JULIAN AND EUGENIA (it’s hard, isn’t it? living with a shattered heart. you breathe in and hope the shards don’t pierce your lungs. but, eventually, they will. there is no escape from it. you will bleed. you will gasp. and you will scar. but what matters in the end, darling, is that you will survive.it always gets worse before it gets better.) Personne ne m’avait dit qu’être mère serait aussi difficile.
J’essayais, pourtant. J’essayais réellement. Je les aimais de tout mon coeur, de tout mon être. Je les aimais comme je n’avais jamais autant aimé de toute ma vie ; j’avais toujours pensé de pas pouvoir ressentir plus que ce que je ressentais pour Julian mais je m’étais rendue compte à la minute où elles avaient vu le jour que je m’étais trompée. Cet amour-là n’avait rien avoir avec les sentiments que j’avais pour mon mari ; cet amour-là n’avait rien d’humain, ce rêvait pas de constellations ou d’astres lointains, non. Cet amour-là était gravé dans les étoiles. Cet amour brillait de mille feux dans le sombre ciel de mon existence, brûlant l’ombre qui avait toujours habité mon être, irradiant les maux qui avaient toujours habité mon coeur. Mon esprit ne pensait plus qu’à elles ; l’intégralité de mon monde tournait autour des jumelles. Je voulais qu’elles soient heureuses, je voulais qu’elles aillent bien, je voulais qu’elles voient le monde à travers le filtre de mes yeux qui ne voyaient plus qu’elle.
Mais personne ne m’avait dit qu’être mère serait aussi difficile.
Tout cela n’était pas suffisant. Mon amour inconditionnel pour elles n’était pas suffisant.
Je n’étais pas suffisante.
Je ne l’avais jamais été pour qui que ce soit, après tout. Quoi que puisse en dire Julian. Je n’étais qu’un morceau d’être, une personne à moitié vivante, une âme déchirée par les épreuves. Je ne pouvais pas être suffisante parce que je n’étais pas entière. Mon corps était brisé. Mon coeur avait été recousu bien trop de fois. Et, mon esprit, lui, n’était plus une entité en laquelle j’avais confiance depuis bien longtemps.
Cecelia hurlait à plein poumons et, la vérité, c’était que je pleurais avec elle désormais. J’avais beau la tenir dans mes bras, la bercer avec toute l’affection du monde, lui murmurer des mots réconfortants et suivre les conseils des pédiatres, rien n’y faisait. Cecelia hurlait à plein poumons et, la vérité, c’était que ce n’était pas la première fois. Ce n’était pas moi qui détenais la solution à ses problèmes ; ce n’était pas moi qu’elle désirait, en cet instant. Non. C’était Julian. C’était son père.
Personne ne m’avait dit qu’être mère serait aussi difficile.
Au fil des semaines, au fil des crises de larmes incontrôlables malgré tous mes efforts, j’avais fini par me faire une raison ; c’était la présence de Julian qui apaisait les filles, c’était ses bras qui les réconfortaient, c’était lui qu’elles réclamaient. J’avais presque l’impression qu’elles se rendaient déjà compte que je n’étais pas suffisante. Que je n’étais pas entière. Que je ne pouvais pas être mère parce que je n’étais même plus humaine. Elles avaient raison, au fond. Je n’étais qu’un fantôme qui hanterait leurs existences. Je n’avais pas la force pour vivre, pourquoi aurais-je la force de les faire vivre, elles ?
Personne ne m’avait dit qu’être mère serait aussi difficile.
A l’instant où je reposais Cecelia dans son berceau, incapable de la tenir plus longtemps, j’entendis Julian passer le pas de la porte. Il vint aussitôt dans la chambre des filles ; il observa Emilia avant de se tourner vers notre cadette qui s’était instantanément arrêtée de pleurer en apercevant son père dans l’encadrement de la porte.
Une nouvelle vague de larmes me monta aux yeux alors que mon mari se tournait vers moi.
« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda-t-il. Il détailla la scène avec une expression concentrée ; je pouvais presque voir son esprit remettre les éléments dans le bon ordre pour comprendre ce qu’il s’était passé. Les mots demeurèrent bloqués au fond de ma gorge ; j’avais tant de mal à admettre que je n’étais pas une bonne mère face à lui. J’avais tant de mal à admettre que oui, cela n’était pas facile, que oui, je m’étais trompée. Il se débrouillait si bien, après tout. Et j’étais un tel désastre.
« Ne t’inquiète pas. Elle fait encore son chichi. C’est une Fitzgerald. » Il la portait dans ses bras sans qu’elle n’hurle, sans qu’elle ne pleure de plus belle. Elle était simplement là à hoqueter, son chagrin passé. Julian déposa un baiser sur son front avant de me la tendre.
« Je ne pense pas que… » commençai-je mais c’était déjà trop tard. Il s’était agenouillé à ma hauteur, avait mis Cecelia dans mes bras alors qu’elle se remettait instinctivement à hurler. Des larmes perlèrent aux coins de mes yeux et je lui rendis notre fille aussitôt, sentant les sanglots secouer ma poitrine.
« Ce n’est pas moi qu’elle veut, » finis-je par lui dire. Parce que c’était le cas. Elle ne pleurait jamais pour mes bras. Elle ne pleurait jamais pour ma présence. J’étais là du matin au soir pour elle, je l’aimais de tout mon coeur, de tout mon corps, de tout mon être, mais ce n’était pas suffisant.
« Ce n’est jamais moi. » Personne ne m’avait dit qu’être mère serait aussi difficile.
J’étais endommagée, après tout. J’étais à moitié humaine, à moitié entière, à moitié femme. A moitié mère. Mes filles s’en rendaient compte parce que mon aura était différente de celle des autres ; les enfants ressentaient ces ondes qui naviguaient autour d’eux. Ils les ressentaient et mes filles ne désiraient pas de moi.
Je me mis à pleurer de plus belle, la fatigue prenant le dessus, les doutes également ; je me mis à pleurer d’épuisement, de désespoir, de douleur, aussi. Parce que j’avais mal.
Personne ne m’avait dit qu’être mère serait aussi difficile.
Personne.