"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici Break me out, set me free _ Eleah&James - Page 3 2979874845 Break me out, set me free _ Eleah&James - Page 3 1973890357
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Break me out, set me free _ Eleah&James

James M. Wilde
James M. Wilde
MEMBRE
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() message posté Sam 29 Déc 2018 - 21:22 par James M. Wilde


« For all my life, I've been besieged
You'd be scared, living with my despair
And if you could feel the things
I am able to feel
Break me out, let me flee
Break me out, set me free »

Eleah
& James




La musique en hommage à ce qui a été, silhouettes enfuies de ces sensations navrées, visages enfouis au plus profond de soi. Une mémoire qui suinte sur les touches, les caresse, les allonge, le souffle qui s’étend comme un empire sur la musique elle-même, infléchie par les silences. C’est ce que l’on m’a appris, l’art des silences, ceux qu’on ponctue aux détours d’une phrase, ceux que l’on aménage au milieu d’un morceau, celui qui s’élève à la toute fin, un crescendo mutique, presque une confidence à un néant qui n’aurait rien de fatidique. Une confidence à soi-même, et aux autres, une seule oeillade pour exprimer ce qui ne peut plus être dit, ce qui serait bien trop long à démêler. Un regard qui tombe dans le vide, ou dans celui d’un témoin. C’est elle ce soir. C’est elle. J’ai encore les prunelles remplies de ses mouvements, la musique épanchée dans la tête, une vague très audible qui refuse de se taire. Les lèvres closes, pourtant une expression très épurée, presque sourde, presque apaisée. De ces combats irrévérencieux qui firent du désir d’autres armes dont il faut se méfier, il ne reste plus rien, uniquement la splendeur de la lame, un éclat dans l’iris qui tremble. Sur son corps alangui, j’ai des images musicales qui cherchent à se coucher, non plus à l’enserrer comme avant, afin de la dominer, mais dans l’idée de la posséder avec d’autres tonalités qui lui feraient comprendre tout ce que je ne parviens plus à enfermer. La vérité, tu sais, c’est que je suis fatigué. Je suis si fatigué, petite fille, sans que toutefois l’âge, n’ait usé ses dents pointues sur mes chairs, les voilà toutes déchirées de ces outrages que j’ai su graver en un temps bien trop court. Dans le silence, dans ce repli de l’âme accidentée, j’ai la vision très claire de notre conversation, j’ai encore sur la peau l’infini de tes brûlures, tes deux yeux noirs qui courroucés m’ont regardé comme si j’étais l’infamie à repousser, l’hérésie à renier. Je crois que je suis venu jusqu’ici dans l’idée délirante de me savoir jugé par un tiers, quelqu’un d’aussi illusoire que toi, un fantasme éthéré dans la nuit. Mais tu n’es peut-être pas que cela, tu es peut-être plus, et cette idée, oui, cette idée, petite fille, me terrifie. Car tu sais, tu sais, dans le noir, j’ai apposé mes mains sur un corps que je chérissais, dans le noir, dans le noir, j’ai déchiré sa peau, je l’ai noyé dans une luxure horrible, jusqu’à le voir disparaître. Disparaître. J’aimerais pouvoir disparaître à mon tour, et c’est ce que tu as su, alors que tu parlais, voilà pourquoi la pitié s’est mêlée à la colère. Toi, la fillette qui veut encore, encore vivre, encore ressentir. Et moi, le garçon qui n’en peut plus, qui a trop profité de ce que les sensations pouvaient lui apporter. Jusqu’à l’infamie. Jusqu’à tuer. Jusqu’à tuer. Comment peut-on seulement se relever de cela ? Dis-moi, dis-moi. Ma tristesse est prégnante, mes regards n’ont plus rien de placides, dorénavant qu’ils se posent sur elle, et qu’ils ont dévoré les pas, les mouvements dissimulés sous l’étoffe, clarté diaphane, ce que l’on déchiffre dans des imaginaires radieux, la musique dans la chair, les harmonies sous la peau. Tendons, muscles, accord. Pirouette, arabesque, contre-temps. Je me suis moqué de la danse, car c’est un art qui comme la musique me semble galvaudé, celui que l’on usurpe sans cesse, parce qu’après tout remuer son inutilité sur une piste, c’est ce que l’on nomme danser, quand d’autres s’escriment à le maîtriser dans une dureté imparable, dans la rigidité d’un apprentissage harassant. Je m’en suis également moqué parce que c’est une discipline qui pour moi est ignoble, déforme, ploie, broie parfois. Comme ces maîtres de musique d’ailleurs, qui jouissent d’un pouvoir sévère sur leurs élèves jusqu’à les formater. Me couler dans leurs règlements innombrables, je n’ai pas pu, je n’ai pas su. J’ai espéré un temps que cela fonctionne, suffise. Pour rentrer tout ce qui de mon caractère, de mon esprit malade, tordait une réalité impossible à vivre. C’était peut-être trop tard pour moi, ou bien incompatible avec tout ce que j’entendais, en permanence. Je me demande si pour elle ça a été salutaire, et comment elle parvient, dans sa sobriété de jeune fille bien comme il faut à façonner ainsi la musique en son sein pour la porter jusqu’aux nues, comme elle l’a fait ici, en seulement quelques minutes. Une émotion maligne s’insinue dans mon ventre, c’est un autre désir, plus torve, plus flou. Un désir qui ne cherche ni à repousser, ni à détruire, pas dans l’immédiat. Un désir dont je me méfie plus encore. Le risque est pris, dorénavant que je suis resté ici, que j’ai joué pour elle, et qu’elle a dansé. Elle a dansé pour moi. Je ne sais pas quoi faire de cela, j’ai envie de sortir, de m’enfuir, de ne plus jamais la voir, mes doigts sont arrêtés sur les touches, désoeuvrés et quelque part effroyablement animés. J’ai l’impression de l’avoir touchée, caressée, modelée dans une ferveur irrépressible, j’ai chaud, j’ai froid. Je resserre les pans de mon manteau autour de moi, me remémore lorsqu’elle avance chacune de ses postures, la fièvre de ses jeux, la luxure de ses attitudes, la délicatesse de ses mouvements, un ensemble entier, qui vibre, vibre, sous la pulpe des doigts qui cherchent à se raccrocher. Ils demeurent sur mes cuisses désormais, et je la regarde pour ne pas les observer, les voir morts ou bien condamnés. Tu sais comment faire, James, tu pourrais jouer ici. Tu pourrais jouer, il paraît que tu savais très bien manier un instrument. Alors pourquoi refuses-tu de t’y remettre ? Pourquoi ? Toujours ces questions, incessantes, et ce combat qui résonne en défaite. Notre calme conjoint n’est que bien illusoire, mon souffle caracole, mes pensées sont un marasme indéchiffrable. J’observe ses mains sur la surface miroitante. Si vivantes, si vivantes. C’est ce qu’elle est encore, c’est ce qu’elle veut être, aujourd’hui, et demain. C’est cette inspiration qui devient épopée. Elle avait les mêmes envies, elle avait les mêmes élans, la frénésie au bord des lèvres, la fièvre dans les yeux. Et j’ai brisé ses jambes, je l’ai brisée toute entière. Je regarde son visage, et je vois de ces échos, masques mortuaires qui ne me jugent plus, qui ne me jugent pas. Qui me voient, simplement. Elle s’installait aussi, pour m’écouter jouer, elle avait cette expression, presque la même, une sorte d’apaisement délicat, qui la rendait si belle. Cette petite fille est belle, elle est belle à crever quand elle me parle comme ça. J’aime t’écouter. Leurs voix se superposent, j’ai un frisson de terreur mais aussi de ce qui pourrait ressembler à de la joie. Une expression très candide envahit mon visage, des mots sans détour, sans faux semblants qui se murmurent sous le sceau de l’émotion :
_ C’est vrai ? C’est ce que tu ressens ?
J’ai un sourire, un sourire plein de mélancolie, une joie teintée par la peine. Ce sont les joies les plus belles. Ces joies simples que j’ai ainsi dédaignées dans mes discours, et qui ne sont jamais assez. Jamais assez maintenant. Ce soir… Ce soir, peut-être. Je me reprends un peu, remonte le col de mon manteau avant d’opiner doucement :
_ J’ai toujours aimé ce compositeur, parce que ses oeuvres sont compliquées à jouer mais qu’elles délivrent des sensations très pures. Presque parfaites. Il n’y a rien de trop, rien qui ne soit pas à sa place, et pourtant on a l’impression d’un aveu, sobre, dépouillé. Ça touche ou ça ne fait rien. Il n’y a pas d’entre deux.
C’est ce que j’aimais essayer de faire, c’est ce que j’ai tant souhaité créer. Ce cri, si pur, si douloureux, si dérangeant. Une grandiloquence de façade pour une émotion qui confine à l’injure, parce que c’est sans doute bien trop à supporter. Je crois que c’est ce que la musique est censée déclencher, quand elle n’est ni manipulée, ni utilisée dans des constructions outrancières ou ridicules qui lui donnent des allures vulgaires. Je pose ma main droite sur les touches, et lui sourit une fois encore :
_ Je ne sais pas, peut-être, oui. Donne-moi un compositeur, un morceau, ancien, ou moderne, je peux faire une exception pour toi. De toute façon, c’est trop tard pour s’arrêter, n’est-ce pas ?
Mes yeux la sondent, l’envie reparaît dans la naphte d’une euphorie fragile. C’est trop tard, tu as dansé aussi, tu as fait une sorte de promesse, que je n’oublierai pas. Je ne repousse pas cet instant qui nous réunit, nous attache ou nous rapproche, sans qu’il n’y ait d’enjeux malsains, ou de guerre sous-tendue. Cela m’a tant manqué, cela me manque… J’ai laissé tous mes instruments en Angleterre, j’ai fourgué ma guitare pour de la came, je ne sais même plus ce qui reste dans le garde-meuble que nous avons loué à notre arrivée. Sans doute pas grand chose. Je replace ma main gauche, et ajoute doucement :
_ J’aime bien que tu sois là, ce soir, pour écouter. Parce que tu ne mens pas. Avec ton corps tu ne mens pas...
J’inspire lentement. C’est plus que cela. Elle ressent, elle absorbe, elle prend et fascine, destine une réalité sans pour autant la falsifier, à chacun de ses pas. Les danseurs en général, modulent ce qu’ils ressentent, ils le transforment mais aussi le cloisonnent, parce que leur besoin de paraître surpasse l’harmonie, la musique et le corps se livrent une bataille, les muscles triomphant des accords fortuits, que l’on utilise et abuse, pour mieux les dominer. Mais la gamine n’est pas comme ça, il y a chez elle une splendeur qui envole les tonalités pour les rendre plus entières, elle ne dérobe rien, elle se fait vecteur de la création qui la possède, entre en elle, vrille les nerfs, sculpte le corps, dessine les pensées. J’aimerais qu’elle ressente, la musique, ou les mots. J’aimerais qu’elle me ressente encore, m’imaginer en elle, un peu moins laid, un peu moins froid. Un peu moins mort sans doute, maintenant qu’elle est là.
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() message posté Jeu 3 Jan 2019 - 11:47 par Invité
break me out
set me free

I have lived in darkness, for all my life, i've been pursued. You'd be afraid if you could feel my pain and if you could see the things I am able to see  

Silence court, bien trop lourd. Les harmonies se gravent au diapason, créent de ces lueurs diaphanes qui dansent alentour et se réverbèrent sur la porosité du carrelage blanchâtre. Elle se révèle créature éthérée, troublante de fragilité, suivant la courbe de ses phalanges qui jouent avec la candeur des premières fois, et en même temps la prudence déchirante de celles qui ne se reproduiront pas. La fin d’un être, le début d’un autre. Un âge dont il fera partie puisqu’il survit encore. Peut-être malgré lui, peut-être à contrecœur, dans le contretemps d’une réalité dont il a abjuré les contours. Mais il survit, quoiqu’il en dise, quoiqu’il fasse. Il subsiste quelque chose d’une âme en souffrance, dévalant sur les touches lisses, en clair-obscur. Un trop peu, un pas assez, qui geint de se savoir enterré alors qu’il vit encore, clamant l’âpreté de désirs ignobles qui maintiennent debout quand la conscience voudrait qu’ils terrassent tout au contraire, amènent la volonté d’agir une dernière fois. Rejoindre le vide … Le vide. Pas le toucher du bout des doigts seulement non, l’enlacer comme une amante frivole que l’on souhaite garder auprès de soi, qui se débat, qui cherche à asseoir une liberté qui n’existe plus … Qui n’existe pas. La mort a toujours été une concubine attirante pour qui sait la regarder en face, distinguer les plus intimes de ses laideurs et y voir la beauté d’un dernier jugement, de l’expiation d’un souffle qui n’en pouvait plus de s’égarer, dans le vide, dans le noir. La mort si belle, la mort si séduisante. Si glacée toutefois, lorsqu’elle resserre ses griffes autour de votre silhouette. Un abîme grand ouvert, bouche béante, cloître putride où il fait bon vivre finalement, quand on a dévoyé tout ce en quoi on pouvait encore croire, ou rêver. Rêver, c’est ce qu’Eleah a toujours fait pour fuir la pâleur moribonde. Rêver être plurielle et en même temps une seule. Rêver de ces ailleurs qui n’ont lieu que dans sa tête, et où personne ne saurait la traquer sans s’esquinter au passage. Rêver, rêver. Rêver des fuites qui n’en finissent plus, les pas qui dévalent sur le sol mouvant de ses espérances. Rêver cette liberté qui n’enchante que dans les contes, qui ne peut être sublime que l’on la regarde par le prisme d’un idéal trompeur. Rêver toute seule, rêver en nombre. Parsemer toutes les fadeurs d’un monde de lueurs qui n’existent que dans sa tête, et imaginer qu’ils distingueront, s’ils savent seulement la voir, tout ce qu’elle voudra leur montrer, sur la courbe de son corps, dans la frénésie de ses gestes et de ses danses, constantes, troublantes.
Elle demeure à le regarder peindre ses souffrances sur la toile brouillonne d’émotions confuses. Il a mal, il a si mal. Cela suppure de ses traits fatigués, de ses membres qui tremblent. L’agonie au singulier, rendue plurielle par tous les stigmates qu’elle laisse en héritage sur les lignes d’un corps qui n’en peut plus. De qui ? De quoi ? Elle n’est pas certaine que cela ait de l’importance. D’avoir ressenti sa musique, même empruntée à un autre que lui, elle sent le mal qui le ronge et l’éprouve à son tour. Elle voudrait pouvoir avoir cet élan rassurant, presque maternel malgré son jeune âge, qui la pousserait à lui dire que tout irait bien. Que tout irait bien, à la fin. C’est ce qu’on lui avait toujours resservi, depuis l’enfance, depuis le cloître de l’institution où ils avaient essayé de les déloger du silence dans lequel ils s’étaient enfermés, avec Arthur. Elle n’a jamais pu se convaincre de cette idée toute faite, inventée par ceux qui ignorent, qui se contentent de s’abreuver aux lignes de théories en chapitres interminables sans concevoir l’essence même des réflexions dont ils s’inondent. Alors elle ne dit rien, forgée par le mutisme dont elle sait faire preuve, avec la férocité d’une stature, dès lors qu’elle se sent incapable de mentir, de maquiller ce qu’elle ignore pour servir des phrases toutes faites qu’elle aurait usurpé à d’autres. Elle ne ment pas, non. Il a raison. Ni avec son corps, ni avec son âme. Lorsque les questions se posent et qu’elle ne sait y répondre, elle préfère souvent ne rien dire. Il la regarde, arborant un masque de détresse qui le rend à ses yeux à la fois plus attirant et repoussant. Une ambivalence en deux temps, qui la laisse statique, à la frontière qu’elle met un temps indistinct à franchir. Ses doigts s’approprient les contours, glissent sur la surface vernis du piano comme s’ils le découvraient pour la première fois. Le masque est toujours là, bien en place. Si beau lorsqu’elle s’en approche, papillon de nuit prêt à s’y poser, à s’y brûler. Butiner l’essence qui se cache, avec la parcimonie d’une audace teintée de voracité. Ce n’est pas elle qu’il regarde. Pas tout à fait. Ses prunelles se voilent de l’image de spectres qui s’apposent, filtrent la lumière, assourdissent les couleurs trop aveuglantes. Elle ne lui en tient pas rigueur, elle ne le connaît pas assez pour cela. Mais quelque chose dans son orgueil se blesse un peu. Un vague tiraillement de l’âme, qui s’affaisse un peu pour pénétrer dans son univers et y asseoir sa présence. Une intimité incertaine, ravagée par des souffles glacés qui courent, partout, tout autour. La brûlure de la musique, comme seule chaleur.
« Il n’y a pas souvent d’entre-deux, quand on y pense. »
L’entre-deux, c’est le no man’s land de ceux qui n’éprouve pas assez, ou justement bien trop. C’est cette indécision trouble qui fait peser la balance dans un sens ou dans l’autre. Les entre-deux n’existent pas pour Eleah, ils sont le privilège des lâches, de ceux qui ne savent pas choisir. Mais en réalité, on s’émeut, ou ne s’émeut pas. On tremble, ou on ne tremble pas. On aime, ou on n’aime pas. Des absolus en lesquels elle croit, qui rayonnent dans ses prunelles sombres et l’irradient lorsqu’elles se posent sur les sourires fragiles qu’il divulgue, paraissant plus jeune tout à coup, plus affaibli aussi. Elle est presque surprise de ne pas voir arriver de rejet de sa part, après tout le panel de virulence qu’il a déjà su déployer au cours de leurs entrevues pour la faire fuir. Alors elle ne se détourne pas, elle reste là. Avec lenteur, toujours dans des postures graciles de danseuse de ballet, elle vient s’asseoir prudemment à ses côtés, sur le petit banc, devant les touches qu’elle contemple, avec une admiration non feinte.
« Tchaikovsky ? Ou … Quelque chose à toi si tu veux … Quelque chose qui n’existe pas encore, qui disparaîtra demain. Quelque chose d’illusoire … Comme nous. Choisis … Je suis là. Je t’écoute. »
Son regard se recompose sur les contours de son visage, rassemble les bribes qu’il veut bien divulguer pour les imbriquer ensemble, et en forme le rapiècement d’une toile qu’elle distingue mieux maintenant qu’elle se montre, au moins un peu, au moins en esquisse trouble. Elle acquiesce à sa remarque d’un mouvement de tête latéral, laisse ses prunelles caresser les touches encore, attendre … Attendre. Attendre de l’entendre jouer encore, une fois de plus. Le côté de sa tête vient se reposer avec douceur sur son épaule, en signe d’attende et de présence. Prête à ressentir, prête à s’émouvoir. Dans cet entre-deux qu’ils ont su ouvrir, mais qui au fond, ils le savent déjà, n’existe pas.


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() message posté Sam 5 Jan 2019 - 17:59 par James M. Wilde


« For all my life, I've been besieged
You'd be scared, living with my despair
And if you could feel the things
I am able to feel
Break me out, let me flee
Break me out, set me free »

Eleah
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Les perspectives s’interrogent, dans le reflet des regards échangés. Je ne sais pas qui elle est, je ne sais ni ce que je pourrais puiser en elle, ou ce que je devrais faire de la sensation composite qu’elle abandonne dans mes souffles, dans ses allures changeantes. Pernicieuse créature qui joue de ces réactions qu’elle déclenche, puis confidente attentive des élancements de l’âme. Elle est trop, trop d’affects pour que je puisse me prémunir ou trancher, les idées nébuleuses dévalent l’espace qui nous oppose, le silence que nous affrontons est presque pudique. Il y a seulement quelques minutes, je me voyais la prendre sur la surface froide du piano, la froisser comme les autres puis retourner à mes divagations ternes au dehors. Loin d’ici, loin d’elle, frappée d’un oubli solennel que l’on réserve aux personnes que l’on manque à escient. Souvent par peur, parfois parce que nous avons seulement honte de songer à les accompagner quelque part. Un peu plus loin, ensemble. Une signification absurde pour deux corps qui se cherchent, se trouvent, finiront par se détruire. Inéluctable fin, rien ne pourrait réellement ébranler les certitudes délaissées par la mort tout au creux de mon ventre. Mais rien ne pourrait ôter non plus les quelques flammèches qui s’éveillent à la savoir ainsi entreprise par ce que j’ai joué, une musique qui ne m’appartient pas, certes, mais qui quelque part est devenue mienne l’espace de quelques notes pour mieux se glisser jusqu’à elle. L’inconnue de quelques rêves étranges. Dans la frivolité pleine de vice ou dans ces regards qu’elle oppose à mes interrogations presque naïves, elle ne ment pas, elle est cela. Rien et tout à la fois. Tout ce que je voudrais qu’elle soit peut-être. Mais ai-je encore cette envie-là ? Je choisis de laisser la nuit nous emmener plus loin encore, de laisser la fille approcher. De regarder les fantômes, de laisser la familiarité m’étreindre, m’étouffer. Puis de revenir à une réalité avec cette douceur qui m’expose. Je le sais mais… alors qu’elle me regarde, avec cette avidité bien à elle, je cesse de mentir tout à fait. C’est à la fois émouvant et éreintant. Je n’ai plus l’habitude. Déjouer l’entremise de tous mes congénères, c’est ce que je fais depuis voilà un an. Plus encore depuis que j’ai essayé de me foutre en l’air. L’intimité se noue, se suspend. Je la laisse approcher plus encore, dire de ces évidences qui frôlent, se gravent ensuite, délivrent ces constats sur le monde.
_ C’est quelque chose qui m’est insupportable. Je ne crois pas qu’on puisse se satisfaire d’une fadeur pareille.
Cette fadeur dans laquelle je m’enferme pourtant, à chasser la déraison, à embrasser l’absurdité d’une vie qui n’en est plus tout à fait une. Je sais que cette oscillation n’a qu’un temps, il faudra choisir. Renoncer véritablement, ou essayer tout au contraire de ressentir encore plus que je ne l’ai déjà fait. Choisir la terre d’accueil et tout reconstruire. Ou bien abandonner, sans plus mentir, sans plus se raccrocher. Est-ce que c’est un choix aussi fatidique qu’elle a un jour opéré ? Pour vouloir ainsi déployer toute l’incertitude, goûter l’elixir quitte à s’y écoeurer ? Est-ce pour cela qu’elle court après tout ce qui pourrait arriver ? L’incertitude en étendard vu qu’elle renferme tous les possibles ? L’incertitude de cette nuit, qui nous regarde, nous enserre, dans le silence de ces lieux d’une banalité infâme, des lieux qui dévoilent pourtant une situation qui n’a rien d’attendu ? Je la laisse s’asseoir, me rejoindre dans cet apaisement trompeur qui s’est apposé sur mon corps, ma peau ne tremble plus, elle s’est préparée au sacrifice qu’elle exige. Jouer ne fait pas si mal que cela. Jouer… Jusqu’à ce qu’elle évoque, l’illusion créative, demande plus de moi que je ne pourrais donner. Jusqu’à ce que la fêlure s’étende et vienne lécher les nerfs. Mon corps réagit bien malgré moi, il y a comme une sensation de repli et ma voix est trop brusque :
_ Tchaikovsky ? Pour une danseuse… C’est d’une originalité confondante.
Mon ironie dévale mes lèvres, un réflexe de défense pour oublier qu’elle ait seulement évoqué que je puisse créer quoique ce soit. J’aimerais argumenter, dire bien plus ce que ses élucubrations déclenchent, provoquent. C’est une sorte de colère, presque palpable tout autour de nous, tandis que ma mâchoire se brusque, que mes doigts prennent position sur le clavier avec une raideur qui ne saurait faire rougir tous ces petits singes savants de la RAM. Je délaisse un soupir ténu dans le silence qui suit ma raillerie, avec la honte de l’avoir seulement portée ainsi, quand elle n’a ni souhaité me blesser ni me mettre en péril. Elle voulait quelque chose… Quelque chose qui soit infléchi par cette nature qu’elle sent se révéler alors qu’elle continue de m’observer dans l’attente, pour revenir à mes mains. La musique se replie dans ma tête, retrace des arrangements qui se mélangent à d’autres que j’ai un jour composés, puis le thème grandiloquent du Lac des Cygnes s’épanouit sous mes doigts qui évoluent au rythme de mes envies, de mes souvenirs, de l’arrangement que je crée peu à peu pour reproduire une oeuvre destinée à un orchestre et non pas au piano. Ma concentration se distille bientôt par quelques touches délicates, mes sourcils se froncent, quand les tonalités frottent et ne s’accordent pas totalement à ce qui se trame dans ma tête. Et la musique enfle, continue de gronder, pousse mes songes dans leurs retranchements, remâchant les mots qu’elle a ainsi osés, que je continue de compter comme un affront supplémentaire, cette intrusion qu’elle semble incapable de tenir en laisse. Les phalanges s’assouplissent pour mieux élever des éloquences à ce que je tais, le thème explose avec une certaine emphase, et déverse avec lui quelques élans qui m’entraînent. Plus loin. Plus loin encore. Sur ce chemin que je refuse d’emprunter, mais que mon corps embrasse parce que c’est ce qu’il a toujours fait. L’oeuvre se voit déjouée, d’autres harmonies que celles de Tchaïkovsky, quelques préludes qui pourraient bien renouer avec certaines de mes chansons, façonnées par mes mains, une redécouverte qui n’a rien de timide quand mes mains continuent de s’acharner et lorsque les notes s’assemblent pour devenir une matière entièrement mienne, ma respiration saccadée dans une lutte que je ne me sens pas prêt à mener, surtout pas lorsqu’une présence étrangère comme elle me flanque, je m’interromps. Et le silence est plus violent encore, que les accords plaqués ou les retours en arrière opérés à cause de ses demandes et de cette écoute en effet qu’elle semble si prompte à offrir. À m’offrir à moi quand je ne souhaitais que la repousser, la repousser encore. Encore. Pour qu’elle cesse d’exister. Elle. Elle. Cette fille ou la musique qu’elle réveille je ne sais pas. Mon visage se tourne vers elle, la colère est si prégnante, l’affront si visible, c’est comme si elle m’avait dérobé quelque chose que je ne souhaitais pas offrir, le reproche est lisible, effroyable courroux qui s’abat sur elle. Mon timbre est perturbé, ça n’est plus cette agressivité adolescente, c’est autre chose. La lenteur est factice et les mots pleins de fièvre :
_ Ça veut dire quoi, putain, tes mots et ton petit refrain ? Qu’est-ce que tu veux entendre qui ne soit pas déjà composé ? Qui ne soit pas déjà exprimé ? Il n’y a que le silence ensuite. Le silence. Rien. C’est tout ce qu’il reste après…
Ma main se referme sur son poignet, le contact électrique. Brûlure, de ces affects qu’elle déclenche en effet, de ceux qu’elle nourrit, à escient. Inconscience, tu parles !
_ Qu’est-ce que tu crois… Que tu peux continuer comme ça ? À prendre tout ce que tu veux sans strictement rien donner ?
Mes iris la toisent et mes doigts ceignent plus fort, l’articulation délicate qu’ils cherchent à retenir, à imprimer un peu dans la dureté de la chair pour lui faire ressentir, lui faire ressentir ce qu’elle est venue trouver là, à quémander les impossibles qui s’ouvrent en effet devant elle, prêts à la consumer. La phrase se cadence au sursaut d’une menace :
_ Retourne t’amuser avec ces carcasses que tu te plais à dépouiller. Avec tes envies calculées, et tes caprices d’enfant. Disparais, tu as déjà dansé.
Les mots qui contredisent les gestes, encore, parce que ma main ne la lâche pas, la brutalise plutôt que de la repousser. Et la musique, la musique est devenue un hurlement, le cri qui cherche à l’abattre dévoile les dangers qui constituent mon personnage, les harmonies complexes qui inondèrent le clavier tout à l’heure, elles sont là, partout, sous la pulpe qui abîme l’épiderme. Le contact qui navre toutes les défenses, les dents qui se serrent plus fort. Les perspectives exsangues, l’entre-deux illusoire est en train de défaillir, car il n’a jamais existé. Il n’a jamais existé.
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() message posté Sam 5 Jan 2019 - 21:37 par Invité
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set me free

I have lived in darkness, for all my life, i've been pursued. You'd be afraid if you could feel my pain and if you could see the things I am able to see  

Une habitude galvaudée par la virulence … De tous ses propos, de tout son être qui se tord, devient infiniment torve sous ses yeux avides. Qui es-tu ? Qu’es-tu ? Créature indocile, putréfiée par la terreur d’être encore quand il n’y a plus que le pâle reflet d’une existence qui survit, sans croître, sans régresser non plus. L’imposture d’un arrêt sur image, le cri se délite sur le carrelage trop blanc. Le blanc immaculé, qu’elle se surprend à scruter parfois avec trop d’insistance avec cette impression de déjà-vu sournoise. C’est le même … Le même. La même couleur, la même texture. La porosité de la pierre sous les doigts. Il y avait autre chose autrefois. Une coulure rougeâtre pour contraster sur le blanc impur. Elle ne sait plus exactement quoi, ni pourquoi. Les pensées se distancent, s’ancrent dans une réalité bien moins troublante malgré tout ce qu’elle enferme d’incertitudes. Qui es-tu ? Sa quiétude demeure intacte pour parer à ses humeurs changeantes. Elle attend la musique, l’imagine, la désespère. Cette musique qu’il veut à tout prix cacher, claquemurer entre ses côtes saillantes en espérant qu’elle n’entendra pas le crissement qu’elle murmure. Mais il est trop tard, trop tard. La mélodie de son désespoir s’est enchâssée aux avidités de sa silhouette. Elles l’ont entourée comme une brise légère et étouffante à la fois, venant griffer sa peau, inspirer à ses esprits des idées auxquelles elle n’aurait jamais songé avant cela. Trop tard, trop tard. Ses phalanges s’agitent, traquent la mélodie qui répondra à toutes ses exigences de petite fille. Elle sent en filigrane naître une impulsion à laquelle elle ne s’attendait pas, campée qu’elle était dans un calme délétère. Cela bascule peu à peu, le balancement de ses élans furibonds cavalant sous les touches au gré d’un air qu’elle reconnaît pour le connaître déjà par cœur. Un air par lequel elle rêve de triompher un jour. Être cette danseuse étoile à qui l’on accorde les premiers rôles. Cygne au grand cou, porté, étiré vers des infinis que nul ne pourrait braver ou même interrompre. Son ironie ne l’a pas atteinte. Peut-être ne l’a-t-elle pas entendue, portée qu’elle était par sa candeur face aux intermèdes qui troublent. Elle a pensé que dans l’évanescence d’un instant il pourrait la laisser le voir. Et il l’a fait … Il l’a fait. Pas longtemps. Juste assez. A son insu à lui sans doute … peut-être. Elle a cru apercevoir le reflet d’un homme, derrière le masque d’apathie furieuse. Mais l’homme disparaît sous la fureur de ses doigts, sous les accents d’une humeur imprévisible, qu’elle ne voit ni arriver, ni exploser auprès d’elle. La mélodie change, prend des atours qu’elle ne distingue plus. Ce n’est plus Tchaikovsky. Cela y ressemble, dans sa majesté d’intensités en puissances, mais cela n’est pas totalement pareil. Elle le voit mieux, limpide, diaphane. Les touches martelées plus qu’il ne les frôle. Un rythme qui fait enfler quelque chose à ‘l’intérieur de son ventre. Le son l’abrutie : elle demeure mutique, les yeux grands ouverts, chargés d’une stupeur avec laquelle oscillent d’autres émotions, plus enfouies, plus floues aussi. Elle ne croit pas avoir peur de lui. Et pourtant, son cœur bat plus vite. Le sang pulse à ses tempes devenues tièdes. Son regard se brouille, tance l’espace autour d’eux une intime seconde pour repérer les issues de secours. Elle n’a pas peur, non. C’est ce qu’elle se dit. Alors pourquoi chaque fibre de son corps réagit-elle à sa virulence ? Pourquoi se tend elle, sous le coton de sa chemise de nuit, comme le font les chats qui se sentent acculés par un prédateur ? Il n’a rien dit encore, mais elle pressent déjà le reproche. Elle l’imagine policé bien sûr, n’entrevoit pas une haine sourde et gratuite possible par le prisme de son innocence, si corrompue qu’elle soit déjà par ses propres travers inconscients. L’affront retombe, le verdict d’un jugement implacable qui la prend au dépourvu même si elle l’a vu arriver. Elle se décale de son épaule, a un mouvement de recul, parce que sa fureur ne ressemble pas à cette colère confuse qu’elle a toujours senti en lui, depuis le départ, sous-jacente et maîtrisée du bout de lèvres incisives.
« Mais qu’est-ce que tu racontes ? Je ne t’ai pas forcé à … »
Elle se renfrogne ostensiblement, va pour se lever du banc et déguerpir. Mais il attrape son poignet avec force. Une force dont elle ne l’imaginait pas capable, nourrie d’une substance qu’elle regarde droit dans les yeux et reconnaît comme une compagne familière, oubliée à la faveur d’impressions plus douces pour se sauver du pire. Elle demeure bien en place, le corps alourdi par une forme de stupeur pernicieuse, oscillant entre la terreur et la fascination. Sa main se referme en un petit poing très serré. Les prunelles s’affolent, avant de se poser, grandes ouvertes, dans les siennes. Elle le tance, d’un regard devenu noir, presque opaque. Il serre davantage. La peau geint, les nerfs crissent. La douleur commence là où son mutisme s’arrête, alors que ses ongles s’enfoncent dans le creux de sa paume, sans qu’elle ne s’en rende compte.
« Je n’ai rien pris que tu ne voulais pas donner. Maintenant lâche-moi. »
Le ton claque, le ton vibre. Ses traits se durcissent, se transfigurent à la lueur d’émotions contraires, qui rencontrent une sauvagerie indistincte, plus farouche qu’elle ne l’aurait imaginée elle-même. Elle ne supporte pas que l’on cherche à la contraindre, d’une manière quelconque. Et si elle peut supporter son langage fleurit en d’autres circonstances, elle ne supporte pas ses attaques sur le coup, qu’elle estime illégitimes et proprement injustes. Seulement parce qu’il s’est laissé voir, une intime seconde. Une vision si claire … Si limpide. La menace est insupportable à son oreille. Elle se déstructure dans sa tête, crée une sorte d’impact que creux de sa tempe. Elle s’est redressée, est à presque debout à présent même s’il la maintient par le bras, et qu’il lui fait mal. Son orgueil blessé de femme-enfant rejoint une terreur sourde incontrôlable, à la seule idée qu’il puisse lui faire plus mal encore, ou hausser le ton alors qu’elle n’a pas recherché à attiser sa fureur. Des envies calculées, des caprices d’enfants, des carcasses à dépouiller … La violence de termes qu’elle n’accepte pas dans tous les élans créateurs qu’elle cherche à poursuivre, en permanence, si destructeurs puissent-ils être parfois. Dans toute cette renaissance qu’elle veut traquer pour se regarder être autre, déparée de la honte, déparée de tout. Il la dépeint si triviale, si infâme. Elle ne peut lui pardonner cet affront-là. Pas sur le coup en tout cas.
« Si tu veux que je parte, pourquoi tu me retiens, hein ?! Pourquoi ?! Lâche-moi, si c’est vraiment ce que tu veux. »
Elle ne lui laisse pas le temps de choisir, d’un coup sec et abrupte, elle tire sur son bras et se libère de sa poigne, les sourcils froncés, la mine furibonde. Quelque chose en elle est blessé. Elle ne sait pas exactement pourquoi, ni jusqu’où cela s’est infecté. Ce qu’il a atteint, sans forcément le vouloir. Son orgueil, sa pudeur … L’intimité qu’elle renferme, cette nature qu’elle n’accepte pas, qu’elle sait dissimuler toutefois. Tout prendre … sans rien donner. Il n’a pas tort. Il n’a pas entièrement tort, même si elle ne peut lui donner raison sur tout. Alors pendant une courte minute, une partie d’elle le hait, lui en veut, et ne peut lui pardonner de l’avoir rejetée. Elle a dansé pour lui, pour lui seul. Il prostitué son offrande, dans sa dernière phrase. Disparais, tu as déjà dansé... Comme s’il venait de la baiser, en laissant quelques billets sur la table, lui arrachant un peu de sa dignité pour la remercier de ses services de façon triviale. L’image se grave dans sa tête, suppure de relents infâmes jusque dans ses membres qui plus tôt cherchaient à s’étirer sur le fil de sa musique. Elle tremble, de douleur, de fureur. L’aigreur monte au bord de ses lèvres, et même si elle ne perd pas son calme, elle ajoute avec aplomb :
« Sois autre chose qu’un lâche. »
La phrase retombe, comme une chape de plomb. Elle pivote sur elle-même, ramasse ses chaussures au passage sans daigner les enfiler. Elle disparaît derrière la porte, d’un pas martial, pieds nus sur les gravillons de la cour alors que la porte se referme sur sa silhouette menue, et son orgueil déchu.

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() message posté Dim 6 Jan 2019 - 15:13 par James M. Wilde


« For all my life, I've been besieged
You'd be scared, living with my despair
And if you could feel the things
I am able to feel
Break me out, let me flee
Break me out, set me free »

Eleah
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Et cette colère, qui ne cesse de s'éprendre des muscles et des nerfs, ravageant les idées qui pouvaient s'épanouir en idéaux. Déchus désormais. Déchus et oubliés, les idéaux crèvent sous l'aplomb de la hargne. C'est une maladie, un venin qui s'écoule dans les veines et cherche à emprunter le chemin nébuleux de la mémoire. Les doigts s'impriment dans la chair, une chair qui souffre sous l'hérésie d'un étau. Une menace claire, une violence crue, que l'on applique sur quiconque pourrait approcher les accents amers de ces souvenirs torves. Pourtant les souvenirs sont partout, et les cris sont prégnants. Sous les tempes, ils s'enchassent pour devenir une légion funeste. On lui somme de déverser son ire et c'est ce que je fais. Les mots s'abattent, ils cherchent à tuer, tout ce qui peut être encore. Et bien entendu ce qui sera. Rien n'existe si ce n'est cette peur, une angoisse si violente qu'elle me possède tout entier. Des images se superposent aux sentiments, la musique s'y enchaîne pour mieux se suicider. Étouffer l'harmonie implacable que je suis incapable de supporter. Elle a ce mouvement de recul, tout ce dégoût qui se plaque sur ses traits. Elle a peur elle aussi. Elle a peur. Et elle se blesse à tous les termes que j'emploie pour la déterminer dans cette absence de choix. Tu n'es rien, tu n'es rien pour moi. Rien qui pourrait être. Rien qui ne sera. À l'intérieur des vestiges qui n'acceptent aucunement qu'on les assiège. Rien. Rien. Ses balbutiements narguent mes élans destructeurs, j'ai envie de serrer plus fort. Je m'y égare, le geste est plus assassin, et les yeux brillent de cette soif dérangeante qui consisterait à dévorer ce que l'on offre pas. Ce que l'on offre plus. Elle bataille, se défend, il y a dans toutes ses réactions mais aussi dans ses mots des armes qui s'aiguisent. La petite fille traquée se révèle créature venimeuse. Sous les traits de l'enfance se cache désormais une entité tapie, tapie depuis si longtemps qu'elle est bien incapable de se laisser corrompre par la brutalité. Cette brutalité elle la méprise, elle la rejette. Et quelque part… quelque part je crois, cette brutalité la fascine aussi. Je ne sais plus ce que je veux croire, ce que je vois, distingue ou imagine pour mieux servir des poisons à mes instincts déviants. Elle me dévisage, je continue de m'épancher dans cette rage qui me dévoie tout à fait. Son regard est devenu une mer silencieuse, l'on n'y navigue plus, l'on pourrait s'y noyer. Et peut-être que dans une seule seconde très illusoire, je souhaite rejoindre les obscurités qui y gisent. J'y aspire comme un fou. Elle demande la clémence, que je lâche prise mais ma main squelettique reste en place, les émotions se tordent et deviennent souffrance. Une souffrance délectable qui vient caresser des allures que j'avais oubliées. Il y a une sorte de majesté mortuaire, que j'arbore dans mon geste, de ces précipitations inconvenantes que l'on appose au comble des plus grandes désespérances. La contrainte est douloureuse pour elle, douloureuse pour moi, cela se lit clairement sur nos visages qui élancent la dureté de leurs jugements. J'ai envie de la condamner, il y a cette brûlure irrépressible dans mes entrailles et la créature qui m'ordonne de frapper. Frapper au cœur, l'apeurer plus encore, faire exploser tout ce qu'elle détient désormais, tremblante et meurtrière. Le bras se tord un peu plus, il pourrait se briser. Ce serait facile. Facile. La palpitation est infâme, honteuse, je n'entends plus que cela. Cet appel, ce battement. Lourd. Si lourd. Qui s'englue dans mes veines. N'est-ce pas ce qu'elle est venue chercher en me suivant jusqu'ici ? Petite fille… petite fille. La terreur et les cris. Qui semblent assourdis par mes idées passionnelles. Elle échappe à mon emprise. C'est la violence d'un coup. Je ne comprends plus rien, et réalise à rebours, avec la langueur des résurgences, ce qui vient de se produire. Mes yeux s'écarquillent un petit peu, et la stupeur me fige avant que la honte ne me ploie complètement. Sous le manteau je tremble. Et je regarde son portrait se déliter tandis qu'elle m'observe et me maudit. La phrase si posée est bien plus blessante qu'un cri. C'est un jugement terrible qui s'abat tout à fait. De la lâcheté d'hier ne reste que les résidus d'une faiblesse plus grande encore. Le refus de se relever, le refus de la voir et de saisir la main qu'elle ne faisait que tendre. J'ai préféré la mordre comme ces animaux acculés. Je la vois disparaître et s'enfuir, à grandes enjambées, dans un ralenti exténué. C'est dans le silence restauré de la pièce que je lui réponds d'une voix sourde :
_ Je ne peux pas. Je ne peux pas être autre chose que ça.
Je ne peux plus. La lâcheté s'est faite parure des plus grandes violences. C'est le seul garde-fou que j'ai pu ressusciter. J'aurais pu lui faire mal. J'aurais pu lui faire mal. Je prends ma tête dans mes mains et gémit comme une bête, tremblant d'une maladie honteuse. Qu'est-ce que j'ai fait. Qu'est-ce que j'ai fait ? La même question. Encore. Encore. La même. Toujours. Je me lève, éperdu, perturbé. Je ne sais pas ce qui me pousse à voler la guitare au passage, à passer la sangle de la Gibson sur mon épaule comme je l'ai fait de manière récurrente dans ma vie passée. Peut-être que c'est comme enfiler un costume. Ou peut-être n'est-ce que le geste désespéré d'un fou. Puis je cours. Je cours dans son sillage pour espérer la rattraper. Ma voix est rauque dans l'air nocturne.
_ Attends ! Attends, s'il te plaît !
C'est si simple d'ordonner l'apaisement quand je l'ai violentée sans raison apparente. Mon souffle est saccadé, je la rattrape presque :
_ Attends ! Excuse-moi… écoute. Écoute-moi deux minutes. Deux minutes et rien d'autre.
Je peine à respirer. À cause de la honte qui m’étouffe et des efforts trop dispersés de cette soirée déçue. Je n'ose pas la toucher, je tends ma main mais me retiens au tout dernier moment tandis que je parviens à sa hauteur :
_ S'il te plaît… heu… c'est quoi ton nom d'ailleurs ? Je voulais… pardon… j'ai… bordel...
Je passe une main dans mes cheveux, je tremble encore, j'ai tellement la trouille. De dire pardon. De lui faire comprendre. Je pourrais être lâche. Être lâche en effet. Une toute dernière fois. Et cesser de la poursuivre. Et cesser de la traquer. Ma main s'agrippe à la sangle de la guitare comme pour me rassurer. Les phalanges sont blêmes :
_ Je ne voulais pas… te faire mal. Excuse-moi. J'ai… écoute, je ne sais plus faire ça. Je suis quelqu'un… de…
Perturbé. Fou. Malade. Taré. J'ai un soupir qui frissonne :
_ Je voulais pas. Je ne me contrôle pas bien tu sais. Et je n'ai plus l'habitude de me confier, de laisser quelqu'un comme toi m'approcher. Je voulais pas. Te faire mal. Tu n'as rien hein ? T'as rien ?
Ma main qui s'élance encore mais qui se frustre d'un geste que je ne suis pas légitime à tracer.
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() message posté Dim 13 Jan 2019 - 10:23 par Invité
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I have lived in darkness, for all my life, i've been pursued. You'd be afraid if you could feel my pain and if you could see the things I am able to see  

Projection en avant, projection au futur. Elle se voit marcher plus vite, courir presque, avec cette frénésie chevillée au corps qui propulse l’élan de la fuite. Elle grimace un peu. La plante nue de ses pieds rencontre les bords anguleux de cailloux dispersés, sur le bitume granuleux. Elle les sent à peine en réalité, quand les douleurs plurielles s’arriment aux affolements hargneux de son corps. Elle touche son poignet, celui-là même qu’il retenait entre ses doigts bien serrés. Elle se souvient de ce regard dont il l’a transpercée, avec cette envie sous les pupilles, ce besoin dans les iris rivées vers la terreur qu’elle couvait, à l’intérieur, sans en avoir même conscience. Pendant une courte seconde il s’est transfiguré, créature difforme aux prunelles sombres, au visage moins anguleux, à la barbe plus fournie, plus négligée aussi. Les accents de la jeunesse disparus, métamorphosés en une maturité incongrue, venue de nulle part, de cet ailleurs enfoui. Pendant une courte seconde ce n’était plus lui. C’était quelqu’un d’autre. Quelqu’un dont les intentions lui ressemblaient, mais n’étaient à la fois pas les mêmes. Un air de déjà vu, proche de l’air de famille, qui rend les mains poisseuses, la gorge sèche et la bouche âpre. Le cœur bat plus vite sous la cage thoracique, forçat au désespoir, qui secoue ses fers et désespère, à défaut d’avoir le courage dément de s’en débarrasser. Tu pourrais apprendre … Tu pourrais apprendre. Les mots suintent à l’intérieur de sa tête, dégoulinent jusqu’à une mémoire fragmentaire qui s’éveille avec une torpeur toute calculée. Et elle marche encore, toujours. Dans le noir, dans la nuit. Cette nuit qui devient étouffante, parce que l’air y est bien trop sec, et bien trop tiède. La condamnation et je rejets encrés sur sa peau albâtre, lisible en lettres capitales dans le creux de ses paumes. La musique crève dans un cri ignoble au fond de son crâne. Le même cri qu’elle poussa un jour, une dernière fois, avant que ses plaintes ne s’engorgent de sang et de silence. Des harmonies il ne reste pas grand-chose, si ce n’est l’impression terrible de devoir partir, très vite, très loin, le danger imminent et trop près de l’atteindre pour qu’elle se laisse aller totalement. La conjecture qui aurait pu naître, entre le trouble de sa musique et la grâce de sa danse se disloque. Il ne reste rien, rien. Rien à part la perspective de la fuite, son souffle contrarié qui se précipite et les rougeurs furibondes qui s’arriment à ses joues blanches. Elle croit pouvoir disparaître, bifurquer et refermer la parenthèse pour toujours, avec cette implacabilité presque cruelle qui la caractérise parfois, lorsqu’il s’agit de rayer les êtres néfastes de son existence. Elle se dit qu’elle l’oubliera vite, lui et les spectres qu’il traîne. Qu’il suffira de trouver un autre corps où effacer le sien, un autre souffle, d’autres murmures. Ce sera simple … Si simple. La certitude s’installe au gré des pas qu’elle trace. Il la poursuit même lorsqu’elle se met à sautiller un peu pour enfiler une chaussure, puis l’autre, sans daigner s’arrêter toutefois. Il la rattrape alors qu’elle pense pouvoir s’en sortir, qu’elle l’a déjà condamné à son tour, à cet oubli anonyme dont elle ne portera ni le nom, ni les outrages. Elle ne s’arrête pas lorsqu’il l’appelle, le pas martial, vindicatif. Mais elle ne court pas pourtant. Elle marche vite, elle s’échappe sans s’assurer qu’il ne pourra pas la poursuivre. Elle entend ses pas sur les gravillons, son corps se rétracte, dès lors qu’il la rejoint, et a cet élan pour la contenir. Son avant-bras trace un arc-de-cercle défensif dans l’air, même s’il ne la touche pas, qu’il n’ose pas cet affront-là. Elle s’arrête alors, ses airs contrariés campant sur son visage, en durcissant les contours tandis qu’elle le toise de sa petite hauteur.

« Deux minutes. » prononce-t-elle, le ton sentencieux, l’implacabilité fichée sous une curiosité qui l’observe elle-aussi, et distingue sous ses airs affolés la grandiloquence de la honte. La honte … La honte. La honte de ce qu’il est, de cet élan qu’il a eu. La honte de lui-même, et de ce qu’il aurait pu être. La honte … Dans ses facettes les plus crues, les plus sublimes aussi. Une fascination malsaine, éminemment féroce s’empare de sa conscience. Elle se voit contempler toute l’ampleur de ses hontes et le condamner à y demeurer, prisonnier entre leurs griffes, parce qu’il l’aurait mérité. Elle se voit juge, bourreau abattant une lame sur sa nuque raide. Ce qu’elle aurait rêvé de faire pour lui … Pour lui. Elle croise les bras sur le devant de sa poitrine, se fige dans une posture défensive totalement imperméable. Il bégaye, elle répond au silence. Le mutisme dont elle fait preuve piétine toutes ses intentions de se racheter, comme si le sens de ses phrases ne l’atteignait pas encore, qu’elles y parviendraient à rebours. Et en effet, sa dernière phrase finit par la toucher d’une quelconque manière. Ses épaules se détendent peu à peu. Son regard dérive, note au passage la présence de la guitare dans son dos. Son pied tapote légèrement le sol, comme d’impatience.
« Qu’est-ce que tu comptes faire de cette guitare ? C’est pour ça que tu es venu ? »
Pour voler, pour piquer. Non, elle n’y croit pas une seconde. Ça n’est qu’un prétexte de fortune, dont il s’est emparé à la dernière seconde pour piétiner la musique un peu plus. Clamer haut et fort qu’il n’en est pas digne, qu’il n’est bon qu’à voler des instruments pour se payer de la came médiocre, des putes fades, et une survie infâme.  Jouer pour s’en sortir, être digne de cette idée, quelle incongruité ! C’est si simple de s’en sortir ainsi … Si simple.
« Que crois-tu risquer de plus hein ? »
Que crois-tu risquer, à accepter la main que je te tends ? Que crois-tu risquer, alors que tu as déjà tout abandonné, laissé derrière cette apathie indistincte derrière laquelle tu te planques ? Que crois-tu risquer à renouer avec ce que tu fus, quand tu as déjà renoncé à tout, qu’il n’y a plus rien, rien, que la souffrance t’a déjà déchu ?
« Je n’ai rien. Tu m’as fait peur, c’est tout. Je n’aime pas qu’on me touche si je ne le veux pas. »
L’intimité d’une sphère, farouchement gardée. Eleah est prête à tout donner, pour peu que l’intention vienne d’elle, qu’on ne cherche pas à entraver sa liberté de s’offrir, ou au contraire de se refuser. Elle frotte nerveusement le haut de ses bras, comme si elle avait froid, alors que ce n’est pas le cas. La tension redescend progressivement en son corps. Elle se calme peu à peu, la colère adoucie lorsqu’elle contemple les stigmates qui traîne, sur ses membres à lui. Le mal-être qui l’accable suffisamment pour qu’elle en rajoute une couche. Une sincérité qui se lit, en filigrane, et qu’elle ne peut renier.
« Eleah. »
Elle marque un temps de pause, répondant à sa question bien après qu’il la lui ait posée.
« Eleah, comme l’héroïne de Barjavel, mais avec un h à la fin. Me demande pas pourquoi. C’est comme ça, c’est tout. »
Elle hausse machinalement les épaules, ne bouge pas d’un pouce lorsque son regard se repose sur la guitare figée dans son dos.
« Tu ne comptes pas la rapporter n’est-ce pas ? »


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() message posté Lun 28 Jan 2019 - 19:57 par James M. Wilde


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Les graviers qui crissent sous les pas excédés. Symphonie dissonante. Celle des bruits alentours mais surtout au dedans. Au dedans. Les sentiments implacables qui surgissent et s'évident en un enchaînement incessant, oscillations importunes que je ne sais comment appréhender ou comment façonner. C'est dans ces moments-là que je ne puis plus nier, ni la maladie, ni les ravages d'un traitement négligé qui me poussent à des extrêmes effrayants et toutefois terriblement tentateurs. Lui faire mal tout à l'heure a emmêlé l'effroi et la délectation dans mon corps qui dans son élan pour la rattraper renoue avec tout ce que la vie peut convoquer, dans les muscles et dans les pensées. J'ai mal, partout. Comme si j'avais heurté un poids lourd à toute vitesse. La musique est dans ma tête, la ferveur encore ancrée dans ma main. Grâce à son corps, à cause de ses mots, impossible de m'en départir tandis que je tente par tous les moyens que je connais de taire ce qu'elle a éveillé malgré elle. Le passé devient quelques secondes bien moins pesant, la course se dessine dans un avenir proche dont elle ferait partie, idée aussi intéressée que puérile. Qui serait-elle pour s'égarer auprès d'une carcasse à moitié putréfiée ? Qui serais-tu pour moi ? Une autre entité à détruire sous le poids de mon corps ? Une autre femme à envahir dans l'avidité malsaine qui me caractérise ? Qu'elle ait su fuir me rassure. Qu'elle ait pu le faire me bouleverse. La sensation d'échec et de vide me malmène à chaque pas. Arrête-toi. Arrête-toi. Par pitié regarde-moi encore, même si c'est pour me haïr. Bouscule mes instincts de mort pour m'en garder. Rends aux harmonies toute leur altérité. Elle ne court plus, elle marche et finit par s'arrêter, des airs fermés et vengeurs sur son visage, qui se tournent vers moi comme autant d'armes pour me repousser. Mon geste s'arrête, se sait fracturé par la peur. La peur de soi. D'elle aussi. Cesse d'être lâche. Lâche. Lâche l'horreur et départis-toi enfin de ses fers saillants. Je ne peux pas. Je ne peux pas. J'aimerais tant opposer à ta fureur bien plus de moi mais je n'ai su faire survivre de celui qui s'est échappé de l'asile que des contours tremblants et une dureté impénétrable. J'aimerais. J'aimerais, je t'assure. Son expression lui donne la gravité d'un autre âge que le sien, mes mots sont un instant hésitants, je suis surpris de la distinguer ainsi. Je l'ai abandonnée petite fille apeurée et courroucée, je la retrouve femme froide et presque insaisissable. Les mots sont tranchants, une agressivité que je ne lui devinais pas, dangereuse et séduisante. Dans d'autres circonstances sans doute que j'aurais moqué le masque qu'elle arbore, mais dans ma perdition je ne puis que procéder à des balbutiements informes qui trahissent mon état débile, où les habitudes névrotiques se laissent voir, les tremblements, les gestes répétés sur mes bras que je ne peux retenir, les frissons qui dégoulinent sur mon front, mélange de manque et d'effroi. J'ai la trouille tout à coup, de la perdre, de n'avoir ni su lui dire ni su lui apprendre qui j'étais. Mes certitudes de n'être plus rien se heurtent à un orgueil qui semble ressuscité, bien que fracassé, aux arêtes pathétiques et saillantes sur mes joues. Et tandis que les mots difficiles s'arrachent à ma langue, c'est baigné par l'avidité de ses regards que je me sens trahi et démuni. Une solitude ignoble, comme sur la scène mais sans plus aucun masque pour me protéger de l'inspection malsaine de quelqu'un d'autre. C'est comme une lame chauffée à blanc dans les chairs, j'ai l'envie prééminente de disparaître dans les ténèbres qui m'ont vu naître. Elle ne m’épargne pas, ses silences sont des jugements et ses yeux sont d'une opacité confondante. Rien pour me raccrocher pendant de longues secondes alors que mon vocabulaire tente à tout crin de se libérer devant elle. L'éloquence est piètre, les mots butent et se torturent à ne plus revêtir leurs allures d'antan. Mais quelque chose en elle finit par me laisser entrer, la ligne des épaules ploie, il y a une sorte d'attente dans les prunelles noires. J'en conçois un souffle perturbé qui m'échappe comme une ponctuation à mes petits discours. J'avais presque oublié le poids de la guitare sur mon dos, mes doigts s'y sont toutefois raccrochés dans ce geste automatique et hérité de cette carrière musicale qui me définissait. Je n'ai pas la présence d'esprit d'inventer une fable ou même la force de prétendre. Les mensonges s'étiolent dans un soupir supplémentaire et je réponds, précautionneux :
_ Non. Oui. Je ne sais plus trop. Je dois quelque chose à quelqu'un. Alors ça ou du fric, quelle importance.
Les phalanges blêmes se retiennent à chaque mot, les contours de la sangle me rentrent dans la paume, je n'ai pas envie de lui céder un si bel objet. À ce type qui se prétend être l'un de mes amis quand il ne s'agit que d'un esprit limité dont je reste le satellite par unique intérêt. Mais je finirai par le faire… comme toujours. Quand la came viendra à manquer. Je finis toujours par le faire. J'ai bien fourgué jusqu'à la dernière guitare à cause de ça. Je secoue la tête, perplexe face à une question qui demeure sans réponse jusqu'à ce que je murmure plus pour moi-même que pour elle :
_ De recommencer.
Recommencer quoi ? Cela je ne le dis pas. Réitérer la monstruosité, recouvrer tous les instincts animaux qui ôtèrent la vie. Et les sensations meurent d'une sensation pire que la honte. C'est le renoncement de qui l'on fut parce que l'image confine à la haine. Une haine de soi aussi dure que mon désarroi est profond. Je hausse les épaules, toujours à distance de sa silhouette pour ne plus me risquer à l'envahir. Pour ne plus risquer de me perdre. Elle non plus alors ? Créature farouche et fantasque. J'ai un sourire très triste :
_ C'est pareil pour moi.
Toucher. Être touché. Je ne sais plus bien faire si ce n'est dans une sorte de violence consumée. J'ai oublié les codes ou comment tolérer la possession ou l'abandon. Je regarde mes pieds un instant, tout en frottant mon nez, dans un réflexe de cocaïnomane. Je reçois son prénom comme un présent fragile. Plus encore dès lors qu'elle ajoute ce détail improbable concernant la lettre terminale ajoutée vraisemblablement par aspiration esthétique. Mes iris lui reviennent, la brutalité un instant apprivoisée, alors que je dis avec une sorte de langueur :
_ James. Ils m'appellent Jim ici mais je préfère James. Juste James.
Ma posture se détend quelque peu, moins raide ou sur la défensive. Je pince des lèvres avant de rétorquer :
_ Je ne sais pas encore, j't'ai dit, mais si t'es si curieuse, tu n'as qu'à me retrouver dans deux jours à l'Anthropy. C'est un bar à la limite de Springdale Road. J'y serai.
J'ai un sourire en coin, très éphémère avant de suivre ses contours de mes yeux perdus et endigués dans d'autres remords que je ne prononce pas. Je ne lui demande pas pardon et dessine un pas en arrière sans lui laisser véritablement le loisir de répondre. J'ajoute rapidement :
_ À plus. Eleah.
Son prénom roule sur ma langue comme une promesse timide avant que je ne m'évade sous le couvert des arbres alentours. Le comportement d'un voleur. Un voleur lâche qui emporte avec lui l'idée délirante qu'elle saura se perdre jusqu'à moi, pour saisir autre chose que la violence et les sursauts de ma honte. Qui battent dans mon cœur sur le chemin du retour. Et toute la nuit durant.

***

Deux jours. Aux heures indues j'y suis en effet, le manteau en cuir, des lunettes de soleil, un vieux réflexe de star, et j'apparais sur le seul de la boîte underground que personne n'ose fréquenter sans y être convié. Ici la jeunesse grunge et paumée côtoie des êtres égarés, éphémères présences qui peuplent ce bouge au décor surchargé. On croirait un caveau abandonné, les murs revêtent diverses peintures héritées d'un Street art parfois très discutable. On y sert de l'alcool fort et de la bière dégueulasse, la musique y hurle, un métal éreintant qui ne crève que pour s'enchaîner à un hard rock qui rend sourd. Les silhouettes naviguent dans le noir qui se mordore de rouge et de flashs indécents, qui laissent deviner des corps qui s'enlassent, baisent ou se shootent dans un coin. Ma résidence secondaire désormais, où les gars ne viennent quasiment jamais me chercher, ne goûtant que fort peu ce genre d'ambiance. Je retrouve la chevelure lavasse d'Iris, le bleu dégouline de ses cheveux noirs abîmés par les colorations bon marché. J'arrime ma main squelettique à sa taille dénudée et embrasse sa bouche trop maquillée. Un baiser sans amour, sans sentiment. Presque une condamnation. Elle ouvre sa main et dévoile la blancheur d'un comprimé que je viens quérir dans sa paume avant de le faire descendre d'une gorgée d'un très mauvais whisky. Ici les gens m'interpellent comme si j'étais le tôlier. Mais c'est surtout que je fais partie du mobilier. Je regarde alentours avant de gueuler par dessus la musique :
_ Hey Jayd’ ! T'as pas vu une petite brune rentrer ici ? Bien comme il faut ?
Le barman me regarde comme si j'étais un zombie et secoue sa mine cave :
“Tu sais Jimmy, les petites bien comme il faut c'est pas mon genre de clientèle.”
Il y a du dédain dans sa voix, et je le balaye, l’ignore, d’un regard circulaire qui agace ma comparse. Elle fait claquer sa langue sur son palais, signe évident de son mécontentement avant de susurrer :
“Alors tu t'intéresses aux filles prudes maintenant ? Je croyais pas que c'était ton genre, à toi, les filles gentilles. J'peux être gentille moi aussi, si tu veux...”
Je ne lui fais pas la faveur de mon attention, ses doigts qui s'invitent sur ma peau qui frissonne de dégoût. Elle finit par gronder :
“Dis-le tout de suite si je te fais chier.”
Je retourne un haussement de sourcil sur son visage fané, que j’ai pu trouver attirant bien souvent, même quand elle fait la gueule ainsi. Attirant parce que quelque chose chez moi la fascine, elle est plus dépendante de moi que je ne le suis d’elle, un jeu de pouvoir qui me donne l’avantage et me laisse cette sensation illusoire de liberté. Je ne réponds strictement rien, ma main remonte la courbe de sa taille. Trop maigre, si maigre. Une sorte de caresse diaphane, une marque d’une très fausse appartenance.
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() message posté Mer 30 Jan 2019 - 8:37 par Invité
break me out
set me free

I have lived in darkness, for all my life, i've been pursued. You'd be afraid if you could feel my pain and if you could see the things I am able to see  

Temps d’arrêt à le regarder se mouvoir. Temps d’arrêt à traquer les signes, les indices. Une vie qui pulse, qui tressaute au-dedans et frissonne au-dehors, sur son corps malade. Malade. Le silence vient le narguer alors qu’elle s’en pare, hautaine impériosité la laissant à la marge d’une conversation dont elle s’est volontairement éloignée pour ne pas avoir à en subir les intimes conséquences. Mais l’étau se resserre à l’unisson de ses regards sur sa silhouette moribonde. Elle demeure en équilibre, dans l’entre-deux d’une fuite enchâssée de troubles qui l’empêchent de s’éloigner tout à fait. Au passage, quelques réminiscences de son éducation s’ébahissent, dessinent les contours de la guitare dérobée à la volée, n’appartenant plus à personne désormais, si ce n’est à celui ou celle qui consentira à la prendre. La gardera-t-il pour se remémorer ce qu’il fut un jour ? Ce qu’il est sans doute ? La gardera-t-il suspendue à son épaule maigre pour se rappeler ce que cela faisait, de brandir autre chose que du vide ? de faire vibrer les cordes tendues plutôt que les nerfs ? Elle en doute oui, elle en doute. L’intime conviction qu’il est trop perdu pour pouvoir s’emparer de l’opportunité s’encre dans sa tête à la lueur de toutes les images qui les relie l’un à l’autre. L’évanescence d’un long frimas la parcoure toute entière. Elle ne sait plus quoi penser de cet échange, ni agir avec toute la candeur de ses facultés. Ses doigts se resserrent en un petit poing serré au fond de la poche de son gilet trop grand. Des impressions ébahies à l’intérieur, qui ouvrent un abîme à peine entrevu, à peine dicible. Elle aimerait savoir lui dire de partir sans se tourner. Affirmer avec la conviction d’une force factice qu’il ne l’intéresse plus, qu’elle voudrait ne jamais le revoir. Qu’il peut disparaisse, sans que cela n’éveille en elle quoique ce soit de notable. Mais elle ne sait mentir. Elle ignore ce faux qui oblige à maquiller le vrai jusqu’à le regarder pourrir. Son prénom se réverbère au creux de sa tempe. Là aussi, rien que de le dire, ça ne peut pas être simple. Il faut multiplier les surnoms, les assertions. Noyer l’essentiel avec une précipitation qui enjoint la folie. Jim, James, Jamie. Elle pourrait en inventer d’autres, si seulement il lui laissait le temps de le faire. Mais elle s’arrête, temps d’arrêt supplémentaire. Sa tête se hoche sur le côté dans un mouvement d’approbation tacite. Ce sera James alors. Juste James. Elle note dans sa tête le nom de l’Anthropy, qu’elle ne connaît pas du tout. Ce ne sont pas là des bouges où son joyeux petit groupe s’aventure, où ils décident à escient d’aller se perdre sans avoir la certitude de pouvoir en revenir. Elle-même n’a pas d’attirance pour ces endroits aux connotations dangereuses. Elle n’a pas besoin de se renseigner pour en être certaine : elle est persuadée qu’il s’agit de ces lieux infâmes et torves, dont on raconte les nuits comme des légendes urbaines sordides. Elle n’a pas de mal à l’imaginer traquer ces perditions-là, entièrement sur le fil, promptes à la faire chavirer vers ces récifs qu’il désire autant qu’il les repousse. Elle ne lui répond toujours rien, laisse planer de ces doutes qui dissimulent en réalité tout le naphte de ses propres incertitudes. Elle ne sait encore si elle ira. Si son cran pourra se rendre jusque-là. Sa silhouette disparaît dans le noir. Elle a encore le souvenir de sa foutue désinvolture, gravée devant la rétine. Machinalement elle shoote dans un caillou qui traine, se fraye un chemin jusqu’à l’antre du dortoir. Non, elle n’ira pas. Il ne faut pas.

***

Et elle y est. A une heure qui ne se prononce pas. Les résolutions jetées en pâtures, dévorées par une curiosité assoiffée de tentations troubles. Elle s’est éclipsée de la soirée dans leur nightclub habituel en prétextant préférer rentrer, avoir des choses à faire, et une lassitude naissante. Personne n’a insisté pour l’accompagner, voyant dans le sursaut manifeste de ses humeurs, depuis quelques temps, les marques d’un caractère difficile à cerner qu’il vaut mieux laisser couler. Elle n’a même pas regardé l’adresse, se renseignant auprès des passants sur les trottoirs jusqu’à ce que l’un d’entre eux, circonspect, lui griffonne un petit plan sur un bout d’emballage publicitaire. Il a eu l’air surpris lorsqu’elle a demandé, comme si vraiment, ça n’était pas un endroit à fréquenter pour les filles comme elle. Trop bien élevée sans doute. Pas assez toutefois pour entièrement renoncer. Lorsqu’elle est arrivée dans la ruelle convoitée, un souffle putride s’est emparé de ses bronches, régurgitant toute l’excitation intrépide de son humeur pour former une chape de plomb au fond de son estomac. De justesse elle a esquivé une nana qui sortait en trombes pour vomir sur la chaussée, « secourue » par un grand gaillard au langage complètement délié par la drogue, et l’alcool. Elle s’est concentrée sur la devanture, fixant avec une détermination farouche les lettres capitales vacillantes pour ne pas contempler la misère d’une déchéance jamais entrevue avec tant de cruauté. Jamais consciemment en tout cas. Dans un réflexe d’une pudeur factice, Eleah tire sur le bas de sa robe, comme si elle était véritablement trop courte pour un endroit pareil, qu’il s’agissait d’une invitation manifeste à y glisser les doigts. C’est la même que la première fois pourtant. La noire, avec les imprimés floraux. Celle qui parachève sa désinvolture adulescente, sans la rendre vulgaire. Mais dans ce cloaque où les regards se posent sur sa silhouette pour la dévorer, Eleah aimerait savoir disparaître, se retourner et partir. Pourquoi reste-t-elle alors ? Pourquoi ignore-t-elle les phrases dont on la gratifie alors qu’elle se fraye péniblement un chemin entre les corps sans vie, désincarnés, dont s’exhalent des odeurs qui lui donnent la nausée ? Il y a des doigts qui viennent caresser ses cuisses nues au passage, qui laissent en héritage sur sa peau blême des frissons de dégoût, comme si des sbires de la pire espèce se relevaient directement des enfers pourrissants où ils demeuraient liés pour venir ravager son innocence. Elle baisse un peu les yeux pour tenter de discerner où elle met les pieds. Les semelles de ses chaussures collent un peu sur le sol poreux, maculé d’alcools séchés. Les lumières changeantes des néons lui martèlent le crâne, donnent à ses tempes une impression d’ivresse alors qu’elle n’a bien sûr rien bu. Toute la spontanéité lumineuse de ses humeurs habituelles, scintillantes et éclectiques, se sclérosent au profit d’une inconstance qui gronde, qui rôde, qui s’épanouit en notes grinçantes. Quelque chose l’attire en ces lieux. Quelque chose la garde, la traque, l’emprisonne. Pendant toute une minute elle contemple une fille qui danse dans un alanguissement dérangeant, encadrée par deux mecs qui glissent leurs mains sous ses fringues. Sans décence. Sans pudeur. Sans honte. Désir trivial, qui la laisse comme exsangue, alors que son imagination projette des images troubles devant ses pupilles dilatées dans le noir. La marée humaine de ce qui sert de piste de danse finit par la rejeter près du bar, comme recrachée sur un rivage où elle pourrait enfin avaler une goulée d’air. Mais l’air en brûlant au fond de sa gorge sèche. Ses paupières s’affolent. Il y a trop d’éléments qui se chamaillent, trop de monde qui l’interpelle, trop d’informations qui transitent. C’est l’intonation du barman qui l’interpelle. Un « Jimmy », que son esprit capte un peu au hasard, et qui la fait se hisser sur les pointes pour tenter de distinguer quelque chose par-dessus les hautes statures. En contretemps elle l’aperçoit, de l’autre côté du bar, arrimé à une fille fadasse dont l’allure dérange son éducation presque tout de suite. C’est surtout la gestuelle qui les relie l’un à l’autre qui l’irrite, autant qu’elle la fascine. Eleah s’approche alors, papillon de jour, venu s’égarer dans l’antre de la nuit. Elle bouscule un gros costaud au passage, qui proteste à peine puisqu’il en profite pour reluquer ses fesses à loisir au passage. Un malaise latent se glisse dans ses entrailles, la laisse plus tendue que d’habitude, comme sur la défensive. Arrivée à la hauteur de l’étrange binôme, elle lance un :
« Salut James. Salut … »
Ses regards périclitent tout autour, passent de l’un à l’autre. Lui d’abord. Elle ensuite, dont elle ne connaît pas le patronyme (et n’a guère envie de le connaître). Eleah ignore ostensiblement les jugements sur son physique, sur sa petite taille, sur ses allures juvéniles. Oui, elle ne devrait pas être là. Oui, elle n’est pas à sa place. Oui, c’est comme ça. Et oui, elle n’est certainement pas la seule.
« Si c’est ça que tu voulais me montrer, franchement je vois pas l’intérêt. »
Le « ça » impersonnel réhausse toute sa petite stature. Difficile de savoir si elle parle de cette fille décharnée qu’il traîne à son bras, de ce bar, de cette ambiance, de tout ensemble. Ce tout qui persiffle la destruction, qui affadit les saveurs pour les rendre âpres. Ce tout qu’elle déteste, dans lequel elle demeure toutefois, pour des raisons qu’elle ne saisit certainement pas encore. Ce tout qui la happe, et dont elle ne pourra guère se dépêtrer avant d’en avoir saisi les contours.


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James M. Wilde
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() message posté Jeu 31 Jan 2019 - 10:11 par James M. Wilde


« For all my life, I've been besieged
You'd be scared, living with my despair
And if you could feel the things
I am able to feel
Break me out, let me flee
Break me out, set me free »

Eleah
& James




Et j'y suis également. Au milieu du bruit et de la sueur. Les airs hagards qui se portent sur les visages alentours, ces rires de circonstance que l'on réserve à un taux d'alcoolémie avancé. Je ne souris pas, je ne ris pas non plus. Maud tente en vain d'attirer mon attention, la pulpe de ses doigts à la lisière de mon t-shirt, la peau qui se révulse en dessous. Je ne suis pas dans l'ambiance, l'étreindre n'est jamais totalement un choix, c'est une pulsion que dictent mes besoins. Je sais qu'elle s'en rend compte, qu'elle ne sait de moi que ces quelques mots qu'on égare à l'orée du sommeil. Elle ne sait pas grand chose en général de toute façon, mais elle me tolère. Elle veut bien de mon corps décharné et de ma violence contenue. Elle ne recule ni devant mes regards ni face à mes mots agressifs. Mes yeux lui échappent ce soir, ils fouillent les ombres pour la trouver, tente de survoler certaines silhouette pour quérir un profil qui la graverait un instant dans ce décor ignoble. Et j'imagine… J'imagine son corps dériver dans la marée dégueulasse de cette humanité, les instincts qui glissent sur la peau de ses cuisses. J'espère qu'elle porte une robe. Qu'elle a été suffisamment inconsciente pour dénuder d'elle ce qu'elle offrirait en pâture à l'engeance. Puis dans l'amertume d’une gorgée de whisky, je me dis qu'elle ne viendra pas, qu'elle n'a aucune raison de se pointer ici, qu'elle a au contraire tous les arguments pour ne jamais chercher à me revoir. Quelque chose dans mon corps se froisse à cette pensée. Un mélange d'agacement et de désarroi profond. Comme un éveil éphémère que l'on assassinerait froidement, une lueur qui s'évanouit sans même avoir su exister. Je serre mon verre plus fort, la taille de Maud également qui tressaille quelque peu de ne plus être cajolée. J'ouvre la bouche pour lui dire que oui, elle m'emmerde, que je n'ai ni envie de la voir ni de la prendre, ce que je finirais par faire par désespoir sans doute, quand la nuit avancera et que les angoisses se graveront sur ma peau. La musique me donne mal au crâne, rien ne m'exalte dans le rythme ou les tonalités. Je demeure sourd à l'entremise de ces harmonies métalliques qui me séduisaient tant autrefois, je n'écoute plus que le battement excédé dans mes tempes, où la colère se fige, palpitante. Elle ne viendra pas. Elle ne viendra pas. Pourquoi chercherait-elle la compagnie d’un type taré, qui n’aura su que coucher quelques notes pathétiques sur un clavier avant de chercher à lui faire mal. Lui faire mal. Me faire mal aussi, au passage. Le mot de “lâche” résonne dans mon crâne et ma mâchoire se comprime de cette insulte que je réitère, que je m’inflige en boucle depuis deux jours. Deux foutus jours. Je n’ai pensé qu’à cela. A ses mots. A elle aussi bien sûr. A cette peur et à cette hargne qui l’ont possédée toute entière quand il s’est agi de la ployer. J’ai envie d’y goûter encore, de recouvrer un peu de cette frénésie là, plutôt que de me confronter à la mort. Je n’ai pas refourgué la guitare, je n’ai pas pu. Je n’ai pas pu m’en séparer. Elle est restée dans notre petit appartement miteux, au milieu du bordel, et Gregory s’est abstenu de poser toute question même si ça l’a démangé pendant des heures. La Gibson trône au pied de mon lit, et mes regards suivent les ondulations du vernis sous les rayons du soleil qui parfois savent s’y pencher. Je n’ai pas pu. J’aurais au moins souhaité le lui dire. Lui faire comprendre ce que j’ai réalisé en rentrant chez moi, ce soir-là. Cette lâcheté qui m’anime mais que je ne peux consommer entièrement. Le désarroi… Et la peine. La peine. Elle ne viendra pas. Et je ne pourrais pas le lui dire. Je serre plus fort et Maud tente d'échapper à ma poigne. C'est à cet instant-là qu'elle apparaît. Son image percute le déplaisir qui se gravait clairement sur mes traits et mon expression hésite entre des allures furibondes et une stupeur qui brille dans mes yeux. Mes yeux qui la dévorent. Tout s'accélère et se dilate au même instant, la musique brise ses carcans et retrouve mes chairs glacées, tous les muscles réagissent avec violence sous les doigts de Maud, comme pour hurler une individualité enfuie devant cette fille. Eleah. Eleah avec un h. Mais je ne bouge pas, seul mon cou ploie une interrogation qui se mâtine d'une inspection à la fixité malsaine. Qu'est ce que tu fais là… pourquoi ? Pourquoi ? Mes yeux dévalent la robe que je connais déjà, s'attardent sur la peau de ses jambes sans même déguiser l'attrait que j'en conçois. Maud le sait aussitôt et elle tend sa main où le vernis noir s'écaille sur les ongles :
“J'suis Iris.”
J'ai un petit haussement de sourcils assez moqueur en me rappelant sa coquetterie ridicule et j'ajoute sur une gorgée qui vide mon verre, ma langue soudain bien plus sèche :
_ Salut, petite chose. Je croyais pas que t'aurais le cran de te pointer.
Maud se tend à mes côtés parce que cette phrase trahit un échange auquel elle n'a aucune part. Un passé qui ne lui appartient pas, même s'il est récent, elle ne fait pas partie des mots que j’ai choisis. Je ne l'ai même pas particulièrement présentée comme si elle n'existait pas. Comme si elle ne comptait pas. Le regard vert, bien trop clair, bien trop désœuvré, de ma régulière tombe sur la petite avec un mépris presque prégnant dans l'air et elle lance, dans la foulée de l'assertion d'Eleah qu'elle prend pour elle :
“Oh mais si tu ne vois pas d'intérêt à ce que tu ne comprends pas, tu peux te tirer.”
Elle resserre sa main sur mon t-shirt, une marque d'appartenance, de possessivité que je chasse d'un geste froid.
_ Nan, elle va rester. Je lui ai promis de lui apprendre. Et je crois qu’il est temps.
“Apprendre quoi ?”
Je ne réponds pas mais j'ai un sourire équivoque pour Eleah avant de lui tendre la main pour qu'elle s'en saisisse comme si elle devait avoir confiance pour me suivre :
_ T'es pas venue jusqu'ici pour rester plantée là, si ? Tu veux un verre d'ailleurs, ça t'évitera de continuer à dépareiller. Même si… j'aime bien ça.
Mon sourire est plus appuyé et j'ai soufflé ces mots presque uniquement pour elle. Maud inspire par le nez bruyamment et finit par rompre le contact. Je l'achève en ajoutant à son endroit :
_ Tiens, Iris, sois une fille bien comme il faut toi aussi, et rapporte nous à boire, tu veux ?
Sur ses joues creuses, le voile d'une rougeur qui galope sous l'affront et je la vois tourner les talons avec des yeux brillants de colère tandis que j'ai appuyé son faux prénom d'une tonalité ironique. Je la traite rarement comme une pute en public mais j'avais envie qu'elle dégage. Mon attention se resserre sur Eleah :
_ Allez, petite fille, l'intérêt il est dans la sensation qu'un tel endroit t’inspire. Le dégoût. Et la fascination. C'est bien ce que je t'inspire moi aussi, non ?
J'attends que sa main se donne pour l'emporter plus loin dans ces errances que je lui ai promises par erreur. Par erreur. A moins que ça n'ait été un choix alors, un choix incertain, comme lorsque j'ai pris cette guitare. Un instinct que je ne comprends pas et qui ne s'exprime que lorsqu'elle est là.
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() message posté Ven 1 Fév 2019 - 20:37 par Invité
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Des envies pâlissent sous la peau, s’achèvent sur les frissons qui parcourent, qui transcendent, qui accablent. Des corps. Des corps partout. Des corps tels qu’elle n’en a jamais vus. Des corps tels qu’elle n’en connaîtra peut-être plus jamais. Tas de chairs parfois dissoutes, qui s’alanguissent dans le noir, sans plus savoir s’émouvoir. Les étreintes irrésolues, insipides. Les harmonies absentes, rendues triviales par tous les flashs de lumières qui s’abattent comme des lames font jaillir le sang dès lors qu’elles transpercent la peau. Ce tout informe l’oppresse et l’accapare, glisse la soie de doigts putrides sur ses jambes, sur ses bras, sur sa taille. Elle ne les voit pas. Elle n’en distingue pas même les contours. Leurs visages sont broyés par la musique qui gronde à ses tempes, et l’abrutie alors même qu’elle n’a rien bu, rien consommé. Pas assez ivre pour comprendre. Assez toutefois pour savoir, ce qui a pu l’attirer là, quelque part. Ce qui peut les retenir, lui et la culpabilité qu’il traîne en étendard, derrière l’amertume de ses humeurs changeantes. La horde pourrissante, qui ondule à l’unisson comme une vague la vomit tout près du comptoir. Elle a chaud, elle a froid. Fièvre incertaine, qui la laisse exsangue, à cheval entre des émotions contraires. Les joues rougies par la honte d’avoir su arriver jusque-là sans se retourner. D’être venue, quand elle aurait dû partir … Partir. Il est encore temps. Il n’est pas trop tard pour reculer. Ses regards bifurquent vers la seule échappatoire qui existe encore. Ce sillage incertain vers la sortie du cloaque, cette sinuosité de passage qu’il lui faudrait braver dans un retour. Ses doigts froissent un pan de sa propre robe, la tirent vers le bas. Elle n’a pas cette pudeur d’habitude, s’enchaîne à des frivolités inconséquentes. Mais les univers ne sont pas semblables d’habitude. Ils n’ont pas leurs regards, la texture de leurs doigts, l’haleine de leur bouche. Une partie d’elle le hait d’avoir su la mener jusque-là, dans cet antre qu’elle reconnaît comme rivale et comparse, tout à la fois. Ses résolutions de repartir s’installent au fond de son crâne, se nourrissent de toutes les craintes qui se tapissent à l’intérieur de son ventre. Elles sont presque achevées lorsqu’elle le distingue, non loin de là, à quelques pas seulement. Figure troublante, qui la dévisage avec un aplomb dérangeant, et ce sourire … Ce foutu sourire. Comme s’il se doutait qu’elle viendrait, qu’il en avait l’intime conviction. Ou alors qu’il n’en savait rien au contraire, et que la surprise est entière. L’un dans l’autre, l’un comme l’autre, avant même d’avoir su poser le pour et le contre, elle s’aperçoit les avoir déjà rejoints. Lui. Cette fille aux traits ravagés. Elle n’est pas laide en réalité. Lorsqu’on l’observe avec attention, on s’aperçoit que son visage est attirant, qu’elle dégage quelque chose d’inacceptable. Mais elle ne saurait lui donner un âge. Figée dans un temps qui a dû lui échapper un jour … Comme lui peut-être, comme lui sans doute. Eleah hoche la tête lorsque Iris se présente. Un prénom quasiment trop délicat. Iris. Le nom d’une fleur. Une si jolie fleur. Elle ne note pas tout de suite l’hostilité manifeste et territoriale dont elle fait preuve à son égard. Eleah est très loin de ces considérations-là. La jeunesse l’en préserve encore sans doute, ou elle n’a pas appris la possessivité à l’école secondaire. Pas celle qui enfonce ses ongles sous la peau pour rappeler une appartenance en tout cas.
« Tu avais omis de préciser que tu avais une copine. »
Elle ne sait pas pourquoi elle a sorti ça, avec un aplomb désinvolte, et un sourire en coin moqueur. Peut-être parce qu’Iris a voulu montrer les crocs, et que si docile puisse-t-elle être, elle n’est pas prête à se laisser piétiner même par plus grande qu’elle. Au fond elle n’en a cure, le sujet n’a jamais été abordé, et ils n’en sont pas vraiment à ce genre de considérations-là. Il sait sans doute qu’elle l’a souligné juste pour faire chier la grande perche maigrelette, à ses côtés. Ça ne fonctionne pas si mal. Son ventre ronronne d’un plaisir indicible, à l’intérieur, et éveille des appétits qu’elle ne conçoit pas encore. La phrase de James se réverbère dans sa tête. Son regard s’appuie dans le sien, avec une forme de mesure délicate. Il est temps … Il est temps. D’apprendre. De savoir. De comprendre. Mais quoi en réalité ? Quoi au juste ? Elle demeure dans un air interdit qui ne dure qu’une fraction de secondes, avant de reprendre ses esprits.
« Un verre oui. Mais pas d’alcool. Merci. »
Elle anticipe la réaction moqueuse d’Iris en se parant d’une indifférence ostentatoire. Elle a toujours assumé son antipathie pour l’alcool, bravant ainsi les attitudes et les « modes » de ses comparses adulescents. Elle n’aime pas perdre la maîtrise de ses pensées, de ses actes, de ses gestes. Et puis quelqu’un se souvient, de ce que ce fléau pouvait engendrer de violence et d’aversion. On n’oublie pas ces choses-là, même si l’on réussit à se persuader qu’elles n’ont jamais existé.
« Je ne sais pas ce que cet endroit m’inspire … Et toi non plus. Pas encore du moins … pas encore. »
Ses doigts se resserrent autour des siens, sa silhouette le rejoint comme une vague, étonnement assurée, étonnement clairvoyante. Une partie d’elle se dit qu’il ne lui arrivera rien, qu’il veillera sur elle. Illusion de petite fille. Illusion perdue. Ils affrontent la marée humaine, se joignent à elle. La musique ne lui inspire aucune danse, alors elle en crée une de toute pièce, dans sa tête. La rythmique de ses gestes n’a rien de semblable avec celle qui gronde en dehors. Elle s’opère en contretemps alangui, presque douloureux. Ses doigts se glissent entre les siens, le défient ainsi de la laisser dériver toute seule dans le noir.
« Ne me dis pas que tu as revendu la Gibson pour te payer des filles quand même. » demande-t-elle, en haussant un sourcil facétieux. La corruption de la musique pour des plaisirs factices, faciles. Des consommations fades et abruptes, délavées … Non, elle n’y croit pas. Pas entièrement en tout cas.

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