J'ai tué pour elle. ✕ Julius/Tobias

Il fait noir. Il fait froid. J'ai horriblement mal aux bras et aux mains. Je n'arrive pas à les bouger. Ma tête est lourde. Je suis assis depuis des heures. Je me suis endormi comme ça. Comme chaque nuit depuis trois ans. Il va arriver. Je sens l'odeur du pain grillé. Comme tous les matins depuis trois ans. Il va ouvrir la porte. Il va me le jeter à la figure. Puis il va s'approcher. Il va me l'enfoncer dans la gorge jusqu'à ce que je l'avale. Et puis il va me frapper. Me frapper jusqu'à ce que je tombe. Je ne sens plus rien. Je suis rué de coups. Je dois avoir des tonnes de cicatrices. Surtout au dos, où il frappe sans s'arrêter. Je ne pleure plus, je ne crie plus, je n'y arrive plus. Ensuite, il va attendre que je retombe dans les vappes pour me déshabiller et me réveiller avec un jet d'eau qui me débarrassera un minimum de la crasse. Puis il me touchera. Il se touchera. Et il repartira. Je profiterais pour me débarrasser des liens qui accroche mes jambes et je vais courir. Je me débarrasse en criant des cordes autour de mes mains, j'attrape un clou par terre et lui plante dans le bras. Il me court après. J'arrive dans la cuisine et attrape un couteau. Je n'ai pas de forces, il m'a à l'épaule droite. Je saigne. Horriblement. Mais je ne sens rien. Enfin j'arrive à le planter dans le rein gauche et je m'enfuis.  
Je me réveille en sursaut. Le même cauchemar depuis cinq ans que j'ai réussi à m'enfuir. Qu'on m'a accusé. Puis qu'on m'a acquitté. Quatre ans que j'ai retrouvé mon père. Quatre ans qu'il me cache à Montréal. Et un an que je lui fais croire que je suis en voyage pour découvrir ce que je n'ai pas pu connaître. Accompagné de mon violon et de ma cigarette, j'ai décidé d'aller retrouver ma soeur jumelle, celle pour qui j'ai voulu tuer cet homme. Celui qui l'a violé cet été là. Et celui qui m'a gardé pendant trois ans. Elle pense que je suis mort, et fait une dépression. Mon père, pour qui je n'ai jamais eu un très grand amour a tout de même décidé de m'aider et de me donner son argent pour reconstruire ma vie. Quand à 18 ans je suis revenu vers lui, il m'a caché de ma famille pour ne pas leur faire subir un choc. Au début, je l'ai cru. J'ai pris un nouveau prénom, un nouveau départ. J'ai pris des cours, j'ai vu un psychiatre, je me suis ré-adapté au monde. Mais au bout de quatre ans d'isolement, j'ai décidé de reprendre ma haine pour mon père et je lui aie fait croire que je partais faire un voyage quelconque. Mais j'avais trouvé où était Cassia. Elle était à Londres. Et même si ce n'était pas l'avis de Papa, elle avait besoin de moi. Je m'en fichais éperdument de l'avis de mon père, et cela n'étonnera personne. Depuis bien longtemps j'ai décidé de m'éloigner de lui, mais Cassia ne m'a jamais suivi. Tant pis. Aujourd'hui, il faut que je le fasse. Il faut que j'aille la retrouver, à Londres. Et papa ne m'en empêchera pas. Je la ferais revivre, et non pas chuter encore plus. Elle va retrouver sa moitié, son frère, celui avec qui elle a toujours tout partagé, même si papa n'était pas pour. Il n'a jamais compris notre lien. Mais la seule bonne chose que cet enlèvement m'ait donné c'est que j'ai pris conscience que la vie n'est pas faite pour être gâchée, et qu'il faut tout tenter. Voilà un an que je suis à Londres et que je l'observe. Elle a changé, elle n'est pas heureuse. Elle n'est plus la petite fille rayonnante d'autrefois. Et cela me fait mal. Mais comment revenir vers elle après ces années, alors qu'elle croit même que je suis mort? Me croira t-elle? Accepteras t-elle que papa lui ait menti? Que je sois bien là, devant elle?