( EVELYN + WINONA) An interesting visit

Le bruit des petits talons de ses bottes se mêlait aux clapotis des flaques. La pluie était fine, irrégulière et ne tiendrait surement pas très longtemps. Néanmoins, Evelyn savait s’adapter au temps de Londres. La pluie n’était pas qu’un cliché de la capitale, mais la météo fait partie du charme de la ville. La jeune femme s’était donc chaussée de bottines en cuir qui lui arrivaient juste au dessus des mollets. Vêtue d’un simple slim en jean foncé et d’un pull crème, elle profitait de la brise matinale qui lui rafraîchissait la nuque. Elle avait attaché ses cheveux blonds en queue-de-cheval, coiffure simple mais qui lui donnait tout de même une touche d’élégance. Armée de son parapluie, elle pressa le pas quand la pluie devint plus intense.

Evelyn s’engouffra dans les escaliers qui menaient à la station de métro de South Kensington. Elle se dirigea rapidement sur le quai, consulta sa montre, puis vit le métro qui arrivait déjà. Elle laissa sortir la vingtaine de passagers qui étaient arrivés à destination puis pénétra dans le wagon. Malgré tout le monde qui l’entourait, elle se sentait déconnectée de tout. Ses écouteurs aux oreilles, elle se laissa porter par le morceau de musique qu’elle écoutait. Le trajet était court car dix minutes plus tard, elle se trouvait déjà à la sortie de la station de Leicester Square.

L’averse s’était arrêtée. Le ciel resta gris, mais certains rayons de soleil parvenaient à percer le mur de nuages. Il était 9h du matin, et la capitale était déjà pleine de vie. Les hommes d’affaires et salariés couraient dans tous les sens, on entendait des « taxi! » de tous les côtés et les retardataires se dépêchaient de s’engouffrer sur leur lieux de travail. Au milieu de cette agitation, les touristes prenaient le temps de regarder la moindre statue, le moindre établissement avant de prendre une ou deux photos, armés de leur reflex. Evelyn aimait ce mélange d’excitation, d’émerveillement, de stress et de liberté qu’offrait Londres aux habitants et aux touristes.

Elle traversa Charing Cross Street, tourna à gauche sur Duncannon Street et s’engagea sur Strand. Sa galerie d’art contemporain se trouvait au début de la rue, près d’autres galeries. Elle entra rapidement dans un Starbucks afin de commander un moka. Ces cafés n’étaient pas donnés, mais c’était devenue une habitude presque indispensable pour bien commencer la journée. L’automne approchait et la chaleur du gobelet lui réchauffa les mains. Après avoir dépassé quelques commerces, Evelyn arriva devant sa galerie. Elle sortit son trousseau de clés et ouvrit le local.

L’endroit était ni trop grand ni trop petit. Elle avait de quoi faire de belles expositions. Elle avait réussi à acheter la galerie à un vieux monsieur passionné d’art tout comme elle, qui, touché par l’enthousiasme de la jeune femme, lui avait fait un prix. Elle avait du malgré tout demander un emprunt à la banque, mais elle était prête à tout pour exercer le métier de ses rêves.
Cela faisait maintenant six mois qu’elle était la propriétaire de cette galerie. Elle avait donc eu le temps de trouver des artistes avec qui travailler et avait même vendu certaines oeuvres à des clients passionnés. Les affaires commençaient doucement mais sûrement. Elle ne s’attendait pas à un succès immédiat car elle savait que les galeries mettent un peu de temps à établir une bonne réputation. Cependant, elle ne s’en sortait pas si mal que ça. Evelyn n’avait pas le temps de s’ennuyer à vrai dire.

La jeune femme posa son café sur un comptoir, le temps qu’il refroidisse un peu. Elle s’assit sur un tabouret qui faisait fasse aux murs blancs du local, décorés des oeuvres qu’elle exposait. Elle les regarda, une à une, pour la énième fois. Certains artistes la fascinaient, d’autres la troublaient. Elle ne se lassait pas d’admirer le travail des autres. Dans une autre vie, elle aurait aimé être peintre. Exposer ses oeuvres dans des galeries comme la sienne. Elle aimait cependant se trouver de l’autre côté.

Evelyn portait le gobelet Starbucks à ses lèvres lorsqu'elle aperçut une silhouette devant la vitrine, qui semblait hésiter à entrer. Cela pourrait être un client, un créateur ou un curieux tout simplement. Elle retourna la tête vers le tableau qui se trouvait face à elle, afin de ne pas fixer cet inconnu. C'est alors qu'elle entendit la porte s'ouvrir.

Le claquement de la porte résonna faiblement dans le local, interrompant le silence qui régnait. La personne qui se trouvait à l’extérieur s’était donc décidée à entrer. Ce n’était donc pas qu’un simple curieux. Or, Evelyn n’avait pas fixé de rendez vous cette matinée là. Comme elle pouvait être très tête en l'air, elle aurait pu oublier quelque chose. Mais pas le temps de vérifier son agenda, la personne était déjà à l'intérieur. Elle n'avait qu'à voir de quoi il s'agissait.
Avant même qu’elle ait eu le temps de tourner la tête, Evelyn entendit la voix d’une jeune femme. Elle fut assez surprise, mais heureuse d’avoir apparemment de la visite de si bon matin. Elle lâcha son gobelet de moka et s'essuya discrètement mais rapidement la bouche.

« Bonjour, je cherche mademoiselle Collins ! »

Elle se retourna et découvrit alors une jeune femme qui selon elle devait avoir entre 20 et 25 ans. Elle évita de trop la regarder de haut en bas, afin de ne pas la mettre mal à l’aise. Elle ne jugeait pas les gens en les dévisageant, mais c’était simplement un petit réflexe, pour essayer de voir à qui elle s’adressait. C’était une fille très mignonne, habillée simplement mais avec une certaine classe. A vrai dire, Evelyn se dit que cette fille avait l’air de lui ressemblait, à première vue. Au moins au niveau du style.

Elle tâcha de se lever, pour avoir l’air plus polie. Elle ne voulait pas rester assise et donner mauvaise impression. Elle s’avança vers l’inconnue, et se place à sa hauteur, en laissant tout de même une petite distance entre elles. Evelyn prit une petite inspiration avant de lui répondre, tout en tendant une main vers elle.

« Bonjour, je suis mademoiselle Collins ! Mais vous pouvez m’appeler Evelyn. Que puis-je faire pour vous ? » demanda-t-elle en esquissant un petit sourire

Elle avait essayé de lui répondre avec une petite touche d’assurance mais sans en faire trop.  Elle ne voulait pas non plus répondre d'un ton trop enjoué. Elle tentait toujours de doser sa voix lors des premières rencontres. Même si Evelyn était aujourd’hui propriétaire et donc sa propre patronne, elle ne savait pas toujours quel comportement adopter. Elle préférait être simple, sympathique et ouverte aux gens. C’est pour ça qu’elle voulait mettre la jeune femme à l’aise. Surtout que celle-ci avait plus l’air d’être une étudiante qu’un gros client. Elle ne voulait donc pas sembler froide et hautaine. Elle garda donc son discret sourire aux lèvres, attendant une réponse.

"Bonjour, je m’appelle Winona Derwent. J’ai vu sur une petite annonce que vous recherchiez quelqu’un pour vous aider à la galerie."

Il y a une dizaine de jours, Evelyn avait en effet posté une annonce sur plusieurs sites et journaux. La galerie commençait petit à petit à se faire une réputation, ce qui ne rendait pas le travail facile tout les jours pour une personne seule. Même si son métier la passionnait, elle avait besoin de souffler de temps en temps. Il est difficile de contacter les clients, les artistes, rencontrer tout ce petit monde, gérer l’administratif et la caisse de la galerie quand on est seule. Evelyn s’en était toujours bien sortie mais elle du se rendre à l’évidence : elle devait embaucher quelqu’un.
Cependant, elle savait qu’elle aurait du mal à s’empêcher de tout gérer. Sa galerie, c’était tout pour elle : elle ne voulait pas la mettre entre les mains de n’importe qui. La jeune femme avait du travailler dur et investir beaucoup de temps et d’argent avant de parvenir à ouvrir son local. Elle cherchait donc une personne de confiance et surtout, quelqu’un qui lui ressemble. Pas question qu’il y ait des brises de becs au niveau professionnel. Elle voulait que tout se fasse naturellement et bien.

Evelyn acquiesça donc avec un sourire. Elle avait hâte de voir ce que la jeune femme allait lui proposer et surtout, elle attendait de mieux la connaître. Cet situation d’ « entretien d’embauche » la stressait toujours un peu, mais elle se disait que la personne en face devait être encore plus tendue qu’elle.

"Je vous ai apporté mon CV" dit Winona.

Evelyn prit la feuille de papier qu’elle lui tendit. Elle parcourut le CV rapidement des yeux. Winona semblait avoir les qualifications qu’elle cherchait, du moins aux premiers abords. Cependant, ce n’était pas tellement les diplômés et autres qui l’importait le plus. Il lui fallait quelqu’un de motivé et aussi passionné qu’elle. Du moins, quelqu’un, qui s’intéresse vraiment à l’art. Winona n’était pas la première personne qui venait la voir pour le job proposé. Or, les deux ou trois personnes qu’elle avait rencontré avait l’air de prendre ce métier à la légère. Elle ne les avait pas sentis particulièrement intéressés par le métier en lui-même. Evelyn était peut être trop exigeante au fond d'elle.

"Vous avez vraiment un très jolie galerie !" rajouta Winona.

Evelyn sentit que ce n'était pas un compliment en l'air juste se donner plus de chances de décrocher le contrat. Il avait l'air plutôt sincère, ce qui lui fit très plaisir, comme à chaque fois qu'on lui faisait ce genre de remarques.

"Je vous remercie mademoiselle Derwent, c'est très gentil. Votre CV semble très intéressant. Qu'est ce qui vous a poussé à postuler pour cette offre ?" demanda-t-elle à la jeune femme.

Evelyn garda un sourire en coin. Elle avait remarqué que Winona avait l’air de bien apprécier l’endroit. Pour elle, c’était un facteur de sélection. Il n’y avait là aucune prétention : pour avoir le poste il ne fallait pas absolument adorer sa galerie, car elle était consciente qu’il y avait beaucoup de choses à améliorer encore. Elle espérait justement qu’un regard nouveau puisse l’aider à régler ces quelques détails. Cependant, elle appréciait que les candidats s’y intéressaient. Cela montrait beaucoup de choses. Elle savait d’avance que la jeune femme devant elle était une passionnée.

« Merci. J’ai toujours voulu travailler dans le domaine de l’art, j’ai commencé à m’intéresser à l’art vers 12-13 ans et depuis l’idée qu’un jour je travaillerais dans une galerie comme la votre ne pas quittée. Je viens de terminer mes études et je cherche activement du travail depuis mais jusque là je n’avais rien trouvé de vraiment intéressant. Il y a beaucoup de galeries qui sont… je ne sais pas… j’ai l’impression qui leur manque quelque chose, comme un supplément d’âme qui rendrait l’endroit chaleureux et magique à la fois ! »  »

Evelyn était rassurée car son impression se confirmait : la demoiselle devant elle avait l’air de vraiment s’intéresser au domaine de l’art. Elle voyait chez cette jeune femme une véritable sincérité qu’elle aurait pu difficilement mettre en doute. Elle n’arrivait pas à se dire que, lorsque celle-ci complimentait l’endroit, ce n’était que pour faire bonne impression.

« Désolé, je parle un peu trop parfois » s’excusa Winona. Ca ne l’empêcha pas de continuer à parler car elle déclara : « Pour vous dire la vérité, je ne connaissais pas votre galerie avant d’arriver ici et je dois dire que je suis agréablement surprise, elle est exactement comme le genre d’endroit dans lequel je rêve de travailler ! »

 « Ne vous excusez pas » rassura Evelyn avec un ton chaleureux.  « Vous savez, c’est plutôt un atout pour travailler dans une galerie. Il faut savoir communiquer avec les clients, les artistes ou d’autres personnes avec qui on est amené à travailler. Vous avez donc de la chance car moi-même j’ai eu un peu de mal à avoir cette aisance que vous vous semblez avoir ! »dit-elle avec un petit rire.

Evelyn se demanda alors si elle avait enfin trouvé la personne avec qui elle aimerait travailler. Winona dégageait une certaine fraicheur qu'elle appréciait. Toutefois, elle ne voulait pas s'emballer et aller trop vite. Il fallait qu'elle la voit à l'essai. Une simple discussion ne suffirait pas.

 « Vous me semblez motivée et plutôt compétente pour ce poste. Pour moi, vous êtes donc une candidate très intéressante. Que diriez-vous de faire un tour de la galerie avec moi ? » demanda Evelyn à la jeune femme.