(✰) message posté Dim 11 Déc 2016 - 13:54 par James M. Wilde
« Sigh, static moans A storm growing strong And it's coming my way Still she gives you Everything you need Is it enough ? You're running out of time As it grows in your eye You'll feel Broken inside, you'll feel »
Isolde & James
21.11.16 20:37.
2… 3… 4… Non pas maintenant. Pas encore. Pas encore… 3… Il ne sait plus, il ne sait pas. Combien de temps ? Combien de coups ? Son poing lui fait mal de se heurter à la porte plutôt que de n’avoir pu se fracasser à la chair de l’ignoble qui sut si bien révéler ce qu’il tentait de soigneusement masquer. La phrase sonne encore à ses oreilles, rejoint les autres cris qui handicapent ses pensées et les précipitent dans une fureur qui l’oppresse sans discontinuer. Quelques minutes… Si seulement sa folie lui daignait quelques minutes de plus avant de l’enfermer, il serait prêt à tout pour négocier le temps imparti à ses aveux, à se donner corps et âme à ces ténèbres qui se tapissent, à l’attendre avec la patience des plus cruels bourreaux, à promettre l’oubli de tout si ce n’était que pour se rappeler encore de ce qu’il doit être avant de ne plus exister. Mais le coeur bat la déraison et la douleur, continue d’étreindre les sentences de cette possession malsaine qu’il a balancée sur les épaules de Moira, ne cesse d’imprimer sur sa rétine des rictus factices empruntés aux visages de tous ceux qui auraient dû lui venir en aide, et de baigner les parages de la nuit de couleurs assassines qui ressemblent à celles de ses cauchemars. Il pose son front en sueur sur le bois de la porte, comptant les hurlements de son âme qui continue de tomber dans la toile de ses mensonges et de ses crimes, calculant la hauteur de l’hérésie qui le fait se trouver en cette journée mortifère sur ce seuil précis. Derrière la haute lucarne, la lumière surgit, et les ombres grognent de se voir un instant chassées par l’arrivée importune de la présence qu’elles ne voulaient guère se voir manifester. Puis… elles se rendent compte que la collision du présent et du passé ne fera que leur céder la victime qui ne sera plus que consentante lorsqu’il s’agira de se rendre à elles, elles apprennent la patience en jetant un voile de ténèbres sur les iris de James qui cherchent partout les raisons qui échappent de plus en plus à sa compréhension vacillante. Le visage vieillissant de celle qu’il considérait jadis comme une mère de substitution apparaît dans la grisaille de ses affects, et son sourire revêt le ton de la cendre mortuaire quand elle le reconnaît enfin. Son prénom accompagné de la voix si familière lui donne l’impression de revenir vers ces ailleurs qu’il a toujours fui, et qu’il fuit encore dans cette course illusoire. Il chasse le gris pour revenir à des couleurs passées, qui brillent de ses remords quand ses yeux se dérobent quelques secondes. « James… James ? C’est… toi ? Oh, James, ça fait si longtemps… Si longtemps… Entre, entre, je t’en prie. » Elle prend sa main glacée dans la sienne, pour le mener à l’intérieur et les souvenirs lui sautent à la gueule, alors qu’il ne regarde rien mais qu’il ne peut plus faire mine de ne point voir. Le papier peint est identique à celui qui étouffa leurs rires et leurs gémissements, les meubles ne firent qu’être déplacés dans des envies soudaines de changement alors qu’ils trahissent par leur constance cette volonté farouche de goûter la sclérose du temps révolu, pire encore, les odeurs sont les mêmes… Si ce n’est qu’il n’y a pas la sienne, la sienne… Son visage est partout, emprisonné sous verre, et James se crispe de recouvrer les détails échappés de sa mémoire par le truchement d’une image conservée sur papier glacé. Il s’entend répondre, d’une voix qui ne lui appartient pas, celle du jeune homme qui est mort le même jour qu’elle, qui connût cette maison par coeur à la préférer à la sienne. _ Longtemps madame White… Je sais… J’ai voulu… Elle l’interrompt en le menant à la cuisine, tournant ce visage décharné si semblable à sa fille, délivrant ses doigts dans la vaine tentative de délivrer ce qu’elle ne peut qu’entendre comme un regret : « Elle a toujours tant aimé les pivoines. Et j’ai aimé les voir fleurir sur sa tombe. » James hoche la tête en plongeant son regard terne dans les prunelles tristes de cette mère qui semble ne vivre que sur le fil de l’existence, à se déplacer précautionneusement dans la maison comme si elle n’était plus tout à fait à elle. Il est venu au cimetière chaque année après son décès, chaque année depuis ses terres d’exil, il est venu déposer ce bouquet de pivoines qu’il lui offrait autrefois pour se faire pardonner tous les égards violentés, laissant la trace de son passage au rouge vif des pétales abandonnés sur le granit. Jusqu’à revenir… et bafouer encore les égards à cesser ses visites. Le silence avoue les remords quand le léger sourire de June les pardonne déjà. Mais c’est parce qu’elle ne sait pas… Elle ne sait pas…
Il tremble en s’asseyant sur la chaise paillée, presque aussi frêle que lorsqu’il avait vingt ans, se voit bientôt confier une tasse de thé, alors qu’elle l’observe à distance respectueuse, ses yeux bruns vifs détourant son visage, caressant sa silhouette avec l’émotion d’une mère qui retrouve un enfant qu’elle avait oublié, un murmure échappé à ses lèvres : « Tu n’as presque pas changé… » Le temps défile dans leurs regards en face à face, elle prend place à côté de lui, comme pour crever la distance de ce passé qui s’est joué d’eux en instillant la désunion, esquisse un geste qu’elle rétracte, celui qu’elle avait souvent lorsqu’elle passait délicatement une main dans sa nuque, en lui ébouriffant l’arrière du crâne et comme s’il l’avait senti, il glisse ses doigts à la racine de ses cheveux, dans un réflexe involontaire. Ses prunelles la quittent et partent sonder les ombres du couloir, qui s’évadent par la porte de la cuisine, entend presque la porte d’entrée s’ouvrir et se refermer… Combien de fois ont-ils été tous les deux ici, à attendre les pas de la jeune femme, à se taire ou à parler, lui réfugié dans cette famille presque adoptive alors qu’il s’évadait de ses cours, June le sermonnant avec cette gentillesse coupable, l’aimant presque autant que sa fille, parce qu’il avait su faire d’elle, cette passionnée follement expressive, la sortir d’une coquille où elle dépérissait. Leurs pensées communient, James frissonne des habitudes qui reviennent par vagues successives, les souvenirs se bousculant comme de vieux amis, dans son esprit qui pourtant ne les comptait plus depuis longtemps comme locataires. _ Elle aurait sûrement dit qu’à force de me dorloter, vous m’encourageriez à devenir infect. June rit légèrement, un rire si mélancolique que le coeur de James se fêle à ne plus le découvrir tel qu’il fut, aérien et espiègle. « Ils disent que c’est ce que tu es, que le succès t’est monté à la tête… Mais j’ai toujours dit que ça n’était pas vrai. Ils te connaissent si peu, et je sais que l’on ne change pas. L’on ne change jamais. » Il baisse le nez, regarde le fond de sa tasse qu’il n’a pas touchée. Si seulement c’était vrai… Il sait pourtant qu’il a changé, qu’il n’est plus ce qu’elle croit deviner dans ce masque presque inchangé si ce n’est qu’il a subi les affres du temps passé et des nombreux excès. Et si dans ses iris bleues elle croit recouvrer l’adolescent devenu cet homme qu’elle destinait à sa fille, il les a trop sondées dans le miroir pour connaître leurs tromperies et leurs faux-semblants. Il ne peut se faire abuser par la foi qu’elle semble avoir conservée à son encontre. _ Madame White… Je voulais venir vous parler… Je… « June. » _ Oui… June. Je suis ici parce que… Il serre le bord de la table pour empêcher sa main de trembler de cette peur silencée qui suinte de toute sa personne, et elle l’interrompt d’un ton presque désinvolte qui le trouble complètement : « Tu te souviens, elle voulait devenir photographe, pour te suivre dans toute ta carrière. Elle avait un vrai don pour capturer les images… et les âmes aussi. Un don c’est toujours une sorte de malédiction, tu ne crois pas ? » Son regard se pose de nouveau sur elle, et il entrevoit dans l’inclinaison de sa tête cette complaisance faite à un passé qui l’envahit tout à fait. Il a choisi d’emprunter toutes les routes pour continuer coûte que coûte quand elle a promis de s’arrêter au bord du chemin pour regarder défiler les songes des autres, les âmes des perdus et sans doute espérer y retrouver un jour celle de sa fille, violemment arrachée à sa destinée dorénavant brisée. Il chasse les mots qui lui reviennent, ceux prononcés quant à cette passion arrimée à la sienne, volonté de vivre par lui et par lui seul, nourrissant tous ses égocentrismes, l’aimant jusqu’à l’idolâtrer. Et lui… à ne jamais se satisfaire de tout ce qu’on lui donnait, à réclamer encore, à réclamer toujours, à exiger enfin ce qu’on ne peut concéder sans frôler la folie. Il déglutit difficilement, sa voix se fait de plus en plus mal assurée tandis que l’atmosphère semble le renier, lui ôter le pouvoir d’exhaler enfin l’aveu qui soignerait son âme avant de la tuer : _ June… Ce que j’essaye de vous dire, c’est que ce soir-là, quand je… Madame White secoue la tête, comme si elle refusait d’entendre ce qu’il souhaite lui dire. Dans cette pièce, ils semblent tous les deux en fuite, mais leur course désespérée les entraîne à l’opposé des chemins qu’ils peuvent encore tracer : « Ce soir-là James, elle est morte. Elle est morte c’est tout, et j’ai appris à exister en sachant cela. Elle a toujours été fragile, nous le savions très bien, et elle a fait tous ces mélanges de substances. Je ne t’en veux pas, elle était adulte, toi aussi. Ça arrive, c’est ce qu’ils ont dit. Il faut exister avec ça. » Elle semble répéter un discours pensé par coeur, un discours qui le désarçonne tant les images de cette nuit fatidique défilent à lui soulever l’estomac. Des détails oubliés ressurgissent à la faveur des termes qu’elle vient d’employer. Des mélanges ? Quels… Que… Non… Tout est si flou et à certaines secondes si clair qu’il manque de respirer. Il faut qu’elle le laisse parler, il le faut… Juste quelques minutes, par pitié. Par pitié… Il lui prend la main, dans un geste désespéré : _ June. June, écoutez-moi, je dois vous le dire, je dois vous dire ce qui s’est passé ce soir-là, vous comprenez ? Vous comprenez… Je vous en prie… Elle s’abîme dans une froideur étrange alors qu’elle se recule bien droite dans sa chaise, retirant ses doigts de son emprise, à le jauger sans animosité mais avec une distance extrême, soudain inaccessible, tout son corps repoussant cet appel qu’il a poussé dans un murmure presque rauque, ses yeux brillants de cette terreur mêlée de peur. Elle se contente de répéter : « Ça arrive, c’est ce qu’ils ont dit, James. C’est ce qu’ils ont dit. »
Tout se referme sur lui, s’effondre, l’enserre, l’ensevelit. Rien. Rien. Aucune issue, aucune porte de sortie. Les mots perdent leurs sens et les pensées s’évadent en des saveurs irraisonnées. L’horreur ressentie toute la journée éclôt dans ses entrailles et il perd toutes les notions qui l’ont amené à croire que l’absolution pouvait être embrassée dans une conversation retardée par l’éternité de sa faute. Trop tard. Il est trop tard pour délivrer ceux qui sont morts avec lui ce jour-là. Il se lève, ne s’entend pas conclure l’échange, ne parvient même plus à réfléchir ou à comprendre ce qui le meut. Peut-être qu’il est toujours dans cette cuisine, à regarder cette femme ankylosée dans ces mensonges qui la maintiennent en vie, peut-être qu’il n’est jamais allé là-bas, peut-être qu’il ne la connaît guère et que sa mémoire lui joue des tours jusqu’à créer des mondes parallèles au sien, pour y dessiner des figures qui lui tiennent compagnie dans les ténèbres au coeur desquelles il gît. Où est-il ? Où est-il d’ailleurs ? Là-bas, encore ? Les murs, les murs l’empêchent d’entendre la musique, il ne peut pas vivre sans elle, il ne peut pas vivre sans l’harmonie du monde qu’il a à jamais déformé en rejetant celle qui souhaitait tant pouvoir le fuir. Son prénom ? Comment s’appelait-elle… Elle avait un nom, il le sait, il le sait. Un nom… Ce nom qu’il ne parvient plus à prononcer.
***
24.11.16 21:56.
L’angoisse ne le quitte plus. Aucune nouvelle. Aucune réponse. Même Ellis demeure dans une nervosité abyssale, à sursauter lorsque Phil surgit dans leur champ de vision, et le Viper s’encombre d’une ambiance pesante, presque endeuillée quand la journée se meurt pour voir le défilé des âmes grises et avinées qui s’échouent jusqu’à eux. Greg est backstage, enfermé dans son silence et ses pensées, à ne plus savoir que faire des scénarios plus catastrophiques les uns que les autres qui tournoient dans sa tête. Est-il parti, est-il encore quelque part ? Quelqu’un l’a-t-il vu ? Il n’a pas encore voulu prévenir Ella de peur de déchaîner l’armée de ses peurs dans l’âme de la jeune femme, qui ignore encore que son frère a complètement disparu. Il ne peut non plus appeler le reste de la famille, ce serait comme un sacrilège rendu à son ami absent, ce serait pire que de mêler des inconnus à l’affaire que d’inviter les parents de James à connaître le drame qu’ils interprèteraient sans doute comme une autre de ses frasques. Son téléphone dans sa main, il a composé le dernier numéro qui lui semble revêtir quelques espoirs, et balance l’incorrection à la nécessité d’être sûr qu’il n’est pas avec elle. Ellis a conseillé de tenir la bride à ce besoin viscéral de le débusquer là où il pourrait panser ses blessures, mais Greg ne peut plus entendre l’argument, ne peut plus le subir. Sans qu’il s’en aperçoive, le téléphone est vissé à son oreille et il attend que l’on décroche, malgré l’heure tardive. « Isolde ? Isolde, c’est Greg. Gregory Wells, l’ami de James. Je suis désolé, je sais qu’il est tard et que ça ne me regarde pas, mais… j’aimerais savoir si vous avez vu James ces jours-ci, je veux dire, depuis le 21 novembre exactement. » Il se met à follement espérer entendre en arrière plan la voix de Wilde, mal aimable alors que l’on vient le déranger dans des plaisirs à peine coupables, espérer qu’elle lui réponde sur un ton délivré qu’il est là, bien sûr, avec elle, celle qui semble être l’obsession la plus nourrie qu’il ait eue depuis des lustres. Il est là-bas, et l’angoisse devient ce symptôme de sa personnalité toujours trop prompte à noircir les situations qui sont en réalité quotidiennes. Il est là-bas et son monde n’est pas en train de s’écrouler. Il est là-bas, et s’il lui manque à en crever, il va très bien et n’a en réalité fait qu’oublier de rentrer.
***
25.11.16 03:12.
Les bris de verre crissent sous ses pas alourdis par sa démarche moribonde. Ses aveux avortés sur ses lèvres blêmes, il s’est arrêté sur les lieux qui virent tout basculer, cette maison à Hampstead que son père a eu l’indécence de garder. Il y a encore leur nom sur la boîte aux lettres, le courrier s’y entasse dans le déluge du temps qui a continué de presser sa marche vers un futur dans lequel il ne se reconnaît plus. Le temps lui aussi prend la fuite, ne se retourne guère pour observer ceux qui dépérissent à ne savoir suivre son rythme effréné, qu’ils avouent l’impuissance, qu’ils la boivent et la sentent, dans chaque parcelle de leurs corps alanguis qui voguent dans l’oubli. James s’est lui aussi donné pour ultime voyage le défilé de l’absurde au goût amer de l’absence. Les tremblements de toutes les angoisses se sont précipités à la morsure de la première aiguille, ils ont périclité à la seconde injection, ils sont morts lorsqu’il n’a plus réussi à les compter. Recroquevillé quelque part, il dérive à la lenteur des souvenirs qui ne le quittent plus depuis qu’il a rencontré June White et son déni, le couple délétère ayant réussi à délivrer les démons qui festoient à présent de son esprit qui n’aspire plus qu’à s’éteindre. Les visages se troublent dans un tableau indéfinissable, était-il ce matin appuyé contre un meuble, à regarder la lumière batailler dans ses cheveux roux, apprivoisant l’espace dans lequel elle se plaît à évoluer, ou ce soir en train de briser les élans de tous ces jaloux qui tentaient de lui arracher l’emprise qu’il avait établi sur son front bordé de cheveux blonds ? Quand reviendra-t-elle donc, lui dire toutes les fautes qu’il sait parsemer sur son âme, et brûler sur la douceur de sa peau lorsqu’il se fond en elle, à lui promettre de ne jamais la quitter, de ne jamais la laisser partir. Pourquoi n’est-elle plus là, à rire et à pleurer, à le reconnaître quand elle le voit, à espérer qu’il ne la trahisse jamais ? Rebecca… Le téléphone n’arrête pas de vibrer dans sa poche, une vibration qui se substitue aux battements presque absents de son coeur ralenti par le flot rétracté de l’héroïne dans l’ensemble de ses veines, mais il ne parvient pas à l’atteindre, il oublie qu’il souhaite parler, il croit souvent qu’il ne veut être retrouvé par personne, il songe que fermer ses yeux et s’absenter enfin lui permettrait de goûter le repos qu’il se refuse sans cesse. Ses paupières masquent la nuit invitée dans cette maison qui n’est plus chauffée depuis des mois. Il a froid et pourtant il brûle de cette souffrance que rien ne sait taire, ni la drogue, ni le calme, ni l’oubli, ni l’étreinte des souvenirs les plus doux. Car ils se transfigurent tous en chimères démoniaques, prêtes à le dévorer. Alors qu’elles se repaissent de sa carcasse, qu’elle le décharne de ses sentiments trop encombrants, qu’elles s’invitent dans l’enfermement qui devient sa prison, qu’elles le délivrent de la résurgence de l’asile pour qu’il se donne enfin à la seule liberté que peuvent espérer les coupables. Il a beau les sommer, l’obéissance échappe aux noirceurs déchaînées, elles ne l’écoutent plus, il n’était déjà plus dignes des lueurs qu’il ciselait jalousement dans les méandres de ses harmonies, il n’est plus dignes des ombres à présent. L’indignité en étendard de ses fautes, la déraison en oriflamme de ses peurs. La mort se rit de lui, à ne faire que l’observer encore, réclamant son dû dans un silence empesé par ses absences. La mort se rit de tous, elle reconnaît toujours les siens.
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(✰) message posté Dim 11 Déc 2016 - 21:30 par Invité
« Still she gives you everything you need… Is it enough ? » james & isolde
Les fraîcheurs jusqu’alors graciles de novembre commençaient à mourir dans les souffles glacés de l’étau hivernal, qui chaque jour, se resserrait davantage. Et à l’unisson de l’enserrement, les humeurs devenaient austères, s’enfermaient en des noirceurs sans fin malgré l’ambiance des rues éclairées et des pensées festives. Au prologue de cet hiver, le glas ne l’avait pas encore rattrapé, tenu en respect à bonne distance de son quotidien tant qu’aucun événement perturbateur n’était là pour faire basculer l’équilibre précaire. Même les allures vagabondes, et les tourments versatiles de l’attachement naissant n’avaient pas réussi à lui faire oublier l’importance de garder le navire droit, fixé sur un rivage certain et linéaire. Sans doute avait-elle gagné en force avec l’âge, avait appris à relativiser, et à maîtriser ses émotions quitte à les étouffer au creux de son ventre. L’excitation de Leela à l’approche des fêtes de Noël devenait certains jours incontrôlable. Si Isolde se réjouissait de la voir si lumineuse, petite étoile brûlante qui motivait chaque geste, chaque décision qu’elle prenait, et dont elle ne se lassait jamais d’observer les nuances qui se déployaient davantage au fil des jours, elle sentait pourtant que les pensées mortifères s’avançaient. Elles étaient là, tapies au fond de sa conscience, à rire des instants de paix accordés en se disant qu’ils lui seraient bientôt arrachés. Et elle redoutait cet instant. Le redoutait au point de vouloir le déclencher elle-même, afin de ne pas en perdre le contrôle. Mais la sensation était si belle, si inédite, oubliée depuis longtemps au profit de souffrances oppressantes. Isolde avait presque oublié ce que l’on éprouvait à ressentir, si ce n’est une paix intérieure, au moins un apaisement illusoire. Elle ne pouvait que se perdre un instant dans ces impressions retrouvées qui pourtant, avaient un goût qu’elle ne connaissait pas encore.
James s’était insinué dans son quotidien comme un songe évanescent. Présent sans être là, gravitant dans son univers sans pour autant y imposer sa marque absolue. Sans s’en rendre réellement compte, elle s’était en un rien de temps habituée à le savoir présent, que sa présence soit furtive ou non. Elle s’était laissée portée comme une évidence au gré de ce quotidien sans étiquette, qui ne souffrait pas encore du joug des carcans qui souhaiteraient leur imposer une marque, un nom, un statut. Qu’étaient-ils finalement ? Un couple officieux ? Des amants officiels ? De faux-amis qui se damnent ensemble aux tourments de l’autre ? Elle avait beau s’être posé plusieurs fois la question, jamais elle n’avait réussi à les définir tout à fait. Car les ranger dans une case, ou bien dans une autre, ce serait donner à leur binôme déséquilibré une réalité qu’elle n’était pas encore tout à fait prête à concevoir, ou accepter. Mais elle ne niait pas apprécier le savoir près d’elle. Pouvoir parfois, lorsqu’il s’égarait quelques heures entre les piles dérangées de la librairie, effleurer le désordre de ses cheveux, esquisser une caresse passagère discrète sur son épaule, juste pour s’assurer qu’il était là, et qu’il ne s’évanouirait pas à son tour. Chaque jour qui passait ainsi n’en était que plus troublant, et plus délectable à la fois. Elle était d’humeur plus maussade quand il ne venait pas, se sentait plus légère de le savoir quelque part, à entraver ses sillages. Et Isolde sentait que le lien s’étoffait, tout doucement. Pire que cela, elle s’attachait à lui, frôlant des abîmes qu’elle pensait jusqu’alors ne jamais avoir à affronter. Le sentiment d’appartenance qu’elle sentait naître au creux de ses reins, elle le connaissait. Bien. Trop bien d’ailleurs. Mais elle connaissait aussi le déchirement, la terreur qui s’insinue lorsque l’appartenance n’existe plus, et lorsqu’il n’y a plus rien, à part le vide, et les souvenirs perdus. Pourtant elle parvenait à maintenir la bride autour de ses craintes, à faire taire les pensées parasites pour ne pas sombrer dans une austérité sans fin. Mais ça, c’était avant cet appel étrange, cet appel au secours, qu’elle n’avait pas prévu d’entendre, ni de comprendre.
La soirée n’avait pas débuté sous de très bons hospices. Leela était rentrée, en pleurs, de l’école, toute chamboulée de ce qu’un camarade lui avait craché au visage par méchanceté gratuite. Et Isolde était désemparée, de ne pas savoir exactement comment la consoler, ni comment expliquer de tels élans. « Mais … Mais … Il a dit … Il a dit … » avait-elle essayé de lui balbutier entre deux hoquets étouffés par des reniflements. « Il a dit … Il a dit que je ne pourrais pas faire … Pas faire … Avec toi. » - « Trésor, je ne comprends pas ce que tu veux me dire. Calme-toi d’accord ? Essaie de me réexpliquer doucement … » La berçant contre son cœur, glissant un mouchoir sous ses narines encombrées pour l’aider à se moucher, Isolde l’avait laissée se calmer, jusqu’à ce qu’enfin, l’aveu ne naisse au creux de ses lèvres, révélant toute la blessure dans son cœur d’enfant. « Pour … Pour le spectacle de Noël … On doit … On doit faire … On doit faire un petit spectacle … Avec son Papa … Et sa maman. Et comme … Comme j’ai pas de Papa … Ben … Ben Jimmy il a dit … Il a dit … Que j’avais pas le droit … de chanter juste avec toi. » Ses doigts se pressèrent autour de ses épaules, la serrant contre son cœur quand le sien se fendillait de la comprendre si bouleversée. « Il a dit … Il a dit que moi j’étais vilaine … Et que c’est pour ça … C’est pour ça … Que mon papa … Il est parti. » les hoquets devenaient incontrôlables à présent, et Isolde, pendant un instant, demeura interdite, à ne pas savoir quoi dire, ni quoi faire, si ce n’est essayer de faire au mieux. « Oh Leannan, ce Jimmy n’est qu’un idiot. Un idiot, tu m’entends ? Bien sûr qu’on pourra chanter que toutes les deux. Et on lui prouvera qu’une petite fille, et une maman, valent bien mieux qu’un petit imbécile, son papa, et sa maman. On leur montrera que toutes les deux, on a besoin de personne d’autre, je te le promets. » Elle embrassa son front, sécha ses larmes quand les siennes se retenaient dans une boule d’émotion au fond de sa gorge. « Et si … Ton papa n’est plus là aujourd’hui ma puce, ce n’est pas, et ce ne sera jamais à cause de toi. C’était … Un accident. Tu le sais, n’est-ce pas ? » Elle encadra ses joues de ses mains, Leela hocha la tête pour consentir, reniflant un bon coup pour ravaler son chagrin. « Oui, il est bête Jimmy. Et méchant. » - « Oui. Il ne mérite pas que tu verses des larmes de crocodiles pour lui. » Avait-elle réussi à conclure. Mais les effluves de la crise s’étaient ressenties toute la soirée. Leela, si vorace d’habitude, avait à peine touché à son assiette. S’était à peine enjouée quand elle lui avait proposé une boule de glace en dessert, elle qui en raffolait d’habitude. Et elle s’était endormie le cœur lourd, recroquevillée dans son lit, à triturer nerveusement entre ses doigts les oreilles de son lapin en peluche. Plus tard dans la soirée, installée dans le divan avec un verre de vin blanc, soucieuse, Isolde était empreinte à une profonde réflexion lorsque son cellulaire avait vibré sur la table basse. Elle avait décroché, sa voix trahissant encore la surprise qui l’avait saisie lorsque la vibration l’avait sortie de la torpeur au creux de laquelle elle sommeillait alors : « Allô ? » Sa surprise s’était agrandie, de constater qu’il s’agissait de …. Gregory. Comment avait-il eut son numéro ? Elle ne se rappelait pas lui avoir donné. A moins que ce ne soit James qui … « Bonsoir Gregory … Quelque chose ne va pas ? » s’était-elle immédiatement enquit avant qu’il ne s’étende davantage sur la raison de son appel. Lorsqu’elle en su davantage, ses prunelles s’agrandirent peu à peu. Elle parut plus soucieuse, à se remémorer les derniers jours passés, et durant lesquels James avait effectivement déserté son univers. Elle ne s’en était pas offusquée sur le coup, mettant cela sur le compte de son tempérament versatile, et sur d’autres responsabilités autre part. Après le succès du concert au Viper, elle s’était douté que cela finirait par arriver. « Non, pas depuis plusieurs jours … Je pensais qu’il était avec vous … Avec l’effervescence créée par le concert, je supposais que vous aviez beaucoup de travail … » Son ton se suspend, ses pensées s’accélère. Pour que Gregory, qui semblait si proche de James, presque comme une extension de lui, en soit arrivé à la contacter elle … Il y avait un problème. Quoi, elle l’ignorait. Mais ce n’était pas de bon augure, elle le sentait, et l’inquiétude naissait doucement au creux de son ventre dans un mal vicié. « Que se passe-t-il Gregory ? Y-a-t-il eu … Quelque chose ? » Quelque chose. Elle n’aurait pas pu choisir terme plus vague. Mais en même temps, elle redoutait sa réponse. Visiblement James ne donnait pas signe de vie depuis plusieurs jours, et commençant à connaître ses élans, elle n’était pas sure de vouloir les affronter.
Quand Gregory avait finalement raccroché, elle était restée interdite quelque instant, à se demander ce qu’il convenait de faire. S’il avait refusé de répondre à son meilleur ami, pourquoi lui répondrait-il à elle ? Pourtant, dans un réflex primaire, et instinctif, elle avait pianoté du bout des doigts son numéro une fois. Puis deux. Elle avait attendu une heure, réessayé encore pour ne se heurter une fois encore qu’à la voix factice de son répondeur. Au bout de la quatrième tentative, elle avait décidé de laisser un message, qui se perdrait sans doute dans les méandres de tous les autres. « … James ? C’est … C’est moi. Gregory vient de m’appeler … Il avait l’air inquiet … Où es-tu ? Rappelle-moi si tu as ce message … Ou rappelle-le si tu préfères … Je … Rappelle-le. » Elle avait raccroché, ses mains battant à présent la mesure de l’inquiétude qui naissait au creux de son ventre, conjuguée à cette impuissance qu’elle ressentait de savoir qu’elle ne pouvait rien faire à part attendre, et attendre encore, qu’il daigne donner un signe. Les heures, épouvantables. Bien sûr elle ne parvenait pas à fermer l’œil, à faire les cents pas autour de sa table basse en sursautant chaque fois qu’un soubresaut animait son cellulaire. Elle avait réussi à tenir deux heures avant de le saisir de nouveau, de recomposer comme une ritournelle le même numéro, pour se heurter encore au répondeur, qui chaque fois l’excédait davantage. « James, bon sang, qu’est-ce que tu fais ? Tout le monde se fait un sang d’encre. Je … Je suis morte d’inquiétude. Tu pourrais au moins donner un signe de vie, qu’on sache que tu n’es pas en train de croupir dans un caniveau ! » Si elle savait pourtant, si elle savait. Pour l’heure, elle ne cherchait qu’à se départir de cette inquiétude insupportable qui lui retournait les entrailles, ne parvenait plus, rationnellement, à se dire qu’il était surement simplement partit sur un coup de tête, quelque jours, comme l’aurait fait toute personnalité versatile. Énervée tout d’un coup de réaliser qu’elle ne savait ni où le trouver, ni même où aller le chercher, elle balança son cellulaire sur le coussin du divan d’un geste excédé, s’y affalant à son tour la mine déconfite. Bon sang, s’il refaisait surface, il allait en prendre pour son grade. Elle s’en faisait la promesse solennelle.
(✰) message posté Lun 12 Déc 2016 - 15:05 par James M. Wilde
« Sigh, static moans A storm growing strong And it's coming my way Still she gives you Everything you need Is it enough ? You're running out of time As it grows in your eye You'll feel Broken inside, you'll feel »
Isolde & James
Les accents de la négative courent sur son échine dans une désagréable langueur. Le visage de Gregory se décompose totalement, à l'autre bout du fil, tandis que les derniers espoirs semblent se moquer de lui à se carapater au loin, et il soupire, un soupir long, trop long, qui explicite l'angoisse et la diffuse dans l'espace étroit du combiné. C'était là l'appel qu'il avait repoussé jusqu'au bout, ménageant les conjectures à laisser l'imaginaire au repos tant qu'il ne se voyait pas pulvérisé par la réalité. Il n'est pas là non plus, il n'est nulle part. Nulle part où il puisse encore l'atteindre et le réseau de leurs connaissances sollicitées se clot ici avec elle, tandis qu'il la laisse dans l'attente d'une réponse qui ne vient pas. La déception bataille avec la peine, mais il conçoit que l'inquiétude l'entrave elle aussi à présent qu'il est venu transformer une absence qui semblait légitime en une disparition funeste. Comment dépeindre cependant ce qui se déroule dans sa tête, ce qu'il craint et ce qu'il croit ? Il préfère ne pas étendre les méandres qui déjà ont animé la voix d'Isolde, à la rendre plus alerte, plus ténue également. Il ne la connaît que très peu et note au détour de ce changement de ton qu'elle doit sans doute tenir suffisamment à James pour se sentir atteinte par la perspective d'un problème. Il se sent une fois encore mis à l'écart des changements subtils dans une vie qu'il s'est pourtant toujours accordé à suivre de fort près. Se sont-ils beaucoup vus ou fréquentés ? Il a trouvé le numéro du cellulaire en farfouillant dans les papiers de Wilde, numéro qui avait été soigneusement recopié sur une feuille volante, posée sur le guéridon dans son appartement. Quelque chose... Il se passe toujours quelque chose avec James. Gregory, dans des élans protecteurs, même s'il ne sait qui il protège, lui ou elle, essaye de calmer les tremblements de sa propre voix : « Oui, il y a eu un problème pendant une réunion avec la production. Et il n'est pas rentré depuis. Je me disais que vous pourriez essayer de l'appeler, il vous répondra peut-être, je ne sais pas... » Sa voix qui se ferme en fin de phrase montre qu'il n'y croit pas une seule seconde, ses croyances viennent de s'éroder à ce non qui éteint toutes les lueurs de son environnement. La grande salle austère backstage prend les atours d'un tribunal et les murs le jugent de ne pas être parvenu à remplir son unique mission. Il ne veut la laisser trop dans l'ombre mais sait également qu'il ne lui appartient guère de violer encore une fois l'intimité d'un ami qui a cherché à lui échapper. Il hésite à donner ce qui pourrait la mettre sur la piste, choisit précisément ses derniers mots avant de raccrocher : « Je sais qu'il ne va pas bien. Ce que je ne sais pas c'est à quel point. Et ça me ronge. Je suis désolé de vous avoir dérangée... »
***
Le miroir qu'il vient de briser lui renvoie une image déformée de lui-même, dans cette pénombre qui dégouline tout autour de lui, le front des ombres penché sur le carnage de ces objets qui ont subi son ire au cours de vagues incontrôlables, furieuses. Elles assaillent des minutes ou des heures dans une temporalité disséquée par l'héroïne, les souvenirs se distendent dans un rythme déviant, et il ne les reconnaît guère alors que son ventre se serre d'une douleur physique qui atteint à présent les hauteurs de la souffrance psychologique. Une heure qu'il se parle tout seul, à ne pas comprendre sa propre voix, une heure, ou plus, un jour ou des années, il perd les notions qui encadrent l'élémentaire de journées défigurées, toutes semblables à des nuits. Le téléphone qui gît par terre, sans doute balancé sur le tapis dans un accès de rage, vibre encore, mais affiche des lettres différentes, des lettres qui forment un prénom, viennent lécher son esprit déchu et inféodé aux ténèbres. Des sensations s'insinuent, retours en arrière qui se mêlent aux échappées délétères, le goût de ces prémices teintés dorénavant par la perdition. Il la voit, il la sent, il se souvient de s'être perdu des heures dans son environnement, à s'enivrer de la discrétion de sa présence. D'avoir choisi, pour la toute première fois, la poésie de prendre la mesure d'un territoire inconnu sans chercher à le marquer, de ne rester qu'un invité dans la tolérance de ses journées. Il se rappelle un instant son sourire à le découvrir adossé à une étagère, perdu dans des pensées néfastes qu'il repoussait au moyen de ses observations déguisées en nonchalance. Ils n'ont que peu parlé, inutile de troubler les sensations fragiles avec des mots qui naviguaient entre eux dans leurs silences entendus. Sa main se contracte lorsque son esprit cherche l'échappatoire de la douceur pour le préserver de l'auto-destruction, toujours le même élan, toujours cette même complaisance à la survie. Il s'observe et voit le visage d'un fou, chaque brisure du miroir renvoyant tout le prisme de ses dépravations, tous ses masques ensemble, qui le jaugent à loisir.
Les noms se mélangent, l'écran s'allume, s'éteint, le téléphone vibre, la messagerie dénombre tout ce qu'il manque de la réalité qui continue de vouloir le rattraper. Gregory... Ellis... Phil... Gregory... Gregory... Gregory... Isolde... Isolde... Isolde... Il se prend la tête dans les mains, geint la douleur qui enserre ses tempes, il est allé trop loin cette fois-ci, trop loin dans les réminiscences, trop loin à faire face à ses crimes et il ne supporte pas ce qu'il découvre dans les replis malsains de son esprit. Ses doigts tremblent et les jointures saignent des violences qu'il a consommées pour déchaîner les passions qui tentent d'endiguer les pensées et de s'emparer de son âme. La bête déchaînée lors de la réunion exhale un souffle moribond, il ne tient plus l'insomnie ni les chimères qui se peignent tant et plus devant lui. Lorsque ses yeux tombent sur ses mains blessées, quelque part une alarme soulève son coeur qui bat à un rythme déchaîné, il contracte chaque articulation pour vérifier qu'il n'a pas handicapé la seule extension de son corps qui lui permet d'exprimer tout ce qui meurt à l'intérieur, depuis des années. Non... Ne perds pas cela aussi, ne perds pas ce qui te fait encore exister, ne brise pas les os, tu ne sauras plus jamais faire danser les cordes ou faire ployer les touches... Une retenue dérisoire, vu que la musique s'est tue, qu'il n'entend plus rien si ce n'est sa propre voix qui répond à la tourmente de ses sens sans qu'il ne puisse se comprendre. Un mouvement déséquilibre sa silhouette amaigrie par les journées ininterrompues de ce deuil infâme, il se rattrape de justesse au meuble sur lequel il était appuyé, manque de poser un genou à terre, comme s'il abdiquait, et sa main rencontre les fibres épaisses du tapis persan qui pue cette opulence qui le débecte, se referme sur le téléphone, l'écran qui reconnaît les doigts de son maître se ravive. Et le nom revient, le juge à son tour, il aimerait tant être là-bas, il y a quelques jours, à glisser un bonjour tendre dans le creux de son cou, lorsqu'il parvenait à la surprendre dans la discrétion de sa démarche. Il peine à se redresser, son oeil bleu assombri par la peur scrute son visage émacié, et l'un des masques suggère d'appeler. Dire au revoir, cela se fait... Dire au revoir pour tous les autres adieux muets. Il n'écoute pas les messages, incapable de songer distinctement et dans les confins de la nuit, caresse la touche de rappel, comme l'on convoquerait quelque divinité dans une prière psalmodiée au néant. Il donne le temps au silence de s'affirmer, quand le claquement distinctif dans son oreille lui indique qu'une communication s'établit, mais déjà il a perdu le fil qu'il s'était juré de suivre quelques secondes plus tôt. Si elle parle, il ne comprend pas, son esprit navigue dans des ailleurs dont il demeure prisonnier. Sa voix retentit sans qu'il n'y ait d'affirmation, de demande, de question ou de sens : _ Il fait si froid ici... Si froid. Je n'étais pas revenu depuis... Depuis... Je ne sais plus. J'en sais rien. Je ne sortirai pas, je ne sortirai plus. Il a raison. Je ne sais plus qui a parlé, mais il a raison. Je... Il regarde l'extérieur et se tait, à observer les profondeurs qui cloisonnent toutes ses perceptions réduites à ses angoisses. Son souffle perturbé trahit la douleur et la peine qui ravagent l'ensemble de son être, et finit par se bloquer dans un élan de panique à reconnaître au creux de son oreille la voix d'Isolde, sans réaliser qu'il l'a d'abord appelée. Ses mots se précipitent dans un murmure qui suinte d'abord d'une paranoïa effrayante pour se tarir sans raison apparente : _ Je ne veux pas. Je ne veux pas parler. J'ai essayé tu sais, j'ai essayé. Mais personne ne comprend, personne ne comprend jamais. Ce que c'est que d'être enfermé, à l'intérieur de soi... J'ai froid Isolde, j'ai eu si froid dehors. Je crois que j'avais quelque chose à te dire... mais je ne me souviens plus. Je ne sais pas pourquoi je ne suis pas revenu. Je voulais venir te voir, je suis venu hein ? Je suis venu passer quelques instants dans ta vie ? J'aurais dû continuer... Il quitte la route de nouveau, semble marcher, puis s'arrête à se rattraper à l'un des murs qui lui paraît vaciller sous son poids. Bordel... Tout tourne tellement. Il pose son front contre la surface glacée du mur, il se sait brûlant d'une fièvre qui ne s'étanche plus à la déraison de sa vie, elle se nourrit à présent des remords délivrés, devenue vorace, plus jamais rassasiée. Les masques changent, le garçon perdu et perclus de froid se cache derrière l'homme à la colère déchaînée, la brusquerie des sentiments hérités empoigne ses entrailles à manquer de le faire hurler tellement la douleur est aiguisée. Ses syllabes glissent, acérées, entre ses dents serrées, la voix du monstre qui s'est emparé de lui lors de la réunion glisse entre leurs deux éternités : _ C'est lui qui t'a demandé d'appeler hein ? Je n'ai rien à foutre de ses peurs quand il m'a abandonné devant les miennes. Qu'il crève. Je veux que ça s'arrête, je veux que ça cesse.
Son cri s'étrangle et alors qu'il était adossé au mur, il s'effondre au sol, serrant ses jambes contre lui, prenant peur contre les échos de sa propre voix, tremble de la menace qu'il est le seul à représenter dans l'enfermement de cette maison désertée. Il prend soudain conscience qu'il n'est pas complètement isolé, et sa voix se transfigure, revêt les accents coutumiers bien que son timbre vibre d'une respiration qu'il ne parvient pas à calmer : _ Isolde... Isolde c'est toi ? Où est-ce que je suis ? Je... Je...
« Still she gives you everything you need… Is it enough ? » james & isolde
C’est surtout l’intonation de la voix de Gregory qui l’interpelle, au début. Il avait l’air d’être plutôt une force tranquille, du peu qu’elle avait pu en voir. Et ce tremblement au fond de son timbre trahissait une inquiétude latente proche du désarroi, et d’une crainte viscérale, nichée au creux de son ventre. Incertaine dans les premières secondes, ses propres tonalités commençaient à se mouvoir, à ressentir les effluves d’une compréhension du mauvais présage à venir. Son explication était vague. Un problème avec la production vraiment ? Avec Moira peut-être … Certainement même. Mais peu importe. Elle imaginait mésententes plutôt récurrentes lorsque James Wilde, et son caractère tempétueux perfectionniste, se trouvaient dans la même équation. Alors pourquoi ce problème-là aurait-il été plus important que tous les autres ? Pourquoi en était-il arrivé à décrocher son téléphone pour la joindre elle, sachant qu’ils ne s’étaient vus que deux fois, et qu’il n’y avait selon elle pas de raison que James se soit davantage réfugié entre ses bras, qu’entre les siens. Sue le coup elle a bien envie de lui demander de plus amples détails, qui lui permettraient de se faire une idée plus précise de l’état d’esprit dans lequel il pourrait se trouver. Mais au dernier moment, elle se rétracte, se contente d’une approbation sans fioritures. « Je vois … Oui, je vais essayer. » Sa voix s’éteint davantage dans les méandres de sa seconde phrase, et Isolde ne sait que faire pour le rassurer. Elle ne le peut pas en réalité, car elle n’a pas la moindre d’idée de l’endroit où il aurait pu se replier. Et si Gregory, son meilleur ami, l’ignore lui aussi … Elle n’était d’aucun secours. Quant au fait d’invoquer l’importance peut-être naissante d’un lien qui n’en était encore qu’à ses prémices, il s’agissait là d’un espoir fragile et très incertain. Elle sent la culpabilité dans la voix de Gregory comme une seconde nature, commence elle-même à se parer d’une inquiétude qui transparaît au fond de sa voix éteinte. Ses dernières paroles la glacent d’effroi sans qu’elle ne s’en rende compte. Et ce qui n’était alors qu’une supposition devient alors certitude dans les travers des mots empruntés par Gregory. Isolde déglutit doucement, demeure interdite à se savoir d’une impuissance absolue, à culpabiliser à son tour de ne pouvoir le renseigner davantage. « Si … S’il décide de me contacter … Je vous promets de vous tenir informé. » fut la seule chose qu’elle parvint à lui murmurer avant qu’il ne raccroche, et que les ombres, autour d’elle, se rapprochent.
Le dos enfoncé dans le divan, à contempler sans voir le mur juste en face, elle sombrait peu à peu dans un état léthargique, la main posée juste à côté de son cellulaire qui ne bronchait toujours pas. Le temps était long, chaque minute, insupportable. Et si son corps semblait complètement amorphe, en réalité la tension montait dans chaque fibre de son être, tendant le fil de ses émotions jusqu’à le rompre. Elle oscillait entre l’inquiétude, la crainte viscérale qu’il lui soit arrivé quelque chose, et la colère de le savoir quelque part, frôlant consciencieusement ses propres abysses sans un seul instant se soucier de ceux qu’il laissait derrière lui. Cet homme était un fléau. Une salve destructrice. Un élan impérieux qui défaisait tout sur son passage. Et si sa capacité à créer frôlait le génie, elle ne pouvait s’empêcher de lui en vouloir terriblement. Car il s’était égoïstement emparé de ses barrières, avait caressé sans honte toutes les meurtrissures, sans véritablement prendre la mesure des conséquences de ses actes. Mais elle avait choisi elle aussi, elle le savait. Elle lui avait demandé l’homme. Elle lui avait demandé de lui céder le masque pour le jeter dans l’opprobre, et à présent, elle en payait les frais. A s’apercevoir que le simple attachement furtif qui lie les amants d’un soir, ou d’un temps, n’avait rien à voir avec ce qui la liait viscéralement aux imperfections meurtrières de James. Et qu’il était trop tard à présent. Car comme il le lui avait dit une fois, à l’orée de sa colère. Elle avait choisi. Elle avait choisi oui …
C’est au moment précis où elle commençait à sombrer dans une réflexion dissolue que son téléphone vibra à ses côtés, la faisant hoqueter de surprise alors que ses mains tremblaient brusquement, peinant à se saisir de l’appareil sans le faire tomber. Elle ne prit même pas la peine de consulter de qui était l’appel entrant, se contenta de coller l’appareil à son oreille en prononçant un : « James, c’est toi ?! » dans la précipitation. Mais rapidement, elle comprit que si c’était bien lui, il ne l’écoutait pas. Il était loin, très loin, beaucoup trop loin pour qu’elle ne puisse l’atteindre. L’éraillement de sa voix trahissait une consommation certainement excessive de narcotiques puissants, mais elle y percevait autre chose. Comme … De la détresse. Mais pas de ces détresses oisives, qui vous étreignent le cœur pendant quelques instants avant de libérer de son joug. Non, c’était une détresse bien puissante, mortifère, qui lui donnait l’impression de parler à un enfant esseulé, abandonné à ses instincts primaires et à l’obscurité sans fin. De l’écouter, son cœur cessa de battre quelques instant, se suspendit dans sa poitrine alors que sa gorge se serrait d’une émotion nouvelle, presque désarmante. Isolde s’agrippait avec force à son cellulaire, comme si la poigne qu’elle imprimait sur ce petit objet aurait pu lui être transmise, et aurait pu le maintenir à la surface avec elle. Mais à l’éreintement de sa voix, face aux bribes désorientées qu’il laissait échoir contre le combiné, elle devinait qu’il était déjà trop tard. « Qui a parlé James ? Je … je ne comprends pas … Je ne comprends pas ce que tu essaies de me dire … » Sa voix se saccade légèrement, alors qu’elle essaie de rassembler des indices, n’importe lesquels, qui pourraient le trahir et lui indiquer où il pouvait se trouver. Mais elle ne distinguait rien de suffisamment, ou du moins, rien de suffisant pour étoffer le peu qu’elle savait de lui, et de ce passé qui semblait l’étreindre actuellement avec une force dévastatrice. La colère s’était un instant enfuie de son cœur, remplacée par un désarroi, et une crainte profonde de le voir partir, sans avoir rien pu faire pour le retenir. « Qu’est-ce … Qu’est-ce que tu racontes ? Bien sûr que tu es venu … et que tu vas revenir … James ? » Sa tonalité se suspend encore dans une émotion qu’elle contrôle à peine. Et bientôt, une conviction s’empare de tout son être, devient force furtive alors que sa voix se modèle, pour devenir plus autoritaire, plus impérieuse aussi : « James ? Où es-tu ? Dis-moi où tu es, maintenant ! » Elle serre les dents jusqu’à faire saigner ses gencives, hurlerait bien pour réussir à se désentraver de cette cécité qui l’empêche de voir, et de se mouvoir vers lui comme elle le souhaiterait pourtant. Mais s’il ne lui dit rien, s’il s’enferme ainsi en lui-même, que pourrait-elle pour lui, si ce n’est être spectatrice de sa déchéance et de sa destruction ? Elle refuse de la laisser à cet instinct primaire. Il est allé trop loin, beaucoup trop loin. Et pourtant sa conviction qu’il lui faut le ramener semble aussi forte à présent que la crainte qui l’étreint d’échouer à le retenir. « Si … Si tu laisses ce froid t’envahir James, rien ne cessera. Ce sera pire encore, tu m’entends ? Ce sera pire … » Mais plus elle essaie de lui expliquer, plus elle essaie de le ramener à la raison, plus elle s’aperçoit que les suppliques de son timbre, et la douceur modelée de voix ne l’atteignent pas. Elle perçoit des sons en fond sonore. Vient-il de tomber, ou son esprit lui joue-t-il des tours ? Sa voix se meut en un cri qui vient cisailler son âme. Elle ne sait plus quoi dire, quoi faire, qui ne le fasse pas franchir ce seuil de non-retour qui semble déjà atteint depuis longtemps. Alors les précautions s’envolent, ses deux mains s’agrippent au cellulaire avec une conviction nouvelle, et sa voix vient fendre le silence encore, le brûler quitte à la détruire tout entier : « James ? Dis-moi où tu es ?! Si tu ne me dis pas où tu es, maintenant, je ne te le pardonnerais jamais, tu m’entends ?! Jamais ! Alors dis-le moi … Je t’en prie … » Mais l’interrogation qui suit la désarme complètement dans ses convictions. La lueur dans son cœur s’éteint face à ce timbre désorienté, perdu dans des tréfonds qu’elle ne comprend pas encore, mais qu’elle commence à envisager. Son souffle s’interrompt, son visage se tort de s’apercevoir qu’il est là sans vraiment être présent, et elle reprend d’une voix lus calme cette fois-ci. « Oui … C’est moi James … c’est moi … Dis moi … Si tu ne peux pas me dire où tu es … Dis … Dis-moi ce que tu vois au moins … » Le comble pour une non voyante, de lui demander ce qui l’entourait, quand cela ne lui serait d’aucune utilité. Mais peut-être par la description de son environnement lui dévoilerait-il des indices, des informations qu’elle pourrait réutiliser, transmettre à quelqu’un de plus instruit qu’elle, qui pourrait peut-être lui fournir une adresse plus précise. Elle pensait bien sûr à Gregory, qui sans avoir pensé à l’endroit où il se trouvait, devait pourtant le connaître.
(✰) message posté Mar 13 Déc 2016 - 0:12 par James M. Wilde
« Sigh, static moans A storm growing strong And it's coming my way Still she gives you Everything you need Is it enough ? You're running out of time As it grows in your eye You'll feel Broken inside, you'll feel »
Isolde & James
Ses doigts enserrent l’objet qui lui parle, qui lui parle sans cesser mais dont les mots lui paraissent comme une langue étrangère, il en reconnaît les intonations, il en perce certaines significations et cherche à s’y raccrocher pour s’apercevoir que son esprit se referme sur du vide, tétanisé par le froid qui s’installe dans tous les muscles de ce corps qu’il ne contrôle plus. Combien de shoots à présent ? Combien d’injections à tenter d’oublier les souvenirs et celui qui les a habités ? La culpabilité vient dénaturer les années les plus récentes, les balance aux démons qui s’empressent de les déchirer entre leurs griffes avides, distillant les jours au profit des enfers qui s’y sont souvent tapis. Ses choix deviennent des erreurs, ses réalités d’autres troubles, l’affection qu’il a reçue une tromperie ou pire encore, une pitié maquillée en des élans faussement sincères. Tant d’années à parer l’ignominie sous les fastueux costumes de scène, justifier l’innommable au travers d’un génie qui paraît usurpé dans le jour funeste de ces lieux qui le virent commettre son crime originel. Revenir jusqu’ici rend le voyage houleux, chaque souffle est une contrition, chaque geste réveille des douleurs qu’il savait porter dans les secrets de son âme mais qui pulsent à présent dans une horrible majesté. Sa peau est transparente sur ses veines brûlantes, ses pensées se sclérosent dans cette avidité qu’il ressent de les repousser, les repousser encore pour ne pas se tordre de douleur. Mais sa voix cherche des issues où il n’y a plus que les portes qu’il a lui-même condamnées, une voix blanche de ses fureurs et de ses nuits à dégénérer allongé sur le sol. Le froid s’est insinué jusqu’à ses os et il ne parvient plus à maîtriser les tremblements qui agitent ses membres, qui torturent son esprit. Sa voix fait écho à une autre, parfois légèrement saccadée, comme une soeur fragile à ses affects mortifères, il aimerait la protéger de ce qu’il raconte, de ce qui suppure directement de ses neurones confiés à la folie. L’incompréhension est totale, de part et d’autre, et il divague dans une suite de conséquences que lui seul semble prévoir, des enchaînements qui n’ont de sens que pour ceux qui se perdent à trop s’abandonner. Les émotions viennent chahuter son coeur, mais ce ne sont pas les siennes, ce sont celles de cette voix qui l’accompagne dans la chute libre, toutes ses émotions qu’il reconnaît et qu’il absorbe sans filtre aucun, touché en plein vol par la peine et la colère qui s’emmêlent. A-t-il fait quelque chose de mal ? Oui… Oui… C’est vrai. Il faut qu’il prévienne quelqu’un, il faut le dire, mon dieu, qu’a-t-il fait. Ça ne peut pas être vrai, ça ne peut pas être vrai. Il gémit dans le souvenir oublié, murmure comme un mantra : _ Je ne peux pas revenir, je ne peux pas. Je ne peux pas me montrer à elle, elle ne sait pas, elle ne sait pas qui je suis vraiment. Elle ne sait pas… Oh qu’est-ce que j’ai fait, qu’est-ce que j’ai fait… Ce même appel qu’il a hurlé il y a 13 années, à quelqu’un d’autre, dans un téléphone, jusqu’à glisser dans une torpeur infâme, à gémir sans cesser des phrases incompréhensibles. Le chemin emprunté jadis se rouvre, la seule issue ménagée par la fourberie de sa psyché, pour l’accueillir entre les murs de ses anciens quartiers, ceux qui peuvent contenir l'animalité de sa nature. La fureur le disperse, mais son esprit se cloisonne, dans une aigreur étonnante : _ Non. Non. Je ne te le dirai pas ! Personne ne peut venir ici ! Personne ne peut me trouver à présent. Non. Le sursaut d’une défense déplacée, l’extérieur vécu comme un assaut mortel, dangereux. Il se recroqueville un peu plus, regarde les ombres, en tout sens, comme si de leur écrin pouvait surgir la menace trahie à son oreille. Il claque presque des dents à sentir le froid l’enserrer, planter ses crocs dans sa chair, et la voix continue de le soutenir, elle n’est plus en colère. Peut-être peut-elle comprendre, peut-être… Non… Non. Personne. Personne. Il tente de repousser les glaces diffuses qui suintent de ses blessures déjà refermées après la morsure de l’aiguille, il ne se souvenait pas que c’était aussi douloureux. Pourquoi n’a-t-il pas vécu l’euphorie recherchée, pourquoi ? Pourquoi faut-il que les images décharnées et l’odeur du sang continuent de le torturer ? La panique étreint la compagne de ses silences et de ses cris, la colère est différente, presque invincible, la défense vacille, mais un démon délaisse le cadavre sur lequel il s’acharnait avec patience et ricane dans sa tête. Qui est-elle pour te parler de pardon ? L’éternité n’est rien quand on n’appartient plus à personne. Lâche prise… Son ton est presque désincarné, la douleur fait crisser les syllabes : _ Personne ne peut pardonner ce que j’ai fait. Personne. Pas même toi. Pourquoi… Pourquoi ne me laisses-tu pas tranquille ? Le sanglot s’échappe de sa gorge, un sanglot sec, les larmes définitivement taries à les avoir versées dans tous ses songes. Il ne veut de personne, la honte le malmène et les regrets l’écartèlent. Mais il la reconnaît, il la reconnaît soudain à se briser dans le creux de son écoute, dans le velours de sa peine et il ressent une envie viscérale de la rejoindre, l’appelle, cherche à reconnaître l’espace dans lequel il s’est effondré. Il connaît cet endroit, il le connaît par coeur mais les humeurs malignes qui ont pris emprise sur lui depuis des heures refusent de délivrer la raison ne serait-ce qu’une seconde, pour qu’il puisse livrer l’information nécessaire. La familiarité des lieux se brouille dans ses prunelles cisaillées par la souffrance et il ferme les yeux pour se concentrer sur le calme qu’elle chante. D’autres bribes l’assaillent sans qu’il ne puisse les silencer. Sa voix est lourde, l’effort est immense pour se sortir des eaux trop troubles dans lesquelles il coule.
_ Tu m’as dit un jour qu’il me faudrait savoir si je réussirai… à affronter seul… mes ombres. Je n’y arrive pas. Tout revient dans ma foutue tête… Isolde… Je ne veux pas que tu m’approches. Je ne… La panique le rend à la chute et si un instant il est parvenu à mettre à mal ses adversaires, il est en train de perdre le combat et ne s’illusionne pas de ce seul sursaut qui ressemble de plus en plus à la dernière étincelle que crache une flamme dévorante avant de s’étouffer. Il se sent de nouveau à la dérive de ses peurs, effrayé de ce qu’il devine dans des souvenirs qui s’imposent à lui, malgré la fuite confiée à l’héroïne, tétanisé à l’idée même qu’elle ne devine tout ce qu’il lui dérobe encore, prêt à trahir toutes les promesses pour préserver l’image qu’elle détient de lui. S’il crève dans le déshonneur et l’opprobre, au moins ne poussera-t-il guère le vice à bien plus entacher les souvenirs qu’elle conserve de sa personne néfaste. L’idée de lui dire où il se trouve, de chercher même des indices le pousse plus encore sur la pente dangereuse de la folie furieuse, et lorsque ses yeux se rouvrent, il ne dit plus rien pendant des secondes qui deviennent des minutes. Ses pensées déraillent tout à fait mais la prière qu’elle fait vient étreindre les sentiments qui se nourrissent à elle, des sentiments bien plus profonds qu’il ne le subodore même. Les élans auto-destructeurs se voient balayés et les images reprennent les couleurs de cette nuit tragique, l’air froid entre avec vivacité dans ses poumons qui se brûlent de respirer avec lenteur. Il réalise l’ampleur de sa haine envers les lieux qu’il habitât il y a longtemps, cette maison de famille qui porte encore tant de stigmates, des moments les plus heureux à ceux qui le précipitèrent dans une rage qui jamais ne l’a quitté depuis. Des mots frôlent ses lèvres : _ Ils ont gardé la maison… Ils l’ont gardée. Comme s’ils ne m’avaient pas fait assez de mal. Ça ressemble à un musée maintenant. Il y a des draps sur les meubles, pour les protéger. Alors qu’il aurait fallu tout brûler… On a passé tant de moments ici, elle et moi. Sa voix tremble sur ce « elle » qu’il murmure sur un ton défaillant. Sa voix se modèle encore, un souvenir passe sur sa langue : _ C’est moi qui te fais pleurer, darling, pour que tu te souviennes que jamais tu ne sauras me quitter… Jamais. Jamais. Jamais. Mais elle l’a quitté, elle est partie pour ne jamais revenir, partie à ouvrir ses yeux morts sur les horizons qu’elle ne vivra jamais. Son souffle siffle tandis que la colère et la tristesse joutent devant ses yeux incertains. La promesse qu’il a faite et scellée sur les lèvres d’Isolde vient sonner à ses oreilles, tel l’ultimatum de ses pires craintes et sa gorge se serre, au moment où son esprit délivre l’indice qu’il gardait jalousement, à effacer les preuves de ses actes. Un indice qui vient enserrer les délicatesses d’autres instants qui n’appartiennent qu’à eux, comme l’évidence de la fatalité qui plane sur leurs fronts altiers depuis qu’ils se sont rencontrés : _ Still, still to hear her tender-taken breath… Je me souviens. Keats Grove. La mort sourit de toutes ses dents, et elle compte. Les souffles qu’elle daigne encore lui accorder, les espoirs qui meurent alors que sa main retombe inerte, le téléphone serré dans sa paume blême, coupant de fait la communication, enfermé dans la honte de s’être laissé ainsi découvrir, d’avoir consenti à ce qu’elle le rejoigne, dans un appel enténébré par ses fautes. La mort sourit car elle croit que les jugements achèveront sa victime qui lui sera enfin offerte en pâture, déchirée par celle qui semblait tant vouloir se plonger dans les ombres. Qu’elle vienne donc, les ombres sont toutes prêtes, qu’il périsse plus vite à devoir affronter un autre regard que le sien. Qu’elle vienne et qu’il libère les mots pour les ensevelir tous les deux...
Invité
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(✰) message posté Mar 13 Déc 2016 - 13:20 par Invité
« Still she gives you everything you need… Is it enough ? » james & isolde
Elle ne comprend pas. Elle ne comprend plus. Son esprit se fragmente à essayer de le suivre, à rassembler les bribes d’informations qu’il lui offre comme un présent maudit que l’on ne peut refuser. Et ses membres tremblent à leur tour, se replient à la simple idée de savoir, de s’enliser dans ses peurs et de se perdre en elles. Pourtant Isolde s’accroche, assemble la fermeté trop souvent délaissée de son caractère, cherche à imposer son timbre comme une évidence. Mais il ne l’entend pas. Pire, il ne l’écoute pas, trop loin qu’il est à se terrer dans les revers malsain de sa folie. Et si elle est là, si elle peut presque le sentir, elle ne peut le toucher pour autant. Il ne la laisse pas faire, et déjà elle lui en veut terriblement, sent naître en elle une colère qui frôle la déraison, qui fusionne avec des élans terribles, de ceux qu’elle a ressenti en s’éveillant dans ce monde obscur, à vouloir hurler sa douleur sans y parvenir, car elle se cloisonnait au fond de son corps, prisonnière, incapable de sortir pour la libérer enfin. Dans les quelques paroles qu’il lui offre, au-delà de la douleur intolérable, quelque chose de plus profond et de plus malin se dessine : de la honte. Une honte telle qu’elle se muait en un brasier ardent qui l’embrasait et le pourrissait tout entier. Il était sclérosé par la honte, une honte meurtrière, née d’un acte sans retour. Isolde convoqua le peu de souvenirs qu’ils avaient partagé, se souvint enfin de leur échange, dans ce théâtre. Des indices glissés. Une évidence qu’elle n’avait pas voulu accepter, mais qu’elle avait devinée presque tout de suite. Une phrase surtout lui revint lorsqu’elle l’avait questionné à ce sujet : « La volonté de le faire. L’horreur d’y être parvenu. » Quel lien avait-il brisé un jour, qui aujourd’hui le poursuivait comme une malédiction ? Qu’avait-il fait pour emprunter le chemin sans retour, et être de ces âmes qui avancent vers leur fin, sans jamais se retourner vers ceux qui souhaitent les préserver ? Son esprit s’agite, tournoie enfin à une vitesse qui l’étourdit presque, s’arrête enfin sur cette supposition qui sonne le glas dans son âme, lui fait horreur, mais qui ne parvint pas à la convaincre de l’abandonner à ses ombres. « Qu’est-ce que tu as fait James ? Dis-le moi ! » Mais elle sait au fond d’elle que cela ne suffira pas. Que lui demander simplement ne lui permettra pas d’obtenir la réponse qu’elle attend. Elle sait ce qu’elle doit faire, oui, elle le sait. Mais cette idée la terrifie, car elle ne sait pas ce qu’elle y laissera, et si elle aura assez de force pour s’en sortir ensuite. Si fragile, si faible qu’elle croyait son âme, elle s’apercevait pourtant que malgré les douleurs, malgré les souffrances nichées au creux de son cœur, elle tenait toujours debout. Son équilibre était incertain, précaire, mais jamais elle n’avait permis à ses faiblesses de la vaincre et de l’atterrer. Jamais elle ne s’était retranchée derrière des abandons chimiques illusoires au-delà de ce qu’elle savait pouvoir supporter. Une raison quasi indestructible, extension maligne des intolérances impétueuses de son caractère, qui dès lors lui permettaient de se mouvoir sans déraisonner tout à fait. Et tandis que ses convictions s’étoffent d’une matière sensible, elle sent la voix de James qui cherche à se dérober. Il ne veut pas qu’on le trouve, mais pourtant, il a fini par répondre à son appel. S’il n’avait pas du tout souhaité qu’elle l’entende, qu’elle sache, qu’elle le rejoigne au creux de ses ombres, jamais il n’aurait pris la peine de la rappeler. A moins qu’il soit d’un égoïsme absolu, chose plausible, mais qui néanmoins, lui paraissait fragile compte tenu des circonstances. Non, c’était un appel de détresse, la marque d’un appel au secours, d’une âme qui se flétrit dans le silence depuis trop longtemps. « Je ne te laisserais pas tranquille, tu m’entends ?! Jamais ! Tu as choisi ! Je t’interdis de te dérober … Tu as choisi ! » Répète-t-elle, en réemployant consciencieuse ses propres mots, la voix se sclérosant doucement dans un mélange de colère et de panique. Il avait choisi d’entrer dans son univers, d’y laisser sa trace. Il avait choisi de lui offrir l’homme, et non le masque. Il avait choisi tant de choses qu’elle ne parvenait plus à les dénombrer. Tout ce qu’elle savait, c’est que s’il lui retirait à présent tout ce qu’il avait choisi de lui montrer, elle ne lui pardonnerait jamais. « Quoi ? … Quelle maison ? » elle s’agrippe davantage – s’il est possible – aux contours de son cellulaire, rassemble en elle les derniers indices qui viennent étoffer cette évidence qu’elle devinait déjà jusqu’alors. Parler avec lui, alors qu’il délire, semble ne servir à rien. Mais au moins se rassure-t-elle en se disant que tant qu’il parle, c’est qu’il est toujours présent, quelque part. Que les ombres ne l’ont pas complètement enlacé au point de le faire disparaître tout à fait. L’émotion lui serre la gorge, ne la laisse plus respirer quelques instants tandis que son cœur devient lourd. Touchée dans sa chair émotive par ce qu’il murmure, jusqu’à l’étouffement. Elle ne retient que le Keats Grove, suivit d’un silence. Un silence qui la tétanise quelques instants, quand elle retient derrière ses paupières des sanglots invisibles. « James ? … James ? Tu … Tu m’entends ? » Mais le bip sonore est la seule réponse qu’il daigne lui donner. « Bordel ! » jure-t-elle en serrant les dents, les membres tremblants, son cœur battant à présent à un rythme effréné comme dans une course folle. Ses pensées virent dans tous les sens. Elle sait ce qu’elle doit faire, ne sait par où commencer. Keats Grove, où est-ce déjà ?! Oui, elle connaît ce quartier. Enfin connaître, c’est un bien grand mot. Elle a dû y passer, au gré de ses pérégrinations urbaines.
Un râle s’échappe de ses lèvres alors qu’elle est déjà en train d’enfiler un gilet épais. Dans la panique, elle n’oublie pourtant pas Leela qui dort à poings fermés dans son lit, ne peut décemment pas la laisser toute seule, surtout si elle n’est pas sure de rentrer dans la matinée. Elle s’arme de nouveau son cellulaire, compose le premier numéro qui lui vient à l’esprit. Le numéro composé, son pieds bat la mesure de son empressement, alors qu’une voix éraillée par le sommeil finit par lui répondre : « Allô ? » - « Judy ?! Oh Judy je suis désolée de vous réveiller à une heure si tardive ! » - « M’dame Isolde ? Quelque chose ne va pas ? » - « Il y a eu un …Un incident … Je dois aller rejoindre … Je dois aller le rejoindre … » - « Excusez-moi m’dame Isolde, mais je n’comprends pas … ça va ? » - « Oui oui … enfin non … Pourriez-vous venir surveiller Leela pour moi ? Je vous en prie … je ne peux pas la laisser toute seule pendant que je … » - « Bien sûr. Vous tracassez pas. J’arrive. Allez … Là où vous devez aller, j’arrive dans quinze minutes, le temps d’m’habiller et d’arriver chez vous. Partez, la p’tite va pas se réveiller d’ici là. » - « Merci Judy … merci beaucoup ! Je vous laisse les clefs au même endroit que d’habitude … » - « Filez, j’arrive ! » Isolde pousse un soupir de soulagement, de savoir qu’elle peut compter sur Judy en toutes circonstances. Inquiète de ne pas pouvoir attendre que Judy arrive pour prendre le relais auprès de Leela, elle se rassure cependant en se disant qu’elle ne risque rien, qu’elle l’informera de toute façon par message quand elle sera arrivée. Alors elle referme la porte sur sa silhouette, s’enlise dans le froid nocturne avant de s’enfoncer dans le taxi qu’elle a commandé juste après avoir appelé Judy. « Alors ma ptite dame, où est-ce que je vous mène ? » Mais déjà sa tête apparaît entre les deux sièges, livide, agitée. « Keats Grove ! Vite ! Dans le Hampstead ! » - « Mais à quelle adresse ? » - « Je ne sais pas, allez-y ! » Il abdique face à sa tonalité paniquée et autoritaire, fait vrombir le moteur, et emprunte enfin les rues sinueuses de Londres, jusqu’à la fameuse rue. « Alors, où est-ce que je vous dépose ? » Elle audit cette cécité qui l’empêche de voir, finit par lui répondre avec empressement : « Je cherche une maison … Pas ou peu habitée … Avec peut-être … Une honda noire devant … Est-ce que vous voyez quelque chose ? » Il répond par la négative, ce qui lui coupe le souffle davantage, alors que l’anxiété qui la taraude frôle des élans insupportables. Ils traversent la rue une fois, puis deux, puis trois … Ou est-ce la quatrième fois ? « Ah ici ! Il y a une moto devant ! Et on dirait que … La porte est ouverte ? » - « C’est là ! Arrêtez-vous ! » Crie-t-elle presque en lui balançant des billets pour payer la course, s’engouffrant à l’extérieur sans attendre que la voiture soit complètement immobilisée. « Ça va aller ma p’tite dame ? » s’enquit-il une dernière fois un peu inquiet, avant de s’en aller, s’offusquant peu de l’absence de réponse. Elle aurait aimé pouvoir lui répondre que oui. Mais elle ne savait pas non, elle ne savait pas.
Son souffle chaud blanchit lorsqu’il rencontre le froid. Ses pas, prudents, remontent l’allée centrale qui doit mener au porche, et à l’entrée de la maison. Elle se cogne à une jardinière, jure entre ses dents lorsqu’elle manque d’entrer en collision avec une plante. Enfin elle parvient à atteindre le seuil, dont la porte est … Oui, le chauffeur avait raison, elle est grande ouverte. N’osant entrer au début, ses lèvres glacées viennent fendre le silence morbide d’un « James ? … » Penaud et incertain. Enfin elle ose faire un pas en avant en refermant la porte derrière elle, se heurte encore à quelques objets qui jonchent le sol. Sont-ce des lettres qui s’agglutinent sur le plancher ? A présent, les crissements sous ses pieds lui font penser à des éclats de verre. Le parquet grince. Il y a comme une odeur étrange dans cet endroit calfeutré. Une odeur d’instant suspendu, de demeure maintenue dans un passé, qui ne vit plus, qui ne fait que subir l’enfermement de la mort. Dans ses veines, son sang se glace, ses poings se serrent d’avoir le sentiment de pénétrer physiquement sur un territoire proscrit. Pire que de frôler ses ombres et de les envisager avec lui, c’était comme si son corps se glissait en elles, en subissait les meurtrissures physiques dans l’espace clôturé de cette maison morbide. Ses doigts effleurent un meuble, recouvert d’un drap poussiéreux. Elle tremble, encore, de ne savoir dans quoi elle évolue et ce qui l’attend. « James, tu es là ? » Répète-t-elle encore, enlisée dans sa crainte de n’avoir aucune réponse. Et c’est juste le bruissement d’un souffle qui la soulage, qui lui fait presser le pas, lâcher son sac sur le sol et s’avancer précipitamment vers son corps étendu sur le sol. Ses mains tâtonnent, trouvent enfin une prise sur son buste, remontent enfin jusqu’à son visage qu’elle sent se scléroser sous ses doigts. « James ?! Oh bon sang … Tu es brûlant, et tu trembles …» Sa voix tremble, de constater l’état dans lequel il s’est mis, et dans lequel il continue de s’enliser. Ses mains se pressent sur son front, sur ses tempes. Son corps est d’une lourdeur presque rigide. Et sa main, qui s’appuie sur le tapis, rencontre quelque chose. Un déchet … Un témoignage de sa folie. Est-ce une aiguille qu’elle prend entre ses doigts à présent ? « Qu’est-ce que ? … Bordel ! » Elle balance l’objet du délit à travers la pièce avec rage, le saisit à pleine main par les épaules, le secoue presque à présent. « Combien t’en as pris James ?! Combien ?! » Elle le secoue encore, cherche à lui faire reprendre conscience alors qu’il oscille dans la léthargie la plus délétère. « Combien ?! Parle-moi ! » Sa main s’imprime sur son visage, presque avec violence, cherche à le ramener de cette folie qui l’a poussé aux pires excès. « J’te préviens Wilde, si tu m’fais l’affront de crever sur ce tapis, j’te déterre et j’viens te dépecer moi-même, t’as compris ?! Combien t’as pris de cette saloperie ?! » Sa voix chavire, sombre dans une colère impérieuse, proche de l’amertume, alors qu’elle ne lui accorde aucune pitié dans ses gestes, à ne lui laisser aucun répit entre les bras morbides qu’il convoite tant. Mais en même temps, elle sent la brûlure de ses tempes, et les sueurs froides qui le traversent. A-t-il froid, malgré la brûlure de son corps ? Elle ne sait que faire, se demande déjà quels gestes avoir. Mais elle ne sait pas. Elle ne sait plus. Tout va trop vite.
(✰) message posté Mar 13 Déc 2016 - 21:39 par James M. Wilde
« Sigh, static moans A storm growing strong And it's coming my way Still she gives you Everything you need Is it enough ? You're running out of time As it grows in your eye You'll feel Broken inside, you'll feel »
Isolde & James
Sa main délaisse le téléphone sans même se rappeler qu'elle ne l'a jamais tenu, geste qui pose les prémices de nouvelles envolées, qui cherchent à le préserver de ces sentiments contraires qui grouillent à l'intérieur de lui comme autant de métastases qui puisent leur source dans ses remords attelés de souffrance. Le temps défile et s'oublie à se dévêtir de ses carcans, plus rien n'a de sens dans le dénivelé creusé par l'héroïne qui se met à pulser telle une eau noirâtre dans ses veines, à souffler le chaud dans ses membres, à souffrir le froid dans son coeur. Il ne regarde rien si ce ne sont les bribes de ces souvenirs qui viennent embrasser sa peau et elle se couvre de tous les choix qui le menèrent jusqu'à l'aube de cette déraison consommée, des choix au détour de routes assombries par les élans qui se gravèrent jadis dans le creux du silence. Le silence... Il l'a vécu et subi, la sauvegarde du néant pour ne pas se perdre complètement. S'égarer seulement jusqu'à ce qu'il trouve la route qui lui permit de s'enfuir, l'écrin de la folie pour que la mort ne l'étreigne pas, se rendre à une figure tutélaire qui continuerait de souffler les pérégrinations d'une existence marquée au fer d'une rage aux élans révoltés. Le cri d'Isolde dessine les échos des jugements de son père qui achevèrent de le condamner, de lui faire endosser le masque du monstre pour que la réalité entre en adéquation avec la chimère dessinée au fil de ses doigts ensanglantés. Assumer la bête fut impossible, il fallait la museler, la brimer dans l'implacable silence qui l'a enfermé pendant des mois entiers. Les différents instincts se livrent à présent un combat effréné, ceux qui portent encore la marque inébranlable de la survie noyés peu à peu dans la fièvre des narcotiques et d'autres plus sombres qui ne cherchent que la mort des premiers pour établir leur empire sur son corps, leur patience assassine, au gré des minutes alanguies qui suivent le cheminement de son âme égarée. La question quitte son esprit pour se confronter aux murs, leur donner des accents de brutalité alors qu'il les regarde comme des entités prêtes à le bâillonner. Sa peau manifeste des attitudes bientôt suspectes, à chercher à le contraindre et des réflexes trahissent ce mal transcrit dans des symptômes physiques qui l'agitent alors qu'il se glisse dans les labyrinthes de son esprit, corrompu par la honte et mené par la drogue. La certitude quelques instants plus tôt de se savoir raccroché à l'univers via les oraisons d'une autre personnalité meurtrie s'efface et se laisse conter l'histoire d'une solitude éternelle dont les débouchés deviennent illisibles. Ses yeux s'abîment à la réalité qu'il rejette à présent, excavant la désillusion à chaque fois qu'il les ferme, le noir de ses fautes se substitue au décor de ses crimes. Mais à chaque fois que le néant l'embrasse, d'autres lèvres se rappellent à la familiarité de sa peau, la douleur un instant atténuée par d'autres réminiscences, des retours en arrière qui lui font étreindre des courbes féminines et lui rappellent subrepticement que la solitude est impossible dans le besoin bestial qui le rattache à l'humanité. Son souffle trace le froid et la lutte instaurée et murmure des mots qui complétèrent autant de serments que de mises en garde. L'étau du choix promis dans le creux de ses reins lui rappelle son prénom qu'il utilise comme une parade à la mort qui le nargue. Isolde... Isolde. Pourquoi est-il soudain persuadé de devoir la retrouver ?
L'évidence de la sensation qui surpasse toutes les autres lui fait rouvrir les yeux et il s'aveugle au décor du théâtre de son passé, conscient de se trouver dans l'antre qu'il ne lui fallait pas profaner. Les mains tremblantes, il tâtonne pour se redresser mais son corps ne lui obéit plus, et il demeure prostré, enserré par le froid et tyrannisé par le mal être qui s’imprime dans sa rétine, il s’y glisse tant de peurs qu’il ne voit plus les ombres, se laisse envahir par des environnements opaques. Il a beau se parer du prénom qui lui rappelle d’autres temps, ils semblent si lointains qu’ils pourraient à présent appartenir à un autre. Son coeur entre en tachycardie, il bat pour exister, pulser le sang encombré de toutes les substances infligées, le filtrer des maux au rythme des souffles qui pourtant leur ouvrent la porte, ils entrent en James et s’y installent. Il ne sait plus s’il crie ou si le bourdonnement dans sa tête fêle ses rêves et sa vie, ce sont eux qui agonisent et hurlent de ne pas le voir tendre la main pour les sauver. Il se renferme sur la souffrance, c’est la seule passagère de son errance, elle devient coutumière, une compagne qui s’est d’abord invitée sans qu’il ne fasse mine de la convoquer, mais qui maintenant est la seule amie qu’il connaît. Il se laisse ravager, mener par chaque crissement qui tel une lame déchire son esprit, c’est un souvenir qui s’évade, se transfigure à la folie, se mire dans le miroir des exactions et ainsi endimanché de terreurs, reparaît pour briller des noirceurs de ses oripeaux. James bascule dans une valse à contre temps, il sait où il se trouve, il a la notion de chaque meuble dissimulé sous les épais tissus blafards, qui sous les rayons de Lune paraissent presque nacrés, il sait ce qui l’a amené jusqu’ici, il sait tout sans que rien n’ait d’importance si ce n’est cette douloureuse amante qui tord ses muscles et ploie son âme. Il se retire en lui-même pour se regarder et ce qu’il voit l’épouvante. Il croyait recouvrer la notion du monstre mais son portrait s’est depuis longtemps aggravé à l’oubli, le silence empesé lui a donné une face affreuse, celle de la honte dévorée, les meurtrissures assumées dégueulent leurs ténèbres et chaque trait se fracture à se porter depuis des lustres sur un visage qui n’a su avancer que sous couvert d’un masque. Dessous, la putréfaction des affects reniés, le renoncement a peint les horreurs baignées dans des lueurs pourpres, presque fantasmagoriques. C’est trop tard, ses yeux ne peuvent se détourner, et le silence du cri qu’il ne parvient plus à pousser le carcante à un état proche de la catatonie. Il ne murmure plus rien… Qu’y aurait-il à confier à celui qui le connaît mieux que quiconque et qui sait déjà tout ? De l’étoffe malsaine à la fibre assassine.
Il ne l’entend pas pénétrer dans sa prison glacée, il n’entend rien que son coeur qui cogne contre sa poitrine à vouloir s’échapper. Mais il n’est plus possible de partir, la notion même de fuite s’est consumée à la flamme des prunelles monstrueuses. Je ne suis que toi… J’ai toujours été là. Le décor se fige en vibrant encore de cette colère qui s’est étanchée alentour pendant des heures entières, l’étreinte de l’héroïne n’est parvenue qu'à apaiser l’esprit mais n’a pas endigué les assauts de son corps, tout est brisé, les cadres qui maintenaient les photos qui restaient de cette vie délaissée, les objets qui trahissaient leur passage et leurs mains enlacées, les surfaces qui savaient réfléchir son image qu’il ne pouvait plus supporter. Les grincements de son avancée ne le détournent pas de son observation, figé dans l’éternité du déshonneur, il prend le changement d’atmosphère pour les échos des enfers qui ne peuvent qu’à présent l’engloutir. Son nom… Quelqu’un semble l’appeler, mais il ne saurait dire, il confond son identité à celle de la bête qui sourit devant lui, tous crocs dehors, acculée par la confrontation elle ne cherche plus qu’à dévorer celui qui la retient encore. Que les murs cèdent, que la folie le prenne tout à fait, qu’il assume enfin de n’être que cela, le vice chevillé à des instincts meurtriers, l’envie acérée de corrompre et de broyer. Le souffle chaud du prédateur caresse sa nuque qui se hérisse soudain, la peau frémit, l’oscillation est infâme, le plaisir d’être meurtri à son tour ou celui de refuser encore cet inéluctable si longtemps clamé. Les secondes s’étirent et le bruit alentour vient soudain les briser, tout s’accélère et la bête rugit de se voir dérangée dans ce face à face qui n’admet guère d’intrus. Qui peut oser ? Le regard vide de James se focalise sur la source qui vient déranger la danse mortelle qui l’avait entrepris, et lorsque des doigts cherchent à s’accrocher à son corps presque mort, il sursaute, la violence l’écartèle à vouloir échapper, une réaction farouche, animale, alors que ses dents serrées crachent des mots déformés par une peur brutale, l'écho du moment funeste de la réunion : _ Ne me touche pas ! Je t’interdis de me toucher ! Sa tête heurte le mur, la douleur ne le rendant que moins coopératif tandis que la réalité se meurt à se confronter à des terreurs ancestrales, celles qu’il a conservées des mois qui l’ont vu cloisonné. Le contact non convoqué devient une torture et sa peau se couvre d’une brûlure frémissante, sans que les paroles d’Isolde ne l’atteignent encore. Les mots s’étranglent dans sa gorge, mais ils sont tous faits de la même teneur, une défense arrachée aux marques imprimées par la folie dans son esprit. Lui qui fut autrefois un enfant très tactile ne peut admettre à présent que d’envahir les espaces qui ne lui appartiennent guère pour savoir ensuite céder quelques pouces de terrain, et laisser aller son corps à être apprivoisé par un contact étranger. Voilà pourquoi il s’invite sans cesse dans la sphère de tout le monde mais bataille avec la violence viscérale dès lors que ses vis à vis font de même. Seule l’étreinte amoureuse lui permet de conserver l’ascendant qui le laisse rassuré, et il est tellement rare qu’il sache alors se donner. Mais il a su le faire entre les doigts d’Isolde, et briser les peurs au son des serments sur ses lèvres, ce qui ne rend que cette réaction plus déplacée encore, alors qu’il ne la reconnaît pas, que ses mots vrillent son ouïe, tandis que sa peur panique le fait presque se reculer jusqu’à fusionner avec le mur délabré. Ses paupières papillonnent, la colère étrangère vient cueillir ses défenses et plutôt que de les renforcer, vu l’état catastrophique dans lequel il se trouve déjà, les broie aussitôt, le rendant à une docilité maladive, à répondre dans un ton désincarné, comme ces âmes perdues qui prennent les automatismes des interrogatoires froids qui suintent des lèvres épaisses des aide-soignants : _ Je ne sais pas. Je ne sais pas. Je ne sais pas. Pas assez. Sûrement pas assez. Pas assez. Il boucle, le regard toujours vide, ne se posant nulle part, confiné aux ombres qui habitent dans sa tête et les cris redoublent, il a l’impression d’être secoué de la léthargie dans laquelle son corps tente de nouveau de se confiner. La panique a vidé le peu d’énergie qui semblait lui rester, mais la colère vient déranger le monstre qui s’était gentiment détourné de sa proie pour observer la scène, sans encore décider s’il lui fallait intervenir pour repousser l’importune. La violence des gestes sur son visage finissent par faire réagir l’épiderme, mais l’instinct change encore, la déraison de Wilde le fait naviguer dans toutes les directions à la fois, et ses prunelles se fixent enfin sur le visage féminin qui se penche sur lui. Le délire aggravé par la douleur le fait un instant halluciner et des mots d’une abyssale tristesse débutent une phrase arrachée à la honte : _ Reb’… Rebecca… Je ne veux pas te faire de mal, tu le sais ? Hein ? Tu le sais ? Sa main imprime un mouvement et vient caresser les contours du visage mais ne reconnaît guère le fantôme qui tout à coup disparaît. James aperçoit Isolde et son souffle élabore une respiration d'abord saccadée par la surprise puis ralentie par l’assaut de la seule réalité qui parvient à l’apaiser. La voir transfigure ses traits, la reconnaître chavire la folie qui ranime l’homme emprisonné. Ses doigts frôlent sa joue en une caresse éminemment rassurante, qui détonne avec la peur qui les entoure et les enserre : _ Chut… Ça va aller. Ça va aller. Je frôle l’abandon mais je suis encore là. Isolde… Isolde… Je ne veux pas que tu me voies comme ça… Le ton s’enténèbre, ploie sous la douleur qui referme sa bouche et comprime son souffle. Ses doigts demeurent posés sur sa joue, contact qu’il ne parvient plus à rompre, qui laisse pour le moment la bête à distance, la bile de la frustration s’échappant de ses crocs. Elle grogne, chaque grognement perce le coeur de James d’une douleur pire encore que l’assaut précédent, ses iris se troublent et il lutte pour ne pas gémir, sa mâchoire serrée. Le désespoir filtre par tous les pores de sa peau couverte de sueur : _ Il faut que tu t'en ailles... Il faut que tu partes...
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(✰) message posté Mar 13 Déc 2016 - 23:49 par Invité
« Still she gives you everything you need… Is it enough ? » james & isolde
Ses mains tremblent davantage à présent, alors qu’elle sent tout son être la rejeter comme un corps étranger néfaste à sa propre sauvegarde, ou plutôt, à sa lente destruction. Mais elle ignore son dégoût, et ses gestes qui cherchent à l’éloigner sans y parvenir. Sa prise se resserre, devient d’acier, profane le territoire de son corps en ne se fiant qu’à ses propres instincts qui l’enveloppent, et l’emprisonnent dans un carcan nouveau. Isolde ne réfléchit pas. Ou alors réfléchit-elle trop, à fulminer d’une rage nouvelle, à le haïr de cette souffrance à laquelle il s’abandonne. Exiger son corps, exiger qu’elle le regarde, qu’elle le voit enfin, pour ensuite tout détruire de ses élans meurtriers. Elle ne lui pardonnait pas cet affront-là. Pas pour l’instant du moins. Dans un choix conscient, mais plus proche du viscéral que du libre-arbitre, elle se sentait s’enliser dans l’épaisseur poisseuse d’ombres morbides qui ne lui appartenaient pas. Les siennes l’accompagnaient, avides de la regarder ainsi se glissant d’elle-même dans l’abîme, comme la proie se rendrait docilement face à l’arme du chasseur sanguinaire. Les réminiscences lui reviennent comme des évidences. Pourquoi a-t-elle un jour suggéré qu’il lui faudrait quelqu’un pour l’accompagner au travers de ses ombres pour les affronter ? Pourquoi fallait-il que celui qui profère et suggère, soit celui qui se retrouve à devoir se salir les mains à son tour ? De le voir dans un tel état et de se savoir impuissante à le soulager la rend presque malade. Ses rejets se répercutent contre son âme, la tordent et retordent de mille et une tortures silencieuses qu’elle fait taire au fond de son cœur qui crie à présent de ce qu’on lui inflige encore. S’en est presque trop par rapport à ce qu’elle pense pouvoir supporter, et un fragment de sa résistance se fissure, même si elle n’en ressent pour l’heure pas encore les stigmates. Plus tard peut-être, se rappellera-t-elle malignement à son souvenir, clamera-t-elle son existence en suppurant du dégoût qu’elle nourrissait alors. Ses doigts s’animent, obtempèrent, deviennent des cavaliers impérieux qui viennent pourfendre le champ de bataille, cisailler les chairs avec un rage féroce. Sa mâchoire se crispe, ses mains cherchent à raffermir leur prise autour de son visage pour d’une part le voir, et l’autre part, le rappeler à cette réalité qu’il semble avoir délaissé depuis trop longtemps. C’est la première fois qu’elle rencontre la déliquescence de l’héroïne, qu’elle la regarde dans les yeux, et qu’elle rit d’elle, toute puissante qu’elle est à s’insinuer dans les veines sans qu’elle ne puisse rien faire pour l’arrêter. Cela lui rappelle presque l’état léthargique, désentravé de toute émotion, dans lequel vous place la morphine lorsque vous en faites une consommation abusive. Mais l’héroïne est plus sournoise, oui, beaucoup plus sournoise. Car si elle flétrit le corps, elle semble rendre l’esprit à ses instincts primaires de sauvegarde, à le laisser lutter, nu, désemparé, solitaire, contre les assauts du cauchemar. Et elle ne la laissera pas faire non, elle refuse de lui accorder ce pouvoir. Il veut être damné, détesté, consumé par la haine ? Bien, soit. Qu’il le soit. Mais qu’il le soit par elle, et non par cette compagne chimique sur laquelle elle débecte déjà tout son dégoût et son mépris.
La réponse qui vient s’échouer enfin contre ses lèvres la révulse encore plus. Pas assez répète-t-il, fou qu’il est, confiné dans ses excès qui ne lui permettent pas de voir qu’il a frôlé le non-retour et l’overdose. Mais peut-être était-ce ce qu’il voulait au fond ? Pénétrer sa chair de milles aiguilles, rendre son sang sirupeux de cette substance sans pitié. Mais pourquoi l’avoir appelée dans ce cas ? Pourquoi lui présenter le spectacle de son calvaire si ce n’est pour lui faire subir un dernier caprice, un dernier instinct égoïste ? Cette pensée-là se répète au fond de sa conscience comme un leitmotiv rayé par ses abus intolérables, et elle le hait davantage, de concevoir qu’il a pu certes, l’appeler par détresse, mais aussi, par instinct destructeur. Sous ses doigts, elle sent les émotions contradictoires qui fragmentent ses traits, viennent rouler sur eux comme des éclairs furtifs sans qu’une seule ne parvienne à contrer toutes les autres. Elle le préfère en colère, elle le préfère furibond plutôt qu’astreint à cette léthargie infâme qui le confine dans des espaces qu’elle ne peut atteindre. Alors malgré tous les sentiments contradictoires qui l’animent, malgré cette envie furieuse qui l’a saisie un instant de le laisser-là pour s’affranchir de son égoïsme malsain, elle ne peut concevoir de l’abandonner maintenant, n’y arrive tout simplement pas. Ses forces l’abandonnent le temps d’une respiration suspendue, lorsqu’il convoque un prénom. Ce prénom qu’elle ne connaît, pas encore, et qui n’est pas le sien. Ses traits se décomposent, ses prunelles rendues à une morosité pourtant livide semblant s’animer d’une lueur incertaine, d’une tristesse infinie. « Rebecca … ? Qui … Qui est-ce ? » murmure-t-elle tout en sachant qu’il ne lui fournira pas de réponse. Mais par le seul témoignage de cette hallucination qu’il vient d’avoir, la réponse qu’elle cherchait, il vient de la lui fournir. Il lui a donné malgré lui toutes les armes, et toutes les clefs pour le pousser à l’aveu, pour l’enfermer dans ses vices et le forcer à les affronter. Elle savait ce qu’elle devait faire à présent, elle savait. Le guider vers ses ombres, le mener en elles, le pousser à les affronter, quitte à ne pas en revenir. Elle avait si peur tout à coup que le froid la saisissait toute entière, étreignant son corps comme une amante délicate dont le contact la révulsait et la faisait vibrer tout à la fois. La conscience de ce paradoxe lui renvoyait au visage son propre goût pour l’autodestruction, sa propension parfois morbide à vouloir frôler le précipice, quitte à prendre le risque d’y sombrer, et d’aller se fracasser contre les récifs de ses douleurs. Enfin l’hallucination laisse place à une seconde de conscience, et le contact de sa main brûlante sur sa joue glacée d’effroi la tétanise, et l’électrise dans un même élan. Ses lèvres s’entre-ouvrent, cherchent à inspirer cet air qui lui manque, et qui reste bloqué au fond de sa gorge. Comment osait-il ? Comment pouvait-il lui murmurer que tout allait bien, quand il dansait sans honte contre le corps d’une mort certaine ? L’émotion transcenda la colère qui l’animait pendant quelques instants. Juste le temps que ses pouces impriment une caresse contre ses joues. « Qu’est-ce que tu racontes ? … Tu ne sais pas ce que tu dis … Tu ne m’aurais jamais rappelé … Si tu n’avais pas voulu que … Que … » Sa phrase vient mourir au fond de sa gorge, ne connaîtra aucun épilogue. Sa volonté de la voir partir vient l’étreindre comme un souffle violent et putride. Elle perçoit la frustration entre ses dents, sent la colère naissante au creux de son corps qui vient lécher son âme perdue dans l’abandon chimique. Sa mâchoire se serre sous ses mains, à en faire crisser les dents, et saigner les gencives, mais elle ne lâche pas prise. Au contraire, elle décide de se saisir de l’instant où la colère reparaît un peu, pour s’engouffrer comme une ombre maligne à son tour, pour écarteler la faille quitte à la rendre béante.
« Il n’est pas question que je parte. » La fermeté de son timbre, jusqu’alors colère et impérieux, se modèle pour devenir plus rude, plus pernicieux aussi. Ses mains quittent son visage, s’abattent sur ses épaules avec une fermeté décuplée par la colère qu’elle ressent de le voir ainsi, perdu, soumis à des souffrances qu’il ne sait plus maintenir en respect. Ses doigts se referment autour du vêtement qu’il porte, transpercent le tissus, s’imprègnent sur l’épiderme jusqu’à avoir l’impression que se sont ses os tendus sous sa chair qu’elle cherche à saisir, et non une partie son corps. « Je ne partirai pas tant que tu ne l’auras pas dit. » elle devient autoritaire à présent, et la douceur naturelle de ses traits se transfigure, se modèle en un démon impérieux qui se matérialise à l’orée de sa folie pour l’y précipiter tout entier en le torturant au passage. « Relève-toi ! » D’un geste brutal, elle redresse le haut de son corps échoué contre le sol, vient narguer la bête qui se tapie pour la réveiller toute entière, et attiser sa fureur. Ses mains le secouent une fois, l’acculent enfin avec violence en le poussant contre le mur. Mais jamais elle ne lâche prise, sentant presque ses veines palpiter sous ses doigts qui pourraient presque transpercer la chair. « Qu’est-ce qui s’est passé James ? Tu vas me le dire, même si j’dois te torturer pour que tu l’avoues enfin, t’as compris ?! Relève-toi ! » Mais dans ce dernier ordre, elle ne sait plus si c’est son corps qu’elle veut qu’il relève, ou son âme. Sans doutes les deux. « Qu’est-ce que tu as fait ?! Dis-le !» Sa voix devient un cri brutal, un choc frontal qui n’acceptera aucune dérobade, qui ne le laissera à une paix illusoire, et à un abandon quelconque que lorsqu’il aura avoué enfin, qu’il aura mis des mots sur les mensonges, sur les masques, sur les injures, sur tout ce qui l’a poussé à se retrancher ici ce soir. « Qu’est-ce que tu lui as fait ?! » Et cette fois-ci, elle insiste bien sur le « lui », sachant qu’elle a visé juste, qu’il n’y a pas de tromperie possible. Elle sait que c’est un acte irréparable qui l’a conduit à la folie, elle le sait sans qu’il n’ait besoin d’en invoquer les détails. Mais elle sait aussi qu’il ne peut y avoir un quelconque dénouement sans que ce ne soit lui qui mette les mots sur ce qu’elle devine déjà. Il doit le dire. Il doit le formuler. Mais elle connaît sa colère, l’a déjà aperçue. Et elle sait que pour qu’il arrive au point de rupture, il lui faudra de la résistance. Résister à la peur qui se tapie au fond d’elle à présent, à défier la bête blessée tout en sachant pertinemment que sa dernière riposte sera sans doutes plus rude que toutes les autres.
(✰) message posté Mer 14 Déc 2016 - 11:42 par James M. Wilde
« Sigh, static moans A storm growing strong And it's coming my way Still she gives you Everything you need Is it enough ? You're running out of time As it grows in your eye You'll feel Broken inside, you'll feel »
Isolde & James
Leurs peaux se touchent et leurs souffles saccadés s’entremêlent dans une joute qui ne ressemble en rien à celle qui les fit se rejoindre dans les secrets de la nuit. Cette nuit-là est plus dangereuse, elle cherche à dérober le corps de James qui se couvre d’instincts qui serpentent sous sa peau, la gravant de frissons désagréables. Dès qu’elle le touche, il se brûle, dès qu’elle cherche à le ramener il se ferme un peu plus refusant tout contact entrepris qu’il ressent comme un assaut contre les fragiles murailles de son cocon de noirceurs. Mais il ne peut plus l’ignorer, sa présence est partout, trahit ses sens qui finissent par se ranimer, donne une nouvelle clarté à ses regards qui la cherchent à présent dans le cercueil des ombres, ne sachant s’il lui reste à l’ensevelir avec lui ou s’il lui faut la rejeter une toute dernière fois. Il tente de le faire, il tente d’esquisser des gestes contre les siens, de couper les routes à ses élans pour les réduire à l’impuissance, de dessiner les évidences de ce néant qui se faufile entre eux. Elle ne peut le rejoindre, il ne le souhaite pas. Alors pourquoi l’avoir appelée, parce que c’est ce qu’il a fait n’est-ce pas ? Pourquoi avoir sermonné ses démons avec son nom, s’en être servi comme d’un ultime rempart pour ne pas s’abandonner aux abysses de la mort ? L’ambivalence de ses pensées qui cheminent à la vitesse synthétique de l’héroïne, venant hurler des mots aux atours d’injure dans sa tête, l’écartèle contre ce mur, il cherche à fuir les glaces de la damnation, il cherche à échapper aux brûlures de sa condamnation, il ne sait plus, il devient fou et s’enferme encore plus dans des replis inconnus de quiconque, son corps se durcissant à la torture des souffrances qu’il lui faut endurer pour emprunter l’horreur de cette échappatoire. Mais elle est bien trop forte pour ses parures ténébreuses, elle les déchire, elle les arrache et il se retrouve mis à nu, sa peau blême fascinée par ses peurs, il tremble de devoir les affronter alors qu’il subit les prunelles aveugles et acérées d’Isolde, celle qui est enfermée dans d’autres carcans à l’opacité crue, et qui pourtant sait le deviner où qu’il court, où qu’il tombe ou se cache, leurs noirceurs fusionnant pour donner une toute autre réalité. Les yeux de James s’écarquillent à la regarder, elle lui apparaît telle une amazone farouche qui serait venue le traquer jusque dans les paysages chimériques de son territoire vicié par l’héroïne, calfeutré par la honte, défiguré par la peur qui cisèle des environnements fantomatiques qui n’effrayent que lui et qui ne parviennent guère à la freiner elle. L’ire qu’il a tant cherchée dans le creux de son âme au rythme des injections répétées n’a su que se flétrir à ne plus savoir sur quoi s’appuyer, ne cédant pas encore devant les appétences de la bête, préférant se lover sur le sol à jouer le rôle de l’entité moribonde, inefficace. Mais ses doigts qui s’enfoncent dans sa peau, qui griffent ses nerfs, viennent la modeler d’une toute autre splendeur, et elle se manifeste en tordant les muscles et en nouant son ventre. Le monstre qui s’était saisi des tranchées creusées par la drogue pour traquer l’âme se contente à présent de suivre sagement celle qui ouvre des voies plus directes encore. Qu’elle débusque donc le gibier, elle ne fera que le dévorer lorsqu’il sera enfin à sa portée.
Elle a craint pourtant… Craint qu’il ne reste rien pour sustenter sa voracité, craint qu’il se soit déjà trop approché des frontières mêmes de leur petit univers, pour les pourfendre une dernière fois et basculer dans l’étreinte cadavérique de l’oubli. L’héroïne fut au départ sa plus altière amie, à le dépouiller de toutes ses défenses pour qu’il ne puisse plus opposer aucune résistance à la haine et à la honte qu’elle porte sur ses traits mortifères, mais sans doute qu’une dose de plus l’eut arraché à elle et il n’aurait plus été capable de la regarder et de gémir d’horreur. La bête est heureuse à présent de se savoir protégée par une alliée qu’elle a d'abord considérée comme une ennemie. Cette femme le ranime à d’autres souffrances, plus abyssales encore que celles qui ne purent être totalement étouffées dans l’écrin doucereux d'une chimie trompeuse. Les mains d’Isolde le malmènent, semblent vouloir lui arracher l’aveu de la destruction criante qui fait ployer son corps, pour obtenir le seul aveu qu’il conserve encore, jalousement enchâssé entre les griffes de sa peur. Une honte telle qu’elle verse en son âme des poisons qui sont devenus insupportables, le goutte à goutte de ses fautes devient un véritable torrent lorsque le prénom de Rebecca quitte ses lèvres pour se joindre à une autre bouche que la sienne, lui rendant une identité presque palpable, le faisant se recroqueviller plus encore. Non. Non. Ce n’est personne. Personne. Elle ne peut pas lui parler d’elle, elle ne peut pas. Le monstre penche la tête, sourit encore, la chaîne qui le maintient au mur de la déraison est fort longue et il tire un instant dessus pour éprouver sa résistance. Si seulement il pouvait susurrer à l’étrangère que bien au contraire, il lui faut encore dessiner ce prénom dans l’éther de ses peurs, pour la délivrer enfin. James repousse la bête enchaînée lorsqu’il esquisse le geste tendre qui suspend l’instant de la lutte pour mieux lui cueillir les entrailles de douleurs redoublées. Il meurt presque devant la douceur qu’elle dessine sur ses joues, ne pouvant guère lui répondre dans l’incohérence qui le tenaille, ne souhaitant pas répondre de peur de voir filtrer tout ce qu’il dissimule. Il rompt le contact au moment où elle affirme rester, la brutalité confondue à la tonalité de sa voix achève d’encombrer le paysage de cette rage qui ressuscite lentement, trouvant enfin une prise à cet affront qu’elle ose dessiner contre lui. Il cherche à réitérer sa supplique, qu’elle parte, qu’elle parte à présent, vite, mais la colère nourrie soigneusement par les avidités de la bête qui ne se tapit plus l’empêche de formuler ce qui s’efface déjà. Sa respiration s’accélère de nouveau lorsqu’elle éprouve une violence assumée contre son corps inerte, il lui semble que ses doigts fusionnent à présent à sa chair douloureuse, traversent le t-shirt qui ne le pare ni du froid, ni du mal. Les mots viennent hurler à ses oreilles, le bruit des chaînes qui commencent à briser leurs anneaux, le rugissement pervers de cet autre qui se cache encore à l’intérieur de lui, trop heureux de sentir les relents morbides de la liberté que James continue de lui interdire. Le monstre exulte, hurle tout ce qu’il peut dans sa prison de chair, la peau tremble, les membres frissonnent, la bouche de l’hôte continue de taire ce qui lui est pourtant sommé de prononcer. Dis-le… Dis-le. Rends-moi mon essence, laisse-toi faire. Elle veut les ombres, elle te l’a toujours dit, elle les souhaite. Alors pourquoi les lui refuser encore alors que tu n’es plus capable de les endurer ? Souviens-toi comme c’est facile, c’est si facile d’enfin assumer ce que tu es…
James murmure des mots incompréhensibles, de plus en plus virulents alors que ses dents se serrent à exploser. L’univers de ténèbres vire au rouge au moment où elle le redresse violemment contre le mur et qu’elle crie, qu’elle demande, qu’elle exige encore. La force qu’il croyait abandonnée aux creux de ses bras meurtris par les aiguilles lui revient peu à peu, arrimée à son corps comme un poison plus virulent encore que cette honte dans laquelle il sombrait et ses yeux viennent se poser sur la folie d’Isolde, celle qui la pousse à vouloir le révéler. La douleur de ses gestes est presque une bénédiction, elle lui rend son altérité, son sentiment de puissance, elle exhume la rage qui étreint son coeur lui faisant perdre la mesure de ses respirations saccadées. La bête tire sur ses chaînes jusqu’à se blesser plus encore, prête à ronger sa propre chair pour à présent se libérer, et planter ses crocs dans son âme corrompue, enfin prête à se donner à ses noirceurs. Oui. Oui, vas-y. Parle, parle ! Parle et montre qui tu es. La prise d’Isolde se resserre encore, ses mots encerclent sa peau et scarifient sa chair qui renaît dans l’extrême douleur pourtant anesthésiée par cette colère si semblable à celle qui l’a habité ici même, dans ces lieux qui le virent basculer. Il se redresse sous sa poigne, son corps se cloisonne de cette virulence sommée, la peau durcie plaquée sur des muscles ciselés tels des os, et au moment où elle ose appuyer sur ce « lui » qui ranime le fantôme et le monstre ensemble, c’est sa propre main qui vient brutalement cueillir l’épaule d’Isolde, enserrer ce corps qui crie la folie, et elle bat à ses tempes, bat tant et plus qu’il se relève soudain pour confronter l’ennemie, surpris de ne pas se sentir une seconde vaciller alors qu’il se retrouve debout, à la bloquer entre l’étau de son propre corps et celui du mur. Les chaînes retombent, la bête s’est libérée et fusionne enfin avec la chair qui l’emprisonnait, brise tous les masques pour ne plus que dévoiler la violence du sien, une fureur dans les yeux et la rage qui étreint tous ses traits. Le monstre murmure, murmure des pensées néfastes, qui durcissent les doigts de James sur l’épaule qu’il malmène un peu plus encore. Tu peux lui dire… Tu peux lui dire mais pourquoi faire ? Elle te hait, elle te hait elle aussi, alors ce serait si facile… Si simple de la broyer contre ce mur, non ? Les mots sont inutiles à présent… Laisse-moi faire… Les aveux à double tranchants paraissent traitres, le monstre n'en veut plus. Un tremblement parcourt entièrement son échine mais ce qui reste de lui sous le manteau de la colère qu’elle vient de réveiller est encore suffisamment conscient pour que la violence des gestes se substitue à celle des cris. Des cris qui délivrent l’aveu, la honte et aussi la douleur, quelques mots aussi aiguisés que des poignards : _ Elle est morte ! Elle est morte ici parce que je l’ai tuée ! La bête tremble de peur un bref instant, cette peur maladive de se voir aussitôt enchaînée par les remords mais la rage est tellement imprimée dans l’âme qui vient de lui être jetée en pâture que James demeure face à Isolde, son corps entravant le sien dans un réflexe qui oscille à présent entre la défense et la menace, l’étau de ses doigts dans la chair de son épaule pour lui rendre les familiarités qu’elle a su oser envers lui, son autre main vient saisir son visage pour qu’elle ne puisse le fuir, le geste est brutal dans l’intention mais se refuse à marquer la peau qu’il ne fait presque que frôler. Le cri est mort sur ses lèvres qui ne font plus que modeler la dureté de cette âme coupable, qui crève d'être rendue à l'horreur qu'elle fuyait depuis tant d'années : _ Je l’ai tuée. C’est ce que je suis. Ce sont les ombres que tu voulais.
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(✰) message posté Mer 14 Déc 2016 - 18:38 par Invité
« Still she gives you everything you need… Is it enough ? » james & isolde
La bête emprisonnée sous les os se déchaîne contre la cage thoracique, cherche à s’affranchir des barreaux de chairs qu’elle malmène avec une volonté qui frôle à présent la déraison. Son cœur bat la mesure de la répulsion et d’une rage altière. Isolde sort de ses gonds, les fait sauter un à un à se confondre dans un état qui ne lui ressemble guère, et qu’elle a rarement éprouvé avec autant d’intensité. La vérité, c’est que l’instant donne à ses propres colères, ses propres frustrations, l’occasion de se déchaîner alors qu’elle les astreint si souvent à un silence statuaire. Toutes les souffrances accumulées, toutes les sensations décuplées par une obscurité qui la révulse se déferle sur le corps de James, transparaît dans la prise violente de ses mains frêles qui si elles le voulaient pourtant, pourraient fragmenter les os, et rendre friable toute chair qui chercherait à la défier. Sa mâchoire se crispe de cet élan qui la grise et la débecte tout à la fois. Elle aime cette colère qui la consume. Elle l’aime tant qu’elle voudrait pouvoir la goûter encore, la sentir au creux de sa main, au coin de ses lèvres, la voir courir contre son échine quitte à lui faire oublier le calme déraisonnable qu’elle souhaite si souvent étreindre, pour se donner l’illusion d’être autre chose qu’un carcan de chair désincarnée. Son esprit s’affranchit des contraintes de la raison, goûte avec un délice presque visible les amertumes tortueuses de ses souffrances. Elle a l’impression d’ouvrir la plaie en deux, de placer ses doigts de part en part, et d’en faire sauter les sutures avec puissance. Elle pourrait presque y plonger les mains à présent, glisser dans l’abîme noirâtre jusqu’à pouvoir en sentir la texture qui enveloppe ses doigts, comme le feraient les entrailles mises à nus entre les pans ouverts d’un ventre flasque. La sensation devient si palpable pendant quelques instants que ses lèvres entre-ouvertes tremblent de cette envie irrépressible et dégoûtante qui la tient en étau, et lui montre l’évidence de ses propres noirceurs. Haïr, jusqu’à se griser de la destruction, jusqu’à apprécier la sensation des chairs dissolues, rendues à leur état le plus cru et le plus sanguinaire. Sa langue s’impose contre son palais aride, y trouve presque la saveur du sang frais qui se mêle aux notes salées de sa salive. Sa respiration s’altère encore, de ces pensées morbides qui l’assaillent sans qu’elle ne sache pourquoi, rendues possibles par cette colère qu’il a fait naître en elle. Mais l’a-t-il fait naître en réalité ? Non, il n’a fait que réveiller cette entité qu’elle dissimule, qui s’est modelée dans les souffrances de sa chair, dans les brisures de son âmes, dans les fragments d’un corps qu’elle ne reconnaît plus comme sien depuis longtemps. Son esprit s’agite, oscille à l’idée de se savoir ainsi déterré violemment du cocon illusoire dans lequel il se réfugiait jusqu’alors. Et il lutte. Il bataille pour ne pas se fendre davantage, pour ne pas vriller dans une colère qui dépasserait son entendement. Mais elle le hait pourtant, oui, elle le hait. Elle le hait de l’avoir appelée, pour la pousser dans ses retranchements à lui, quitte à lui faire heurter les siens. Elle le hait de lui avoir fait goûter à sa douceur, pour lui faire ensuite payer les prix de ses infinies noirceurs. Elle le hait encore, de toute ce qu’il lui inspire, de lui renvoyer au visage tout ce qu’il ne pourra jamais lui offrir, et qu’elle ne pourra jamais lui donner en retour. Elle le hait d’avoir voulu briser le lien, et d’avoir osé la laisser là, avec ce vide béant dans la poitrine, et ce goût de cendre qui remplace toutes les saveurs fruitées des baisers échangés. Elle le hait, plus encore depuis qu’elle sait que s’il décide de briser le lien, il ne le brisera pas seulement lui, il la brisera elle, aussi. Ce qu’il en reste du moins, et qu’elle lui a déjà offert, sans fard, sans s’en apercevoir.
Enfin elle le sent réagir à la prise de ses doigts, sait qu’elle a réussi à débusquer celui qu’elle cherchait dans les replis tentaculaires de l’âme. Un léger sursaut la traverse de le savoir plus conscient, délaissant le corps de cette inertie qui malgré tout, la protégeait jusqu’alors d’attaques plus impérieuses. La cécité se révèle un rempart de taille contre lui dans l’instant qui s’installe. Car si elle devine ses expressions, peut sentir les relents de sa colère dans le souffle qui caresse son visage, elle ne peut tout à fait en être la victime, n’est la victime que de ses propres peurs, et de l’image projetée qu’elle fait sur ses traits obscurs. Sa dernière phrase vient le cueillir à l’orée de la folie, et son bras se crispe sous sa poigne lorsqu’elle se referme autour de la fragilité de son épaule. L’os s’irrite d’être ainsi malmené, l’articulation s’affole sous la chair qui se met à palpiter. Son poing se sert, résiste. Elle ne sent rien pour l’instant qui franchisse la limite de ce qu’elle peut supporter. Et, il faut le savoir, il en faut beaucoup pour lui arracher des complaintes de douleurs, car après avoir eu les os brisés au point de sortir de la chair, rien n’était réellement douloureux. Même cette douleur-là n’était rien, car elle dépassant le seuil de la conscience, frôlait des amplitudes difficile à imaginer quand on a jamais eu à les expérimenter. Ses sourcils se froncent, l’absence de son regard le toise, le juge, le cherche encore. L’a-t-elle trouvé ? Quand il se relève enfin, l’accule à son tour, il lui semble que oui. Une vague étrange la traverse de part à en part, glissant contre les courbes de son corps dans une sueur froide impérieuse. Ses mains le libèrent, se posent à plats contre la surface glacée et rugueuse du mur dont elle semble vouloir se parer. Son dos se modèle contre lui, cherche presque à s’y enfoncer, mais il lui résiste, il ne cède pas, il ne lui offrira pas d’échappatoire, elle ne pourra pas se dérober en lui, il lui faudra affronter ce qu’elle a tant voulu déchaîner. Et soudain, elle prend peur. Ses traits se figent, ses paupières s’écarquillent à e sentir à la fois trop proche, et trop loin. La cécité qui était un rempart devient une entrave. Une entrave terrible, qui ne lui permet pas de lire dans son regard et se prémunir de ses colères. Une entrave qui la terrifie tout d’un coup, et lui donne le sentiment d’être seule, nue, fragile, un face à face avec le jugement dernier. Son cri, l’aveu terrible la fait se raidir de tout son long, suspend l’instant pour lui donner une saveur étrange, une saveur poisseuse et rêche en même temps. L’horreur de l’évidence cisaille sa chair en deux, et il lui semble que son âme glisse en deux pans parfaitement symétriques de chaque côté son corps. Un hoquet soulève sa poitrine, un sanglot silencieux proche du dégoût mourant au creux de sa gorge, qui se serre encore davantage. Elle le savait pourtant, oui, elle le savait. Elle avait deviné l’horreur tapie en lui, bien avant d’en découvrir les stigmates. Elle l’avait deviné au gré des indices qu’il lui avait délivrés, peut-être même sans le vouloir. Mais passer de l’incertitude de la déduction hasardeuse, à l’évidence de l’aveu sans retour … Ce n’était pas pareil. Et, humaine qu’elle était, cela la chamboulait, étouffait sa colère, la ramenait à un état de conscience dont elle n’était pas sure de pouvoir maîtriser indéfiniment les élans.
Elle le sent trembler de cet aveu, pétri par la honte, et l’horreur de cet acte dont elle ne comprend pas encore la mesure. Il a forgé celui qu’il est devenu, celui qu’il est. Mais doit-il condamner celui qu’il sera ? Elle l’ignore encore, le silence soudain derrière lequel elle se mure à présent trahissant le trouble qui la secoue toute entière. Son corps prend conscience du sien et se renferme en lui-même pour s’en prémunir. Car elle le sent hostile. Défensif, et hostile. Soudain elle a conscience de la pression que sa main impose contre son épaule, en ressent des fourmillements désagréables qui remontent le long du bras jusqu’à lui chatouiller la nuque, et engourdir le bout de ses doigts. Elle les agite très légèrement d’ailleurs, son visage reculant avec lenteur jusqu’à ce que l’arrière de sa tête ne rencontre à son tour la rigidité du mur tandis qu’il encercle son visage de sa main. Sans le voir, elle le toise. Convoque ce qui lui reste de contenance alors qu’il lui crache ce qu’elle a voulu entendre, ce qu’elle a voulu qu’il dise, quoique cela puisse leur coûter. Son cœur s’alourdit, devient un poids qui s’impose contre sa cage thoracique au point de lui donner envie de courber le dos. Mais elle ne bouge pas, ignore les tremblements qui parcourent son corps à intervalles réguliers. La main inerte le long de son corps se meut, s’élève. Avec une prudence craintive, le revers de ses doigts s’aventure jusqu’à effleurer sa joue. Au fond de sa gorge, alors qu’elle ne sait pas encore comment se départir de tout ce qui l’assaille, un murmure lui échappe, dépourvu de colère, dépourvu de tout, sauf d’une tristesse absolue et d’une souffrance naissante à fleur de peau, de comprendre enfin ce qui avait été caché dans la honte : « Que s’est-il passé ? … » Car elle est sure qu’il s’est passé quelque chose, ce jour-là. Quelque chose d’irrémédiable. Des limites franchies jusqu’à le propulser dans la folie. Elle était sure qu’il ne l’avait pas voulu, ou du moins, pas vraiment. Cela ne pouvait être qu’un accident, son âme n’en souffrirait pas autant aujourd’hui si cela n’était pas le cas. « Dis-le moi … Montre-le moi … » Qu’il lui montre, puisqu’elle ne saurait voir, ces ombres qui l’avaient propulsé dans le noir.