I solemnly swear that I am up to no good (jake)

DECEMBER 2004 ► Les yeux fermés, la tête sur l’oreiller, Jake se laisse porter par la musique. Il n’a envie de penser à rien, il n’a pas envie de penser à son père qui l’a invité à passer le week-end chez lui et sa maitresse – qui ne l’est plus techniquement mais peu importe, elle le restera toujours dans l’esprit de Jake. Il n’a pas non plus envie de penser à sa mère qui fait comme si de rien n’était pour sauver les apparences. Il a décidé de son propre chef de s’accorder son après-midi alors qu’il avait des cours normalement. Il a dit à sa mère que le prof était absent, elle n’a rien dit. Elle sait très bien qu’il sèche beaucoup trop de cours, il sait qu’elle a déjà été convoquée à ce sujet mais elle ne lui dit rien. Elle doit penser que c’est une phase qu’il traverse, que ça lui passera avec le temps. Peut-être qu’elle a raison, Jake en sait rien. Au lieu d’un cours de maths ennuyeux, il écoute du rock des années 80. Il n’a plus beaucoup de disques, il a détruit et jeté ceux offerts par son père lorsqu’il a appris son infidélité et le divorce. Sans doute qu’il regrette les disques mais pas son geste. Finalement, rester coucher sans rien faire, ce n’est pas franchement la bonne solution pour ne pas penser. Il s’assied et attrape un livre. Un truc qui date du dix-neuvième siècle qu’il doit lire pour les cours. Ça lui occupera l’esprit au moins. Il n’a le temps que de lire une vingtaine de pages – les pages les moins intéressantes qu’il a pu lire – avant que la porte de sa chambre s’ouvre. Il relève la tête et sourit en découvrant Elliana sur le seuil. « Hey. » Ils se sont déjà vus ce matin mais il n’avait aucune idée qu’elle passerait chez lui ce soir. Après tout, il ne lui a même pas dit qu’il rentrait chez lui, enfin elle a pu le deviner seule aisément. « T’as encore séché. » Sa phrase n’attend pas de réponse, ce n’est pas non plus un reproche. « J’suis sûr que j’ai rien manqué. » Qu’il dit en haussant les épaules. A se demander comment il va avoir son diplôme. Enfin en ce moment, c’est la moindre de ses préoccupations. Il a juste besoin d’autre chose, de se vider l’esprit et d’espérer que ça s’arrangera. « Oh si… J’ai fait une liste de potentiels petits amis pour te remplacer comme t’es jamais là. » Elle sourit avant de finalement refermer la porte derrière elle. Il sourit, amusé et parfaitement conscient qu’elle ment. Ce qui ne l’empêche pas d’entrer dans son jeu. « Ah oui ? Et t’as qui dans ta liste ? » Même pas besoin de liste, elle a Jake et ils sont heureux tous les deux. Ils se sont bien trouvés, ils se ressemblent sur de nombreux points et si ça avait commencé de manière plutôt explosive au départ, ils ont fini par réaliser qu’ils se complètent l’un l’autre. Elle s’approche de lui et prend le livre de ses mains pour le poser sur le lit. « J’ai réduit à trois noms : Paul Wyatt. » Un sportif qui est en maths avec eux et qui semble avoir le qi d’un escargot. Sans doute qu’il est pas mal physiquement, il y a beaucoup de filles qui lui tournent autour mais il est persuadé que ce n’est pas le type d’Elliana. Il pose ses mains sur sa taille pour la rapprocher un peu de lui et hoche la tête en la regardant comme pour lui dire de continuer. « Thomas Sanders. » Il fronce les sourcils, pas certain de savoir de qui il s’agit. Peu importe, il estime qu’il est le seul à être assez bien pour Elliana. Et elle doit penser pareil puisqu’elle est avec lui et non pas avec ce Thomas. « Ou bien Monsieur Dupont, le prof de français, il a un accent tellement craquant. » Il sourit alors qu’elle semble fière d’elle. Jake ne fait pas de français alors il ne sait pas si son accent est si bien que ça. Il est trop vieux de toute façon. « Aucun te mérite, j’suis pas d’accord. » Si elle souhaitait vraiment le plaquer et se trouver un nouveau copain, elle ne s’y prendrait pas comme ça de toute façon. Et puis pourquoi voudrait-elle changer alors qu’ils sont si bien tous les deux ? C’est vrai, elle s’ennuierait avec un autre copain et lui s’ennuierait sans elle. Il ne s’est même pas rendu compte quand elle est devenue indispensable à son quotidien. Elliana, c’est son rayon de soleil. Rayon de soleil parfois un peu chiant mais ça rajoute justement de l’intérêt. « Qui t’a dit que t’avais le droit de pas être d’accord ? » Qu’elle dit en se recoiffant. Elle le provoque et il adore ça. « M’en fous, je l’interdis. » Et d’un geste, il la fait tomber sur le lit avant de repousser une mèche de cheveux de devant son visage. Il sourit et l’embrasse, comme pour affirmer qu’elle n’a pas besoin d’autre petit ami, elle l’a lui et ça devrait lui suffire. Finalement, cent fois mieux qu’un livre ou que de la musique, Elliana lui fait oublier tout ce qui ne va pas, sans même le vouloir.

MARCH 2013 ► « Fais un dernier plan sur la façade de Grant Enterprise et on aura tout ce qu’il nous faut pour ce soir. » Dit-il en ramassant son matériel alors que son caméraman obéit à sa requête. La nuit est déjà tombée depuis longtemps mais ça n’a jamais empêché Jake de travailler s’il voyait un scoop arriver. Et heureusement, ça ne dérange pas non plus Oscar, le caméraman qui lui est attribué depuis quelques semaines. « Dès la première heure demain, j’appellerais son secrétariat pour essayer d’avoir l’exclusivité, tu t’occupes d’essayer la meilleure amie de la victime ? » Jake, il adore ça, savoir qu’il est proche d’un scoop énorme et devoir tout faire pour l’obtenir en premier. Il était déjà le premier à entendre parler de ce meurtre d’une jeune femme qui voyait le grand patron de Grant Enterprise. Peut-être qu’il est coupable, peut-être pas, il n’en sait rien mais ça ne l’empêche pas de faire des pieds et des mains pour le savoir en premier. Et bien sûr qu’il espère qu’il l’est, ça fera un scoop beaucoup plus gros s’il l’a tuée. Pour l’instant, il a l’exclusivité mais s’il veut la garder demain, il va falloir qu’il continue comme ça. Les images qu’ils ont prises aujourd’hui ont été envoyées aux studios qui vont monter tout ça pour le diffuser au plus vite. Pour Jake, la journée est terminée alors il salue son collègue et décide de marcher pour rentrer puisqu’il n’est pas loin de son immeuble. Il met son casque sur les oreilles et écoute la musique en marchant, jusqu’à être interrompu par la sonnerie de son téléphone. Pour qu’on l’appelle à cette heure, ça doit être important. Peut-être même un nouveau scoop qu’il ne doit pas rater. Ça ne sera pas compliqué pour lui de faire une nuit blanche, ça lui arrive souvent. Il prendra juste plus de cafés que d’habitude. Il sort son téléphone de sa poche et est surpris du nom qui s’affiche. Le frère de Chase. Cela fait des années qu’ils ne se sont pas parlé, ils n’ont jamais été proches. Il décroche, non sans une pointe d’inquiétude. « Allo ? » Il ne peut s’empêcher d’imaginer le pire, surtout qu’aux dernières nouvelles, elle était toujours en Irak. Ça serait étonnant qu’elle soit rentrée au vu de leur dernière discussion. « J’te réveille pas j’espère ? » « Du tout, qu’est-ce qui se passe Ben ? » Il ne peut s’empêcher de se montrer pressant, il a besoin de savoir qu’il s’inquiète pour rien, que sa meilleure amie va bien. « Je… C’est Chase, elle a été enlevée ce matin, on vient de l’apprendre. Le gouvernement dit qu’ils sont confiants mais bordel, elle est prisonnière de terroristes ou j’sais pas quoi ! » Jake ne peut s’empêcher d’être soulagé une demi-seconde qu’elle ne soit pas morte, atteinte d’une balle perdue ou d’une explosion. Mais le soulagement est de courte durée car être prisonnière, ce n’est pas forcément mieux. « Que, quoi ? Mais comment c’est possible ? » Il sait très bien comment ça a pu se passer. Malgré la protection offerte aux journalistes dans les pays en guerre, on ne peut rien assurer et ça aurait très bien pu arriver quand il était encore là-bas avec elle. Quel con de l’avoir laissée toute seule. « On n’a pas encore les détails, on sait presque rien en fait mais j’sais qu’elle aurait voulu que tu le saches, j’voulais te prévenir. » Jake ne sait pas si elle aurait vraiment voulu ça, ils se sont à peine parlé depuis qu’il est rentré en Angleterre. Il n’était pas bien là-bas, contrairement à elle et, encore une fois, c’était un désaccord entre eux qui les avait séparés. Il aurait dû rester ou bien lui demander de rentrer avec lui. Mais il savait très bien qu’elle aurait refusé, elle était dans son élément, elle voulait raconter les horreurs de la guerre pour informer le monde. Lui, il ne saurait même pas expliquer pourquoi il ne supportait plus d’être en Irak. Peut-être pour ça qu’il ne l’avait même pas prévenu lorsqu’il avait demandé à rentrer à Londres. Il continue de parler avec le frère de Chase mais il ne sait pas grand-chose de plus. Le gouvernement pense qu’ils vont demander une rançon, que c’est le cas presque tout le temps. Il finit par raccrocher alors qu’il arrive chez lui, rongé par l’inquiétude. Le scoop de la semaine, voire du mois, c’est ça. C’est Chase, une journaliste anglaise, qui a été enlevée sur le sol irakien. Sauf que, bien qu’il passe la nuit à chercher la moindre petite information sur internet, l’idée d’en faire un sujet ne lui effleure même pas l’esprit. C’est sa meilleure amie et tout ce qu’il arrive à faire, c’est s’inquiéter toujours plus.