(✰) message posté Jeu 12 Mar 2015 - 11:54 par Invité
“ People sleep peaceably in their beds at night only because rough men stand ready to do violence on their behalf.” ✻ Ses joues se voilaient de couleurs écarlates, mais je savais que ce n’était pas ma présence qui la troublait. Elle était tout simplement perdue au milieu de mes réactions. Eugenia laissait filtrer ses émotions avec une facilité déconcertante ; gêne, incompréhension, flegme, confusion … Je pouvais deviner les changements de son humeur mais je ne l’avais vu rire que rarement. Je suppose qu’elle ne m’accordait pas encore toute sa confiance. Elle ne se laissait pas aller. Je clignai de l’œil en lui souriant d’un air poli. Pourquoi s’obstiner à garder une telle distance avec les autres ? J’étais à la fois intrigué et affolé par ses complexes inhérents. Je me raidis dans ma chaise en essayant d’avaler un bout de gâteau. Ma gorge sèche me piquait à chaque fois que j’essayais de déglutir, et je me rappelai que j’avais reçu un coup de poing mal placé à l’entrée de la poitrine il y a quelques heures. Ma salive était aigrelette comme si je venais de boire plusieurs bouteilles d’alcool à la suite. Je pris une grande inspiration en passant discrètement ma main sur mon torse. Il y avait tellement de ratures et de blessures sur mon corps. Je menais un combat quotidien contre le deuil de mon père, mais la souffrance de ce dernier semblait intarissable. Je ne trouvais jamais égard à ses yeux. Au fond, je n’étais que le gosse qui avait conduit sa bien-aimée vers la mort. Je soupirai en levant mon visage chagriné vers le plafond. La lampe simple laissait filtrer de faibles faisceaux de lumières dans la pièce claire. A cet instant, le monde semblait s’être arrêté. J’étais seul dans mon imagination, dérivant immanquablement vers la silhouette fragile d’Eugenia. C’était une sensation bizarre que j’avais vu exprimée dans les poèmes romantiques, mais que je ressentais pour la première fois. Elle me fixa avec pudeur tandis que les échos de mon rire euphorique continuaient de raisonnaient dans le vide. « Non, pas réellement. Je te parle de probabilités et de statistiques. Je te dis ce que je pense. Ce n’est pas être gentille. » Je fronçai les sourcils. J’avais bien envie de me lancer dans une joute verbale afin de contredire toutes ses théories. Il n’y avait pas de probabilités dans le hasard. Certes les échantillons aléatoires étaient la base des études statistiques, mais je refusais de croire que ma vie aussi imparfaite et décevante soit-elle, puisse être dirigée par une force invisible et complètement utopique. Le destin était une notion trop abstraite, et à l’époque, j’avais tendance à croire que seules les valeurs palpables et matérielles méritaient d’être considérées. La colère de mon père, ses coups, son alcoolisme, le manque d’argent … ça c’était vrai. Je me crispai dans ma position en acquiesçant de la tête. Il était certainement trop tôt pour que je lui dévoile l’étendue de mon désespoir. J’étais déjà touché par la fatalité, si jeune. Je lui souris avec amusement en me penchant vers la table. Mes grands yeux océans pétillaient lorsque j’étirais la bouche afin de lui adresser la parole. « Tu es gentille. » La taquinai-je en secouant la tête. Elle ne pouvait pas me mentir. Certes elle avait un certain caractère, mais je pouvais apercevoir les élans de pureté et d’innocence qui vibraient sous sa carapace imperturbable. Eugenia Lancaster était une fille gentille, il n’y avait pas moyen de me faire changer d’avis à son sujet.
« Et qu’est-ce qui te fait dire ça ? » S’enquit-elle avec une expression mitigée. Je suppose qu’elle avait peur de mes réponses, mais qu’en même temps elle désirait connaitre le fond de ma pensée. Je lui souris avec désinvolture. Il ne s’agissait pas là d’un bras de fer intellectuel pour savoir qui de nous deux avait le plus raison, mais je mettais du cœur dans mes tirades. Je voulais l’impressionner et lui prouver que je pouvais me démarquer moi aussi. Nous étions deux étoiles contraires, sombrant dans le même espace intergalactique. Ses poussières et les miennes s’enlaçaient avant de se perdre à tout jamais au sein de la nuit. « Je veux dire, tu ne me connais pas. Je n’ai fait que manquer de tact en ta présence et parler beaucoup trop. Je ne suis pas sûre que cela soit typique de personne dévouée et affective. » Je restai silencieux pendant quelques instants. Je me délectais des vibrations mélodieuses de sa voix et de son expression interrogatrice et mignonne. Elle avait certainement raison, elle avait manqué de tact, de retenue et de courtoisie, mais c’était tous ses petits détails qui faisaient d’elle une personne aussi authentique et sincère. J’haussai les épaules en posant ma fourchette sur la table. Ce mouvement de recul me tira une plainte que j’étouffai en feignant un rire amusé. « Je te l’accordes. » Commençai-je sur un ton calme et posé . « Tu ne fais pas dans la demie mesure, Ginny. » Je souris tristement en faisant la moue. « C’est bien comme ça qu’on t’appelles pas vrai ? » Etais-ce la première fois que j’utilisais ce diminutif ? Il me semblait si naturel de prononcer les mots en sa présence – comme si nous étions amis depuis des années. J’arquai un sourcil en la regardant avec intensité. « Je n’ai pas hésité une seule seconde avant de venir ici. Il y a quelque chose de native en toi. Je me sens en sécurité. Je n’ai pas besoin de te parler pendant des heures pour comprendre que derrière des grands airs ronchons tu te sens rejetée toi aussi. Tu peux me contredire – et je sais que tu le feras – mais tes yeux ne peuvent pas mentir. Tu es dévouée, affectueuse, altruiste et sincère. Pourquoi te laisserais-tu marcher sur les pieds aussi volontairement si ce n’est pour satisfaire les caprices de ton double maléfique ? » Je tendis ma main vers son avant-bras. « Je te vois Eugenia. » Murmurai-je avec douceur. Je me rapprochai afin de frôler ses doigts lorsque la sonnette de la porte me rappela à l’ordre. Je me rétractai avec nonchalance avant de me redresser. Qui cela pouvait-il bien être ? La marche folklorique de Cardiff était supposée durer toute la journée. Mon estomac se tordit tout à coup. J’avais un mauvais pressentiment. « N’ouvres pas ! » Supplia-je en reconnaissant la voix rauque de mon père brailler à l’extérieur de la maison. Il était venu pour moi. Mon expression affolée se posa successivement sur Eugenia et mon genou boursoufflé. Je n’étais pas en état de la protéger de ses excès de folie. Je ne pouvais rien faire pour la protéger. Cette pensée me rendait fébrile. Il m’était impossible de gérer le désastre imminent. « Je dois m’en aller. Restes ici. » Lançai-je sur un ton sec. Il était hors de question que je la mette en danger. Sur le moment, l’idée qu’elle puisse découvrir mon secret ne m’avait pas du tout effleuré l’esprit. Sa sécurité était ma seule préoccupation.
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(✰) message posté Mer 18 Mar 2015 - 20:58 par Invité
you have to love. you have to feel. it is the reason you are here on earth. you are here to risk your heart. you are here to be swallowed up. and when it happens that you are broken, or betrayed, or left, or hurt, or death brushes near, tell yourself you tasted as many as you could. ✻✻✻ Il me contredisait. Il me contredisait sans me connaître, il me contredisait malgré mes protestations, il me contredisait avec un sourire en coin qui pouvait me promettre le monde entier comme me l’arracher d’entre les mains. Je ne savais pas si cela était pour la forme ou parce qu’il le pensait réellement ; cependant, son obstination à me qualifier de gentille faisait rosir mes joues sans que je ne parvienne à les contrôler. Il était le premier. Le premier à m’accorder suffisamment d’attention pour se permettre de me dire des choses agréables. Le premier à croiser ma route et se souvenir que j’étais comme toutes les autres. Se souvenir que, moi aussi, j’étais un être humain. Je ne le laissais pas avoir le dernier mot. Une nouvelle fois, mon instinct de protection reprit le dessus et je m’appliquais à me refermer sur moi-même, créant tout autour de mes épaules une carapace pour être en sureté, pour me maintenir en vie. Je ne voulais pas être détruite par Julian Fitzgerald. Je savais qu’il n’avait pas un mauvais fond mais je ne lui faisais pas encore suffisamment confiance pour accepter ses belles paroles. J’avais peur, au fond. J’avais peur, oui. Peur qu’il ne me dise tout cela que pour parvenir à ses fins, peu importe soient-elles. Peur qu’en le laissant m’approcher il n’en profite pour ne me blesser que d’avantage. J’avais passé de longues années à vivre loin des autres, à maintenir une certaine distance de sécurité, mais cela ne les avait jamais empêché de me faire du mal, même de loin. Et je n’osais même pas imaginer ce que cela aurait pu donner si j’avais accepté d’être approchée de plus près. Si je les avais laissé me parler réellement. Si je les avais laissés être en face de moi comme Julian pouvait l’être actuellement. Je retins ma respiration, mal à l’aise, le voyant se préparer pour me répondre. Il fut secoué d’un rire avant de reprendre la parole. « Je te l’accorde. Tu ne fais pas dans la demi-mesure, Ginny. C’est bien comme ça qu’on t’appelle, pas vrai ? » me demanda-t-il. J’hochai furtivement la tête, sentant mes joues se colorer d’autant plus. Je me demandais qui pouvait être ce on. A qui il pouvait bien penser en disant cela. Les seules personnes qui m’appelaient par un surnom étaient les personnes de ma famille ; les autres, eux, s’amusaient à déformer mon prénom comme bon leur semblait. Les autres, sauf Julian. Je secouai la tête pour chasser cette pensée, me rappelant que je ne devais pas le laisser m’approcher, me rappelant que lui donner accès à mon cœur serait sans doute bien plus douloureux que tout le reste. Mais je ne pus m’empêcher de me demander quel était son surnom, à lui. S’il préférait être appelé Juju ou Jules. Si son père lui avait trouvé un autre surnom, un autre surnom comme champion, par exemple. Je me mordis l’intérieur de la joue comme pour m’intimer au silence. Au silence de mes pensées. « Je n’ai pas hésité une seule seconde avant de venir ici. Il y a quelque chose de native en toi. Je me sens en sécurité. Je n’ai pas besoin de te parler pendant des heures pour comprendre que derrière des grands airs ronchons tu te sens rejetée toi aussi. Tu peux me contredire – et je sais que tu le feras – mais tes yeux ne peuvent pas mentir. Tu es dévouée, affectueuse, altruiste et sincère. Pourquoi te laisserais-tu marcher sur les pieds aussi volontairement si ce n’est pour satisfaire les caprices de ton double maléfique ? Je te vois Eugenia. » Il approcha doucement sa main vers mes propres doigts et je demeurai figée, figée à observer son bras se mouvoir. Je ne savais pas comment réagir. Je ne savais pas si je devais lui être reconnaissante ou si je me devais de ne pas le croire. Je ne savais pas si j’avais à être en colère contre lui ou si je pouvais lui adresser un sourire. Je ne savais pas, je ne savais pas, je ne savais pas. Je ne savais pas. Il s’arrêta dans son mouvement quand il entendit la sonnette de ma maison retentir. Il se redressa tandis que je fronçai les sourcils ; durant un bref instant, je me demandai si ma mère n’avait tout simplement pas oublié ses clefs à l’intérieur, mais une voix masculine s’éleva de l’autre côté de la porte. « N’ouvre pas ! » s’exclama-t-il en me fixant avec insistance. Je pouvais voir la peur briller au fond de ses prunelles. Mais je ne la connaissais pas. Je ne connaissais pas cette peur. Je ne la comprenais même pas. « Je dois m’en aller. Reste ici. » poursuivit-il. « Comment ça ? » demandai-je, incapable de formuler une question plus claire. J’eus envie de frapper ma tête contre le mur. De m’enfuir, de m’enterrer dix pieds sous terre, de tout simplement disparaître. Enfant puérile, gamine innocente. J’avais beau chercher au fin fond de mon esprit, je ne trouvais absolument aucune explication logique à son comportement ; la seule thèse qui me vint fut qu’il avait peur d’être surpris ici, en ma présence, mais je fis de mon possible pour écarter cette hypothèse de mon esprit malmené. « Ta présence ici n’est pas un problème, tu n’as pas besoin de fuir par la porte de derrière. » lui dis-je en me levant. Je secouai la tête. « On ne fait rien de mal. » Parce que, oui, je ne voyais que cela. Sa réaction me sous-entendait que quelque chose était profondément mauvais dans ce que l’on faisait ; je l’observai durant une fraction de secondes avant de finalement sortir de la cuisine et me diriger d’un pas léger vers la porte d’entrée. Pourtant, sans que je ne sache réellement pourquoi, j’avais la boule au ventre. Je posai ma main sur la poignée, tournant la clef dans la serrure avant de finalement ouvrir la porte. Un homme de la quarantaine était dans l’encadrement ; je reconnus vaguement les traits du père de Julian, déformés par un masque de colère sourde. Mais cela n’était pas la chose la plus frappante chez lui, non. La chose qui retint mon attention fut qu’il sentait si fort l’alcool bon marcher qu’il semblait que son sang était lui-même constitué de vodka. « Bonjour, monsieur Fitzge… » commençai-je mais il ne me laissa pas terminer. Il me bouscula précipitamment avant de se faufiler un passage à l’intérieur de ma maison ; je perdis l’équilibre et, à l’instant où je me retrouvais à terre, je l’entendis prononcer les mots où est-il.
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(✰) message posté Mer 25 Mar 2015 - 14:33 par Invité
“ People sleep peaceably in their beds at night only because rough men stand ready to do violence on their behalf.” ✻ « Comment ça ? » S’enquit-elle d’un ton sec, mais j’étais dans l’incapacité de lui répondre. La voix sifflante de mon père retentissait inlassablement dans mon esprit, me plongeant dans une forme de léthargie très lente. Mon ventre se noua douloureusement, il me semblait qu’un million d’épines s’enfonçaient dans mon abdomen jusqu’à mes entrailles avant de remonter jusqu’à ma gorge. Je savais, non j’appréhendais le moment où l’expression démentielle de mon père se poserait sur moi. Il y avait en lui un trouble immense. Je peinais à le retrouver sous ses froncements de sourcils, et les courbures étranges de sa bouche. Il ne m’insultait que très rarement, préférant s’adonner aux plaisirs de la violence en silence. Ses bras fondaient l’air avec lenteur avant de s’écraser contre mon corps, encore et encore. Mon Dieu, elle allait découvrir tout ça ! Je plissai les yeux, implorant Eugenia de respecter mes recommandations mais l’éclat insolent que je pouvais lire sur son visage ne pouvait pas me tromper. « Ta présence ici n’est pas un problème, tu n’as pas besoin de fuir par la porte de derrière. On ne fait rien de mal. » Je déglutis avec difficulté en la fixant avec intensité. Elle se fourvoyait complètement. Je ne faisais rien de mal mais j’avais survécu à la perte de ma mère. Ce simple fait justifiait tous les supplices du monde. Par pitié, Eugenia, je sais que je ne te connais pas encore assez mais aie confiance. N’y vas pas. Elle s’élança dans le couloir malgré toute ma bonne volonté. Mon genou boursoufflé m’empêchait de suivre ses traces. Jamais encore je ne m’étais senti aussi faible et fragile. J’avais un mal de chien à me maintenir en équilibre mais je m’efforçais à raser le sol malgré la peur qui me tétanisait. Le décor de la pièce tournoyait à une vitesse vertigineuse. Je m’accrochai aux parois lisses des murs dans l’espoir vain d’arriver à sa hauteur mais il était trop tard : l’odeur aigrelette de l’alcool s’était engouffrée dans le hall. Je pouvais entendre mes veines pomper le sang, comme de l’acide brûlant, dans mon système. J’ouvris la bouche afin d’exprimer une dernière fois ma requête mais mon souffle coupé se brisa au contact de l’air. J’étais perdu. Il n’avait pas le droit. Elle n’avait pas le droit. La silhouette ombrageuse de mon père se dessina devant moi et je le laissai m’empoigner par l’épaule – mon épaule presque déboitée, sans la moindre opposition. Une longue plainte m’échappa tandis qu’il jouait sur mes cordes sensibles. Je scrutai les lieux à la recherche d’une échappatoire, mais ses pressions se faisaient de plus en plus puissantes. Je perdis pied avant de m’écraser contre la moquette. C’était là, que je vis Eugenia étendue prêt de l’escalier. La rage s’empara de moi, et je me redressai tant bien que mal en m’agrippant à ses jambes. « Je suis là. Rentrons à la maison. » Marmonnai-je afin de le calmer, mais il semblait toujours me chercher. Son désir de destruction était intarissable. Rien ne pouvait plus retenir ses mouvements frénétiques. « Je suis là, Partons s’il te plait. » Répétai-je en criant presque. Il se pencha alors, l’obscurité au bout du regard, afin de m’observer avec toute la haine qu’il pouvait me vouer. Il me prit à bout de bras avant de me projeter contre la rampe. Je toussai lorsque mes muscles se contractèrent sous le choc. Ma salive avait le gout de l’amertume, de la déception et du désespoir. J’aurais tant voulu disparaitre à cet instant, mais Eugenia était là, spectatrice de mon effroyable injustice. Je m’en voulais tellement de la mêler à mon quotidien. Je me tournai lentement vers elle afin de lui adresser un dernier regard. « Sors d’ici … » Marmonnai-je entre deux soupirs mais elle ne bougea pas. Je tendis le bras afin de la toucher mais je fus secoué par plusieurs coups de poings. Pourquoi maintenant ? Ne pouvait-il pas me traîner jusqu’au bout de la rue afin de me battre à mort ? Ne pouvait-il pas épargner au moins ma dignité ? Je me relevai les arcades sombres et bleutées, la bouche maculée de sang et de sérosités.
_ Je t’avais dis de ne pas toucher à mes bouteilles. Grogna-t-il. Je me perdais dans son haleine nauséabonde. Je n’avais pas touché à son alcool chérie. Il avait tout bu mais il ne s’en rendait même pas compte. Je tremblai sous sa prise avant de lever mes bras lourds vers lui. « Papa, partons … » Je ne l’avais pas appelé comme ça depuis des années et pourtant j’espérais réveiller en lui une quelconque forme de compassion. Il cligna des yeux avant de me lâcher avec effroi. La fièvre envahissait ma poitrine comme du poison, je m’enflammais par les feux de ma propre douleur. Il fit quelques pas avant de disparaitre dans la cuisine, la où ses instincts d’ivrogne le menèrent directement vers une bouteille de vin déjà entamée. Entre temps, je rampai à hauteur de l’escalier afin de secouer Eugenia. Je me sentais si désolé et pourtant, je n’aurais espéré être ainsi découvert devant personne d’autre que la fille étrange de la cafétéria. Je tentai un sourire afin de la rassurer mais l’aspect hideux de mes dents jouait en ma défaveur. Je me redressai en la tirant doucement avec moi quand soudain, je senti ma jambe se contracter avec violence. Mon ligament venait de craquer. Je me cambrai au bord des larmes sans oser toucher mon genou gauche.
_ Pourquoi tu cries ? Il revint en chancelant après avoir englouti plusieurs gorgées d’alcool. Je pouvais toujours apercevoir une lueur folle choir au fond de ses iris bleus électriques. Je tressailli en raffermissant ma prise sur la main d’Eugenia. Il fixa ma démarche boiteuse avant de se pencher vers moi. _ Je vais te remettre en place, petit. Il plaqua ses doigts sur mon pantalon suintant avant de tendre ma jambe à l’extrême. J’aurais pu vomir à cet instant, tellement la douleur était forte. Je lançai un cri strident en laissant échapper une larme.
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(✰) message posté Lun 30 Mar 2015 - 15:19 par Invité
you have to love. you have to feel. it is the reason you are here on earth. you are here to risk your heart. you are here to be swallowed up. and when it happens that you are broken, or betrayed, or left, or hurt, or death brushes near, tell yourself you tasted as many as you could. ✻✻✻ Je pensais tout savoir. Je pensais avoir le droit de tout savoir, également, comme si j'étais bien au-delà des règles de bienséances, comme si le voyeurisme n'était pas dérangeant quand il s'agissait de moi. Je me plaisais dans la distance qui me séparait des autres, dans cette distance que j’avais instaurée en pensant pouvoir observer la vérité de là où je me trouvais. Dans cette distance à la fois apaisante et sécuritaire. Dans cette distance solitaire mais protectrice. Je n’avais pas eu le droit à l’amitié et la reconnaissance de la part du monde, mais je pensais que connaître toutes ces choses à propos des autres pouvait compenser avec le manque qui s’installait doucement dans mon existence. Je pensais que savoir pouvait remplacer le verbe aimer, je pensais que savoir pouvait remplacer le verbe y croire. Parce qu’au fond, c’était ainsi. Je n’y croyais plus. Je ne croyais plus en les autres, je ne croyais plus en ce qu’on me donnait à voir, je ne croyais plus au monde et à aux horreurs qui s'y déroulaient chaque jour. Je n’accordais d’importance qu’à ce que je lisais. Je rejetais le mensonge en pensant que le savoir même se trouvait dans les documents officiels et les rapports établis. Mais, nulle part je n’avais lu que le père de Julian Fitzgerald était une personne violente. Aucun document, aucun dossier, aucun rapport ne m'avait fait part de ses tendances destructrices envers son fils. Cela n'avait pas été mentionné ne serait-ce qu'une seule chose. Et, pour la première fois de ma vie, j'étais confrontée au mensonge dans l'essence même de ce qui était censé représenter la vérité. Je restai à même le sol, ne sachant pas si cela était la surprise ou bien la douleur qui me tétanisait. J’avais mal sans réellement avoir mal ; j’étais bien plus choquée qu’endommagée, bien plus choquée que blessée. En vain, je tentais de faire l’inventaire de ce que je pouvais bien savoir à propos de ce garçon qui s’était assis en face de moi à la cafétéria. En vain parce que rien, absolument rien, ne me vint. J’avais cru que ses visites régulières à l’hôpital résultaient de certaines maladresses ou de tendances à agir en personne intrépide ; jamais, au grand jamais, je n’avais songé que les blessures qu’il endurait lui avaient faites par son père. Jamais, au grand jamais, les rapports n'avaient fait l'objet de suspicions à propos de ce qui se passait sous le toit de Fitzgerald. Certains secrets étaient mieux gardés que d'autres. Je n'entendais pas Julian parler à son père. Pas réellement. Seuls des sons me venaient, mes pensées faisaient bien plus de bruit, mes pensées couvrant le reste. J’avais peur, oui. Peur pour ma vie, peur pour la sienne. Je ne savais pas quoi faire pour l’aider, quoi faire pour m’en sortir. J’étais piégée. Piégée par la surprise. Piégée par la réalité. « Sors d’ici… » me dit alors Julian me sortant de ma torpeur. Son père était là. Son père était en train de le battre sous mes yeux et, pourtant, je ne trouvais rien à faire. Sale gamine, sale faible. J’étais beaucoup trop surprise pour réfléchir correctement. J’avais bien trop peur pour réagir comme il aurait fallu que je réagisse. La scène était bien trop floue pour que je ne parvienne à distinguer les gestes de l’un ou de l’autre ; je voyais simplement la fureur qui brillait au fond des yeux du père de Julian, et la peur qui animait son fils. Ses mouvements étaient violents mais calculés. Calculés comme s’il savait exactement quoi faire pour le blesser. Calculés comme s’il savait exactement où l’atteindre pour lui faire du mal. « Je t’avais dit de ne pas toucher à mes bouteilles. » grogna-t-il. Je fronçai les sourcils, comme si une pièce du puzzle venait de s’ajouter toute seule dans mon esprit. Comme si je comprenais enfin pouvoir l’ivresse était si dangereuse sur lui. C’était difficile, oui. Difficile de constater que cette situation ne se produisait sans doute pas pour la première fois. Difficile de constater que le père de Julian buvait, oui, buvait beaucoup trop. Difficile de constater que cet alcoolisme l’entrainait sans doute à taper son fils, taper cet être qui avait survécu à la femme de sa vie. C’était pour cela, alors, pensai-je au fond de mon esprit troublé. C’était pour cela que Julian se tenait responsable de la mort de sa mère. Son père avait tout fait pour lui faire croire ce mensonge. « Papa, partons… » Je n’étais pas d’accord avec lui, au fond. Je le sentais me secouer mais j’étais toujours tétanisée. Je le sentais me secouer mais je refusais ses paroles, je refusais qu’il désire s’en aller avec lui. Il allait le tuer. J’étais persuadée qu’il finirait par le faire. Comme pour faire écho à mes paroles, il revint à la charge, s’en prenant pour une centième fois à son fils unique. « Pourquoi tu cries ? » Il crie parce que vous lui faites mal. Il crie parce que vous lui faîtes peur. La main de Julian se ferma sur mes doigts, comme s’il cherchait à garder les pieds sur Terre. Comme s'il tentait de se raccrocher à quelque chose. A tout. A n'importe quoi. « Je vais te remettre en place, petit. » Il tira sur la jambe endolorie de Julian et un cri de douleur échappa à ce dernier. Je voulais faire quelque chose. Je voulais réellement l’aider. Mais la peur paralysait mes membres. Mais le choc semblait refuser de me rendre la possession de mon corps. Mon esprit s’était perdu en se rendant compte que la vérité était fausse, que le mensonge était peut-être vrai. Mon esprit s’embrouillait seul et j’étais presque désespérée. Mes yeux hagards cherchèrent dans le salon de ma mère une solution. Et, en une demi-seconde, je me relevai pour me faufiler jusqu’à la cheminée et attraper le tisonnier. C’était simple, après tout. Le père de Julian semblait ne même plus me voir. Ne même plus se rendre compte de ma présence. J'aurais pu disparaître qu'il aurait sans doute oublié mon existence. Il n'avait d'yeux que pour son fils. Que de haine pour sa propre chaire et son propre sang. Mes bras tremblaient, alors que je tenais le bâton de métal en face de moi. Je me postai face au père de Julian, tentant d'imposer ma petite taille et mon corps maigre. Je me postai face à lui sans avoir la moindre contenance, sans avoir le moindre espoir. Mais je me postai quand même. « Eloignez-vous de lui. » lançai-je. J’aurais aimé avoir une voix forte. J’aurais aimé paraître courageuse. Mais mon ton s’étirait dans les aigus et mes craintes pouvaient facilement être distinguées dans ma prononciation chaotique. « Je vous ai dit de vous éloigner de lui. » Je pointai le tisonnier sur lui, faisant un pas jusqu’à ce que le bout s’enfonce dans sa poitrine. Je baissai les yeux sur Julian, à terre, remarquant les larmes qui coulaient le long de ses joues. Je lui adressai un regard effrayé avant de reporter mon attention sur son père. « Je vais appeler la police. » menaçai-je. La police. Cette seule entité en laquelle j’avais encore foi. Cette seule entité qui pouvait s’occuper de ce genre de révélation, de ce genre de vérité. Le père de Julian m’observa avant de poser une main sur le tisonnier. Il le tira vers lui, et il se déroba de mes mains ; il le laissa tomber à terre. « Sale mioche. » Et, seulement à ce moment-là, il me décrocha un coup de poing contre ma joue gauche et je perdis l’équilibre, à moitié inconsciente. Peut-être le mensonge lui-même pouvait-il gagner. Même mes plus grands principes me paraissaient bien dérisoires.
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(✰) message posté Mer 8 Avr 2015 - 17:21 par Invité
“ People sleep peaceably in their beds at night only because rough men stand ready to do violence on their behalf.” ✻ Mon ventre se crispait violemment avant d’être traversé par des spasmes terribles. Me détruire ; tel était l’effrayante résolution de mon père. Je peinais à faire la différence entre la douleur physique et l’étendue de mes ressentiments à son égard. La fadeur de ses traits se confondait dans les nuages de brume qui voilait mes yeux larmoyants. Je me mordis la lèvre inférieure, refusant de voir les brasiers de ma volonté s’éteindre face à son ignominie. Ginny était étendue à mes côtés, tremblante, silencieuse et très certainement effrayée par la réalité de mon quotidien. Non je n’étais pas un simple orphelin. J’avais tué ma mère en survivant. J’étais un meurtrier dont le châtiment éternel ne prenait jamais fin. Je levai le visage vers le plafond et les arabesques qui ornaient le hall de la demeure Lancaster. Mon souffle ensanglanté se versait dans la pièce avant de disparaitre dans le vide. J’étais insignifiant comme ça. J’étais un moins que rien. La tristesse m’entrainait par le ressac de la mer avant de me noyer dans les profondeurs de l’océan. Il n’y avait rien d’aussi horrible que la peur de l’eau. Mon cœur se figea entre deux battements avant de reprendre un rythme saccadé. Je me souvenais des circonstances qui avaient ôtés la vie à ma mère – Le pont Hammersmith et la tamise de Londres. L’injustice et la source de l’âme planaient autour de ma tête, me procurant un sentiment de perte irrémédiable à la fois visible et invisible. Elle n’aurait jamais dû mourir – Je ne peux pas la ressusciter – Je ne peux rien faire. Je chancelais à terre avant de me redresser avec difficulté. Mon genou handicapé ne suivait plus les commandements de mon esprit. Je tirai sur ma cuisse avant de me hisser contre l’escalier. Les grands gestes de mon père se fondaient dans le décor sans que je ne puisse comprendre si sa colère était dirigée contre moi ou contre une entité divine irréelle. Il était captif de son deuil, ivre d’anxiété et complètement fou. « Eloignez-vous de lui. » S’indigna Eugenia en se relevant sans que je ne la voie. Ma gorge me brûla tout d’un coup – comme si les coups de poings n’avaient jamais cessé d’écraser mon œsophage. Non, ne fais pas ça ! Suppliait ma conscience sans que je ne puisse prononcer le moindre mot. Le silence drapait mes blessures et je cru mourir mille fois. « Je vous ai dit de vous éloigner de lui. » Répéta-t-elle de sa petite voix fluette. Je secouai la tête avant de remarquer le tisonnier qu’elle tenait entre les mains. Elle baissa les yeux vers moi d’un air accablé mais je ne parvins toujours pas à retenir ses élans de courage. Ma voix s’évanouissait au creux de mes cordes comme une brise de vent insignifiante. Je savais qu’elle finirait par se brûler par les flammes rageuses de la vengeance. Je savais qu’elle courrait à sa perte, mais je ne pouvais pas la sauver. « Je vais appeler la police. » Je fronçai les sourcils en pressentant le désastre imminent. Les larmes continuaient à creuser de longs sillons sur mes joues ; j’avais si mal et pourtant je ne pouvais pas m’abandonner à l’apathie. Il leva son poing avant de l’écraser contre le doux visage d’Eugenia. Je fermai les yeux, incapable d’encaisser cet aspect de sa démence. Il n’avait pas le droit. Je grognai en me débattant contre mes muscles engourdis. Je ne pouvais pas me lever. Je ne pouvais pas bouger mon putain de genou ! Je rampai en défiant les limites de mon corps. Ma force aussi imparfaite soit-elle, coulait au bout de mes doigts filiformes. Je glissai vers la silhouette ombrageuse de mon père afin de m’accrocher à son torse avec désespoir. « Tu devrais partir maintenant... » Articulai-je en haletant. Il tenta de me repousser mais je ne lâchais pas prise. Ma douleur devenait inhérente avec chaque renoncement de son esprit. Il venait de blesser Eugenia – Ma Ginny. Je tournai de l’œil avant d’agripper sa gorge du bout des ongles. Je sentais sa chair s’enfoncer sous mes griffures anodines avant de laisser échapper quelques gouttes de sang. Il était donc humain en dessous de toute sa haine. Mes oreilles bourdonnaient sous l’effet de la pression et je fini par cogner son menton avec insolence.« Pars tout de suite. » L’amour, le deuil, la mort, quels prétextes allais-je encore creuser pour justifier son comportement ? Dans quelle mesure serais-je toujours différent ? Les longs rideaux des fenêtres valsaient dans la pièce avant d’annoncer le crépuscule. Je lâchai prise avant de lui céder le passage. « Je ne te pardonnerais jamais ce jour – Je m’en rappellerais et je ne te le pardonnerais jamais ! » Crachai-je avec une arrogance qui m’était inhabituelle. J’avais toujours respecté la figure paternelle, convaincu que je méritais sa violence. Mon cœur aimait s’évanouir dans son affection particulière car c’était une forme d’amour que de battre son fils unique. Je déglutis en essuyant mon visage du revers de la main. George Fitzgerald était un inconnu à présent. Ses sourires mesquins révélaient sa finalité – celle d’une épave pourrie emportée par les vagues. Il se décala contre toute attente avant de se diriger vers la porte sans m’adresser le moindre regard – sans chercher à gagner ma confiance à nouveau, car aussi stupide cela puisse paraitre, je lui aurais accordé si seulement il avait daigné m’accorder une lueur d’espoir. Je tombai en tremblant comme une feuille. Je ressentais la séparation, la déchirure, le chagrin et la mort comme une mélodie perpétuelle. Je me dirigeai lentement vers Eugenia à moitié inconsciente afin de poser mes paumes glacées sur ses joues empourprées. Ma bouche se courba à mi-chemin entre le réconfort et l’effroi et je finis par la prendre à bout de bras. « Je … » Je t’avais demandé de partir mais tu es restée pour moi. Je reniflai en plissant le front afin de chasser mon émotion. « Tu vois qu’il y a en toi bien plus de gentillesse et de compassion que tu ne le montre. » Je secouai lentement la tête. Je t’avais dit de fuir mais tu m’as choisi – pour la première fois, quelqu’un m’avait choisi. Je te choisirais toujours.
you have to love. you have to feel. it is the reason you are here on earth. you are here to risk your heart. you are here to be swallowed up. and when it happens that you are broken, or betrayed, or left, or hurt, or death brushes near, tell yourself you tasted as many as you could. ✻✻✻ Je ne m’étais jamais pris de coup. Les seules fois que l’on avait bien pu me blesser avait été à l’aide de mots ; j’avais enduré les blessures psychologiques bien plus que celles physiques. Aucun de mes deux parents n’avait un jour levé la main sur moi. A l’école, les autres s’étaient bien plus appliqué à me faire des remarques cinglantes plutôt qu’à me frapper. Si, quelque fois, ils m’avaient poussée. Poussée contre les casiers. Poussée dans les escaliers. Mais, à chaque fois, je m’étais redressée. A chaque fois, je ne leur avais pas donné la satisfaction de rester à terre. J’avais pensé que cela ne serait jamais pire. J’avais pensé que me relever dans ces conditions avait fait de moi une personne qui pouvait encaisser les attaques les plus vicieuses. Mais je m’étais trompée. Je n’avais pas vu le coup venir. J’avais vu sentir mes jambes se dérober sous mon poids. Je m’étais juste sentie tomber à terre, la tête claquant contre le carrelage froid. Puis, mes pensées s’étaient embrouillées toutes seules dans mon esprit. Je m’étais perdue dans la confusion de l’instant. Je ressentais la douleur, mais au-delà de ça, l’égarement était bien plus saisissant. Je me demandai ce que je faisais là. Je me demandai ce qu’il se passait. J’entendais des bruits autour de moi mais je n’avais pas le courage d’ouvrir les yeux. J’avais mal, aussi, et je mis plusieurs secondes avant de me rappeler la cause de cette douleur. Puis, seulement après, je me rappelai de Julian et de son père, de ce père violent, de ce père incontrôlable, de ce père qui semblait boire plus que raison. Je me rappelai d’eux et de ma maigre tentative pour le faire fuir, je me rappelai d’eux et je finis par admettre que je n’étais qu’une sale gosse, une sale gosse comme il avait bien pu me traiter, oui. Je tentai de me redresser mais mon corps ne réagit pas ; au lieu de quoi, les paroles de Julian vinrent me chatouiller les oreilles par bribes. Au moins, il n’était pas à moitié inconscient. Pas comme moi. « Tu devrais partir maintenant... » Maintenant ? Seulement maintenant ? Il n’aurait jamais dû venir dans un premier lieu. Il n’aurait jamais dû lever la main sur son fils, pas aujourd’hui, ni hier, ni même à un seul moment de toute sa vie. Cela me révoltait, quelque part. Cela me révoltait mais je ne parvenais toujours pas à bouger, prisonnière de mon corps d’adolescente, prisonnière de mon corps de sale gosse. « Pars tout de suite. » Son ton était plus direct, comme s’il était animé par une assurance nouvelle. Je plissai les yeux pour tenter de l’apercevoir, mais je fus éblouie par la clarté du jour. « Je ne te pardonnerais jamais ce jour. Je m’en rappellerais et je ne te le pardonnerais jamais ! » Il y avait de l’arrogance, maintenant. Une arrogance que je ne connaissais pas mais qui ne me paraissait pas étrangère non plus ; après tout, je ne connaissais que très peu Julian. Et, ce qui venait de se passer me sous-entendait qu’il y avait encore bien plus de choses à apprendre sur lui que je ne l’imaginais. Son père dut partir, mais je ne l’entendis pas passer l’encadrement de la porte ; mes pensées s’entrechoquaient entre elles dans une confusion que je ne comprenais pas. Elles s’accumulaient, encore et encore, me noyant sous toutes les informations auxquelles elles s’intéressaient. « Je… » commença Julian, ses deux mains tenant mes joues. J’avais l’impression d’être dorlotée comme une enfant. J’avais l’impression d’en être une, en cet instant. « Tu vois qu’il y a en toi bien plus de gentillesse et de compassion que tu ne le montres. » déclara-t-il finalement. Je ne comprenais qu’à moitié ses paroles, mon esprit refusant de coopérer ; l’horreur de la situation envoyait des signaux d’alarme dans mes pensées et je poussai un soupir, à mi-chemin entre la plainte et le grognement, avant de tenter de prendre la parole. « La police. » marmonnai-je avant de finalement parvenir à papillonner des yeux sans que le soleil ne me brûle les yeux. « Il faut appeler la police… » Ils ne savaient pas, non. Ils ne savaient pas qu’il y avait encore des enfants battus dans cette ville. Ils ne savaient pas que Julian avait besoin de leur aide. Ils ne savaient pas que son père finirait sans doute par le tuer. Ils ne savaient pas et ils ne le sauraient pas si personne ne faisait rien pour lui. « Et l’hôpital, il faut que tu ailles à l’hôpital… » Mes mots se bousculaient dans ma bouche et j’avais l’impression que, quelque part, mon esprit flottait au-dessus de mon corps. J’observai la scène du dessus, sans être paralysé par mon esprit sonné, sans être paralysée par la peur et l’angoisse. « Il faut faire quelque chose… Julian il faut faire quelque chose… » Ce n’était pas de la gentillesse. Ce n’était pas de la compassion. Je ne savais pas ce qui m’avait poussé à rester mais je refusais que cela soit expliqué par de simples adjectifs ; j’avais eu besoin de l’aider, besoin de tenter quelque chose, besoin de rester sans prendre la fuite. Mais, aussi, j’avais l’impression de tomber de haut. L’impression que tout mon monde n’avait plus aucun sens. L’impression que j’avais vécu dans le mensonge, dans le mensonge des informations, dans le mensonge des dossiers officiels eux-mêmes. J’avais cru trouver la vérité. J’avais cru accéder à la réalité des faits, à la réalité de ce qu’il se passait réellement. Mais je n’avais fait que m’aveugler. Que me tromper. Que m’enfermer dans mes propres principes. Non, la réalité ne pouvait pas toujours se trouver dans des dossiers. Non, certaines choses demeuraient des secrets. Mais, par-dessus tout, il y avait des personnes qui n’étaient pas aidées. Qui n’étaient pas sauvées. Et, finalement, l’être humain lui-même valait sans doute la peine d’être connu s’il fait partie de cette minorité oubliée par les fichiers.
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(✰) message posté Mar 21 Avr 2015 - 22:24 par Invité
“ People sleep peaceably in their beds at night only because rough men stand ready to do violence on their behalf.” ✻ Mes séances de tortures avaient toujours été personnelles. Il me frappait sans retenue pendant des heures avant de soudainement se détourner de mon corps ensanglanté. C’était un rituel que je connaissais par cœur, et auquel j’avais fini par adhérer depuis le temps. J’étais un orphelin battu par son unique parent depuis l’âge de 13 ans. Il avait commencé en Ecosse avant de m’entrainer vers des contrées différentes ou les coups avaient toujours la même poigne et la même ferveur. J’avais survécu, quoi demander de plus ? Qu’est-ce qu’une rature, une cicatrice ou une blessure, face à la peur perpétuelle de perdre sa famille ? Le froid du sol s’immisçait dans mes os, mais je ne ressentais même pas la douleur. Voir Eugenia tomber, réveillait en moi un sentiment de colère étrange. Je voulais me relever et me rebeller contre mon père pour la première fois de ma vie. Je voulais partager ma terreur et mon désarroi avec lui, dans l’espoir qu’il comprenne enfin que j’étais comme lui. Moi aussi, mon deuil s’éternisait dans mon âme. Je papillonnai des yeux en laissant échapper un sanglot. Ma gorge étouffée me brûlait, comme si le feu majestueux du Dieu soleil, avait trouvé refuge dans mon corps. Mes poings tremblants s’accrochaient à son torse avec acharnement. Ses vêtements amples glissaient entre mes doigts filiformes, mais je m’étais promis de protéger Eugenia de toutes mes forces. Je ne pouvais pas tenir debout, mais je pouvais l’entrainer dans ma chute. George fini par se décaler. Il disparut comme une brume lointaine dans le crépuscule. Enfin, il était parti. Je me mordis la lèvre inférieure ; je m’en voulais tellement d’avoir mêlé Eugenia à mon chaos. La rencontrer dans les couloirs du lycées, ou pendant la pause déjeuner, même de manière aussi fugace et limitée, était la consécration de mon affection muette. C’était la chose la plus précieuse que je possédais en ce monde ; un bourgeon d’amour noble et puissant. Je glissai vers elle avant d’encadrer son visage bleuté. Tu sais que je te chéris depuis le premier jour ? Tu sais que je reviens toujours vers toi, comme si une force invisible me poussait dans tes bras. Je pense que c’est Aïda. Tu es ma mère de substitution, l’épaule sur laquelle je peux me reposer sans tomber. Elle semblait perdue. Je redoutais les effets du coup de poing sur son habilité à parler, mais au bout de quelques minutes, elle finit par se redresser vers moi. « La police. Il faut appeler la police… » Souffla-t-elle tandis que je secouais lentement la tête. Non, ce n’était pas une option. Je déglutis en croisant son regard embué. Ma dévotion irrationnelle pour mon père parachevait le cycle infernal de mon enfance maudite. Je ne pouvais pas le condamner malgré toutes ses fautes. Je ne savais pas encore pourquoi, mais mon instinct me poussait à le couvrir malgré tout. « Et l’hôpital, il faut que tu ailles à l’hôpital… » Les mots se bousculaient dans sa bouche sans que je ne puisse en saisir la portée. Je continuais de la contredire en silence. Ma négation était presque machinale. « Il faut faire quelque chose… Julian il faut faire quelque chose… » Je fronçai les sourcils en pressentant son indignation. Elle serait déçue de moi à la minute où je lui avouerais la triste vérité sur ma personnalité. Je suis un tueur, Eugenia. Je mérite mes punitions et toutes ses horreurs. Cet homme minable que tu vois ; c’est mon père. Son sang coule dans mes veines, créant un lien immuable et éternel entre nous. Je ne peux pas être arraché de mon foyer. C’est tout ce qui me reste depuis la mort de ma mère. Les larmes se confondaient avec mes émotions. Je bougeai lentement mon genou boursoufflé avant de me décaler. « Tu ne peux pas me faire ça... » Articulai-je en haletant. Je baissai mon visage maculé vers mes ongles sales et mes mains écorchées.« Tu ne peux pas me prendre ma seule famille. La police ne ferait que m’envoyer en pension. J’ai un toit, j’ai à manger parfois, j’ai droit à un certain niveau d’instruction … Les choses sont pire dans un orphelinat. C’est sale et froid. Je sais avec certitude que mes oncles ne voudraient jamais de moi. Je sais qu’un jour je parviendrais à m’en sortir. Fais-moi confiance. » Je caressai son arcade blessée avec délicatesse – Je suis vraiment désolé. Mon cœur se serra dans ma poitrine. Je tremblai au contact de sa peau avant de détourner le regard, incapable de la voir dans cet état plus longtemps. « Tu dois me promettre de ne rien dire. » Je pris appui sur la rampe d’escalier avant d’inspecter mes blessures. Rien qui ne sorte de l’ordinaire. « S’il te plait. Ne le dis jamais à personne. » Répétai-je d’une voix tremblante. Je soupirai avant de tenter un mouvement, mais mes jambes flageolantes refusaient de suivre le cours de ma volonté. Eugenia avait besoin de glace et j’étais incapable de me diriger vers la cuisine – pire encore, comment allions-nous justifier tout le désordre lorsque sa mère allait rentrer ? Comment allais-je rentrer ? Je ne pouvais pas me lever et encore moins marcher. Mon cerveau était en ébullition, perdu dans mes réflexions. Je devais échafauder un plan d’urgence. Je courbai mon genou avant de crier de douleur. « Ginny, il faut que tu te lèves. Traînes-moi sur l’escalier. Quelques marches suffisent. On dira que je suis tombé et que je t’ai entrainé. Tu t’ai cogné contre le sol. » Je lui adressai un regard plein de détresse, la suppliant d’accepter de jour le jeu.
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(✰) message posté Jeu 23 Avr 2015 - 21:46 par Invité
you have to love. you have to feel. it is the reason you are here on earth. you are here to risk your heart. you are here to be swallowed up. and when it happens that you are broken, or betrayed, or left, or hurt, or death brushes near, tell yourself you tasted as many as you could. ✻✻✻ J’avais de la chance, quelque part, et je le savais. J’avais des parents aimants et les seuls torts qu’ils avaient bien pu me faire se résumaient sans doute à quelques disputes et refus. Le reste du temps, ils avaient été gentils avec moi. Je ne savais pas réellement si cela n’était pas pitié envers leur propre fille mais je m’en fichais ; ils étaient à l’écoute, bien que séparés, et je pouvais compter sur eux en cas de besoin. Ils n’avaient jamais levé la main sur moi. A vrai dire, je n’étais même pas sûre qu’ils aient un jour haussé le ton en ma présence. Pourtant, malgré cette vie presque idyllique, je savais que certaines personnes n’avaient pas autant de chance. Je m’étais rapidement habituée aux horreurs de l’humanité ; je me documentais suffisamment pour avoir connaissance des grands cas de violence, de viol, d’attentats. J’avais regardé des documentaires sur certains psychopathes, sur certaines affaires jamais classées, sur des parents abusifs envers leurs enfants. Cependant, j’avais toujours cru que tout pouvait fatalement se savoir. J’avais toujours cru qu’il existait une vérité et qu’elle pouvait toujours être déduite selon des schémas communs. J’avais fondé mon monde sur ces croyances aveugles et dérisoires, sur ces croyances presque obsessionnelles ou délirantes. En soi, cela n’était pas la violence du père de Julian qui m’avait choquée ; je pensais sincèrement avoir entendu des choses bien pires à propos de parents irresponsables. Non. C’était que je ne l’avais pas vu venir. Que je ne m’étais pas doutée, une seule seconde, que cela soit le cas, et que la police n’avait sans doute absolument aucune idée qu’il se passait toutes ces choses sous le toit des Fitzgerald. Mes pensées étaient décousues, mes paroles également. J’étais paniquée, au fond ; je ne parvenais pas à gérer les angoisses qui me secouaient, ce retour à la réalité si violente mais si mérité. Puis, également, j’étais assez sonnée ; mon esprit refusait d’avoir de suites logiques dans son cheminement intellectuel. « Tu ne peux pas me faire ça... Tu ne peux pas me prendre ma seule famille. La police ne ferait que m’envoyer en pension. J’ai un toit, j’ai à manger parfois, j’ai droit à un certain niveau d’instruction… Les choses sont pires dans un orphelinat. C’est sale et froid. Je sais avec certitude que mes oncles ne voudraient jamais de moi. Je sais qu’un jour je parviendrais à m’en sortir. Fais-moi confiance. » Je le fixai, les yeux grands ouverts, tentant en vain de comprendre ses paroles. Ses doigts effleurèrent mon arcade douloureuse et j’eus un mouvement de recul sous la surprise. Je me demandais si je pouvais lui faire confiance sur ce point. Si je pouvais accepter l’idée qu’il savait ce qu’il était en train de faire. Probablement non. Il ne savait pas que sa situation était grave ; il pensait pouvoir s’en sortir mais j’en avais suffisamment vu pour savoir avec certitude que son père finirait par le tuer. Il était animé par la démence, après tout. Par la colère. Ses gestes étaient brutaux et mal mesurés ; il décrochait des droites et titillait ses blessures antérieurs sans se rendre compte qu’une simple mauvaise chute ou qu’un simple coup mal visé pouvait lui briser la nuque. Je déglutis avec difficulté. « Tu dois me promettre de ne rien dire. S’il te plait. Ne le dis jamais à personne. » Je demeurai figée. Il me demandait de mentir, quelque part. Il me demandait d’aller à l’encontre des fondements même de ce que j’étais. Il me demandait de prendre sur moi et de ne pas courir à la police. Il me demandait l’impossible sans me connaître. « Tu te rends compte de ce que tu me demandes ? » lui demandai-je alors, la voix tremblante. « Cet homme… Ton père… Il pourrait très bien te tuer, un jour. Tu me demandes d’être complice de ça ? » Ma gorge était si serrée qu’articuler m’était difficile. J’étais démunie face à son entêtement ; ne rien faire dans cette situation m’était intolérable mais trahir sa confiance me paraissait encore pire. Il était le seul à accepter de m’adresser la parole, après tout. Le seul qui m’avait vu, moi, le fantôme de Cardiff. Je l’entendis pousser un cri de douleur et je tournai la tête vers lui, presque affolée. Je le voyais qu’il s’agitait à mes côtés. « Ginny, il faut que tu te lèves. Traînes-moi sur l’escalier. Quelques marches suffisent. On dira que je suis tombé et que je t’ai entrainé. Tu t’es cognée contre le sol. » Je sentis le goût de la bile se déverser dans ma bouche et je fermai les paupières avant de prendre une profonde inspiration. Je savais que cela était le moment où j’étais censée décider. Décider si je gardais son secret ou si je courrais à la police. Dans son état, j’aurais facilement pu m’en aller sans qu’il ne puisse me suivre ; j’étais encore confuse mais j’étais convaincue que j’aurais pu faire un sprint jusqu’au commissariat. Je me redressai sur mes deux jambes, testant mon équilibre avant de décréter que ça allait ; je le fixai durant quelques instants, indécise, pensant le pour et le contre avant de finalement me pencher pour tenter de le monter sur une marche. Je me détestais presque aussitôt de me plier à sa volonté. Je dus m’y reprendre à plusieurs fois avant de réussir. J’avais peur de lui faire mal mais je constatais, avec consternation, que je n’avais pas suffisamment de force dans les bras pour le trainer. « Je suis désolée si je te fais mal. Je ne fais pas exprès. » dis-je doucement. Il y avait de la colère, dans ma voix, la colère de rester là les bras croisés, la colère d’accepter de couvrir son père, ce monstre. « Tu n’as jamais songé à te défendre ? » Je savais que je ne m’intéressais pas aux bons problèmes. Que le monde des mortels lui aurait demandé depuis combien de temps il se faisait battre, s’il avait besoin d’en parler. Je savais tout cela et, pourtant, je ne choisissais pas les bonnes questions. Sans doute parce que j’étais différente, moi aussi. Je ne me focalisais pas sur les bons aspects d’une situation.
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(✰) message posté Dim 26 Avr 2015 - 15:15 par Invité
“ People sleep peaceably in their beds at night only because rough men stand ready to do violence on their behalf.” ✻ Eugenia esquissa un mouvement de recul lorsque mes doigts se posèrent sur son arcade blessée. Je la regardais avec insistance avant de fermer les yeux à mon tour, transi par l’horreur des événements qui venaient de se produire entre les murs de cette demeure. Je suis faible lorsqu’il s’agit de toi alors que je ne te connais même pas. Je me sentais vulnérable, la douleur qui grouillait dans mon membre boiteux se répandait dans mon corps – comme si pour la première fois, mon père avait enfin réussi l’exploit de ma briser tout entier. Mon cœur s’effondrait dans ma poitrine car l’humiliation d’être exposé face à la fille que j’adorais le plus au monde, me coutait plus que mes anciennes blessures. Je me mordis la lèvre inférieure avant de pencher la tête vers son visage pâle. Elle avait la chance de grandir dans un environnement sain et tolérant, je n’avais croisé sa mère que rarement, mais elle avait l’air d’une femme pleine de gentillesse et de bienveillance. Je m’en voulais de venir troubler la quiétude de son existence avec les violences de mon père. Je m’en voulais d’avoir envahi son espace et sa sécurité pour satisfaire un besoin obsessionnel ridicule de la connaitre. Cependant, maintenant qu’il était trop tard pour moi de rebrousser chemin, je voulais qu’elle m’accepte tel que j’étais réellement ; avec mes petites ratures et ma maladresse mensongère. « Tu te rends compte de ce que tu me demandes ? Cet homme… Ton père… Il pourrait très bien te tuer, un jour. Tu me demandes d’être complice de ça » Sa voix tremblait en prononçant ces mots. Je saisissais toute l’ampleur de ma requête mais je ne voyais pas d’autre issue. Avec le temps, je finirais par grandir et quitter mon domicile délabré. J’en avais la conviction. Je me redressai douloureusement avant d’esquisser un maigre sourire. Une part de moi aurait voulu élever le ton et lui crier la vérité ; Et alors ? Si cet homme – mon père – me tuait ? Je ne manquerais à personne, hormis à ses poings. Au final, je lui devais la vie et la mort. Les mots se bousculaient dans ma bouche mais je n’osais pas argumenter. Comment lui expliquer que j’avais moins d’importance que fantôme de Cardiff ? Elle pensait que la reconnaissance des autres était une concrétisation dans le quotidien d’un adolescent mais j’avais vu le monde, j’avais perdu ma mère et j’avais vogué dans le pays, j’avais compris à un âge très précoce, que l’avis des Hommes était modulable et sans aucun intérêt. Je ne m’étais jamais sociabilisé au lycée. On me reconnaissait comme l’écossais vêtu d’haillons mais quelle importance qu’on m’appelle le petit prince ou l’enfant de la rue ? Le soir, lorsque les voiles de la nuit tombaient sur la ville, j’étais seul face à mes souvenirs. Je déglutis en pressant mes doigts contre mon menton. « Je te demande d’être mon amie. » Déclarai-je sur un ton solennel. Je baissai mon visage boursoufflé vers le sien en clignant des yeux. Alors, soit mon amie. S’il te plait.
Elle se leva lentement. Je la suivais du regard, inspectant chaque courbure de sa silhouette comme pour m’assurer qu’elle allait bien. Eugenia tenta quelques pas avant de se redressai avec nonchalance, jugeant qu’elle était apte à se maintenir en équilibre malgré le coup qu’elle avait reçu à la tête. Je me demandais si elle avait encore mal. Parfois, la douleur mettait des semaines à me quitter mais je suppose que cela était dû à mon manque de sommeil. Elle se pencha délicatement vers moi avant de me hisser, non sans difficultés, sur la première marche de l’escalier. Elle n’avait pas assez de force pour me traîner et je compris qu’il fallait que je lâche la pression sur mes muscles tendus. « Je suis désolée si je te fais mal. Je ne fais pas exprès. » Je percevais toute sa colère et son indignation. Je sais que tu ne veux pas que ce crime reste impuni, mais j’ai besoin de mon père pour vivre. Les coups et les blessures ne sont que des dommages collatéraux. Je vais bien Ginny, j’irais bien. « Tu n’as jamais songé à te défendre ? » Je crispai la mâchoire afin d’étouffer un gémissement. Sa question raisonnait en boucle au creux de ma raison sans que je ne parvienne à faire le tri dans mes pensées. Parfois la passion se consumait afin de laisser place à la haine ; mon père m’aimait de façon étrange mais je savais qu’on était éternellement liés. « Non. » Claquai-je en surélevant le bassin. « Pas avant aujourd’hui. » Mes boucles suintantes auréolaient mon visage placide. J’ai l’impression d’écouter la même chanson triste depuis des années. J’ai si mal parce qu’elle n’est pas là – Je ne peux plus continuer comme ça. Je ne peux plus ressentir le manque d’une mère qui m’a abandonnée. Tu vois je ne suis pas l’orphelin issu d’une union prometteuse. Il n’y a pas d’aura de sophistication qui flotte autour de moi, et je ne perd pas mon temps à trainer avec les cas désespérés comme toi. Je suis aussi désespéré. Je me cramponnai à la rampe de l’escalier avant de glisser sur une nouvelle marche. Pardonne-moi, je sens bien combien ma façon d’être doit te peser … Mon genou se courba violement avant de me tirer un cri de douleur. Je relevai mes yeux larmoyants vers elle. « Je ne pourrais pas aller plus loin. Je pense que c’est cassé … » Marmonnai-je d’une voix enrouée. Sais-tu quelle est la signification de cet instant pour moi ? Je pense que je suis amoureux de toi depuis toujours.
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(✰) message posté Sam 2 Mai 2015 - 18:56 par Invité
You have to love. you have to feel. it is the reason you are here on earth. you are here to risk your heart. you are here to be swallowed up. and when it happens that you are broken, or betrayed, or left, or hurt, or death brushes near, tell yourself you tasted as many as you could. ✻✻✻ Je refusais de participer à sa perte et, pourtant, il ne me laissait pas le choix. Je refusais de jouer un rôle dans sa descente aux enfers et, pourtant, il ne m’avait pas demandé mon avis. Il ne m’avait que très rarement adressé la parole mais il me demandait déjà de mentir pour lui ; j’étais sans doute, pour une, une inconnue et une âme de plus sur cette Terre et, pourtant, il me faisait promettre de garder des secrets qui me paraissaient intolérables d’ignorer. Je ne pouvais pas fermer les yeux, non. Je ne pouvais pas rester les bras croisés devant sa situation. Je ne pouvais pas me taire quand une telle injustice me donnait envie de crier. Je ne pouvais pas exécuter ses volontés délirantes quand sa vie était en danger. Et, étrangement, cela m’importait. Sa vie m’importait. Sa santé m’importait. Je ne savais pas si cela était parce qu’il avait été le seul à m’accorder son attention ou parce que j’avais une vocation pour la justice, mais je ne parvenais pas à calmer mes ardeurs. Je ne parvenais pas à me dire que fermer les yeux et laisser son père le battre était une solution envisageable. Parce que cela ne l’était pas. Je me trouvais idiote, également. Idiote de lui avoir fait l’inventaire des choses que j’avais cru deviner à son propos. Idiote d’avoir été suffisamment sûre de moi pour prétendre le connaître par cœur sans même lui avoir adressé la parole plus de dix fois dans mon existence toute entière. Il devait me prendre pour une personne bien affligeante. Il devait me prendre pour une sale gamine qui désirait tout savoir et qui croyait bien faire. Je sentis le goût de la bile se répandre sur ma langue et je déglutis avec difficulté ; mes pensées se pressaient, incessantes, dans mon crâne mais je ne parvenais pas à trouver de solution. Il n’existait sans doute pas de bon choix, dans ce genre de situation. Il n’y avait sans doute pas d’option indolore. Je pouvais choisir de me taire. Me taire et me blâmer s’il ne survivait pas d’ici les prochains mois. Je pouvais choisir de parler. Parler et risquer qu’il m’en veuille. Sans que je ne sache pourquoi, cela me faisait quelque chose, oui. Cela me touchait. Je ne voulais pas qu’il me déteste. Je ne voulais pas qu’il m’observe comme si j’étais une paria, comme les autres. Il était différent. Il était différent avec moi et je ne voulais pas lui donner de raison de changer d’avis. Il était différent avec moi et cela me faisait quelque chose, même si je ne désirais pas forcément l’admettre. « Je te demande d’être mon amie. » Une vague de tristesse prit possession de mon corps et je l’observai d’un air suppliant. Non, Julian. Tu ne peux pas me dire une chose pareille. Tu ne peux pas jouer avec mon cœur qui a déjà accumuler bien trop de rejets pour pouvoir battre correctement. Ma gorge se serra et je me demandai, l’espace d’un instant, si je n’allais pas pleurer ; puis, finalement, je secouai la tête pour me reprendre. « Julian… » marmonnai-je d’une toute petite voix. Il était le premier. Il était le premier à me proposer son amitié. Le premier à me voir. Le premier à me considérer comme un être humain et non pas un souffre-douleur, un sujet de plaisanterie. Mon cœur eut un raté alors que je secouai la tête. « Je ne peux pas être ton amie et accepter de ne rien faire. » Peut-être savait-il tout cela. Peut-être était-ce pour cela qu’il m’avait fait une telle proposition ; il tentait de m’acheter en me promettant des illusions, des chimères. Il tentait de m’acheter en sachant parfaitement que je n’avais aucune idée de ce qu’était réellement l’amitié. L’amitié sincère. Cependant, malgré tout, malgré mes suspicions, malgré mon cœur qui me faisait mal, si mal que je voulais en pleurer, je me levai pour le trainer dans l’escalier. Je le tirai avec force en sachant parfaitement que je n’en avais pas suffisamment pour le déplacer sans lui faire mal ; mes membres tremblaient mais je continuai. Je continuai parce que je savais que si je m’arrêtai je ne pourrais pas recommencer. « Non. Pas avant aujourd’hui, » me répondit-il à propos de son père. Je ne dis rien. Cela ne m’étonnait pas, au fond ; cela s’était vu, à l’instant même où il lui avait tendu tête, que cela était la première fois qu’il avait osé ouvrir la bouche quand son père avait été occupé à lui défoncer la mâchoire. Julian m’aida à le hisser sur les marches, s’agrippant à la rampe de l’escalier pour soulager ma charge. Puis, il poussa un cri. Aussitôt, je lâchai ma prise, posant mes mains sur ma bouche pour m’empêcher de gémir à mon tour. Julian, donne-moi une bonne raison. Une bonne raison de ne pas prendre le téléphone pour appeler la police et une ambulance. « Je ne pourrais pas aller plus loin. Je pense que c’est cassé… » reprit-il et j’hochai la tête, tremblante. Mes yeux étaient humides, mais je refusais qu’il le remarque ; je demeurai muette durant un temps, espérant du fond de mon cœur que cela suffise à calmer les trémolos de ma voix. « Et maintenant, c’est quoi le reste de ton plan ? » lui demandai-je avant de racler ma gorge. « Ma mère ne va pas rentrer avant un moment… S’il te plait, laisse moi appeler le samu, au moins. C’est peut-être grave. » Je commençai à paniquer, oui. A paniquer comme je n’avais encore jamais paniqué de toute mon existence tranquille. Je pris une profonde inspiration, avant de finalement l’enjamber. « Tu sais quoi ? Je n’ai pas besoin de ton avis. J’appelle le samu. » Je me dirigeai d’un pas décidé jusqu’au téléphone. Julian, tu ne comprends pas, je pense. Tu ne peux pas me demander d’être ton amie et de rester les bras croisés. Tu ne peux pas me demander de faire partie de ta vie en espérant que je l’accepte. Parce que je ne suis pas comme ça, Julian. Je suis peut-être étrange. Je suis peut-être bizarre. Mais je tiens aux autres.