La dernière fois qu’ils s’étaient vus, Tristan avait exprimé sa colère au sujet de l’article publié sur lui, il était convaincu que c’était Julian qui l’avait écrit alors qu’il ne s’occupait que de la rubrique finance. Quelques jours avant leur discussion, il était rentré, le poing ensanglanté, le regard haineux, installé dans l’obscurité de leur chambre, il l’avait atrocement effrayée, ces deux-là avaient partagé des rapports houleux. Il ne semblait pas que leur lien se soit amélioré au vu de sa précédente remarque, elle ne pouvait pas lui en vouloir, cet article avait eu un grand impact sur ses relations familiales, il lui avait dit. Se souvenir de la nuit où elle s’était occupée de Julian, à soigner ses plaies, à calmer ses démons, oppressait son coeur, elle manquait tout à coup d’air. A chaque fois qu’elle avait l’impression d’aller de l’avant, son image la rattrapait et soudain, elle était de retour à la case départ, comme si elle n’avait pas assez pleuré, et que les efforts de son entourage n’avaient jamais existé. Sa souffrance lui rappelait son humanité, elle était un être fragile doté de chair et de sang. La nouvelle de cette séparation semblait le prendre de court, il ne s’y attendait pas, elle non plus ne s’y était pas attendue le soir du bal. Elle ne pouvait pas lui en vouloir d’avoir posé la question.
Bien qu’elle soit elle-même mal à l’aise de rester en compagnie de sa mère, Tristan semblait l’être encore plus. Ce thé ne l’enchantait pas, comme quoi, elle n’était pas la seule à se sentir piégée par cette charmante proposition. Peut-être aurait-elle du refuser pour lui éviter ce désagrément ? Elle n’était pas du genre à s’imposer lorsque sa présence dérangeait, mais si elle avait refusé, elle se serait tout bonnement contredite. Elle lui avait proposé de boire un café pour discuter, mais on l’invitait plutôt à la maison, ça revenait au même. Dans le taxi, le silence régnait, presque pesant, Tristan ne parlait pas, sa distance la rendait nerveuse. Elle aurait souhaité voir quelques signes de sa part lui indiquant que tout allait bien, qu’il tenait le coup et que le moment qu’ils allaient devoir passer ensemble n’allait pas se dérouler de la même manière que la dernière fois mais rien, il était perdu dans ses pensées. Sa petite mine semblait encore plus s'aggraver de cette façon, mettant encore plus en valeur ses cernes et sa pâleur. Sans s’en apercevoir, sa propre appréhension disparut, elle ne pensait plus réellement à ce que pouvait dire sa mère à son sujet, le cas de Tristan la préoccupait beaucoup plus. Et voilà la Athénaïs que tout le monde connaissait, celle qui ne pouvait pas continuer sa route alors qu’elle rencontrait une âme en peine. Elle se devait de l’aider mais il allait sûrement refuser, comme toutes les personnes à qui elle désirait offrir sa main. Néanmoins, elle y parvenait souvent, la persévérance était la clef. Une motivation soudaine la submergea, elle ne pensait plus à sa douleur.
Le trajet ne dura pas longtemps, elle ne connaissait pas les environs, elle comprit alors qu’ils se rendaient à l’appartement de Tristan et non à la résidence de ses parents où elle avait tant l’habitude d’y venir. La surprise fut encore plus grande, et les faits d’autant plus mystérieux, sa mère l’accompagnait jusqu’à chez lui ? Étrange, très étrange. Même l’homme qui leur ouvra la porte semblait suspect, les domestiques arboraient en général un sourire à toute épreuve lorsqu’ils recevaient des invités, c’était la règle mais apparemment, elle n’avait pas le droit à ça. A l’intérieur, le malaise de Tristan était palpable. Les lieux avaient une certaine classe, en tant qu’héritier d’une aussi grande famille, il fallait s’y attendre mais elle en fut cependant surprise, dans le sens agréable du terme. Le miroir au dessus de la télévision attira bien vite son attention, il était grand et renvoyait la lumière avec netteté. Ce qui s’y reflétait la laissa penaude pendant quelques instants, en tant que princesse, elle savait se tenir et cacher ses émotions lorsqu’il le fallait, ses yeux bleus n’exprimèrent aucune surprise, ni inquiétude comme si elle avait simplement regardé son image dans la glace. Elle lui sourit lorsqu’il s’excusa pour le désordre. ”Tu ne devrais pas, c’est plutôt à moi de m’excuser pour venir à l’improviste.” Ils étaient seuls, sa mère s’était éclipsée, elle se sentit moins oppressée mais Tristan de son côté, ne semblait pas se détendre, au contraire, son visage devenait encore plus pâle. Sa main libre commença même à trembler légèrement et n’échappa pas à l’observation de la jeune femme. D’un geste rapide, elle lui attrapa la main et la leva dans les airs puis, de sa propre initiative, comme si c’était lui qui menait la danse, tourna sur elle-même faisant virevolter sa chevelure dorée. Elle surprenait parfois par sa lumière. ”Nous n’avons jamais eu l’occasion de danser ensemble, quand tu n’auras plus ce plâtre, tu n’y échapperas pas !” Son ton était léger, plein d’optimisme puis elle se calma un peu, plus sérieuse. ”Honnêtement Tristan, comment est-ce que tu vas ?” Elle s’attendait déjà à un “bien” et tous les mensonges avec mais qui sait, peut-être allait-il lui ouvrir des brèches ?