kaspar + je suis arrivé comme un fruit, je repars comme un smoothie.

« Je suis né un mois de juillet de l'année mille-neuf-cent quatre-vingt douze, à Olso, capitale de la Norvège. Mes parents, je n'en ai aucun souvenirs, mais grand-mère m'a toujours compté ô combien ils étaient de braves gens. Mon père était pompier et a malheureusement péri dans un terrible incendie peu avant ma naissance. Quant à ma mère, elle a succombé à un sérial killer malheureusement bien connu du monde entier : le cancer. J'avais deux ans. Ce fut ma grand-mère qui était venue pour la soutenir qui me ramena à Londres, ville où elle habitait et où elle a toujours habité depuis sa naissance. Veuve depuis peu de temps, ma présence lui donna de quoi avoir un peu de compagnie. Grand-mère vivait dans une petite maison à l'est de la capitale, elle n'était pas bien riche, mais nous n'avons jamais manqué de rien en particulier. » commença à écrire Kaspar dans un carnet qu'il s'était procuré voilà trois jours déjà. Il avait longuement hésité à le faire, mais il estimait cela nécessaire. Il écrivait lentement, hésitant sur le choix des mots qu'il allait employer.
Car en vérité, il avait besoin de faire un point sur sa vie. Plus il y pensait, plus il se rendait compte qu'elle était hors norme. Au moins, elle méritait d'être originale.

« Grand-mère était une personne fantastique. Elle avait beau vivre seule dans sa petite maison, elle avait un grand esprit de caractère. Elle ne m'a jamais gâté et malgré mes petits caprices, elle n'a pas cédé. Tant mieux, je la remercie pour cela. Je l'ai toujours admirée et je continue encore à le faire, malgré sa mort. En vérité, elle me manque énormément. Elle m'aurait donné une bonne paire de claque si elle était toujours en vie, et j'ai honte de la déshonorer ainsi. Mais c'est à moi de faire ma vie désormais. » poursuivit-il au fur et à mesure que les mots lui venaient. Il s'arrêtait de temps en temps afin de pouvoir réfléchir mais aussi, plongé dans ses pensées, ses émotions le submergeaient. Il a toujours été ainsi Kaspar, un grand sentimental. Cela tiendrait de sa mère, mais sans doute son père avait eu aussi sa part de sensibilité.

« J'ai rencontré Chandler Daniels dans le parc pour enfants en bas de chez nous. J'étais en train de faire des pâtés de sable quand elle est venue me rejoindre et s'est mise à faire pareil. Après un gros silence, j'ai enfin osé lui adresser la parole :
« Comment tu t'appelle ? »
« Chandler ! »
« Chandler ? Mais c'est pas un prénom pour garçon ça ? »
« Héééééééééééééé ! C'est quoi d'abord toi ton prénom ? »
« Kaspar ! »
« Kaspar ? Mais c'est un prénom de nulosse ! »

Au début, on ne s'aimait vraiment pas. Mais on s'est retrouvés plusieurs fois et comme on était tout seuls, on a fini par s'adresser la parole un peu mieux que ça. J'en ris quand j'y pense. Si nous en étions restés là, si elle avait fait sa vie de son côté, si nous étions pas si proche qu'on l'est désormais, je ne serais peut-être plus là en train d'écrire ces mots là aujourd'hui. A Chandler, je lui dois la vie. » Il s'arrêta là un petit moment avant de poursuivre :
« A l'école, nous étions inséparables. On était toujours l'un avec l'autre. On faisait nos devoirs maison ensemble, on jouait ensemble, on était comme frères et sœurs. Chandler est ma sœur. Pas du même sang, mais on s'en fiche, elle fait partie de ma famille. Malheureusement, quand on est entrés au lycée, il a fallu qu'elle repartie aux Etats-Unis à cause du travail de ses parents. On a continué à s'envoyer des lettres jusqu'à ce qu'arrive ce terrible drame.

Grand mère est morte un jour de cours, en plein contrôle de mathématiques. On est venus me chercher pour m'annoncer la nouvelle. Mon monde s'est alors effondré. »

Il reposa le crayon et cessa d'écrire deux jours durant. Parler du décès de sa grand-mère reste encore une épreuve. Pourtant, il s'y était fait. Mais lorsqu'elle a décédé, il a vécu cela comme un terrible vide qui n'a jamais été comblé.

« Des gens sont venus embarquer les affaires et je me suis retrouvés tout seul. Du jour au lendemain, je n'avais plus rien. J'ai été viré de chez nous et j'ai commencé à vivre ma vie seul, dans la rue. Le seul abri qu'il me restait était la petite voiture de grand-père qu'on m'avait épargnée. Elle m'a servi de maison de nombreuses années, mais ça n'a jamais été simple. Et pour survivre, j'ai volé, ce dont je ne suis pas fier du tout.

J'ai failli mourir de faim six fois durant ces quatre années de cavalerie. La faim est un sentiment insoutenable, ça tiraille le ventre, ça te vide l'énergie, ça ne transforme en légume incapable de faire quoique ce soit. Tu penses alors que ce sont tes dernières heures, et alors tu repenses à toutes les choses que tu aurais aimé faire avant de mourir. Heureusement, mon ange gardien a toujours été derrière moi. »
Il esquissa un sourire en repensant à la personne en question. Mais cela l'attristait tout autant. A croire qu'il était né maudit.

« Abygaëlle tenait une petite boulangerie avec son père. Mais elle était très malade, un truc au poumon je crois. On se connaissait déjà du lycée mais comme de nombreuses personnes, je ne l'avais pas mise au courant du décès de grand-mère. Elle m'a retrouvé dans ce sale état et m'a emmené sur son lieu de travail afin de m'arranger un peu. J'ai retrouvé foi en l'humanité dès lors. »

Abygaelle était une fille très mignonne, le sourire toujours au lèvres, la petite voix fluette et joyeuse. Une lumière pour Kaspar. Il aurait pu tomber amoureux d'elle s'il n'avait pas été si misérable et si elle n'était pas déjà attiré par un autre garçon. Quoiqu'il en soit, le décès de cette dernière lui restait gravé en mémoire pour toujours. Une nouvelle perte. A croire que toutes les personnes qui s'occupaient de lui étaient vouées à trouver la mort, ou à partir pour toujours.

« Durant quatre années, ça a été comme ça. J'ai erré, à la fois malheureux et à la fois très content. En fait, je n'ai jamais été aussi libre qu'en arpentant les rues de Londres. Le monde était à moi, je n'avais aucune règle à respecter. Mais ce n'est pas une vie, et j'en suis conscient. En plus, j'étais la plupart du temps tout seul, qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige. Une horreur. Mais j'ai fini par faire quelques rencontres qui ont changées ma vies. »

Il ne savait pas par qui commencer. Trois personnes lui venaient en mémoire et c'étaient grâce à elles trois qu'il avait pu s'en sortir.
« Tout d'abord, il y a eu Erwan, un archéologue qui travaillait à l'université. Je l'ai rencontré en l'observant dans l'amphithéâtre où il s'évertuait à enseigner. Mais je n'avais jamais pu aller plus loin parce que je n'étais pas étudiant et que je n'avais pas d'argent non plus. Heureusement, j'ai pu le retrouver à l'extérieur. Il était seul à une table quand je suis venu l'aborder. Comme je n'avais rien à perdre, je l'ai imploré afin de travailler pour lui. Une démarche assez ridicule, mais après tout, grand mère disait souvent 'qui ne tente rien a rien'. Ça a fini par payer, puisqu'il a accepté. J'ai pu ainsi avoir accès à l'université et au savoir qui m'a toujours envié. J'ai jamais été aussi heureux qu'à cet instant même. Parce que ça n'est pas tout !
J'ai rencontré aussi Nathanaël Keynes peu de temps après. Je traînais au Green Park quand je l'ai aperçu en mauvaise compagnie. Il était prêt à se faire passer à tabac quand j'ai contré ses agresseurs en faisant mine de le connaître depuis longtemps et en rusant lorsque j'ai annoncé l'arrivée de policiers. Ils ont pas mis énormément de temps avant de s'en aller. Quoiqu'il en soit, en guise de remerciement, il m'a emmené chez lui et on a partagé des fajitas. Elles étaient moins bonnes que celles de grand-mère mais vous savez, à l'époque, tout pouvait me convenir ! J'ai fini par être hébergé quelques jours et même d'intégrer le groupe qu'il tenait avec son ami parce qu'ils cherchaient un batteur et que j'en étais un.
A cette époque là, la chance me souriait. C'était d'ailleurs un peu trop beau pour être vrai. Il faut croire que tout a un prix dans la vie. Mais le mieux était à venir.

J'ai retrouvé Ivana un jour d'été, fin août de l'année deux mille quatorze, alors que j'étais en compagnie d'Abygaelle. Je l'aidais bénévolement à vendre des gâteaux en échange d'un peu de nourriture. Ivana est arrivée dans la boutique et dès qu'elle m'a vue, elle a renverser l'intégralité de son sac, lui comprit, sur le sol. Il a fallu un bon moment avant de s'en remettre. La vérité, c'est que j'étais déjà sorti avec Ivana un peu avant que je ne sois jeté à la rue et que je l'avais plantée sans donné de nouvelles ni rien du tout. Je ne l'avais pas recroisée suite à cela, jusqu'à cet instant. Mais on a dû s'en remettre très vite quand des braqueurs ont débarqués à leurs tours. Heureusement, la police n'était pas très loin si bien qu'on s'en est sorti sans égratignure. Personne n'a été blessé durant cet épreuve. On a fini par se séparer Ivana et moi et après un bref topo sur nos vies respectives, je lui ai promis de venir la voir chez elle. Ce que j'ai fais une semaine après. Je venais tout juste de rencontrer Nathanaël et j'en avais profité pour m'habiller et me coiffer un peu mieux que ça. En revanche, lorsque j'ai sonné à sa porte, je ne m'étais pas attendu à ce que les choses se passent si vite.
Nous avons perdu tous les deux notre virginité ce soir là. Un peu trop rapide, c'est vrai, et j'ai presque honte aujourd'hui d'y penser. J'étais très heureux à l'époque mais si c'était à refaire, je m'y opposerais. Quoiqu'il en soit, nous avions décidé d'officialiser notre relation.. qui a duré une semaine. Ivana était malade et elle pensait que ça m'affecterait. Lorsqu'elle m'a quitté la première fois, ça m'a énormément attristé. Mais on a fini par se retrouver et s'expliquer. Nous sommes donc restés ensemble suite à cela. J'étais tombé profondément amoureux d'elle, à tel point que je me disais que je ne pourrais plus faire ma vie avec quelqu'un d'autre qu'elle. On avait une relation assez particulière, beaucoup timide sur les bords dû à notre inexpérience en l'amour. Mais j'étais content de l'avoir à mes côtés. Je l'ai profondément aimées et j'imagine que c'était réciproque. Ivana était du genre discrète, à ne pas oser avouer ses sentiments et ça m'a posé pas mal de problèmes. Mais j'ai aimé chaque instant passés avec elle. Tout était parfait, jusqu'à ce qu'elle m'annonce LA nouvelle qui a changé définitivement et à jamais ma vie.

Elle est tombée enceinte. C'est drôle hein ? Mais c'est arrivé, comme ça. On croit qu'il n'y a que dans les films que ça arrive, mais quand on le vit véritablement, c'est une lourde épreuve. On a longuement discutés et une chose était sûre : on était tous les deux opposés à la destruction de l'enfant. Elle avait pour idée de le faire adopter, une chose qui m'était insoutenable. Pourtant, à ce jour, je me dis que ça aurait été la meilleure chose à faire. J'ai été têtu, une fois de plus, et ça m'a coûté extrêmement cher. Toujours est-il qu'on a fini par se mettre d'accord, on allait l’élever ensemble. Tous les signes étaient là pour cela. J'ai retrouvé un boulot au muséum, et un héritage m'est tombé dessus. J'y ai vraiment cru à ce jour. J'étais même heureux comme jamais, parce que non seulement j'allais avoir une famille, mais en plus je venais d'en retrouver une qui venait d'Italie. Malheureusement, ma cousine a disparu et je ne sais pas ce qu'elle est devenue à ce jour. Mais quelque chose de mieux est arrivé entre temps : Chandler est revenue. Grosse gêne lorsque je l'ai revue à la bibliothèque de l'université, mais je n'ai jamais été aussi content que de la revoir. Elle est encore là, avec moi, et son soutien m'est indispensable.

Ivana a accouché en septembre deux mille quinze, d'une petite fille qu'on a baptisé Lily en souvenir de grand-mère. Une grosse épreuve, elle était épuisée après neuf mois de grossesse et nous étions tous les deux très nerveux. En revanche, je n'avais pas vu la baffe arriver.
Après deux trois semaines de réflexion, elle a finit par prendre sa décision : elle allait rentrer chez ses parents et me laisser l'enfant. Tout a prit fin. Et j'ai eu du mal à le réaliser tellement ça a parut irréel à mon sens. Tous ses efforts... pour rien. Son départ a provoqué un nouveau vide dans ma vie et le temps que je m'en rende compte, je suis tombé de haut. Pas physiquement parlant, mais psychologiquement. Je suis entré dans la pire phase de ma vie et je n'aurais jamais cru qu'on puisse avoir un jour aussi mal. Tout, absolument tout était endoloris. J'avais l'impression d'avoir sombré dans les ténèbres, je ne voyais plus rien tellement c'était obscur. La douleur que je ressentais était insoutenable. En prime, j'avais la certitude que ma vie ne me menait nul part. Qu'à chaque fois, quelque chose me retombait dessus. Il y avait beau y avoir du monde autour de moi, j'étais profondément seul. J'ai du mal à parler de cette phase là, parce qu'elle est encore très récente et qu'elle est encore un peu présente. Mais aujourd'hui ça va mieux, je me suis repris en main. Ça commence à venir petit à petit, même si c'est pas encore tout à fait ça. »

Kaspar avait fait exprès de ne pas s'attarder. Aucune envie d'en parler. Il ne voulait pas non plus en garder souvenirs, même s'il ne l'oubliera jamais. Il voulait tourner la page désormais, commencer une nouvelle vie. Se donner les moyens pour avancer au lieu de régresser. Il avait un enfant à élever désormais et il tenait à le faire dans les meilleures conditions.