"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici call up to listen to the voice of reason, and got the answering machine (lexie + julian) 2979874845 call up to listen to the voice of reason, and got the answering machine (lexie + julian) 1973890357
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() message posté Dim 29 Nov 2015 - 18:40 par Invité
Mon portable vibra et je grognai, le visage à moitié enfoui dans mon oreiller. Je tendis le bras et mes muscles fragiles se nouèrent, m’arrachant un râle presque inaudible qui résonna dans la pièce jusqu’à ce que je me retourne et que je me redresse. La lumière du jour glissait sur mes pieds nus, au bout du matelas. J’eus un instant de flottement en remarquant que je venais d’être réveillé par quelque chose, sans pouvoir me rappeler à quelle heure je m’étais endormi. Je tournai la tête, remarquant la présence d’Elsa à mes côtés. J’avais fini par m’habituer, étrangement, à ouvrir les yeux sur la courbe de son corps et les épis de ses cheveux dorés, mais je m’éclipsais toujours avant qu’elle ne se réveille à son tour. Elle n’avait jamais le loisir de me voir le matin. Les vibrations attirèrent à nouveau mon attention et je finis par me saisir de mon téléphone pour découvrir l’identité de celui qui m’avait tiré d’un sommeil que, dans ma situation, j’osais appeler profond. Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu cette sensation d’avoir fait un rêve sans même avoir besoin de me souvenir précisément de son contenu. La certitude convenait à l’insomniaque car il avait perdu tout espoir. Je plissai des paupières en posant mes yeux sur l’écran et déchiffrant le nom de ma mère. Avec un soupir, je décrochai et m’avançai jusqu’à la fenêtre avant de lui répondre. Je portai l’appareil à mon oreille et cherchai mes cigarettes. « Ouais ? » Je me forçais à être concis : elle n’avait pas besoin de me demander si c’était bien moi, si ça allait bien, si elle m’avait réveillé … Elle avait déjà la réponse à toutes ces questions. Et pourtant, elle insistait tout de même, de cette voix épuisée qui portait brusquement en elle la marque ténue de la surprise. Je répondais une fois sur cinq. « Thomas, ça va ? Je t’ai réveillé ? » Je marmonnai une réponse affirmative avant de craquer une allumette. « J’sais pas, il est quelle heure ? » Presque neuf heures. La lumière froide de l’extérieur semblait recouverte d’un voile doré que mes yeux plissés tentaient en vain d’agripper. Je baissai la voix pour ne pas déranger Elsa qui semblait s’agiter. « Elsa va bien ? » Je jetai un coup d’œil à cette dernière et soupirai de nouveau. « Elle n’a pas encore décidé de foutre le feu donc j’imagine qu’elle finit par se plaire ici. » J’ouvris la fenêtre et enfilai une chemise. J’entendis Diane hésiter, comme si elle ne savait plus si elle devait me dire d’arrêter avec mon sarcasme – Dieu savait que je n’avais plus l’âge d’être insolent – ou bien avec mes cigarettes dont elle pouvait sentir l’odeur à travers le combiné. « Pourquoi tu m’appelles ? » Cette phrase tombait comme une sentence à chaque fois mais aujourd’hui, elle semblait mêlée à une étrange retraite, comme si j’apprenais petit à petit à baisser les armes. « Qu’est-ce que vous faites pour Noël ? Vous devriez rentrer à la maison quelques jours. » Je ne répondis pas, ne prenant pas la peine de me tourner vers Elsa. Je connaissais déjà son opinion. Je voyais déjà ses yeux larmoyants me supplier d’accepter d’aller voir Diane, briser la routine parce que c’était ainsi que j’allais pouvoir guérir. Elle se nourrissait d’un avenir que j’avais depuis longtemps bloqué dans ma boîte d’allumettes. Ce même sentiment les animait toutes les deux mais il ne parvenait pas à me dompter. Je croyais encore aux exceptions lorsque j’ouvrais les yeux et constatais que j’avais dormi, un peu. Je raffermis ma prise autour de mon téléphone et haussai les épaules. Je savais qu’elle ne pouvait pas le voir mais je lui transmettais ainsi l’étendue de mon indifférence. Elle devinait mes mouvements et mes pensées. Elle n’était pas de ceux qui comprenaient mon silence, mais de ceux qui l’avaient créé.

« C’était bien pourtant, la dernière fois que tu es venu. Avec ton amie … » Je fronçai les sourcils et me détournai de la fenêtre pour venir m’adosser au mur. Diane marmonna à son tour des paroles inintelligibles et je levai les yeux au ciel : elle cherchait le nom. « Alexandra. » A nouveau, ma voix résonnait comme un coup sec, une détonation qui réduisit ma mère au silence durant une fraction de seconde avant qu’elle ne répète le nom, parant son timbre d’une chaleur étrange. Elle n’était pas rassurée. Elle ne connaissait pas cette fille et elle ne savait pas vraiment ce qui nous liait, simplement que nous étions amis. Je clignai des paupières, la laissant poursuivre sans même la relancer afin de comprendre pourquoi elle la mentionnait. Je le savais déjà. C’était à la fois un prétexte pour me faire revenir et un besoin de se sentir concernée. Elle ne m’agaçait même plus car je finissais par trouver cela touchant. Elle me demanda de ses nouvelles et je restai silencieux, à nouveau, passant mes doigts sur mes joues dans une attitude réflexive qui ne mènerait à rien. « Elle est à l’hôpital. » Je ne pouvais pas lui dire qu’elle allait bien, c’était absurde. « Mais ne t’inquiète pas. » Bien sûr qu’elle allait s’inquiéter. Elle en avait assez de se morfondre sur l’absence de son fils alors elle se rabattait sur le reste. Ses mots retentissaient dans mon crâne et je lui demandai de se taire, plusieurs fois. Ce n’est que lorsque je mentionnai le sommeil d’Elsa qu’elle songea à se calmer. Lui répéter de ne pas s’inquiéter ne servait à rien. C’était comme rajouter de l’huile se le feu, car elle avait l’impression qu’on lui cachait quelque chose. Même si elle n’avait vu Alexandra que durant quelques heures, elle ne pouvait se permettre de ne pas s’intéresser à elle. Elle préférait être anxieuse plutôt que détachée. Je comprenais pourquoi on me disait que je ressemblais à mon père. « Tu es allé la voir j’espère ? » Je baissai la tête, passant ma main dans mes cheveux, puis daignai me racler la gorge. « Thomas ? » Elle me relançait d’une voix particulièrement sévère et je ne pus m’empêcher de soupirer, cette fois avec une profonde lassitude. « Je ne suis pas certain qu’elle ait envie de me voir, tu sais. » Mon ton était sans appel mais cela n’alerta pas Diane, qui renchérit. « J’ai honte de toi parfois, Tom. » Elle n’hésitait pas à lancer des répliques cinglantes mais je les anticipais à chaque fois. Je savais déjà ce qu’elle pensait de moi, je m’étais déjà fait aux apparences. « Achète-lui un bouquet de fleurs et va la voir. Je suis certaine que, quoi qu’il se passe entre vous, ce n’est pas si grave. » Je m’autorisai un rire qui fut plus amusé qu’autre chose. Je me moquais certes de la naïveté de Diane, mais c’était probablement sa justesse qui me charmait le plus. Pourtant, Lexie et moi savions qu’il nous faudrait du temps pour nous regarder de nouveau. Comme si un bouquet de fleurs était capable d’effacer les traces noires qui salissaient nos souvenirs. « Je suis pas du genre à offrir des fleurs, maman. » C’était une évidence. J’étais celui qui comptait les pétales en les arrachant un à un, parsemant le sol de ces regrets inavoués : on ne tombait jamais sur celui qui nous redonnait le sourire et je m’étais lassée d’attendre. « Prends-en de ma part alors. Achète-lui des fleurs de ma part. » Je haussai les sourcils et me mordis la lèvre inférieure. Et je ris, à nouveau, car l’innocence cachait une profonde simplicité qui rendait tout plus pur, plus visible. Certains voyaient les choses telles qu’elles étaient et se demandaient pourquoi. D’autres rêvaient de choses qui n’avaient jamais été et se disaient : pourquoi pas ? Je décollai mon dos du mur et arpentai le sol de mon appartement avec ce même sourire qui semblait ne plus vouloir me quitter. Le même que je lisais sur le visage de Diane parfois, le même qu’Elsa arborait lorsqu’elle étendait ses bras pâles en sortant de mon immeuble, la lumière diurne glissant entre ses mèches blondes et faisant briller ses dents blanches alors qu’elle mettait ses lunettes de soleil et se tournait vers moi dans un mouvement dansant, presque révolté contre l’immobilité des matins londoniens. Mes fossettes se creusèrent et j’ouvris la bouche, amusé. « On verra pour Noël. » Elsa grogna quelques mots inintelligibles et je raccrochai. Elle se redressa et me regarda, un air interrogateur dans ses prunelles. J’étais censé parler. Lui dire qui était au bout du fil, s’il y avait de bonnes nouvelles, si j’allais bien. Mais je n’en fis rien et, alors que j’enfilai mon pantalon et cherchai mes chaussures, je l’entendis soupirer, comme la coda de mon propre souffle, de mon propre silence, de mes propres pensées et, peut-être, de mon propre sourire, car j’imaginai le sien apparaître lorsqu’elle laissa retomber sa tête sur les draps, le visage encadré par le reflet de la vitre sur le sol de l’appartement.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent et je laissai retomber mon bras le long de mon corps. Des pétales jaunes accompagnèrent mon mouvement et tournoyèrent jusqu’à se poser délicatement sur le sol. Je fis un pas dans le couloir et on leva les yeux à mon passage. Parce que je traînais des pieds et que ça brisait le calme de l’espace. Parce qu’on observait la trace que les pétales dessinaient derrière eux en habillant d’or le linoleum terne. Parce que je n’avais pas l’air d’un type venu apporter des fleurs et que pourtant, j’en adoptais tous les gestes. Je m’amusais à croiser le regard des autres pour qu’ils baissent le leur et me laissent avancer en paix. Tu vois, Alexandra … Je bifurquai lestement. Tu vois, même ici, on dirait que je suis chez moi, et pourtant je déteste cet endroit. Peut-être que je vivais un semblant d’harmonie lorsque je me perdais, la nuit, dans les rues de Londres, et que j’étais capable de me reconnaître dans l’obscurité. Peut-être que j’étais maudit par une familière étrangeté qui m’accompagnait partout où j’allais. Qui transformait tout ce que je connaissais en monstres, en spectres, en silence. Je préférais ne pas hésiter et poussai la porte de la chambre que les médecins m’avaient indiquée. Je restai cependant sur le seuil et m’appuyai contre l’encadrement comme si je m’amusais à rejouer une scène que nous connaissions déjà tous les deux, que nous avions déjà joué mille fois auparavant. Combien, mille ? Je penchai la tête, un sourire aux lèvres. Je crois que nous sommes piégés en haut de cet immeuble à jamais, Lexie. Mes yeux noirs glissèrent jusqu’aux draps blancs du lit, jusqu’à la silhouette menue et fragile d’Alexandra, jusqu’à ses pupilles qui me fixaient, mais les éclats de ses prunelles, quelle que soit leur violence ou leur surprise, ne semblaient pas prêts à défier les miens. Ou bien avait-elle enfin réussi à ne montrer aucune colère ? Peut-être qu’elle n’en ressentait pas, tout simplement. Mes paupières se plissèrent en une salutation féline, puis je tournai la tête : j’avais senti une autre présence et je fronçai les sourcils en découvrant qui se trouvait à mes côtés, à veiller sur Lexie. Ma surprise se fit ressentir, mais la sienne également, alors un silence s’installa tandis que nous nous habituions à la présence de l’autre, que nous jugions les boucles qui ornaient la tête de l’autre, que nous observions les habits de l’autre, comme si nous cherchions déjà à lancer la première pique. Quelle idée. J’étais meilleur que lui à ce jeu, et ce depuis bien longtemps. « Vous êtes en panne d’inspiration pour votre prochain livre, Julian ? » Mon ton était rieur. « Vous avez eu raison de venir ici. Elle a pas eu la vie facile, notre Alexandra. » Je la regardai de nouveau, cette fois avec une profondeur d’esprit qu’elle commençait à peine à connaître, à apprécier. Elle m’avait sûrement détesté l’espace d’une seconde et notre monde était certainement trop fragile pour être secoué comme nous l’avions fait. Alors j’optais pour la solution qui me paraissait la plus évidente. Rester le type qui toquait à sa porte à n’importe quelle heure, non pas pour lui demander asile mais pour ne pas que l'on souffre d'une plus âpre solitude dans des lieux familiers, puisque nous savions tous les deux que nous ne nous reconnaissions que dans le reflet des flaques d’eaux sauvages qui tapissaient les pavés de la chaussée ainsi qu’entre les griffures nuageuses et pourpres qui peignaient le ciel lorsque la nuit et le jour se confondaient, chaque matin et chaque soir. A savoir lequel d’entre nous était la nuit, lequel était le jour, mais cela ne nous intéressait plus car ce que nous aimions, c’était l’entre-deux. C’était les nuances, l’ambiguïté et l’incertitude. « Elle ferait un sacrée héroïne. » Et puis j’entrai, lui présentant le bouquet d’une manière presque penaude. Mais véritablement malicieuse. « De la part de ma mère, payées avec mon argent. Elle s’inquiète pour toi par politesse. » Les roses restaient vigoureuses malgré ma démarche nonchalante et je les déposai en compagnie d’autres bouquets qui eux, respiraient de véritables souhaits de rétablissement. J’eus un sourire en coin en me retournant. Je savais déjà ce qu’elle pensait des souhaits. Je me demandais simplement si elle avait un plan, cette fois.
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() message posté Ven 8 Jan 2016 - 19:59 par Invité

“There are darknesses in life and there are lights, and you are one of the lights, the light of all lights.” Mes doigts traçaient une ligne continue à la surface du bureau avant de rencontrer la pointe brillante du stylo. Tous mes élans de lucidité restaient suspendus au bout de ma langue. Je ne faisais plus attention à la musique qui accompagnait le cheminement de mes pensées. J'étais complètement plongé dans l'obscurité, le visage tourné vers les desseins de mes rêveries. Il faisait froid malgré les vapeurs du diffuseur. Il faisait éternellement froid, parce que le silence agissait de cette manière sur l'esprit. Il éveillait en lui une force glaciale et insoupçonnable. Je me redressai lentement sur mon siège, puis d'un geste las, je raclai le rebord du bois en soupirant. Comment aimer Berenice? Je relâchai mon attention. Je restai figé entre les variations de ma voix intérieure alors que mes cuisses tremblaient sous la table. Cette interrogation évoquait des choses tristes qui finissaient toujours par me contrarier. Mon expression semblait grise et mal contenue. Je n'étais pas étonné de constater que le bonheur simple était une utopie. J'étais simplement dépité, car malgré mes efforts et toutes mes bonnes intentions, mon couple avec Eugenia battait de l'aile. La rédemption n'existait pas. Les secondes chances et le bon vouloir non plus. Il y avait toujours une ombre sur le tableau, et notre histoire ne faisait pas exception à la règle. C'était une œuvre que beaucoup de mes lecteurs trouvaient longue et lassante, puérile et pleine de désillusions. L'amour ne soulevait pas la beauté du sentiment, mais le besoin constant de l'éprouver à l'égard d'une personne choisie. A l'instar, de l'alcool, du sexe et de la drogue, c'était une addiction pathétique. Comment aimer Berenice? J'ignorais tout de cette allégorie, mais je voulais prendre le temps de l'analyser avant qu'elle ne se dissipe encore une fois. Qui était Berenice? Je percevais toute la grâce de ses traits marqués par le tourment. Je comprenais son angoisse et son acharnement, mais je refusais de prendre part à sa bêtise. Je refusais de considérer son air triste et pitoyable, puisqu'elle avait déjà gagné. Je m'étais incliné. Je ne l'obligeais pas à avorter. J'étais devenu un mari passif. J'inspirai profondément avant de laisser échapper un nuage fumée dans la pièce. Mes yeux se posèrent sur la poignée de la porte. Comme souvent, je fus tenté de l'ouvrir afin d'échapper à la réalité. Je fus tenté de courir à perte d'haleine dans les couloirs menant jusqu'à la sortie, en ville, puis vers l’hôpital. Comment aimer Berenice? L'intrigue de mon prochain livre était déjà lancée, mais je ne parvenais pas à en saisir toute le sens. Berenice était handicapée et Samuel souffrait de troubles inconnus. Il l 'attendait sur le rivage, les bras désespérément tendues vers le ciel, alors qu'elle s'éloignait sur un radeau, poussée par les vagues déferlantes d'un océan qui ne faisait que l'entraîner de l'autre côté du phare. Je me redressai avec nonchalance, puis je rejetai mes feuilles et les dossiers d'enquête qui s'étaient empilés depuis la parution de l'article de Solveig sur la mafia. Je quittai le bâtiment en descendant les escaliers sur mes jambes lasses et fatiguées. Mon manteau enveloppait ma poitrine comme un voile protecteur, mais plus je m'avançais dans la rue et plus je sentais le tissu se frictionner au contact de ma peau. Ma gorge vibrait sous mon col, elle grognait comme une bête féroce, maintenue en cage par une force invisible. Il s'agissait de cela en fin de compte. Eugenia m'avait privé de ma liberté lorsqu'elle m'avait poussé à taire la vérité. Je n'aimais pas prendre des risques inutiles. Je ne voulais pas qu'elle mène sa grossesse à terme et je n'acceptais pas son opinion, lorsque cette dernière allait à l'encontre de notre promesse d'éternité.

Je chassais mes démons à travers les avenues brumeuses de la ville. Mon cœur haletait au bord du gouffre, puis il se penchait encore une fois vers le bas. Il attendait son heure de gloire, la chute imminente et toutes les belles rencontres qui l'attendaient au milieu des ténèbres. Je les adulais. Je les enviais. Ces créatures des enfers qui semblaient inatteignables. Ces monstres d’égoïsme dont le regard transperçant était chargé d'humanité et d'auto-dérision. C'était des héros des temps modernes. L'image de Thomas Knickerbadger traversa mon esprit. J'esquissai un sourire taquin en m'accoudant au muret et je fumai vertueusement afin de rendre hommage à nos réflexions matinales. Je pressai le filtre de ma cigarette en humant les effluves charmeuses de la nicotine, puis lassé par l'ambiance maussade de l'hiver, je l'écrasai sur la chaussée afin de pénétrer dans hôpital. Comment aimer Berenice? Je secouai les épaules en me dirigeant vers la chambre d'Alexandra. Elle n'attendait plus mes visites car j'étais devenu trop prévisible. Il s'agissait d'un jeu entre nous. Je la rejoignais toujours après avoir accumulé mes petites déceptions, et elle était là, allongée sur son lit, le teint cadavérique et la bouche incurvée. Elle arborait un sourire franc et amusé, puis elle se redressait en plissant les yeux afin d'effleurer mon épaule. Nos rendez-vous était réguliers lors de ses dialyses nocturnes et parfois plus tôt dans la journée. « La prochaine fois, je te ramènerais un peu de blush. Tu seras très jolie et ça me fera une excuse pour taper sur les infirmiers qui te draguent. » Soufflai-je en m'installant à son chevet. Je n'étais pas inquiet. Non, je ne l'étais pas. Je baissai les yeux afin d'effleurer sa main. Nos doigts s'entremêlèrent pendant une fraction de secondes et je pressai son poignet avec douceur. Tu vois, je tiens ma promesse. Je ne suis pas inquiet. Je souris en penchant la tête. Mes cheveux tombèrent sur mon front, couvrant ainsi, l'expression émue qui prenait possession de mon regard. Il fallait du temps pour adopter les bons réflexes et accepter la maladie d'un proche. Il fallait aussi beaucoup de courage, et j'en manquais cruellement lorsqu'il s'agissait de ma petite sœur. « Il paraît que Mondler, c'est pour de vrai. J'ai lu ça dans un magasine mais je pense qu'il date de quelques semaines. C'est triste, qu'ils aient attendu d'être vieux et moches pour faire rêver les gens. » Je roulai des yeux en agitant la main d'un air théâtral. J'étais trop absorbé par mon récit pour remarquer l'intrusion d'une autre personne dans la chambre. Je me tournai lentement, puis j'arquai un sourcil, surpris de découvrir la silhouette filiforme et la dégaine particulière de Thomas. Que faisait-il là ? Je me relevai par réflexe, comme pour me mesurer à lui. Comme pour lui prouver, que malgré sa stature vaniteuse et ses fleurs minables, je ne comptais pas le laisser prendre le dessus. Je le jaugeais d'un air féroce. Je suivais les fluctuations de sa respiration et le petit pincement au coin de sa bouche qui annonçait son premier pique. « Vous êtes en panne d’inspiration pour votre prochain livre, Julian ? » Je haussai les épaules. Ce n'était pas équitable. Un bon écrivain était, par définition, toujours en panne d'inspiration. Nous vivions au vingt et unième siècle, dans une société creuse et désuète. Tous les thèmes existentiels avaient été débattus. Il suffisait de porter une petite culotte fushia et un crop top léopard pour faire le buzz sur les réseaux sociaux. « Vous avez eu raison de venir ici. Elle a pas eu la vie facile, notre Alexandra. » Notre Alexandra ? Je serrai les poings en le fixant avec application. « Elle ferait un sacrée héroïne. » Il se tourna ensuite avec Lexie afin de désigner son bouquet. « De la part de ma mère, payées avec mon argent. Elle s’inquiète pour toi par politesse. » Je ne comprenais pas réellement. Je fulminais alors qu'il se dirigeait vers le meuble, où étaient déjà disposés plusieurs assortiments colorés et des souhaits de bon rétablissement. Je passai furtivement ma main dans ma frange, puis je retrouvai mon siège en silence. Je me trouvais étrangement calme, et je savais que cet effarement passager, précédait toujours la phase de colère. « Si je peux me permettre, je vous ai déjà promis l'honneur de figurer dans mon prochain livre. » J'insistai sur la figuration en souriant. « Je ne savais pas que vous connaissiez notre Alexandra, ni que votre mère était polie. Je vous avoue. Je suis surpris. » Je n'étais pas fier de ma remarque, mais sa présence m'avait irrité. Sa façon de se tenir, de s'exprimer et de pointer MA Lexie, me faisaient grincer des dents. Nous étions loin du banc et de ses idéologies sur l’éphémère et la destinée des allumettes. Ici, il devait respecter la différence des autres factions. Celles que nous aimions critiquer, mais avec lesquelles nous étions contraints de cohabiter. Il devait absolument tout respecter.
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() message posté Ven 15 Jan 2016 - 2:10 par Invité
Le matin avait déjà eu lieu. Il était passé et je n’avais rien pu faire pour le retenir. C’était autre chose, à présent. Une autre lumière, moins grise, moins froide. Elle pénétrait à l’intérieur de la pièce close avec moins de difficultés, plus d’entrain, et venait se poser sur mes joues refroidies, libérée des stores argentés désormais relevés. Je ne la ressentais pas comme une chaleur, plutôt comme un signal, celui qu’il était désormais temps de se réveiller, d’entrer de nouveau dans la photographie terne de ce monde en suspens, de revenir parmi les vivants ou ce qu’il en restait au sein de ces murs. Je suis à l’hôpital. C’était à chaque fois la même chose. J’émergeais difficilement du sommeil synthétique et imposé, puis je me souvenais. Je reconnaissais la texture rêche et froissée des draps blancs sous mes doigts. J’entendais les moniteurs s’activer avec monotonie à la droite du lit métallique. Je sentais le creux de mon bras tiraillé par les perfusions qu’ils s’entêtaient à placer toujours au même endroit, réveillant un peu plus ma peau déjà écorchée. Ces indices se formaient dans mon esprit et se présentaient, derrière mes paupières abaissées, sous un dessin vague et désenchanté. Je suis à l’hôpital. Une assurance pour certains, le début d’une épreuve, selon moi. C’était pour cela que je me rendormais sitôt réveillée. Désireuse d’échapper à l’extérieur bruyant et palpitant de la vie du matin, lorsque les couloirs ici n’étaient qu’envahis par les cliquetis des plateaux, perfusions et autres attirails à roulettes de l’établissement. Nous devenions cette communauté résignée à écouter le bruit du dehors, résignée à ne plus pouvoir les enrichir. Je grimaçai légèrement et passai doucement mon index sur ma lèvre inférieure. Je l’avais mordue dans ma chute. J’avais perdu connaissance dans l’escalier de mon immeuble et n’avais pu atteindre le palier avant de m’effondrer. Ma tempe droite était endolorie, également. Je cherchais quelque chose d’autre, avec précaution. Les yeux toujours fermés, je parcourais mentalement, et avec lenteur, le reste de mon corps. Je faisais cela à chaque réveil, m’assurant que cela vaille le coup. Mais cela n’était jamais le cas, depuis mon arrivée aux urgences. Les messages d’alerte se chevauchaient dans mon esprit dans un désordre atterré. Chaque articulation, chaque muscle, chaque membre, endoloris, me renvoyaient des images du malaise en des éclairs incertains. Je retrouvais mon corps perclus de courbatures et gardais l’espoir, à chaque fois, en ouvrant les paupières, de retrouver mon visage lisse et décent, tant le reste me paraissait être couvert d’ecchymoses, roué de coups. Je plissais les yeux en approchant le miroir mobile, posé sur la tablette du lit. Je n’y découvrais rien de différent : cette lèvre abîmée, cette tempe tuméfiée. C’était autre chose que je lisais, autre chose que je constatais. J’y détaillais les défaites accumulées durant ces quatre dernières années, une par une, sans affolement ni amertume, mais avec une tranquillité désormais à peine attentive. Comme si ce visage que j’effleurais du bout des doigts pour me souvenir de ses douleurs, faire ressortir ses ombres, avait été à une autre l’espace d’une seconde, l’espace de ces instants. Je repoussais finalement la glace avec un soupir et laissai ma tête se reposer dans le creux de l’oreiller. Tout cela ne signifiait rien et c’était sans doute pourquoi je m’y attardais. Il s’agissait du visible, du superficiel. Le reste siégeait à l’intérieur et continuait d’avancer, silencieusement, sournoisement, infligeant un peu plus de dégâts à chaque fois. C’était ce reste qui inquiétait les médecins, ce reste sur lequel j’étais supposée me concentrer.  
Je clignai lentement des yeux et restai ainsi, immobile, m’obligeant à faire le point sur le plateau posé à mes côtés. C’était un chariot rectangulaire, à quatre pieds, d’une teinte neutre, un blanc hésitant, tirant sur le crème, destiné autrefois à demeurer éternellement ivoire. Recouvert en son dessus d’une toile cirée à quadrillage bleu et blanc, je m’attardai, par ennui, à l’inventaire des gélules qui y étaient disposées. Il y en avait neuf : une capsule de sensipar contre la régulation du calcium – la douleur de mon poignet gauche se manifesta alors et je me souvins qu’il était foulé en me mordant l’intérieur de la joue, deux doses d’aranesp pour maintenir le niveau de mes globules rouges, une gélule d’hydrodiuril pour le diurétique, une dose de furosémide pour … Je perdis le compte et passai une main sur mes yeux fatigués. Je devais me souvenir d’interroger mon néphrologue à sa prochaine visite. Sam m’avait parlé de ce nouveau médicament supposé réduire l’apparition et la croissance des kystes, atténuer les troubles de la mémoire et diminuer les nausées. Cela ferait dix médicaments, ensuite. Je repoussai par habitude le plateau en entendant la porte s’ouvrir, dans l’espoir vain de l’éloigner des regards, et me redressai contre le dossier du lit avant que Julian ne s’installe à mes côtés. Je croisai ses prunelles et relevai le menton avec malice, attendant sa première réflexion, presque défiante. « La prochaine fois, je te ramènerais un peu de blush. Tu seras très jolie et ça me fera une excuse pour taper sur les infirmiers qui te draguent. » Un sourire se dessina sur mes lèvres et je laissai ma tête retomber dans l’oreiller après l’avoir ajusté dans le creux de ma nuque. Je touchai du bout des doigts mes pommettes et arborai une expression interdite. « T’as pris du retard, alors. J’ai beaucoup de succès comme ça, même si t’as l’air d’en douter. » Mes doigts retombèrent lentement sur les draps et j’y raffermis ma prise sans y penser. Mon visage s’inclina vers celui de Julian, je ne pouvais que lui offrir l’éclat d’amusement au fond de mes prunelles et j’espérai que cela lui suffise, j’espérai que le reste ne l’inquiéterait pas trop. Je m’en voulais à chaque fois que je le voyais passer le pas d’une de ces portes, je m’en voulais à chaque fois que je le voyais se forcer pour se montrer enthousiaste. Mais il le faisait, car c’était ce qui lui allait, c’était ce qu’il était. Ses doigts transis frôlèrent les miens avant de s’échapper dans les plis à leur tour. Il s’agissait du propre de l’homme. Je n’y coupais pas. Je subissais mes propres tourments et souvent, trop souvent, j’y entraînais les personnes que j’aimais. « Il paraît que Mondler, c'est pour de vrai. J'ai lu ça dans un magasine mais je pense qu'il date de quelques semaines. C'est triste, qu'ils aient attendu d'être vieux et moches pour faire rêver les gens. » Je réprimai un sourire devant son geste ample et évasif et plissai les yeux à la place en redressant mes épaules. « Où est le magazine, Julian ? » le coupai-je d’un air concerné, comme s’il me paraissait improbable qu’il ne l’ait pas sur lui, laissant mon regard détailler avec lassitude ses affaires. « Je l’ai peut-être déjà lu mais dans le doute, tu devras me l’apporter. Je fais du croisement de sources pour vérifier l’information. » Je posai distraitement une main sur ma lèvre lancinante. Je connaissais notre lien, datant du premier jour, j’avais confiance en son immuabilité mais je ne pouvais m’empêcher de regretter que celui-ci ne paraisse jamais aussi profond qu’en ces instants qui succédaient aux maux, par ma faute.
Ce fut d’abord son regard qui attira mon attention. Ce regard où semblait se refléter la surprise, atténuée aussitôt par une inimitié inattendue. Ce regard décontenancé, oscillant entre l’hostilité et la connivence. Je regardai son torse se soulever sous ses respirations profondes avant de laisser enfin mon visage se courber vers la porte. Je suspendis mes mouvements dans cette position. Je ne pouvais savoir si j’étais réellement surprise, ou non. Sa posture aurait pu m’arracher un sourire entendu, pour répondre au sien, mais je laissais le silence s’installer à la place.  « Vous êtes en panne d’inspiration pour votre prochain livre, Julian ? » Je mesurais mes inspirations et en sentis une m’échapper, lentement, en l’entendant prononcer son prénom. Etaient-ils supposés se connaître ? Et surtout, s’étaient-ils passé le mot pour passer le seuil de cette chambre aujourd’hui, particulièrement ? Je trouvais cette réflexion absurde et superficielle, mais ils me connaissaient. Et ma fierté prenait le dessus. J’enviais leur stature et leur dignité, j’enviais leur verve et leur assurance, je ne m’étais jamais sentie aussi diminuée que sur l’instant. « Vous avez eu raison de venir ici. Elle a pas eu la vie facile, notre Alexandra. » Je sentais les pointes des sentiments contradictoires piquer mes tempes et je renonçais à les démêler. J’aurais voulu penser qu’il s’agissait de paresse mais c’était autre chose. Je ne savais pas quoi penser. Pas encore. Je sentais Julian tendu à mes côtés et j’ignorais pourquoi. Dis-le-moi, peut-être qu’on lui reproche les mêmes choses. Cela m’étonnerait fortement mais nous pourrions sûrement trouver un point d’accord. Je me résignai finalement à laisser ses yeux accrocher les miens. Ses yeux si noirs qu’ils semblaient refléter l’extérieur. Une ébauche de concentration, et je pouvais sûrement m’y apercevoir dans ces miroirs, même furtivement, même par défaut. « Elle ferait un sacrée héroïne. » Ses mots volèrent une nouvelle fois dans la pièce, ponctués de leur ironie habituelle, et je me concentrais pour les saisir. Il se détacha finalement de l’encadrement et fis un pas dans la chambre, approchant son ombre lestement de mon lit. Des fleurs vinrent se présenter devant son visage et je fronçai les sourcils avec précaution. Là, j’étais surprise. « De la part de ma mère, payées avec mon argent. Elle s’inquiète pour toi par politesse. » Le côté laconique, façonné de sa formule aurait pu m’arracher un sourire si je n’étais pas supposée lui en vouloir. Je lui en voulais, ce n’était pas une hypothèse. Et il le savait, ses sarcasmes renaissaient avec naturel mais les fleurs le prouvaient. Il y avait pourtant eu ce jour, puis cette nuit, suivis d’autres, de nombreux autres. Mais rien de ce qui s’était produit en cette nuit précédente n’avait pourtant disparu. Nous étions restés bloqués sur ce toit, enfermés dans cet appartement. Et nous nous retrouvions aujourd’hui égarés quelque part, entre les rayons traversant la fenêtre et la posture protectrice de Julian. « Si je peux me permettre, je vous ai déjà promis l'honneur de figurer dans mon prochain livre. » Je ramenai d’une main dissipée mes cheveux sur mon épaule gauche. Je profitais de son intervention pour reprendre le peu de contrôle qui restait en ma possession. « Je ne savais pas que vous connaissiez notre Alexandra, ni que votre mère était polie. Je vous avoue. Je suis surpris. » Je ne comprenais pas. Peut-être passais-je à côté de quelque chose d’évident. Peut-être n’arrivais-je pas à aller aussi vite qu’eux, ma répartie semblait s’évader par la fenêtre entrouverte. Les liens m’échappaient, eux aussi. « J’apprécie l’effort. Mais tu ne présentes pas les choses de la bonne manière, elle serait déçue. » finis-je par reprendre d'une voix fatiguée. Il n’avait toujours pas appris à mentir, de toute évidence. Il n’avait toujours pas appris à habiller ses pensées d’une enveloppe décente. Ou peut-être était-ce moi décidée à ne plus le laisser s’en tirer ainsi. « Tu la remercieras. Pour les fleurs. Pas pour le livreur. » Puisqu’il n’était que ça, apparemment. Puisqu’il s’agissait d’être polie. La couleur de ces roses se mariaient étrangement dans mon esprit avec celles cueillies sur le chemin, menant à la tombe de son père. Je ne voulais pas rendre les armes aussi facilement. Je laissai un sourire mutin errer finalement sur mes lèvres avant d'incliner mon visage vers Julian, tentant de mesurer son agacement soudain. « J’ai raté quelque chose. Vous vous connaissez mais vous n’êtes pas amis, ça me surprend. » laissai-je échapper avec malice. Je ne voulais pas qu’il soit heurté ou obligé à quoique ce soit. Je savais me montrer détachée, s’il le fallait. Je m’appuyai difficilement sur mon poignet affaibli pour me redresser totalement contre le dossier surélevé. Je pouvais faire face au sourire de Thomas, celui-là même qui semblait destiné à narguer le monde entier alors qu’il n’était pas supposé s’en préoccuper, celui-là même qu’il focalisait sur moi comme s’il m’accordait ainsi un privilège infiniment favorable, me défiant de le refuser. Je n’avais pas encore décidé de le faire, ou non. Je savais simplement que ma mémoire, bien qu’altérée, n’était pas disposée à s’étioler aussi facilement que les pétales de ses fleurs ballotées sur le chevet opalin.
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() message posté Ven 22 Jan 2016 - 16:30 par Invité
Je tournai la tête vers la fenêtre dans une attitude pensive, suivant le tracé des rayons du soleil matinal qui dorait les quelques fleurs que j’avais ajusté sur le présentoir. Quelque chose clochait et nous étions trois à le percevoir, d’une manière différente cela dit. La surprise passait et laissait place à l’adaptation. Julian et moi préférions nous rencontrer sur le chemin du hasard, sauf lorsqu’il se précipitait pour me barrer la route à la sortie d’un amphithéâtre, clamant quelques vers sans que je puisse deviner s’ils étaient destinés à moi ou à cette idole féminine dont il parlait toujours, obnubilé par son visage de déesse inaccessible. Je regrettais d’être à l’hôpital, on ne pouvait pas fumer. J’aurais dû attendre qu’Alexandra se remettre de ses émotions et qu’elle se dresse face à moi pour que nous puissions parler dignement, puisque tous ses tourments siégeaient dans cette allure que nous avions perdue, laissée tomber en bas, sur la chaussée. Si elle repassait dans ma rue, même si je doutais qu’elle le fasse, je l’imaginais plisser des yeux à la recherche du cadavre des apparences. Je ne m’étais pas posé la question de savoir d’où je l’avais tirée, cette nuit-là : d’une soirée monotone à compter les minutes la séparant de l’aube ou d’un dîner jovial en compagnie de sa colocataire, discutant de tout et de rien, un peu de tout et surtout de rien, autour d’une bouteille de vin que l’on gardait pour les grandes occasions avant de se rendre compte qu’elle ferait bien l’affaire ce soir-là, afin de donner un peu de saveur à l’insipidité de la vie qu’elle menait ? Je l’ignorais et préférais égoïstement rester dans l’ignorance puisqu’elle était venue, en fin de compte, et qu’elle m’en voulait aujourd’hui pour des milliers de raisons que je balayais d’un revers de main, à chaque fois. Je regrettais d’être à l’hôpital mais Diane avait parlé et j’étais fatigué de raccrocher à chaque appel sur une note dépréciative. Je m’amusais alors à mesurer mon irritation, à voir combien de temps je pourrais rester entre ces quatre murs en supportant à la fois les sarcasmes hésitants de Julian et les reproches déguisés de Lexie avant d’étouffer leur rancœur pour sortir fumer. Les défis les plus étranges étaient ceux que l’on se lançait à soi-même et je pouvais toujours le maquiller à mon médecin, prétendant que c’était une véritable tentative de bonne volonté : j’ai tenu une heure sans fumer, vous croyez qu’il me reste un espoir ? Mon regard poursuivit son chemin jusqu’au chariot orné de médicaments et mes paupières hésitèrent à se fermer, se contentant de papillonner, flegmatiques et lassées. Lexie devait remarquer le dédain avec lequel j’observais son environnement. Je doutais que Julian y parvienne mais il était toujours sous le choc – le pauvre. « Si je peux me permettre, je vous ai déjà promis l’honneur de figurer dans mon prochain livre. » Ses mots me tirèrent du songe que je commençai à peine à faire et je me tournai vers lui d’un air amusé, esquivant Lexie au passage pour que mon sourire ne soit que le reflet de mon orgueil malicieux. « Je ne savais pas que vous connaissiez notre Alexandra, ni que votre mère était polie. Je vous avoue. Je suis surpris. » Je laissai échapper un rire silencieux et haussai les épaules, choisissant de puiser dans ma mémoire des souvenirs plus sobres, moins torturés. « Je l’ai sauvée d’un rendez-vous qui allait mal tourner. » Mes lèvres se courbèrent en un faible sourire et j’y passai discrètement ma langue par pur réflexe, lavant le terrain pour les prochains mots que j’allais prononcer, me gardant d’être acerbe pour ne rejouer qu’une scène, une que nous avions déjà vécue milles fois aux côtés de l’autre, dans nos songes, notre mémoire et notre réalité décousue aux parfums épurés de Glastonbury. Les fleurs que Lexie avait apportées à William paraissaient vives et sauvages face aux miennes, mais après tout, c’était l’intention qui comptait. « Et ma mère vous plairait beaucoup, j’en suis sûr. Je comptais lui offrir votre livre à Noël, voir ce qu’elle pense de vos opinions. » Je finis par quitter mon emplacement pour m’approcher légèrement d’eux et me redresser, surplombant les idées spéculatives et amusantes de Julian dans un mouvement mesuré. « Vous critiquer va devenir le passe-temps familial. On a perdu tous nos jeux de cartes. » Je ne me rappelais même plus de la dernière fois que j’avais pris la peine de jouer aux cartes avec Diane pour noyer l’ennui. Bien trop longtemps, soupireraient tous les spectateurs, mais cette pièce finissait mal : les personnages n’étaient pas à la hauteur de leurs ambitions, qu’elles soient utopiques ou funestes.

« J’apprécie l’effort. Mais tu ne présentes pas les choses de la bonne manière, elle serait déçue. » J’eus un sourire presque compatissant pour ma mère, mais Lexie ne dut y déceler que l’ironie, certes présente et pourtant atténuée par ma résignation. Et alors ? Elle n’est pas là pour me faire la remarque. Je savais que je n’allais pas y couper : sa voix fatiguée restait tranchante, malgré la malice. Elle ne s’était pas attendue à ma venue, ou peut-être que si mais qu’elle ne s’y était pas suffisamment préparée. Il n’y avait aucune méthode pour le faire, après tout. « Elle a l’habitude. » Mais ça ne suffisait pas, n’est-ce pas ? Je le lus dans son regard avant qu’elle ne le forme dans son esprit. Ca ne suffisait jamais et on pouvait presque croire que j’aimais abuser de la patience des autres – presque. Celle de ma mère était déjà épuisée alors elle n’attendait plus. Je pouvais bien la rappeler et lui dire que j’avais acheté les foutues fleurs, que je m’étais déplacé et que j’avais tenté d’arranger les choses, elle reconnaîtrait le timbre ambré et las de ma voix qui signifiait que j’étais resté le même, que je l’avais fait pour tromper la routine et non par véritable envie. On ne jouait pas avec les autres ainsi et elle en avait eu assez de me le répéter comme on disait à un enfant que les animaux et les plantes eux aussi pouvaient souffrir. J’avais gardé mes réflexes d’adolescent et les autres en pâtissaient bien plus que moi, même si j’avais le parfait visage du martyr. La patience de Julian s’était embrasée dès les premières répliques puisqu’il préférait les phrases cinglantes et enthousiastes aux silences longs et salvateurs. Je me demandais ce qu’il aurait fait s’il n’avait pas su parler : il serait mort de frustration, voilà ce qu’on aurait lu sur son dossier à la morgue, ses mâchoires déformées à force d’avoir tremblé sous le supplice de ne pas pouvoir répondre. Le dernier mot. Il avait tout intérêt à appeler son prochain livre ainsi, tentant de remporter la victoire sur lui-même pour ne jamais devoir s’arrêter d’écrire. Et la patience de Lexie, oh, c’était comme son sens de l’humour : des allées et venues incessantes, choisissant de retenir soit son rire, soit ses larmes pour ne montrer aucune faiblesse. Ca ne valait pas le coup, après tout. Elle finirait par me trouver elle-même des excuses et je ne me lassais pas de les attendre. « Tu la remercieras. Pour les fleurs. Pas pour le livreur. » Un sourire mutin étira mes lèvres. Je ne cherchais même pas son pardon, ses remerciements venaient loin derrière. C’était légitime, quelque part. Ma patience à moi n’avait aucune limite puisque j’étais un éternel sceptique, que rien ne me surprenait plus vraiment. Je ne profitais pas assez de ces instants : c’était peut-être la dernière fois que je la voyais et je me comportais de la même manière taquine et critique que d’habitude. Je ne ferais pas de second pas vers elle, elle se chargerait du suivant. Je me contentai de hocher la tête, évasif. Tu le penses et c’est marrant. Je gardai mon sourire pour mieux pouvoir apprécier son absence d’ironie. Tu m’en veux encore. Je relevai le menton avec désinvolture. On l’avait déjà jouée, cette scène-là.

« J’ai raté quelque chose. Vous vous connaissez mais vous n’êtes pas amis, ça me surprend. » Je suivis le mouvement de son visage pour poser mes yeux sur Julian qui ruminait dans son coin toutes les paroles électriques qu’il cherchait à mettre en ordre afin de pouvoir contrer mes attaques imminentes. Je me mordis la lèvre pour ravaler un nouveau sourire et croisai distraitement mes mains dans mon dos afin d’adopter une posture assurée. Nous n’étions pas amis. Ce n’était pourtant pas surprenant. Mises à part les tirades de Julian qu’elle devinait ennuyeuses une fois qu’elles résonnaient contre mes tympans, elle savait pertinemment que je n’étais pas ami avec grand monde, et certainement avec pas lui. Je ne cherchais pas à le décrédibiliser. Il le faisait habilement de lui-même. « Je suis sa muse littéraire. Julian m’a trouvé par hasard au détour d’un sentier et a été subjugué par mon éloquence. » Cette fois, je ne pus réprimer le sourire tant celui-ci disait tout le fond de ma pensée. « Depuis, il sillonne les rues de la ville en espérant me comprendre, me deviner. Il y arrive bien, il a anticipé ma venue ici. Je suis vraiment impressionné. » Je laissai finalement l’emphase retomber, sans craindre d’en avoir trop fait car, quelque part, cela me faisait rire autant que lui. Il s’empresserait de livrer sa version des faits pour nuancer la mienne. A force d’arguments, il finirait par convaincre Lexie : j’étais un homme perdu et fatalement optimiste. Allions-nous rejouer cette scène-là également ? Je soupirai, à la fois navré et moqueur, avant de reprendre un semblant de sérieux et de courtoisie. « Comment va Bérénice ? » Ma question était, bien évidemment, adressée à Julian. Je laissais à Alexandra le temps d’accepter ma présence ici et de choisir ses mots, car nous avions un témoin à présent, et que notre droit à l’erreur s’amenuisait tandis que la conversation prenait forme. Quelle que soit la relation qu’elle entretenait avec lui, je doutais qu’il sache ce qui s’était passé. Je doutais qu’il parvienne à deviner la raison de ma venue. Après tout, je doutais de la connaître moi-même.
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() message posté Dim 28 Fév 2016 - 21:14 par Invité

“There are darknesses in life and there are lights, and you are one of the lights, the light of all lights.” Mon regard restait figé sur l'apparence blafarde d'Alexandra. Je l'avais rarement vu aussi fatiguée. Elle ne semblait plus se cacher. Les signes de son insuffisance rénale s'exprimaient pour elle. Dans ses gestes, dans le timbre de sa voix. Partout autour de la pièce. L'odeur oppressante du corps qui ne filtrait plus, du cœur qui battait à contre sens pour rendre hommage à la promesse d'éternité. Lexie avait promit de rester. Elle avait promis pour Sam. Pour moi. Pour tous les autres. Mais jamais pour elle. « T’as pris du retard, alors. J’ai beaucoup de succès comme ça, même si t’as l’air d’en douter. » Je souris avec douceur alors que mes doigts effleuraient sa peau glacée. Sa peau mutilée tout le long du bras et de la pensée. Les pustules se succédaient, mais le mal restait immuable sous une couche de chair flétrie. Elle m'adressait un aveu de désespoir, dissimulé derrière l'éclat ambré de ces jolies prunelles d'enfants. Ces prunelles que je dessinais dans le noir pour m'assurer qu'elles me regardaient toujours. Qu'elles étaient encore vivantes. « Où est le magazine, Julian ? » J'arquai un sourcil, amusé par son entrain. Elle faisait semblant elle aussi. Mais nous avions l'habitude des mascarades. A chaque visite, nous formions une alliance contre le désarroi. « Je l’ai peut-être déjà lu mais dans le doute, tu devras me l’apporter. Je fais du croisement de sources pour vérifier l’information. » J’acquiesçai d'un signe enthousiaste, lui certifiant que lors de notre prochaine rencontre, nous pourrions relancer le débat sur le couple le plus emblématique de Hollywood. Puis je laissai échapper un soupir. Mes pensées s'écrasaient sous l'écume du jour, traversés par les rayons filamenteux d'un soleil qui semblait toujours briller trop haut. Je n'étais pas sûr de comprendre. Je ne voulais pas m'accorder à la surprise générale. Alexandra était alitée, piégée entre les caresses glacées d'une divinité que je maudissais de tout mon être. Elle était malade et j'étais dans l'incapacité de la sauver. Le moniteur perché au sommet de sa tête lançait le compte à rebours. Il rythmait l'espace morne de ces rencontres biaisées par le destin. Thomas était là. Ce n'était pas la première fois que je croisais le chemin de cet homme sinistre dont l'âme grise s'effondrait entre deux gorgées de nicotine. Ce n'était pas la première fois non plus, que je supportais ses débâcles philosophiques, car au grand Dieu, oh non il ne croyait pas en Dieu, il semblait détenir le savoir absolu. Il crachait sur les valeurs de la niaiserie. Il postait les étiquettes sur les fronts dégarnis de ces écrivains en mal d'amour et d'inspiration. J'étais de ceux-là. Il m'avait honoré de sa présence durant de longues heures. Il avait parlé et j'avais renchéris. Puis il était parti, coupant court à mes élans d'ingéniosité car ses derniers étaient contradictoires. Je prêchais les valeurs et leurs contraires. Je me diversifiais car l'important n'était pas le message de noblesse, mais la finalité qui se dessinait au bord de la serpentine. Celle dont la surface faisait des ricochets après le choc de nos voix à la surface du liquide goudronneux. Méprisable. Pathétique. Hautain. Admirable et blasé. Je ne le détestais même pas. Il me donnait toutes les raisons de l'aduler. Il me présentait les vices du monde comme les témoignages de la simplicité de la condition humaine. Nietzsche n'était pas mort. Il existait encore, à travers ses mots. A travers ses jugements et son accent faussement snob, faussement allemand et faussement faux. Je me redressai en lui accordant un sourire narquois. Il était venu rendre visite à une amie que nous avions en commun. Une amie. Ce mot semblait si creux. Presque insultant. Alexandra était la petite sœur que le hasard m'avait donné le privilège de garder au fond de mon cœur. Je ne reniais pas mes sentiments ni ma capacité d'émouvoir en agitant l'embout d'un stylo. Je possédais un talent. Ce n'était pas le manque de hargne qui me portait préjudice, mais le silence effroyable qui prenait part à mes discours internes. Parfois, je ne trouvais plus rien à redire. Je me reposais dans le néant. Je ne m'ennuyais pas. Je reprenais mon souffle avant de galoper comme un cheval sauvage vers l'inconnu. J'étais probablement impulsif. Thomas n'avait jamais eu l'occasion de découvrir ce versant de pas personnalité. La part d'ombre que je cachais derrière le masque de lumière. Je l'avais qualifié de démon, et aujourd'hui, il était pris en flagrant délit d'humanité. M'avait-il déçu ? Je ne voulais pas lui donner cette satisfaction. J'attendais tellement de lui, de son pouvoir de persuasion, qu'il me semblait presque impossible qu'il puisse me rabaisser d'avantage. Il avait perdu en énonçant les règles du jeu. Il avait perdu parce qu'il ne voulait jamais gagner. Son attitude trahissait son dédain pour la situation. Il déplorait mon romantisme avant même que je n'ai l'occasion de délier ma langue. Ne pars pas. Je ne vais plus exister. Je ne vais plus respirer. Laisse-moi seulement être là, devenir l'ombre de ton ombre. L'ombre de ton fauteuil. Pour lui, je passais mes frustrations émotionnelles sur les meubles d'une pièce morne et silencieuse. Je me cachais. Je reniais ma vraie nature. J'étais amoureux, mais je n'étais pas que ça. J'étais assoiffé de sang. J'avais goûté au mien une fois, et j'avais passé ma vie à me demander si la saveur âpre qui brûlait mon palais était caractéristique de l'homme ou de l'animal. Cannibalisme ? Non. Simple curiosité. D'un geste lent, je me tournai vers la silhouette de Thomas. Ses boucles noires n'avaient pas changé. Elles tournaient inlassablement autour de son expression barrée par un mépris dont il était le seul à détenir le secret. « Je l’ai sauvée d’un rendez-vous qui allait mal tourner. » Quelle grandeur d'âme ! Je haussai les épaules en esquissant un faible rictus. Le récit de leur rencontre ne m’intéressait pas. J'étais intrigué par la tonalité de sa voix. Par sa façon d'exprimer les vérités comme si elles lui étaient dues. « Et ma mère vous plairait beaucoup, j’en suis sûr. Je comptais lui offrir votre livre à Noël, voir ce qu’elle pense de vos opinions.» Il quitta son perchoir afin de se rapprocher. Les éclats de lumière qui filtraient à travers la vitre effleuraient à peine son profil. Comme s'il n'était pas autorisé à sentir les rayons du soleil sur sa peau de vampire. Je me mordis la lèvre inférieure.  Soit, tant qu'il me permettait d'avoir plus de ventes ! «Vous critiquer va devenir le passe-temps familial. On a perdu tous nos jeux de cartes.» Je crispai la mâchoire, le trajet des veines se dessinait sous mes joues tendues. Il ne semblait pas connaître les limites de la bienséance. Il m'exaspérait. Profondément. « La critique est un bon exercice intellectuel. Il semblerait que ce soit un moyen d'aiguiser le sens du discernement. Je ne sais pas pour votre mère, mais je pense que ça pourrait vous être utile. » Lançai-je d'un air désintéressé. Je refusais de m'attarder sur ses sous entendus, cela rendrait notre entrevue bien moins agréable. Mes problèmes comportementaux n'étaient jamais en marge. Je sentais la colère. Elle grouillait dans mes entrailles comme une drogue dont je ne savais plus me détacher. A chaque fois que son odeur ronce, mélangée aux effluves du tabac et au brouillard de Londres, parvenait à ma conscience, les chaînes qui me retenaient crissaient un peu plus. Alors je préférais me détourner. Fixer les rideaux qui ondulaient sous une brise artificielle. Observer les cadrans de l'horloge murale ou les rebords métalliques du chariot. Je ne reconnaissais pas tous les médicaments. Leurs noms me semblaient imprononçables et leurs effets complètement dérisoires. La médecine avait ses limites que le corps s'amusait à dépasser dans un tremblement effronté. Lexie ne pouvait pas guérir maintenant. Elle se stabilisait. Voilà tout.

Nous avions presque inversés les rôles. A présent, c'était moi qui ignorait ses mots. Je me plaçais sous le signe du silence, laissant mon esprit se bercer de douces illusions, d'allégories littéraires et de proses inachevées. Je me sentais l'envie soudaine d'écrire. D'étendre mes ailes pour voyager le temps d'une ligne, peut-être deux avec un peu de chance. Je humectai le bout de mes lèvres en entendant leurs échanges. Alexandra semblait proche de l'univers de Thomas. Je le remarquais enfin. Elle exhalait une force ténébreuse entre deux soupirs. Elle troquait quelques fragments de lumière contre une éternité de chaos. Le professeur qui se tenait devant elle était ce diable à qui il ne fallait jamais accorder sa confiance. Elle pouvait lui vendre son âme mais il reviendrait pour hanter ses organes pourrissants. Je claquai mes dents, intrigué par l'implication de sa mère dans leur amitié. Il y avait une électricité malsaine, et en même temps, cette harmonie déroutante que je jalousais dans le secret. Je sifflai entre mes lèvres en me redressant. Je me sentais incomplet sans la présence d'Eugenia. J'avais l'impression de me lancer dans un combat sans personne pour soutenir mes démarches déséquilibrées. C'était peut-être trop imagé, mais le cliché voulait que le cœur triomphe lorsque les jambes restaient handicapées. « J’ai raté quelque chose. Vous vous connaissez mais vous n’êtes pas amis, ça me surprend. » Je percevais les remous de son ironie habituelle. Elle ne se moquait pas. Alexandra plaçait le crapaud près de la fleur, la nuit aux côtés du soleil, la pipe dans les mains du malade et ainsi de suite. J’acquiesçai sans répondre. Mon calme ne présageait rien de bon. Je ruminais. Je laissais mes pensées s'écraser contre les parois de ma poitrine comme des épines tranchantes. Et je redoutais ce moment où la piqûre deviendrait douloureuse. « Je suis sa muse littéraire. Julian m’a trouvé par hasard au détour d’un sentier et a été subjugué par mon éloquence. » Je répondis à son sourire en ricanant d'un air mauvais. Erreur, il m'avait trouvé sur un banc. Il m'avait rejoins en craquant deux allumettes. Puis il avait vociféré. Il m'avait expliqué le caractère éphémère de ces entités qui embrasaient ma cigarette et qui s'épandaient sur mes poumons. Je n'avais rien découvert ce jour là, autre que ses répliques de grand penseur. Clairement, il n'avait pas changé ma vie. Alors pourquoi l'avoir traqué jusqu'aux amphithéâtre de son université ? « Depuis, il sillonne les rues de la ville en espérant me comprendre, me deviner. Il y arrive bien, il a anticipé ma venue ici. Je suis vraiment impressionné. » D'après les aphorismes de Schopenhauer, le fou courrait après les plaisirs de la vie et trouvait ses déceptions. Tandis que le sage évitait les maux. Je n'étais ni l'un ni l'autre. Je me foutais des plaisirs.  J'attendais les déceptions, puisque Thomas l'avait prédit. Et je ne pouvais certainement pas éviter les maux. A cet instant, je n'étais qu'une chimère. Un fantôme qui se matérialisait dans la violence.  Je voulais le frapper. Déjà, au bout de quelques minutes. « C'est que je suis en suspens. Je me languis de la grandeur de votre esprit. D'ailleurs, pour fêter ce côté très intimiste de notre duo, je prendrais l'initiative de vous tutoyer à présent. » Je me raclais la gorge. J'avais l'impression de briser tout le charme de nos conversations. Comme si nous étions tout à coup devenu communs. Une pointe de déception traversa ma poitrine. Et si je me déçois même ? Quelle option te reste-t-il vraiment, Knickerbadger? « Comment va Bérénice ? » Sa voix grinça dans mon oreille. Je crispai mes phalanges en le fusillant du regard. Il s'avançait sur un terrain glissant et je le suivais à perte d'haleine, ignorant les appels de la conscience, me dissipant dans la frénésie d'une chasse où le trophée représentait ma tête au sommet d'un pique. « Mes aveux ont fait de moi son esclave, mais elle se porte à merveilles. Elle n'a pas besoin de fleurs si telle est la vraie question. » Je m'avançai légèrement vers le lit d'Alexandra. « J'ai cru comprendre que tu n'étais pas un livreur à la hauteur. Mais comme Lexie te doit la vie, nous ferons abstraction de ce détail. » Je souris en m'asseyant sur le bord du matelas, maintenant une distance égale entre ma silhouette et celle de mes deux opposants. Devant moi, Thomas Knickerbadger, un cynique. Ni plus ni moins. Et derrière moi, Alexandra. Cette jeune femme aux allures parfaites mais qui se noyait dans l'inefficacité de ses traitements. « Tu m'avais pas dit que tu avais de si bonnes fréquentations. Je comprend que tu veuilles le garder pour toi. Ce n'est pas des choses qu'on ébruite. » Hasardai-je à la fois taquin, et agacé. Je n'aimais pas la manière dont la présence de Thomas changeait ma vision de ma Lexie. Je n'aimais pas son apparente désinvolture. Je le préférais sur un banc, dans un parc perdu. Là, ou ses pensées se brisaient sur les allées aux petits cailloux.
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() message posté Lun 7 Mar 2016 - 2:01 par Invité
Je fis remonter, d’un mouvement d’épaules lent et sans vigueur, les oreillers dans le creux de ma nuque pour me redresser mais je savais que cela ne suffirait pas. Que l’allure ne m’épargnerait de rien car les regards qui se posaient sur moi à présent étaient doublement perçants et affûtés. Ceux de Julian étaient attentifs et tourmentés lorsque ceux de Thomas se résignaient à emprunter leur même expression lassée et dédaigneuse. Je n’étais pas en état de donner le change, je n’étais pas non plus capable d’éteindre leurs jugements d’une remarque facétieuse pour l’un, acerbe pour l’autre, et je laissai finalement tomber l’arrière de ma tête dans l’oreiller, réprimant un soupir car les leurs se confondaient déjà autour de moi sans que je ne puisse intervenir. J’étais demeurée de trop nombreuses heures ainsi, perdue dans des pensées éparpillées et éphémères, pensées qui parvenaient l’espace d’une minute à se muer en idées avant que celles-ci ne deviennent floues à leur tour, me traversant l’esprit comme un courant d’air d’images fugitives, s’évanouissant finalement en lambeaux épars et sans pitié qui ne laissaient nulle trace. Je blâmais les médicaments et les filtrations. Je blâmais les symptômes que ces traitements ne suffisaient pas à faire taire. Je me blâmais toute entière et constatais que, si le reste était annihilé, si toute ébauche de pensée et encore plus d’analyse étaient réduites au néant avant même d’avoir germé, les reproches, eux, perduraient. Je plissai des yeux car ces reproches semblaient omniprésents dans la salle soudainement trop étroite pour leurs élans provocateurs mais que je ne les avais pas encore percés. Mon esprit s’éveillait, lentement, mais les effets secondaires étaient intrépides et se poussaient pour le faire taire, pour le faire fuir. Je pouvais presque le voir s’élancer à tire-d’aile, en me laissant en arrière, comme un oiseau captif dont on venait d’ouvrir la cage. Il s’élevait en chandelle, trop heureux de sa soudaine liberté, mais faisait brutalement demi-tour et venait se heurter contre le mur dans un tintement léger et ironiquement mélodieux. « Je l’ai sauvée d’un rendez-vous qui allait mal tourner. » Je cillai lentement sans lui accorder un regard mais ses mots vinrent échouer dans mes oreilles sans que je ne puisse les censurer. Je trouvais cela trop facile mais la contraction de Julian à mes côtés suffit à réprimer une quelconque réponse de ma part. Je me demandais s’il percevait dans cette phrase le mensonge intelligible aussi bien que l’incompréhensible vérité. Mais Thomas avait bien choisi son jour ou le hasard s’en était chargé pour lui. Je ne voulais pas répliquer car les propensions de Julian à l’irritation étaient plus ardentes que les miennes et cela me paraissait être une trop belle offrande pour Thomas. Ses sourires amusés creusaient déjà ses joues comme s’ils étaient nourris des esprits échauffés et des piques qui atteignaient leur cible. Je fronçai les sourcils car, si je savais déjà que l’opprobre de la culpabilité se heurtait à son enveloppe de glace, cela semblait se confirmer sous mes yeux fatigués : ne perdrait pas celui qui avouerait ses fautes. S’en accordait-il seulement l’une d’elles ? Mais gagnerait celui qui réussirait à rendre l’autre coupable. « Et ma mère vous plairait beaucoup, j’en suis sûr. Je comptais lui offrir votre livre à Noël, voir ce qu’elle pense de vos opinions. » Je n’eus pas besoin de tourner mon visage dans sa direction pour anticiper son avancement dans la pièce. Les regards agacés et mesurés de Julian me servaient de jauge. « Vous critiquer va devenir le passe-temps familial. On a perdu tous nos jeux de cartes. » Je fermai les yeux une seconde, me mordant l’intérieur de la joue avant de les relever avec lassitude. Il se complaisait dans son passe-temps favori mais j’étais certaine de ne plus vouloir m’en amuser. Je me prémunissais jusqu’à présent d’une attitude distraite et ironique contre les remous de ses critiques acérées et à peine calculées, destinées à enlacer et étouffer toutes paroles quelque peu hardies en retour. Mais même sans ces souvenirs amers et hurlants de notre dernière confrontation, je n’aurais sûrement eu aucune envie de les accepter cette fois-ci, pas lorsque ceux-ci s’adressaient à Julian car j’anticipais ses réactions avant qu’elle ne teignent ses traits. Je percevais les effluves de la colère qui luttaient pour s’émaner de lui lorsque je ne les avais pourtant jamais vus se répandre dans leur entièreté. Je n’en avais pas besoin pour les deviner impulser leur rythme et déployer leur espace avec assurance, comme un éventail préservé dans les plis duquel leurs forces et leur témérité étaient libres de propager leur rayonnement sans graduation. « La critique est un bon exercice intellectuel. Il semblerait que ce soit un moyen d'aiguiser le sens du discernement. Je ne sais pas pour votre mère, mais je pense que ça pourrait vous être utile. » J’inspirai lentement en l’entendant rétorquer mais ce fut un sourire amusé qui vint éteindre ce souffle alors que j’inclinai la tête. J’aurais pu tout aussi bien laisser échapper un rire silencieux mais ma lèvre inférieure et tuméfiée ressemblait au bord d’une blessure brûlante et je dus réprimer une grimace pour ce simple sourire.

Les yeux noirs de Thomas s’attardaient sur mon visage, parvenant dans un manège agaçant à me scruter autant qu’ils semblaient s’en désintéresser. Je restais ici impassible, ici piquante sans jamais permettre à l’ironie de transpercer mes prunelles car elle ne ferait que se refléter dans celle qui ornait déjà les siennes. Ce n’était pas une connivence que j’excusais aujourd’hui, ou que je permettrais demain. « Elle a l’habitude. » répliqua-t-il sobrement et je haussais les épaules en même temps, comme si je m’étais attendue à ses paroles et que je les balayais sans emphase. Ce n’était pas une raison mais je doutais que mes commentaires n’aient désormais une quelconque résonnance en lui, s’ils en avaient déjà eu une auparavant. « Et tu continues de te reposer sur ces acquis. » soufflai-je tout de même en dégageant mes cheveux pour laisser le coussin accueillir de nouveau ma tête et mes remarques désabusées. Je me concentrais sur Julian car il estompait mes rancœurs, malgré les siennes qu’il n’arrivait pas à dissimuler. Je m’adressais à lui car, dans le fond, je comptais sur lui depuis bien trop d’années pour calmer mes tourments ou les pardonner, car ses regards sagaces et ses expressions protectrices suffisaient à me faire accepter ce contre quoi je m’épuisais à me battre puisqu’il s’agissait de le faire pour lui. Mais son attention était entièrement tournée vers Thomas, comme s’il craignait de le perdre du regard et de déverser ses ardeurs dans la mauvaise direction. « Je suis sa muse littéraire. Julian m’a trouvé par hasard au détour d’un sentier et a été subjugué par mon éloquence. » J’avais l’impression d’entendre ces paroles comme si elles revenaient d’un écho lointain, son de cloche rapporté par le vent. J’étais en colère, également, contre moi uniquement. Thomas ne me surprenait pas et mon détachement était sûrement le seul à pouvoir lui faire face sur l’instant. Il apparaissait dans le creux d’un jour morne et se plaisait à se confronter à l’unique figure fraternelle dont j’avais besoin, me laissant le choix de rentrer dans l’arène si je m’en sentais la force. Mais le fond de mon être semblait lourd et inerte, impossible à remuer et leurs échanges trop envolés pour que je les saisisse avec habilité. Ce n’est pas possible d’avoir du courage tous les jours. Mais quand en avais-je été dotée en premier lieu, n’est-ce pas ? « Depuis, il sillonne les rues de la ville en espérant me comprendre, me deviner. Il y arrive bien, il a anticipé ma venue ici. Je suis vraiment impressionné. » Je laissai mon regard traverser la fenêtre, à travers la cime des arbres qui s’élevaient jusqu’à celle-ci, et fronçai les sourcils devant leur feuillage persistant qui s’alignait entre les bâtiments. Personne n’aurait été réellement capable d’anticiper sa venue entre ces murs. Je doutais même qu’il en est été capable avant de passer les portes coulissantes du bâtiment. Le regrettait-il à présent ? Je savais qu’il ne s’intéressait pas réellement à ce que nous allions répondre, alors je me taisais. Il s’intéressait aux autres en tant que preuve vivante de ce qu’il pensait de lui-même. Mais je pensais déjà lui avoir exprimé le fond de ma pensée et celle-ci l’avait transformé en un mirage avilissant que je ne me préoccupais pas de vouloir retrouver. Moi non plus, je n’avais pas anticipé sa venue, et je ne cherchais pas à me l’expliquer. « C'est que je suis en suspens. Je me languis de la grandeur de votre esprit. D'ailleurs, pour fêter ce côté très intimiste de notre duo, je prendrais l'initiative de vous tutoyer à présent. » Julian se chargeait de répondre puisqu’il n’était pas du genre, lui, à laisser glisser les attaques détournées sans renchérir de plus belle. Je me demandais si cela était habituel de leur dynamique ou si l’un était capable de surprendre le deuxième. Le feu de Thomas n’était pas capable de consumer Julian puisqu’il allumait au contraire le même dans le foyer de son esprit. J’étais sans doute supposée intervenir mais j’anticipais l’inefficacité de mes remarques. Je voyais Thomas, cynique et ténébreux, déverser son nuage de fumées acerbes mais amusées, se délectant des trainées sombres qu’il laissait sur son passage. Julian était d’ordinaire ce pôle ambré et sacré vers lequel je me tournais sans crainte ou hésitation mais l’ambre tournait au brun tempétueux et je restais au milieu, blanche et affaiblie, tel le linge sur la corde. J’inspirais, agacée, car ce n’était pas ce qui se tramait en moi mais que, personne ne pouvait l’ignorer, c’était le plumage qui faisait l’oiseau.

« Comment va Bérénice ? » Je fronçais les sourcils et redressais mes épaules. Je devinais Julian exaspéré mais Thomas prenait sans doute ici un risque supplémentaire. L’ironie pouvait irriter, et j’en usais moi-même trop fréquemment, mais la sienne sur l’instant ne semblait pas vouloir se moquer ou attaquer, simplement priver le monde de certitudes en le dévoilant sous toutes ses ambiguïtés. « Mes aveux ont fait de moi son esclave, mais elle se porte à merveilles. Elle n'a pas besoin de fleurs si telle est la vraie question. » Il se rapprochait de nouveau de mon chevet et je déroulai mon poignet foulé avant de le reposer sur les couvertures. Il était aussi passionné que Thomas était sceptique mais je pensais Julian capable de considérer le cynisme comme un début de croyance, pouvant être retourné contre son interlocuteur. Il l’avait déjà fait avec moi, après tout. Cela ne freinait jamais ses ardeurs, comme s’il s’appliquait à mettre de la profondeur en chaque minute, chaque seconde pour ne rien perdre de l’éternité. « J'ai cru comprendre que tu n'étais pas un livreur à la hauteur. Mais comme Lexie te doit la vie, nous ferons abstraction de ce détail. » Il retrouvait sa place sur le bord du matelas et je retins un vague sourire malgré l’ironie de sa phrase qui me sauta aux yeux. Je te dois la vie, Thomas ? « Tu m'avais pas dit que tu avais de si bonnes fréquentations. Je comprend que tu veuilles le garder pour toi. Ce n'est pas des choses qu'on ébruite. » Je reportai mon regard sur Julian, retrouvant l’étincelle au fond de mon regard qui semblait défier les autorisations car il avait l’air agacé. Contre moi, également. « Tu désapprouves ? » répondis-je sur le même ton, sans doute avec plus de douceur. Je relevai le menton et continuai d’un ton sérieux malgré mon expression presque amusée : « Parce que si tu désapprouves, il te suffit de le dire et tu sais que j’essaie de t’écouter. » Les pointes de malice se mêlaient aisément aux élans de vérité que j’énonçais, comme pour le tranquilliser, mais j’inclinai ensuite le visage vers Thomas, retrouvant ses yeux sombres et insondables. « D’habitude, je me bats un peu. Mais je suis trop fatiguée aujourd’hui et puis, il faut que le jeu en vaille la chandelle. » J’étais ironique mais détachée, il y déroberait bien ce qu’il y voudrait, il en avait l’habitude. Je haussai les épaules en retrouvant le silence, car je manquais de souffle, dans le fond. Le moniteur ne permettait pas les faux-semblants et les irrégularités de mes battements cardiaques se déversaient en sourdine dans la pièce. Il semblait en manquer quelques uns pour repartir effrontément les rattraper dans un emballement méprisable. « Ça fait ça parfois. Pas la peine de s’y attarder mais il est possible que ça nous indique qu’il y a beaucoup d’autres choses dont on devrait faire abstraction. » Mes yeux plissés remontèrent vers le plafond dallé quelques secondes avant de se fixer sur Julian. Il me paraissait inutile de préciser que les maux que l’on s’abstenait d’évoquer avec Thomas ne comptaient pas, l’indifférence que je lui portais sur l’instant était chargé de lui signifier. Mes doigts glissèrent entre les plis des draps avant d’effleurer l’avant bras de Julian et de s’y poser avec lenteur, espérant vainement que ce contact suffirait à le persuader. Je ne savais pas quoi lui dire pour l’apaiser puisque, respectant sa seule présence, mes propres désirs de reproches envers Thomas restaient tapis dans les recoins de mon âme.
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() message posté Sam 19 Mar 2016 - 16:11 par Invité
Je n’avais pas besoin que Lexie me regarde pour comprendre qu’elle aurait préféré que je reste chez moi. Je lui avais probablement appris que l’indifférence était la meilleure arme qu’elle pouvait utiliser contre les assauts des autres, et elle avait retenu la leçon car son détachement était en apparence entier. Elle avait l’excuse, en outre, d’être épuisée et criblée de douleurs inexprimables. Mon cynisme ne luttait pas contre cela. Il ne se battait d’ailleurs contre aucun adversaire à sa hauteur car Julian n’était pas assez pertinent. Il s’engouffrait dans les pièges, certes pour montrer qu’il pouvait se démêler de n’importe quel filet mais l’intelligence ne se manifestait vraiment que lorsque l’on évitait l’écueil en premier lieu. Loin de moi l’idée d’affirmer qu’il en manquait. Il était brillant – peut-être trop, même. J’avais ce réflexe de juger le fond et la forme parce que les copies des élèves s’amoncelaient sur mon plancher pour y former une mosaïque de pensées, qu’elles soient justes ou idiotes. Il n’était peut-être qu’un étudiant de plus. Un qui n’allait pas en cours car il était trop occupé à changer sa vie, celle des autres ainsi que le monde tout entier. « La critique est un bon exercice intellectuel. Il semblerait que ce soit un moyen d’aiguiser le sens du discernement. Je ne sais pas pour votre mère, mais je pense que ça pourrait vous être utile. » Mes paupières se plissèrent et mes prunelles brillèrent d’un éclat froid, comme si j’acceptais sa remarque telle un conseil qui deviendrait fertile une fois qu’il franchirait la barrière de mon esprit. Mais il glaçait dès la lisière de la forêt hostile qui poussait dans mon regard et j’eus l’impression de le laisser glisser jusqu’au sol comme si j’avais cendré la cigarette de son arrogance. Je sourcillai à peine, laissant un silence ponctuer ses mots, ce silence amusé et défiant que je maniais sans peine, ils le savaient tous les deux et regrettaient peut-être de le connaître aussi bien. Julian, parce que malgré tout, notre rencontre sur le banc ne lui avait pas tant apporté. Il restait le même requin se débattant dans des abysses qu’il s’était créés lui-même. Lexie, parce que l’évidence ambrait son visage et qu’elle ne voulait pas lever les yeux vers moi. Non pas parce qu’elle refusait de m’affronter, puisque son indifférence et son asthénie le faisaient bien pour elle, mais bien parce qu’elle n’en voyait pas l’intérêt. Elle m’avait déjà tout dit. Nous nous étions déjà tout dit et nous détestions dès lors le mutisme de l’autre car il se mutait bien trop vite en hypocrisie. Savait-elle si bien mentir ? Elle se retenait face et grâce à Julian. Plusieurs semaines étaient passées mais sa mémoire fléchissait toujours sous le poids du souvenir. Elle m’avait quitté aux portes de la mort. Peut-être ne croyait-elle simplement pas que j’étais encore capable de tenir debout après ça. Et elle avait raison, puisque le pire avait probablement été mon incapacité à vouloir, à pouvoir m’endormir et laisser mon corps se reposer car je n’avais senti après le départ dédaigneux de Lexie que l’odeur âpre de ma sueur et du gravier sur ma peau, mes pieds, entre mes cheveux filandreux, mes doigts osseux et partout dans mon esprit nébuleux. La torpeur avait été monstrueuse. Elsa m’avait retrouvé le lendemain et, malgré ses questions et son inquiétude, j’étais resté évasif et hautain, ne prenant même pas la peine de cacher les traces que le sang provenant de mon bras éraflé avait laissées sur le drap du matelas. Elle s’était vaguement mise en colère, une fausse irritation à laquelle je ne faisais même plus attention car je la trouvais absurde. Je l’avais prévenue mais elle n’était toujours pas déçue. Au contraire, elle avait peur car elle voulait me protéger d’un mal qu’elle ne comprenait pas tout en sachant pertinemment qu’elle était incapable de rester avec moi tout le temps. Si je voulais disparaître, personne ne pouvait vraiment m’en empêcher. « Je prends note pour la prochaine fois. » soufflai-je à l’intention de Julian. Il attendait mon ironie comme un chasseur observait un loup sauvage à travers le feuillage. Un faux pas et l’animal lui bondirait dessus, même s’il avait les armes adéquates pour se sauver. Il fallait encore qu’il sache les utiliser, mais je semblais être le seul à pouvoir lui expliquer. Voilà que la fameuse ironie se retournait contre lui. Le chevalier ténébreux se dressait comme un prince infernal et l’attirait dans les méandres de ses réflexions pour mieux pouvoir l’y noyer. Il ne rêverait donc plus que de tempêtes et de naufrages.

« Et tu continues de te reposer sur ces acquis. » Je souris, cette fois avec cette sincérité caustique qu’elle ne voulait pas observer sur mon visage. Je doutais de savoir ce qu’elle voulait véritablement y voir, avant de me résigner à l’idée que c’était le visage lui-même, ainsi que la silhouette toute entière, qu’elle cherchait à occulter de son esprit. J’étais passé outre, ou du moins semblais-je l’avoir fait. Je me présentais devant elle avec une facilité presque trop étonnante pour vraiment l’être. Bien sûr que je me reposais sur mes acquis. Elle, mieux que personne, savait qu’on ne désossait pas les valeurs calcinées de ma carcasse fragile sans s’y brûler les doigts. Elle m’avait vu parler à Diane, lui répondre, l’ignorer et l’enlacer comme l’ombre d’un fils avant de comprendre que mes étreintes étaient maudites et glacées. Je passai une main sur ma nuque puis mes doigts se perdirent dans mes cheveux, telle une vaine tentative de les recoiffer, et je lui adressai ensuite toute l’étendue de mon indifférence à mon tour, puisqu’elle avait décidé de prendre ce parti-là aujourd’hui : je comprenais, je ne m’y pliais pas pour autant. Je voulais qu’elle sache qu’elle finirait par le regretter. Je n’avais pas besoin de faire beaucoup d’efforts, c’était probablement déjà le cas. « C’est que je suis en suspens. Je me languis de la grandeur de votre esprit. D’ailleurs, pour fêter ce côté très intimiste de notre duo, je prendrai l’initiative de vous tutoyer à présent. » J’arquai un sourcil presque surpris en relevant les yeux vers Julian. Il avait une manière singulière d’oser la familiarité. D’abord en émiettant le goudron de ses cigarettes mentholées autour de mon buste de brume, et maintenant dans son langage. Je laissai échapper un rire amusé, sans répondre. Il faisait ce qu’il voulait. Il pensait sûrement refermer une cage quelconque autour de moi en faisant cela, rien que parce qu’il se permettait des choses qui ne viendraient jamais à l’esprit d’un étudiant, d’un collègue ou  d’un pauvre quidam. Mais j’étais de la fumée. La même qui le faisait tousser parce qu’il n’avait pas vraiment d’allure lorsqu’il sortait une cigarette. On ne devenait pas intime avec les démons. C’était eux qui nous dénudaient et qui nous laissaient pour morts à deux pas du précipice, sans ôter une seconde leur cape d’obscurité, et non l’inverse. Peut-être ne l’avait-il pas encore compris. Peut-être que, tel un magicien de pacotille, il s’approchait des runes et prétendait les comprendre. Je ne voulais pas mépriser Julian, cependant il stimulait mon dédain comme on caressait un chat dans le sens du poil. C’était une répétition presque burlesque et je m’en amusais toujours, moi qui étais si bon public.          

« Mes aveux ont fait de moi son esclave, amis elle se porte à merveille. Elle n’a pas besoin de fleurs si telle est la vraie question. » Je secouai la tête avec courtoisie. J’avais immédiatement apprécié Eugenia d’une manière si étrange que je n’arrivais pas à la décrire. C’était peut-être sa simplicité et son détachement. La manière qu’elle avait de s’exprimer, peut-être. Je n’avais cependant pas été surpris par les sentiments de Julian à son égard : elle l’équilibrait sur la corde raide de son âme échauffée. Ou peut-être que je l’avais découverte à travers les mots de Julian et que j’avais été agréablement étonné en la rencontrant pour de vrai. L’ambiguïté restait entière. Les personnages de roman, eux, étaient fictifs, jusqu’à ce que la réalité plante un couteau dans l’imaginaire, et vice versa. Si je devais être le prochain héros littéraire de Julian, j’allais forcément suivre les pas d’Eugenia un jour ou l’autre. Il avait donc cette arme en plus contre moi : me fixer à jamais sur ses pages blanches. Je me demandais ce qu’il écrirait s’il venait à savoir quel incident Lexie et moi occultions à présent devant lui avec cette ardeur désinvolte. Il n’avait qu’à me le demander un soir, puisqu’il se languissait tant de ma silhouette se détachant sur le crépuscule urbain, ruminant autour un verre dont j’oubliais vite le contenu : je lui dirais la vérité car celle-ci s’échappait si vite de mes lèvres que j’étais incapable de la rattraper au vol avant qu’elle ne s’écrase dans le cœur de l’autre. « J’ai cru comprendre que tu n’étais pas un livreur à la hauteur. Mais comme Lexie te doit la vie, nous ferons abstraction de ce détail. » Je hochai la tête, amusé par l’innocence avec laquelle il prononçait ses mots. Il devait sûrement retrouver une part de cette expression amère sur le visage de Lexie, même si celle-ci se bornait à crisper ses traits dans une douceur qu’elle avait depuis longtemps abandonnée en ma présence. C’était particulièrement dur de replacer un masque sur son visage lorsque l’autre avait déjà tout découvert. Mais je me vantais peut-être trop. Je ne la comprenais pas si bien que ça, n’est-ce pas ? Et j’en jouais beaucoup trop, m’amusant aujourd’hui du fait qu’elle ne pouvait rien dire à personne alors qu’elle n’avait pas encore oublié le son rauque de mon rire sale et grinçant lorsque je l’avais condamnée à la solitude. Je n’avais donc aucun respect. Elle aurait mieux fait d’y penser avant. De me laisser tomber. De tourner les talons. De rentrer chez elle. A présent, je haussai les épaules devant ses peines car j’avais l’habitude d’éponger les miennes. Elle ne voulait pas que je la plaigne. J’empoignai ces fameuses volontés et je les tordais pour lui faire hurler qu’elle me détestait. C’était tellement égoïste. Tellement snob et désabusé, comme si j’avais besoin qu’on me le dise pour mieux pouvoir l’assumer, pour pouvoir justifier tous mes méfaits. Et, enfin, pour pouvoir lui demander ce que ça faisait, de détester un homme qu’elle avait traité d’insensible. De détester un homme qui ne ressentirait rien en retour. Mais j’avais beau chercher, elle ne laissait pas la haine habiller son regard. Simplement l’indifférence. Je me pinçai les lèvres, un éclat peut-être agacé traversant mes prunelles : elle avait compris la technique pour parer mes coups. « Je lui en offrirai si tu m’invites à dîner un soir. Sinon je les réserve pour les situations critiques. » répondis-je finalement à Julian pour chasser l’irritation naissante. La courtoisie ou l’inquiétude, et l’ironie pour transpercer les deux à la fois. Mon regard ne croisa pas la silhouette de Lexie, même si nous savions tous les trois que je parlais indirectement d’elle. Ma remarque ferait son effet sans même que j’aie à forcer la main, bien qu’elle restât impassible et silencieuse. Julian s’installa entre elle et moi et je croisai les mains dans mon dos pour adopter une allure plus détachée encore. J’étais là sans vraiment l’être. On pouvait en douter car le premier ne le comprenait pas, le second cherchait à faire abstraction de ma présence et le troisième se noyait encore dans la surprise. Restait à savoir quel rôle nous était attribué, mais le choix était difficile. « Tu m’avais pas dit que tu avais de si bonnes fréquentations. Je comprends que tu veuilles le garder pour toi. Ce n’est pas des choses qu’on ébruite. » Je cillai, un sourire sulfureux étirant mes lèvres. Je ne m’autorisai pas ne serait-ce qu’un mouvement d’épaules car j’attendais la réaction de Lexie avant tout. « Tu désapprouves ? » Ma tête s’inclina légèrement, presque malgré moi. Je l’avais rarement vue ainsi, dotée d’une douceur si grande. La seule que je connaissais chez elle ressemblait à celle que nos pieds ressentaient lorsqu’ils marchaient sur un tapis de cendres après un incendie. Celle-ci, à l’inverse, était épuisée mais plus chaleureuse. Sa voix s’éleva à nouveau : « Parce que si tu désapprouves, il te suffit de le dire et tu sais que j’essaie de t’écouter. » Je n’eus pas le temps d’apprécier leur familiarité que, malgré tout, je respectai en me tenant en retrait, car elle tourna enfin ses prunelles vers moi et je plissai les paupières pour l’examiner, pour capturer l’instant où j’allais pouvoir lire tout ce qu’elle gardait piégé au fond de son cœur. Mais la seule chose que j’y vis fut le reflet sombre de mes propres iris et cela m’agaça, quelque part, car cela ne me surprenait plus. « D’habitude, je me bats un peu. Mais je suis trop fatiguée aujourd’hui et puis, il faut que le jeu en veille la chandelle. » Un éclat traversa mon regard et le fit briller, durant une fraction de seconde, et je souris car l’ironie grondait sous nos poitrines respectives, assez fort pour que Julian puisse l’entendre mais il l’écoutait comme il entendait les cris d’une émeute à la télévision – en vérité, il n’était pas certain de comprendre, ni de vouloir entendre ce qui se tramait devant ses yeux. « Vous en discuterez dans ce cas. Ce n’est pas une décision qu’il faut prendre à la légère. » Je n’étais pas vraiment sérieux. Une part de moi s’en moquait, ayant déjà accepté le fait que c’était sûrement la dernière fois que Lexie et moi allions nous croiser. Et puis il y avait cette étrange sensation qui m’avait conduit entre les murs de l’hôpital pour célébrer l’ironie en sa compagnie, s’amuser de sa réaction et peut-être repartir avec un pincement au cœur, et celle-ci me retenait sur ce linoleum froid et propre, me dressant avec austérité pour surplomber leurs silhouettes. Cela restait inexplicable, à défaut d’être inconcevable puisque manifestement, c’était réel et la scène se jouait devant les yeux des spectateurs avec tout le naturel du monde, faisant briller le paraître pour cacher l’être, à nouveau. « Ça fait ça parfois. Pas la peine de s’y attarder mais il est possible que ça nous indique qu’il y a beaucoup d’autres choses dont on devrait faire abstraction. » Je battis des cils avant de tourner la tête vers la ligne brisée des battements de son cœur. Je les avais déjà entendus. Ils avaient martelé mon crâne comme pour me rappeler qu’elle était toujours vivante alors que j’étais mort en l’enlaçant. On pouvait faire abstraction de plein de choses. Être, c’est ne pas être. Peut-être finirait-elle par le croire. Après tout, son propre corps avait fait abstraction d’un rein, elle se passait ainsi de nous faire la morale. « Tu vois, c’est en pensant comme ça que je suis devenu trop franc avec les gens. » indiquai-je avec sobriété, ayant effacé l’ébauche de mon sourire ou même de cette fameuse familiarité, même s’il était possible de retrouver une trace de malice au fond de mon intonation. « On ne ment pas, on fait abstraction de la vérité. » Je haussai les épaules, convaincu. « C’est la meilleure technique, on se sent moins coupable. » J’étais si désinvolte que l’idée sous-jacente à cette tirade monotone, ces fameux reproches qu’elle gardait au fond d’elle, ne semblèrent même pas me traverser l’esprit. J’avais cette voix suffisante et rauque que j’adoptais toujours lorsque j’échouais par hasard sur son canapé. Elle sonnait peut-être fausse mais la gardait des interrogations que Julian pouvait avoir. Elle était fatiguée, après tout, et prise au piège, mais elle n’avait pas à s’en faire, Julian ne saurait pas pourquoi, pas aujourd’hui. La présence de mon corps servait à capturer son attention si celle-ci volait trop près des flammes. Mon corps, oui, car il était présent. Le reste était encore latent, puisant son énergie dans le doute amer qui traversait parfois les prunelles de mes interlocuteurs.
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() message posté Dim 29 Mai 2016 - 2:00 par Invité

“There are darknesses in life and there are lights, and you are one of the lights, the light of all lights.” Le monde agonisait encore, les yeux exorbités, la bouche courbe et les mains tranchées. Ses idéaux saignaient sur les pavés de la ville. Maintenant, le sol était entièrement couvert de liquide. Les regards devenaient rouges à force d’observer. A force de lécher les contours des nuages. Nous étions tous des chaînons manquants. Lexie sur son lit d’hôpital. Thomas et ses airs suffisants. Moi, avec mon allure intellectuelle et mon cœur boiteux. Je souris en serrant les poings. Il n’y avait pas d’analogie entre l’abysse et celui qui se penchait vers son ombre. Les contraires étaient identiques. La colère et l’apathie s’enlaçaient comme deux amoureux sur la place publique. Si je me transformais en animal, je créais une brèche dans mon humanité. Je me demandais quelle était la forme du silence, si les ondes muettes vibraient avec la même intensité que le vent. Le froid s’écrasait contre la vitre, ponctuant les cheminements de mon esprit. Je demeurais stoïque, le corps piégé dans les fils barbelés, la respiration happée par les odeurs particulières de la térébenthine. Les souvenirs avaient une emprunte olfactive. Je confondais les cadres et les espaces. Le visage de mon père se déchirait derrières mes paupières. Je retrouvais la violence de ses étreintes, le contact glacial du carrelage et cette même odeur de propreté. Je me redressai d’un geste mécanique. Je maintenais un équilibre entre les parallèles. Je dissimulais la peur en arborant un masque de fureur. L’intelligence c’était la pulsion primaire, la liberté de lâcher toutes les conventions. « Je prends note pour la prochaine fois.» Je hochai la tête avec convenance, laissant ma frange répondre à ses provocations. L’éclat de ma chevelure était flamboyant. Il s’harmonisait avec le feu qui s’élevait dans ma poitrine. Je fumais pour respirer. Je brûlais pour exister. Mon destin était aussi poétique que ses allumettes éphémères. Cependant, le bois était plus long. Il se consumait en allongeant sa silhouette. Je souris en esquissant quelques pas dans la chambre. Les semelles de mes chaussures crissaient somptueusement. Et puis, j’eus une révélation. Seule la rage était libre. Lorsqu’on fermait les yeux, on brisait les attaches. On échappait à la politesse qui nous retenait. Dans l’absolu, le trouble du comportement était une libération. La folie supprimait les inhibitions. J’avais ressenti l’envie de frapper Thomas dès notre première rencontre. Au début, sans raison. Parce que je n’avais pas besoin de m’étaler sur l’émotion. Je ne faisais que la contenir. Puis, le débat s’était enchaîné. Il me posait les questions pertinentes. Il voyait au-delà du masque. Mes tirades romantiques m’avaient confiné dans une catégorie : l’écrivain déchu, en manque d’inspiration, de véritable identité. Je détestais mon reflet sur ses prunelles. Je détestais l’image inversée. Parce qu’elle était réelle. Elle blessait mon ego. Elle réduisait mes capacités. Ma bouche se pinça violement. La pensée physique. La douleur imaginaire. Quelle différence y avait-il entre le muscle et l’esprit ? J’étais submergé par les tremblements de mon courroux. La sueur coulait sur mon dos comme une vague déferlante, animée par les soupirs de la mer. Je ne craignais plus les vapeurs salées. J’avais cessé de pleurer le décès de ma mère. A cet instant, je me perdais dans les rouages de l’existence. Les voix du passée chantaient les psaumes de mon enfance. Le petit garçon dansait autour de la carcasse putride du journaliste. J’étais hanté par mes anciens articles, par tous les mensonges que j’avais tissé sur la toile afin de vendre mon emprunte. Julian Fitzgerlad pour le Times. Quelle ironie. J’étais Julian Fitzgerald, pour moi-même. Je fronçai les sourcils en tournant le dos aux échanges de Thomas avec Lexie. Je n’arrivais pas à assimiler leur relation. Ils étaient comme ces contraires identiques : trop complexes. Parfois absurdes.
J’osais les familiarités car on ne frappait jamais les inconnus. Papa, tu te souviens. Je suis étranger maintenant. Je déglutis en plissant les yeux. Ma langue s’enroulait vicieusement autour de mes paroles. Mon poison me tuerait bien avant de couler dans son système. Il croyait que sa vertu sublimait l’espace. Mais son armure était fumigène et l’immatérialité la rendait fragile. Thomas, m’entends-tu gronder. Je pense mais c’est toi qui existes. Ou bien, est-ce le contraire ? Et si j’étais ton identique? Lexie devient la ligne médiane, la limite intangible. Mais je sais qu’elle ne me retiendra pas. Je marche sur la frontière depuis des années. Je marche lorsque que tu voles. Je crispais mes phalanges dans les poches de ma veste. Je redoutais la chute. Je redoutais l’élévation. C’était bizarre. Je souris sans interrompre mes pensées. L’amertume du tabac nuançait ma démarche. J’aurais aimé enlacer les regards de Lexie, mais ces derniers me semblaient furtifs. Elle changeait dans la pénombre. Tout à coup, le soleil perdait ses lumières. Il était comète. Il était toutes les constellations du ciel. Mais aucune version ne m’était familière. C’était la première fois que je lui adressais une expression objective. Je humais son parfum, et les senteurs boisées prenaient des allures d’une tempête. Il y avait trop de fluctuations, trop d’épices, pour que je puisse réellement nommer un objet. Je n’étais pas déçu par ses changements. J’étais trop épris par la fixité de notre amitié, et parfois, j’étais aveuglé par mes acquis. Elle reprochait à Thomas la même chose. « Je lui en offrirai si tu m’invites à dîner un soir. Sinon je les réserve pour les situations critiques. » Je relevais la tête. L’ironie suintait à travers les pores de sa peau translucide. Je fixais sa silhouette biaisée, le profil irrégulier de son âme restée au fond du crible. Il suffoquait derrière une couche épaisse de vêtements et de réalités. Je me sentais si petit à ses côtés. Ce n’était pas une question de taille. J’étais petit dans mon cœur. J’avais huit ans et j’apprenais à aimer. Il avait jugé ma Berenice car elle était fade sur papier. Mais son sourire était immobile sur ses jambes. Elle ne bougeait pas. Je devais marcher, et porter nos espérances vers le banc qui bordait la serpentine. Il se moquait du romantisme. Il ne connaissait pas la mesure du sacrifice. Et je m’en moquais. Ce n’était un livre que je lui adressais. Ma prière retentissait entre les seules lignes que Ginny avait compris. Le reste n’était qu’un ornement littéraire destiné à promouvoir mon talent. A me faire gagner plus d’argent. Serait-il outré par une telle finalité ? Je haussai les épaules en m’installant près de Lexie. « Tu désapprouves ? Parce que si tu désapprouves, il te suffit de le dire et tu sais que j’essaie de t’écouter. » Je tendis mon bras vers son poignet. Je l’effleurai avec délicatesse, laissant mes doigts emprisonner son squelette chétif. Elle n’avait pas besoin de mes autorisations. Je pouvais m’adapter à ses lubies. Je pouvais comprendre son attirance pour l’éclat vespéral de la nuit. Thomas avait ce charme-là, celui de détruire les obstacles. Il promettait sans donner. Il éveillait la pulsion mais il s’en fichait. Je souris en pressant sa main. Savait-elle que je pouvais tout accepter ? Absolument tout. La folie n’était qu’un détail. Le pêcher et les heures qui nous séparaient de la déchéance se brisaient comme une boule de feu sous les douceurs de la cendre. Je ne lui parlais pas, pourtant je prononçais mille confessions lorsque je lui souriais. J’attendais patiemment nos prochaines rencontres, nos prochains débats sur des sujets puérils et sans importances. Je gardais ses secrets tant qu’elle faisait de moi son confident. «Vous en discuterez dans ce cas. Ce n’est pas une décision qu’il faut prendre à la légère.» Le sarcasme était révolu. Il abusait de ses armes. Il abusait de ma patience et de son éloquence. J’étais fatigué de ressasser ses remarques. Il était détaché, assez respectueux pour s’éloigner lorsque je m’approchais de l’oreille de Lexie. Pourtant, son regard était toujours là. Il nous guettait comme un prédateur à l’afflux de sa proie. Je murmurais suavement contre l’oreiller de la jeune femme. Ce n’est pas grave si je ne comprend pas. C’était mon gage de bonne foi. Le son du moniteur m’extirpa subitement de ma torpeur. Il aiguisait mes sens, faisant éclater la colère dans mes veines. Le sang se mélangeait au poison, et ensemble, ils se laissaient border par le rythme éreinté de la maladie. Il y avait la mienne, celle de Lexie et probablement de Thomas. « Ça fait ça parfois. Pas la peine de s’y attarder mais il est possible que ça nous indique qu’il y a beaucoup d’autres choses dont on devrait faire abstraction. » Je me levais avec nonchalance. Je marchais sur les jutes imperméables du sol. Faire abstraction. Mais de quoi ? Du bien ou du mal ? De l’envie ou de la dérision ? Il y avait trop de choses à oublier. Pas assez à considérer. Je me postai devant la porte. J’attendais la prochaine intervention de Thomas. Je savais qu’il avait une réflexion à ajouter. Il avait toujours quelque chose à redire, à décortiquer et à analyser. « Tu vois, c’est en pensant comme ça que je suis devenu trop franc avec les gens.» Je ne répondis pas à son sourire. Un haussement d’épaule, un froissement de muscle. Je ne me souvenais plus du déclencheur. J’étais oublieux des injures. Oublieux de tout. «On ne ment pas, on fait abstraction de la vérité. C’est la meilleure technique, on se sent moins coupable.» Je vacillais dans sa direction. Je déployais les ailes qu’il avait greffé dans ma colonne. J’avais besoin de solitude. J’avais besoin de la collision. Lentement. Epouvantablement. Mes cils battaient dans le vide, portés par le vertige et les migraines. « Lexie, il faudra me pardonner. Ton sauveur suscite ma curiosité. » Marmonnai-je sur un ton évasif. Je rentrais dans une phase de flottaison. Elle savait déjà. Thomas anticipait notre rencontre. Je me tournais vers lui, le diable dans le corps. Comme au début, je n’avais pas besoin d’une raison logique. Nous étions familiers, en désaccord. Nous étions là. Au même endroit.  Ma mémoire se tortillait, vannant les souvenirs sous un regard méprisant. Je voulais l’annihiler par la simple pression de mon poing contre sa mâchoire. Mais je savais que je ne ferais qu’accentuer son sourire arrogant. Il n’était pas surpris de ma démarche. Et je ne l’étais pas de son anticipation. Je choisissais donc de le pousser contre le mur. Mes ongles s’enfonçaient dans ma gorge. «Puis-je faire abstraction de mes bonnes manières ? » Il ne mentait jamais. Il ignorait les vérités. Il façonnait les répliques. Je pouvais faire de même en quittait ma zone de confort. En lui dévoilant mon meilleur secret. Il se prenait pour un démon. Mais j’étais une furie. Un chevalier sans tête. «Je paye le dîner plus tard. Promis.» Lexie avait un rein défectueux mais c’était toute ma poitrine qui semblait déformée. Je grognais en le menaçant. Il voulait que je frappe en premier. Il voulait me rendre médiocre. C’était trop facile de tomber dans le piège. Trop facile de riposter. «Foutu pour foutu.» Je serrai ma prise sur ses épaules avant de le faire courber vers mon genou. Le creux de son estomac contre ma rupture du ligament. Je gémis en m’éloignant de son étreinte. Mes mouvements se noyaient dans les teintes lugubres de la chambre.  Je m’appuyai sur ma jambe en sautillant. J’avais aussi mal que lui. Le contraire identique. C’était le prologue de mon livre.
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() message posté Dim 26 Juin 2016 - 17:02 par Invité
Je respire donc je vis. Ça n’allait pas. Je respire donc je suis. Mieux. J’ouvrais les yeux après chaque errance dans les marasmes des malaises ou des anesthésies provoquées par les traitements que l’on me soumettait et je me rappelais ces deux affirmations comme si elle suffisait à me ramener à la réalité. Mon bras était surélevé pour les infiltrations et je réfutais toujours la première car ce n’était pas vivre que de survivre branchée à une machine, comme un androïde aux organes noirs et mousseux. Je respire donc je suis mais Thomas était supposé m’avoir sauvée de quelque chose. Pourquoi n’arrivais-je pas à m’insurger plus que cela de cette vérité qu’il était parvenu à établir après un simple trait d'esprit de ma part ? Leurs échanges me le rappelaient non sans mal alors qu’ils continuaient à mesurer leur rhétorique au dessus de moi. « Je lui en offrirai si tu m’invites à dîner un soir. Sinon je les réserve pour les situations critiques. » Je dus retenir un rire silencieux car même si celui-ci aurait pu suinter de sarcasme, je n’étais pas disposée à accorder à Thomas autre chose que mon indifférence. Il venait de gagner le mérite de m’amuser mais cela était clairement volontaire de sa part et cela finissait de gâcher l’effet. J’étais devenue une situation critique et rien ne me paraissait plus véridique que cette métaphore en me voyant coincée entre eux deux, roulant à vitesse folle, dopés par des syntaxes réfléchies et injectant à chacune de leurs répliques, iode et écume pour l’un, fougue et tumulte pour l’autre. « Vous en discuterez dans ce cas. Ce n’est pas une décision qu’il faut prendre à la légère. » Je haussai les sourcils en acquiesçant d’un mouvement de tête distrait car il aurait été plus facile que tout cela soit possible. Je pouvais toujours tenter de me hisser à la hauteur mais je devais admettre qu’il était plus fort, cette fois-ci. Et c’était cette dernière précision qui gagnait son importance car c’était sans doute ma première capitulation face à lui sans réel combat. Ce n’était pas notre dernier affrontement qui avait cueilli mes forces et renvoyé dans cet endroit, je le savais snob et prétentieux mais pas au point de s’accorder ce mérite. Quel était le problème ? Je ne capitulais pas, même lorsque je ne pensais pas pouvoir gagner, même lorsque je pensais ne pas avoir une chance, il s’agissait de donner le change. Je capitulais parce que je n’avais pas envie. Je capitulais parce que les regards de Julian se posaient sur moi furtivement et que les miens semblaient l’éviter également mais qu’ils remarquaient tout de même leurs changements. Je pouvais sourire avec malice et souffrir en même temps, mais je baignais à présent, en plus du reste, dans cet étrange mélange de dégoût et de béatitude, d’atonie et d’élan réprimé, de médicaments et d’envies impossibles à combler en soi. Je ne pouvais pas réellement en discuter avec lui, contrairement à ce que proposait Thomas du haut de toute sa dérision sardonique. Je ne pouvais pas réellement en parler avec lui car je ne savais pas ce que j’étais autorisée à lui dire sans que sa compréhension habituelle ne se transforme en jugement sévère, ou pire, en inquiétude à peine dissimulée. J’étais obligée de lui cacher ce pan parce que son histoire avec Thomas semblait déjà saturée de trop de virulence pour supporter le reste. Je cachais déjà trop de choses. Thomas le savait et en jouait. Peut-être même que cela l’arrangeait et cela finissait de me lasser car je n’étais plus en état de m’irriter. Il avait cette intelligence d’agir et de porter son ombre sur les rayonnements de Julian à mes côtés mais ceux-ci rougeoyaient depuis son arrivée. Il ne s’agitait que pour faire bouger Julian à son tour, s’absorbait dans le maniement de leurs échanges afin d’écarter tout échange de sentiments ou de mots tranchants. Sans doute imaginait-il ainsi m’épargner une parole ou un reproche, nous épargner une explication quelconque et vaine. Julian avait l’air de le comprendre. Plus étonnant encore, il avait l’air de l’accepter, je le sentais à sa manière de calmer mon poignet vacillant ou de se pencher vers mon oreiller. « Tu vois, c’est en pensant comme ça que je suis devenu trop franc avec les gens. » J’arquai les sourcils en daignant incliner le visage vers lui pour le surprendre effacer toute trace de connivence de ses lèvres pincées. Une démonstration, vraiment ? C’était ce qu’il était venu me fournir ? Même accompagnées d’un bouquet de fleurs, cela ne suffirait pas. « On ne ment pas, on fait abstraction de la vérité. » Je me refusais d’intervenir pour l’arrêter comme j’avais pu le faire déjà bien des fois, je pouvais en laisser le soin à Julian qui n’attendait vraisemblablement que cela. « C’est la meilleure technique, on se sent moins coupable. » Les mots s’échappaient d’entre ses lèvres avec un détachement affiché mais qui ne me trompait pas, je le savais calculé dans le fond, même s’il ne s’en rendait pas compte. Je ne l’imaginais pas choisir ses mots au hasard, j’entendais ceux qui continuaient à se cacher derrière ses regards affutés comme du métal.
Il fallait faire abstraction de la vérité peut-être, mais son être tout entier posté à quelques mètres de mon lit restituait, l’air de rien, nos visages, nos démarches, nos attaques et sa silhouette du gisant que j’avais fini par laisser derrière moi en claquant la porte de son appartement. Sur sa désinvolture se greffaient les circonstances de notre quasi-trépas et les quelques familiarités autorisées aujourd’hui ne suffisaient pas à les abolir. Je n’essayais pas de lui répondre car tout semblait sonner faux de toute manière, nous nous exprimions à moitié et il savait déjà. Je ne me croyais toujours pas irrémédiablement perdue même si je refusais de mettre en lumière ce qui me condamnait à la pénombre. Je n’y apposais ni la culpabilité ni l’acquittement. Nous n’étions pas en procès et je n’étais définitivement pas son avocate. Je ne disposais pas de toutes les pièces de toute façon, Julian s’agitait à mes côtés comme un lion en cage. Les sous-entendus de Thomas l’agaçaient plus que moi et il ne cherchait pas à s’en cacher, lui. Je plissais les yeux en suivant ses remous, le menton posé sur ma clavicule saillante. Il était écrivain. Les mots formaient sa richesse, il les maniait avec subtilité pour les rendre flamboyants et racés. J’avais envie de lui conseiller de ne pas laisser ceux de Thomas l’atteindre, l’ironie avec laquelle nous nous acharnions à les utiliser les rendait superficiellement précis comme une piqure dans une plaie mais il suffisait de se rattacher à leur imprécision fondamentale. Mais leur passif prenait les devants sur n’importe laquelle de mes tentatives et je reconnaissais dans ses mouvements qu’il laissait son être succomber à la colère puisque c’était celle-ci qu’il décidait d’envoyer à l’affrontement, recours à ses premières vociférations. « Lexie, il faudra me pardonner. Ton sauveur suscite ma curiosité. » Je fronçais les sourcils en le voyant virevolter pour faire face à Thomas et rehaussai mes épaules avec lenteur. Ses mouvements semblaient décidés et volontaires mais son intonation était trop vague pour me convaincre. Mon esprit ne suivit pas la vigueur et l’ébranlement du sien assez vite. Ses mains s’abattirent sur les épaules de Thomas avant que je n’eusse fini de me redresser totalement mais je n’eus pas besoin de le voir immédiatement ou d’entendre le claquement sourd de leurs deux corps s’abattre contre le mur de la pièce pour deviner le choc. Je l’avais vu arriver. Je l’avais deviné car Julian m’avait prévenue après tout, de nombreuses fois, depuis de nombreuses années : il s’habituait à tout, à l’emphase comme à la violence, à l’argument comme à l’excès. Et il changeait ses armes. « Puis-je faire abstraction de mes bonnes manières ? » Il m’était impossible d’apercevoir leur confrontation, le dos de Julian tremblait sous mes yeux et je me mordis l’intérieur de la joue en rabattant le drap du lit de l’autre côté pour faire basculer mes jambes dans le vide. Mes poignets supportèrent le poids du reste de mon corps pour leur faire face et je restais assise ainsi, face à eux. « Julian … » tentai-je d’une voix sombre qui pouvait presque ressembler à un soupir. « Je paye le dîner plus tard. Promis. » Je mesurais le temps qu’il me faudrait pour les rejoindre et les séparer aussitôt pour constater que je ne parviendrais tout simplement pas jusqu’à eux, dans le fond. Les analgésiques brouillaient mon esprit et mes jambes ne m’avaient pas portée depuis plusieurs jours.
Les mots de Julian n’avaient pas réellement le temps de résonner à mes oreilles, les évènements s’enchainaient plus vite, trop vite pour que je puisse les rattraper. Les mots de Julian étaient sans recours, ne semblaient pas vouloir provoquer la moindre émotion, sinon une sorte d’incolore et froide menace blanche qu’il avait retenue trop longtemps et qui coulait dans ses veines comme un mescal glacé mais cela n’avait pas de sens. Cela n’avait pas de sens parce que lui tremblait et écumait sans plus chercher à réfréner ce qui vivait en lui, l’urgence à vivre et la précipitation dans l’action. Je n’étais pas censée assister à cette avidité dont il m’avait déjà parlé, celle qui était son moteur sur l’instant mais qui pouvait sonner son glas s’il ne la reprenait pas sous contrôle. « Foutu pour foutu. » Je cillai et n’eus que la vision de Thomas avachi sur le genou de Julian comme seul retour au moment de relever les paupières. « Julian. » Cela ne servait à rien de m’écrier cette fois-ci, pas plus que de rendre mon ton plus autoritaire. Encore moins de laisser mes pieds toucher le sol de la chambre, fébriles mais n’ayant d’autres choix que d’accepter le poids que je leur imposais sur le coup. Le vide tangua devant mes yeux quelques secondes mais j’étais debout et Julian reculait déjà dans ma direction avec tout autant de difficulté. Leur étreinte n’avait pas duré longtemps finalement, sûrement moins que ce qu’il aurait désiré dans le fond. Si la distance entre deux êtres pouvait se mesurer à la celle capable d’être abolie entre leurs corps, si Julian s’était posé la question sur sa capacité à abattre toute la furie du sien sur celui de Thomas, la collision avait finalement eu lieu et ils paraissaient tous deux blessés à présent. Je trouvais cela irresponsable, je n’aimais pas l’avoir vu céder à des influences lointaines et mystérieuses qui lui venaient d’un passé qu’il n’avait pas su maitriser cette fois-ci. Je n’aimais pas car je refusais de lui en vouloir réellement mais que je ne pouvais rien faire pour le ramener dans cet état. Je n’aimais pas car la dernière chose que je désirais, depuis l’arrivée de Thomas, était de me soucier de lui mais que Julian venait de m’en retirer le droit brusquement.
Ma main droite s’agrippa à son bras, pour tenir debout, pour le retenir, pour le ramener ici. Et je relevai l’autre bras, la paume relevée, dans la direction de Thomas sans même le regarder. Il n’était pas possible d’en percevoir la véritable raison dans le fond : cherchais-je à le tenir éloigné ? A l’inciter de ne pas avancer d’un pas pour rendre des coups qui ne les mèneraient à rien, tous deux ? Ou me souciais-je uniquement de ne pas le voir plier au sol, une nouvelle fois, une énième fois ? Une fois de trop. Celle sur son matelas à même le sol était supposée être cette dernière mais peut-être avais-je besoin d’acharnement et de répétitions pour enfin me faire à l’idée. J’étais bornée et orgueilleuse après tout. Mes épaules étaient devenues frêles et fragiles mais je les imaginais toujours assez larges pour supporter ce qu’elles n’avaient pas à accepter. C’est ça que tu voulais, Thomas ? Je laissai mon regard s’attarder sur la jambe de Julian qu’il avait du mal à poser au sol et je plissai les yeux en inspirant difficilement. « Arrête ça. » laissai-je échapper dans un murmure, ferme certes, mais faible tout de même car le déséquilibre n’avait pas seulement gagné mes jambes. Je relevai le regard, dur et insistant, dans le sien. « C’est bon maintenant. T’en rêvais, je comprends. » Parce que j’en avais rêvé aussi ? C’était ironique. Mais je ne pouvais pas lui dire que mes poings aussi s’étaient affalés sur les côtes de son adversaire et que je ne n’étais même pas certaine qu’il s’en souvienne car je n’avais pas sa force et que Thomas était ailleurs. Je pouvais simplement lui dire que lui, ne pouvait pas car ses excès de colère n’attendaient qu’un oubli de cadenas dans son esprit pour briser les barrières et l’empêcher de revenir. Il ne tenait même plus sur son genou blessé mais cela ne faisait qu’effleurer en surface ce qui bouillonnait en lui depuis toujours. Je clignais des yeux avec difficulté mais ne lâchais pas Julian. Sous mes pieds nus, le sol semblait instable, prêt à mollir pour m’attirer toute entière à lui et je basculai de nouveau en arrière, condamnée à m’asseoir, condamnée à retrouver le matelas du lit médicalisé avec une facilité dérangeante. Il avait enregistré mes formes, il les connaissait et s’y adaptait. C’était dérangeant car cela transpirait la provocation : la literie était supposée être mauvaise et raide mais elle embrassait mon corps malade sans jamais faillir. « Mais j’avais pas frappé si fort, moi. » finis-je tout de même par laisser échapper dans un souffle sobre, laissant mon regard traîner vers le sien, étrangement teinté d’autre chose que de réprimandes ou d’aplomb, comme un aveu que je lui faisais car je m’y autorisais finalement, car je ne me sentais plus forcée de tout garder sous le sceau d’un secret indicible. Je passai une main sur mes yeux une fraction de seconde avant de les relever finalement vers l’ombre de Thomas. Qu’est-ce que tu veux ? Mais les mots ne franchirent pas la barrière de mes lèvres. Encore une fois. Et encore une fois, j’avais cette désagréable, bien que recherchée, impression, qu’il les entendait dans mes silences ou qu’il les devinait dans mes souffles même désaccordés, même précipités dans l’effort comme maintenant. Ça va ? Mais de cela, je m’en moquais, n’est-ce pas ? « T’as besoin de t’asseoir ? » Finalement. Comme si la pointe d’ironie que je mis dans mes propos pouvait suffire à dissimuler l’appréhension ou la précaution, l’inquiétude même. Il y avait eu du feu là où ne cessait de chuter la vie et ce n’était pas moi à terre, finalement, minuscule tourbillon de maux et de stigmates qui ne prenaient pourtant pas la peine de cesser de tournoyer car le rivage carrelé blanc et glacé de l’hôpital était capable de tout supporter, moi, eux, dans l’anonymat le plus complet car il s’en moquait bien.
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() message posté Ven 2 Sep 2016 - 0:46 par Invité
J’étais peut-être trop habitué à la seule présence de Lexie à mes côtés, car même lorsqu’elle était accompagnée, je ne cherchais pas à retenir mes coups. Le profil de Julian était baigné d’une lumière qui nous aveuglait, car j’avais appris à vivre dans l’ombre, celle qui tapissait les murs ternes de mon appartement. J’ignorais cette fois si l’attitude de Lexie finissait par m’agacer ou si je n’étais là que pour m’amuser, outre les inquiétudes que ma mère laissait transparaître à travers moi. Elle va mourir de toute façon, aurais-je voulu dire à Diane, mais c’était une goutte de trop dans l’océan de la rancœur. Elle ne pouvait pas comprendre que Lexie ne souhaitait pas être vue dans cet état. Peut-être même que la présence de Julian la gênait, bien qu’il ait le charme et l’humour pour la faire sourire de nouveau. Mon regard glissa vers le jeune écrivain : il s’était éloigné mais n’hésita pas à se rapprocher finalement, sa démarche bancale me faisant arquer un sourcil probablement un peu trop arrogant. Après tout, il était le roi en cette matière, mais j’étais comme un conseiller au visage masqué qui lui soufflait ses répliques pour qu’il s’en souvienne, ce qui ne manquait pas de gratter la surface lisse de son assurance. J’étais pourtant si taciturne d’ordinaire. Mais il ne comprenait pas. Sa subtilité s’effaçait lorsqu’il sortait de son périmètre de sécurité. Lorsqu’il parlait de choses qu’il ne connaissait pas ou qu’il tentait d’analyser les gens dont il ne pouvait pas saisir pleinement l’esprit et la manière de penser. Il se retrouvait pris en étau entre Lexie et moi – nous faisions indéniablement partie de cette catégorie, même si Lexie devait à présent tenter de croire que tout nous séparait, que tout nous opposait. Pourtant Julian lui-même semblait reconnaître mes traits sur son visage, ce qui déformait l’habituelle beauté dont elle faisait preuve pour que seuls les sillons de sa maladie ne luisent à la lumière, gardant sa peau terne et ses yeux vitreux car au fond, c’était ce qu’elle était avant tout, n’est-ce pas ? J’avais rarement vu quelqu’un d’aussi attaché à une maladie, comme un syndrome de Stockholm détourné puisqu’elle était une victime – elle avait donc forcément un bourreau. Lexie était une survivante alors que j’étais un immortel et Julian pouvait plisser des yeux avec mépris tant qu’il voulait : ça ne mènerai à rien de plus qu’une frustration supplémentaire qu’il chercherait à décortiquer, encore et encore, pour en faire un roman trop flamboyant, trop baroque, trop énervé quant au sujet puisque nos révélations étaient tacites et nos gestes silencieux.

« Lexie, il faudra me pardonner. Ton sauveur suscite ma curiosité. » Julian se retourna vers moi et m’accorda un regard comme on accordait un coup de fouet plutôt qu’une mort subite. Ses mains s’abattirent sur mes épaules, me provoquant une douleur dont il devait à son tour faire abstraction. Je grimaçai légèrement alors qu’il plaquait mon dos contre le mur, remarquant une lueur de rage profonde et aiguë au fond de ses prunelles devenues noires. Il en rêvait depuis longtemps, Lexie et moi l’avions compris avant lui. Je le fixai, peinant à garder les yeux ouverts car je sentais ses mains faire rouler mes os fragiles sous ma peau, et je les entendais crisser jusque dans mon crâne, lui implorer une merci qu’il n’avait pas l’air de vouloir m’accorder. Vas-y, casse-moi un bras. Nous savons tous ici que je n’attends que ça. Il réduisait la conversation à ça, justement. Frustré de ne pas comprendre et trop impatient pour rester sagement dans le coin de la pièce en attendant que je lui explique le problème, devant l’entrée de l’hôpital en partageant ses cigarettes mentholées préférées. « Puis-je faire abstraction de mes bonnes manières ? » L’ironie suintait de ses doigts revanchards qu’il plantait dans mes épaules sans retenue, m’immobilisant sans peine car j’avais décidé de ne pas me débattre. J’avais décidé que, pour une fois, je le méritais bien, même si je trouvais sa réaction pathétique car il aurait dû renchérir avec des mots et non des poings pour remonter dans mon estime. « Julian … » La voix de Lexie me paraissait lointaine, presque inaudible. Il suffisait que je tourne la tête pour l'apercevoir, redressée avec peine sur son lit d'hôpital, nous observant d'un air épuisé, dépité peut-être car nous étions tombés bien bas, mais elle s'y attendait comme toujours. La surprise n'était pas une émotion qui croisait souvent son regard. J'y voyais plutôt grandir la déception, cet inévitable destin que nous nommions fatalité lorsqu'elle se rendait compte une fois encore qu'elle était vouée à mourir jeune. Elle rêvait de calme et de lumière, nous lui apportions la foudre et les éclairs, incapables de nous tenir, incapables d'être là pour elle et non pour nous, pour nos ego, pour notre allure. Julian croyait certainement le contraire. Il pouvait tout mettre sur le compte de son esprit de preux chevalier défendant la veuve et l'orphelin alors qu'il ne prenait sur moi qu'une âpre revanche qui ne lui apporterait rien. Rien, car malgré mes dents serrées et mon visage tordu par la soudaine douleur, il pouvait encore y lire les bribes d'un sourire satisfait qu'il avait longtemps tenté d'arracher de mes lèvres, toujours en vain, même aujourd'hui. Il n'irait pas plus loin. Il comprit assez vite que mon corps ne le supporterait pas, et mes iris sombres se glacèrent un instant, tranchant les siens qu'il voulait intimidants mais qui ne faisaient que m'agacer, au mieux. Sa fougue littéraire perdait de son mordant au profit de ses excès de colère. Les âmes irascibles n'avaient que trop peu d'effet sur moi. Est-ce là ton unique répartie ? Il me maintenait ainsi au silence le plus profond, après tout, puisque j'étais trop essoufflé pour répondre quoi que ce soit. Mais il aurait voulu au fond de lui que je riposte, comme je l'avais laissé entendre sur le banc et entre les murs de l'université : je ne me laissais jamais faire. Il m'apportait un peu d'adrénaline mais elle n'était pas suffisante et je compris vite que j'allais m'effondrer sur le sol à l'instant où il me lâcherait. « Foutu pour foutu. » Sa prise s'éternisait. Assez pour que la voix de Lexie résonne de nouveau, s'accrochant à une autorité qu'elle savait vaine puisque le mal était fait. Ne servais-je donc qu'à ça ? Me pencher au-dessus des autres comme une ombre menaçante et leur dresser des obstacles comme on posait sa main au milieu d'une fourmilière afin d'observer l'ordre devenir chaos ? Je poussais mes interlocuteurs dans leurs retranchements les plus lointains pour qu'ils se découvrent mutuellement, puis je repartais intact, comme une fumée incolore et inodore, pour étouffer mes prochaines victimes. Car Lexie perdait ici un fragment de la confiance qu'elle accordait à Julian, et ce dernier levait le voile sur la véritable personnalité de la jeune fille qu'il pensait connaître, mais qui s'avérait passer ses weekends à sillonner les rues de Londres à mes côtés et que ce n'était jamais bon signe.

Julian s'écarta finalement et je restai contre le mur, les mains tremblantes, sans véritablement savoir s'il s'agissait de mon souffle court et des vertiges qui m'étaient devenus familiers, ou si au contraire je voulais simplement repartir à la charge et jouer avec ses armes pour qu'elles deviennent miennes. Erreur. Il était en meilleur forme et bien plus ouvert au combat que je ne l'étais. Mais ce fut la main de Lexie, sa paume relevée dans ma direction pour me couper dans mon élan qui me fit prendre ma décision. « Arrête ça. » Je penchai la tête en arrière pour calmer ma respiration et mon crâne rencontra le mur de la chambre. Je le trouvais froid et rugueux, terriblement désagréable. Lexie semblait tanguer au loin, se profilant à côté de la silhouette de Julian, mais tout me paraissait flou et rien n'était sûr. « C’est bon maintenant. T’en rêvais, je comprends. » Il pouvait bien tenter de le cacher mais c’était indéniable, et j’aurais presque été satisfait de lui avoir permis de le faire si mon visage n’avait pas été tordu de douleur comme il l’était à présent. Je sentais encore sa prise sur mes épaules, sur mes os fragiles qu’il avait pu malaxer pour se rendre finalement compte que ça n’en valait pas la peine. Ses rêves ne volaient pas haut s’il ne cherchait qu’à me mettre au tapis physiquement, puisqu’il avait fini par comprendre que j’avais toujours quelque chose à répondre. Ah, vraiment ? Réponds quelque chose alors, Tom. Tu peux à peine parler. J’avais pourtant pris des coups bien plus violents que ceux-là – et donné également, sans vergogne ni respect. Mais il avait une vigueur que j’avais perdue bien longtemps auparavant : traverser les âges sans enthousiasme clouait au sol les plus forts d’entre nous. Mes paupières se fermèrent quelques secondes, le temps que je retrouve mes esprits et que le calme revienne dans la salle, tiré par la silhouette chétive de Lexie dont les épaules pouvaient supporter à peine plus de choses que les miennes. « Mais j’avais pas frappé si fort, moi. » J’ouvris de nouveau les yeux et mes pupilles se refermèrent en deux trous aux bords escarpés, puis fixai Lexie avec une intensité nouvelle, celle qui me raccrochait le mieux à la réalité. Elle marqua une pause puis croisa finalement ce regard acide et lourd de sens que je lui lançais, mais elle n’en fut pas heurtée car c’était elle qui confrontait la première, en vérité. C’était elle qui frôlait le souvenir en prenant le plus de risque alors que je m’efforçai depuis le début à arrondir les angles et jouer sur les mots. Elle me savait assez doué pour le faire. Après tout, glisser entre ma franchise et la sienne pour attaquer Julian était difficile à faire, mais bien lâche de ma part, car il n’avait pas toutes les cartes en main, contrairement à nous. Voilà que ses iris azurés s’assombrissaient d’autant plus, et ce fut par réflexe comme par provocation que je penchai la tête et plissai mes lourdes paupières pour la défier d’en dire plus. Nous étions complices, opposés peut-être, mais partenaires dans une histoire sordide que nous avions créée à deux. Dire la vérité nous ferait plonger ensemble. Elle cherchait ses mots. S’adresser à Julian n’avait pas d’importance, nous anticipions ses réactions avec facilité puisqu’il nous avait fait comprendre qu’il pouvait même en venir aux mains dans une chambre d’hôpital. J’étais le plus dangereux des deux, gardant mes bras croisés mais dissimulant ainsi des lames aiguisées sous les plis de mon manteau. « T’as besoin de t’asseoir ? » Je fus peut-être surpris par sa demande, tant elle était évidente, inattendue mais presque futile. Elle m’arracha cependant un mince sourire que seule Lexie était en mesure d’apercevoir, puisque nous faisions tout pour taire les paroles afin que Julian retrouve un semblant de sérénité – ne m’avait-il pas attaqué pour me réduire au silence, après tout ? Je soupirai en levant les yeux au ciel. « Ouais, j’imagine. » C’était tout. Je longeai ensuite le mur, ne me retenant pas pour m’y appuyer, jusqu’à atteindre l’une des chaises où j’avais trouvé Julian à mon arrivée. Ma poitrine se soulevait difficilement et je ne fis pas l’effort de rester droit, simplement celui de retrouver le profil de Lexie du regard, un éclat mutin enrobant mes pupilles félines. Mais ce fut sur le visage de Julian qu’il échoua enfin et je hochai la tête, feignant une moue admirative. « Tu ne m’as pas menti. Tu sais donner des leçons aux gens qui les méritent. » Il le prendrait mal car il ne lisait que l’ironie et le cynisme. Mais je savais au fond que j’avais eu besoin de cette réaction, de cette adrénaline, de ce refus d’entrer dans mon jeu pour me rappeler non pas à l’ordre, mais qu’il existait des gens qui ne se moquaient pas du monde comme je le faisais. J’avais passé trop de temps aux côtés de Lexie. C’était elle qui finissait par déteindre sur moi. « Mea cupla Julian. Je ne voulais pas vous déranger dans vos échanges, je sais que c’est une manie chez moi que de le faire. » ajoutai-je avec humour. « J’aurais dû appeler avant de venir. Mais l’hôpital était sur mon chemin. » Rien ne valait un mensonge aussi simple. Et Lexie avait un esprit si vif qu’elle savait déjà que je ne disais pas la vérité. Elle n’avait pas eu le temps de m’apprendre à mentir, simplement à rester en vie, comme elle le faisait chaque jour, ne cherchant plus à savoir où elle trouvait la motivation de le faire et si cela avait un sens véritable.
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