"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici waiting for a light that never comes. ft Thomas - Page 2 2979874845 waiting for a light that never comes. ft Thomas - Page 2 1973890357


waiting for a light that never comes. ft Thomas

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() message posté Dim 30 Aoû 2015 - 17:54 par Invité
“ I don't 'suffer' from dyslexia. I live with it and work with it. I suffer from the ignorance of people who think they know what I can and cannot do. ”   Que savait-il vraiment de la dyslexie ?  Concrètement, quelles étaient les étendues de son savoir suprême sur ma maladie, mes difficultés,ma condition ou mes ruines ? Un trouble cognitif commun touchant une grande majorité de la population à travers le monde ? Des chiffres ? C'était des chiffres qu'il utilisait pour me jaugeait avec son air arrogant ? Je soupirai en crispant mes doigts autour de mes genoux. Je ne comprenais pas son détachement, alors je relevai mon visage assombri vers le plafond. Je mettais fin à cette conversation en m'égarant dans mes souvenirs. Un air renfrogné flottait sur mes traits crispés par la fatigue. Je laissai mon regard errer au hasard entre les arcs de l’amphithéâtre. Tout à coup, mon sang se glaça dans mes veines et je me raidis. J'avais vécu pendant des années dans un camp militaire. Il suffisait qu'une bataille se pointe à l'horizon pour que les soldats se transforment en bêtes. Ils redevenaient des ivrognes, des hommes sans honneur et sans foi. Ils progressaient tant bien que mal au cœur de l'arène. Et parfois, des croisés ivres décidaient de régler leurs comptes à coup de poings acérés sous les encouragements de ceux qui étaient moins embaumés par les vapeurs du vin. Bien évidemment, la querelle se concluait toujours par une blessure grave ou une intervention du général. L'idée de la mort brisait l'ordre de l'armée parce que l'instinct sauvage était plus fort que tout. J'avais toujours méprisé ces gens-là dont les versants obscurs s'exprimaient à l'approche du danger. Je pensais que le secret de la victoire résidait  entre les rangs courageux et bienveillants. Mais je m'étais trompé. J'avais moi-même sombré dans la violence en me penchant vers le monde. J'étais moi-même devenu une bête et  je désirais régler mes comptes avec ce professeur pompeux et désobligeant. Je voulais me rebeller contre son flegme et sa stature vaniteuse. Cependant, à chaque fois que je tendais mes muscles, je me rendais compte de ma dextre manquante. Mon poing n'était plus aussi massif qu'une enclume. Ma silhouette avait fondu, emportée par la disette et les tortures. Lentement, je croisai les bras sur ma poitrine. Je demeurai silencieux. Dans la lumière mourante, pouvait-il apercevoir la marque du métal sur ma peau ? Nos regards se croisèrent pendant un bref moment et mon expression trahi mon étonnement. Thomas portait une marque lui aussi. Je pâlis distinctement, un peu étourdi. Thomas était lui aussi un damné.

Lorsque je lui parlais, j'entendais cette mélodie aristocrate qui avait bercé mon enfance. J'étais né dans un milieu aisé, et ça se voyait. Mon père m'avait appris à converser d'une certaine manière. Il voulait que je vive du contraste entre la noblesse et le chaos parce que j'étais son unique héritier, et qu'il avait perdu une jambe au Vietnam. Ce n'était pas très cohérent, mais c'était ce que j'avais toujours pensé. «Je suis prof. Je ne me lasse jamais d’écouter, c’est mon boulot.  » Je roulai des yeux avant d'hausser les épaules. Il avait raté sa vocation, alors. Thomas ne semblait pas être le genre de personne à l'écoute.  Il n'accordait que très peu d'importance à ce que je disais. Je pressentais à quel point il pouvait être dangereux. Tout comme moi, il était violent  mais savait aussi être patient et planifier sa vengeance. Notre affrontement était inévitable. «Vous profanez le nom de famille en survivant à l’enfer de la guerre ? » Il se moquait de mon héritage. Je baissai les yeux ému, avant de grogner. Il ne pouvait pas comprendre. Toutes ces personnes que je connaissais étaient mortes. J'aurais pu mourir mais j'étais toujours là. Je les avais toutes trahi. C'était mon commando, ma responsabilité. J'étais en tête du raid lorsque l'attaque des talibans s'était produite. Ils en avaient après moi, parce que j'étais le sniper qui avait shooté tous ces enfants, tous ces civiles. Ma gorge se serra. Une entaille profonde s'enfonçait dans ma poitrine douloureuse. Je n'étais pas un héros de guerre. Je ne méritais pas toutes mes décorations et mes privilèges. Cette angoisse envahissait mon esprit lorsque mon avenir prenait forme. Je l'avais ressenti la première fois quand le ministre de la Défense des États-Unis d'Amérique m'avait gratifié d'un salut militaire. A cet instant, j'avais réalisé que je n'étais pas seul dans mon corps. Il y avait quelque chose en moi, une présence traumatisée, blessée et effrayée. Quelque chose qui ne voulait pas que je vive. C'était très étrange. J'avais conscience de mes responsabilités envers Olivia. J'étais vraiment persuadé qu'elle méritait que je lui rende hommage en respectant toutes nos anciennes promesses, mais ma peur n'était pas directement liée à mon mariage. C'était un syndrome terrifiant. Une sensation d’oppression constante dont je n'arrivais pas à parler avec elle. On appelait ça le complexe du super héros, mais je n'étais pas un héros. Je n'étais qu'un survivant. La mort rodait toujours autour de moi. Elle menaçait de m'engloutir tout entier parce que je lui avais échappé. «J’imagine que chaque homme a sa propre définition du mot héros. Quelle est la vôtre ?  » Je le regardais en silence. Ma notion était-elle différente au point d'être risible ? Je vivais l’héroïsme comme une maladie. C'était une peur superstitieuse qui me rongeait de l’intérieur, mais que je ne pouvais pas couper ou rejeter sans me blesser. Je fronçai les sourcils. « Quelle est la vôtre ? » Déclarai-je en insistant sur les mots. Je m'étais assez dévoilé. C'était à son tour, maintenant. Donnant-donnant.  « Vous avez l'air de savoir beaucoup de choses sur le monde à un si jeune âge, monsieur. » J'inclinai la tête pour lui indiquer que je relevais le défi. Que je pouvais le rejoindre dans ses jeux mystérieux. Puis je souris d'un air carnassier. Je lui montrai l'éclat terne de mes dents fragiles et jaunies par le temps. Tu vois, mes défauts physiques ne sont rien en comparaison avec mes troubles internes. Je suis presque mort. Mon corps est un cadavre qui ne se fout pas de l'endroit où il sera enterré.

Je le détestais. A cet instant, les yeux rivés sur les pages de son livre à la con. Je le détestais. Je n'étais pas un homme grossier malgré mon entourage diversifié. J'avais partagé ma tente avec des hommes du peuple, des hommes venus des quatre coins de l'Amérique, des hommes sans éducation parfois. Et pourtant, je n'étais presque jamais grossier. Thomas éveillait en moi une envie fulgurante de crier et de jurer. J'abandonnais mes conventions et mon respect de la hiérarchie. La seule valeur à la quelle je tenais encore. «Je vous laisse le paquet si vous voulez. J’en ai assez pour trois ou quatre âmes en peine rien que dans mon sac.  » J’acquiesçai de la tête. Une âme en peine. Voilà qu'il m'avait déjà posé une étiquette. Peu importait. Je soufflai dans l'air, traversant la distance qui nous séparait l'un de l'autre. «Oubliez le livre, nous y reviendrons plus tard.  » Déclara-t-il en chassant les cendres qui se consumaient au bout de sa cigarette. Il gardait toujours la même désinvolture, ce même attrait pour les ténèbres qui nous était commun malgré nos contradictions. Lui profession de littérature. Moi, presque analphabète. «J’aimerais savoir ce qui ne vous paraît pas dérisoire, Isaac. Vous faites des efforts, je n’ai pas besoin de vous connaître pour le comprendre. Mais vous lâchez prise à la seconde même où vous réussissez à vous accrocher, comme si tout ça n’était pas fait pour vous. Vous n’êtes plus dans un cachot sombre et le putain de soleil existe. Ici et maintenant.  » Ses yeux acides me fixaient avec froideur. Je mis du temps à assimiler le sens de ses paroles. Je mis du temps à réaliser la portée de sa déclaration. Mon cachot. Le soleil. Ici. Je ne bougeai pas lorsqu'il désigna la fenêtre, ignorant son geste sec et adroit. Je préférais le darder de mon regard acéré. Je voulais le poignarder en clignant des yeux, pour que sa mort soit aussi lente et douloureuse que mon existence. « Vous pouvez le voir. Vous pouvez l’admirer. Alors peut-être que vous ne savez pas lire, puisque vous vous bornez à le croire, mais vous savez respirer, vous savez fumer et vous savez sourire au premier type qui croise votre chemin. N’essayez pas de le nier, vous venez de me prouver ces trois vérités rien qu’en vous tenant devant moi depuis vingt minutes.   » Trois hommes armés s'élançaient vers nous. Des professionnels. Stevens s'accroupit d'un geste leste et glissa derrière les dunes de sables. Il tendit ses lunettes binoculaires afin de localiser les talibans. Je restai immobile, les doigts tremblants contre la détente de mon fusil de précision. La tempête était trop forte. Je suffoquais sous mon uniforme, alors j'enroulai mon écharpe autour de mon visage. Mon coéquipier ne parlait pas. Il était trop concentré. Il se passa plusieurs minutes avant qu'il ne m'indique la position de l'ennemi. Sans plus attendre je tirai vers les cibles mouvantes. Le premier tomba sur les genoux. Puis le second roula sur-lui même. J'enfonçais mes coudes dans le sable brûlant. Je sentais l'agitation tout autour de moi. Je comprenais leurs menaces en arabe, leurs invocations religieuses et leurs acclamations indignées. « Et si je vous vexe, si mes manies vous agacent et que mes mots vous font si peu d’effet, dites-moi ce que vous voudriez entendre, histoire que j’écrive un beau discours la prochaine fois, le déclarant solennellement du haut de mon perchoir, là où je ne vous dérange pas trop, là où je vous donnerai l’illusion que ce cours sert à quelque chose alors que vous ne ferez que vous enfoncer dans votre propre médiocrité. Car aujourd’hui, cette médiocrité est l’illusion, mais demain elle deviendra votre réalité et vous n’aurez plus qu’à vous tirer une balle dans la tête pour vous en débarrasser.  » Je ne l'entendais qu'à moitié. Sa voix se mélangeait aux souvenirs. Je me redressai plein de sueur. L'illusion et la réalité. Je baignais en plein dedans. Stevens me sourit en se relevant. Nous étions à l'abri. J'ôtai mon casque en lui tendant le bras. Il s'approcha en titubant. Le sang sortait par jets puissants de son cou et mouillait mon veston. Je sentais vaguement la chaleur du liquide sur ma peau. Puis je me retournai, et Thomas traversa ma vision. Lequel des deux était-il réellement là ? Je laissai tomber mon mégot sur le sol. Mes mains frémissaient au contact des objets qui m'entouraient ; la table, le siège, mes cuisses. Je reculai puis je posai mon doigt sur la plaie de mon ami. Je devais stopper l'hémorragie. Je devais stopper l'hémorragie, mais elle n'était pas là. Je me leva en sursautant. Mes yeux parcourraient les murs de la salle, puis soudain, les reliefs du désert afghan se dessinèrent devant moi. Je secouai la tête avant de pousser un cri qui semblait s'échapper du fond de mes entrailles. « ALAN EST MORT. »  Je tournais en rond. Il se fichait de mon vécu mais Alan n'était qu'un seul nom parmi un million d'autres. Ce n'était que le premier homme que je n'avais pas su sauver. Je fronçai les sourcils avant de plaquer mes mains sur les épaules de Thomas. Il y avait une profonde tristesse au fond de mes yeux, une détresse courroucée par une colère sourde et imprévisible. « J'ai été sniper pendant des années. J'ai perdu le compte des vies que j'éteignais comme des putain de chandelles. La-bas les choses se déroulent très simplement : tu tires ou quelqu'un d'autre le fera. Ce n'est pas vous qui allez m'impressionner avec … des livres. Je méprise les intellectuels, ceux qui se cachent derrière des bureaux et qui envoient les vrais Hommes se faire tuer au front. Vous êtes comme eux avec votre livre et votre soleil à la con qui existe. La guerre est finie ? C'est ce que vous croyez ici ? La guerre ne sera jamais fini. J'ai l'air malade. Je suis instable et il y a fort à parier que je finirais mes jours dans un asile psychiatrique. On s'y verra très probablement à mon avis... » Déclarai-je en souriant. Eh oui, j'en étais vraiment capable. «  … J'ai perdu l'usage de ce qui était bon ou mauvais. Mais j'ai fais ce qui devait être fait. Au nom de la nation qui m'a abandonnée. J'assassine et je massacre dans le but de trouver un quelconque salut. Je vous respecte pour la forme, monsieur knickerbadcher, mais vous ne parlerez plus jamais de mon cachot. Vous ne pouvez pas prononcer ce mot. Je vous l'interdis. » Je pressai violemment mes paumes contre ses omoplates. « Voilà votre discours. » Sifflai-je en le lâchant. D'un geste agressif, je lançai son livre contre le tableau. Je le rejetais. Je les rejetais tous.  
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() message posté Ven 18 Sep 2015 - 19:23 par Invité
« Quelle est la vôtre ? » répéta-t-il d’un ton suffisant qui m’exaspéra immédiatement. Me posait-il la question en retour ou insistait-il sur mon manque de profondeur, de tact ? Je l’ignorais. Je finissais par passer outre, rien ne lui conviendrait, de toute évidence. Je n’étais pas vraiment le problème. On lui aurait mis un autre professeur, il aurait agi de cette même manière paranoïaque consistant à croire qu’on se moquait de lui. Ce n’était pas vraiment de sa faute non plus. Ce n’était de la faute de personne. D’où l’atmosphère pesante qui planait autour de nous : on cherchait des coupables invisibles et ils tenaient des poignards aiguisés sur nos gorges sans que l’on puisse se défendre. Je toisai Isaac sans répondre. Je préférai qu’il lâche ses quelques mots pleins de dédain avant de lui rétorquer les miens. Il était déjà assez détruit comme ça pour que je le frustre d’avantage en coupant le fil de sa pensée. Il reprit finalement : « Vous avez l’air de savoir beaucoup de choses sur le monde à un si jeune âge, monsieur. » Je serrai les dents et lui accordai un regard noir. Il n’avait pas perdu son insolence au fond de son cachot. Il restait mon élève, il ne devait pas l’oublier. « Ne me renvoyez pas mes propres questions. Et cessez de penser que je me moque de vous à chaque fois que j’ouvre la bouche. » Mon ton était sans appel, froid et sec. Il venait de perdre une occasion de pouvoir parler plus librement, plus simplement. Un jour il se rendrait compte à quel point ces occasions étaient rares. Peut-être arrêterait-il alors de les gâcher. Je n’étais pas là pour répondre à ses questions. Je n’étais ni son psy, ni son médecin. J’étais à peine son prof, puisqu’apparemment nous nous acharnions à occulter le fait d’être liés d’une quelconque manière. La définition du mot héros. Je soupirai et secouai la tête. C’est si compliqué, merde ? De ne pas en faire tout un plat ? Il m’exaspérait. Je n’étais pas un homme plein de bonne volonté mais dès que j’en faisais preuve, je considérais – à tort, peut-être – que l’on devait le remarquer et l’apprécier. Je détestais faire des efforts pour rien. Lui semblait détester faire des efforts tout court.

Il eut une absence mais m’écoutait toujours. Ses yeux étaient rivés vers moi, cependant je savais que quelque chose clochait. Qu’il ne me voyait pas. Ma voix mourut sur un accord qui nous fit crisser des dents. Je crus entendre les nuages glisser dans le ciel et son silence parut durer une éternité. Puis il se redressa brusquement et poussa un cri soudain : « ALAN EST MORT. » Net et déterminé, comme arraché d’un rêve. Lui-même semblait troublé par sa propre réaction. Je manquai de sursauter et fronçai les sourcils, perplexe. Il se leva, se précipita vers moi et m’attrapa par les épaules. Je me crispai. Je n’avais jamais aimé les contacts physiques. Je voulus me dégager mais je ne fis que me pencher en arrière, sans succès. J’étais prisonnier de ma chaise. « J’ai été sniper pendant des années. J’ai perdu le compte des vies que j’éteignais comme des putain de chandelles. Là-bas les choses se déroulent très simplement : tu tires ou quelqu’un d’autre le fera. Ce n’est pas vous qui allez m’impressionner avec … des livres. Je méprise les intellectuels, ceux qui se cachent derrière des bureaux et qui envoient les vrais Hommes se faire tuer au front. Vous êtes comme eux avec votre livre et votre soleil à la con qui existe. La guerre est finie ? C’est ce que vous croyez ici ? La guerre ne sera jamais finie. J’ai l’air malade. Je suis instable et il y a fort à parier que je finirai mes jours dans un asile psychiatrique. On s’y verra très probablement à mon avis … » Je restai impassible mais les muscles qui me restaient bouillonnaient de rage tandis qu’il vomissait ce tissu d’inepties. Eh, Isaac … Je me concentrai pour le laisser finir, à nouveau. … c’est pas parce que t’as été mort pendant cinq ans que t’es obligé d’être con à ton réveil. Mais ses muscles le démangeaient aussi. Je me demandai lequel de nous deux gagnerait le combat si l’on en venait aux mains. Nous étions tous deux des sacs d’os où nos barbes avaient accepté de pousser pour que l’on différencie le visage du reste du corps. Les chiens gagneraient, suçant la moelle de nos colonnes vertébrales respectives une fois que nous serions disloqués sur le sol. Il ponctua ses mots d’un mince sourire, sans doute amusé de nous imaginer devenir fous à deux dans le hall d’un asile, habillés de nos tenues blanches et puant l’odeur des médicaments. C’était probablement notre seule chance d’être d’accord un jour. Nous mangerions notre déjeuner sans décrocher le moindre mot, chacun tenant à notre réputation idiote. J’avais déjà un profil type pour l’asile : j’étais celui qui restait dans son coin, un air prétentieux sur le visage, qui paraissait sain d’esprit lorsqu’on lui parlait, à tel point que l’on se demandait pourquoi il avait été placé ici. Mais au fond, on ne connaissait rien de lui. Et Isaac … Isaac serait la masse frissonnante, celui qui ressemblait à un dur à cuire mais qui tremblait au moindre bruit, agité par des phobies qui n’avaient même pas encore de nom à ce jour. « … J’ai perdu l’usage de ce qui était bon ou mauvais. Mais j’ai fait ce qui devait être fait. Au nom de la nation qui m’a abandonné. J’assassine et je massacre dans le but de trouver un quelconque salut. Je vous respecte pour la forme, monsieur Knickerbadger, mais vous ne parlerez plus jamais de mon cachot. Vous ne pouvez pas prononcer ce mot. Je vous l’interdis. » Il resserra sa prise autour de mes épaules et mes dents grincèrent. Lâche-moi immédiatement, pauvre con. Il prit la peine de conclure d’abord : « Voilà votre discours. » Puis, enfin, il me libéra et j’inspirai lentement l’air ambiant pour garder mon calme, portant nerveusement à mes lèvres le reste de ma cigarette. Il balança mon Faust contre le tableau et celui-ci émit un bruit sourd en retombant sur le sol. Voilà. Il semblait avoir fini. Il semblait surtout au bout de son existence. Je fis rouler mes épaules sous ma peau pour chasser la douleur. Cet idiot me les avait presque déboitées. J’étais fragile, tout de même.

Je me levai en époussetant ma chemise, sans le regarder. Je gardai mes lèvres pincées, recrachant une dernière fois la fumée de ma cigarette avant de jeter mon mégot dans l’allée, l’écrasant au passage. Je me dirigeai vers l’estrade, grimpai dessus et me saisis de mon livre avec le plus grand calme. Presque de la nonchalance. J’inspectai les pages : certaines avaient été pliées suite au choc, mais ce n’était pas très grave. Un livre abîmé évoquait un livre lu. Isaac pourrait dire qu’il l’avait lu. En quelque sorte. Je me mordis la lèvre avant de grimper de nouveau jusqu’à nos places. Je m’assis, plaçant soigneusement l’objet de la discorde dans mon sac avant de m’accouder à la table de nouveau, croisant les doigts et le fixant longuement. J’hésitai à répondre. J’hésitai à empoigner la anse en cuir de mon cartable et à m’en aller sans un mot. Mais ma bonne volonté naissante me força à rester. Même si je savais qu’il le prendrait mal. Qu’il se méprendrait à nouveau sur mes intentions. Qu’il penserait que je l’attaquais parce que je le détestais. Parce que tout le monde le détestait. Il aurait voulu être vraiment mort. C’était typique, et plus facile pour tout le monde. Mais la vie faisait sa salope. Allez croire aux signes du destin, je reste dans mes idées pessimistes. Je m’humectai les lèvres, ouvris la bouche, laissai échapper un soupir, puis parlai d’un ton sombre et rauque : « Donc si je comprends bien … » Je ne cherchais pas à le blesser. Je voulais qu’il se rende compte de l’absurdité de ses paroles. « … pour vous, les vrais hommes sont les soldats qui partent mourir à la guerre ? » Je haussai les sourcils. « Vous soutenez la société patriarcale et les films de propagande aussi ? » Je secouai la tête. Je ne riais pas. J’étais d’ailleurs étonnamment sérieux. Aussi froid qu’un hiver russe. « Vous me traitez d’intellectuel lâche. Je vous réponds que je n’ai pas envie d’aller me battre pour des causes que je ne soutiens pas, à savoir d’anciennes prises de position militaires du gouvernement américain. Les pacifistes ont-ils une quelconque importance à vos yeux ou ne méritent-ils que votre dédain de guerrier ? » Il prétendait me respecter pour la forme : il ne m’avait montré que son mépris, ses mauvaises manières et ses automatismes militaires depuis le début du cours. Certes, je n’avais pas été très courtois moi-même, mais j’étais toujours tendu en présence de soldat. J’avais voulu faire abstraction. Il ne m’avait pas suivi. « Je n’ai jamais dit que la guerre était finie. Vous entendez simplement ce que vous voulez entendre, mais un dialogue ne fonctionne pas ainsi. » J’attrapai mon paquet de cigarettes et en pris une sans lui en proposer. Il pouvait aller pleurer plus loin. « Et depuis que vous êtes devant moi, vous ne vous êtes acharné qu’à me rappeler tout ce que vous avez vécu. Je n’en parle pas avec plaisir, croyez-moi, mais vous semblez estimer que l’on vous doit quelque chose à cause de votre condition. Que l’on doit se plier à vos désirs et à vos caprices. En ce qui me concerne, je ne me suis pas déplacé jusqu’ici pour ça. Je suis venu vous aider. Vous rejetez mon aide en me faisant passer pour le responsable. » J’allumai ma cigarette sans le quitter des yeux. « C’est un cours de littérature. Vous agissez comme un enfant. Et encore, même mes élèves les plus puérils n’ont jamais jeté de livre contre le mur. » Je détestais cette aptitude qu’avaient les gens meurtris de continuer à s’imposer en victime. Le monde ne te tourne plus le dos, Isaac. Je me décidai finalement à conclure : « Maintenant, vous pouvez à nouveau penser que je suis un sale con prétentieux qui n’est là que pour se foutre de votre gueule, et dans ce cas vous savez où se trouve la sortie. Ou, à l’inverse, vous pouvez vous ressaisir, vous calmer et vous accrocher. J’ai eu des dizaines d’élèves dyslexiques Isaac. Je sais faire la différence entre le handicap et la mauvaise volonté. » Je ne lui demandai pas de réussir à lire du Goethe à la perfection en une séance. J’étais de ces profs un peu sévères mais qui savaient reconnaître le progrès. Une phrase. Une malheureuse phrase et il se coucherait avec un étrange sentiment de bien-être ce soir, il avait ma parole.
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() message posté Mer 21 Oct 2015 - 16:13 par Invité
“ I don't 'suffer' from dyslexia. I live with it and work with it. I suffer from the ignorance of people who think they know what I can and cannot do. ”   « Ne me renvoyez pas mes propres questions. Et cessez de penser que je me moque de vous à chaque fois que j’ouvre la bouche.  » Putain de merde ! Je savais que mes réflexions étaient complètement biaisées, mais j'étais incapable de refaire le grand saut vers la réalité. J'étais mort. Ils s'étaient tous évertués à me voir comme tel, à me considérer comme tel. Alors dès que Thomas prononçait ses derniers mots, un voile sombre tombait sur mes paupières. Comme si ses raisons n'avaient plus aucun effet sur moi. Comme si la bataille était déjà perdue. Je ne voulais pas devenir cet homme là. Je ne voulais pas dévoiler les crocs acérés de l'animal enragé. Mais malgré la gravité effrayante avec laquelle je me tenais devant lui, malgré le combat interne qui sévissait dans ma conscience, je me détournais de lui avec abattement. La noirceur de ses boucles et l'éclat tranchant de son discours, représentaient un source de lumière pâle et blafarde. Quelque soit le contexte de sa déchéance, la mienne ne touchait jamais à la fin. Je soupirai en enfonçant mes poings dans mon crâne. Je tuerais un jour? Mon père s'était mis à rire en découpant un morceau de volaille sur son assiette. Il avait immédiatement acquiescé en relevant le visage vers moi. La mort était une évidence dans le parcours du soldat, mais il préférait rester silencieux. Il ne fallait pas parler de ce genre de choses à table. J'avais entendu le crissement de ses ustensiles sans me rebeller contre sa volonté. Mes questions résonnaient comme des accusations dans ma tête. Pourquoi cet héritage ? Pourquoi cette obsession pour le devoir et les responsabilités de la communauté ? Devais-je partir jusqu'au bout du monde pour perpétuer ma destinée ? Et Olivia ? Je lui avais confié mes sentiments. Je lui avais promis une famille et une maison en banlieue. Pourquoi ne me répondait-il pas ?  A l'époque de ma première assignation en 2005, il me paraissait de plus en plus improbable que le regard du grand général Von Ziegler, puisse être d'une fixité si pesante et si atroce. Mais il l'avait été. Mon père était imprévisible. Il mangeait, considérant avec sérieux la cuisse juteuse de la dinde et la salade de tomates. Il buvait sa liqueur avec grâce, s'imprégnant des réjouissances de la nourriture, oubliant les sujets graves de nos discussions. De mon départ en Afghanistan. Mais dès que les plats étaient changés, un nouveau chapitre s'ouvrait. Il me regardait pendant une fraction de secondes. Il me jaugeait de son regard impénétrable, profond et toujours fixe. Puis il se concentrait sur son désert et son verre d'alcool. Bientôt, il se lèvera en s'appuyant sur sa jambe robotique. Il lèvera le bras et me fera signe de le suivre dans son antre secret. Là ou il faisait bon de fumer un cigare et de parler des grandes monarchies du passé. Il suivait le même cheminement depuis des années. Il m'avait toujours traité avec sévérité, sans accorder le moindre crédit à mes émotions. Probablement, parce que les valeurs du cœurs m'avaient rendu faible et douillet. Je tuerais la-bas ? Il s'était tourné vers moi et avait sourit. Peu importe, Isaac. Ne te fais pas tuer. Je crispai la mâchoire. Ne pas me faire tuer. Je n'étais même pas sûr d'avoir réussi à respecter cette requête. Mes mains tremblaient au contact de mes tempes brûlantes. L'ambiance était tout à coup, devenue oppressante.  

La silhouette de Thomas s'éloignait dans l'allée. Elle était impériale et arrogante entre les grandes marches de l’amphi-théâtre. Il se dirigea vers l'estrade afin de récupérer son livre – celui que j'avais jeté dans un excès de colère injustifié et pourtant si libérateur. Je l'observais, l'expression teintée de regrets ; la preuve que je pouvais toujours revenir à moi-même mais que je n'en avais pas le courage. Il inspecta les pages abîmés avant de reprendre son siège. «Donc si je comprends bien … pour vous, les vrais hommes sont les soldats qui partent mourir à la guerre ? Vous soutenez la société patriarcale et les films de propagande aussi ? »  Je me figeai. Une expression claire et froide de tristesse flottait dans mon regard. S'il comprenait aussi bien ; il aurait déjà réalisé qu'il n'y avait rien à comprendre. J'avais accepté d'endurer toutes les souffrances physiques, pensait-il que les mots étaient des armes plus tranchantes que l'acier ?   « Vous me traitez d’intellectuel lâche. Je vous réponds que je n’ai pas envie d’aller me battre pour des causes que je ne soutiens pas, à savoir d’anciennes prises de position militaires du gouvernement américain. Les pacifistes ont-ils une quelconque importance à vos yeux ou ne méritent-ils que votre dédain de guerrier ? » Je demeurai étonnement calme. Je n'étais pas un pacifiste. Mais je n'étais pas un guerrier non plus. Je n'avais gardé que le mélange gluant d'apathie et de mépris de ces deux conditions. L'armée américaine m'avait congédiée. J'étais un rejeté des extrêmes, un fantôme perdu entre deux mondes. J'étais macho de nature. On m'avait éduqué de cette manière. Ma femme était mon égale, mais ma femme devait plier lorsque j'en formulais la requête. Il était le seul à alimenter la propagande. Je ne savais même pas ce que ce mot voulait vraiment dire. J'étais une victime de ses effets. On m'avait endoctriné à penser, à agir et à vivre. Je déglutis sans l'interrompre. Parce qu'il m'avait laissé parlé et que j'étais assez lucide pour lui accorder le même privilège. « Je n’ai jamais dit que la guerre était finie. Vous entendez simplement ce que vous voulez entendre, mais un dialogue ne fonctionne pas ainsi. » Ma gorge se serra. Je n'en avais rien à foutre de son dialogue ou de ses règles. Ou étaient tous ces principes lorsque j'étais enchaîné au pied du lit, affamé, blessé et humilié ? Ou se trouvaient ces paroles condescendantes lorsque la douleur étaient tellement déchirante, qu'il m'était impossible d'émettre le moindre son ? Je refusais son absolution. Je rejetais l'illusion de la trêve, du bonheur, du courage et de la liberté. J'étais toujours captif. On avait simplement élargi les étaux de ma prison. Il attrapa son paquet de cigarettes d'un geste agile qu'il m'aurait été impossible d'esquisser. Je me sentais fatigué. Ma vision était troublée. Je pouvais entendre les ronflements des moteurs et les balles de plomb pétaradaient entre les dunes de sable. Sa fumée n'existaient pas réellement. Je m'étais jeté sur le tabac avec engouement, mais ses bienfaits étaient de courte durée. « Et depuis que vous êtes devant moi, vous ne vous êtes acharné qu’à me rappeler tout ce que vous avez vécu. Je n’en parle pas avec plaisir, croyez-moi, mais vous semblez estimer que l’on vous doit quelque chose à cause de votre condition. Que l’on doit se plier à vos désirs et à vos caprices. En ce qui me concerne, je ne me suis pas déplacé jusqu’ici pour ça. Je suis venu vous aider. Vous rejetez mon aide en me faisant passer pour le responsable.  » Je hochai la tête. Oui, tout à fait. Je rejetais son aide. Je rejetais toutes les aides, parce qu'il était trop tard pour m'imposer la lumière éclatante du soleil et de ses astres enflammés. Je serrai les poings et soulevai légèrement les épaules. Je penchai le visage au-dessus de la table et remarquai l'inscription gravée sur le bois. « C’est un cours de littérature. Vous agissez comme un enfant. Et encore, même mes élèves les plus puérils n’ont jamais jeté de livre contre le mur.  » Je plissai les yeux en essayant de déchiffrer les lettres flottantes. Je l'entendais à moitié, complètement subjugué par les caractères rougeoyants qui se dessinaient sous mes yeux. «  Maintenant, vous pouvez à nouveau penser que je suis un sale con prétentieux qui n’est là que pour se foutre de votre gueule, et dans ce cas vous savez où se trouve la sortie. Ou, à l’inverse, vous pouvez vous ressaisir, vous calmer et vous accrocher. J’ai eu des dizaines d’élèves dyslexiques Isaac. Je sais faire la différence entre le handicap et la mauvaise volonté.  » Je me tournai vers lui avec lenteur. La sortie ? Je ne parvenais même pas à y croire, car même en quittant son cours, je garderais mes hantises et mes incertitudes. Je croisai les bras. « Je suis handicapé et je n'ai aucune volonté. » Articulai-je en me mordant les lèvres. Tout se mélangeait dans mon esprit. Les souvenirs. La lutte. Cet instant. Je tendis le bras afin de désigner la table. « Assez fort. Janvier 2011. » Voilà ce qu'il était écrit. Une devise et une date. « Je ne suis pas prêt pour ces conneries, monsieur. » Je me relevai en effectuant un salut militaire. Mon visage était paralysé par l'effroi. Au fond, peut-être que j'appréciais sa sincérité. Peut-être même que j'appréciais toute l'horreur et l'arrogance de son personnage. Je lui tournai le dos en me dirigeant vers la porte, avant de m'arrêter à mi-chemin du couloir. « J'étais un bon soldat. Et un homme bienveillant. J'ai mis la barre trop haut. Je ne redeviendrais jamais cette personne là. » Connaissez-vous ce sentiment de constante médiocrité, Tom ? Je souris au coin avant de partir.
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