GARETH ∇ l'amour à trois, c'est extra.

« Allez mon cœur, debout. » La toute jeune mère – elle n’avait que vingt ans lorsqu’elle avait eu son fils, vingt-huit désormais – secoua le petit garçon de huit ans, profondément endormi. Ce dernier ouvrit les yeux avec beaucoup de mal et les braqua sur la jolie femme qu’il adorait. La femme de sa vie, en somme. Ils avaient, tous les deux, quelque chose de très fort. C’avait toujours été le cas. Plus fort qu’avec son père, même si les deux garçons s’entendaient bien aussi. Le temps que Gareth émerge, on aurait cru que c’était une journée comme les autres. Mais en réalité… dès qu’il réalisa que les vacances d’été étaient terminées, dès qu’il comprit que c’était de nouveau l’école qu’il allait affronter, il se crispa. Non, il ne voulait pas y aller. Alors qu’il regardait son bol de céréales assez bizarrement, les brimades qu’on lui faisait subir lui revinrent en tête. C’était en général pour tout et n’importe quoi : ils avaient besoin d’un bouc émissaire et l’avaient trouvé. C’était injuste. Gareth avait toujours trouvé ça injuste mais il n’y pouvait malheureusement rien. Son père ne prenait pas ces histoires au sérieux et sa mère n’avait pas su convaincre l’homme de la maison de laisser Gareth avoir des cours à domicile. Résultat des courses ? Les vacances étaient finies. « Ca va aller ? » lui demanda sa mère à plusieurs reprises. Le garçon ne répondait pas, chercha à se concentrer. C’était très difficile de ne pas se mettre à hurler : il n’avait vraiment pas envie d’y aller. Des larmes se mirent bientôt à couler sur ses joues.
Une semaine passa. Gareth, guilleret quand il n’y avait pas d’école, rentrait désormais le soir en pleurant à chaque fois. Son père finit par accepter de lui laisser prendre des cours à domicile et cela dura jusqu’à ce qu’il eut quinze ans, où il tenta de reprendre l’école. Ce fut plutôt réussi d’ailleurs, il s’en sentit très fier.

Gareth fit la moue. « T’es sûr ? C’est bizarre… » Son petit-ami du moment l’encouragea par un regard tendre avant de s’approcher pour lui voler un doux baiser. « J’ai vraiment besoin de toi pour cette peinture. Je suis sûr que ça rendra super bien… » L’adolescent de seize ans – qui se sentait bien mieux à l’école et avec ses camarades – hésita un instant. Shawn lui demandait clairement de se déshabiller pour lui servir de modèle. Il voulait devenir célèbre et avait le talent pour, il ne lui fallait qu’un modèle. Il l’avait finalement trouvé en la personne de Gareth qui finit par accepter. « Okay, mais te moque pas hein… » Il sourit. « Pourquoi je me moquerais ? Tu sais bien que je te trouve magnifique. » Shawn était sincère. Ils s’aimaient réellement tous les deux. Étonnamment, Gareth se prit agréablement au jeu. C’était sans doute grâce à la capacité de son copain pour le mettre à l’aise, ou aussi grâce à la peinture définitive qu’il observa de son corps, mais il eut presque l’impression de trouver sa voie. En plus de ça, il avait été utile à quelqu’un et c’était un sentiment d’immense bonheur pour le jeune homme.
Ce type-là cependant ne tarda pas à disparaître de sa vie. Pas qu’ils ne s’aimaient plus, mais ils n’étaient plus du même monde. Le tout jeune peintre qu’était Shawn réussit effectivement à se faire un petit nom dans le domaine, malgré son jeune âge. Il préféra s’y consacrer totalement et ce même s’il n’oubliait pas son tout premier modèle et amour. Gareth ne fut pas tellement triste de cette rupture, c’était juste… oh, peu importait en réalité. Il ne devait pas y être tant attaché, finalement.

« Nous apprenons ce matin le décès d’un jeune adolescent de vingt-deux ans. […] L’accident aurait eu lieu aux environs de deux heures du matin sur une route près de Londres. Rentré en collision avec une autre voiture, l'autre conducteur n’a pas daigné s’arrêter. Nous n'en savons pas plus quant aux responsables. » Gareth ne pouvait plus décoller les yeux des informations. Incapable de bouger, il sentit son cœur battre à fond contre sa poitrine. Le garçon se remémora alors la soirée de la veille, une nouvelle fois. « Je t’assure que je suis trop crevé pour conduire… » Il fit une moue boudeuse à l’intention de Kipling, un très bon ami. Ce dernier parvint toutefois à le convaincre de prendre la route. Gareth sentit plusieurs fois ses yeux se fermer. Très brièvement. Trop longtemps malgré tout. Ajoutez à cela l’ambiance guillerette de la voiture, les rires de Kipling, la musique à fond… Un bruit sourd suivit d'un choc surprirent vite les deux amis. Gareth ne tarda pas à paniquer : il était rentré dans quelque chose ! Ou quelqu’un ? Non, impossible. Les larmes aux yeux, il stoppa la voiture sur le bas-côté, juste un peu plus loin. Kipling commença cependant à l’engueuler pour qu’il continue à rouler, il s’exécuta. Ils avaient rencontré une autre voiture mais n'avaient, eux, rien du tout. Ce fut un Gareth totalement traumatisé qui se gara devant chez Kipling. Ce dernier l’invita à dormir : il valait mieux. Trop apeuré pour fermer les yeux, il quémanda à son ami de pouvoir malgré tout « dormir » avec lui, histoire de se rassurer. Il se leva très tôt le matin et voilà comment Gareth se retrouva devant les informations alors que son ami dormait toujours. « Non… non c’est pas po…possible… » Il avait enfin pu ouvrir la bouche. « Kipling ! » hurla-t-il en débarquant dans sa chambre. « Il.. il est… on l’a tué !! » Pauvre de lui, se faire réveiller de la sorte… Il fallut une ou deux heures afin de calmer Gareth qui finit par s’endormir de fatigue. Il promit à Kipling de ne rien dire à personne et de ne pas avouer à la police.
Et depuis ce jour ne prit plus jamais le volant. Son comportement en fut quelque peu modifié.

Maman,
Si je t’écris aujourd’hui c’est pour te parler de plein de choses. Je sais que papa et toi devez vous éclater pour votre tour du monde, et je l’espèce très sincèrement. Je ne voulais pas t’appeler… je n’aime pas ça, tu le sais bien. Je voulais t’annoncer que j’étais désormais en couple et très amoureux depuis un an et demi. Avec Kipling, tu sais, tu le connais un peu parce que je t’ai déjà parlé de lui dans une ou deux lettres. Oh il est très gentil si tu savais. Seulement… ce n’est pas tout. Je t’avoue que c’est très difficile pour moi de t’écrire ces mots, mais je sors avec un deuxième garçon depuis trois mois. Il s’appelle CaÎn, Kipling et moi l’avons sauvé de la mort. Il est aussi génial… on a eu un étrange coup de foudre. Je sais ce que tu vas en dire maman et je t’assure que je m’en suis un peu voulu, au début. Je l’assume parfaitement maintenant mais c’est toujours plus difficile de t’en parler à toi. J’avais peur que… tu me rejettes. Tu ne le feras pas, hein ?
Je mange bien ici à Londres. Je fais beaucoup de cauchemars, mais tout va bien.
Dans le meilleur des mondes, Gareth aurait envoyé cette lettre, en aurait eu le courage. Mais il était le pire trouillard sur cette terre… et la déchira. Tant pis. Sa famille ne connaîtrait pas l’existence de Caïn pour le moment, ce n’était pas faute d’avoir essayé.