(✰) message posté Jeu 15 Déc 2016 - 11:36 par James M. Wilde
« Sigh, static moans A storm growing strong And it's coming my way Still she gives you Everything you need Is it enough ? You're running out of time As it grows in your eye You'll feel Broken inside, you'll feel »
Isolde & James
Le soulagement si longtemps espéré ne vient pas, non... La douleur est pire encore, d'être ainsi découvert, décharné devant elle, sans fard, sans masque aucun. C'est se donner nu à la voracité des flammes et les voir nécroser tous ses esprits qui périclitent, il n'est plus rien, il n'est plus que cela, un homme perclus d'une culpabilité malsaine qui a fini par accoucher d'un monstre déformé par les actes, dénaturé par les sensations viciées et vicieuses qu'il a su trouver au hasard de sa nature enragée. Certaines expérimentations constituent des armures invincibles, d'autres beaucoup plus sombres viennent déchirer votre âme, vous la volent pour la recracher disjointe du corps, rapiécée par la volonté impérieuse de l'instinct de survie et pourtant destinée à la mort. Cette mort lente, si lente, qui serpente dans les veines, qui se love sous la peau, qui détruit le passé, assombrit le présent, et ternit tous les futurs. Les espoirs n'ont plus besoin de vous, ils ne peuvent s'élever au front de l'ignominie, ils deviennent moribonds à peine éclos, chétifs, se tournent vers l'avenir avec la certitude dévoyée de ne jamais savoir en faire partie. James sent ce vide dévorant dans sa poitrine, les mots ont quitté ses lèvres, ont silencé sa langue qui étreint à présent une bile amère, le meurtre de l'image si soigneusement appliquée à son cadavre ambulant dans cette confession sauvage est insupportable, mais son visage ne se détourne pas, il regarde le témoin mutique de ses révélations putrides, la voit se trahir dans des appétits qu'elle usurpe ou qu'elle reconnaît parce qu'il les déclenche : cette envie de détruire, ce besoin viscéral de broyer l'autre pour qu'il ait mal, cette douleur en une communion détestable, avide, le coeur qui bat d'un encore, qui s'écartèle d'un jamais, qui crève tous les toujours. Se rejoindre dans l'opprobre et se surprendre à aimer cela. Le visage d'Isolde est magnifique dans cette haine, majestueux dans la colère, effrayant dans la terreur apposée à ses traits par le dévoilement qui ne souffre plus aucune dérobade. Impossible d'échapper à ces deux corps confrontés à la sauvagerie de l'instant, impossible de ne pas se reconnaître dans l'aveuglement de la rage. Il sait qu'elle le voit, il sait qu'elle le voit entièrement pour la toute première fois. Alors qu'il était en elle, elle a entraperçu cette dualité infâme, elle a ressenti toute la palette de l'horreur sans pour autant la regarder en face mais à présent, elle s'étend devant elle dans toutes ses nuances, vient lécher son âme et la corrompre. Les instincts monstrueux de James se renforcent au tableau qu'ils forment, son corps se modèle un peu plus au sien, la bête hume le rejet, la peur et trouve ce musc délectable, si délectable que la destruction se confond presque à la torture à présent. Elle cherche à faire mal, mal physiquement, mal mentalement, mal tout court dans l'aveu échappé, mal à prétendre qu'il n'y a rien au-delà de la confession crue, qu'il ne reste rien de celui qu'Isolde cherche à comprendre, qu'il ne reste rien d'elle non plus. Le souffle brûlant de James caresse un instant la peau de son cou alors qu'il se penche pour respirer la damnation de cette étreinte violente, sa main se contractant sur l'épaule déjà trop longtemps malmenée, la bile se teinte du goût du sang et il tremble de ses envies affreuses libérées dans sa tête, il tremble de peur d'y céder, et du désir qui fouille ses entrailles, à coup d'ongles, déchirant de douleur son corps et son âme, ce désir de perpétuer la tragédie pour s'y perdre tout entier.
Que reste-t-il d'eux ? Que reste-t-il des sentiments qui le poussent jusqu'à la convoquer dans cette danse charnelle avec la mort ? Que reste-t-il aujourd'hui ? Cette complétude de son corps glacé contre le sien, qui recouvre ses marques de la sentir vivante, vivante et palpitante dans l'horreur ? De ce sursaut qui la secoue de le savoir si proche d'elle et à la fois si loin ? Ou encore la dernière étincelle, quelque part, qui se cache encore de la bête, pour que la survie ne soit plus illusoire, qu'elle puisse se transformer enfin en cette rédemption esquissée dans tous les mots et dans toutes les notes de ce qu'il a su créer ? Mais la musique n'est plus là... Plus là du tout, disparue et éteinte quand il a retrouvé la tombe qu'il a lui-même creusée. La poitrine de James se soulève difficilement, sa poigne frémit, son corps fléchit lorsqu'elle touche son visage avec la douceur d'une caresse alors qu'il s'attendait à la douleur d'une gifle. Mais ranimer l'homme derrière le monstre est pire encore, cet homme se sclérose à ce geste auquel il ne sait pas se dérober car il le cherche au point d'en gémir, au point de quémander encore quelques infimes secondes qui ne seraient pas corrompues par la souffrance. Il ferme les yeux, ses doigts déserrent leur étau, son coeur palpite devant la demande esquissée, ce pourquoi, ce comment, qui sauraient habiller l'infamie d'autres harmonies moins brutales. La peine s'étrangle dans sa gorge à la perspective de narrer les déambulations funestes d'une autre vie, l'héritage hideux de son essence déjà à l'époque fourbie par une complaisance à la folie. James se ranime à l'appel qu'elle porte comme une ultime blessure qui saigne dans son regard troublé, lorsqu'il pose de nouveau ses prunelles sur son visage abîmé par la tristesse, bouleversé par les atours brûlants de la fatalité. Il a mal pour elle, et il a mal pour lui. Pour eux aussi, car il a cette impression farouche qu'ils se meurent à l'assaut d'un passé qu'ils ne peuvent guère changer. Il lui a promis il n'y a pas si longtemps de tout confondre à sa peau, de tout verser au creux de ses lèvres, ses déraisons, ses oublis et ses fautes, il le lui a promis et cette promesse enchaîne l'homme, les fers qui furent posés sur le monstre mordent à présent sa peau déchirée, l'indocilité de la nature courbe l'échine dans le silence exsangue des espoirs. Il faut peindre les obsessions, elles suintent de tous les murs de cette foutue maison. Il va lui dire... Lui dire, lui montrer, lui faire sentir la marche inexorable d'une mémoire rendue aux ombres pour les enténébrer plus encore à présent qu'elle se complète dans la fureur des retrouvailles du cimetière. Sa voix est différente, brisée, lointaine, froide au départ, puis prompte à suivre tous les dénivelés des errances, pour les peindre dans l'étreinte et la joute alanguie contre ce mur. Il ne bouge pas d'un pouce et pourtant le décor vacille au gré de ses murmures : _ J'ai aimé quelqu'un, autrefois, je l'ai aimée parce qu'elle était effacée, perdue, oubliée. Je l'ai aimée parce que personne ne la regardait et que pourtant je la voyais chaque fois que mes yeux s'égaraient sur elle. Et elle s'est libérée, dans mes étreintes, dans toutes les folies de mes rêves de l'époque, dans cette soif inextinguible... Je voulais tant, écrire, composer, jouer, devenir, je voulais tout. Et elle m'encourageait tu sais... Elle comprenait la soif, elle comprenait les tourments des rêves inaccomplis, le plaisir furieux de ceux qui se modelaient entre mes doigts. Dès que nous avons pu quitter la monotonie du lycée, on a habité juste ici. Avec Greg et Ellis... Ça fait si longtemps... Il se perd un bref instant à regarder alentour sans voir la maison glacée du présent, en devinant au contraire tous les secrets de ce décor emprunté au passé. Il glisse un geste aérien sur le bras d'Isolde, de son épaule jusqu'à sa main, pour ôter les douleurs appliquées par sa colère, qui s'envole au gré de ce retour en arrière. Il n'était pas encore corrompu à sa rage à cette époque-là. _ En partie grâce à elle, je me suis mis à exister aussi, exister différemment, sur des scènes minuscules et pourtant comme si toutes les foules pouvaient m'obéir qu'importe ce que je me permettais. Elle m'aimait au point de m'idolâtrer, Rebecca, nous étions compliqués. A se chercher, à fusionner, à nous déchirer l'instant d'après, j'adorais la souffrance, et j'aimais plus encore la dessiner je crois, déjà... Sa main remonte contre le bras d'Isolde, se glisse dans sa nuque, caresse ses cheveux, lui fait ressentir l'avidité des instincts et le trouble des heures à se perdre dans des souffrances moins dangereuses que celles qui les encerclent, tenues pour l'instant en respect par le passé qui n'admet aucun autre invité que leur duo désabusé. Il cesse de l'entraver, la laisse respirer au rythme de sa voix : _ Tout ce que j'exigeais, elle savait me le donner, et mes besoins n'en étaient que plus déchaînés, je découvrais un univers que je pouvais ployer, année après année. Mes manipulations égalaient les siennes mais je crois qu'elle se perdait plus rapidement que moi. Nos jeux ont pris une tournure débridée à cause de cette célébrité naissante, tu penses bien que j'ai tout dévoré, les drogues, les corps offerts, les excès, je les ai ramenés jusqu'à notre maison, Rebecca les a tous goûtés jusqu'à s'en écoeurer. Son nez se love contre sa tempe et s'y niche au son de ce "tous" encombré de noirceurs, il s'en cache dans la douceur de ses cheveux, laisse des silences contre sa peau qu'il utilise comme le canevas de ses abîmes : _ Elle m'a juré un jour qu'elle pouvait se défaire de moi et j'ai eu la folie de chercher à lui montrer ses torts. Si elle pouvait se défaire de l'amour alors pourquoi chaque fois que je me perdais dans d'autres corps que le sien y avait-il ces larmes contenues dans ses yeux ? Pourquoi restait-elle incapable de parler alors que je me cachais à peine de mes fautes, la poussant à les commettre en miroir pour qu'elle admette enfin qu'elle était bien incapable de m'oublier une seule putain de seconde. Sa voix se durcit aussitôt, cette colère naissante, façonnée au moment de ce défi aussi ridicule qu’infamant, sa main vient tracer des arabesques malsaines contre sa joue, pour qu'Isolde lui renvoie ce dégoût qu'il cherche à dessiner : _ Je voulais qu'elle m'aime. Qu'elle m'aime jusqu'à tout accepter. Et accepter encore jusqu'à entraver l'adoration, qu'il ne reste que la violence de ce sentiment épuré, juste nous, l'un à l'autre, qu'importe tout le reste, car rien, rien ni personne n'avait plus de sens qu'elle. Rien. Pourquoi ne l'a-t-elle pas compris avant de... Il se met à trembler et le sanglot fait sursauter les mots dans sa gorge serrée. Il observe le masque de celle qui demande ce qu'il est, qui le lui demande jusqu'à le tuer avec encore plus d'insistance que tous les démons qui s'agitent en lui, il trace ses lèvres de son pouce, comme pour étouffer la peine que lui-même ressent, violemment, lui ôtant un instant la capacité de continuer : _ Tu sais ce que c'est que d'aimer Isolde ? Aimer à en crever ? Oui tu le sais... Sinon tu ne garderais pas autour de ton cou la chaîne des amours perdues. Ils ne m'ont rien laissé d'elle, ils ont tout pris... Tout pris mais ils n'ont pas pu arracher les mots, effacer les harmonies, celles qu'elle avait su nourrir. Alors je peux te dire, je peux tout te dire... Et tu t'en iras, tu pourras fuir ce dégoût et cette haine, tu pourras encore les fuir.
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(✰) message posté Jeu 15 Déc 2016 - 23:03 par Invité
« Still she gives you everything you need… Is it enough ? » james & isolde
Dans les ténèbres du doute, elle demeure pantelante, à se terrifier d’elle-même et de ce qui l’anime. De ce que les excès de James révèlent et libèrent depuis les tréfonds de sa chair abîmée par la terreur. Une douleur se rappelle à elle, coure contre la colonne vertébrale, trottine le long de la cicatrice qui la cisaille en deux. Jamais elle n’a senti une telle ignominie, sans fard, sans voile illusoire. Jamais non plus elle n’a été si avide de vouloir détruire celui-là même qui chercherait d’une quelconque façon à lui nuire. Sa douleur se réverbère contre celle qu’elle patine au fond de son cœur, y trouve une compagne étrange et gracile, qui se fond aux courbes de sa décadence avec une harmonie qui touche des infinis. La perspective la dégoûte, de savoir ces comparses si semblables, telles deux âmes sœurs immondes qui se retrouvent pour communier enfin dans une même horreur. Est-ce cela qui l’a attirée chez lui ? Cette noirceur qu’il cache à peine, cette ambivalence qui se dissimule et se laisse tout en même temps entrevoir à l’orée de la peau ? Peut-être bien. Certainement même. Mais alors qu’elle frôle des doigts l’épaisseur opaque et poisseuse de sa honte, que sa paume s’impose contre cette chair rendue infâme du crime qu’elle a commis, il lui semble entre-apercevoir les lueurs chatoyantes, faites de contrastes saturés, qu’elle a cru distinguer un jour en subissant les affres de son caractère. Sa douleur lui fait presque mal en réalité, comme si elle transperçait sa propre chair, sans qu’elle ne puisse rien faire à part demeurer impuissante. Et dans le sursaut qui l’anime après l’aveu, la colère semble se fondre en des sentiments plus doux, plus calmes aussi. Un calme qui s’approche dangereusement de la froideur léthargique derrière laquelle elle se retranche, qui frôle l’inertie qui témoigne de la désertion d’une réalité, pour l’appropriation d’une autre qui n’appartient qu’à elle-seule. Néanmoins Isolde se force à rester sur le seuil de cette réalité qui la malmène encore, et qui la débecte chaque seconde un peu plus. Elle se force parce qu’elle veut savoir, elle veut l’entendre, elle veut comprendre ce qui enchaîna son être à la destruction, lesta son corps pour ensuite le balancer dans les eaux tumultueuses de la déraison pour qu’il s’y étouffe, et s’y noie enfin. Plus qu’une envie, c’est un besoin viscéral qui se niche aux creux de son ventre, et qui ne supportera guère la frustration du silence, qui sera prêt à tout déchaîner s’il n’obtient pas ce qu’il désire. La conscience de son corps contre le sien lui paraît étouffante, l’empêche de se départir totalement des sensations impérieuses qui convoitent son esprit et corrompent son âme. Ses membres se contractent par instinct, rejettent ce contact qui pourrait s’avérer trop intrusif quand il ne témoigne pour l’heure qu’un affaissement de l’âme à travers le corps désincarné. Une longue bouffée d’air lui emplit les poumons lorsqu’enfin, sa prise autour de son épaule se relâche, que l’instant se suspend pour le révéler plus cru et plus nu qu’elle ne l’a jamais vu jusqu’alors. De lui, il ne reste plus rien. Il ne reste plus rien à part la fibre fragile, corrompue par la haine, la violence et la honte, qui tremble sous ses doigts comme une feuille rendue terne par les affres de l’automne, qui ne demande qu’à se détacher de l’arbre sur lequel elle demeurait, pour retrouver ses comparses à terre, et pourrir avec elles. Il s’en faut de peu pour que ses doigts tremblent contre sa peau, trahissant ainsi cette vision qui la bouleverse toute entière, et qui pourtant vient nourrir des appétits malsains dont elle ignorait jusqu’alors l’existence. La conscience qu’elle a de lui est si entière qu’elle s’en sent presque victorieuse, se roulant dans l’impétuosité et la soif de possession comme un être avide et insatiable. Jamais elle n’a souhaité voir quelqu’un avec autant de précision que James. Jamais elle n’a pris le risque de se confronter à l’infamie, d’errer dans l’opprobre, juste pour frôler le sentiment de complétude, et de connaissance de l’autre qui permettrait de le dominer et de l’écraser tout à la fois. Il n’y a pas de douceur dans les élans qui l’animent. Ni douceur, ni quiétude, ni désir d’apaisement. Il n’y a que cette envie de le voir sans ignorer ses fautes, sans passer outre ses craintes et sans idéaliser ce qui n’existe plus depuis longtemps maintenant.
Quand enfin sa voix vacillante rompt le silence, son souffle se suspend, cherche à le suivre dans les méandres des souvenirs qu’il convoque. Ses pensées s’égarent dans son sillage, tracent les contours des ombres anciennes qui ont donné vie à celles d’aujourd’hui. Ses mots la bouleversent plus encore, car elle lit en eux, dès le prologue, une fin inextinguible, une issue morbide qui se lisait pourtant dès le départ. Les phrases lui permettent de tracer un portrait illusoire de cet amour perdu, de cette jeune femme, Rebecca, peut-être trop fragile pour supporter complètement cet amour destructeur sans y laisser au passage une partie de son âme. Et, sans ressentir une once de pitié pourtant, elle ne peut s’empêcher de sentir sa souffrance, d’imaginer les supplices d’une union rendue possessive jusque dans des travers malsains. Car il fallait le dire … Il y avait quelque chose de malsain dans ce qui les avait liés, et les liait encore tous les deux. Avait-elle réellement compris ses soifs et ses désirs impérieux, ou s’était-elle modelée à eux pour ne pas le voir partir sans elle ? Elle se posa la question un instant, alors qu’il poursuivait son monologue, ne l’interrompant que pour envahir son espace sensibles de caresses étranges, alors même qu’il avouait enfin ce goût qu’il avait pour la souffrance. Ainsi était-elle une compagne plus ancienne, dont l’attrait qu’il avait pour elle remontait bien avant le deuil. Cela ne la surprenait guère, aux vues de son caractère. Sa nuque se raidit légèrement lorsqu’il y imprime un geste. Un geste qui se conjugue à l’intention verbale, la prolonge. Un frisson léger lui traverse l’échine, glisse le long de sa colonne jusqu’à mourir au bas de son dos. Sans s’en rendre compte, ses paupières s’étaient abaissées, voilant d’une barrière moins abstraite le bleu de ses prunelles pour s’imprégner de sa voix, encore, et prendre le risque de s’y échouer. Il trace les revers de ses vices, et les obscurités égoïstes de son caractère avec une objectivité infinie qui la désarme, et vient jeter le glas sur son cœur qui palpite à peine. La destruction s’infiltre, devient omniprésente en filigrane du discours, rend d’un noir opaque la vision qu’elle a de lui, et la tristesse qu’elle éprouve tout à coup pour elle. Pourquoi n’avait-elle pas résisté ? Pourquoi l’avait-elle laissé s’emparer ainsi de tout sans lui imposer aucune barrière ? Son propre caractère ne concevait pas une telle offrande, voir un tel abandon. Elle ne comprenait pas, non, elle ne le pouvait pas. Car bien avant d’avoir détruit son corps, c’est son âme qu’il avait détruit. De ses excès, de ses exigences, de ses désirs sans fins et sans limites, de cette propension à ne vivre que pour soi tout en sachant au fond que l’on a besoin des autres pour exister encore, à travers eux sans doutes. L’amour qu’il dépeignait ne ressemblait en rien à celui qu’elle avait connu. Il était trop impérieux, trop destructeur. Il s’imposait comme un joug, et non comme une douceur que l’on partage, que l’on construit, et que l’on étoffe à deux. A l’entendre parler, et tel qu’il l’exprimait, elle avait presque l’impression que ce n’était pas son amour qu’il avait voulu, mais son adoration, sa soumission absolue à son être. Savoir qu’il la possédait corps et âme, avait un pouvoir sur elle que nul autre n’aurait jamais. Car l’amour qui accepte tout, même les injures, même les blessures infâmes, même les nuisances. Pour elle, ce n’était pas de l’amour. C’était quelque chose de plus tortueux et de plus ingrat. C’était une entité altière qui ne pouvait que se déconstruire et s’étioler, ou atteindre des points de rupture ignobles tels que ceux qu’ils avaient emprunté. Isolde aurait aimé pouvoir lui dire ce qu’elle en pensait à ce moment, à quel point il se fourvoyait selon elle … Mais elle en fut incapable. Soudées, ses lèvres s’étaient à peine entre-ouvertes. Ses dernières paroles, ponctuées de questions rhétoriques, l’avaient muré dans le silence, alors que sa lèvre inférieure tressaillait légèrement de ce contact qu’il y imprimait de son pouce. Bien sûr qu’elle savait aimer. Bien sûr qu’elle avait aimé à en crever. Mais l’amour pour elle n’avait pas revêtu les mêmes tournures que lui. Son amour à elle s’était toujours construit, au fil des âges, au gré du temps. Même dans les tourments de la souffrance, jamais il n’avait été question de destruction de l’autre. Jamais, même dans cette période qui les avait poussés à se séparer, ils n’avaient cherché à se corrompre. Ils avaient simplement empruntés des chemins différents, parallèles, sans se toucher, pour vivre leur deuil chacun de leur côté plutôt que de tenter de le faire ensemble, et risquer de s’y briser. Ils s’étaient disjoints pour mieux se retrouver, avec toujours cette volonté de façonner à deux comme une entité entière. « Continue … Je ne partirai pas … » murmura-t-elle dans un souffle, ayant la certitude qu’elle ne fuirait pas, pas cette fois. « Je ne te fuirais pas James. Je suis là … Je te regarde … Continue … » Qu’il aille jusqu’au dénouement, puisqu’il avait tracé tous les rouages de l’intrigue qu’elle devinait funeste. Elle ne s’était pas encore exprimée au sujet de tout ce qu’il avait déjà dit, ne le ferait pas tout de suite. Il lui fallait tout assimiler d’abord, s’approprier cette vérité cruelle pour réussir à s’en départir. Pour l’heure, elle préférait l’écouter, traverser avec lui les limbes de sa mémoire sclérosée. Et ses doigts s’étaient délicatement posés sur ses avant-bras meurtris, y traçant des sillages effleurés, imprimant sur la chair des marques moins offensantes et moins pénétrantes que celles des aiguilles acérées.
(✰) message posté Ven 16 Déc 2016 - 17:14 par James M. Wilde
« Sigh, static moans A storm growing strong And it's coming my way Still she gives you Everything you need Is it enough ? You're running out of time As it grows in your eye You'll feel Broken inside, you'll feel »
Isolde & James
Elle est là... Elle est là contre lui, avec lui, à l'intérieur de lui aussi depuis qu'elle a su venir arrimer ses doigts à sa chair, elle n'est plus une simple idée, elle représente l'écrin même de ses fautes, ne cherche guère à les silencer ou encore à les fuir, encore moins à les juger. Cette présence désarçonne le monstre qui s'est tu le temps de narrer la mise en place de la tragédie qu'il connaît, car il y a soigneusement participé, dans l'ombre, à se faufiler dans les failles sanguinolentes de la négligence, l'égocentrisme lui a donné des griffes acérées prêtes à déchirer n'importe quel opposant, la jeunesse a forgé des muscles prompts à tuer, dessinés uniquement pour les exaltations les plus extrêmes. Aujourd'hui plus malingre d'avoir été ignoré, enfermé, honni, il n'en attend pas moins son heure et peut se deviner dans les tournures de certains gestes qui suintent de cette brutalité rentrée, que James n'esquisse pas tout à fait parce qu'il se perd dans le passé. Mais la rage connaît les cheminements des souvenirs, les connaît pour avoir su si longtemps s'en nourrir, et elle attend elle aussi, patiemment, grattant les sursauts de la douleur pour se ciseler dans ce corps glacé, gonfle comme une vague alanguie sous la peau frémissante, cherche sa consoeur dans cette autre entité si semblable qui demande, qui demande encore, à ce qu'elle geigne, à ce qu'elle explose. Elle l'aime bien... Et James est terrifié par ces élans contraires, la peur de ce qu'il raconte et le plaisir de détruire toutes les illusions qu'Isolde pourrait encore dessiner sur ses traits dorénavant confiés par la froideur. Il la devine dans ses souffles ténus, il la voit regarder ce qu'il est et ce qu'il fut, une part de lui aimerait hurler cet écartèlement non consenti, aimerait la briser que de savoir oser, mais à présent que les souvenirs s'abattent sur lui avec toute leur laideur il ne peut que poursuivre sur la route qu'elle souhaite explorer, sa main enchaînée à la sienne à repousser les ronces des exactions qu'elle lui force à exhumer. Le voyeurisme presque malsain auquel elle se prête l'affole autant qu'il l'attire, et il se donne au jeu avec une lenteur assassine, comme pour lui faire subir dans des secondes avilies par ses mots trop bien choisis les relents de ses haines et de ses désespoirs. Qu'elle communie à l'horreur, qu'elle boive la déraison à son tour, qu'elle tombe dans le charnier d'une vie façonnée par la violence infâme, griffée par les doigts décharnés des odieux détails de sa nature, le son des os brisés, le bruit de la chair tuméfiée, arrachée dans le tumulte du crime. Ses lèvres étirent un douloureux sourire de découvrir son impuissance et celle qu'il oppose au ralenti de sa mémoire, presque assumée, presque clamée dans ces phrases qui les étranglent tous les deux. Qui édifie aussi un rapport plus délicat que celui qui s'était établi, cette oscillation déraisonnable qui le fait se donner à elle, sans retenue aucune, pour s'infiltrer jusqu'à son âme, enfouir sa folie et l'enclaver dans la sienne. Le contact qu'il appose sur sa peau n'a plus rien de celui hérité de leurs étreintes passionnées, il n'y glisse aucun sentiment qui caressait cette vertu accouchée dans le plaisir des retrouvailles. Non... Il trahit cette souffrance avouée, celle ressentie, celle qu'on se complait à exhaler sur les corps et les esprits, celle dans laquelle il a enfermée Rebecca, s'y enfermant aussi, valse mortelle aux assauts éternels. Il lui fallait tant s'imposer dans cette marginalité nécessaire, et l'y traîner aussi, pour continuer de créer et d'expérimenter tout ce qu'il ne connaissait guère alors. Il le savait et il le sait encore, cette déraison tyrannise son corps et exalte son oeuvre, et entre lui et ce besoin débridé que lui confère le sentiment de créer, la jeune fille fut en partie sacrifiée et donnée à un amour malsain et destructeur, qu'elle entretenait mais d'une toute autre manière, de celle que l'on emploie par l'absence cruelle de choix.
Le récit reprend quand sous sa cage thoracique la douleur applique de nouveau ses marques, réimprime une respiration agitée, la bête se glisse dans chaque inspiration des poisons, dans chaque expiration de l'opprobre, elle s'ébat dans ce champ des impossibles tourments, trop heureuse d'arriver au passage qu'elle préfère, de le voir mourir une fois encore à le dire, à le dire avec la précision des véritables coupables, ceux qui ont vu et su qu'ils ne pourraient rien empêcher. Les encouragements doux d'Isolde qui se lovent jusque dans les stigmates de son autodestruction lui ôtent un instant les notes les plus hautes de la souffrance et il l'observe avec un effroi non dissimulé, son coeur redouble de l'envie déraisonnable de la croire, de croire qu'elle sait ce qu'elle déclenche, qu'elle sait ce qu'elle découvre et que le dégoût ne vient pas rendre friable les promesses échangées. Mais la langue serpentine du monstre à l'intérieur vient lécher ses plaies et murmure sombrement. Elle ment elle aussi... Elles mentent toutes, les promesses d'éternité n'existent pas, elles n'existent que dans ton monde à toi. James ferme les yeux, ne veut pas défigurer le visage attentif d'autres altérités pour le confondre aux torsions néfastes de ses affects, il se dérobe à son regard absent mais s'accroche à ses bras pour ne pas s'échapper dans les plus dangereux de ses abîmes, ou quitte à y tomber risquer de la faire basculer avec lui plutôt que de les goûter dans des errances renouvelées. Sa voix reprend, de plus en plus mal assurée, les échos d'une jeunesse complètement broyée, le réveil d'un autre lui qui vagabondait dans cette maison, plus souriant, bien plus heureux également, les tortures étaient des jeux inégaux et les atours malsains se déguisaient dans les serments qu'ils échangeaient, comme deux amants maudits qui sauraient toujours ressusciter. Quelle erreur... Quelle naïveté dessinée dans leurs prunelles qui joutaient. Le jeu a tourné au massacre de tout ce qu'ils avaient entassés dans leurs incohérences et leurs dualités. _ Un soir... Je suis rentré d'une fête qu'elle s'était épargnée en restant seule ici, je suis rentré avant les autres, célébrer l'anniversaire du premier album n'avait aucun sens si elle n'était pas là à mes côtés. Je l'ai trouvée, perdue, perturbée, ivre de mes attitudes et d'alcool, beauté déchue de mes désaveux. J'ai enfin cru à l'abandon de son orgueil, il aurait suffi d'un seul mot pour que je stoppe ce cercle fantasque, un seul mot pour qu'elle admette le lien et les contraintes, l'absolu de ce que l'on tissait. Elle a commencé par dire... par dire qu'elle me quittait... Le ton change doucement, s'imprègne de cette fierté blessée, de cet orgueil incommensurable qu'ils partageaient, un rire glisse entre ses dents serrées et ses doigts s'agrippent à Isolde, rouvrant des iris brûlantes sur elle : _ C'était ridicule. Combien de fois l'avait-elle dit ou fait, était partie en claquant la porte, revenue aussitôt après, pour me faire ramper. Elle savait me rendre au centuple mes écarts et je m'en foutais, j'aurais rampé encore et encore pour la garder. Je l'ai provoquée, des paroles odieuses pour lui prouver que je lisais dans ses yeux assombris par la peine, qu'elle pouvait partir mais que jamais elle ne s'échapperait. Je lui ai peint des avenirs tous semblables, des douleurs consenties et inavouables. J'ai fasciné son corps pour lui montrer que je gardais tous les pouvoirs, je l'ai prise alors que je portais encore l'odeur d'une autre sur moi, mais... Ses bras se mettent de nouveau à trembler, il se dégoûte lui-même à se replonger dans l'état qui fut le sien à cet instant précis, se dégoûte de ne plus savoir quelles pensées sont à lui, si le monstre les trace ou si lui les appelle, il regarde Isolde mais ne la voit plus du tout parce que son monde disparaît peu à peu alors que le souvenir s'ébrèche à chaque syllabe qui le profane : _ Elle n'a jamais été aussi loin de moi, je n'ai jamais été si seul que dans cette étreinte là, et j'ai su... j'ai su que si je possédais son corps je venais de perdre son âme, elle échappait, à moi, à nous, à tout. Le rejet n'était pas gravé dans ses mots mais dans ses gestes désincarnés, j'avais un jour su dessiner l'essence à la place du vide, et je l'avais consumée, remplacée par un vide plus grand encore. Cette colère est née dans mon ventre et elle m'a entièrement condamné au moment où ses lèvres ont filtré de ces mots renouvelés. C'est fini, c'est fini James, ça suffit, je ne peux plus. Elle avait tant pleuré avant, elle ne pleurait même plus. J'ai compris, j'ai compris. Et tout a changé. Et tout change encore, ses tremblements suivent les lignes abruptes de son corps, emprisonnent les muscles, tendent de nouveau la colère dans la chair, et elle hurle comme un animal blessé qu'on mettrait soudain à mort dans l'hallali la plus ignoble qui soit, sans une once de compassion pour la bête. Il cherche à briser le contact, à libérer ses bras de la communion entreprise par Isolde, parce que l'entremêlement de ses amours se meurent, se meurent encore, et encore. La saccade ressemble à des sanglots durcis par la peur : _ Je... J'ai su, j'ai su qu'il n'y avait soudain plus rien. Plus rien des années, des troubles, des plaisirs, de inspirations, des rêves, de ces regards qu'elle me portait, de ce battement manqué de mon foutu coeur quand je l'apercevais, de nos rires parce que malgré tout cela, malgré mes erreurs et mes noirceurs, il y en avait. Les mots brûlaient tout, nous, moi, elle, et la rage, oh... si tu savais cette rage de voir le monde se briser et de ne plus savoir s'il faut qu'il crève, qu'il crève plutôt qu'il ne continue, balbutiant, amputé, déformé par le deuil d'un amour terrible. Je l'ai haïe, je l'ai entravée jusqu'à hurler tout ce désespoir et cette colère et elle n'arrêtait pas de se débattre, nos folies se déchiraient pour devenir pires encore, elle criait que je devais la lâcher, lâche-moi James, lâche-moi et... et à ce moment là... à ce moment là... Ses yeux s'emplissent de larmes qu'il ne parvient pas à endiguer et la colère est pire encore à l'intérieur, la honte ulcérée par cette faiblesse esquissée et il s'entend continuer sans pouvoir s'en empêcher, avec l'horreur glissée sous la peau de ses doigts qui veulent échapper à l'étreinte et qui pourtant étreignent la chair dans un sursaut involontaire, Isolde existe dans une autre temporalité, il ne sait plus très bien qui il entrave, lui, le monstre, Rebecca ou bien elle. Son ton est sépulcral, empli de cette rage maladive, ciselée de ces remords acides qui lui cisaille l'âme pour la balancer alentours sans aucune retenue. La mort est partout, tout autour d'eux, elle dégouline des murs, habite l'air pour le rendre d'une épaisseur étouffante : _ A ce moment-là j'ai pensé qu'elle n'avait pas le droit de vivre sans moi. Qu'elle méritait de disparaître si c'était pour me fuir. Ca ne pouvait pas être comme ça, c'était impossible. Impossible ! Et elle se débattait toujours, je ne sais même pas ce que je hurlais, toute ma folie et toute ma haine, mais je l'ai lâchée... Je l'ai lâchée... Elle m'a échappée et... il y avait l'escalier et... C'était fini. Juste comme ça, en une seconde, elle n'existait plus et moi... moi je me demandais pourquoi j'existais encore. Car ça aussi c'était impossible. Je suis resté là, des heures à sentir la vie s'éteindre sous sa peau, des heures à regarder mes actes et ma mémoire se glisser dans l'écarlate de son sang. Je ne suis jamais parti d'ici. Je crois que je ne suis jamais parti d'ici... J'ai appelé, appelé mon père, répété des mots, des phrases, des cris et j'ai arrêté de parler. J'ai laissé ma voix entre ses mains glacées, j'ai emporté la colère avec moi, enfermés seuls à seuls, entre quatre murs... Papa, papa, je l'ai tuée, je l'ai tuée, qu'est-ce que j'ai fait, qu'est-ce que j'ai fait. Je t'en prie papa, papa... Regarde-moi, regarde-moi... Son père l'avait regardé, après avoir décroché son téléphone pour tout régler, tout placer dans ses cases bien rangées, l'apathie de l'organisation chevillée à son foutu costume, et il l'avait regardé. Regardé comme le monstre qu'il était. Et James n'avait plus parlé, non, il n'avait plus parlé du tout. Il se tait d'ailleurs et parvient enfin à ôter son emprise sur les bras d'Isolde, se rattrapant au mur, l'espace conjugué de leurs deux souffles impossible à percer, leurs deux corps embrassés et pourtant éloignés par la déliquescence des échos poisseux qui s'agrippent à leurs esprits perdus. James essuie ses larmes d'un geste plein de brutalité, un coup de patte du monstre à cette enveloppe qu'il juge pathétique, dégoûté lui aussi, l'écoeurement partout, peint sur ses lèvres jointes dans un cri étouffé, malmenant son coeur qui s'est éreinté à trop battre, appelant en cadence la mort qui ne sut jadis déjà pas le trouver. Mais la mort ne vient pas, elle ne viendra pas pour lui, pas encore, elle doit se mériter. Et il ne mérite plus rien désormais.
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(✰) message posté Dim 18 Déc 2016 - 18:58 par Invité
« Still she gives you everything you need… Is it enough ? » james & isolde
Les fautes qu’il lui peint sans les encombrer d’aucune illusion viennent sonner le glas dans son cœur. Il emploie une précision dérangeante, quasi chirurgicale, à se faire conteur de sa propre horreur en employant des tournures de phrases torves, des suspens, des rythmes ternaires. Narrateur odieux qu’il est, il semble vouloir l’entraîner avec lui, la prenant par la main pour la mener sur le territoire de ses terreurs viciées et des actes accomplis dans la haine. Et Isolde le suit, marche sur la terre consumée qu’il lui dévoile, s’aventure dans les replis de l’âme désincarnée en y laissant son empreinte, se glisse comme l’ombre de son corps dans les méandres d’une vérité qu’elle n’aurait pas dû chercher à connaître, qui changerait sa vision de lui à jamais. Car déjà, le regard qu’elle lui portait se modelait, subissait les affres des révélations et cherchait malgré lui à s’en prémunir. L’effroi d’abord, le dégoût ensuite, le soulagement enfin de savoir qu’au-delà de ça, il ne pouvait pas y avoir pire. Elle lui avait demandé l’homme sans fard, sans masque, décharné de tous les atours scéniques illusoires. Et elle ne regrettait pas, non, pas encore. Cette pensée d’ailleurs, l’horrifiait au plus haut point. Pourquoi était-elle toujours là ? A l’observer comme si elle le voyait pour la première fois ? A chercher son contact alors même que ce dernier la révulsait autant qu’il l’attirait ? Pourquoi cherchait-elle à le suivre absolument dans les recoins tordus et destructeurs de ses souvenirs, alors même qu’ils dépeignaient tout ce que ses principes et son éducation avaient toujours méprisé ? L’acte odieux qui consiste à se lover dans l’égoïsme, au point de détruire ceux qui cherchent à nous aimer. Cet acte-là lui paraissait pire que le meurtre, car s’était faire subir aux autres une mort lente, malsaine. C’était s’approprier une âme au point d’en scléroser l’essence, et la modeler à soi, sans s’apercevoir qu’en cherchant à se l’approprier toute entière, on ne faisait que la détruire. Elle avait de la peine pour cette fille qu’elle ne connaissait pourtant pas. Une tristesse absolue, proche de la mélancolie. Et au gré de ses mots, elle se demandait encore une fois pourquoi elle n’avait pas résisté, pourquoi elle n’avait pas fui plus tôt. Car de ce qu’il lui laissait comprendre, lorsque le dénouement s’était approché, il était trop tard. Beaucoup trop tard pour espérer s’affranchir de liens qui déjà avaient bien que trop marqué leur appartenance sur l’épiderme. Une appartenance maladive ignoble, dont la perspective lui nouait les entrailles jusqu’à éveiller entre ses lèvres des nausées détestables. Comment était-il possible de s’unir dans un tel rapport de force ? Comment pouvait-on s’aimer à crever, si le but ultime n’était finalement que de détruire l’autre pour le faire sien, et pour qu’il n’y ait plus rien d’autre ? L’union qu’il lui dépeignait, pétri de honte, rendu monstrueux pour ce qu’il avait réussi à accomplir peut-être malgré lui, lui semblait à la fois belle, et abominable. Isolde ne percevait pas encore toutes les ambivalences d’une telle relation, toute la force créatrice qui pouvait s’émaner d’elle, mais elle en ressentait avec une infinie précision les douleurs possibles. Se savoir enchaîné à quelqu’un, au point de tout pouvoir lui pardonner, de trouver la force d’essayer de lui rendre les coups et blessures pour se sentir encore en vie. Quelle lutte. Quel drame. S’en était douloureux de deviner qu’il n’avait jamais conçu l’amour autrement que dans une forme de violence, née peut-être de son caractère, et de l’être qui s’était forgé au gré des âges. Alors à chaque seconde qui passait, à chaque phrase qu’il ajoutait à la précédente, l’armure d’Isolde se fendillait, ses traits se lovant dans une forme d’effroi léthargique, durcissant chaque expression d’une tristesse amère, et glacée. Son corps tremblait contre le sien. Elle sentait des spasmes le traverser, comme des coups de fouets qui auraient cisaillé le corps en deux dans le sens de la longueur. Elle sentait les soubresauts qui soulevaient sa cage thoraciques, sanglots asséchés qui ridaient la surface sans la traverser. Mais toutes ces manifestations, pour l’heure, Isolde n’y était pas sensible, se contentait de les subir sans se départir du silence derrière lequel elle s’était murée.
Et elle le suivit encore, toujours, jusqu’au dénouement terrible, jusqu’à cet épilogue qu’elle avait craint et pu deviner au gré de ses premiers mots. Ses sanglots réussirent à parachever la lutte entreprise jusqu’alors pour faire faillir ses résistances. Elle respirait à peine, le cœur serré dans sa poitrine, susceptible d’éclater à tout instant sous la poigne féroce du désarroi impuissant. Sa peau trembla, trembla jusqu’à se recouvrir de frissons désagréables qui rendaient alerte chaque fibre de son corps. La rage le tenaillait si fort qu’elle n’était plus certaine de pouvoir le ramener, ni d’en avoir la volonté. Mais elle sentait son mal être dénudé, à son paroxysme, se dévoilant à son regard sans aucune forme de dissimulation. Bien sûr il avait s’agit d’un accident. Un accident terrible, et involontaire. Une volonté de détruire certes, mais certainement pas avec l’intention d’y parvenir. Il ne serait pas dans un tel état aujourd’hui, presque dix ans plus tard, à se réfugier dans des tourments sans fins, à se punir lui-même, se faire à la fois juge et bourreau de cet acte qui avait scellé son destin, s’il avait vraiment voulu lui ôter la vie. A cette évocation de son père, qu’il avait appelé, elle devinait que ce dernier avait dû jouer un rôle. Un rôle dans son incarcération. Mais pas son incarcération physique, puisqu’elle ne pensait pas qu’il avait été jugé et puni pour cet acte, qui avait dû être dissimulé grâce aux influences, et aux relations bien placées. Il devait avoir joué un rôle dans son incarcération morale, dans la punition qu’il s’infligeait chaque jour depuis cette nuit sans lueur, qui l’avait précipité dans une obscurité dont il ne ressortirait jamais complètement, à moins qu’on le guide vers des perspectives moins terribles. Devait-elle être cette personne-là ? Pouvait-elle réellement prendre le risque de laisser un être si détruit, et si destructeur à la fois, entrer totalement dans son existence ? Pour l’instant elle était incapable de fournir une réponse. Seul son instinct réagissait, rendant à son corps une énergie étrange qui vint surpasser la léthargie dans laquelle elle se trouvait jusqu’alors. Alors qu’il s’éloigne de ses bras, rompt le contact physique, ses pensées s’égarent un instant, le cherchent, s’accordent un dernier silence qui lui permet de digérer tout ce qu’elle vient d’entendre. C’est que cela fait beaucoup pour un seul être, et qu’elle n’est pas sans âme. Son humanité lui rappelle la faiblesse de sa nature quand les émotions la gagnent encore. Mais elle lutte. Elle lutte pour ne pas les laisser l’envahir tout à fait. Elle lutte pour ne pas faiblir et prendre la fuite comme ultime réponse. Non, elle ne veut pas fuir. Pas cette fois-ci. Elle ne veut pas lui donner raison aujourd’hui. Pas encore. Alors son corps s’anime, ses doigts tâtonnent, se referment encore autour de sa chair tremblante, viennent s’arrimer à son visage qu’elle encadre de ses mains glacées. « Regarde-moi James … Regarde-moi … » le convoque-t-elle en raffermissant sa prise, sans se montrer intrusive ou impérieuse comme précédemment. Au contraire, l’appel était plutôt doux, calme aussi, quoique son timbre revête des tonalités douloureuses. « Tu ne peux pas continuer ainsi. Tu ne peux pas laisser cette honte, cette colère te ronger jusqu’à te mener dans de telles obscurités. Si c’est l’étreinte mortifère que tu cherches, si ce sont ses bras glacés que tu veux si désespérément retrouver, sache que tu finiras par y arriver. Si ce n’est aujourd’hui, certainement demain. Tu y arriveras, mais cela ne t’apportera pas le répit que tu attends. Toutes les punitions … Les tortures que tu t’infliges depuis des années … t’ont-elles apporté son pardon ? Ont-elles réellement rendu ta honte plus supportable ? Non, je ne pense pas. Et toutes les blessures que tu t’infliges ne te rendront pas moins coupable. Et dans ta mort, il n’y aura pas d’apaisement. Il n’y aura rien, à part le froid glacé dans lequel tu l’as précipitée, et le remord de l’avoir perdue. » Elle s’interrompit, reprenant sa respiration, hésitant sur l’endroit où elle voulait le mener. Jamais elle n’aurait pensé avoir à lui tenir ce genre de discours. Jamais. « Mais si tu veux continuer à vivre, tu dois accepter la monstruosité James. Tu dois l’accepter comme une partie de toi, vivre avec, sans la brutaliser, et simplement … L’apprivoiser. Oui tu l’as tuée. Mais ta colère, et ton égoïsme l’avaient détruite bien avant que tu ne la lâches dans cet escalier. Et pour cela, tu mérites de souffrir. Tu le mériteras jusqu’à comprendre qu’on ne peut soumettre les âmes. Personne ne nous appartient James, à part nous-même. Personne ne devrait subir la soumission à un autre, pour que ce dernier se sente tout-puissant, et enfin vivant de se nourrir d’une essence qui ne lui appartient pas. Car ceux qui cherchent à s’approprier les âmes ainsi, ce sont ceux qui ne peuvent regarder la leur sans être révulsé, qui préfèrent se complaire dans la destruction facile des autres, plutôt que d’avoir à réellement affronter la monstruosité qui sommeille au fond d’eux-mêmes. » Elle s’interrompt un instant, reprend la respiration qui lui manque, quand les battements de son cœur s’interrompent. « Affronte ta monstruosité James. Maintiens-la en respect, dompte-la, comprends-la aussi pour savoir ce qu’elle dissimule. Arrête de te lamenter comme si tu n’étais qu’une victime, alors que cette fille, tu étais son bourreau. Mais elle le savait, je suis persuadée qu’elle le savait. Et elle t’aimait quand même. Pourquoi à ton avis ? Plutôt que de te scléroser dans cette même colère qui l’a anéantie, tu ferais mieux de te battre pour mettre en exergue ce qui au contraire, l’a poussée à rester à tes côtés. Prouve que tu es autre chose que ce monstre qui l’a tuée par erreur, puisque de toute façon tu es condamné à vivre, et elle non. Mérite son pardon, devient quelque chose de moins lamentable que la honte qui te martèle. » Ses doigts libérèrent son visage. Elle s’était baissée, tâtonnant sur le sol, retrouvant cette consœur qu’il n’avait que trop consommée. Une seringue, certainement déjà utilisée, qu’elle avait balancée contre le mur lorsqu’elle l’avait trouvé en arrivant. Mais à présent elle s’en saisissait de nouveau, la refermant au creux de sa paume, remontant ensuite à son niveau. « Mais si vraiment tu veux continuer de te détruire. Si tu veux la rejoindre comme un faible, sans jamais assumer les conséquences de tes actes en te faisant suffisamment violence pour remettre en cause les vices de ton caractère, et mériter son pardon. Alors vas-y. Termine ce que tu as commencé. Je ne te retiens pas. Rejoins-la. Va l'affronter. Mais jamais elle ne te pardonnera. Jamais. » Elle ouvrit sa main, lui présenta l’aiguille. Quelques pressions suffiraient, avec tout ce qu’il avait déjà consommé. Et son cœur se serrait à l’idée qu’il puisse réellement envisager la perspective, qu’il puisse s’engouffrer dans la brèche qu’elle venait d’ouvrir. S’il le faisait, ce serait le bourreau. Ce serait-elle, l’auteur du crime.
(✰) message posté Lun 19 Déc 2016 - 12:23 par James M. Wilde
« Sigh, static moans A storm growing strong And it's coming my way Still she gives you Everything you need Is it enough ? You're running out of time As it grows in your eye You'll feel Broken inside, you'll feel »
Isolde & James
L'isolement. L'isolement de sa nature et de ses fautes, de ses appétits et de ses troubles, de ses véritables noirceurs et de ses vices. L'isolement fut la clef, l'isolement sous les nombreux masques qui se superposaient dans le faste et les affronts répétés, les chaînes sur ses envies ne filtraient que celles qui semblaient acceptables aux yeux du commun, dans ce cadre psychédélique de la déchéance menée en fanfare d'une vie d'artiste, notes perpétuelles de perdition, toujours les mêmes, répétées jusqu'à l'hébétude. L'isolement du monstre, de l'homme, des sentiments aussi. Des sentiments surtout. Se méfier d'eux, les contraindre, les étouffer jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien, que des envies dévorantes teintées de cette peine qui suppuraient des blessures jamais entièrement refermées, mais plus rien qui ne puisse approcher l'aune de cet amour déraisonnable. Jusqu'à quelques semaines qui pourront bientôt se compter en mois, d'autres collisions non consenties et pourtant accueillies avec avidité, comme pour remplir le vide qui commençait à trop apparaître sur cette surface policée à l'ironie. D'abord Isolde et sa maîtrise qu'il voulait déranger pour au final briser la sienne, attirance duelle qui l'entraine à recouvrer des élans qu'il ne connaissait plus et à renouer avec la peur de se perdre à n'être plus qu'un homme alors qu'il s'était rêvé dieu. Ensuite Moira et son adoration coupable qu'il a souhaité entretenir pour qu'elle se change en détestation et qui est parvenue à tirer sur les cordes sensibles d'une effroyable création. Des sentiments, d'autres sensations, toute une valse d'affects qui a su tuer la musique à l'orée du deuil, imploser en lui pour le priver avec brutalité de ce qui le faisait lentement revenir à la vie. Les sentiments à peine éclos et déjà disparus sous la vague noirâtre des drogues emmenées à un rythme cadencé par l'armée déchaînée de sa folie. L'isolement... L'isolement à présent pénétré, violé par une présence à la fois honnie et convoquée. Il n'est plus seul à regarder la bête, ils sont deux à la jauger, deux dans leur propre monstruosité. Il tremble, il frémit et il enrage, dans une ritournelle menée par ses mots, des mots atroces qui filtrent par ses lèvres qui donnent la mort, dans une sorte de complaisance détestable. Et ils sont aveuglés, aveuglés par l'intensité des ténèbres, ils y voguent main dans la main, sans plus aucun repère si ce n'est cette confession arrachée qui les tue, les dévoie dans d'autres réalités qu'ils ne sont sans doute pas prêts à affronter. Qui es-tu, qui es-tu à te faire guide de ma souffrance dans le noir qui est tien, qui es-tu, qui es-tu, ne lâche plus jamais ma main. L'aveu le laisse pantois, inspirant dans l'horreur devenue son monde toutes les nuances de ses crimes qui glissent sur le visage d'Isolde, une projection de lui-même sur la toile d'une autre existence brisée, pour se montrer à elle bien plus loin que dans la chair, apparaître dans les ombres qu'elle habite déjà, et détourner ses yeux éteints du froid pour l'abîmer aux flammes de ses propres ténèbres. Magnétisée par le feu, la peau brûlée par sa langue assassine, plutôt que sclérosée par les chaînes de ses cicatrices qui morcèlent son corps, qui entravent son âme. Et il comprend soudain pourquoi elle est ici, avec lui, pourquoi elle devait être là, non pas uniquement pour le retenir au bord du précipice, mais aussi pour mirer son visage déformé tout à côté du sien. Trouver un fauve aussi dangereux que soi, et préférer s'offrir à ses crocs plutôt que de continuer à mordre dans le vide et finir par s'étouffer. Et dans l'offrande, savoir que l'on se nourrira de sa chair pour continuer à exister. Il sursaute, l'électricité lèche ses muscles contractés mais la cause est différente, il étreint le passé mais ses yeux en regardant Isolde caressent pour la première fois un autre avenir. Un avenir où il serait encore là... L'effroi peint dans ses prunelles closes, la détestation posée au creux de sa bouche, le pli de douleur qui cisèle sa joue, il la trouve si belle que la douleur devient une autre tentatrice, le réveille enfin. Il existe dans chacun des stigmates qu'elle portera à présent. La perspective le terrifie, l'idée le magnifie presque. Lorsque ses mains viennent chercher son visage, il ne se dérobe pas, car les regards qu'elle lui porte la font également exister dans chaque sursaut qui anime ses traits. Elle est venue se lover contre l'homme, non pas pour le protéger, mais pour lui donner encore la force d'affronter ce qu'il porte. James vacille... et la musique renaît.
Notes ténues d'abord, un sifflement en toile de fond, qu'il n'identifie pas a priori, trop perdu dans ses propres dessins, il s'est lui-même entravé sur la toile de ses fautes et il gît là, offert à toutes les iris assombries qui le jaugent. Celles qui cherchent à faire battre son coeur, celles qui souhaitent tout au contraire l'agonir jusqu'à ce que le rythme quitte l'enveloppe corporelle, s'élève enfin hors de la chair pour l'abandonner à sa léthargie inique, la confiant à la mort. Le dilemme ajoute encore quelques touches glacées à l'absence de couleurs, les feux sont au noir et blanc des ralentis de ses souffles, et lorsqu'il arrête de frissonner, il comprend qu'elle frissonne à son tour, la maladie transmise étend son emprise malsaine sur ces deux corps reliés. Le son parasite, revenu dans sa tête, cherche à gonfler sa prétention d'exister, mais les ténèbres avalent les notes, les maquillent en gémissements atténués, rendent les harmoniques stridentes entre les dents serrées. Le monstre n'aime pas ce qu'il entend, grogne pour couvrir l'ébauche des espoirs, il préfère les tourments, alors il les nourrit encore un peu. Et dans le silence qui s'abat sur leurs épaules statufiées, il narre la fuite, il déforme les idées du duo qui ose le menacer, montre la solitude de l'être quand tout est enfin prononcé. C'est fini James, maintenant laisse-la partir et retrouve-moi enfin, retrouve le chemin que tu avais entrepris. Mais James n'obéit pas, il demeure debout, les yeux fermés, la mine basse, l'ouïe aux aguets. Il y a quelque chose tout au fond, quelque chose d'autre que des chaînes brisées et les peines éternelles auxquelles il s'était enfin destiné. Il n'entend pas bien encore, mais recommence à respirer, son souffle se calme, son corps atténue les blessures de l'âme, et s'il quitte le contact d'Isolde, il est étrangement persuadé que lorsqu'il rouvrira les yeux, elle sera encore là, et que ses fantômes ne la prendront pas. Son visage se donne sur l'écrin de ses paumes tendues jusqu'à lui, elle est glacée, il est brûlant, il cherche à écouter et c'est elle qui parfait la mélodie qui ne parvenait pas jusqu'alors à exploser. Regarde-moi... Le miroir, tendu, rejeté, revenu entre eux dans les étreintes les plus sensuelles, dans les confrontations les plus brutales. Il rouvre ses yeux sur un monde inchangé, la peine toujours arrimée à sa silhouette, mais les harmonies se nourrissent du contact, caressent les chairs, construisent les accords tordus qui se tissent entre eux. Il l'écoute à présent, presque religieusement d'ailleurs, après l'avoir rêvée ange vengeur, il la découvre guide diaphane de ses lueurs harmoniques, son univers reprend quelques couleurs, chaque mot peint une sonorité, le sens se glisse dans le camaïeu de la mélodie de ses phrases. Une mélodie terrible d'ailleurs, qui s'étend, éprend son coeur, le chamade de nouveau, le torture mais dans une étreinte presque majestueuse, celle d'une descente majeure vers les douloureuses caresses d'un frôlement en mineur. Il écoute encore, la sentence des refrains, les effrois du premier couplet : souhaite-t-il parvenir à la destruction de ce qu'il est ? Souhaite-t-il déchoir enfin, dans l'ignominie définitive ou y-a-t-il encore quelque part d'autres notes à assembler, d'autres compositions à malmener ? Le couplet prend une tournure fatale, les graves le font un instant papillonner des yeux, ses paupières cherchent à atténuer la tragédie de ne pouvoir jamais goûter le pardon dans la seule destruction. Il se tend, mais n'échappe guère, il veut entendre encore, alors il la laisse continuer, accepte pour la première fois de sa vie qu'un autre le juge, car le jugement n'est en rien une condamnation, si ce n'est de se voir condamné à vivre, une condamnation qu'il a jadis trouvée dans le repli de sa déchéance. Qu'elle esquisse de nouveau la vie en l'ayant gardé de la mort tend une note sourde, étrange, qu'il lui faudra apprivoiser demain, pour se rappeler comment l'emmener jusqu'à la justesse de son quotidien. Le monstre se voit assailli par cette mélopée, il crache, il éructe des mots que James n'entend plus, il feule enfin, le dos hérissé à chaque accord plaqué par la voix douce de cette femme qui s'avère être en réalité sa plus farouche ennemie. Le monstre cherche à présent à l'attaquer par tous les moyens, enfonce ses griffes dans l'âme de sa marionnette quand la chanson devient stridente, que les fautes hurlent la vérité à laquelle il échappe soigneusement depuis trop longtemps. Non. Non... Non il ne l'a pas détruite avant, pas ainsi, pas comme elle le sous-entend. La panique brise un instant l'harmonie, la bête s'engouffre dans cette brèche offerte, le visage de James se durcit, sa voix tremble, entre le désarroi et l'effroi : _ Tu n'en sais rien, tu ne sais pas ce dont j'ai besoin. Je ne peux pas... Je ne peux pas freiner cet élan-là, je ne sais pas offrir autre chose que cet amour, je ne crois pas. Je ne voulais pas la soumettre, je voulais qu'elle fusionne avec moi, comme je cherchais à fusionner avec elle, c'est quoi aimer si ce n'est pas... Je... ne sais pas, je ne sais pas... La musique est plus forte, elle adoucit sa terreur sans qu'il n'y puisse rien faire, réagence les faux-semblants pour lui montrer les vérités qu'il ne veut pas regarder, et il se tait. Il se tait, regarde un le sol et comprend qu'il n'a sans doute jamais aimé. Jamais aimé comme ces autres qui semblent batailler avec ces sourires et un bonheur trop encombrant. Jamais appartenu à personne d'ailleurs, en ayant trop souhaité qu'on lui appartienne d'abord. Jamais laissé quelqu'un véritablement l'envahir pour qu'il goûte à la liberté d'être à deux. La solitude sonne un silence affreux sur le second couplet qui se clôt sur trois notes coupables. Égoïsme. Servitude. Et déni. La dernière est rejetée par James, et il s'impose de reconnaître ce que Isolde sait lui offrir, son souffle se tarit sur un presque mutique : "Je ne sais pas." Je ne sais pas aimer. Pas encore... Peut-être jamais. Il la regarde de nouveau, ne cherche plus à fuir cette mélodie qui l'assassine lentement, bien au contraire, il tend sa chair à la lame des notes à présent. Elle a raison... Il a perdu Rebecca bien avant le drame, bien avant. Il ne sait exactement quand, il ne sait plus. Le monstre recule, recule jusqu'à toucher le mur de son ancienne prison, la défaite est acide, déforme l'âme une fois encore mais elle tient bon, les harmonies l'accompagnent toujours, les prunelles de James sont rivées à celles d'Isolde et le couplet final jette des aigus glacés d'une douleur acérée aussitôt silencée par tous les espoirs qu'il chante. La bête hait le mot auquel l'homme qui lui échappe de plus en plus s'accroche. Dompter. Non. Tu n'as fait que cela pendant ces dix dernières années et qu'est-ce que ça a donné hein ? Qu'est-ce que ça a donné ? Si ce n'est une mort alanguie dans une inutile éternité. La musique vient couvrir l'aigreur, rappelle par sa nature tous les rêves qui gisent encore dans l'âme créatrice de son porteur, cette âme qui sait justement créer malgré la monstruosité... Peut-être même parfois grâce à elle. La ritournelle qui clôture cette symphonie qui chamarre de nouveau son univers perturbé embrasse chaque blessure pour les recouvrir d'une réminiscence qu'il avait choisi de mettre de côté. L'a-t-elle aimé ? Oui c'est vrai... Oui il se souvient, il se souvient enfin. Des débuts doucereux de l'approche de deux êtres différents, rejetés, qui se trouvent dans la marginalité, les rires de se comprendre, la certitude de se savoir, la construction subtile de l'intimité. Cette demeure devenue un autre foyer, l'étincelle dans ses yeux noirs lorsqu'elle l'apercevait, accoudé à la table de la cuisine, en train de rêvasser, les avenirs imaginés. Tout lui revient en bloc et les quelques éclats arrachés au bonheur, complètement oublié, lui serrent la gorge à en pleurer. Mais il ne pleure plus, la musique se tait sans disparaître pour autant, Isolde en a terminé...
Ses mains quittent son visage et il la cherche, aveuglé à son tour, par les bruits, par les saveurs, par les sensations retrouvées. Il ne sait plus où regarder alors il se contente de se reposer à la contempler, sans mot dire encore. Il se captive à ses moindres mouvements, tend la main avec automatisme pour saisir l’offrande mortelle, complétant la pensée qui semble les relier. La morsure du contact de la seringue entre ses doigts le réveille violemment. La bête profite du silence retrouvé pour gémir sans aucune superbe, susurrer la facilité quand elle sait pourtant ne plus pouvoir s'imposer. Pire encore, elle se tapit méchamment dans les ombres et sent les fers de nouveau l'entraver. Les doigts de James tremblent à concevoir une seconde infâme la brûlure de l'héroïne, les froideurs de la délivrance couarde, le manque se manifeste dans ses veines qui le démangent déjà. Ses doigts tremblent mais se referment sur l'objet qui se voit aller se fracasser à l'autre bout de la pièce lorsqu'il le balance. Sa tête est de nouveau infléchie dans cette sorte d'arrogance qui le caractérise mais c'est une arrogance qu'il retourne contre lui, cette satisfaction arrachée au monstre qui se perd dans les ténèbres soudain refermées. La respiration se mâtine en soupir, c'est terminé... Ou tout du moins, cela commence tout au contraire, même s'il ne sait guère exactement où aller, si ce n'est auprès de celle qui vient de combattre à ses côtés. Le silence les étreint, la main de James vient chercher celle d'Isolde, sans l'enfermer tout à fait, caresse les contours, dessine l'éternité d'une dette qui ne pèse pas encore sur son coeur. Son murmure rend son identité à l'homme qui s'est donné à elle dans toute l'horreur de cette soirée, la rage s'est éteinte dans un coin, le temps de soigner sa cuisante défaite : _ Je sais que je ne mérite pas ce que tu viens de me donner... Mais je ferai en sorte de ne jamais le perdre. Je ne sais pas qui tu es, je ne sais plus trop qui je suis, mais pour la première fois, je crois que j'ai envie de savoir ce qui pourrait advenir. Il ne fait qu'effleurer sa peau, un geste qu'il réapprend aussitôt qu'elle est là, avant de s'écarter pour cesser de l'envahir, de la cloisonner, même s'il ressent un froid abyssal à y consentir. Qu'importe, il préfère qu'elle n'ait plus rien à subir qui ne soit demandé. La maîtrise revient peu à peu dans son corps, même si l'appel du manque est dorénavant impérieux, il sait qu'il devra le combattre des jours, des semaines voire des mois. Il s'adosse au mur, à côté d'elle, proche mais dans une sorte de distance respectueuse, comme s'il ne savait plus trop comment agir en sa présence. Il souffle, un mot qui ne franchit presque jamais ses lèvres : _ Merci... d'être venue jusqu'à moi.
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(✰) message posté Mar 20 Déc 2016 - 17:26 par Invité
« Still she gives you everything you need… Is it enough ? » james & isolde
Maintenir un semblant de contrôle sur ce qui lui reste de raison lui paraît chaque instant plus difficile. Sa voix ne tremble pas, pas un seul instant, mais quelque chose sous sa chair meurtrie vacille. Quelque chose qu’elle n’apprivoise pas encore, quelque chose de malin et d’indolore pour l’instant, qui se tapie dans un coin avec un sourire vicieux, attends son heure, se trouve un emplacement de choix où il peut se lover sans être vu ni entendu par son hôte. Son épiderme tressaille de sensations étranges, comme s’il appréciait le contact liquoreux des ombres, qu’il y trouvait une comparse contre laquelle se modeler. S’en était presque sensuel, de se dire que les revers tortueux la révélaient sous un autre jour, nourrissait une attirance morbide qu’elle n’avait jamais ressenti auparavant avec une telle intensité. Le goût âpre entre ses lèvres, légèrement salé, demeurait toujours. Sa langue y goûtait discrètement dans les silences assassins de la pièce, s’apercevait qu’elle en aimait la texture et en percevait les notes acides avec une infinie précision. Il lui semblait naviguer en eaux troubles, se faire le serviteur d’une âme qui ne lui appartiendrait jamais, mais que pour autant elle désirait voir ployer sous son emprise. Jamais elle n’avait eu cette envie là auparavant. Jamais elle n’avait pris le parti de s’enliser dans les méandres torturés d’une âme pour en goûter la saveur, pour essayer, si ce n’est d’en apaiser les troubles, au moins d’en maîtriser les contours. Il y avait quelque chose de malsain dans ce désir d’appartenance là. Il y avait sous lui, une peur qui surpassait toutes les autres, nourrie par la mort, la perte, la souffrance d’avoir vu s’en aller ceux qui avaient trop d’importance pour être oubliés entièrement. Pendant quelques instants, alors que ses pouces traçaient un sillage sur les joues de James, le convoquaient à son regard, un souvenir d’une violence absolue lui revint au visage comme une gifle glacée. L’ironie même de son existence devenait une blessure terrible qui la cisaillait de part en part, dont elle n’avait jamais eu une conscience si aiguë qu’en cet instant précis là. La texture de sa peau s’était transfigurée une fraction de seconde sous ses doigts, illusion du tourment qui fait naître des êtres perdus en filigrane de ceux qui demeurent encore. La rugosité masculine caractéristique s’était polie jusqu’à devenir d’une douceur infinie, aussi veloutée qu’une perle. Et son cœur dans sa poitrine palpitait, il palpitait encore, comme un petit oisillon qui veut prendre son envol sur le bord du nid, qui y demeure, qui sait qu’il est trop tôt pour s’élancer sans filet, et prendre le risque de se fracasser contre le sol. Isolde pouvait presque sentir de nouveau la chaleur de sa chair brûlante contre la sienne. Cette peau nacrée, translucide, si fragile sous ses doigts impuissants à retenir la vie qui s’étiolait entre ses mains. Son souffle s’était arrêté contre ses lèvres entre-ouvertes, n’en avait jamais franchi le seuil, dans l’instant qui se suspendait entre eux, dans l’attente de la suite, de l’épilogue enfin.
A quel moment avait-elle su que jamais elle ne laisserait partir un être si elle avait le pouvoir de le retenir ? Probablement lorsque le petit Jamie s’était éteint entre ses bras, chair de sa chair, sang de son sang, qu’elle avait vu mourir dans les entrelacs de ses bras en laissant une partie d’elle mourir avec lui. La berceuse avait été si belle, si paisible, si douce aussi. Il était parti comme l’on s’abandonne à un songe, et en une fraction de seconde, n’avait plus existé de lui que les souvenirs incertains et les avenirs brisés, rendu à la seule imagination puisque la réalité demeurerait introuvable en ce qui le concernait. Pourquoi son souvenir lui revenait maintenant, dans un instant si trouble ? Etait-ce parce qu’ironiquement ils portaient le même prénom que son esprit l’avait convoqué lui plutôt qu’un autre ? Etait-ce pour cela qu’elle se raccrochait à James avec une telle force, quitte à perdre pieds et s’éventrer sur ses ondes morbides ? La perspective de le voir s’étioler contre sa peau, de s’abandonner à l’enveloppe glacée de la mort lui procurait une sensation bien connue qu’elle aurait préféré oublier, et ne jamais ressentir à nouveau. Alors elle avait décidé de lui prodiguer une berceuse à son tour. Mais une berceuse à la mélodie languide, amère, acide, impérieuse, douce et incisive à la fois. Le flot de ses couplets avisés se déferlait sur lui en paroles dont elle oubliait parfois les engrenages, espérant au fond d’elle que cette berceuse-là ne mourrait pas entre ses bras, qu’il ne lui ferait pas cet affront-là, encore, à son tour. Elle ne le permettrait pas, pas cette fois-ci, alors qu’elle avait le pouvoir de l’empêcher de se perdre. Et sous la fragilité de ses mains glacées, Isolde avait l’impression qu’elle caressait le monstre, en détourait les aspérités pour se les approprier toutes entières, pour que l’homme se découvre enfin au creux de sa paume. Le désarroi d’abord, transparaissant dans les tremblements incertains de sa voix furent les premiers signes de la reddition. Mais elle ne s’arrêta pas là, non, il lui fallait aller plus loin encore. Le défier, jusqu’au bout, lui mettre le nez dans ses fautes pour leur rendre leur matérialité. Le forcer à les regarder telles qu’elles sont, nues, dénaturées, désincarnées aussi. Il avait raison, elle ignorait ce dont il avait besoin. Mais en revanche elle savait ce qu’il devait abandonner, ce qu’il devait accepter aussi pour entrevoir la perspective d’un avenir. Elle ne prétendait pas savoir ce qu’il lui fallait, mais elle connaissait certaines clefs qui lui permettraient d’entre-ouvrir des portes jusqu’alors closes, et de faire le choix de s’y glisser, ou au contraire, de demeurer en arrière. « Bien sûr que tu le sais … » fut la seule phrase qu’elle put lui murmurer en guise de réponse, à ce « Je ne sais pas » qui s’imprimait entre eux comme un leitmotiv. Et de cela, elle était convaincue. Bien sûr qu’il savait offrir autre chose que cet élan impérieux et destructeur. Jamais il n’aurait été doté d’une telle propension à créer si cela n’avait pas été le cas. Quelqu’un qui veut seulement détruire ne s’acharne pas à frôler, voire embrasser la perfection dans ce qu’il compose. Il n’a pas cette sensibilité-là. Il ne laisse pas non plus son âme de scléroser comme la sienne, il ne s’en soucie guère en réalité, vu qu’il n’en a cure. Et d’une certaine façon, elle était persuadée que Rebecca, contre toute attente, il l’avait aimé avec sincérité. Avec maladresse certes, une maladresse qui s’était accentuée à cause des remous destructeurs de son caractère. Si elle avait su lui tenir tête et lui faire face, sans doute se seraient-ils aimés d’une façon inconditionnelle, à construire et déconstruire ensemble sans chercher à se monter l’un contre l’autre pour s’agonir, et se prouver qu’ils s’appartenaient encore. Ils avaient dû s’aimer, oui, forcément. Elle le voyait à présent. Et si ce n’était pas un amour dont elle concevait vraiment les tournures, dont elle acceptait les facettes, c’était un amour malgré tout. Un amour qui avait cheminé jusqu’à être entièrement consumé par ses hôtes. L’amour avait tant de visages qu’elle le soupçonnait de prendre parfois les atours de la haine. Ce qu’elle retenait de tout cela, c’est qu’ils s’étaient aimé, oui, mais peut-être pas d’un amour qui convenait à leurs natures respectives. Raison pour laquelle il s’était éteint, le laissant dans cette incertitude qui la désarmait d’une certaine façon, car elle ne trouvait pas de réponse qui puisse le rassurer et lui peindre des perspectives moins amères. Mais Isolde avait la certitude qu’il se trompait, qu’il n’était pas si ignorant que cela au fond. Elle le savait capable, parfois, d’une délicatesse rare, d’une sensibilité à fleur de peau qui finirait par lui donner les clefs qu’il cherchait.
Quand elle se recule enfin sur cet ultime défi qu’elle n’espère pas vain, son corps se tend à se rompre de cette attente qui devient torture. Va-t-il s’en emparer pour se sceller à la morsure de l’aiguille, résister à son appel pour ne pas ployer encore sous son joug ? Elle l’ignore. Et cette ignorance la ronge dans ces secondes qui défilent alors avec une lenteur d’agonie. Quand il s’en empare enfin, sa respiration se suspend, reste bloquée au fond de sa gorge. Et lorsqu’elle entend le bruissement, puis le fracas monstrueux de l’aiguille contre le mur, elle se détend enfin. Il lui semble alors avoir évité le pire. Mais cette entreprise lui a coûté bien trop, elle le sait déjà sans pour autant en goûter les réminiscences. Il lui semble que son corps, avec le soulagement de savoir qu’il a repoussé le monstre un instant, se vide de sa substance. Son énergie s’égare, l’abandonne. Ses épaules s’affaissent, les traits de son visage tendu aussi, et son dos se ploie légèrement pour rencontrer la solidité du mur. Isolde y trouve un instant un appui réconfortant, quand son esprit bourdonne un peu, l’entend à peine. C’est quand sa main se glisse autour des contours de la sienne que sa conscience la rappelle, s’anime de nouveau. L’atmosphère de cette maison l’oppresse plus encore, maintenant qu’elle sait les envies mortifères maintenues en respect, oubliées, au moins pour cette nuit. Quand sa main se recule, murée dans le silence qu’elle est depuis plusieurs minutes, Isolde cherche naturellement à en retrouver le contact, glisse ses doigts autour d’elle, les laisse s’y imprimer avec plus de fermeté. Son remerciement la cueille alors qu’elle s’enlise un instant dans une léthargie étrange, à se demander ce qu’elle doit faire à présent. Elle aurait voulu lui dire qu’il n’avait pas besoin de la remercier. Que si elle était venue pour lui, s’était pour elle, aussi, qu’elle avait agi. Dans un élan égoïste. La peur de la souffrance encore, que le perdre aurait fait naître en elle. Mais elle ne dit rien, se contente de resserrer sa prise autour de sa main. La supplique franchit enfin la barrière de ses lèvres. Elle voulait tant fendre le silence, qu’elle n’y tient plus à présent : « Maintenant … Partons d’ici, tu veux bien ? Allons-nous-en … s’il te plaît. » Elle ne cherchait pas à le forcer, mais elle avait l’impression que chaque minute passée dans cet endroit maudit, dans cet écrin de la mort, ne faisait que donner de nouvelles chances aux menaces qui attendaient tapies, dans chaque recoin des pièces nimbées de ses souvenirs. Elle le tirait presque à présent, à vouloir à tout prix emprunter cette sortie, inspirer l’air glacé du dehors enfin, pour ne plus sentir les élans putrides de la mort à l’intérieur de cette maison. « Tu … Tu peux venir chez moi ce soir si tu veux. Je n’ai pas envie … De te laisser tout seul. » Une crainte légitime, qu’il peut sans doutes comprendre. S’il refusait elle lui proposerait sans doute d’aller chez Gregory. Mais elle ne prendrait pas le risque de le ramener à une solitude fragile. Non, l’équilibre était trop friable, trop incertain.
(✰) message posté Mar 20 Déc 2016 - 21:26 par James M. Wilde
« Sigh, static moans A storm growing strong And it's coming my way Still she gives you Everything you need Is it enough ? You're running out of time As it grows in your eye You'll feel Broken inside, you'll feel »
Isolde & James
La saveur des promesses caresse sa langue et vient éteindre les amertumes qui s’y étaient déposées. Que se passe-t-il à présent ? Que reste-t-il pour les morts échappés à la destinée ? Que faut-il faire pour commencer a vivre enfin ? Il demeure adossé dans une solitude percée par ses souffles, il tourne la tête pour la regarder. Il détoure ses épaules affaissées, la mine basse et la fatigue qui tire les traits, il compte les indices de cette guerre menée à deux, conçoit d’autres remords qu’il range soigneusement dans un coin. Lorsqu’elle revient chercher son contact il le lui offre avec d’autres silences en gage de sa reconnaissance. La phrase affirmée revient le tirailler... Comment peut-elle être certaine qu’il sait, alors que les subtilités lui échappent tout à fait ? Alors qu’il ne fait que détruire tout ce qu’il touche, voit s’étioler la beauté au rythme de ses appétits déchaînés ? En sera-t-il de même avec elle ? C’est la suite logique de ses pérégrinations alanguies d’une douleur assagie, une suite qu’il ne peut pas braver dès à présent alors que la certitude le gagne qu’il y en aura pourtant une. Il ne laissera rien se terminer. Pas ici. Jamais. Le besoin isolé au milieu de ses aveux est aussi impalpable qu’impérial. Celui de la voir, la revoir, partager ces instants qui s’ébauchèrent avant aujourd’hui. Comment laisser en plan une composition inachevée ? Le décor l’oppresse, lui rappelle les fautes qu’il a toutefois avouées, mais elles n’en sont malheureusement pas moins lourdes et sa posture est également abandonnée au mur alors que seule sa main répond de cette survie qui bat encore dans ses veines. Elle lance l’idée qu’il commençait à concevoir et sans mot dire, il la regarde longuement. La proposition de partir ne le dérange guère mais celle de la suivre jusqu’à chez elle le laisse presque interdit dans le couloir de l'entrée, qui porte les marques de ses déchaînements. À vrai dire il n’a guère l’envie de demeurer seul aux prises avec d’autres pensées qui ne tarderont pas à se manifester mais continuer de teinter son existence de sa présence asservie par les tourments tout juste passés déclenche une envie irrépressible de dire oui et d’autres peurs qui dansent dans ses prunelles.
Sa main hésite un instant, dans une légère convulsion comme pour sommer une confirmation de sa part mais sa bouche se contente de glisser un murmure d’assentiment posé entre eux, plus léger que toutes les confessions abandonnées dans cette maison de cauchemar : _ Je veux bien. Le dernier mot est presque précipité, comme si l’urgence le cueillait à son tour et il serre sa main, lui emboite le pas et se laisse entraîner. Il n’a pas un regard pour le cadre qu’ils quittent, il laisse ses souvenirs retrouvés lui tracer d’autres décors qui furent moins sombres, s’efforce de peindre des temps où il n’était pas meurtrier. Il s’efforce surtout de ne plus trop songer, car la fatigue engourdit ses pensées et qu’il ne parvient plus qu’à suivre son sillage dans une obéissance qui n’est pas douloureuse à concéder. Sur le chemin, il a trouvé sa veste, celle dont il s’est défait dans un accès de colère insensé aux élans d’héroïne et il la laisse retomber sur l’une de ses épaules, une cape pour un roi déchu, percé à jour par un guide qui lui semble inconscient. La rue est rendue noire par la nuit profonde des heures trop avancées, il a perdu toutes les notions du temps passé à essayer de se tuer, et il est presque surpris de ne rien reconnaître aux lueurs angoissées des lampadaires paresseux. La rue a changé. Le quartier également. La vie s’est poursuivie sans relâche alors qu’il se penchait sur le front des cadavres de sa jeunesse, il frissonne comme si ce détail était une insulte de plus. Sa main se raffermit sur celle d’Isolde et il cesse de renâcler en arrière, abandonne pour l’instant le passé pour marcher à côté d’elle. Le décor glauque les recrache tandis qu’il ajoute en désignant sa moto sempiternellement mal garée : _ Je ne peux pas t’emmener, pas dans mon état. Un constat simple, dépeint par sa voix un peu cassée par l’épuisement et ses gestes qui ne parviennent plus à compléter le chemin de ses volontés, les excès toujours finissent par se payer. Alors il raffermit son emprise sur sa main et l’emmène plus loin, à un autre croisement qu’il ne reconnait pas non plus, et ils déambulent comme deux amants oubliés au bord de la route, qui cherchent à regagner le centre ville après avoir goûté les interdits des ombres. Un chauffeur de taxi finit par repérer leur marche ralentie qui ne mène nulle part si ce n’est au loin de Keats Grove et leur propose de les conduire... Les minutes s’étirent et sur le siège arrière, sa main toujours scellée à la sienne, James rétablit une constance sur ses traits affamés. Ses yeux ont soufflé la peur sur la mine du chauffeur qui a semblé presque regretter s’être arrêté et sans doute que la présence d’Isolde l’a quelque peu rassuré, bien qu’échevelée, suffisamment tout du moins pour consentir à la course. De son autre main, il ressuscite son téléphone pour taper un unique message à cette sorte d’ange gardien qui a outrepassé son rôle avec brio : « Je ne suis pas mort. Laisse-moi un ou deux jours. Pour revenir, j’entends. » Il sait que s’il se ramène avec cette gueule complètement cave, qui trahit les nombreuses injections sans besoin aucun d’examiner le creux rougi de ses bras, Gregory risque de le couver telle une mère mécontente, à le suivre comme une ombre, maugréant des imprécations pour le garder de tous ces maux qu’il semble rechercher. Très peu pour lui, à bien considérer. Il reçoit une réponse dans les quelques secondes suivantes, qui vibre cette précipitation inconsidérée même si le ton se veut détaché : « Zut. Moi qui croyais être débarrassé de toi. Je serai au Viper. » James souffle un : « Quel connard… » amusé, alors qu’il imagine le sourire trop contagieux sur les lèvres de Greg, avant de ranger l’outil qui oeuvra à ces retrouvailles égarées, dans la poche intérieure de sa veste. Les lumières redeviennent plus nombreuses, plus criantes également, aveuglant la nuit pour percer ses mystères, le centre londonien ne semble jamais complètement au repos. La nervosité de James s’insinue dans son pied, qui vient taper avec une régularité endiablée le tapis de sol du taxi, sans qu’il ne s’en rende même compte, la nervosité et le mal qui se dissimule encore, dans l’estomac trop vide et la gorge trop sèche. L’impuissance de ce corps qui s’abandonnera bientôt au manque assombrit son humeur qui n’était déjà pas enchanteresse et lorsque les yeux de l’homme croisent le reflet des siens dans le rétroviseur, alors qu’il lui tend quelques billets pour régler le service, ils se détournent aussitôt, comme une fois encore effrayés par ce qui sourde dans cet homme qu’il s’est forcé à trimballer. Ça lui donne presque envie de surjouer les élans du camé imprévisible, comme un sale môme que l’on viendrait déranger dans ses retraites ensommeillées. Il faut dire que l’intrusion brutale du bruissement de l’existence vient lui donner quelques nausées et inconforts, sa réclusion dans sa propre tête l’ayant presque déshabitué aux mouvements d’un monde qu’il fuyait. Alors il asticote ce pauvre homme, se penche un peu et demande, exposant à escient ses égarements : _ On est quel jour au juste ? Il aurait pu demander à Isolde, ou faire l’effort de revenir à son téléphone pour simplement y lire la date, mais le besoin de confronter la personne qui cherche tant à faire mine de ne pas être choquée est bien trop tentant, surtout dans cet état second. L’autre répond, sans pour autant parvenir à tourner son visage vers le sien : « Le… 24… Enfin non, il est tard. Ou tôt. Le 25 donc. » _ Bah voilà. Je vous ai pas bouffé. Allez… Bon vent. Il s’extrait de l’habitacle, considère les jours qu’il n’a absolument pas comptés, commence à faire l’inventaire des problèmes potentiels, en rencontre bien trop et les laisse tous tomber. Il y repensera d’ici au moins 24h, après que la pire des crises sera passée. Il a fait ce chemin suffisamment souvent pour le connaître par coeur à présent. Il glisse son pouce dans la paume d’Isolde, et sur le seuil de son appartement, il statue sourdement : _ Je ne resterai pas très longtemps. Je partirai au matin. Il n’épilogue guère sur les raisons plutôt flagrantes. Hors de question qu’il se torde de douleur en sa présence, elle en a déjà suffisamment vu comme cela, ou pire encore, que Leela puisse apercevoir les hideux paliers du manque qu’il sera forcé de dévaler d’ici quelques heures, lorsque son corps réclamera à grands cris stridents une dose qu’il ne s’administrera pas. Quoique le spectacle aurait sans doute de quoi la traumatiser et ainsi la détourner à jamais de l’idée d’y plonger un jour… Il oscille sur le seuil alors qu’elle le précède, réimprime sa présence dans cet écrin qu’il n’a pu oublier tout à fait. Les travaux entrepris suite aux dégâts fâcheux de la plomberie changent un peu les couleurs dont il se rappelle, et il fait quelques pas ténus, précis, silencieux, à s’approcher des meubles ou des objets dans l'entrée, puis la cuisine, comme un animal qui fait le tour d’un environnement étranger. Mais elle est là, et il ne se sent absolument pas menacé.
Il cherche encore à comprendre, à tenir entre ses doigts fatigués les raisons de l’harmonie étrange qui s’est établie dans l’horreur de l’échange. Pourquoi est-il là ? Pourquoi est-elle à ses côtés ? Que sont-ils au final… Des âmes qui ne savent pas mourir et qui préfèrent s’accompagner pour échapper à la solitude qui les broie ? Il se souvient de cette façon qu’elle a eu de caresser son visage, de la sensation qu’il en a retirée, celle d’être touché comme s’il avait été tout autre, un moment suspendu où les frontières de la chair s’abolissent pour laisser transpirer d’autres étreintes, que l’on réserve à ce qui sait toujours nous échapper. Il ne sait plus ce qui dans ce contact avide appartient à ses fantasmagories, et ce qu’il est parvenu à arracher aux siennes. Le mystère qu’elle représente est presque opaque, d’une opacité brute qui l’aimante à elle, comme lors de leur nuit idyllique, et il se dit que très bizarrement elle seule pouvait trouver la force et les mots de le ramener cette fois-ci. Il ne sait pas encore si c’est bien. Il se fout de savoir que ce soit mal. Il cherchera à en trouver les clefs, à recouvrer cette sorte d’épiphanie qui a su le frapper en lui rendant toutes les harmonies qui donnent d’autres sens à son univers si particulier. Il termine son tour d’horizon, ne pose aucune question avant de marcher doucement jusqu’à elle, son visage aussi cerné que ne l’est celui qu’il arbore : _ Est-ce que tu as quelque chose à boire ? Je veux dire… de l’eau, ou du jus de fruits ? Il a une sorte de moue amusée, qui fait compléter sa première question par une précision bienvenue, comme pour lui assurer qu’il arrête ses conneries au moins pour la soirée. Cette foutue maison hantée n’avait non seulement pas le chauffage, mais l’eau était également coupée, et il était déjà trop absent à lui-même pour avoir l’idée de s’enquérir de ce qui lui aurait permis de se désaltérer. Et la soif le taraude, tout comme ce calme apparent qui l’enserre comme un manteau trop grand. N’ayant encore retrouvé l’ensemble de ses facultés, il a complètement manqué, dans la pénombre, la silhouette de Judy endormie et affalée sur le divan. L’une de ses pensées finissent par filtrer l’information jusqu’à son cerveau embrumé : _ Mais y’avait pas quelqu’un sur ton canapé ?
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(✰) message posté Mer 21 Déc 2016 - 10:22 par Invité
« Still she gives you everything you need… Is it enough ? » james & isolde
Grader l’illusion du contrôle. C’est ce besoin-là qui se niche au creux de son ventre, qui la fait se raccrocher à la main du désespoir qui esquisse les atours incertains encore de la sienne. La volonté de quitter cette maison des enfers était née dès son arrivée en réalité. Le froid l’avait saisie dès qu’elle était entrée, l’odeur aussi l’avait marquée, celle d’une demeure calfeutrée, figée dans une temporalité qui n’appartient plus qu’à ceux qui l’ont un jour foulée. Isolde demeure incertaine, à se demander sans pouvoir en avoir la certitude si c’est une bonne idée de l’emmener chez elle. L’équilibre en lui est toujours si fragile, si précaire, la moindre incartade risquait de le faire sombrer de nouveau sans qu’elle ne puisse cette fois-ci le retenir. En même temps, c’était une sorte de havre qu’elle lui proposait. Un ilot reposant, où elle savait pouvoir lui offrir une certaine intimité sans qu’il soit dérangé constamment. Alors bien sûr, elle ne pouvait le laisser seul complètement, le quotidien de sa demeure étant ponctué des mouvements vivaces de Leela et d’elle-même. Mais cela serait toujours plus calme que les aléas du Viper, au moins pour cette nuit. Et puis, égoïstement, elle admettait avoir peur de le laisser partir ce soir. Comme si y consentir, c’était abandonner brusquement tous les efforts fournis jusqu’alors, tous les démons maintenus en respect, et prendre le risque de le perdre encore. Et ça, elle ne pouvait l’accepter. La perspective était trop douloureuse pour daigner être considérée. Aussi lorsqu’il lui murmura son assentiment, visiblement à peine convaincu lui-même, sa main effectua une pression conciliatrice contre la sienne. Elle le remercia en silence, de ne pas chercher à remuer le couteau dans la plaie en exigeant une solitude farouche et amère. Elle se sentait si vidée de toute substance qu’elle n’était pas sure qu’elle aurait eu le courage de le défier encore pour le convaincre du bienfondé de sa proposition. « Je sais. Ce n’est pas grave. Marchons. » Son constat avait obtenu une réponse concise presque tout de suite. Il serait bien sûr inconscient de monter sur un deux roues dans son état, et elle ne pouvait guère prendre sa place en tant que conductrice. La marche, c’était un bon compromis.
Dehors, le froid glacé de l’hiver eut contre toute attente un effet salvateur. L’air fouettait son visage, ranimait les paupières léthargiques et les joues endolories par la tension anxieuse. Sa main contre la sienne se détendit peu à peu au gré de leur pérégrination urbaine, chaque pas marquant une nouvelle étape à franchir pour espérer quérir un calme plus plein. Isolde demeurait silencieuse, comme incapable de dire encore un mot après tous ceux qui avaient déjà franchi la barrière de ses lèvres. Elle ne cherchait même pas à combler les vides du silence, les trouvant en réalité fortuits car ils faisaient taire toutes les agitations de son esprit. La tension dans son ventre se dénouait peu à peu, les engrenages devenant moins serrées, suffisamment en tout cas pour la laisser respirer correctement. Mais les émotions vives lui revenaient comme des vagues qui se brisent contre le rivage ? Ses lèvres tremblaient légèrement, stigmates d’un froid qui n’existait pas. C’était son cœur qui tremblait en réalité, d’avoir été ainsi malmené jusqu’à lui faire frôler des limites qu’elle n’avait jamais osé atteindre jusqu’à présent. Elle n’aimait pas ce qu’elle avait vu. Cet élan presque destructeur, répondant en miroir de celui de James … Il ne pouvait venir d’elle. Il ne pouvait faire partie de son essence, non, elle ne l’acceptait pas. Et pourtant elle avait encore la saveur de la haine en bouche. Les effluves ne souhaitaient pas partir, même la lutte terminée. Quand enfin un taxi accepta de transporter leurs deux âmes errantes, Isolde s’y engouffra, sans rien dire, encore. Le silence s’imposait contre sa silhouette comme une seconde nature, propice à l’effacement illusoire de son esprit qui avait besoin de s’éloigner de celui de James le temps de se refermer. Inconsciemment, sa main vacante traça des sillages le long de la vitre close du véhicule, sa tête oscillant sur le côté pour observer sans voir les mouvements du dehors. Elle ne percevait rien. Le mystère était opaque, seulement ponctué parfois de légères lueurs vacillantes qui étaient bien trop sombres pour se modeler en véritables couleurs. Elle ne l’entendit même pas pianoter sur son téléphone, songeait qu’elle-même devrait prévenir Gregory pour le rassurer. Mais à son murmure, elle comprit que c’était inutile, il s’en était chargé lui-même. « Gregory … Il tient beaucoup à toi tu sais … C’est lui … Qui m’a prévenue. » La confession se modela en murmure indistinct, en écho à sa remarque amusée. Elle n’était même pas sure qu’il ait pu l’entendre, se demandait encore comment Gregory avait fait pour le suivre toutes ces années. Le suivre, le soutenir, essuyer ses revers. Cet homme devait se sentir parfois épuisé. Elle se demandait même comment il avait fait pour tenir jusqu’aujourd’hui sans déraisonner. Peut-être était-ce cela l’amour qui régissait la vie de James. Un amour fraternel sans égal, peu coutumier. Un attachement qui allait au-delà des simples liens amicaux et qui s’ancrait dans une éternité aux milles tourments partagés ensemble. S’il n’avait pas réussi à construire auprès d’une femme, peut-être était-il parvenu à le faire auprès de cet ami de toujours, de ce frère qui n’a pas le même sang, mais qui faisait partie de sa chair malgré tout. C’était un bon compromis en réalité d’après elle. Peut-être était-ce lui qui maintenait l’équilibre précaire depuis toujours. Sans doute. Voilà encore un mystère qu’il lui faudrait éclaircir, ou oublier. Happée par ses réflexions, Isolde ne suivit presque pas l’échange qui s’établit furtivement entre James et leur chauffeur. Ses paupières s’animèrent seulement quand le véhicule s’arrêta, et que la porte s’ouvrit sur des territoires moins hostiles. Sur le seuil, sa remarque la laissa silencieuse encore, prenant le temps de s’insinuer dans son esprit. La réponse sembla pourtant évidente, et glissa entre eux sans lui laisser le temps de s’impatienter : « Ne t’en fais pas pour ça. Tu partiras … Quand il le faudra. »
En même temps elle venait de songer à toutes les implications, tous les tourments qu’il lui faudrait affronter encore après s’être adonné à l’excès de l’héroïne. Elle avait déjà vu une fois les crises qui pouvaient naître chez les consommateurs pendant le sevrage. C’était d’une violence absolue. Plus encore que quand on essaye de vous sevrer de la morphine. Le laisser seul face à ce tourment-là lui paraissait assez inconcevable. Mais tenter de le convaincre dès à présent ne servirait à rien. De toute façon, il ne serait peut-être même pas en mesure de partir au matin. Car avec tout ce qu’il avait fait subir à son corps depuis plusieurs jours, et le rythme qu’il avait dû imposer à la morsure des aiguilles sur son épiderme, les marques du manque ne tarderaient pas à paraître. Et ça ne se traduirait surement pas en heures, mais en minutes. Étrangement Isolde n’avait pas du tout peur de ces démons-là. Les tourments et souffrances du corps la touchaient moins que ceux de l’esprit qui se tort de tourments invisibles. Les tourments du corps pouvaient toujours être contrôlés, si impressionnantes soient les convulsions ou les marques du rejet. Ceux de l’esprit en revanche étaient beaucoup plus malins, beaucoup plus violent. Rien ne pourrait égaler les sentiments qui l’avaient envahie dans cette maison. « Oui il y en a dans le frigo. Il doit y avoir des restes aussi, si jamais tu as faim. » glissa-t-elle calmement, libérant ses pieds de l’emprise de ses chaussures et glissant son sac sur la console de l’entrée. Avec tout cela, elle en avait oublié Judy elle-aussi, et il fallut qu’il le lui fasse remarquer pour qu’un sursaut la traverse enfin, à poser son index sur ses lèvres pour lui intimer de se taire pour ne pas la réveiller. Mais il était trop tard. Déjà sa silhouette ronde s’animait sur le canapé, jusqu’à ce que sa petite tête endormie n’apparaisse à l’orée du dossier. « M’dame Isolde, vous êtes rentrée ? » sa voix, éraillée par le sommeil fut interrompue par un bâillement indélicat, et Isolde l’avait rejoint pour lui murmurer calmement : « Pardon de vous avoir réveillée. Oui … Je suis là. » - « Tout va bien ? » - « … Oui ça va aller. Vous voulez dormir là ce soir ? Je vous laisse ma chambre si vous voulez … » Judy frotta ses yeux, jeta un regard furtif dans la pièce, jusqu’à apercevoir la silhouette de James dans la cuisine. « Ah, bonsoir m’sieur James ! Non, vous en faites pas, j’vais me rentrer. » - « Comme vous voulez … Prenez votre journée demain d’accord ? On a tous besoin de se reposer, et puis … c’est pour vous remercier d’avoir veillé sur Leela cette nuit, et pour m’excuser encore de vous avoir dérangée … » - « Merci m’dame. Elle s’est pas réveillée la p’tite d’ailleurs. » - « Tant mieux. » Judy s’était levée maladroitement, époussetant ses vêtements en tirant sur sa jupe damassée. Sa silhouette, qui semblait davantage se mouvoir par mécanisme qu’autre chose, avait fini par disparaître dans l’embrasure de la porte, jetant simplement un « Bonne nuit ! » à la dérobée.
« Tu peux prendre la chambre vacante si tu veux. Viens … Je te montre. » Ses doigts furetèrent sur un meuble, retrouvèrent leur chemin le long du couloir adjacent à l’entrée. Il y avait quatre portes. Une sur la droite, donnait sur la chambre de Leela, et en face, sur une première salle de bain. En s’avançant davantage, une autre porte sur la droite, à gauche de celle de Leela, donnait sur sa chambre, et en face, légèrement excentrée, une dernière porte, donnant sur une chambre d’appoint qu’elle avait l’ habitude de louer à l’occasion pour avoir un petit revenu supplémentaire. Mais par chance, il n’y avait personne en ce moment. « Si tu as besoin, la chambre a sa propre salle de bain, là-bas. » C’était l’avantage de cette chambre-là. Elle était un peu excentrée des autres, plus équipée aussi. Cela permettait aux hôtes d’avoir une certaine intimité, et de ne pas être obligés de se lier totalement au quotidien des filles. « Je vais te chercher des serviettes, et … des draps. » Pourquoi tout à coup se complaire dans de telles banalités, presque par mécanisme ? La vérité c’est qu’elle était épuisée. Épuisée, et incertaine à l’idée de ce qui allait se passer ensuite. Elle n’avait pas osé lui proposer de dormir avec elle par égard, estimant qu’il n’avait sans doutes pas envie qu’elle entrave sa solitude davantage. Elle était rassurée de le savoir présent, c’était suffisant, et était persuadée qu’il ne lui ferait pas l’affront de se faire du mal sous son toit. Elle ne souhaitait pas s’imposer plus que de mesure. S’il souhaitait la voir, au pire, elle n’était pas loin. Disparaissant un instant, elle reparut quelques minutes plus tard, déposant une pile de draps pliés, et de serviettes qu’elle déposa précautionneusement sur le lit. « Voilà. Si … S’il te faut quelque chose, ma chambre, c’est la porte juste en face un peu sur la droite. Tu peux rester là tant … Tant que tu as besoin. On ne viendra pas te déranger si tu as envie d’être tranquille un petit moment. »
(✰) message posté Mer 21 Déc 2016 - 16:33 par James M. Wilde
« Sigh, static moans A storm growing strong And it's coming my way Still she gives you Everything you need Is it enough ? You're running out of time As it grows in your eye You'll feel Broken inside, you'll feel »
Isolde & James
Le calme apparent est un déguisement trompeur, la nervosité qui s’est installée dans le taxi devient prégnante, une nervosité qu’il sait dictée par ses humeurs profondément cycliques mais aussi guidée par la morsure synthétique qui tournoie dans ses veines. Il n’aurait sans doute pas dû dire oui… Pas dû accepter alors que le décor se déforme déjà et qu’il lui faut prendre sur lui pour paraître comprendre les mots qu’on lui jette alors qu’il les entend comme s’il était éloigné d’eux et de leur sens. Le froid, le vent, les silences qui n’étaient pas pesants, ont su lui faire oublier quelques instants l’état catastrophique qui croupit sous ses muscles de nouveau tendus, il s’est laissé porter jusqu’ici avec l’instinct d’y trouver un refuge salutaire, tout le contraire de cette maison brisée qu’ils ont quitté à grandes enjambées. Il le trouve certes, l’atmosphère tend des douceurs fantasmées, celles d’un foyer qui doit être habité de certains rires et de tout le panel de la normalité, des cris d’enfants, des jeux, des tracas quotidiens et des sourires rendus au temps qui passe, ce vieil ami trop encombrant. L’image d’Epinal le contrarie cependant, son esprit vagabonde dans l’insensé, il s’agit du quotidien d’Isolde et il peine à présent à l’imaginer en entier, à le caricaturer à coup de clichés, comme il le fit au tout début, pour mieux s’en protéger. Isolde est une bête étrange déguisée en femme handicapée, le vacillement de sa démarche dans tous les territoires qu’elle doit appréhender n’ont d’égal que sa voracité qui sourde lorsqu’elle se confronte à l’inédit, une voracité qu’il n’est pas sûr qu’elle assume entièrement, alors que la distance revient entre eux, salutaire mais aussi dérangeante. Pourtant elle l’invite, mieux que cela, elle veut le voir rester, ou tout du moins ne s’offusquerait pas de sa présence maladive et décharnée. Cela le trouble plus qu’il ne peut l’avouer, particulièrement depuis, avouons-le, qu’elle s’est décidée de dire que Gregory l’avait appelée. Il a fait mine de ne pas entendre, ou de ne rien en penser, il a continué à regarder par la fenêtre l’extérieur qui lui paraît dorénavant avili de ne pas l’avoir foulé depuis des jours. Se disputent des sentiments éreintés sous sa cage thoracique faussement tranquille, un conflit qui se fait discret mais qui n’en est pas moins présent. Il ne sait pas s’il est contrarié, et encore moins par qui, dans l’histoire, il se croit désabusé. L’intervention de Greg est-elle malvenue alors qu’elle a su tout au contraire résoudre ce qui semblait impossible à changer, briser la chute, il a toujours excellé dans cette gestion constante de son caractère. Le fait qu’Isolde l’ait appelé après que Gregory se soit manifesté est-il vraiment étonnant, sachant sa propension à disparaître et à concevoir la constance comme une cage, croyait-il réellement qu’elle avait fini par l’appeler par une sorte d’instinct viscéral, celui qui naît quand la place occupée est soudainement trop vide et que l’on se sent délaissé ? Aurait-il voulu que cela soit, plutôt que l’énième plan de sauvetage bien rôdé d’un ami qui en effet tient à lui d’une façon inconsidérée, depuis qu’ils se sont rencontrés ? James ne sait pas et n’a pas suffisamment de patience ou de santé d’esprit pour véritablement trancher, la déformation due aux opiacés débute avec une lenteur calculée, et les questions le harcèlent sans discontinuer. Le silence devient son principal ennemi et pourtant il ne parvient plus à formuler des phrases qui soient dignes de s’élancer dans l’espace qui les sépare encore. Ça fait 3h. 3h depuis le dernier shoot. 3h. 3h. 3h. Sa main s’agite sur le côté de sa cuisse, réflexe qui l’agace et qu’il cherche à dissimuler. Sans un mot, il navigue jusqu’au frigo où il se rue presque sur la première bouteille inoffensive qui caresse le bout de ses doigts, jus de pêche, il déteste ça mais s’en sert un verre avec une lenteur arrachée à des gestes qu’il se doit calculer pour pouvoir parvenir à ses fins. 3h. Arrête, putain… L’idée qui s’est glissée devient bientôt une obsession supplémentaire, qui frise d’une angoisse presque incapacitante. Il n’aurait pas dû venir jusqu’ici, il n’est plus certain de pouvoir partir. Alors qu’en de longues gorgées il étanche sa soif qui revient aussitôt, il zyeute la porte comme pour peser sa propre perplexité. Risquer de ternir le havre, rejeter l’invitation, réimprimer une farouche volonté ? Il pose son verre trop brusquement et déjà le monde autour d’eux se réveille en la personne de Judy. Au secours, un autre être humain, un être qui n’a rien à voir avec son décompte perturbé d’heures inutiles. Ses mâchoires grincent parce qu’il retient des remarques désobligeantes qu’il pourrait jeter sur la petite assistante histoire de se calmer quelques minutes, une méchanceté à laquelle il ne cède pas se contentant de demeurer hors du champ aveuglant d’une quelconque lampe, rendu aux ombres et à ses façons peu amènes. Il la salue d’un signe de tête, le seul qu’il est capable d’esquisser sans devoir convoquer une énergie qu’il n’a plus. 3h. Bordel. Pourquoi ses yeux sont-ils tombés sur une foutue pendule aussi ? Pourquoi son esprit torve s’est-il mis à ainsi soupeser les dernières échappées à coup d’aiguilles, avec une précision perverse, lui qui ne se rappelait même pas du jour du calendrier. Il sait pourquoi, il sait et il se sent véritablement mal à l’aise plus les mouvements de l’entourage trahissent la vie qui se tortille dans des parcelles oubliées de son corps, une vie qui grouille et qui fait mal. Il fait donc tapisserie, comme pour se faire complètement oublier, entend les mots, ne comprend strictement rien, essaye de ne pas apparaître déconnecté même s’il faudrait à Judy un esprit d’escargot pour ne pas le remarquer. D’un côté… connaissant un peu cette fille mal attifée…
Il croit qu’il a réussi à souffler un « Bonne nuit » complètement automatique et désincarné, mais en vérité il n’en est pas certain. Il regarde Isolde avec frayeur, se rappelant soudain des enjeux et sous-entendus d’une invitation qui ne tardera pas à l’empoisonner. S’il faut partir, c’est maintenant. Et l’envie de partir le suit tout au long du couloir qu’il emprunte, pas après pas, dans un silence enfiévré, la convoitise s’est faite maîtresse des peurs, découvrir les lieux et y demeurer, s’y planquer, pourquoi pas, elle a l’air d’y tenir. Alors son envie de se casser penche la tête, depuis l’entrée, le regarde partir, hausse ses épaules et disparaît, étouffée dans une anxiété qui habite sa peau qu’il frotte à intervalle régulier. Gregory serait tellement fier de toi… Et Isolde… Il cherche un qualificatif peu flatteur à son propre égard mais ne trouve rien qui n’égale déjà les horreurs qu’elle a dû vivre à ses côtés, peut-être que c’est pour cela qu’il opine, patiemment, comptant les portes, les recomptant encore, trouvant à ce couloir des airs interminables alors qu’il aurait pu le parcourir dix-huit fois en l’espace d’une minute. Il connaît les signes, les sensations, les tromperies aussi. 3h10. 3h12 peut-être. Ça suffit, par l’Enfer ! Il finit par croasser : _ D’accord. Oui. J’ai compris. Un peu pour tout en définitive. Les portes des chambres, la salle de bain, le linge de maison, toute cette balade qui le renvoie à un rôle complètement étranger, il ne sait même plus comment se tenir pour déguiser la tension dans tout son corps et il compte dorénavant les secondes, ces secondes qui lui permettraient de se dérober. La chambre. Chambre. Vite. Il ne peut pas rester à ses côtés, ce serait pervertir d’autres sensations, pires encore que les précédentes sans doute, car elle le voit… Elle le voit tant qu’elle ne pourrait plus le regarder autrement. Cette ultime coquetterie, après avoir hurlé être un meurtrier et un monstre, lui apparaît étrangement déplacée. Il est fichu, il est même carrément cramé là, il ne pourra pas sortir de cette pièce à l’aube comme il l’a si sottement imaginé. 3h15. 3h16 ? Il la regarde et quelque chose en lui se scinde : il veut la voir partir, immédiatement. Il veut la voir rester car il est au bord de la panique. Sa main se crispe sur la serviette éponge, alors qu’il se tient près du lit, aussi sombre que l’aménagement ici semble clair, à moins qu’il s’agisse d’une autre déformation de ses esprits qui caracolent. Il se contente de dire : _ Oui. Je vais me coucher. On verra après. Tu parles… Après quoi ? Quand tu ne seras plus capable de marcher ? La vive conscience de son état le gifle violemment, alors qu’il ne se rendait compte de rien aux prises avec le froid dans cette foutue baraque, le froid, les ombres, d’autres douleurs, mais là… Il est pitoyable. Il la regarde partir avant d’investir la salle de bain et de croiser enfin la majesté de sa déchéance dans le miroir et pour la première fois, pour la toute première fois, il est heureux qu’elle n’ait guère pu le voir avec la réalité de ses prunelles. Il se fait presque peur. La pâleur n’est plus laiteuse, elle est bleuie, quasi surnaturelle, il a l’air d’avoir été déterré par le caprice de quelque fossoyeur. Les muscles de son cou saillent quand ce ne sont pas les os, l’héroïne a tout dévoré, la douleur et les souvenirs ténébreux se sont chargés d’agrandir ses yeux qui s’écarquillent sur des abysses presque insondables. L’outremer est dérangeant, il n’y a qu’une vaste étendue glacée et qui brille du battement de son coeur. 3h20 ? Il retire ses vêtements, et cesse de contempler son reflet pour ne pas apercevoir les marques rouges qui criblent les veines bleutées. L’eau s’abat sur sa silhouette qui s’affaisse dans la cabine de douche, la pluie pour manteau. 3h25… Sans doute. Il se met à compter les gouttes rebondies qui dévalent les petits carreaux du revêtement, l’eau lave son corps mais pas l’intérieur. Son âme reste renfermée, les espoirs sont trop neufs pour véritablement perdurer, l’angoisse les dévore tour à tour, il arrête de penser. C’est entouré de la chaleur plutôt moelleuse de la serviette qu’il s’applique à faire le lit, avec la méticulosité tremblante de ceux qui ne le font jamais, et qui s’y appliquent en plus alors qu’ils sont camés jusqu’à l’os. Disons que… le lit en ressort à peu près terminé. Il s’y couche, il s’y pelotonne et s’y cache même, les mots d’Isolde à ses côtés, pour combattre le décompte mortifère. Tu peux rester là tant… Tant que tu as besoin. Il cherche dans la solitude de l’ébauche du sommeil un semblant de paix, et bizarrement, au son de la voix emprunté, il le trouve, et bascule. Il ne s’entend pas rêver… Les rêves sont fourbes, trop de musique, trop de saveurs, trop de couleurs aussi. Ils se déforment, étendent des courses, les coupent, ouvrent des précipices qui deviennent des tombeaux. Ils prennent tous les atours de l’enfermement, les portes claquent, les grilles se referment, les ouvertures disparaissent, le ciel devient une nuit sans étoile. Il se tourne et se retourne au gré des paysages qui s’enténèbrent, le chauffeur de taxi traverse un décor, Isolde aussi. Isolde est partout, en réalité, sous diverses formes, corporelles, surnaturelles, animales aussi. Le trop plein de cet esprit écartelé par le manque se peint dans une tourmente psychédélique, la tourmente prend fin quand son souffle s’étrangle et qu’il se réveille en sursaut. Il est en sueur, il met trop de secondes à réaliser où il se trouve, il vire les draps, tire nerveusement sur son t-shirt et manque de tomber au moment où ses pieds touchent le sol. Ses jambes le soutiennent à peine, il cache leurs tremblements en rajustant son pantalon. Pourquoi… Il ne sait pas. Si. Il faut partir. Où déjà ? Où est-il d’ailleurs ? Là-bas ? Encore là-bas ? Son cerveau ralenti reprend quelques chemins logiques, il se trouve chez Isolde. La porte juste en face un peu sur la droite. Pensée imprimée au front d’un sursaut déraisonnable. La porte juste en face un peu sur la droite plutôt que la porte d’entrée… celle de la sortie. Sa main tremble sur le loquet, il ne sait vraiment pas quelle heure il est. Il a pu dormir une heure. Sans doute moins vu qu’il ne se sent absolument pas reposé. Il entre, il s’invite, il ne frappe pas, c’est terrible il le sait, mais il faut qu’il soit sûr.
Les précautions de ses mouvements glissent sur le sol, dans le noir, ses yeux décrivent la silhouette qu’il cherche. Elle est là, dans la nuit de son lit, elle est là, il ne l’a pas imaginée. Peut-être qu’il délire encore, est-il dans l’un de ses rêves aux atours de réalité ? Il la regarde et se sent quelques secondes apaisé. Quelques secondes qui lui permettent de s’assoir au pied de son lit, comme un protecteur vacillant, qui ne sait plus exactement quelle protection il prodigue exactement. Celle du souffle ralenti par l’angoisse de ne pas remplir sa plus haute mission. Il la regarde encore, ses douleurs sont prégnantes, ses muscles ne parviennent même plus à trembler tellement ils ont mal. Sa voix parle à son sommeil, doucement : _ Pourquoi es-tu venue… Pourquoi… Toutes les raisons. Aucune pourtant. La nuit se penche sur elle, sans doute elle sommeille, loin de lui. Le besoin de sa présence est tel qu’il ne veut plus regagner ses quartiers, il n’est pas vraiment certain qu’il pourrait y arriver dans tous les cas. Il préfère ajouter sa veille à celle des entités nocturnes, suivre les lignes de son visage rendu aux ferveurs des rêves, les dessins de son corps que l’on devine sous les draps.
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(✰) message posté Jeu 22 Déc 2016 - 11:12 par Invité
« Still she gives you everything you need… Is it enough ? » james & isolde
Chaque minute qui passe est un compte à rebours terrible. Elle le sent, l’entend dans cette chair qui palpite à ses côtés d’anxiétés nouvelles et certainement bien connues. L’héroïne est une compagne passionnée dont on ne peut guère se libérer du joug. Elle a beau ne plus faire partie du quotidien, laisser à son hôte une paix illusoire, son emprise demeure, toujours, tapie au fond de lui, prête à ressurgir à la moindre incartade. Isolde ne sait pas bien définir ce qui le traverse en cet instant, mais elle perçoit dans l’éraillement de son timbre, dans ses pas plus lourds et sa démarche plus vacillante qu’à l’ordinaire, que la nuit sera longue. Surtout pour lui, mais certainement pour elle aussi. En réalité elle la trouve déjà interminable. Entre les pleurs de Leela, l’appel soucieux de Gregory, l’attente suppliciée, la joute … Isolde était rompu d’une fatigue émotionnelle qui frôlait par moment la déraison. Elle commençait à avoir des courbatures dans les jambes, dans les replis de sa nuque. Et son dos la faisait souffrir depuis un moment déjà, à lui rappeler malignement qu’il lui fallait lui accorder le répit qu’il méritait si elle ne souhaitait pas qu’il lui fasse des infidélités. Pourtant elle savait qu’il était trop tard pour reculer. Elle avait proposé, il était là, dans les replis de son quotidien, à s’y faufiler avec son cortège morbide. Et elle ne parvenait toujours pas à se départir de cette colère nichée qui le tenaillait depuis plusieurs heures. Née à l’annonce de sa disparition fortuite, décuplée dans les affronts mortifères, alors que la crise la plus violente semblait passée, il en demeurait davantage que des stigmates. Elle continuait de lui vouloir, de la pousser malgré lui à des extrémités aussi repoussantes que pourtant elle ne pouvait s’empêcher d’embrasser avec une sorte de délice malsain et incompréhensible. Comme si une partie d’elle, laissée à l’abandon depuis trop longtemps, rêvait de se faire guide, appréciait de savoir que l’on avait besoin d’elle et de nul autre. Un plaisir égoïste, fait pour nourrir une empathie délaissée. Depuis des années elle vivait au crochet des autres, à sentir leur pitié, leur regard incertain, l’empathie dégoulinante de leurs mains tendues pour lui venir en aide au moindre écart. Toujours elle avait besoin d’eux. Pour se mouvoir, pour découvrir un espace inconnu, pour être autre chose qu’une âme errante sur le parvis d’un monde qui ne lui appartient plus. Mais aujourd’hui, la donne était différente. Aujourd’hui, c’était d’elle dont on avait besoin, de sa main tendue, de sa force aussi. D’elle, et de personne d’autre. Et cela lui insufflait une telle impression qu’elle ne pouvait l’ignorer et la fuir tout à fait. Il lui fallait s’en saisir. S’en saisir à pleine main quitte à se brûler, s’y abandonner pour ne pas regretter ensuite de ne pas avoir saisi l’opportunité. Mais James n’était-il que cela ? Une opportunité malsaine qui lui permettrait de se dire qu’elle pouvait encore être utile ? Peut-être bien se répétait-elle, pour se rassurer, tout en sachant qu’elle se mentait. Elle ne pouvait ignorer le lien entièrement, celui qui l’oppressait suffisamment fort pour la pousser à se soucier de son sort bien plus qu’elle ne le devrait. En réalité, cela lui faisait mal de le savoir dans un tel état, partageant sa souffrance sans réussir à s’en prémunir, la recevant dans sa propre chair comme si elle lui appartenait. Elle pourrait l’ignorer pourtant, essayer de s’en détacher, le laisser là, pantelant, en s’enfermant dans une sécurité illusoire. Mais elle n’y parvenait pas. Non, elle en était incapable.
Son consentement mécanique ne la rassura pas. Bien au contraire, pour l’esprit torve et vindicatif qu’il pouvait être, à refuser toutes les marques de normalité et de bienséance, cela sonnait presque comme une alarme. Et tout doucement, la panique se glissait entre ses veines, y traçait un sillage pernicieux jusqu’à la faire frémir en silence. Devrait-elle rester ? Non, non. Ce n’était pas une bonne idée. Pas maintenant. Il avait besoin de recouvrer ses esprits, ou, au moins, de s’accorder un répit avant les sursauts qui ne tarderaient pas à le traverser. Étaient-ils déjà présents d’ailleurs ? Sa cécité l’empêchait de le constater entièrement, lui offrait un rempart naturel contre tous les signes de sa déchéance. Le constat qu’il émit finalement fit taire toutes ses incertitudes. Oui, il lui fallait partir, maintenant. Essayer de recouvrer un semblant d’énergie pour revenir peut-être ensuite, et être à même de lutter encore s’il le fallait. Avant de disparaître dans l’embrasure de la porte, elle lui avait glissé simplement un : « Si tu as besoin de quelque chose … Tu sais où me trouver. » Et elle n’avait pas osé le toucher, l’observer une dernière fois avant de referme sur lui la porte de ses tourments solitaires. Elle avait eu peur de ce qu’elle aurait pu voir.
Les membres tétanisés par la fatigue, la tiédeur de sa chambre eut un effet salvateur qu’elle n’escomptait même plus. Un tremblement s’échappa de ses lèvres, se diffusa dans l’ensemble de son corps jusqu’à faire céder ses jambes. Lourdement elle s’assit sur le rebord de son lit, en caressa la surface, y imprimant une pression alors qu’elle demeurait quelques instants interdite. Elle se frotta les tempes, espérait en faire disparaître la migraine naissante qui engourdissait ses sens. Quelle heure était-il ? Combien de temps avant que Leela ne s’éveille, et que la vie reprenne irrémédiablement son cours ? Trop peu. Pas assez. Elle avait hâte que cette nuit s’achève, et en même temps, elle craignait la façon dont elle pouvait se terminer. Ses mains massèrent ses genoux, tentaient d’en calmer les tremblements des nerfs à vifs, malmenés sous la peau. Dans une lassitude mécanique elle ôta ses vêtements un à un, les laissant échoir à l’endroit même où elle se trouvait. Elle se glissa dans sa chemise de nuit, en réajustant machinalement les bretelles avant de s’abandonner à la douceur des draps. Un long soupire la traversa. Elle avait froid, si froid. Elle resserra sa prise autour de la couverture, cessa finalement de lutter contre ce sommeil qui s’était emparé de son corps en une fraction de seconde, dans un affaissement de l’âme qui ne peut plus lutter, et qui préfère s’abandonner. L’épuisement était tel que ses rêves furent d’une opacité étrange et indistincte. Elle ne dormait pas d’un sommeil profond, mais son esprit avait été trop malmené pour ne pas s’accorder le répit qu’elle méritait. La respiration parfois entrecoupée par des images qui apparaissaient au fond de sa conscience avec indistinction, elle était assez loin pour oublier tout. Les tourments, les colères, les impressions faussées, les malaises. Où elle était, il n’y avait plus rien à part ce noir épais qui l’enveloppait, et dans lequel elle se complaisait pour une fois avec délice. Mais sa conscience était malgré cet abandon illusoire aux aguets, tournée vers cette chambre au milles tourments dont elle craignait les menaces. D’ailleurs, quel était ce murmure qu’elle avait cru entendre ? Un délire sans doute, une illusion de son esprit qui ne savait plus à quoi se vouer. Le doute demeurait cependant. Etait-ce l’espace onirique qui lui jouait des tours, ou la réalité voulait-elle retrouver son emprise ? Inconsciemment les battements de son cœur s’accélérèrent, amorçant avec lenteur le réveil prématuré. Isolde déglutit, eut la sensation en ouvrant les paupières que quelque chose était en train de l’écraser de tout son poids. C’était la fatigue, qui s’injuriait de ne pas avoir été contentée. « Qu’est-ce que …. » La voix éraillée par le sommeil, elle se frotta le front avec sa paume, se surélevant sur son coude à l’orée des draps. « … James … ça … ça ne va pas ? » La réponse semblait évidente, mais son esprit encore engourdi fonctionnait encore au ralenti. Et sa crainte de le toucher, de le voir, n’en était que décuplée par cette vulnérabilité que l’on ressent lorsqu’on se trouve encore à mi-chemin entre l’espace rêvé, et le territoire profané et abrupte de la réalité. Un instant elle hésite, peine en réalité à se mouvoir tant ses membres sont fourbus. Pourtant avec calme et prudence, elle écarte la chaleur rassurante des draps, se glisse jusqu’au pied du lit sans en quitter la surface. Calmement elle s’agenouille à son côté, replie ses jambes sous ses fesses, tâtonne jusqu’à rencontrer la surface de son dos, puis l’ossature de son épaule. Sa peau est moite sous son tee-shirt. Mais d’une moiteur étrange, fiévreuse et glacée à la fois. « Tu … Tu es brûlant. » constate-t-elle pour elle-même, passant le revers de sa main contre sa joue. Que pouvait-elle faire ? Imprimer un linge frais sur sa peau comme on le ferait sur un malade enfiévré ? Attendre que les sueurs froides s’égarent ? Dans le doute, interdite qu’elle était pour l’instant, ses doigts frais se contentaient de s’imprimer sur le moiteur de sa peau, appréhendant la réaction ou la réponse, n’agissait qu’avec prudence et modération. « Qu’est-ce que je peux faire ? … Dis moi ... » Son timbre était d’une douceur absolue, trahissant le désarroi qui la tenait d’ignorer pour l’instant quoi faire. Elle avait bien des idées. Des idées reçues. Mais à quoi bon si elles ne servaient à rien ?