the avalanche (river)

Je passai ma main sur mon front et me collai au mur en soupirant. La maison était encore loin et il était déjà bien tard, mais j’avais veillé au bar jusqu’à la fermeture, pris dans des pensées et des mélodies d’ailleurs, qui s’effaçaient à présent que je me laissais glisser sur mon skateboard dans la pente du trottoir. Je tournai la tête. La rue était étroite et vide mais je savais où je me trouvais. Je profitai du calme pour me vider un peu la tête. Je pouvais toujours aller chercher Leo, il devait traîner quelque part dans Londres, les endroits les plus sombres, ceux qui n’existaient qu’une fois minuit passé. Je fis craquer mes doigts avant de remonter sur la planche et m’apprêter à repartir, mais un cliquetis attira mon attention et je fronçai les sourcils, intrigué. On m’attrapa brusquement par l’épaule pour me pousser au milieu de la chaussée et on commença à me menacer. Ou du moins c’était ce que j’imaginais. Trois silhouettes se dressèrent au-dessus de moi alors que je retrouvai l’équilibre avec peine et que je vis ma planche rouler seule jusqu’à se prendre une poubelle et s’immobiliser, bancale, contre celle-ci. J’écartai les bras pour signifier mon incompréhension mais ils ne semblaient pas être de cet avis. Ils continuèrent à parler d’une voix sombre et je restai perplexe tandis qu’ils s’approchaient et m’entouraient. « Putain de voleur. » grogna l’un d’eux en un anglais approximatif, et je notai un fort accent des pays de l’Est, sans vraiment pouvoir le préciser. « Je crois qu’il y a un malentendu. Je n’ai rien volé. » Ils m’ennuyaient plus qu’autre chose mais je savais que l’arrogance pouvait rendre quelqu’un violent. Je n’avais pas besoin de ça. Je fis un pas en arrière lorsque l’un d’eux sortit un couteau, leur présentant mes mains vides et grandes ouvertes. L’inquiétude gagna ma peau puis mon esprit. Je craignis de jeter un coup d’œil à la rue, de peur qu’ils prennent cela pour un manque d’attention et qu’ils en profitent pour attaquer. Mais ce furent des grognements canins qui me sauvèrent la mise, et nous regardâmes tous l’animal qui se présentait devant nous, suivi par son maître, un jeune homme aux cheveux bouclés, maigrelet mais qui parvint à prononcer quelques mots pacifistes pour calmer le jeu. Encore une fois, pas en anglais. « Tu peux leur dire que j’ai rien à voir avec leur histoire de voleur ? J’les connais pas. » dis-je avec désinvolture. Il paraissait sympa et, avec un peu de chance, il me comprendrait bien mieux que les trois types. Mais la chance se faisait rare, surtout après minuit.

Le jeune homme sembla prononcer le plaidoyer qui me sortait d’affaire. Je finis enfin par reconnaître le russe, notamment parce que certains mots ressemblaient à ceux qu’un ancien camarade de lycée russe avait parfois marmonné pour ne pas que l’on comprenne ce qu’il racontait, mais aussi parce que certaines connaissances de Leo – je m’avançais trop en prétendant qu’il s’agissait de ses amis – parlaient de la même façon, pendant les combats de rue. Le type devait être un peu plus âgé que moi, sans non plus que l’écart ne soit trop grand, et il avait une voix apaisante et diplomate, même si je ne comprenais pas un traitre mot de ce qu’il racontait. Les hommes qui me menaçaient semblèrent vouloir s’en prendre à lui et j’hésitai à m’interposer de peur d’envenimer des choses qui ne le concernaient pas à la base. Mais, finalement, ils grommelèrent quelques mots et s’éloignèrent, ce qui me fit pousser un soupir de soulagement et secouer la tête pour remettre mes idées en place. « En espérant ne plus jamais vous voir … » Je me tournai vers mon sauveur improvisé et, après un temps de réflexion, je finis pas lui sourire : « Merci mec, t’es un type en or. » Il marmonna à son tour quelques mots inintelligibles avant de relever la tête vers moi : « Ça va ? » Je hochai plusieurs fois la tête et regardai dans la direction où les hommes étaient partis. « Mieux. Et toi ? » Je me tournai et commençai à marcher vers les rues opposées. Je préférais prendre leur menace au pied de la lettre pour le premier soir, par souci de prudence. « Ne restons pas ici. Je te paye un verre, tu le mérites bien. Tu peux choisir le pub. » m’enquis-je finalement avec ma bonne humeur habituelle. Je ne voulais pas rentrer chez moi et m’endormir sur un mauvais souvenir.

one glance and the avalanche drops one look and my heartbeat stops • Maks n'était pas quelqu'un qu'on considérerait comme vraiment courageux. Ce qu'il avait fait était simplement le résultat d'un coup de tête et d'une montée d'adrénaline. Probablement que si Ghost n'avait pas été là, ça aurait été différent. Ou pas? Il ne le saurait jamais. Son âme charitable et sa soif de justice l'auraient probablement fait risquer sa vie tout de même. Parce que c'était ça. Il aurait très bien pu lui arriver malheur. Ce n'était pas des mecs biens qui avaient attaqué le jeune inconnu. C'était de vrais malfrats. Il aurait pu se faire poignarder ou bien tirer dessus. Il aurait bien pu y laisser sa vie. Mais Maks préférait ne pas y penser. Il garderait ces événements bien évidemment pour lui et les emporteraient dans la tombe. Si Ina l'apprenait, il était définitivement un homme mort. Sa sœur ne lui pardonnerait pas cet accès de folie. Maks se tourna finalement vers l'inconnu un coup que les hommes eurent disparu de son champ de vision. Il put alors enfin souffler et respirer convenablement.  « Merci mec, t’es un type en or. » lui dit son interlocuteur en lui souriant. « De rien... » lui répondit finalement Maks. Il ne s'attendait certainement pas en allant se promener tard cette nuit là qu'il aurait à jouer les diplomates. Il ne s'en était pas trop mal sorti visiblement. Il demanda finalement au gamin s'il allait bien.  « Mieux. Et toi ? » lui répondit-il en commençant à s'éloigner de la scène.  Maks n'avait aucune envie de se retrouver seul, alors il le suivit d'un pas lent et incertain. « Oui.... c'était pas une situation facile. Tu leur as fait quoi? » ne put s'empêcher de demander Maks. Il voulait tout de même savoir la raison de ce pétrin.  « Ne restons pas ici. Je te paye un verre, tu le mérites bien. Tu peux choisir le pub. » s’enquit l'inconnu. « Faut au moins que je sache ton nom... Je m'appelle Maks en passant. » dit finalement Maks d'un sourire. Il allait le suivre néanmoins. Un verre lui ferait le plus grand bien, ça, c'était certain. « un endroit où on ne le croisera pas s'il te plait! » dit-il en riant. Mais il se souvint de son chien. « Il faut juste que je le ramène à la maison avant. Je ne peux pas le laisser  seul en face du bar... » dit-il. « Ce n'est pas loin où j'habite.... » dit-il enfin en prononçant ces mots en dent de scie.

« De rien … » J’appréciai immédiatement la douceur de sa voix, si amicale et réconfortante, même si elle semblait s’évader dans un autre monde lorsqu’elle se ponctuait. Il y avait quelque chose de subrepticement élégant et intriguant dans sa manière de parler et de se tenir. Il avait le visage d’un ange à la silhouette humaine. Comme s’il était tombé du ciel, sans le savoir, mais qu’il avait gardé foi en une chose qui le dépassait, dont il n’avait aucun souvenir. Il aurait pu détourner le regard et passer son chemin mais il en avait décidé autrement. « Oui … c’était pas une situation facile. Tu leur as fait quoi ? » Je haussai les épaules en laissant un rire encore empli de tourment s’échapper de mes lèvres. « Rien. » Je secouai la tête, tentant de chasser de mon esprit l’instant où j’avais senti mon cœur marteler trop fort dans ma poitrine. Je préférais retrouver mon assurance. Les chocs émotionnels n’étaient jamais recommandés – parole du médecin. « Ils ont dû me prendre pour quelqu’un d’autre. Ou bien alors ils n’aimaient pas ma gueule et voulaient juste frapper un type. » En vérité, cela avait cessé de m’intéresser dès que je les avais vus s’éloigner de nous. Je jetai un coup d’œil au chien à nos côtés. Une belle bête qui m’arracha un sourire fier, comme s’il m’appartenait aussi alors qu’il respirait à la fois la familiarité vis-à-vis de son maître et les relents ineffables de la liberté. « Faut au moins que je sache ton nom … Je m’appelle Maks en passant. » Je me tournai vers mon interlocuteur d’un air confus. « Oh pardon, j’oubliais les politesses de base. » J’agitai la main dans un mouvement presque parodique, mais mon sourire, lui, était franc et sincère – véritablement chaleureux. « Moi c’est River. Enchanté, Maks. » J’étais emphatique et amusé par son air un peu paumé. Il venait peut-être de me sauver la vie et pourtant, il restait détaché, quoique son regard fût empli de bienveillance à cet instant. « Un endroit où on ne le croisera pas, s’il te plait ! » Nos rires se mêlèrent instantanément et je répliquai : « T’inquiète, ils sont déjà loin ! Apeurés par la bête. » Je désignai son chien qu’il ne tarda pas à mentionner à son tour : « Il faut juste que je le ramène à la maison avant. Je ne peux pas le laisser seul en face du bar … Ce n’est pas loin où j’habite … » Mes yeux s’illuminèrent et j’acquiesçai. J’étais presque trop heureux de ne pas passer ma soirée seul dans le froid. « Pas de souci, je te suis. On peut savoir son nom à ce brave animal ? » Je lui emboîtai le pas et nous traversâmes un carrefour dont les feux clignotaient sans personne à alarmer. « Tu viens d’où alors ? Je mise sur la Russie, mais je t’avoue, je m’y connais pas en langue étrangère. » Je ne cherchai pas à pointer du doigt le fait qu’il avait un accent. Après tout, j’en avais moi-même un qui m’étiquetait à la basse classe de la société. Mais sa langue maternelle restait ce qui m’avait sauvé ce soir et j’étais assez curieux pour m’y intéresser vivement, comprendre quel était son fameux pouvoir.

La situation revenait peu à peu à la normale. Maks était toujours à cran, mais sourire et rire diminuait la pression qu'il ressentait. River lui semblait plus que sympa. La preuve qu'il dégageait quelque chose de bien résidait dans le fait que Ghost était calme à ses côtés. Le russe avait donc confiance en le jeune homme malgré le fait que des mecs lui en avaient voulu et s'en étaient même pris à lui. Il le croyait lorsqu'il lui disait qu'il n'y était pour rien. Maks était probablement naïf, mais il préférait faire confiance aux autres plutôt qu'être parano et se méfier de tout le monde comme le faisait sa sœur aînée. Il fallait être raisonnable à un moment. « Ils ont dû me prendre pour quelqu’un d’autre. Ou bien alors ils n’aimaient pas ma gueule et voulaient juste frapper un type. » lui assura-t-il. « Des fois, les gens cherchent les ennuis simplement pour fuir leurs ennuis... » dit Maks dans un anglais approximatif en haussant les épaules. L'important, c'était qu'ils étaient partis et que tout le monde allait bien. Le jeune homme se présenta finalement lorsque Maks en fit de même. « Enchanté River... J'aime ton prénom... » lui dit-il, sincère lui aussi.

La conversation se tourna vers Ghost. Après que River l'eut invité à prendre un verre, Maks dut lui dire qu'il devait le ramener à la maison avant. Il détesterait que quelqu'un vole son chien. Il ne s'en remettrait jamais et Ina le tuerait d'avoir perdu leur fidèle compagnon qui était encore très jeune à l'époque. « Pas de souci, je te suis. On peut savoir son nom à ce brave animal ? » lui demanda son nouvel ami. « Ghost. Mais il est très très gentil. Il semble t'apprécier déjà... » lui dit-il. Évidemment, Maks ne savait pas qu'Ina l'avait entrainé à le protéger coûte que coûte et que si on s'en prenait à lui, il pourrait même tuer. Il ne voyait que la version gentille et innocente de l'animal. Peut-être aurait-il vu son mauvais côté si un des mecs s'était fait menaçant. Heureusement, ça n'avait pas été le cas.

Ils marchèrent tous les deux quelques instants en discutant. « Tu viens d’où alors ? Je mise sur la Russie, mais je t’avoue, je m’y connais pas en langue étrangère. » lui dit-il. Maks rigola. « Oui, la Russie, t'as bien misé! Je suis ici depuis que j'ai dix-sept ans. Ça ne fait pas longtemps. J'arrive plus ou moins à m'adapter. D'ailleurs, si tu ne comprends pas mon accent, dis le moi parce que je ne m'en rends pas toujours compte lorsque je dis les mots de travers. » dit-il en rigolant. « On ne comprend jamais mon prénom chez Starbuck.... » dit-il. « Même quand je dis Maksim... Mais bon, on s'y fait.... » ajouta-t-il, toujours en souriant. Ils étaient déjà arrivés. « Je fais vite.... » dit Maks en disparaissant dans le bloc appartement. Il revint à peine quelques instants plus tard. « Tu avais un endroit en particulier où tu voulais aller? » demanda-t-il. « Je ne connais pas vraiment Londres en fait.... »