blessure comme pour lui rappeler que son effort ne servirait à rien et que la mort m’avait déjà corrompu jusqu’à la moelle. Elle bandait les plaies d’un cadavre. Mais merci de l’effort, Lexie. Tu as le mérite d’être une fille gentille. « Tu ne seras pas venu pour rien, c’est déjà ça. » Je serrai les dents : le produit mordait ma blessure et les muscles de mes doigts se contractèrent soudain, mais je contrôlai mes mouvements avec flegme. « Une vraie infirmière, ma parole. » Elle me lâcha finalement la main et je contemplai son travail en caressant le bandage de ma main valide. Je ris dans un soupir. Elle reprit cependant la parole : « Ne me laisse pas gâcher tes bonnes résolutions, d’accord ? Je m’en voudrais plus que tu ne l’imagines. » Mon regard sombre glissa vers ses yeux et je ne pus m’empêcher de pencher la tête, teintant mes traits d’un scepticisme amusé. Je souris de nouveau et plissai des yeux, rejetant la fumée par le nez dans une attitude pensive. « Tu t’en veux pour les mauvaises choses. » Mon ton était presque amical. « Tu me sors une vague morale sur la vérité sans regretter quoique ce soit et maintenant tu te défiles en me faisant un bandage ? Mais toi, est-ce que tu l’assumes, la vérité ? » Je secouai lentement la tête « Bien sûr que non. Qu’est-ce que ça te fait, de rester ici à respirer la fumée de ma clope alors que ta place se trouve entre ces couloirs blancs que tu hais tant ? Tu te sens forte et fière ? Ou à l’inverse, as-tu simplement peur ? » Parce que je pouvais donner très sèchement la raison pour laquelle je n’aimais pas aller à l’hôpital. Je méprisais trop la vie et j’avais oublié la mort, c’était ça. Mais Lexie avait tout à y gagner. L’espoir ne se trouvait pas entre les quatre murs de son séjour ou au fond de mes iris cendrés. Quant à la force, elle se manifesterait en elle si elle décidait de dire la vérité à son tour. Je ne voulais pas qu’elle me ressemble. Je ne voulais pas qu’elle oublie de guérir parce que la vie l’ennuyait. Je ne voulais pas qu’elle laisse sa lumière devenir ma fumée.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Dim 29 Mar 2015 - 3:28 par Invité
Je ne pouvais pas le nier, Thomas exerçait sur ceux qui l’entourait une fascination certaine. Il ne fallait pas tomber sous sa coupe. De l’inconvenance à l’impudence, il dosait chacune de ces forces avec une assurance déroutante. Il me faisait parler comme je ne me le permettais plus depuis longtemps. Je plissais les yeux avec malice en le regardant se pencher vers moi, prête à entendre ses plus grands secrets. « Tu parles comme moi, c’est bizarre. J’espère ne pas avoir déteint sur toi si tôt. » Je sentis mon sourire s’atténuer. Si seulement. Si seulement j’avais été capable durant toutes ces années de tenir bon, d’attendre Thomas pour commencer seulement à penser comme lui. Si seulement, je n’étais pas rongée par les mêmes supplices depuis déjà trop longtemps. Il avait l’air amusé, je ne savais pas si il s’agissait là d’un signe encourageant. Ou au contraire d’un constat désastreux sur mon propre état et ce que je lui inspirais. Il avait l’air de ne pas connaître les valeurs et les sentiments qui devaient le guider. Il s’en moquait. Il préférait voir le monde à sa convenance, avec détachement et dédain comme si cela n’avait plus aucune incidence, plus aucune conséquence ou importance. Je n’étais pas comme lui, sur ce point. Je n’en étais pas capable, je craignais de me sentir inutile, stérile, finie. « Tu aimes tes propres cicatrices, Lexie ? Tu réussirais à me faire croire ça ? » C’était les cicatrices ou la mort. C’était la douleur ou l’oubli. Il n’y avait rien entre les deux et je ne faisais qu’osciller dangereusement entre ces états, tentant de combler chacun sans aucun espoir de réussite. Mais je ne demandais pas à ce qu’il me croie, non. « La vérité, les bons médecins la connaissent déjà. » J’arquai un sourcil, perplexe. La vérité, les médecins nous l’imposaient. La leur, peu importe si elle nous convenait, encore moins si elle nous arrangeait. Leur vérité était toujours froide et lassante, je ne l’acceptais pas, et j’y croyais encore moins. Elle nous affaiblissait plus que les maux qui nous tourmentaient et qu’elle était supposée traiter. Je cherchais dans son regard s’il était lui-même convaincu. C’était difficile à dire. Il avait cette assurance enviable et agaçante, et la retenue de ceux qui attendait leur heure pour abattre leurs cartes. « Si tu viens avec moi, je te filerai la moitié des cachets. » Des promesses à présent, des promesses qu’il serait sûrement incapable de tenir qui plus est. Se défaire de ses narcotiques, même la moitié, même un quart, ça lui écorcherait le cœur. Moi je m’en moquais, je m’en débarrassais. J’étais devenue insensible, mon corps tout entier avait appris à lutter contre le bien supposé de ces substances. Je revenais dans le salon et sentis son regard se poser sur moi alors que je m’asseyais à nouveau. « Oh super, de la drogue. » Je levai les yeux au ciel avec amusement en attendant qu’il me rejoigne sur le canapé. Je ne m’attendais pas à ce qu’il me permette de faire quoique ce soit, toucher à sa plaie laide et inquiétante, qui sentait le cuivre et le tabac froid. Il avait l’air d’y tenir, il avait l’air d’en être fier. J’aurais pu ne pas m’en soucier mais c’était plus fort que moi. J’avais pris l’habitude de soigner ce que je pouvais, avec le minimum des égards. J’avais appris seule, pour ne pas avoir à demander aux autres. Thomas s’en moquait sûrement mais je m’emparai de sa main sans même lui demander son avis. Je sentais son pouls battre sous la pulpe de mon pouce, il respirait avec une lenteur effroyable et sa peau était à peine tiède malgré la fraicheur de mes propres mains. Je pris une inspiration, en me demandant s’il en était conscient. Conscient que son teint avait encore changé depuis notre dernière rencontre, je ne m’en rendais compte que maintenant. Il était de ceux que la vie abandonnait petit à petit. C’en était sinistre. Nous étions morts bien avant que nos cœur n’aient cédé. Le travail de l’ombre nous accablait, jour après jour, insidieusement. Et ni lui ni moi n’arrivions à le stopper, j’avais au moins le mérite d’essayer. Il avait sans doute tout compris, je luttais seule, adossée au vide. « Une vraie infirmière, ma parole. » Je remontai ma main sur mon avant-bras, l’un après l’autre, après avoir fait tomber une noisette de lotion antiseptique dans ma paume. Je le regardai observer son bandage sain, l’avait-il déjà vu ainsi ? Ne le souillait-il pas lui même ? « Tu t’en veux pour les mauvaises choses. » Il se penchait vers moi, la fumée de sa cigarette, capricieuse, s’enroulait à mon visage et me faisait plisser les yeux. Je bloquai ma respiration instinctivement, le cœur soulevé, malmené par les soubresauts habituels. Qu’il me dise pour quoi j’étais supposée m’en vouloir, qu’il me pointe du doigt les nombreuses failles que j’ignorais et au dessus desquelles je passais, feignant de ne pas craindre la chute. Je les avais toutes entendues, toutes combattues ou encaissées. Les jugements effleuraient ma peau à vif et ne s’y attardaient jamais. Ils ne seraient jamais pires que ceux que je m’adressais à moi-même. J’inclinai la tête en le fixant du regard. « Tu me sors une vague morale sur la vérité sans regretter quoique ce soit et maintenant tu te défiles en me faisant un bandage ? Mais toi, est-ce que tu l’assumes, la vérité ? » Je me taisais, restais immobile, n’essayais pas de contrarier les graves de sa voix et les méandres de ses présomptions. Des années et des années de ce même ton moralisateur employé à mon sujet avaient déjà crépité comme des balles qui me crevaient dans le cœur, j’avais déjà éclaté, je m’étais déjà défendue. Mais j’étais curieuse de connaître les opinions de Thomas, juste curieuse. « Bien sûr que non. Qu’est-ce que ça te fait, de rester ici à respirer la fumée de ma clope alors que ta place se trouve entre ces couloirs blancs que tu hais tant ? Tu te sens forte et fière ? Ou à l’inverse, as-tu simplement peur ? » Il m’imposait une place qui n’était pas la mienne. J’y étais restée dans ces couloirs, j’y avais trainé toute la peine du monde, j’y avais tué les espoirs de ma sœur et même l’un de ses organes. J’y avais pris tout ce qui m’avait été donné et ça n’avait jamais été assez. Je me souvenais de tout. Et de tous les dangers, celui de la mémoire était sans doute l’un des plus terribles. Je me souvenais de tout, je me souvenais trop bien. Et à choisir, je préférais laisser sa fumée grisâtre me prendre à la gorge et me retourner l’estomac. « Que pourraient bien t’apporter mes réponses ? Tu ne poses déjà pas les bonnes questions. » Je soutins son regard mordoré une seconde, comme si j’y pesais le pour et le contre. Je m’étais lassée depuis un certain temps déjà de mes états d’âme, je ne trouvais plus aucun intérêt à les exposer aux autres. Mais qu’il y aille, qu’il me juge ou qu’il me rit au nez. J’y étais habituée. Et il n’était pas bien placé pour les leçons de moral, il crachait dessus tous les jours. « La plupart du temps, je suis simplement fatiguée. Et en colère. Et je ne sais pas toujours contre qui ou contre quoi la diriger, ce qui rend la chose encore plus épuisante. C’est un cercle vicieux. » commençai-je en relevant légèrement le menton. « C’est une béance à l’intérieur du corps, elle bat, elle coupe le souffle. Je ne suis pas fière, je ne suis pas faible. Je canalise une bonne partie de mon énergie pour empêcher ce manque d’englober tous les autres, pour l’empêcher de me rendre inutile. » Je me surprenais à jouer le jeu, à lui répondre autrement qu’en lui sautant à la gorge pour sauver mon orgueil. J’haussai les épaules, avec détachement. « Je ne m’attends pas à ce que tu comprennes, à ce que tu t’en préoccupes. Les hôpitaux annihilent tout. Ils t’assomment, sous prétexte de vouloir te soulager. Je ne suis pas comme toi. Je ressens, je veux continuer à ressentir. » Progressivement, je sens mon visage se détendre, mes traits se relâcher. Etrangement, un léger sourire vint se dessiner sur mes lèvres et je passai une main dans mes cheveux dans un geste habituel. En vérité, j’appréciais son honnêteté et son arrogance, sa fâcheuse manie de scruter le moindre de mes mouvements ou cette envie d’analyser chacun de mes mots pour les retourner contre moi. Ce qui pourrait me révulser d’ordinaire ne me dérangeait pas chez Thomas. C’était cette tempête calme qui se déroulait au fond de ses yeux noirs, hypnotiques et infinis, j’y trouvais une parité étrangement apaisante. Et presque amusante car ce n’était sûrement pas l’effet qu’il recherchait. « Mais ce n’est pas ce que tu cherchais à entendre, n’est-ce pas ? ll n’y a rien de plus barbant que la vérité, je sais. Et tu es venu pour te divertir, tu triches, tu gagnes du temps. » C’était bien cela, n’est-ce pas ? Le reste ne lui importait pas. Il n’avait pas besoin de moi pour l’accompagner, pas plus que je n’avais eu besoin de lui pour m’en échapper. Nous agissions pareil, pour des ambitions différentes oui, mais la finalité était la même.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Sam 4 Avr 2015 - 10:59 par Invité
« Que pourraient bien t’apporter mes réponses ? Tu ne poses déjà pas les bonnes questions. » Elle me fixa sans ciller et je parvins à rester immobile, n’arquant mes lèvres que très légèrement en un sourire imperceptible. Nous n’allions nulle part, elle et moi. Elle me parlait d’une morale qui m’était étrangère et à présent je ne lui posais pas les bonnes questions. Je baissai finalement le regard vers le bandage propre. Quelles questions devais-je poser, alors ? J’étendis mes doigts maigres et blanchâtres pour habituer ma main à la présence de ce nouveau pansement. Je relevai les yeux vers elle lorsqu’elle poursuivit. « La plupart du temps, je suis simplement fatiguée. Et en colère. Et je ne sais pas toujours contre qui ou contre quoi la diriger, ce qui rend la chose encore plus épuisante. C’est un cercle vicieux. C’est une béance à l’intérieur du corps, elle bat, elle coupe le souffle. Je ne suis pas fière, je ne suis pas faible. Je canalise une bonne partie de mon énergie pour empêcher ce manque d’englober tous les autres, pour l’empêcher de me rendre inutile. » Ma cigarette se coinça machinalement entre mes lèvres et je crachai lentement la fumée par le nez en la toisant, l’air grave. Ses réponses étaient différentes. Comme si, à présent, elle s’en moquait. L’incompréhension, la béance dont elle parlait, ce vide infini n’avait-il donc aucune limite ? « Inutile ? » J’avais fini par arquer un sourcil interrogateur. Laissait-elle tomber ses remparts de fierté ? Lexie était fière. Elle n’aurait jamais pu me faire croire le contraire. C’était peut-être un rôle qu’elle se donnait, mais  elle l’incarnait à merveille. Qu’elle craigne d’être inutile au fond d'elle ne faisait qu’appuyer l’existence de ce masque. Elle voulait peut-être me convaincre qu’elle faisait tomber le fameux masque en m’avouant ses émotions avec une telle profondeur. Mais je connaissais les hommes. Derrière les masques se cachaient d’autres masques et après les avoir tous enlevés, il ne restait plus rien. Quelques grains de poussières. Une charogne. Un seul rein se desséchant sur le sol. Lexie, tu devrais t’en foutre. A la fin, il ne restera rien de toute façon. Quelle était cette manie humaine qui les animait tous : il faut se sentir important et rendre les autres importants. Mais les hommes étaient inutiles. Se ressemblant tous et avançant vers la lumière inaccessible de l’immortalité. Lexie, tu l’es, parce que ta vie l’est. D’autant plus que tu pourrais mourir à tout moment. Mais j’aimais sa façon de se tenir – fièrement ? – à contre-courant et de vouloir exister, de vouloir crier et se faire entendre. Donner du sens à une vie comme la sienne, quel défi étrange. Essaie, Lexie, c’est toujours ça de fait. Ça t’éloigne de ma résignation et de mes opinions tranchées.

« Je ne m’attends pas à ce que tu comprennes, à ce que tu t’en préoccupes. Les hôpitaux annihilent tout. Ils t’assomment, sous prétexte de vouloir te soulager. Je ne suis pas comme toi. Je ressens, je veux continuer à ressentir. » Je ris doucement à sa remarque. Peut-être d’un soulagement inavoué. Ou bien peut-être d’une sombre moquerie sarcastique. « Tu me ferais presque passer pour un connard insensible. C’est pas sympa. » Mon sourire ne quitta pas mes lèvres. Percé à jour, Tom ? Trop facile. Tout le monde savait que je ne ressentais plus rien. Ce n’était pas faute de vouloir éprouver quelque chose. Je négligeais ma blessure pour ne pas non plus oublier que j’existais, quelque part. Mourir me semblait trop évident. Et ne rien ressentir y ressemblait tant. Je me moquais de Lexie pour la pousser loin de moi. Ressens, ressens, et continue de ressentir. Tu détesteras bien assez tôt la véritable béance qui menace chacun de nous. Mais c’était un dilemme terrible que de s’abandonner à ce vide et cette insensibilité car, quelque part, il s’agissait de la seule forme d’immortalité dont les hommes disposaient. Ne rien ressentir, c’était être déjà mort et continuer de marcher. Regarde l’immortel que je suis et continue de craindre. J’étais assez orgueilleux pour considérer que mon mal était aussi grave que le sien. Connard insensible, c’est ça ? Misère. Elle levait le voile sur mon mystère. Sauf que j’étais un masque, moi aussi, et qu’en en retirant un, on en trouvait un nouveau derrière. Elle ne viendrait jamais à bout de mon néant. Heureusement qu’elle ne cherchait pas à le faire.

Une sérénité étonnamment douce vint se peindre sur son visage. Elle me regardait avec une malice et une amicalité que je relevai, presque surpris. « Mais ce n’est pas ce que tu cherchais à entendre, n’est-ce pas ? Il n’y a rien de plus barbant que la vérité, je sais. Et tu es venu pour te divertir, tu triches, tu gagnes du temps. » Je souris, amusé. Pourquoi étais-je venu au départ ? J’avais oublié. Comme quoi, ma mémoire caractérisait mon insensibilité et cette forme d’inaccessibilité qui m’animait. Je perdais mes souvenirs les plus simples et ne m’attachais pas au temps. On peinait à me suivre. Sachez que tout le monde n’a pas le mérite d’être immortel. Tout le monde n’a pas la force de s’accepter pour l’éternité. Je doutais que Lexie y parvienne. Être bloqué hors du temps et ne plus jamais changer. La noirceur de mon rire assombrissait les choses les plus opaques. Je plissai des yeux. Voulais-je infliger cela à Lexie, vraiment ? M’ennuyais-je donc tant ? Elle le méritait à peine. Je passai ma main valide dans mes cheveux avec désinvolture. Je lui accordais le fait que la vérité ne soit pas divertissante, mais en était-elle barbante ? Crois-moi Lexie, je m’y connais en ennui et je ne trouve pas ta vérité ennuyante. On pourrait me rétorquer que je considérais la vie barbante et que donc je n’avais rien à dire. Mais vie et vérité étaient-elles si liées, en fin de compte ? Laissez-moi rire. Elles s’opposaient presque. Les hommes passaient leur vie à noyer la vérité dans le lac de leur fierté. A confectionner les fameux masques jusqu’à faire disparaître toutes les traces de leur authenticité. Parce que l’authenticité, c’était excessif. C’était blessant. C’était l’une des choses que j’appréciais encore. « Pour me divertir ? Suis-je donc si moqueur ? » Je lui accordai un regard navré auquel on ne pouvait pas croire. « Mais je suis un tricheur, tu aurais dû t’en apercevoir dès le début. Je m’attaque à plus faible que moi, sûrement parce que j’ai peur de perdre. » Plus faible ? Lexie ? Non, pas forcément. J’observais le monde juché sur mon perchoir, attendant qu’il meure pour que je puisse en dévorer les restes. J’étais immortel, putain. Je ne pouvais que regarder les gens de haut. « Cependant, tu l’as dit toi-même, je ne ressens rien. C’est facile de gagner lorsqu’on a juste à blesser les gens et qu’ils ne peuvent rien nous infliger en retour. Cela ne fait pourtant pas de moi un tricheur. Je suis juste plus malin. » ajoutai-je avec ironie. « Tu n’arriveras pas à me percer à jour. Il faudrait que tu deviennes comme moi si tu voulais y parvenir et je t’interdis d’essayer. De plus, tu n’en as pas vraiment envie toi-même. » L’immortalité comme but ultime de l’humanité ? Ils ne savaient pas à quel point on s’ennuyait lorsque l’on avait atteint le sommet d’une si haute montagne. On profitait du panorama quelques secondes et puis on ne voulait plus redescendre, on ne voulait plus retourner dans cette existence monotone car à présent, tous les défis nous paraissaient inutiles.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Ven 17 Avr 2015 - 1:29 par Invité
J’avais parlé. J’avais répondu simplement, et presque trop facilement. Je l’avais fait presque machinalement car les mots ne révélaient rien, de toute façon. Pas ceux-là. Les mots ne m’exposeraient jamais, sans que je ne les y autorise. Et jusque là, ils ne pourraient jamais dire ni la nécessité, ni l’urgence ni la mortalité. Ces dernières même qui animaient chacune de mes actions, hantaient chacune de mes nuits, enflammaient chacune de mes décisions. Il n’y avait pas de mots pour cela. Alors je pouvais bien répondre, et je pouvais même le faire sans mentir pour autant. Il y avait également la fatigue oui, et la colère. Et je pouvais les nommer sans leur donner l’importance qu’elles avaient réellement. Tout était une question de dosage et je le maitrisais, donc je ne risquais rien. Mais Thomas n’était pas dupe, je lui reconnaissais bien trop de qualités pour m’attendre à ce qu’il boive mes paroles et les considère comme acquises, suffisantes. « Inutile ? »  Je dégageai mes cheveux, m’attendant à ce qu’il me jette au visage toutes les raisons prouvant que je l’étais de toute façon, inutile, et ce, avec toute la nonchalance qui le caractérisait. Je me disais, au fond, que je pouvais l’encaisser. J’étais persuadée qu’il ne me dirait rien de pire que ce que je m’étais déjà reproché une centaine de fois. J’étais mon pire juge, nous l’étions tous pour nous-même. Mais ça ne changeait rien à mes décisions. Ça ne l’avait jamais fait. Même dans les pires moments, les pires crises, même lorsque j’avais cru mourir, transportée dans une ambulance. Je n’avais fait que reprendre, lentement, un à un, tous les raisonnements qui avaient torturé mon cœur, pendant que criaient les sirènes. Plus je songeais, moins je doutais. Je me sentais guidée par une logique, comme une main qui attirait et étranglait, vers l’implacable certitude. Je vis ou je meurs. Mais je ne mourrais pas sans avoir vécu. Je ne vivrais pas en attendant la mort. Je ne vivrais pas en tant que malade, patiente, insuffisante. Je ne vivrais pas, un pied dans la tombe, lisant déjà les hommages funéraires dans le regard de mon entourage. « Tu me ferais presque passer pour un connard insensible. C’est pas sympa. » Je relevai mon regard vers lui en l’entendant poursuivre sans plus d’insistance et un léger sourire se dessina sur mes lèvres à sa réponse. « Pour me divertir ? Suis-je donc si moqueur ? » Je me mordis la lèvre en levant les yeux au ciel. Il l’était mais je ne pouvais même pas le lui reprocher. Thomas jaugeait pour mieux juger. Et il était vrai que nous devions être amusants tous autant que nous étions, à nous débattre tant bien que mal pour trouver un sens à ce que nous étions supposés faire. Et puisqu’il avait arrêté depuis longtemps de jouer à ce jeu, puisqu’il ne faisait que nous observer, il pouvait bien en rire. Et ça ne me faisait rien, en soit, tant que je n’étais pas forcée de participer à ses plaisanteries en l’accompagnant dans l’enceinte froide de l’hôpital. « Mais je suis un tricheur, tu aurais dû t’en apercevoir dès le début. Je m’attaque à plus faible que moi, sûrement parce que j’ai peur de perdre. » Ainsi donc, il craignait quelque chose. Assez pour ressentir le besoin de tricher, de frauder. Je ne relevai pas, pas tout de suite, mais j’étais surprise, qu’avait-il peur de perdre ? Qu’avait-il à perdre ? Je me laissai aller dans le fond du canapé, pour échapper à la fumée qu’il soufflait avec insolence à mon visage à chacune de ses paroles. « Cependant, tu l’as dit toi-même, je ne ressens rien. C’est facile de gagner lorsqu’on a juste à blesser les gens et qu’ils ne peuvent rien nous infliger en retour. Cela ne fait pourtant pas de moi un tricheur. Je suis juste plus malin. » Je notais qu’il ne me contredisait pas, qu’il acquiesçait même. Il était parvenu à ne plus ressentir, il avait réussi à s’élever de ce simple rang d’être de chair et de sang, de conscience et de dilemmes. Il clamait ne plus avoir de faiblesses ou de peurs, il ne souffrait plus, ne saignait plus. Mais je n’arrivais pas à l’envier. L’espace temps, vide, embrumé et ténébreux, dans lequel il semblait retenu, me rejetait en arrière avec vigueur, et m’inquiétait plus que la mort. Il avait peut-être tout compris, oui, il était sans doute plus malin. J’avais peut-être face à moi l’évolution que nous devrions tous emprunter un jour ou l’autre. Mais s’il me fascinait, je ne pouvais le rejoindre sans renoncer à mes principes, abdiquer mes certitudes, faire face à ma mauvaise conscience. « Tu n’arriveras pas à me percer à jour. Il faudrait que tu deviennes comme moi si tu voulais y parvenir et je t’interdis d’essayer. De plus, tu n’en as pas vraiment envie toi-même. » Nos opinions divergeaient et s’affrontaient en effet sur ce point-là, je le lui avais déjà confirmé. Je n’en avais pas envie, non. Pas plus que je n’avais envie de le percer à jour, il y avait là une notion d’abus qui me déplaisait. Je n’essayais pas de l’exposer, l’opacité qui l’entourait ne m’inquiétait pas, au contraire. « Tu m’interdis ? » répétai-je en arquant un sourcil. Une lueur amusée et perplexe traversa mon regard une nouvelle fois. Les interdits jonchaient au sol de ma vie depuis de trop longues années à présent. Je m’en étais emparés, je les avais bafoués, tordus entre mes mains, réduits à néant. Et j’en avais ri, quelques fois, malgré les conséquences désastreuses et les regards horrifiés jetés dans ma direction devant mon insouciance accablante et mortuaire. Et Thomas m’interdisait à présent de vouloir devenir comme lui. Il ne me disait pas que je n’y parviendrais pas si je le désirais, il ne me réduisait pas, mais tout de même. Je ne pouvais m’empêcher de me demander pourquoi. Si l’envie me prenait, si la fatigue était un jour trop harassante, si je n’étais plus qu’ennui et passivité, si je décidais de stopper les digues et de devenir comme lui, je ne voyais pas ce que cela pourrait bien lui faire. Il n’en dormirait pas moins bien, selon moi. Il ne me paraissait pas du genre à être rongé de remords et de culpabilité pour avoir entraîné avec lui une malade sans espoir. Au contraire, si je suivais son raisonnement, ne pourrait-il pas se vanter de m’avoir hissée à sa hauteur ? Ou ne le voulait-il pas simplement pour pouvoir continuer à se démarquer, se sentir au dessus, plus loin. Se sentir unique. « Je n’essaierais pas de te percer à jour. Mais imaginons que j’y parvienne un jour, disons par accident, est-ce que ce serait si mal ? Tu as l’air inquiet, et pas seulement pour moi. » remarquai-je simplement. Cela faisait plusieurs fois que Thomas me mettait en garde. J’avais bien compris qu’il ne désirait pas me voir devenir comme lui, que derrière ses moqueries se cachaient de réelles dissuasions. Et je pouvais lui répéter encore et encore que ce n’était de toute façon pas là mon souhait. Nos actions se rejoignaient sur certains points, seulement pour nous mener dans des directions différentes. Au delà de ça, je ne saisissais pas encore tout à fait ce que je n’étais pas censée vouloir découvrir de lui. Je ne voulais pas savoir, je ne pourrais pas savoir. C’est ce qu’il me répétait. Encore et encore. Il prenait un risque. Les interdits dans mon esprit se transformaient rapidement en obsession, en défis. Il ne fallait pas me pointer du doigt ce que je ne pouvais atteindre au risque de me voir tout détruire en essayant. Et alors que verrais-je ? Que trouverais-je en lui qu’il avait l’air si déterminé à cacher ?
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé
() message posté par Contenu sponsorisé
Revenir en haut Aller en bas
Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut
London Calling. :: It's over :: Corbeille :: Anciens RP
Aller à la page : 1, 2, 3  Suivant
» I've got thick skin and an elastic heart feat Nirvana
» (Car) + Lexie + 5/11
» I want you to stay - Lexie
» (sam + lexie) how rare and beautiful.
» Under the rain •• Lexie

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
-