(Abygaëlle&Rika) Millions Of Pieces

Ca ne m’arrivait pas souvent, mais aujourd’hui, j’avais très envie de sortir. D’aller faire les boutiques et tout ça, ça ne m’était pas arrivé depuis très longtemps. J’avais alors proposé à ma mère qu’on sorte un peu, qu’on aille faire un peu de shopping dans le centre de Londres. Elle était un peu réfractaire, parce que depuis quelques jours, j’étais obligée de toujours avoir ma bonbonne avec moi. Il y avait des jours où j’arrivais à m’en passer, grâce au traitement que j’avais suivi. Mais depuis deux-trois jours maintenant, il fallait que je l’ai avec moi, sinon, je risquais trop de tomber dans les pommes, ou pire. Du coup, l’idée de me promener en ville avec ma bonbonne, ma mère n’aimait pas ça, mais je lui avais dit que je refusais de rester enfermée à la maison alors qu’il faisait beau, et elle avait fini par accepter. On était donc parties plutôt du côté de Picadilly Circus.

Après avoir fait le tour de plusieurs boutiques, ma mère voulait aller retrouver une amie dans une mercerie. Ce n’était vraiment pas mon truc, du coup, je préférais trainer sur la place plutôt que de l’accompagner. Une nouvelle fois, elle craignait cette décision, et c’est d’un pas hésitant qu’elle allait retrouver son amie. Mais moi, j’avançais, trainant ma bonbonne derrière moi, faire la place. Il y avait une foule importante, et je me cramponnais à mon chariot, de peur de le perdre. J’avançais, jusqu’à ce que j’aperçoive un jeune homme avec de long cheveux en dread locks qui se prenait en photo. Naturellement, je lui proposais alors de le prendre en photo, souriante, et il accepta. Je posais ma bonbonne devant moi, à mes pieds, pour éviter que quiconque ne se prenne les pieds dedans.

Seulement quelques secondes plus tard, quelqu’un me bouscula, et par instinct, j’attrapais mon chariot, mais laissais tomber le portable du jeune homme. Il regarda son objet, et je baissais les yeux vers celui-ci également. Je réalisais en fait que je venais de détruire son téléphone. « Oh mon dieu ! » Je relevais les yeux vers lui, la bouche bée, les yeux grands ouverts. « Je… Je suis vraiment désolée ! » Je me baissais pour le ramasser, l’écran était complètement explosé. Je le tendais au jeune homme. « Je… Peut être qu’il marche encore ? Et que ce n’est que l’écran ? » C’était la chose la plus stupide que je pouvais dire.

Je me sentais vraiment bête d’avoir laisser tomber son portable. Je veux dire au pire ma bonbonne serait tombé, oui, ça m’aurait bien embêté. Mais elle n’aurait pas explosé, j’aurais juste eu besoin de la rebrancher comme il fallait, mais instinctivement, non, j’avais préféré lâcher le téléphone de ce jeune homme pour tenir  mon chariot. Et maintenant, je me sentais particulièrement ridicule, et vraiment très très mal. Je m’excusais et j’avais envie de m’excuser un million de fois supplémentaires parce que je me sentais vraiment très mal d’avoir laisser tomber son téléphone… Je veux dire, je l’avais trahi, il me faisait confiance en le laissant prendre une photo, et voilà… Je lui suggérais, en me baissant pour le ramasser, alors qu’il se baissait également, et en me relevant et en constatant l’ampleur des dégâts, que peut être qu’il marchait encore. « Peut être… » Il n’avait pas l’air trop énervé, ou peut être qu’il n’osait pas, j’en sais rien, il avait l’air assez calme…

J’avais envie de partir dans un trou de souris tellement je me sentais mal. Je me sentais vraiment mal d’avoir fait ça. Je ne pouvais pas le laisser, je sais que beaucoup de personne, dans mon cas, n’aurait rien fait d’autre que s’enfuir en courant, mais je n’avais pas envie de le laisser là, ça avait quand même l’air de bien l’embêter. « Mais c'est que du matériel, ça n'a pas d'importance. Ca va vous ? Il n'y a pas été de main morte, il ne vous a pas fait mal au moins ? » Quoi ? non mais il s’inquiétait vraiment pour moi. Wow. Ca c’était un mec gentil, ça ne courrait pas les rues, surtout de nos jours. Mais il n’avait pas à s’inquiéter pour moi, je veux dire… Son portable était explosé, et il me demandait comment j’allais. Sans doute à cause de l’immonde bonbonne… « Oui ça va, on dirait pas comme ça mais je suis plutôt robuste ! » lui répondis-je, avant de reprendre mes esprits. Non Aby, c’est pas de ça qu’il faut parler. « Mais c’est pas important ! Je viens de vous exploser votre téléphone là… » C’est vrai, franchement, savoir comme j’allais n’était pas une priorité. J’avais une maladie respiratoire, pas les os de verres ou la lèpre. Tant que je pouvais respirer normalement, oui, ça allait. « Je suis vraiment vraiment désolée… Je ne sais même pas quoi faire pour me faire pardonner. Je vous aurais bien donner mon téléphone, mais si ma mère m’appelle, elle risque de s’inquiéter donc bon… » lui dis-je en désignant mon chariot. C’est vrai, après tout, je n’utilisais quasiment jamais mon téléphone, je préférais rester devant l’ordinateur et je ne sortais pas beaucoup. Il n’y avait que Jonah a qui j’envoyais quelques messages, et des coups de fils à mes parents. Rien de plus. Mais si jamais ma mère essayait de me joindre pour qu’on se retrouve quelque part, et vu que c’est ce qu’elle allait probablement faire, et que je ne répondais pas, elle allait vraiment flipper pour le coup, et je n’avais pas envie de l’effrayer pour rien. « Et j’ai même pas d’argent sur moi pour vous dédommager… C’est pas possible… » Ca m’énervait d’être comme ça et de ne rien pouvoir faire pour aider ce pauvre jeune homme qui avait vraiment l’air gentil…

Cette situation me stressait au plus haut point, je me sentais mal. J’avais explosé le téléphone de ce pauvre gars qui avait pourtant l’air gentil. Je n’avais de wish list ou de trucs du genre, mais au moins, si un jour je devais y ajouter « exploser le téléphone d’un inconnu », je pourrais valider cette étape. Et je ne comprenais pas sa réaction. Il me demandait comment j’allais. Moi, je crois qu’on m’aurait éclaté mon portable, même si je ne l’utilisais pas beaucoup, j’aurais été très énervée. Bien entendu, je lui répondais que oui, j’allais bien, mais que ce n’était pas important. « Euh... Oui. » Il n’avait pas l’air plus convaincu que cela. Je veux dire, oui, il peut ne rien avoir à faire de son portable, ça coûtait quand même beaucoup d’argent… Si je pouvais, oui, je lui aurais donné mon portable, et ça semblait le surprendre, mais je pouvais vraiment m’en passer, c’était du secondaire. Mais à sa tête, je voyais bien que non, ça n’avait pas l’air de lui plaire plus que ça. « Ah non mais vous allez me mettre mal à l'aise là... C'était un accident, c'est tout. Y a pas mort d'homme et je me débrouillerai... Arrêtez... » Je l’ignorais plus ou moins et essayais de trouver une solution. Je ne pouvais pas le laisser là, comme ça. C’était nul de ma part. Limite il fallait que je lui donne de l’argent pour qu’il s’en achète un, mais je n’avais même pas le temps de finir ma proposition.

« Stop. » dit-il en posant ses mains sur mes épaules. Wow. Il me touche. Je le connais pas. J’avais pas vraiment l’habitude d’être dans ce genre de situation. Je le regardais, sans rien dire, sans trop savoir quoi penser… « C'est vraiment gentil de vous inquiéter, mais c'est qu'un téléphone, d'accord ? C'est pas grave, vraiment. Je me débrouillerai, c'est pas toute ma vie vous savez... » J’essayais de me calmer, il avait peut être raison. Je sentais mon cœur et ma respiration qui s’étaient un peu emballé. Il fallait que je me calme au plus vite, parce que ce n’était pas le genre de choses bonnes pour moi. Je baissais les yeux et respirais un bon coup. « Si vous tenez vraiment à me faire plaisir, commencez par vous calmer, d'accord ? Vous êtes entière, je le suis aussi, no stress... » Je relevais le visage vers lui. Bon, ok. J’essayais de me calmer au mieux, même si ce n’était pas vraiment évident. Je n’avais pas d’autres choix que de le regarder dans les yeux, ses mains toujours posées sur mes épaules. « Vous savez quoi ? Vous avez raison. Enfin, non, parce que je m’en veux toujours autant, et je suis infiniment désolée… » Je regardais un peu autour de moi, il y avait toujours autant de monde ici, à Picadilly, mais j’arrivais à percevoir un stand de boisson posé là, en plein milieu de la place. Je reposais le regard sur mon interlocuteur. « A défaut de pouvoir vous offrir un téléphone, est-ce que je peux au moins vous offrir un verre ? » J’espérais juste qu’il ne prenne pas ça pour une vieille technique de drague bien vaseuse, car ça ne l’était pas du tout, et puis, la drague et moi, ça faisait environ quinze milles… Mais ça allait juste m’aider à me sentir un peu moins redevable.