roxanne + you don't have to pull on the red light

Elle se frotta encore et encore, jusqu'à se rendre la peau rouge sang. Ses larmes se confondirent avec l'eau de la douche qui ruisselait le long de son corps. Son maquillage coulait, elle ne s'était pas démaquillée. Roxanne Harlow se sentait sale. Au fond, elle savait qu'elle n'y était pour rien, mais ce sentiment de dégoût ne voulait pas la lâcher. Qu'est ce qui lui a valu une chose pareille ? Elle ne se souvint pas de quand cela a débuté exactement. Au début, tout allait bien, elle travaillait dur comme les autres afin de pouvoir faire des prouesses et danser la scène de la Fée Dragée dans le célèbre ballet de Tchaikovsky. Quand enfin, elle avait montré qu'elle était capable, il s'était montré plus insistant envers elle. Il s'est mis à avoir une emprise sur elle sans même qu'elle ne s'en rende compte. D'abord c'était un baiser forcé, puis deux et trois. Elle ne voulait rien dire de peur de perdre l'opportunité de réaliser son rêve. Ce rôle, elle l'a toujours voulu. A huit ans, quand ses parents l'avaient emmenée avec Alice voir Casse-Noisette, ce fut en voyant cette danse précisément qu'elle avait trouvé sa vocation. Elle en avait mis du temps pour persuader son père et sa mère qu'elle en était capable, puis ils l'avaient encouragé. Si c'était cela qu'elle voulait faire, alors ils feraient en sorte qu'elle aille jusqu'au bout. Mais à présent, tout ça ne rimait plus à rien. A quoi bon ? Ce n'était plus des baisers qu'il lui donnait, il la touchait. Elle sentait encore ses doigts sur son corps, partout, même là où il n'avait pas touché. Ça la grattait, ça la faisait frissonner, ça lui donnait l'envie de s'arracher la peau jusqu'à ce qu'il ne reste plus que les os. Il n'était pas allé plus loin, mais elle était certaine qu'il en était capable. Il fallait qu'elle mette un terme à ça. Il la déshonorait déjà.

« Mon ange, je quitte la maison, Alice ne devrait pas t.. »

Son père s'arrêta net lorsqu'il la vit sortir de la salle de bain, une serviette nouée autour de son corps. Il n'avait pas besoin de  plus pour comprendre que sa fille ne se portait pas bien.

« Quelque chose ne va pas ? »

Elle s'immobilisa net tout en l'observant. Son père, il était tellement fière d'elle ! Elle se souvint encore de l'excitation dont il avait fait preuve la première fois qu'elle était montée sur scène. Elle n'avait pas eu un rôle important, mais cela était égal. Un bon parent s'en souciait peu. Elle avait envie de lui dire, de tout lui avouer mais même si elle obtiendrait son soutien, elle craignait tout de même sa réaction. Lui aussi misait énormément sur la danse pour son avenir. Elle lui avait montré que c'était cela qu'elle voulait faire et pas autre chose. Elle avait peur qu'il s'énerve ou qu'il la juge d'une mauvaise façon. Et pourtant, il s'agissait là de son père, l'homme en qui elle avait le plus confiance au monde. Mais voilà, la honte l'emportait. La crainte l'avait submergée.

« Si, si, tout va très bien ! » le rassura-t-elle. « Je suis un peu angoissée, mais, c'est normal, c'est quelque chose d'important. »
Son père esquissa un sourire, s'approcha d'elle, lui caressa la joue tendrement et déposa un baiser sur son front.

« Allons, je suis certain que tu vas nous éblouir. J'ai confiance en toi. »

Puis il la salua et disparut de la maison. La voilà toute seule, nue sous cette serviette, avec la peur qui revenait s'emparer d'elle. Elle attendit un moment puis elle craqua de nouveau.

***

« Roxanne, Roxanne, qu'est ce qui ne va pas ? »

Cette voix, c'était celle de sa sœur, Alice. Elle venait tout juste de rentrer, mais Roxanne n'avait pas entendu la porte s'ouvrir et se refermer aussitôt. Depuis que son père avait quitté la maison, elle n'avait pas cessé de pleurer, sauf pour une pause de quelques minutes avant de repartir de plus belle. Ses yeux rougis par la tristesse rejoignirent ceux pétillant de sa petite sœur. Elle pouvait l'affronter. Sa sœur était la personne qui avait tous les privilèges, celui là compris. Elle voulut lui mentir à elle aussi, mais elle n'en avait pas la force.
Alors elle lui raconta, tout. Au fur et à mesure de son discours, Alice posa sa main sur sa bouche, gênée et indignée à la fois. La conversation fut longue ce jour là, et bien évidement, sa sœur lui conseilla de porter l'affaire en justice puisque c'était illégal de faire ça. Roxanne s'y refusait, de peur de tout perdre, son avenir, ses rêves, sa dignité et tout ce qui allait avec. Mais Alice finit par la convaincre. Il ne fallait pas qu'elle se laisse faire. En situation inverse, elle aurait fait pareil après tout.

***

Elle sentit ses jambes fléchir. En entrant au tribunal, elle n'avait pas pensé pouvoir en ressortir dans cet état. Il avait gagné, elle avait perdu. Sans aucune preuve, sans aucun fondement et avec le (faux) témoignage de ses collègues, elle avait fini par chuter. Ses ailes avaient été arraché, le toit s'était effondré. La voilà maintenant au fond du trou, sans rien. Roxanne se sentait nue. Elle avait l'impression que tous les regards se braquaient sur elle, même lorsqu'elle se retrouva seule. « Menteuse, petite hypocrite ! » lui avait-on crié alors qu'elle rejoignait la voiture qui l'attendait. Ses voix appartenaient à celles de ses rivales qui n'avaient pas hésité une seule seconde à l'enfoncer. Elle qui avait été si proche du but, la voilà repartie à la case départ. Même si sa famille la soutenait, elle était en fait la seule à le faire. Avec une poignée d'amis. Mais ça n'avait pas suffi.

Elle regarda par la fenêtre du véhicule. La pluie martelait le verre et se mariait à son humeur. Mais dans quel monde vivait-elle ? Manifestement, dans celui où les monstres l'emportaient et où les victimes devenaient coupables.