CSJ ✰ this ain't love, it's clear to see.

« Maître Speckhart ? Votre rendez-vous de quinze heure vous attend. » † « Merci Margaret. Faite-le entrer. » Je raccrocha le téléphone, me leva de ma chaise, prête à accueillir mon prochain « rendez-vous », comme on aimait le dire. J'étais nerveuse. Et pourtant, je savais que j'étais la copie conforme de ce qu'il souhaitait que je sois. Je n'avais aucune raison de m'en faire. J'étais sa perfection. Sa réussite. Alors pourquoi devais-je être nerveuse devant sa venue ? Le bruit d'une poignée qui se tourne me fit perdre le fil de mes pensées. Mon coeur se resserra et lorsqu'il passa le seuil de la porte, mes yeux se relevèrent et allèrent se poser sur lui. Instantanément, un sourire vint illuminer son visage. Je ne pus m'empêcher de laisser un misérable sourire en coin salir les traits de mon visage. « Bonjour Papa. ». Il referma la porte derrière lui et s'avança ensuite vers moi. Ses bras se tendirent vers moi et je ne pus échapper à l'habituelle étreinte qu'il me réservait. Il m'embrassa sur la joue et recula d'un ou deux pas. « Tu vas bien, ma princesse ? » † « Ça va. » répondis-je, du tact au tact. Je retourna m'asseoir derrière mon bureau, l'invitant à prendre place sur une des chaises placées devant mon office. J'avais plutôt envie qu'il ne s’asseye pas, mais il a toujours été tellement insistant envers moi que s'il avait une occasion de plus de le faire, il le ferait. À mon grand désespoir, il s'installa face à moi. « Si tu savais comment je suis fier de toi, ma belle. Tu sais qu'aujourd'hui c'est un grand jour, non ? Ça fait exactement deux ans que tu es entrée dans ce cabinet. Si tu savais comment ça me fait plaisir de te voir là. Tu es si belle ! » dit-il avec sa voix toute mielleuse. J'avais quasiment envie de le gifler, et pourtant je ne fis rien mis à part lui sourire en retour et tendre ma main vers la sienne. « Je t'aime, Papa. » dis-je avec une envie de gerber. Je ne l'aimais pas. Pas du tout. Toute ma vie et encore aujourd'hui, je suis sous son emprise. Il fait ce qu'il veut de moi. Je suis sa poupée de chiffon. À l'adolescence, les fois où j'avais essayer de lui faire comprendre que je ne voulais pas de cette vie, que je ne voulais pas de ce corps, de cet état d'esprit, il avait fait la sourde oreille. Et pourtant, je le sais depuis que je suis toute jeune. Je ne voulais pas être celle que je suis présentement. Je ne suis pas celle que je suis... Il voulait simplement que je reprenne l'affaire familiale, que j'agisse comme ça « dans l'intérêt de tous » alors qu'au fond ça ne plaisait qu'à lui. « Ta mère serait fière, Carolyne. Si tu savais... » Et voilà ce que je détestais le plus à propos de lui. Quand il me parlait ainsi de ma mère, morte depuis déjà trop longtemps. Elle, elle n'aurait pas été fière de moi. Elle savait que je souffrais. Elle savait que j'avais mal et elle savait par dessus tout qui j'étais vraiment. Lorsqu'elle nous a quitté, ce fut le drame. Pour mon père et pour moi. Nous nous retrouvions seuls l'un avec l'autre. Et c'est là qu'il commença à gérer ma vie. De A à Z. Des études, allant jusqu'à mes fréquentations. « Je sais Papa. Et j'aurais aimé qu'elle soit encore là pour le voir. » Pour voir à quel point tu m'as transformé, oui... La sonnerie de mon iPhone me coupa le souffle. Je suis plus habitué à celle du BlackBerry - portable de bureau -, mais je dois admettre que je préférais largement me servir du téléphone d'Apple. Nerveusement, je lâcha la main de mon père et fouilla dans mon sac à main, au pied de mon bureau, et trouva ledit portable. « Papa, je dois vraiment le prendre... » dis-je, en grimaçant légèrement pour lui faire bien comprendre que c'était urgent et que j'avais moi-même, des obligations. « Très bien. À plus tard, ma belle. » dit-il avant de se relever et de partir silencieusement. Il aurait peut-être espérer une caresse, un bisou ou un dernier regard, mais il n'eut rien. Il n'en aurait jamais rien. Je décrocha enfin, prenant une voix plus grave, plus masculine. « Ouais ? » † « Jaimie, tu nous oublis pas pour ce soir, hein ! On compte sur toi. » entendis-je à l'autre bout du fil. Je ne pus m'empêcher de sourire bêtement. « Promis, j'serai là ! » dis-je avant de raccrocher. Plus que deux heures et je pourrai dire au revoir à cette jupe trop serrée et se chemisier couleur prune. Ce soir, c'était la soirée du siècle.

Les dix-sept heures sonnèrent enfin et je pus rentrer chez moi. Une fois arrivée à l'appartement, j'enlevai mon manteau, mon chemisier et ensuite ce soutient-gorge, laissant ma peau nue respirer. Je me rendis à la salle de bain où je me démaquilla rapidement. Je plaqua mes cheveux avec du gel, maquilla légèrement ma peau afin de lui donner l'air plus salis, plus masculine. Je pris ensuite ma gaine et la mis autour de ma poitrine, serrant de toutes mes forces pour ne voir aucune trace de seins. J'enlevai alors ma jupe, mes bas collants et mes souliers et me rendit à la chambre à coucher où j'ouvris le garde-robe pour y dénicher une paire de jeans ample et un t-shirt à motif abstrait. J'enfilai le tout assez rapidement, rajoutant chaussette et souliers de sport. Je retournai dans l'entrée et m'observa dans la glace. Un large sourire ce dessina sur mes lèvres. Celui-ci était plus sincèrement que précédemment. Je pris mon porte-feuille, le fourra dans mes poches, prit mon iPhone et fit de même. Je quitta mon logis en direction du centre-ville. Une fois sur place, mes potes m'y attendaient déjà. « Eh mec ! » me criais-je mon meilleur ami. « Prêt pour ce soir ? » † « Si tu savais comment j'suis prêt, bro ! » dis-je en essayant de contenir ma joie. Pourtant j'en étais incapable. Ce soir, c'était un grand soir. Bien plus que la « grande journée » dont mon père faisait référence plus tôt aujourd'hui. Nous pénétrions donc dans un immeuble commercial et une fois au troisième étage, nous entrions dans une petite salle. Quelques chaises en rond était disposées. J'étais prêt. Quelques minutes plus tard, tout les participants étaient enfin arrivés et nous pouvions désormais commencer. Jean, l'intervenant-animateur de la soirée m'observait du coin de l'oeil, visiblement fier que je sois des leurs ce soir. « Permettez-moi de féliciter Jaimie qui ce soir fête ses deux ans auprès de nous. Tu as fait du chemin, bro ! Et le meilleur reste à venir. » dit-il alors que les autres autour de moi se mirent à applaudir. Il est vrai que commencer une démarche de changement de sexe à 23 ans, c'est quelque chose d'un peu inhabituel. Pourtant, j'ai toujours su ce que je voulais être. J'ai toujours su que j'étais un homme encabané dans un corps de femme... Et ce n'est qu'il y a deux ans que j'ai pris les démarches à coeur. Jamais avant ce jour, mon père ne m'avait laissé assez de liberté pour le faire. Bon, je tiens à préciser qu'il n'est pas au courant de tout ça, mais c'était plus facile pour moi de le faire à vingt-trois ans qu'à douze ans, par exemple. Là, je suis plus indépendant, plus mature... Et j'ai enfin droit de vivre ma vie. En autant que la première lui plaise, la seconde devrait être le dernier de ses soucis...