(✰) message posté Sam 24 Oct 2015 - 16:58 par Invité
Lost in translation FT. Fay L. Sùarez-Cordwell
Il est un concept rare à Londres. Le silence. A n'importe quelle heure de la journée peut crier un enfant excité, à n'importe quelle heure de la nuit peuvent hurler les sirènes des policiers. Si bien que chacun s'habitue, s'accoutume à ce bruit de fond constant qu'est le bourdonnement de la ruche londonienne. En quelques endroits il reste maître, ce silence. Pause dramatique au théâtre, suspens au cinéma (si on exclue le maïs soufflé de l'équation), admiration personnelle d'un tableau. Les galeries, repère fétiche de la mystérieuse blonde, ont cet atout majeur de récolter les maigres molécules de silence dans des endroits parfois très minimalistes. Le respect plane tel un aigle majestueux tandis que les talonnettes sont bannies. Ce silence n'est pas étouffant, bien au contraire. Il est relaxant, il est le bienvenu. Lorsque Mathilda sait qu'elle va passer la journée entière dans une galerie, elle est heureuse. Et ce matin, elle ne l'est pas. Car la galerie où elle va passer quelques heures est polémique, attirante, touristique. A Chinatown, rien n'est jamais silencieux. Et dans cette galerie, elle ne trouvera pas son bonheur. C'est donc irritée qu'elle quitte son appartement de l'est londonien, jette un coup d’œil déjà nostalgique à la salle de sports où elle a passée l'entière soirée. Elle avait revêtu une jupe en cuir plissée lui tombant sur les chevilles, un débardeur d'une simplicité enfantine et un pull en maille serrées rose clair. Une écharpe noire épaisse pour réchauffer le tout, sa pochette habituelle et elle s'élançait à pied en direction de Chinatown. L'air frais lui balayait le visage et son rouge à lèvres marquait le filtre de sa cigarette. Les nuages peignaient le ciel de gris clair, aveuglant.
Elle était là, la galerie. Perdue entre deux restaurants sushi, ses murs à la peinture rouge écaillée, sa porte d'entrée vitrée et sale. Il y avait quelque chose d’intrigant dans cette galerie : elle avait pour seule ouverture vers l'extérieur sa porte d'entrée. N'importe quel galeriste privilégie la lumière, afin d'admirer les œuvres sous leur meilleur angle, leurs meilleures couleurs. Quand elle entra, Mathilda était déjà défaitiste. Elle était sûre de ne rien trouver dans cette galerie qu'elle avait pour obligation de critiquer. Le coeur n'y était pas, sa démarche était lente, ses yeux baladeurs. L'atmosphère était étrange. Un simple tableau à gauche en entrant, un dessin d'une enfant. Une enfant possédant toutes les cultures : traits européens, képi militaire américains, habits festifs arabes, tatouages faciaux indous. Les rumeurs étaient donc vraies, cette galerie avait un rapport avec le racisme, mais pas comme Mathilda l'avait imaginé. Elle mettait à mal ces idéaux détestables, les dénigraient, les réduisaient en miettes. A droite, l'accueil. Une simple table en bois, aucune réceptionniste. En face de la porte d'entrée, un rideau opaque, masquant tout ce qu'il pouvait se passer derrière. La curiosité était piquée.
Et lorsque le pas est franchi, c'est un spectacle qui s'offre à elle. La salle est divisée en deux blocs : un plongé dans une obscurité partielle, de légères LED éclairant les sculptures et l'autre illuminé comme en plein jour, remplit de tableaux, de dessins, de journaux. Si elle faisait si polémique, c'était parce qu'elle dérangeait les règles de l'art, les règles de disposition, d'organisation de l'espace d'une galerie. Ici tout, ou presque, était entassés, en un fouillis désagréable. Après tout, cela représentait parfaitement la société. Un tas désordonné d'idées convergentes et divergentes, créant des conflits. Mathilda sort son calepin et prend des notes claires accompagnées de petits et rapides schémas. Elle ne veut rien oublier, tout noter. Un côté de sa feuille est d'un point de vue objectif, l'autre subjectif. C'est là tout l'art de son métier.
Le galeriste marche d'un pas feutré, délicat. Il salue silencieusement Mathilda, et lui chuchote la bienvenue. Elle lui fait quelques remarques sur les œuvres, pose des questions précises de technique. Ces questions ne sont pas celles d'un journaliste standard, Mathilda transpire la connaissance et l'habitude. Elle est rodée à ce métier. Le rideau s'ouvre en un bruissement doux, et une personne pénètre à nouveau dans l'espace doté d'un chaos presque harmonieux. Sur elle Mathilda pose ses yeux de lynx furieux. Une femme.