•• elle voulait vivre en honnête femme, parce que l'honnêteté est la moitié du bonheur ••

« Joyeux anniversaire, Ash. » pensa-t-elle alors que ses amis venaient de déposer un énorme gâteau garni de trente bougies juste sous son nez. Il était sans doute à la vanille, son parfum préféré pour tout ce qui est dessert. Vanille, c’était aussi le prénom de sa chienne lorsqu’elle était enfant. L’enfance, bon sang! Ça remontait à loin maintenant. Trente bougies sur le gâteau et autant d’années à faire tout et n’importe quoi sur cette fichue planète. Elle était née loin d’ici, à Portland dans l’Oregon. Pourtant, à la voir avec toute sa petite bande dans ce bar purement british, il était difficile de la prendre pour autre chose qu’une londonienne pure souche. Du moins, jusqu’à ce qu’elle ouvre la bouche et que son accent bien américain ne se fasse entendre et ne laisse aucun doute quant à sa provenance. Elle était américaine, née d’une mère aux origines brésiliennes et d’un père allemand, on l’avait élevé dans un bain multiculturel qu’elle revendiquait encore et toujours à présent. On lui avait octroyé un prénom de mec, Ashton, souvent réduit en « Ash ». Elle avait eu une enfance heureuse. Elle n’avait jamais manqué de rien, ses parents lui avait donné tout l’amour du monde, et elle avait toujours entretenu d’excellentes relations avec ses deux grands frère et sa petite soeur. Ç’avait été de belles années passées à se chamailler, à décapiter les barbies de la benjamine de la fratrie (parce que ce n’était certainement pas elle qui jouait avec ces merdes-là), à faire tourner leurs parents en bourriques, mais surtout à se défendre les uns et les autres et à s’aimer profondément coûte que coûte. Des histoires, elle en avait des dizaines et des dizaines en stock. Certaines drôles, certaines émouvantes, certaines nulles à chier… Elle avait surtout une mémoire pleine de souvenirs auxquels elle se raccrochait quand les choses n’allaient pas très bien dans sa vie et qu’elle avait besoin de se rappeler que quelque part dans le monde, sa famille était là et qu’ils l’aimaient toujours malgré la distance et le temps écoulé depuis les dernières embrassades. Jack, l’aîné, vivait désormais à Sydney. Il avait deux enfants dont Ashton était folle. Elle regrettait d’ailleurs de ne pas voir son neveu et sa nièce grandir jour après jour, mais Dieu merci pour skype! Spencer, le second, habitait lui aussi en Angleterre, mais pas à Londres ce qui rendait les visites assez rares. Il n’avait pas d’enfant, mais il était marié depuis trois ans. Et Presley, la petite dernière, était fraichement diplômée. Elle vivait à Washington et semblait avoir l’ambition d’une future présidente des Etats-Unis. Il n’y avait rien au monde qui rendait Ashton plus fière que sa famille. Ses parents quant à eux vivaient toujours dans l’Oregon, où tout le monde essayait de leur rendre visite au moins une fois par an pour les fêtes de fin d’année. « Ash’! Allez, fais un voeu! » Ah, oui! Son anniversaire. Elle fixa les bougies quelques secondes, fit mine de réfléchir, et finit par prendre une grande inspiration avant de souffler et de tout éteindre d’un seul coup. Les applaudissements résonnèrent aussitôt dans le bar peuplé de ses plus proches amis. Elle n’avait fait aucun voeu en réalité. Il n’y croyait pas à ces conneries. En plus, elle n’était pas d’humeur à l’optimisme, ni à l’espoir. Fêter ses trente ans ce n’était déjà pas très joyeux en soi, c’est-à-dire que ça fout un sacré coup au moral. Trente ans. C’est tellement vieux! Adieu la vingtaine et les années folles et insouciantes! Ça lui donnait envie de pleurer. Mais ajoutez à cela une rupture difficile et vous obtenez le combo parfait pour une petite dépression en bonne et due forme. Ashton aurait préféré mille fois être au fond de son lit à présent, dans le noir de préférence, avec sa playlist la plus dégoulinante de sentiments possible. Oh et peut-être bien avec un pot de glace aussi. Quitte à être un cliché ambulant, autant l’être jusqu’au bout. De la Ben & Jerry’s cookie dough, rien d’autre. Elle avait bien le droit de pleurer sur sa relation après tout. C’était deux ans d’investissement sentimental qui partaient en fumée. Elle qui pensait en avoir fini avec les peines de coeur… Elle sentit une main se poser sur sa hanche, puis une autre et on l’attira par derrière pour lui donner un câlin affectueux. Elle dû se tordre le cou pour deviner les boucles blondes de Sarah, une ex devenue une super amie.  « Joyeux anniversaire, Ashtchoum ». C’était le surnom débile qu’elle lui avait donné, il y a des années de cela. Elle lui colla un baiser sur la joue, la serra dans ses bras avec la même force qu’à l’époque où elles étaient encore un couple et la relâcha finalement. « Où est Penny? Je ne l’ai pas encore vu ce soir. Ne me dis pas qu’elle bosse encore sur son projet! C’est ton anniversaire, merde! » Ashton baissa les yeux. Penny, c’était justement la fille qui était responsable pour son coeur brisé. Elles avaient cassé officiellement la semaine dernière et Ash’ n’avait eu la force de le dire à personne. Elle pensait que Penny s’en chargerait de toute façon, elles n’avaient presque que des amis en commun. Toutes les deux, elles s’étaient rencontré pendant un vernissage, deux ans auparavant. Dès les premiers instants, elles s’étaient entendues à merveille. Différentes et pourtant similaires, elles s’étaient aimées profondément, mais leur relation n’avait jamais été des plus paisibles. Les filles s’engueulaient souvent, criaient fort, cassaient des assiettes et des vases, n’importe quoi qui leur passait sous la main pour être honnête. Elles avaient eu une relation passionnelle, avaient fait les cent coups ensemble, avaient vécu des dizaines d’aventures plus folles les unes que les autres, main dans la main, mais malgré tout, il fallait croire que cette fois-ci avait été la dispute de trop. Au fond, ça faisait des mois que ça n’allait plus, mais quand Penny était rentré à la maison en pleurant, annonçant qu’elle avait quelque chose à dire, Ashton avait senti son estomac descendre à ses pieds. L’autre n’avait même pas eu besoin de prononcer beaucoup de mots pour qu’Ash’ comprenne que c’était fini. Depuis, elle avait l’impression de se trimballer partout avec la poitrine grande ouverte, du sang dégoulinant de partout et un vaste trou à la place du coeur. Quand elle entendait le mot « amour », elle avait envie de gerber. Trente ans et célibataire. Trente ans et déprimée. Youpi! Vive la vie! Au moins, elle avait des amis suffisamment géniaux pour lui offrir un énorme gâteau. Elle s’empiffrait avec les restes toute la semaine, ça lui donnerait l’illusion d’être heureuse. « On a rompu. » lâcha-t-elle finalement. La bouche de Sarah s’entr’ouvrit. Elle avait l’air sincèrement choquée par la nouvelle qui ne tarderait sans doute plus à se répandre parmi les invités désormais. « Ashton, bordel, pourquoi t’as rien dit? » À quoi cela aurait-il servi de toute façon? Personne ici ne pouvait changer quoi que ce soit à sa situation. Elle haussa simplement les épaules. « Quelle importance? » Et ignorant toute autre question que Sarah aurait pu vouloir poser, elle lui fit un sourire et alla se perdre dans les toilettes. Le miroir était dégueulasse, plein de traces de doigts et de marques douteuses… Elle se regarda dans les yeux. Le maquillage, par on ne sait quel miracle, parvenait à atténuer ses cernes. Penser à Penny n’était pas une bonne idée. Elle lui avait envoyé un sms ce matin, pour lui souhaiter un bon anniversaire, Ashton avait pleuré pendant trois heures sans s’arrêter alors que son téléphone n’avait pas arrêté de vibrer. À chaque nouveau message, elle avait tenté de ravaler ses sanglots en vain, malgré son propre dégoût d’elle-même. De toute façon, sentimentalement parlant, elle avait toujours été un échec ambulant. Elle passait souvent pour une fille forte, mais en réalité elle avait le coeur tout mou et une légère tendance à très mal choisir ses partenaires. Le problème, c’est qu’elle écoutait un peu trop son coeur et pas assez sa tête. Elle vivait tout avec passion et enthousiasme, la chute n’en était à chaque fois que plus douloureuse. Sa première peine de coeur, elle l’avait eu à quinze ans quand son premier petit ami l’avait lâché pour cette pouffe d’Abigaël. Elle les avait surpris en train de s’embrasser sous les gradins du stade de foot. Après ça, elle avait connu toute une série de ruptures et à chaque fois, elle se transformait en fontaine. C’était sa manière à elle de digérer la chose. Elle pleurait pendant une bonne semaine ou deux et hop! ça allait mieux et elle était prête à passer à autre chose. Cette fois pourtant, elle sentait que c’était différent. Avec Penny, elles avaient parlé de l’avenir, elles avaient envisagé les choses sur le long terme, c’était d’autant plus cruel de voir tout ça voler en éclats. Elle allait devoir recommencer à zéro, trouver une nouvelle personne pour combler son besoin d’affection. Homme ou femme, elle s’en foutait. Ça n’avait jamais eu d’importance à ses yeux. Elle aimait les deux. Peut-être qu’elle se contenterait d’un plan cul pour les quelques mois à venir. Peut-être que se lancer dans une nouvelle relation n’était pas une très bonne idée. Et puis, elle avait encore Penny dans la peau… Heureusement, elle avait son boulot. Ashton était responsable de la communication et de l’évènementiel d’une grande galerie d’art londonienne. Elle était douée dans son job, et gagnait bien sa vie. Elle n’avait pas à se plaindre de ce côté-là. Elle côtoyait le monde de l’art qu’elle adorait tant depuis toujours, et faisait des rencontres nouvelles quotidiennement. Elle se levait rarement de mauvaise humeur à l’idée d’aller travailler, parce qu’elle adorait ça. C’était sans doute sa plus belle réussite jusqu’à présent, sa carrière. À trente ans, c’est pas un peu triste de n’avoir rien d’autre qu’un job d’enfer? Parfois, elle se demandait si elle n’était pas une sorte de réincarnation de Bridget Jones ou une connerie du genre. Elle se dépêcha de sortir des toilettes, alors qu’on frappait à la porte avec empressement. Lorsqu’elle regagna la salle, elle avait l’impression que tous les yeux étaient tournés vers elle et que ce n’était pas seulement parce qu’elle était l’invitée d’honneur. Sarah avait eu le temps de mettre tout le monde au courant, pendant qu’elle s’occupait à se regarder dans un glace. Great! Au moins, elle n’aurait plus besoin de faire semblant d’être aux anges, c’était déjà ça. « Quoi? Tirez pas ces gueules, y’a pas mort d’homme. » lança-t-elle assez fort pour que tout ses amis l’entendent. Elle n’avait pas envie d’en parler et elle espérait qu’ils comprendraient. Les conversations reprirent et elle se dirigea droit sur le gâteau dont des parts étaient déjà parties. Elle s’en servit un morceau et on lui tendit une coupe de champagne. Peut-être que c’était mieux que la Ben & Jerry’s cookie dough finalement…