you were not born of stardust, darling,
stardust was born from you,
it’s why the stars feel your sorrow and aching heart,
they are the fragments of your lost soul,
scattered across an endless galaxy,
but don’t be afraid, darling,
maybe life has broken you,
but it can never destroy you.
— did you expect stardust to be anything less? 1993
River et Gloria, Gloria et River. Ils étaient nés à deux et, pourtant, la fatalité voudrait sans doute qu’ils meurent séparément.
Gloria avait longtemps été perturbée par l’idée que des cercueils à deux place n’existaient pas ; depuis son plus jeune âge, depuis le jour de leur naissance, elle avait été si proche de son frère jumeau qu’elle avait toujours été convaincue qu’ils n’étaient qu’un seul et même être. Alors, au fil du temps, au fil des musiques, au fil de ces mille-et-une idées qu’elle avait fini par assembler ensemble, elle avait fini par s’en ficher. River et elle vivaient sur la même partition de musique. Et, de cette manière, ils étaient éternels.
2000
Gloria avait sept ans.
On lui avait dit qu’il ne reviendrait plus. Qu’il était parti et qu’elle ne le reverrait pas. Sa mère avait tenté d’amorcer la nouvelle avec plus de douceur auprès d’elle et River mais, malheureusement, Richie et Leo s’étaient chargés de les faire redescendre sur Terre. Ils n’avaient plus de père. Ils n’y avaient plus qu’eux et leur mère, cette mère toujours là, cette mère qui, désormais, comptait pour deux.
Gloria avait sept ans. Gloria avait sept ans et pourtant elle ne se souvient pas, encore aujourd’hui, d’avoir pleuré la disparition de ce parent-là. Après tout, elle ne l’avait jamais réellement connu. Après tout, elle n’avait pas été suffisamment grande pour lui en vouloir ni suffisamment petite pour avoir profondément besoin de sa présence.
Non. Cela n’avait été rien de tout cela.
Elle s’était simplement assise devant le piano. Elle avait appuyé sur quelques touches au hasard et River était venu s’asseoir à ses côtés. Elle n’avait pas eu besoin de tourner la tête vers lui pour savoir qu’il souriait. Et si River souriait, cela signifiait qu'elle n'avait pas à s'inquiéter, même s'ils n'avaient pas grand chose, même s'ils auraient sans doute encore moins après cela. Il souriait et c'était tout ce qui comptait.
2003
Le murmure des filles Kipling ponctuait les craquements du bois abimé et fatigué de leur demeure. Sans cesse. Elles riaient, elles se confiaient, elles parlaient de choses et d’autres. Gloria aimait ses soeurs. Elle aimait l’aura rassurante qui émanait de Lou. Elle aimait la douceur qui se dégageait de Janis. Elle se sentait en sécurité en leur compagnie, elle se sentait appréciée et soutenue.
C’était sans doute bête mais, à dix ans, Gloria ne jurait que par l’avis de ses soeurs. Elle voulait être belle comme elles. Elle voulait être aussi intelligentes et avisées qu’elles. Elle voulait voir la vie comme elles pouvaient bien le faire, elle voulait grandir comme elles. Si Gloria était absolument inséparable de River la plupart du temps, elle chérissait ces instants hors du temps qu’elle partageait avec Lou et Janis.
Comme si, dans l’intrépidité de son existence, elle s’autorisait des moments de pause. Des moments pour respirer. Respirer et s’appliquer, simplement, à entendre le son de leur respiration et aimer cette mélodie simple et mélancolique.
Elle a apprécié ces instants de silence imparfait pour comprendre la musique. Mieux encore ; elle s'est inspiré de ce genre de moments de suspens pour ses prochains textes, comme si son esprit avait déjà commencé, à cet âge-là, à mettre des mots sur ce que personne ne s'était jamais donné la peine de décrire.
2008
Elle avait entendu la musique de son coeur se déchaîner dans ses oreilles. Elle avait entendu des arpèges, des croches et des points d’orgues dans son rythme cardiaque. Mais, pourtant, elle avait été parfaitement insensible à la mélodie qu’il avait créé au sein même de son corps ; elle était restée là, de marbre, figée dans ses mouvements et dans ses gestes. Figée dans la réalité pour rejoindre l’imaginaire de ses pensées et se perdre dans les bruits et les couleurs de ses pensées.
Elle était restée là, abasourdie, silencieuse comme à son habitude ; cependant, cela n’avait pas été parce qu’elle n’avait pas voulu se manifester mais parce qu’elle avait perdu ses mots.
Sa mère était malade. Sa mère avait Alzheimer, une forme d’Alzheimer précoce. Sa mère les abandonnait à sont tour sans réellement le vouloir, sans vraiment l’avoir prévu. Gloria n’osait pas imaginer ce que cela faisait de perdre une partie de notre âme à mesure que l’esprit pouvait bien effacer les souvenirs. Elle imaginait tous ses carnets remplis de poèmes qui se brouillaient devant sa vue comme pour tenter d’interpréter la situation à sa manière. Comme pour s’imaginer ce que cela lui ferait, à elle, surtout que cette maladie était héréditaire, surtout que cette maladie se promenait peut-être déjà dans leurs gènes. Gloria ne voulait pas oublier. Gloria ne voulait pas perdre pied, perdre le fil.
Mais Gloria ne savait pas. Gloria ne savait pas que sa mère allait se faire hospitalisée bien trop vite. Gloria ne savait pas qu’elle ferait les tests pour savoir si elle était atteinte de cette même maladie mais qu’elle n’aurait jamais suffisamment de courage pour affronter les résultats.
Ce soir-là, Gloria avait tenté d’écrire.
Mais Gloria n’avait pas réussi à le faire, comme si elle avait déjà oublié tout ce qu’elle avait à dire.
2009
Elle s’était demandée quelle était la musique de la mort. A quoi pouvait bien ressembler le son qu’elle produisait. Cette question, elle ne se l’était jamais posée avant. Jamais, jusqu’au jour où elle avait failli perdre son frère, Richie. Jamais, jusqu’au jour où elle s’était retrouvée face à la réalité.
Oui, les personnes pouvaient mourir. Oui, ses frères et soeurs n’étaient pas éternels.
Et la mort, elle, devait être d’un silence assourdissant.
2010
Elle avait beaucoup bu, ce soir-là.
Leo avait organisé une soirée avec des potes, Gloria s’était mêlé à eux pour faire comme les grands. Après tout, n’était-ce pas ce qu’elle était ? Une grande ? Sans réellement le vouloir, à dix-sept ans, Gloria se comportait déjà comme une adulte. Son père était parti. Sa mère était à l’hôpital. Sa fratrie s’en sortait comme ils pouvaient mais ils avaient tous vieilli trop vite, trop tôt, malgré l’immaturité qui semblait régner au sein de leur chez-eux. Les éclats de voix n’étaient pas rares ; les chifumis pour prendre des décisions arrivaient bien plus souvent qu’ils ne désiraient l’admettre. Richie était peut-être parti à Montréal, son absence se faisait peut-être ressentir, mais les Kipling étaient encore bien trop nombreux pour qu’on puisse les oublier. Mais, malgré tout, Gloria se comportait déjà comme une grande. Elle l’était, avec ses sourires mystérieux, cette distance qu’elle instaurait entre elle et les autres.
Alors, oui. Elle avait beaucoup bu, ce soir-là.
Et il l’avait supplié. Il l’avait supplié d’abaisser ses barrières, l’avait supplié de se laisser faire. Elle avait refusé au départ et il avait continué de l’implorer avec ses grands yeux, avec sa moue presque gamine. Alors, elle avait dit oui. A contre coeur. Alors, elle avait accepté sans réellement le vouloir, sans réellement avoir l’impression d’avoir le choix.
Mais Gloria ne savait pas. Gloria ne savait pas que, quelques semaines plus tard, elle allait se rendre compte qu’elle était enceinte pour finalement avorter après de nombreux jour de doutes. Gloria ne savait pas qu’elle n’en parlerait qu’à Lou, que River l’apprendrait que trop tard, qu’il avait failli l’empêcher de le faire sans même s’en rendre compte.
Mais, surtout, Gloria ne s’était pas rendue compte qu’elle s’était fait violer. Non. Elle n’allait le comprendre que des années après, lorsque finalement il serait beaucoup trop tard.
2013
Depuis que River avait commencé ses crises, elle avait l’impression qu’il lui filait doucement entre les doigts. Il s'échappait, partait au loin, au loin dans cet univers qu'elle ne comprenait qu'à moitié, dans cette univers où elle n'était qu'une parfaite étrangère. Alors, elle le suivait. Alors, lorsque cela arrivait, lorsqu’il disparaissait, elle le suivait simplement pour s’assurer qu’il allait bien. Qu’il était en bonne santé. Qu’il ne se faisait pas mal ou qu’il ne s’était pas blessé.
Jamais, au grand jamais, Glora ne vint vers lui. Elle préférait l’observer de loin plutôt que constater une nouvelle fois qu’il ne la reconnaissait pas, du moins, pas complètement.
C’était trop difficile. Parce que, dans ces instants-là, elle avait l’impression de le perdre.
Et dans ces instants-là, même son esprit devenait silencieux.
2016
Gloria n’observait même pas les passants, lorsqu’elle chantait. Elle s’enfermait dans son monde, les bras animés par le rythme qui venait prendre possession de son corps. Parce qu’elle ne se contentais pas de faire seulement de la musique, non ; elle la vivait, elle la vivait de tout son coeur, de tout son être. Alors, les yeux fermés, la voix perdue dans les graves, les mots se bousculant sur sa langue dans des paroles qu’elle improvisait au fil de ses pensées, elle braquait l’attention sur elle sans même le vouloir vraiment.
Elle entendit le tintement de quelques pièces de monnaie venues se perdre dans le chapeau à ses pieds et elle acquiesça, reconnaissante. Elle n’aimait jamais en faire trop lorsqu’il s’agissait de remercier les personnes qui lui prêtaient suffisamment d’attention ; elle avait peur de les gêner, d’empiéter sur leur routine. Elle se contentait d’un simple geste et de continuer de chanter pour leur montrer qu’elle ne faisait pas cela pour leur argent mais pour le plaisir.
Parce que Gloria, c’était ça.
Elle ne savait pas combien de temps elle allait vivre, elle ne savait pas ce dont elle allait se souvenir. Alors, Gloria, elle se contentait de profiter. De profiter de chaque instant parce que le futur ne serait jamais une certitude.