Il était relativement tard quand je m'étais retrouvée, presque par hasard, au beau milieu de cette petite ruelle du North London, à moitié dans la pénombre, à errer de bar en bar. J'avais déjà eu mon compte de bières pour la soirée ; j'avais enchaîné sans relâche les pintes en compagnie de plusieurs groupes de connaissances, tous plus inintéressants les uns que les autres.
Je détestais les gens d'ici, aussi fort qu'il m'était donné de le faire. Je détestais cette ville grise et brumeuse. Je détestais ces airs guindés que la populace à peine moyenne aimait se donner. Et par dessus tout je détestais leur nourriture. Tout était informe, fade, gris et gluant, du porridge douteux des cantines scolaires aux beans que papa avalait goulûment au petit déjeuner. J'avais faim, et je m'étais laissée guidée par l'odeur alléchante d'un petit bistrot caché entre deux bars à vins qui affichaient des prix exorbitants.
Des relents de friture vinrent me chatouiller les narines tandis que je m'installai à une table, loin des clients déjà assis. J'attrapai la carte et entrepris de m'atteler à sa lecture. Je sentis mon visage se décomposer un peu plus à chaque ligne, désespérant de trouver pour une fois quelque chose de goûtu à me mettre sous la dent. Mais à l'image du menu, tout paraissait sobre et sans fantaisie.
En poussant un soupir agacé, je reposai la carte et sortis mes cigarettes. Amusée, je défiai du regard une cliente de l'autre côté de la terrasse qui me regardait avec l'oeil rond et bovin de ces non-fumeurs anti-tabagisme qui lutte sans lutter et se contentent de nous dévisager aussitôt qu'on porte la-dite cigarette à notre bouche. A cet instant précis, je regrettai presque de n'avoir pas continuer à acheter du tabac à rouler comme j'avais pu le faire dans mes jeunes années, juste pour faire planer le suspense d'une éventuelle consommation de drogues.
En allumant ma cigarette, je gardai mon regard rivé sur elle, et la vit baisser les yeux sur son assiette et chuchoter quelque chose à l'homme à sa droite qui, en toute logique, devait être son mari. Il leva la tête, me jaugea du regard et quand je laissai échapper un sourire moqueur, il repartit dans la contemplation de son Welsh. Sa femme paraissait outrée, lui blasé, et quant à moi, malgré la faim qui me tordait le ventre, j'étais heureuse.
Emmerder le monde était un de mes passe temps favoris. J'aimais faire chier les gens, il fallait bien être honnête parfois. Et je faisais partie de ces pestes insupportables, trop bavardes et sans la moindre once de timidité qui s'amusait beaucoup de semer la zizanie entre deux personne, sans même avoir à ouvrir la bouche.
Tout en prenant une bouffée de fumée je rouvris la carte et malgré ma tête qui tournait déjà un peu, je choisis de relire une dernière fois la liste des cocktails. Une silhouette se profila dans la vitre derrière moi, et sans même me demander si cette personne était bel et bien employée, je l'apostrophai.
« Je prendrai un T-Sunrise, merci. Avec des glaçons. Ah et une assiette de frites ! »
Sentant la personne toujours derrière moi, je marquai une courte pause pour tirer une latte de ma cigarette et me retournai vers le grand brun qui se tenait toujours derrière ma chaise.
« Avec du cheddar à la place du sel sur les frites s'il vous plait, et du bacon si c'est possible ! »
L'avantage avec les gares, c'était qu'il y avait toujours du monde. Les gens se précipitaient pour avoir leur train et ne se rendait pas toujours compte de ce qu'il se passait autour. J'aimais exercer mes talents de voleur dans un coin pareil parce qu'au moins, je n'avais pas forcément à faire les choses difficilement. Il m'était même arrivé de trouver un porte feuille par terre une fois, comme si pour une fois, ce n'était pas moi qui venait à lui mais lui à moi. J'avais considéré le fait que de le trouver là avait été le destin qui l'avait envoyé, d'autant plus qu'il était bien fourni en argent liquide et que par conséquent, j'avais pu dormir trois nuits de suite à l’hôtel. Une autre fois, j'avais trouvé billet de cinquante pounds à terre, ce qui avait fait mon bonheur pendant un jour et demi. Décidément, les gens pouvaient parfois être très tête en l'air, surtout lorsqu'on perdait autant d'argent d'un coup. J'étais spécialiste en ce qui concernait trouver ce genre d'idiotie et je n'allais pas m'en plaindre. Lorsque j'aurais trouvé une situation stable, il était fort probable que je fasse particulièrement attention à mes prochains sous.
Sans oublier qu'en été, la masse de touriste atteignait son maximum et la boutique de Harry Potter y était pour beaucoup. Il y avait beau y avoir des annonces disant se méfier des pickpockets - j'étais loin d'être le seul à avoir cette brillante idée -, les gens ne faisaient pas attention pour autant. Sans parler de ceux qui ne comprenaient pas beaucoup l'anglais.
Je commençai à avoir sérieusement faim. La journée touchait à sa fin et la nuit commençait à tomber petit à petit. Les gens allaient et venaient, désirant prendre le train qui les emmèneraient chez eux. Quand arrivait le soir, l'affluence de gens étaient plus élevé que la normal pour cette même raison, ce qui m'arrangeait bien. J'avais pénétré dans la gare, les mains dans les poches. Les boutiques et petits resto m'ouvrirent encore plus l'appétit et mon ventre grinça à l'odeur de la nourriture. Je n'avais pas mangé ce midi, ni ce matin, si bien que c'était un supplice. La seule chose dont j'avais envie, c'était de commander à manger et de repartir comme si de rien. Bien évidement, ça ne sera pas possible sans argent, or je n'avais que trois pennys, ce qui ne m'amènerait pas bien loin. Je me mis alors à chercher du regard une victime parfaite pour pouvoir me nourrir. Non pas de la victime, mais grâce à ses sous, bien évidement.
Je me faufilai par ci par là, passant devant des groupes de personnes trop pressées contre elles même pour que je ne tente quoique ce soit. J'avais les yeux partout et je bougeait partout aussi, faisant même mine de chercher mon train pour ne pas paraitre trop suspect. Je passais devant les boutiques, puis devant un bar avec des tables en terrasse où des gens étaient assis. Au bout d'un moment, une cliente m'arrêta pour prendre sa commande. Visiblement, elle m'avait confondu avec un serveur. Ma première idée fut de rectifier son erreur en lui disant que j'étais seulement quelqu'un de passage. Finalement, à y réfléchir, je me disais que ça pouvait être une occasion. Je n'avais de toute façon rien à perdre et j'étais plutôt bon menteur.
"Un T-Sunrise donc? Avec des glaçons, une assiette de frites et du chedar à la place du sel ainsi que du bacon... noté. Ça ferait douze pounds s'il vous plait."
C'était avantageux d'avoir la carte sous les yeux pour pouvoir lire les prix et ainsi éviter d'inventer, ce qui pourrait me commettre en erreur. De toute façon, même si ça ne marchait pas, je m'en moquais pas mal.