« Just remember if you look in the face of evil, evil's gonna look right back at you. »

« Je n'ai pas vraiment usage à raconter mon histoire. En réalité, personne ne la connaît. Profitez, parce que je ne la répéterais pas deux fois. J'ai toujours été quelqu'un de très réservé et solitaire. Je pense que cette histoire va vous faire comprendre pourquoi. Peut-être qu'en la connaissant, vous vous attendrirez pour moi. Le truc c'est que... comme personne ne l'a jamais entendu... Enfin vous voyez le topo ! C'est parti pour un petit récit...

J'avais 13 ans quand tout a commencé. Je menais une vie de petit garçon normal. Deux parents dans la moyenne normaux, une situation financière dans la moyenne, je faisais du sport, j'avais des copains... Tout allait très bien jusqu'à l'annonce du médecin. Ma mère était malade. Cancer. C'est là que tout a basculé. Je changeais totalement d'identité. Je n'étais plus le petit Kenneth sage et sportif. Le petit Kenneth qui allait faire un rugby tous les samedis avec ses copains. Le Kenneth qui faisait du vélo en rentrant de l'école. Tout ça, c'était fini. Mon enfance était partie avec la vitalité de maman. Je passais mes soirées à m'occuper d'elle. Je bâclais mes devoirs pour aller vers elle. J'abandonnais mes copains. Je ne parlais plus à personne à l'école. Mes maîtresses voulaient m'aider, en vain. J'allais à tous les rendez-vous chez le médecin, à l'hôpital, chez le cancérologue, aux chimios, tout. J'étais toujours là.

Le pire dans cette histoire, c'est que quelqu'un d'autre n'a pas été là. Je suis persuadé que son absence l'a tué. Mon père. Il n'a jamais été là. Il l'a abandonné, lâchement. Il n'a pas eu la force, alors que moi, son fils même pas adolescent a pris les devants. J'étais le seul qui fut là pour elle jusqu'à sa mort. Je ne pense pas qu'on puisse pardonner ça un jour. Je ne lui pardonnerais jamais. Je n'ai pas de père. C'est comme ça. Je ne sais pas où il est, s'il va bien, et peu m'importe. Il n'a pas été là. Ce n'est pas là qui l'a emmené voir l'Amérique du Sud quand elle le pouvait encore. Ce n'est pas lui qui lui a tenu la main quand elle est partie.

J'avais 21 ans quand elle a abandonné le combat. Elle a attendu que je puisse m'en sortir. Puis elle est parti, me disant qu'elle savait que ça irait. J'avais passé mon concours pour l'armée, et je venais de lui apprendre que je l'avais eue. Elle était fière de moi et pouvait partir en paix. Enfin, c'était son avis. J'ai perdu la femme de ma vie. La raison de mon combat. La raison de ma force intérieure et extérieure. La raison de mon caractère, de ma solitude, de mon renfermement, de mon mal affectif, de mon côté protecteur. C'est grâce à elle que je suis l'homme que je suis.

Je suis un militaire. Je suis même major. On compte sur moi. Je vis à Londres, dans l'appartement que j'avais acheté pour elle et moi. J'ai un chiot, un husky. Je me rends souvent à l'international avec l'armée. Je suis président d'une association qui combat le cancer. J'ai tatoué sur mon bras gauche une aile assez discrète. Celle que ma mère m'a greffé, comme un espoir, sa présence matérielle. J'ai très peu d'amis, et pas de famille. Voilà, c'était mon histoire. »