“Maybe there's more we all could have done, but we just have to let the guilt remind us to do better next time. ” ✻ Je me redressai dans mon tabouret avant de bouger frénétiquement les mains. J'avais quitté le commissariat à 14 heures, mais je ne voulais pas rentrer et répondre aux questions existentielles d'Abigail. J'étais prisonnier d'un sentiment de désespoir étrange. Plus rien n'avait le pouvoir de m'attirer, de m'inspirer de la joie ou de l'espoir. Plus rien n'avait de sens autour de moi. Je me reposai un instant dans un bistrot où j'avalai un fond de whisky. Puis le diable au corps, je me remis en chemin, gravissant puis redescendant les ruelles tortueuses du centre-ville. Je traversais les allées comme un automate, incapable de me situer ou de choisir une destination finale. Mon esprit s'agitait violemment, perdu entre la brume grisonnante de Londres et la froideur accablante de Belfast. J'avais trahi mon père. Je l'avais fixé avec une lueur bestiale et j'avais sciemment pointé mon revolver sur sa poitrine. Je n'avais pas hésité. Je n'avais ressenti aucun regret lorsque j'avais appuyé sur la gâchette. J'essuyai la sueur sur mon front avant de presser le pas vers le bord de la chaussée. Je levai le bras afin d'interpeller un taxi. Ma jambe tremblait, dessinant de vastes cercles autour du trottoir. J'avais envie de boire à nouveau mais je retenais mes mauvaises pulsions. L'ivresse ne me ceignait pas. Le trouble et la fatigue me rendaient méprisable.
Theodore Rottenford senior, était plongé dans le coma par ma faute. Je l'avais presque tué. Je fermai les yeux ; il m'était impossible de me rendre dans sa chambre d’hôpital. Il m'était impossible de prendre une décision. Je voulais rester ici, en suspend dans le vide. Je m'installai dans le véhicule en marmonnant mon adresse. Le paysage qui défilait sous mes yeux éveillait ma crainte à la perspective de retrouver ma routine habituelle. Je ne savais pas comment me soustraire au destin que je redoutais. Mon héritage irlandais m'avait imposé la cruauté, et aujourd'hui, je triomphais en dirigeant mon savoir contre mon propre clan. Je crispai la mâchoire en essayant de garder le contrôle. Mais je n'étais plus le même homme. J'essayais de me raisonner comme on raisonne un enfant inquiet, mais l'enfant n'entendait rien, il prenait toujours la fuite à l'approche du danger. Il voulait
vivre. Je tapai du pied dans l'habitacle avant de sommer le chauffeur de s'arrêter en double file. «
Je descend.» Sifflai-je en jetant une liasse de billets sur la banquette arrière. Je me sentais physiquement mal. Le vent s'enroulait autour de ma poitrine, il enveloppait mon cœur de sa couverture de glace et d'argent. Mais je n'avais plus le courage de porter cette armure. Je m'avançai dans la rue, poussé par une force qui m'emportait toujours plus loin. Je fis une large détour pour contourner China town, songeant sans cesse à éviter le retour. A retarder mon exécution.
Il m'avait toujours aimé plus que les autres. Il m'avait appris à devenir un guerrier. Je déglutis et repris ma course, envahi par une terreur mortelle, par le flamboiement de mon désir d'être enfin libre. Je me noyais dans la foule. Je m'évanouissais comme un spectre parmi les passants, refusant d'exister dans la solitude et l'effroi. Je hochai la tête avant d'entrer dans un magasin pour enfants. Les nuances douces et colorées des meubles parvenait à calmer mes inquiétudes. Mes yeux perçants rencontrèrent mon reflet sur la vitre, et je pus constater mon expression placide et mon allure négligée. Je passai une main sur mon menton avant de soupirer. De l'autre côté de la pièce, on entendait retentir la musique d'une comptine. Je me retournai en suivant les fluctuations de la mélodie entre les rangements de peluches et de jouets. Je rencontrai une silhouette familière mais je ne m'arrêtai pas. Mais la jeune brune secoua les épaules avant de relâcher ses cheveux dans son dos. C'est alors que je la vis vraiment : son visage pâle aux traits parfaitement dessinés, ses yeux verts perçants, sa bouche maquillée, rouge et captivante, sa frange courte passant derrière son oreille. Je retrouvais son air bienveillant mais aussi rieur et attirant. «
Savy ?» M'enquis-je d'une petite voix. J'enfonçai mes doigts dans ma barbe en penchant la tête. Je ne l'avais pas revu depuis des années. Je me demandais parfois si elle se souvenait de nos balades, de nos joutes verbales dans la bibliothèque ou de notre idylle trop courte pour être signifiante. Je haussai les épaules en souriant poliment. «
Tu es à Londres.» Remarquai-je d'un ton neutre. Je tendis mon visage vers sa joue afin de la saluer. J'étais toujours prisonnier de mes sentiments. Plus rien n'avait le pouvoir de m'attirer, de m'inspirer de la joie ou de l'espoir. Plus rien n'avait de sens autour de moi. Mais la fraîcheur de son parfum et les souvenirs d'un bonheur révolu me revenaient sous l'éclat foudroyant d'une nouvelle absolution.