Nate ♦ I know I'm not perfect, but at the end of the day, who is ?

« I was born to tell you I love you... »

Hein quoi ? Non je fais de déclaration à personne, je chante juste sous ma douche comme à peu près tous les matins. Y a des trucs comme ça, qui sont immuables. Un peu comme les traditions qui traînent dans ma famille. Certaines que je continue à suivre - le thé à 17h, c'est sacré, ouais c'est cliché, et après ? - d'autres que je laisse allègrement tomber au fond des oubliettes, ou en tout cas, au moins les idées du vieux grabataire qui me sert d'arrière-grand-père. Je l'adore, c'est pas le souci, faut juste pas trop l'écouter radoter sur le temps des colonies, quoi.

Ma famille est un peu beaucoup traditionaliste, il faut l'avouer. Sans posséder un jet privé, trois yachts et douze lamborghini, j'admets qu'on n'a pas vraiment à se plaindre, assez loin de là. Grandpa étant assez haut placé de son temps dans la hiérarchie militaire, il a fait un bon mariage et légèrement profité de l'héritage de Granny, mais évidemment, il ne faut pas évoquer ça en ces termes, sous peine de le voir perdre on sacro-saint flegme britannique. Tout comme il vaut mieux ne pas tenter de lui faire changer d'idée sur ce qui était mieux du temps des colonies, ni tenter d'argumenter pour lui faire comprendre que les indiens ne sont pas si étrange (et accessoirement, légèrement limités niveau éducation) qu'il veut bien le croire. Ca a été compliqué de lui faire comprendre que Khan était quand même peu ou prou mon meilleur ami, et pas... mon valet ou un truc du genre...

Khan, donc. Je suis sûr que si on avait pas grandi à des milliers de kilomètres l'un de l'autre, on se serait suivi toute notre vie. Enfin on l'a un peu fait après en fait... Il est arrivé dans la même école que moi quand on avait huit ans. Et comme nos noms se suivent dans l'ordre alphabétique, on s'est retrouvés à côté l'un de l'autre - petite lubie de notre prof du moment, plutôt positive pour le coup parce qu'on s'est plus quittés. C'est pourtant pas comme si on était si semblables, au fond, mais faut croire que les contraires s'attirent, parfois. Il disait rien, venait pas vers les autres, et moi... bah tout le contraire. Je faisais le pitre, allait emmerder un peu tout le monde... Faut dire que je m'ennuyais vite, vu que... bah c'est bon, m'dame, ça vous l'avez déjà écrit au tableau, pas besoin de le répéter douze mille fois... Fallait bien que je m'occupe. Et c'est passé par causer avec le mec à côté, au nom bizarre.

S. Khan, ça me faisait rire, parce que je faisais le lien avec le livre de la jungle de Kipling, et que, donc, bah lui, il était Shere Khan dans ma petite tête d'enfant... En moins méchant. A vrai dire, je sais pas de combien de surnoms j'ai pu l'affubler. Shere Khan, donc, Tiger, parfois, parce que ça en découlait, Shahrukh Khan ensuite, quand j'ai découvert son petit plaisir coupable devant les films bollywoodiens... Et je sais plus, y en a sans doute tout un tas que j'ai utilisé une fois et oublié ensuite.  

C'est lui qui m'a appris à jouer de la guitare. Enfin... Je l'ai vu faire, j'ai trouvé ça cool, et j'ai voulu faire pareil. J'apprends vite il paraît... On a commencé à jouer un peu pour nous, à reprendre les trucs qu'on écoutait, par-ci, par-là. Je chantonnais parfois derrière lui, ça se voyait que lui s'éclatait plus là-dessus que sur sa gratte. Du coup, les rôles se sont naturellement placés, on chante et joue tous les deux, mais chacun a son domaine de prédilection. Puis un jour, on s'est dit que ça serait cool de faire vraiment quelque chose à nous, et il a pris les devants pour monter le groupe. On était au lycée, c'était une lubie d'ado d'après nos aïeux respectifs, un peu comme ma décision de ne plus manger de viande, pourtant, on est toujours là, et on tourne un peu depuis dans les bars du coin.

Cela étant, effectivement, ça paie pas les factures et quand on veut s'émanciper de l'emprise familiale, c'est bien de pouvoir avoir son appart' et de s'en débrouiller tout seul. J'ai pas eu trop de mal à rentrer dans l'école de journalisme que je voulais intégrer - au grand dam de Grandpa qui trouve que les fouineurs mèneront le pays à sa perte, dommage, paraît que je suis une fouine, justement - mais à la grande fierté de Maman, qui a toujours dit que je réussirai ce que je voudrais bien entreprendre. Elle a un peu moins compris que je veuille pas rester à la maison, et encore moins accepter l'argent de la famille, alors on a passé un accord. Puisqu'elle veut être sûre que je ne manque vraiment de rien, et puisque c'était censé être mon héritage, j'ai accepté de vivre dans un appartement qui appartient à Père, qu'ils envisageaient de mettre en location maintenant qu'ils avaient fini les travaux qu'ils y avaient entrepris. Moi je paie les charges et je me démerde avec un job de barman le soir pour vivre quotidiennement. Parfois, je lui laisse le droit de mettre un peu d'argent sur mon compte, tant que c'est en « paiement  » des services rendus - Maman déteste les ordinateurs, je suis officiellement son technicien de maintenance - et pour le reste, je me démerde tout seul comme un grand avec mes petits boulots donc. C'est pas la complète indépendance que je voudrais, mais je vais quand même pas cracher dans la soupe non plus, parce que c't'appart, il est juste génial, et bien situé, je peux presque tout faire à pieds. Les bars où je bosse, ça nous fait des adresses pour jouer, et ça me laisse la journée pour les cours de journalisme... Que demande le peuple ? Bon peut-être un peu plus de sommeil, mais je me rattrape le week-end, dirons-nous. Et que notre chanteur soit à l'heure quand on doit monter sur scène aussi...

« Hey, Khan, t'es où ?
- Coincé à Euston.
- On t'attend depuis vingt minutes là, bouge ton cul !
- Mais j'aimerais bien sauf que le métro est à l'arrêt et que je...
- Je ne veux pas savoir, trouve une solution mais sois là au plus vite ! »

C'est pas que je risquais aussi ma place de barman dans l'histoire, mais un peu quand même... Il est arrivé, j'allais dire aux autres « Tant pis, faut qu'on joue, je prends sa place... » même s'il est meilleur chanteur que moi - et moi meilleur guitariste que lui -, quand il a fini par débarquer et qu'on a repris nos rôles habituels.

« Tu viens de me faire perdre dix ans de ma vie, Tiger. »

Faut pas me faire des frayeurs pareilles, j'ai pas envie de mourir aussi jeune que Cobain, moi...