Arrivez comme le vent et partez comme l’éclair – Zoey Weston

« Merci. », glissa la jolie brunette en inclinant le chef pour entrer dans le véhicule. La porte claqua derrière elle, le conducteur fit le tour de son taxi et se réinstalla dans son siège avant. La voiture démarra et s'enfila dans une circulation éparse. La jeune femme observa par la fenêtre les paysages défilés à la recherche de souvenirs enfouis. Elle s'était imaginée retrouver un Londres familier, mais plus d'une décennie s'était écoulée. Elle avait atterri dans un pays étranger. « Dites-moi si je me trompe, mais à votre accent, je parie : Américaine? ». Dans le rétroviseur, un sourire accompagna un léger acquiescement de tête de sa cliente et lui apporta une charmante confirmation tout en l'encourageant au bavardage. Il raconta qu'avec une bande de potes, il avait descendu la côte ouest il y a six ans de cela. Elle inclina la tête, elle ne connaissait pas vraiment ce côté-là des USA. Il partagea une amusante anecdote qui les avait sidérés durant leur road trip, elle rit de bon cœur. Elle avait aussi eu besoin d'un temps d'adaptation dans ses premiers mois à Sarasota. « J'ai été absente d'ici ces douze dernières années, mais je suis née à Londres, vous savez. ». Dans la profondeur de sa voix, on décelait de la nostalgie. Évidemment la curiosité du chauffeur fut piquée. « Retour aux sources alors? ». Elle eut un sourire en guise de réponse.

Zoey observa la nuque du chauffeur. Il lui faisait une très bonne impression et elle lui reconnaissait un talent pour mettre d'humeur aux confidences. « L'un de vos parents est anglais? ». Elle secoua la tête. « Américains de souche. De Floride. ». On s'attendait à une suite, mais évoquer ses parents la plongeait inévitablement dans un silence mélancolique. Pourtant, l'histoire de ses parents avait éclos comme une romance de conte de fée. Deux êtres au début de leur vie d'adulte: une serveuse en quête de célébrité, Ellen Dashwood, et un jeune avocat d'affaires, Daryl Weston, se croisaient quotidiennement dans le café où Ellen travaillait en attendant de percer comme actrice. Un jour, Ellen s'occupa de la table de Daryl. Des sourires ont été échangés, une étincelle s'était allumée dans leur cœur. D’anonymes, ils devinrent les mignons tourtereaux du café. Leur coup de foudre les a leurrés au point qu'ils se marièrent sans véritablement se connaître quelques mois plus tard. Daryl s'était vu offert une promotion dans la filière londonienne de la compagnie d'assurance dans laquelle il s'était illustré dès ses débuts. Comme la carrière d'Ellen ne décollait pas, il n'y eut aucun débat et le couple de jeunes mariés quittèrent la Floride pour s'installer à Londres. Une année plus tard, le mariage batta de l'aile. Ellen regrettait d'avoir renoncé à son rêve de cinéma. Daryl prétextait son travail pour justifier ses longues absences du foyer. Le point de rupture s'annonçait imminent. Ellen tomba alors enceinte. Sans avoir été désirée, Zoey naquit dans un ménage sans amour. Pour aider sa fille et son gendre dépassés par leur rôle de parents, Meryl Dashwood abandonna sa vie à Sarasota et traversa l'Atlantique. « Je suis partie pour mes études. Je voulais voir autre chose. ». Elle s'était toujours dit qu'elle voulait faire les beaux-arts en France. Mais au moment de partir, son cœur n'était plus à l'évasion. Elle vivait une idylle avec un garçon à qui elle tenait beaucoup. Pourquoi s'éloigner des gens qui vous rendent heureux? Elle était prête à revoir tous ses projets, elle était en chemin pour en discuter avec son petit-ami quand un appel lui avait appris que sa grand-mère venait d'être diagnostiquée avec un Alzheimer avancé. La surprise n'avait pas été totale. Depuis quelques années, Meryl montrait des épisodes d'étourderie et de virement d'humeur de plus en plus fréquents. Elle se perdait souvent dans Londres et donnait son ancienne adresse en Floride. « Sarasota était un choix tout trouvé. C'est la ville natale de ma famille. ». Sa grand-mère n'avait pas hésité à plier bagages quand elle est née, Zoey n'hésita pas non plus. Un endroit familier aiderait Meryl à garder ses marques plus longtemps, avait dit le médecin. Zo leur avait pris des billets sans retour. Ça n'avait pas été facile de récupérer l'ancien appartement de sa grand-mère, de vivre au quotidien sans grande ressource. Bien que cela lui avait coûté, elle avait accepté l'aide financière de Daryl, tout content de payer pour s'éviter de s'impliquer humainement. Ellen avait été aux abonnés absents, face à la terreur d'être aussi atteinte de la maladie, elle avait préféré le déni. Ces années à Sarasota avaient été éprouvantes émotionnellement, les cumules de boulots, les crises de Meryl, mais Zoey ne regrettait rien. Elle avait pu accompagner jusqu'au dernier instant la femme qui l'avait chérie et aimée plus que quiconque au monde. « De retour pour de bon? ». La brunette haussa les épaules. Elle avait enterré sa grand-mère cinq mois plus tôt. Hier, elle s'était levée et elle n'avait plus trouvé de sens à poursuivre sa vie à Sarasota. Le temps d'arranger des affaires, de donner sa démission dans l'agence de pub où elle travaillait comme directrice de la création depuis trois ans et de rompre avec un homme qu'elle fréquentait depuis un mois, et elle s'était retrouvée dans l'avion pour Londres.

Le taxi se gara au bord de la route. « On est arrivé, Miss! » . Zoey regarda le quartier. C'était à la fois familier et très différent. Elle ne savait pas très bien ce qui l'attendait dans cette maison, ni même qui elle allait découvrir. Sans trop réfléchir, elle avait donné au conducteur l'adresse où avaient vécu les parents d'Aaron. Elle espérait qu'ils pourraient la renseigner. « Vous pouvez attendre une minute. ». Elle émergea hors du véhicule, tandis que le chauffeur coupa le moteur et sortit à son tour pour voir ce qui allait se passer. A quelques mètres, une boîte aux lettres où devaient être inscrit le nom des propriétaires des lieux. Zoey amorça un pas d'abord fébrile, et puis plus assuré. Si les parents d'Aaron avaient déménagé, elle n'avait pas de plan B. Sa seule certitude, c'était que jamais elle n'irait toquer à la porte de ses propres parents. Devant la porte, elle appuya sur la sonnette en prenant soin de ne pas lire la plaquette. Elle se remettait entièrement au destin. « Advienne que pourra ! », se murmura-t-elle au moment où on entendit un verrou qu'on tourne…