I solemnly swear that I am up to no good.

TEDDINGTON, 1999
Mrs Stinson s'occupait de son gazon lorsqu'elle remarqua quelque chose d'inhabituel ; le silence. En effet tout était calme. Inquiète, elle regarda autour d'elle. Le voisinage n'était jamais aussi tranquille lors des quelques weekends ensoleillés de printemps. Les enfants Peppermint, ces petits monstres sans scrupule, devaient sûrement préparer un mauvais coup. Si elle avait été leur mère, elle les aurait maté, mais hélas, ils avaient hérité d'une génitrice complètement dépassée et d'un père travaillant dans la City, peu présent. Pauvres gosses. Le patriarche semblait être quelqu’un de bon et de calme, elle ne comprenait donc pas pourquoi il s’était marié à cette femme excentrique… Mrs Stinson était certaine qu’elle était à l’origine des caractères trop expansifs des petits. Il fallait apprendre à mettre des limites, même si cela avait pour effet de couper une partie de leur imagination. C'était un mal pour un bien. Elle finit par les apercevoir, ils étaient en cercle devant leur maison et semblaient faire des messes basses.
BYRON On est en guerre les gars, il faut frapper fort cette fois. Winnie, Victor, vous savez ce que vous devez faire ? Bien, allons-y.
Les yeux pleins de détermination, le visage sévère, ils se serrèrent la main avant de se séparer. Leur plan était simple ; récupérer le trophée qui était pour l’instant entre les mains des Atkins, ces cinq garçons aussi costauds qu’idiots, leurs voisins. Le trophée était un ours en peluche hideux qui était malmené à chacune de leur bataille. Celui-ci trônait fièrement au milieu du jardin de la famille rivale. Winnie et Byron surveillaient les environs ; aucun guerrier en vue, ils imitèrent alors le bruit du loup, signal pour Vic qui fonça vers l’ours. C’est alors que les cinq Atkins sortirent de leur cache en hurlant et attrapèrent le jeune Peppermint.
BYRON C’est un piège !! Il faut battre en retraite !
WINNIE Non ! on ne laisse pas un des nôtres Ron ! Il faut y aller, ils sont peut-être plus nombreux mais nous sommes plus intelligents !
La petite fille avait le poing fermé et les yeux emplis de courage. Elle attrapa le tuyau d’arrosage et sprinta en direction de ses adversaires en criant. Elle les arrosa en réglant le jet au maximum si bien qu’ils lâchèrent son frère. Byron, quant à lui, sauta sur celui qui tenait le trophée, et le corps à corps commença.
Mrs Stinson observait la scène de loin, les bras croisés, elle faisait non de la tête d’un air indigné. Même Wnnie, se battait dans la boue, mordait, se faisait tirer les cheveux, mordait de plus belle. Jusqu'à ce que :
HARRIETT NOOOOOON mais c’est pas vrai ! qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? Vous êtes tous sales, à quoi ça sert que je vous mette des vêtements propres le matin si vous finissez comme ça, hein ? vous pouvez me le dire ?!
Les jeunes Peppermint regardèrent leur mère, perplexes. Elle venait de son atelier de peinture et était donc tout aussi tachée qu'eux.. Face à l'ironie de la situation, elle ne sut quoi dire et pointa seulement son index en direction de la maison. Victor arracha l'ours des mains d'un des Atkins puis courut vers la terrasse, suivi de près par Winnie et Byron.
Harriett ne dit pas un mot. Elle s'occupait peu de ses enfants, mais ce peu suffisait à l'épuiser.
VICTOR Mais maman, on a gagné la guerre, il faut fêter ça !
BYRON Non Vic, juste une bataille pas la guerre.
Cette guerre perdura jusqu'à ce qu’ils décidèrent qu’ils étaient trop vieux pour ces petits jeux de voisinage. En guise de paix, Wnnie perdit même sa virginité avec l'aîné des Atkins à l'âge de 16 ans.

TEDDINGTON, 2007
WINNIE Ca y est ? T'as tout ?
Harriett se tourna vers sa fille alors qu'elle fermait le coffre de la vieille Orion. Son visage s'orna brièvement d'un air choqué en voyant le bâton de cancer que l'adolescente tenait entre ses lèvres : dernière tentative de réveiller l'instinct maternel chez Mrs Peppermint. Nouvel échec. Elle se contenta de hocher faiblement la tête. Oui, elle avait tout. Winnie regardait celle qui l'avait mise au monde avec une certaine neutralité. Elle était belle. Vraiment belle. La quarantaine à peine passée, elle aurait pourtant aisément pu dire qu'elle avait trente-deux ans, tout le monde y aurait cru. Son père, lui, n'était pas si beau, mais il avait de l'esprit. C'était peut-être ça qui lui avait plu à sa mère. Il semblerait que ça ne lui plaisait plus à présent. Elle partait. Elle avait annoncé ça hier. Ca n'avait étonné personne. Pas même papa.  Winnie le soupçonnait d'être au courant depuis quelques jours. Byron qui avait assisté à la réunion de famille par Skype, car en vacances en France avec sa copine, s'était contenté d'un ok avant de terminer la conversation. Vic avait été plus affecté. Harriett ne quittait pas simplement son mari parce qu'elle ne l'aimait plus, elle quittait aussi ses enfants. Elle devait penser à elle, avait-elle dit. Elle était malheureuse, ce n'était pas une façon de vivre, c'était de... de la survie. Elle avait trouvé des cours de peinture, à Rome. Elle s'en allait. Elle avait commencé à économiser ces derniers mois. Ca, ça avait fait sourire Winnie. Un faible sourire narquois qu'elle avait ravalé instantanément. Sa mère passait le plus clair de son temps dans son atelier, comment avait-elle économisé si ce n'était en prenant régulièrement un peu d'argent sur le compte de son époux ? Elle s'était tue néanmoins. Insulter sa génitrice, lui cracher tout un tas de monstruosité en plein visage n'aurait eu aucun effet. Ca l'aurait soulagé quelques secondes, et puis, les larmes de sa mère, pauvre victime, l'aurait agacée au plus haut point. Alors elle n'avait rien dit. Elle avait posé des questions pratiques, elle voulait simplement savoir comment leur existence allait être modifié. Byron allait rentrer et commencer l'université, il avait prévu de louer un appartement avec ses potes en ville, il ne serait pas trop touché. Le porte-monnaie familial, si. Vic entamait sa dernière année de lycée, il s'en remettrait. Mais Hannah hein ? Elle allait vraiment partir et laisser sa fille de quatre ans ? Il n'était pas question qu'elle s'occupe de sa cadette, elle ne serait pas la baby-sitter. Elle avait bien mieux à faire. La discussion avait duré une bonne heure. Et puis, ils étaient monté se coucher. Papa avait emmené son frère et sa soeur voir ses propres parents pour la journée. Ils ne devraient pas être là pendant que leur mère faisait ses bagages et disparaissait. Winnie avait voulu rester, comme se torturer un peu plus, comme pour avoir l'image dramatique de sa génitrice partant avec sa voiture pour toujours. Ca n'allait pas tarder. Elles se regardaient et Winnie finit par sourire mal à l'aise.
HARRIETT Tu vas faire quelque chose de ta vie, d'accord ? Tu es têtue, tu sauras aller au bout de ce que tu entreprends. Je me fais pas de souci. Promets-moi d'être heureuse.
WINNIE C'est quoi ce discours débile, maman ? C'est là que je te le promets et qu'on se serre fort dans nos bras en pleurant ?
HARRIETT Non, non, c'est juste que...
WINNIE Allez, ça va.
Winnie tira sur le poignet de sa mère pour qu'elle vienne dans ses bras. Elles n'étaient peut-être pas proches, elle ne méritait peut-être pas son pardon mais elle partait. Alors, finalement, ça ne lui coûtait pas grand chose de faire semblant. La jeune Peppermint n'était pourtant pas connue pour sa docilité et son envie de satisfaire tout le monde.

RAGLAN NZ, 2011


LONDON, TODAY
Winnie monta les escaliers menant à son appartement, son vélo sur l'épaule, aussi rapidement que son petit mètre cinquante-six le lui permettait. Sa journée était enfin terminée. Elle avait véritablement l'impression de perdre son temps, perdre sa jeunesse, dans les rayons du magasin. Il fallait bien travailler néanmoins. Payer le loyer, payer les courses, payer les sorties aussi : la terrible et inévitable conséquence qu’entraînait l'acte de devenir adulte. Et payer les clopes aussi, elle devait vraiment arrêter... Demain. Oui, peut-être demain. Winnie ou l'art de remettre à plus tard les décisions importantes. Chercher un travail plus intéressant ? Demain. Se renseigner sur les études qu'elle pourrait faire ? Demain. Ramener la robe qu'elle avait acheté sur un coup de tête, se sentant sur le coup sexy ? Demain. Ou non. Elle finira certainement au fond de son placard, oubliée à jamais. Winnie posa son vélo dans le  couloir et ouvrit la porte de chez elle, un peu essoufflée. Elle n'était pas exactement du genre sportive, elle s'en tenait à son parcours quotidien en bicyclette et à un cours de fitness une fois tous les trois mois qui servait de justification à son abonnement à la salle de gym.Très rentable. Elle salua ses colocs avant de disparaître dans sa chambre, ce minuscule cocon qu'elle s'était créée. Elle avait généralement besoin d'un peu de calme après une journée de travail, pas longtemps mais une petite demi-heure, rien qu'à elle. Devoir s'occuper de clients avait tendance à lui faire détester les gens. Pourtant, vendre des CDs, DVDs et autres ne semblait pas désagréable. Mais répondre aux questions idiotes de ses semblables, passer derrière eux après qu'ils aient tout dérangé et supporter leurs gosses demandaient une certaine patience dont Winnie n'était pas toujours dotée. Le pire restait peut-être le fond sonore du magasin : les tubes les plus vendus repassaient encore et encore. Alors, même si le dernier Taylor Swift peut être acceptable les premières fois, essayez donc de l'écouter vingt-cinq fois par jour pendant deux semaines, et on en reparlera. Elle regarda l'heure sur son téléphone avant d'enlever ses chaussures et de s'affaler sur son lit. Guitare dans un coin de la petite pièce, photos et bouts de paroles et de partitions accrochées aux murs dans un chaos dont elle seule avait le secret, vêtements sales en boules dans un autre coin, Winnie avait un sens de l'esthétique très personnel. Après ses quelques minutes de tranquillité, pendant lesquelles elle se dira qu'il faudrait qu'elle appelle son père mais ne le fera pas, elle ira manger un bout dans la cuisine, sûrement une tranche de fromage avec du pain de mie, puis se changera, sûrement pour enfiler une robe courte et des converses bien que d'immenses talons lui permettraient d'enfin avoir une taille décente, et elle ira rejoindre ses potes pour une soirée mémorable dont elle en oubliera la moitié. Et demain ne saura pas bien différent d'aujourd'hui. Plus de clients, plus d'étiquettes à ajouter, plus de minutes de pause grappillées dans un rayon calme, plus de bulles de chewing-gum éclatées près du manager pour le provoquer, et plus de livres dépensées avec ses amis ou son frère Byron en alcool et autres divertissements.

Winnie ne vaut pas grand chose. Elle ne fera rien d'incroyable dans sa vie. Elle est plutôt banale comme fille. Mais ce qui est bien, c'est qu'elle en est consciente. Donc, dans vingt-cinq ans, quand elle fera la rétrospective de sa triste existence, elle ne fondra pas en larmes en réalisant à quel point elle est minuscule. Pourtant, avec un nom que l'on croirait sorti d'une série comique format vingt minutes et rires pré-enregistrés, on aurait pu s'attendre à plus. Eh bien, il faudra se contenter de ça.