anabeth (+) lately i've been losing sleep, dreamin' about the things that we could be...

Anabeth retire une énième photo d’un carton, et les coins de ses lèvres s’étirent tout doucement. Elle caresse le papier de la photo, nostalgiquement, avec respect. Les couleurs sont un peu passées, la photo est un peu floue mais elle s’en fiche. La grand-mère de la jeune fille lui sourit, ses yeux brillent sur le cliché. Devant elle, entre ses genoux, est assise une petite blonde coiffée de couettes, dont les yeux sont aussi brillants que ceux de son aïeule.
La jeune femme se lève, pose la photo sur le meuble et parcourt du regard son appartement. Il est peut-être plus sombre que ceux que louent habituellement les jeunes de sa génération, probablement plus meublé aussi, et plus décoré d’antiquités aussi. Anabeth sourit à nouveau tandis que son regard se pose autour d’elle, sur les différents objets et petites attentions qui lui rappellent sa chère grand-mère.
On frappe à la porte, et c’est précisément celle qui l’a élevée qui se tient derrière la porte, pour l’accueillir avec un câlin tout ce qu’il y a de plus sincère. L’émotion et l’amour qui se manifestent dans l’étreinte entre Anabeth et Isabel ferait pleurer n’importe qui.
Elles ont toujours été très proches, Isabel étant la seule famille que la jeune femme ait eue. Elle n’a jamais manifesté le souhait de retrouver ses parents biologiques, et secrètement la plus âgée des deux s’en trouve soulagée – elle aurait bien trop peur de perdre sa petite-fille, à laquelle elle tient comme à la prunelle de ses yeux. Anabeth a eu une enfance heureuse, bien que très sage et l’adolescence s’est déroulée de la même façon. Isabel n’a jamais eu de soucis d’éducation avec sa protégée, et le seul sujet qui les a déjà opposées est l’orientation sexuelle d’Anabeth. Elles ont décidé de ne plus en parler, la jeune femme vivant sa vie sans en parler à sa grand-mère, et Isabel préférant tout simplement d’ignorer la vie privée de celle qu’elle a élevée.
Isabel entre dans l’appartement tout neuf de sa petite-fille, fait un tour rapide du salon, sourit en remarquant çà et là des clichés d’elles deux au fil des années. Les larmes se font voir au bord de ses paupières lorsqu’elle donne enfin son avis à Anabeth. « C’est tout à fait ton style,ma chérie. C’est toi tout craché ! »
La blonde sourit, et vient rejoindre sa grand-mère au milieu de la pièce. « C’est l’heure du thé mamie. Tu viens ? »
Elles sortent de l’appartement, pour rejoindre le salon de thé qu’elles fréquentent occasionnellement, à mi-chemin entre leurs deux résidences. Entre petits gâteaux et leur boisson préférée, Anabeth cherche un moyen d’avouer à sa grand-mère qu’elle aimerait relancer la discussion entre elles, sur le sujet qui lui tient le plus à cœur. Elle cherche ses mots, ouvre la bouche, et se trouve idiote d’appréhender autant la conversation qui va suivre. « Mamie…Il faut qu’on parle. »
Et parce qu’elles se connaissent par cœur, Isabel sait déjà de quoi veut lui parler Anabeth. Elle hoche doucement la tête, pas très sûre d’apprécier ce qu’elle va entendre. Pas vraiment sûre de vouloir savoir. Elle prend le poignet de sa petite-fille, sur la table. « Ma chérie…On a pas besoin d’en parler. Tu vis ta vie comme tu l’entends, mais je crois que je suis trop vieille pour entendre ce genre d’histoires. »
Anabeth sait déjà que la discussion est close du côté de sa grand-mère – Isabel a cette expression qui lui prouve qu’elle ne voudra pas poursuivre la conversation, quoi qu’elle puisse lui dire. Elle hausse les épaules, l’air faussement résigné. « J’espère que tu ne regretteras pas ton choix, Mamie. J’ai besoin de me confier à toi, tu es celle qui m’a élevée, et tu es également celle en qui j’ai le plus confiance au monde. »
Elle baisse les yeux, cherche un billet dans son portefeuille et le laisse sur la table, avant de quitter le salon de thé.
Dans la rue, l’air frais lui fait du bien, mais attise également les larmes cachées derrière ses yeux. La jeune femme presse le pas. Elle ne s’est jamais disputée avec sa grand-mère, et aussi douloureuse que cette étape puisse être, Anabeth se doute aussi que c’est par là que commence sa vie d’adulte. S’opposer à ceux qu’on aime, les confronter, et se rendre compte qu’ils nous aimeront toujours malgré tout…