(✰) message posté Sam 18 Oct 2014 - 17:49 par Invité
in the end, we will remember not the words of our enemies, but the silence of our friends. ✻✻✻ Solitaire. J'avais vu le jour avec une sœur jumelle et le destin avait fait de moi un être né pour être seul. Un être né pour vivre seul. Un être né pour mourir seul. Après tout, cela était ce que mon existence avait fini par m'enseigner ; peu importe le nombre de personnes importantes dans une vie, un individu finit toujours par s'en aller de ce monde seul, seul avec lui-même, seul avec son âme, seul avec ses regrets et seul avec ses remords. Il n'existait pas de cercueil à deux places. La richesse de nos connaissances n'avait plus aucune importance lorsque nous finissions sous terre. Je déglutis avec difficulté, suffoquant presque dans cet espace trop petit pour nos peines. Les autres m'avaient toujours semblée être des personnes loin de ma propre réalité ; j'avais toujours eu l'intime conviction que je n'étais pas faite pour ce monde, pas faite pour cette existence. Pourtant, j'avais croisé la route d'Alexandra lorsque j'étais arrivée à Londres. Pourtant, malgré tout ce que je pouvais affirmer sur la personne que j'étais, j'avais fini par m'ouvrir à cette personne et lui faire confiance. Je n'avais plus été une seule âme perdue. Nous avions été deux. J'avais longtemps vécu sans ami, persuadée que je n'étais pas faite pour cette idée préconçue de la société. J'avais longtemps vécu sans autre âme suffisamment proche de la mienne pour me permettre de dire qu'il s'agissait bien plus que d'une connaissance. La réalité m'avait frappé lorsque j'avais sans doute été bien trop jeune pour la comprendre réellement. Puis, je m'étais accordée des écarts à mon propre mode de vie. J'avais trouvé des individus qui avaient semblé être crées pour moi. J'avais trouvé des personnes en qui compter, des personnes à qui donner ma confiance sans même y réfléchir à plusieurs fois. J'avais payé le prix de ces erreurs. J'avais payé le prix pour m'être ouverte aux autres. Je n'aurais sans doute jamais dû le faire, j'en avais conscience ; j'avais souffert, sans doute plus que nécessaire, lorsque je m'étais refermée sur moi-même. Je les avais fait souffrir aussi à cause de mes propres erreurs, à cause de cette vie que je n'avais jamais voulu. J'avais fait la bêtise de croire que le monde pouvait être différent. Je n'avais fait que me tromper, encore et encore. « Notre fierté ne nous a menées à rien. Notre fierté aura eu raison de notre amitié, du moins, ce que je pensais être une amitié. » déclara Alexandra, et mon regard se perdit sur le sol de la cage d'ascenseur. J'avais mal, presque, mal qu'elle puisse penser que je ne l'avais pas considéré comme une amie. « C'était une amitié. » marmonnai-je, lasse, perdue dans mes propres pensées. Pensait-elle que tout ce que nous avions bien pu vivre ensemble n'avait pas été réel ? Pensait-elle réellement qu'elle n'avait pas compté à mes yeux ? Je secouai la tête, à la fois attristée et usée par la situation. Nous avions pris la peine de tout détruire. Le pire avait sans doute été que nous l'avions fait à merveilles. Je me souvenais de ces instants à l'hôpital, ces instants où les évènements avaient dérapé par ma faute, par la sienne, par celle du monde et du reste. Je me souvenais presque de chaque mot et chaque parole qui avait été lancés ; je m'entendais prononcer l'impensable, je l'entendais me répliquer des propos pires encore. Nous avions été proches et pourtant nous n'avions pas hésité à nous déchirer. Nous n'avions pas hésité ne serait-ce qu'une seule seconde, simplement parce que nos deux caractères avaient été plus forts que notre amitié. « C’est tout ? Mon seul tort fut de me retrouver au mauvais endroit au mauvais moment ? Voilà la raison première de tous nos accrochages, de toutes ces horreurs qu’on a pu se dire ? Voilà ce qui nous a fait tomber ? Un mauvais timing ? » finit-elle par s'emporter, et je refusai de l'observer. Je regardai mes doigts. Mes mains tremblantes. Le reste de mon être figé probablement jusqu'à la fin de mes jours. Mon regard se perdait et je l'entendais presque penser à mes côtés. Le silence était assourdissant. Le silence me rendait folle, au fur et à mesure que les secondes voulaient bien défiler. « Je suis venue dès que j’ai su, Eugenia. Ta mère m’a appelé et je suis venue. Je n’ai pas réfléchi, c’est ce que font les amies, elles sont simplement… Présentes. C’est ce que tu aurais fait pour moi. Du moins, c’est ce que je pensais, je ne sais plus maintenant. » poursuivit-elle, et elle reprit avant même que je n'ouvre les lèvres pour protester. « Mais ce n’est pas moi qui suis dans ce fauteuil roulant. Ce ne sont pas mes sentiments qui avaient besoin d’être considérés, épargnés. J’aurais dû te laisser du temps, c’est de ma faute de ne pas t’avoir réduite à ton accident. Je te regardais et je passais outre. Je te regardais et je te voyais debout. C’est toujours le cas. » Elle s'arrêta à l'instant même où je sentis un frisson parcourir ma colonne vertébrale. Je sentais mes yeux s'humidifier sans que je ne puisse rien y faire ; je ne savais pas comment interpréter ses paroles, je ne savais pas comment interpréter son ton si froid et si distant. Je la connaissais suffisamment pour savoir qu'elle n'était pas à l'aise avec ces instants-là, avec ces moments-là. Mais justement, cela était sans doute le problème. Je la connaissais. Je la connaissais beaucoup trop. J'aurais aimé lui dire une centaine de choses mais les mots ne parvenaient pas à passer la barrière de mon esprit ; je demeurais muette, plongée dans ce silence qui ne parvenait même pas à me réconforter. Nous nous étions dits énormément de choses, au cours de ces dix-huit mois. Cependant, cela n'était pas les paroles que j'aurais souhaité lui adresser. Je n'avais fait que brasser de l'air. Je n'avais fait qu'être blessante et taire le reste. Rancune, rancœur. Encore une fois, la frontière entre ces deux notions me paraissait si lointaine que j'en venais à me demander où commençait l'une et où se terminait l'autre. « C'est pas de ta faute. Je t'ai poussé à bout. Je voulais simplement être seule et ma mère ne l'a pas compris. Elle n'aurait jamais dû t'appeler. » finis-je par murmurer. « Je refusais de voir la réaction des autres, je refusais d'impliquer ce qui m'était arrivé dans l'existence des personnes qui comptaient pour moi. Je refusais de comprendre que certains pouvaient aller au-delà lorsque que j'étais tout simplement incapable de m'y faire moi-même. J'avais l'impression que cela était encore pire que les regards dégoulinants de pitié. » Je m'arrêtai, passant une main sur mes yeux avant de finalement me redresser. Je fis tourner mes roues en surplace pour me retrouver face à elle. Mon regard se posa dans le sien, et je relevai le menton. « Ne crois pas que je m'en veux pas de t'avoir rejeté. Sur le coup, j'avais l'impression que de te faire fuir était la meilleure solution. C'était mon combat et pas le tien. Mais les semaines ont passé. Les mois aussi. Et je suis devenue une personne qui se réduit à son accident comme tu le dis si bien, et tout ce qui me restait était ma solitude, mes remords et mes échecs. Ça n'aurait jamais dû se passer de cette manière. Jamais. » Je m'arrêtai, et je déglutis en l'observant avant de détourner le regard. Mon discours était décousu, mes propos incohérents. Je lui donnai les informations que j'avais toujours eues sur le cœur sans savoir quelles seraient ses réactions. J'avais peur, peur pour nous, comme s'il restait quelque chose. Et pourtant, je le savais, Alexandra me l'avait fait comprendre régulièrement. Il ne restait rien.
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(✰) message posté Lun 20 Oct 2014 - 20:29 par Invité
Briser un schéma n'a jamais rien de facile. Il est plus aisé de le suivre machinalement, le reproduire encore et encore et éviter ainsi toute surprise, toute conséquence inattendue. Dix-huit mois que mes échanges avec Eugenia étaient emplis de violence au pire, limités au mieux. Dix-huit mois qu'il y avait tellement d'amertume, d'aigreur, que j'en oubliais d'être désemparée. Et aujourd'hui, nous nous décidions à emprunter un nouveau chemin. Ça a quelque chose de fascinant les gens qui courent à leur perte. Et je me surprends à espérer que ce ne serait pas notre cas. Que d'une manière ou d'une autre, nos prémisses de confessions serviront à autre chose que d'alimenter nos rancoeurs. Que mes propos incohérents, mes excuses dissimulées, mes désordres anarchiques ne resteront pas entièrement sans réponse. J'inspire lentement dans une tentative insensée de penser à autre chose que les battements de mon cœur tapant contre mes tempes, penser à autre chose que les crampes qui tiraillent désormais mes jambes, penser à autre chose que Eugenia qui se tourne vers moi et cherche mon regard du sien. Ne pouvions-nous pas nous épargner ? Simplement une fois ? « C'est pas de ta faute. Je t'ai poussé à bout. Je voulais simplement être seule et ma mère ne l'a pas compris. Elle n'aurait jamais dû t'appeler. Je refusais de voir la réaction des autres, je refusais d'impliquer ce qui m'était arrivé dans l'existence des personnes qui comptaient pour moi. Je refusais de comprendre que certains pouvaient aller au-delà lorsque que j'étais tout simplement incapable de m'y faire moi-même. J'avais l'impression que cela était encore pire que les regards dégoulinants de pitié. » Je reste silencieuse, retenant presque ma respiration pour ne pas l'interrompre avant d'avoir trouvé une réponse adéquate, une réponse qui serait à la hauteur, qui ne tomberait pas à côté, mal. « Ne crois pas que je m'en veux pas de t'avoir rejeté. Sur le coup, j'avais l'impression que de te faire fuir était la meilleure solution. C'était mon combat et pas le tien. Mais les semaines ont passé. Les mois aussi. Et je suis devenue une personne qui se réduit à son accident comme tu le dis si bien, et tout ce qui me restait était ma solitude, mes remords et mes échecs. Ça n'aurait jamais dû se passer de cette manière. Jamais. » Je serre la mâchoire lorsqu'elle reprend mon expression. Je ne l'avais entendue qu'une fois l'avoir déjà prononcée, j'avais espéré qu'elle ne heurte pas Eugenia. Pour une fois depuis longtemps, ce n'était pas mon but. Je ne sais pas modérer mes propos, taire les évidences même les plus dramatiques. Mon regard s'attarde sur son visage, prête à y lire le rejet habituel mais elle le détourne aussitôt et les battements de mon cœur se calment alors. Prête à entendre ce qu'elle avait voulu me dire. Prête à essayer d'y croire et à ne pas y voir une énième possibilité de dissoudre ce qui nous reste de relation. « Non, jamais », répétais-je machinalement dans un murmure. Je laisse un nouveau silence s'installer, quelques secondes. Quelques secondes durant lesquelles je me laisse lentement glisser contre le miroir du fond, prenant appui sur mes pieds et le dos contre le mur pour reposer mes jambes faibles. Je m'y résous en réprimant un regard agacé à la caméra du haut. Les paroles d'Eugenia résonnent en écho dans ma tête et je tente d'y trouver du sens, de repousser mes ressentiments pour y entendre ce qu'elle souhaitait me dire. Nous étions incorrigibles, capables d'une éloquence sans pareille pour nous détruire, puis incapables de trouver les mots pour nous épargner et faire preuve d’honnêteté. Il y a tout ces mots échangés que le temps ne reprendra jamais, les absences aussi, les plaies. J'avais voulu savoir si elle s'en était sortie, si elle allait bien, si elle s'était reconstruite, je comprends maintenant à demi-mots qu'elle ne l'est pas. J'aimerais lui dire aussi que ça n'a pas été facile pour moi non plus, que ça ne l'est pas. Que je sais que je renvoie cette image : ce désir de n'avoir besoin de personne, ce besoin de faire semblant d'aller bien, semblant d'avancer. Mais il y a ce paradoxe. Ce paradoxe d'avoir besoin de mes amis pour faire semblant. D'avoir besoin de mes amis pour continuer à croire que je pourrais m'en sortir un jour, aller mieux, guérir. D'avoir besoin de mes amis pour accepter que le fait d'avoir perdu l'homme que j'avais aimé ne signifiait pas que j'étais destinée à le rejoindre. D'avoir besoin de mes amis pour être seule. « Tu as fais ce que tu devais faire pour t'en sortir, pour aller mieux. C'est ce qu'on fait tous. Tu as voulu mené ton combat seule et le remporter seule. D'accord. Je peux comprendre ça. J'aurais pu comprendre », commençais-je simplement d'une voix aussi basse que la sienne. Voilà ce que je lui reprochais. De ne rien m'avoir dit. De ne me le dire que maintenant, dix-huit mois après, dix-huit mois trop tard. « Ne crois pas que je ne m'en veux pas de ne pas avoir su m'en rendre compte et m'accrocher », rajoutais-je dans un murmure en reprenant son expression et en m'autorisant à la regarder de nouveau. Et voilà ce qu'elle pouvait me reprocher. Elle ne me condamnerait jamais autant que je ne le faisais déjà moi-même. « M'accrocher pour toi d'abord et puis très égoïstement, pour moi, je n'ai pas décidé de ne plus avoir besoin de notre amitié. Je ne sais pas comment faire pour revenir en arrière et reprendre tout ce que j'ai dit. » Je ne sais pas si elle en a envie non plus, ni ce que ça voudrait dire. Je passe une main un brin nerveuse dans mes cheveux, fébrile à l'intérieur d'exprimer mes silences, luttant pour sembler impassible. Je lutte pour faire un pas vers elle, pour exprimer ma culpabilité, pour me repentir, un mouvement du cœur que je juge depuis longtemps comme une faiblesse de caractère mais qui me demande plus de force que je n'aurais jamais cru.
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(✰) message posté Lun 3 Nov 2014 - 18:49 par Invité
in the end, we will remember not the words of our enemies, but the silence of our friends. ✻✻✻ J’aurais aimé dire que nous étions fortes. J’aurais aimé dire que nous faisions partie de ces personnes qui ne se laissaient pas abattre, qui continuaient de se démener même lorsque tout semblait être voué à l’échec. Quelque part, cela était vrai. Quelque part, nous l’étions. Nous étions fortes. Aussi bien elle dans sa maladie que moi dans mon handicap, nous étions toujours là pour garder la tête haute et prétendre que rien ne nous atteignait, que nous continuerons malgré tout. Nous avancions à notre rythme, avec nos désillusions et nos peines, mais nous avancions quand même. Cependant, un côté de nos êtres était faible et nous entrainait vers le bas dès que nous acceptions d’échouer. D’échouer avec les autres. L’ironie de la chose était que nous nous laissions abattre par les sujets les plus futiles de notre existence. Je conservais la certitude que nous nous n’étions pas rencontré et plu pour rien ; nous avions été fondamentalement les mêmes sur certains points, nous plaisant dans ces ressemblances que nous comprenions. Je n’avais pas eu à lui expliquer mes choix. Je n’avais pas eu à lui expliquer mes réactions. Notre amitié n’avait pas été parfaite mais je m’étais plu à croire qu’elle me comprenait et que je la comprenais tout autant. Notre amitié n’avait pas été parfaite mais elle avait été suffisante, incomparable et précieuse. Ma gorge se serra quand des souvenirs qui revinrent me hanter. Je ne savais même plus si les choses auraient pu être plus simples, plus faciles. Je ne savais même plus si mes choix étaient les bons et si mes paroles suffisaient ; j’étais effrayée, effrayée de mal faire et de continuer à tout perdre même si j’avais la certitude que j’avais déjà tout perdu, en cet instant précis. J’étais incapable de soutenir son regard, incapable de soutenir ses jugements. Je l’avais si bien compris et, pourtant, Alexandra me paraissait loin, à des années de notre amitié et de ce que nous avions pu être. Un monde s’était installé entre nous en dix-huit mois. J’étais fautive. J’étais fautive et je m’en voulais. Je m’en voulais sans doute plus que nécessaire. « Non, jamais. » me confirma-t-elle. J’acquiesçai imperceptiblement. Le silence résonnait dans l’habitacle comme si la conversation était terminée. Ma confession restait au bord de mes lèvres, comme si elle n’avait pas été suffisante ; je peinais à prendre ma respiration de manière calme, et mon regard allait et venait sur le sol, incapable de fixer un point plus d’une poignée de secondes. Je ne parvenais pas à me concentrer et à me calmer. Je redoutai sa réponse, puisqu’elle m’avait trop habituée à me blesser ; je me préparais aux paroles acides malgré le silence empreint de quiétude de l’ascenseur. Tout semblait si calme comparé à ce qui se passait au sein de ma poitrine. Ce contraste déchirant ne faisait qu’affoler mon cœur un peu plus. « Tu as fait ce que tu devais faire pour t'en sortir, pour aller mieux. C'est ce qu'on fait tous. Tu as voulu mené ton combat seule et le remporter seule. D'accord. Je peux comprendre ça. J'aurais pu comprendre. » finit-elle par me dire. Cela était un reproche que je comprenais. Mon visage demeura fermé tandis que je repensais à ce à quoi elle faisait référence ; j’assimilais la teneur de ses mots mais je ne réussissais pas à imaginer les évènements se dérouler différemment. Je ne réussissais pas à m’entendre lui dire, il y a dix-huit mois de cela, C’est mon combat, Alexandra. Je n’étais même plus sûre d’avoir eu conscience d’être en guerre contre mon propre corps. Je gardai le silence, tandis qu’elle reprenait. Ne plus parler me semblait être bien plus facile que le reste. « Ne crois pas que je ne m'en veux pas de ne pas avoir su m'en rendre compte et m'accrocher. » ajouta-t-elle. « M'accrocher pour toi d'abord et puis très égoïstement, pour moi, je n'ai pas décidé de ne plus avoir besoin de notre amitié. Je ne sais pas comment faire pour revenir en arrière et reprendre tout ce que j'ai dit. » Je me mordis l’intérieur de la joue, jetant un coup d’œil vers elle avant de reprendre ma contemplation du sol. Malheureusement, ses propres mots criaient la vérité de notre situation ; nous ne pouvions pas revenir en arrière. Nous ne pouvions pas défaire ce que nous avions fait. Nous ne pouvions pas effacer les paroles que nous avions dites. J’étais la première à clamer que le passé était une chose qui nous paralysait dans le présent si nous passions trop de temps à nous y attarder et, pourtant, je faisais partie de ceux qui ne réussissaient plus à avancer à cause de leurs souvenirs. Je mesurais mes inspirations et mes expirations. Je ne savais plus quoi lui répondre, je ne savais plus quoi espérer. J’avais envie de fuir. Fuir pour me réfugier sous mes couvertures et pleurer. Fuir pour céder à la solution de facilité parce que j’étais fatiguée de sans cesse devoir être forte. « On ne peut pas revenir en arrière. » murmurai-je doucement. Je déglutis, fermant délicatement les paupières. Julian me l’avait déjà fait remarquer. Il me l’avait déjà fait remarquer plusieurs fois. J’étais condamnée à avancer. Nous étions condamnés à aller de l’avant. « Il s’est passé dix-huit mois. Un an et demi. On ne peut pas les… On ne peut pas les effacer comme ça. On ne peut pas oublier tout ce qu’il s’est passé, tout ce qu’il nous est arrivé, tout ce qu’on s’est dit. J’aimerais bien, pourtant. Crois-moi, j’aimerais bien. » Ma voix se brisa au fond de ma gorge. « On peut simplement avancer. Réapprendre. Mais je ne sais même pas si… Si ça serait possible avec toute cette amertume qui nous a animées. Avec toute cette amertume qui nous anime toujours. Je n’arrive pas à te regarder dans les yeux sans me dire que tu vas peut-être me blesser dans les secondes qui suivent, ou sans me demander si je ne suis pas moi-même en train de te faire du mal. Je ne sais même pas comment tu vas, Alexandra… Et ça me tue de me dire ça en sachant qu’il y a dix-huit mois tu aurais été la première que j’aurais appelée si j’avais eu un problème. » Je m’arrêtai dans mes paroles, secouant la tête, jouant avec mes doigts et mes ongles. Je tentai un nouveau coup d’œil dans sa direction mais je ne parvins toujours pas à soutenir sa présence, à soutenir son regard. Mon cœur me faisait mal dans ma poitrine et je me demandai quand est-ce que tout cela allait se finir. J’étais fatiguée. Fatiguée de ne plus savoir comment les choses allaient se dérouler. Mon destin m’échappait. Il filait entre mes doigts comme si j’avais tenté d’attraper de la fumée entre mes paumes.
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(✰) message posté Mar 4 Nov 2014 - 17:36 par Invité
M'efforcer d'ouvrir mon cœur comme je le faisais à présent était bien plus douloureux que d’entendre toutes ces horreurs sortir de ma bouche ces derniers mois. Cela demandait bien plus de courage. Ce courage qui m’avait manqué et qui me manque toujours. Ce courage auquel j’avais tourné le dos dès le premier rejet d’Eugenia. Trop effrayée de découvrir ce qui se cachait réellement derrière. Je repousse constamment les limites de mon corps, cherchant une issue, une échappatoire, défiant quiconque voulant m’en échapper ou pointant du doigt mon inconscience. Nul ne peut se permettre de graduer la douleur de chacun, d’évaluer leur mal être ou l’intensité de leur chagrin. Personne. Néanmoins, de mon point de vue, la situation d’Eugenia me paraissait infiniment plus douloureuse. Je ne pourrais pas y faire face, être prisonnière de mon propre corps. Pas quand chacune de mes décisions était prise avec la volonté de le faire plier sous le poids de mes exigences, le modeler, lui faire accomplir ce que les médecins s’acharnaient à m’interdire. Et ce, peu importe les conséquences. « On ne peut pas revenir en arrière. » murmura-t-elle et je sens mon cœur manquer un battement sous la coupe de sa déclaration. « Il s’est passé dix-huit mois. Un an et demi. On ne peut pas les… On ne peut pas les effacer comme ça. On ne peut pas oublier tout ce qu’il s’est passé, tout ce qu’il nous est arrivé, tout ce qu’on s’est dit. J’aimerais bien, pourtant. Crois-moi, j’aimerais bien. » Je hoche imperceptiblement la tête. Du moins, je l’imagine. La voix d’Eugenia semble résonner dans l’habitacle, l’un après l’autre, me laissant dans un tel désarroi de l’âme et ses sens que je demeure immobile, écoutant la cavalcade de ses mots résonner comme autant de coups semblant marquer la fin de notre amitié. Définitivement, comme si elle s’employait ici à réduire à néant les quelques bribes d’espoir pouvant encore parsemer mon cœur sans même que je ne m’en rende compte. Nous avions été écrasées par une fatalité que nous n’avions pas su déjouer. Par une fatalité pour laquelle les armes nous avaient manqué. Nous n’avions jamais été de taille à l’affronter, nous étions trop jeunes, toutes deux affaiblies. Nous n’avions jamais eu la moindre chance. « On peut simplement avancer. Réapprendre. Mais je ne sais même pas si… Si ça serait possible avec toute cette amertume qui nous a animées. Avec toute cette amertume qui nous anime toujours. Je n’arrive pas à te regarder dans les yeux sans me dire que tu vas peut-être me blesser dans les secondes qui suivent, ou sans me demander si je ne suis pas moi-même en train de te faire du mal. Je ne sais même pas comment tu vas, Alexandra… Et ça me tue de me dire ça en sachant qu’il y a dix-huit mois tu aurais été la première que j’aurais appelée si j’avais eu un problème. » Je me laisse guidée par sa voix, comme si rien ne dépendait vraiment de moi. Tout serait tellement plus simple, ainsi. Personne ne sait comment je vais. Pas réellement. Pas même moi. Une esquisse de sourire se dessine sur mes lèvres à cette réflexion. Je sais qu’Eugenia ne le comprendra pas, puisse-t-elle même le distinguer sous cette lumière terne, mais je n’essaie pas de le réprimer. Elle a raison. Je ne sais jamais si ce que je m’apprête à dire la blessera ou non. Je ne sais jamais si ce qui me blesse venant d’elle est volontaire ou pur accident. Avec le temps, je me suis plu à dire que ça l’était, volontaire, rendant le fait de lui en vouloir beaucoup plus aisé, presque excusable. C’est ainsi que je m’étais surprise à répliquer tout aussi violemment, plus, certaines fois. C’est ainsi que je m’étais surprise à lui dire des choses que je ne penserais jamais d’elle. Ces mois interminables à ressasser nos disputes, l’enchaînement des événements, la séquence de notre perdition. Je n’ai rien trouvé d’autre à faire que de me souvenir des pires moments et d’en oublier les bons. Je ferme les yeux un instant sous la force de leurs attaques à présent, ils revenaient par vagues, remplissant les blancs, effaçant les chaînons manquants. Je ne savais plus quoi dire. On ne pouvait pas revenir en arrière, non. Les mots me manquaient, les mots m’avaient toujours fait défaut. « J’ai du arrêter mes études il y a quelques temps, tu le sais déjà … Mais ça ne me réussit vraiment pas. Alors je me donne encore quelques mois et s’il n’y a aucune évolution, j’enfoncerais moi-même les portes de l’université pour obtenir mon diplôme avec force et panache. » me décidais-je enfin à murmurer, forçant un léger sourire sur mes lèvres pour marquer l’ironie de ma déclaration. Encore quelques mois, oui. Encore quelques mois à espérer une greffe, à espérer une évolution, n’importe laquelle. Quelques mois à mettre de l’argent de côté pour soulager Sam et essayer de suivre les recommandations des médecins, à savoir prendre soin de moi. Quelques mois et je déciderais enfin de passer outre et d’obtenir mon diplôme, malgré un avenir plus qu’incertain. Mais tout ceci n’avait pas à être dit, pas de but en blanc. Il ne s’agissait pas de ma santé pour répondre à cette question, pour lui dire comment j’allais. Pas seulement, il y avait plus important, plus essentiel. Je ne supporte plus de voir mes journées uniquement rythmées de séances et rendez-vous à l’hôpital entrecoupés de quelques photos étonnamment bien rémunérées. « Voilà ce que tu peux déjà savoir de moi, aujourd’hui. Ce n’est pas un sujet que j’évoque souvent ... Jamais, à vrai dire. » Je me permets un regard dans sa direction. « Je ne sais pas comment tu vas, non plus. » J’ignore si je parviens à paraître calme mais mes sens n’ont jamais été aussi affolés qu’à présent, perdue, désorientée de ne pas savoir anticiper la réaction d’Eugenia. J’aurais pu lui en dire plus. Il y avait tellement plus à dire mais ceci me demandait déjà suffisamment de force. Il ne s’agissait que d’un premier pas, une goutte d’eau supposée éteindre l’incendie de notre destruction mutuelle. Supposée tout du moins nous épargner le temps de cette soirée.
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(✰) message posté Dim 9 Nov 2014 - 17:37 par Invité
in the end, we will remember not the words of our enemies, but the silence of our friends. ✻✻✻ Ma mère m’avait souvent répété que tout finissait par s’arranger. Que, si les choses me paraissaient insurmontables à un moment donné, cela n’était pas une fin en soi. Que des instants meilleurs nous attendaient forcément par-delà nos peines et nos souffrances, qu’il suffisait simplement d’avoir foi en le bonheur. J’y avais cru, enfant. J’avais continué d’y penser quelques mois après mon accident, avant de finalement comprendre que l’existence humaine n’était que désillusions elle-même. Les personnes passaient leur vie à espérer, à penser à ce futur teinté de perfection qu’ils se créaient dans leurs esprits tourmentés. Mais, au final, l’espoir se révélait être le mensonge d’existences toutes entières. Je m’y refusais depuis des semaines, des mois, refusant le bonheur illusoire des pensées candides qui apaisaient les tensions d’un cœur. Je jetai un coup d’œil à Alexandra, tourmentée par des questions qui revenaient sans cesse troubler mon esprit. Et elle ? Avait-elle arrêté d’y croire elle aussi ? Avait-elle rendu les armes ou espérait-elle que le futur serait plus clément ? Le silence de l’ascenseur était assourdissant. J’entendais mes pensées hurler, crier, sans que je ne puisse ajouter quoi que ce soit à mes paroles. Je détestais être terre à terre. Je détestais être dénuée d’espoir mais j’avais appris, avec le temps, que cela me permettait d’avoir moins mal au bout du compte. La vie était trop dure pour que je puisse accepter d’endurer des souffrances inutiles. Tout du moins, cela était ce que je ne cessais de me répéter et je perdais doucement cette joie de vivre qui m’avait longtemps caractérisé. J’étais plus calme et plus fade qu’à mon accoutumée, perdue dans cette existence terne qui me convenait. Cela faisait des semaines que je m’enfonçais dans mes émotions pour les verrouiller, au fur et à mesure, l’une après l’autre, afin de ressentir le moins de sentiments destructeurs. Je pensais me protéger, quelque part. Mais, en réalité, je ne faisais que contribuer à mon propre malheur. J’étais d’un pathétique rare, d’une certaine manière. « J’ai dû arrêter mes études il y a quelques temps, tu le sais déjà… Mais ça ne me réussit vraiment pas. Alors je me donne encore quelques mois et s’il n’y a aucune évolution, j’enfoncerais moi-même les portes de l’université pour obtenir mon diplôme avec force et panache. » me lança-t-elle dans un murmure, brisant le silence qui existait entre nos deux corps. J’esquissai un sourire, amusée par sa répartie et par ses paroles, par cette force qui se traduisait dans ses paroles. « Je suis sûre que les portes de l’université en tremblent d’avance. » lui répondis-je doucement. Mais je savais que ces quelques mois étaient importants. Qu’il ne s’agirait sans doute pas d’une décision qu’elle prenait à la légère. Que ses plans pouvaient encore changé une centaine de fois avant qu’elle n’ait la possibilité de repartir à la conquête des bancs de l’université. Après tout, elle était comme moi, au fond. Nous étions toutes les deux des poupées brisées, des pantins aux mains des médecins. Et notre sort n’était plus entre nos mains et ne le serait probablement plus. Il fallait que l’on prenne des centaines de paramètres en compte pour nous permettre d’accéder à nos objectifs ou nous permettre d’avoir des rêves. Je pouvais facilement deviner qu’elle était fatiguée par son quotidien et la tournure de son existence. Elle n’avait jamais voulu de tout cela, pas plus que moi et ma propre condition. Nous subissions. Nous subissions toutes les deux. « Voilà ce que tu peux déjà savoir de moi, aujourd’hui. Ce n’est pas un sujet que j’évoque souvent... Jamais, à vrai dire. » ajouta-t-elle et je sentis son regard sur moi. J’hochai doucement la tête en jouant avec mes ongles, mal à l’aise. Elle me disait toutes ces choses comme si les choses n’avaient pas changé. Comme si j’avais encore une quelconque importance dans son existence, malgré les mois et les paroles. Je déglutis avec difficulté, mesurant le rythme de ma respiration pour conserver un calme paisible. Mais, au fond, je ne l’étais pas. Mes émotions se déchainaient au rythme des questions qui tourmentaient mon esprit troublé. « Je ne sais pas comment tu vas, non plus. » me fit-elle remarquer. Je sentis mon cœur rater un battement. C’était une question sous-entendue, subliminale, à laquelle je n’avais aucune réponse. Je passai doucement une mèche de cheveux derrière mon oreille, avant de lever la tête dans sa direction et détailler son visage faiblement éclairé par la lumière tamisée. Il y avait tant d’émotions qui m’habitaient que je ne parvenais pas à les dissocier correctement. Il y avait la colère. La tristesse. Le déni. Quelque part, aussi, le soulagement d’être encore en vie. La désillusion et l’absence d’objectifs. L’impression de ne plus réussir à avancer. Puis, aussi, j’avais un cœur aussi brisé que ma colonne vertébrale. J’avais l’impression de contenir un océan de sentiments dans mon être et de me noyer, continuellement, à l’intérieur. « Je vais bien, je suppose. Je n’ai pas tellement le choix. » murmurai-je, mes yeux cherchant les siens. Cela raisonnait comme un mensonge. Comme un mensonge que j’affirmais depuis des mois. « J’ai arrêté mes études. Il n’y avait plus d’intérêt que je m’acharne pour quelque chose que je ne pourrais jamais faire. Je passe la plupart de mes journées sur mon canapé à attendre que le temps passe et à me demander à quoi le futur ressemble. Je pense beaucoup à… A avant. J’ai des médicaments à prendre tous les jours pour la douleur et les spasmes musculaires, un infirmier à domicile, des séances chez le kiné et chez le psychiatre… Mon existence même tourne autour de ça. Je suis devenue mon handicap. » J’avais eu des projets, mais rien n’était plus réalisable. J’avais désiré entrer dans la police mais cela n’était désormais plus possible. J’étais perdue, perdue dans une existence que je n’avais pas désirée ; je subissais les conséquences d’un accident que je n’avais même pas causé. On m’avait souvent demandé si j’en voulais à ma sœur, complètement ivre, de m’avoir distraite dans un virage, cette fameuse nuit d’avril où j’étais venue la chercher. Je répondais tout le temps que non. Que je ne lui en voulais pas. Que je ne la considérais pas comme fautive. Je blâmais le destin, à la place, de m’avoir piégé. C’était de sa faute, après tout. Pas celle de ma sœur. « Ah, si. J’ai simplement continué le tennis, dans sa version adaptée. Mais je ne pense pas que cela fait de moi une battante. Ma vie est plutôt triste, à vrai dire. » J’avais honte d’admettre des choses comme cela devant elle. Devant elle qui continuait d’avoir des projets. Je sentis mes joues se couvrir de plaques rouges, l’embarras s’exprimant sur ma peau hâlée. Je me tordis les mains, ne sachant que faire de mes doigts. J’étais d’un pathétique rare, après tout. Je l’admettais moi-même.
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(✰) message posté Mer 12 Nov 2014 - 0:40 par Invité
Il m'aurait plu d’imaginer un futur rayonnant, un futur où je serais accomplie, un futur où tout serait possible. Mais il ne s’agissait pas de moi. Il ne s’agissait plus de moi depuis des années. Plus rien ne reposait sur mes épaules et rien n’avait jamais semblé aussi frustrant et dévastateur. Mes ambitions se heurtaient sans cesse au réceptacle de mes afflictions. Mais je ne pouvais l’avouer. Je ne pouvais le formuler à voix haute, jamais, à personne. Cette réalité était encore en train de trouver son chemin dans mon esprit. Si je me tenais à présent, devant elle, après tout ce que nous avions vécu, tout ce que nous nous étions fait subir, après ce que nous nous étions souhaité sans le penser, et qui s’était finalement réalisé. Si je parviens à lui parler ainsi malgré tout cela, c’est aussi parce que je prends sur moi, que je parviens à jeter un voile sur ma superbe, que j’en rabats de ma fierté. Cette fierté qui me détruirait. « Je suis sûre que les portes de l’université en tremblent d’avance. » me répondit-elle en adoptant le même ton que le mien. J'en suis un instant surprise, et rassurée. « C’est ce que j’aime à penser. » répondis-je d’un air mi-caustique, mi-indolent. Je lui étais reconnaissante de jouer le jeu, de ne pas me prendre à la gorge instantanément en me posant une multitude de questions pour lesquelles je ne disposais d’aucune réponse. Ni moi, ni les médecins. Personne. Je lui étais reconnaissante d’adopter cette même dérision. Comme si il ne s’agissait là que d’une plaisanterie. Comme si il ne s’agissait plus de savoir si oui ou non tout ceci était vraisemblable, crédible, réalisable. Dieu seul savait ce que je serais capable de faire dans quelques mois, Dieu seul savait si je serais encore là. « Je vais bien, je suppose. Je n’ai pas tellement le choix. » me murmura-t-elle en retour. Je laisse tomber doucement mes cheveux sur mes épaules, laissant mes mains venir se poser sur mes jambes, se crisper sur mes cuisses prises de crampes insoutenables. Mon regard s’accroche au sien, au travers de la lumière ténue. Je vais bien. Ce qu’on disait tous. Ça ne voulait plus rien dire. Mais nous n’avions pas le choix, en effet. « J’ai arrêté mes études. Il n’y avait plus d’intérêt que je m’acharne pour quelque chose que je ne pourrais jamais faire. Je passe la plupart de mes journées sur mon canapé à attendre que le temps passe et à me demander à quoi le futur ressemble. Je pense beaucoup à… A avant. J’ai des médicaments à prendre tous les jours pour la douleur et les spasmes musculaires, un infirmier à domicile, des séances chez le kiné et chez le psychiatre… Mon existence même tourne autour de ça. Je suis devenue mon handicap. » Mon cœur bat dans mes oreilles, je pourrais arrêter de respirer pour entendre ce que Eugenia me disait. Ce qu’elle acceptait de me révéler sur son quotidien. Tout me paraissait irréel. Jamais je n’aurais cru me retrouver avec elle une nouvelle fois, jamais je n’aurais cru obtenir ces confidences de sa part. Et que répondre à celles-ci à présent ? Je ne le savais que trop bien, il n’y avait rien d’écrit, il n’y avait pas de règles. La vie continue. Oui, la vie continue, salement, elle ne nous attend pas, elle se moque de nous, elle n’a pas besoin de nous. Elle continue. Ça ne m’avait pas aidé. Moi, j’avais voulu l’arrêter, pendant longtemps, lutter à contre-courant pour retourner dans un passé guère plus glorieux. Tout ira bien. Et je n’avais pas eu envie que tout aille bien non plus. Je ne veux pas m’habituer à ma situation, je veux pas m’y accommoder, m’y adapter. C’est la dernière chose que je veux. Je me bats, je m’épuise, je m’use à créer ce chaos dans ma vie plutôt que de m’y conforter. « Ah, si. J’ai simplement continué le tennis, dans sa version adaptée. Mais je ne pense pas que cela fait de moi une battante. Ma vie est plutôt triste, à vrai dire. » finit-elle par rajouter après quelques secondes. Cette confidence se perd dans l’habitacle, nos regards se confrontent quelques secondes. Elle semblait changée. Et toujours la même. Elle semblait fatiguée par la tournure que sa vie avait prise, affaiblie par les douleurs constantes auxquelles elle était confrontée. Mais je retrouvais son essence, ses précautions et ses habitudes. Je retrouvais son honnêteté et son humilité. Retrouvait-elle quoique ce soit en moi ? Il fut un temps où Eugenia avait toujours su quoi dire pour me remonter le moral, pour me faire oublier et rire. Il fut un temps où je savais également le faire pour elle. J’ignore si tout est perdu. Je la regarde et j’ai l’impression de retrouver mon amie. Je la regarde, et si je me le permets quelques secondes, je nous revois. Tout me paraissait si loin. C’était peut-être toujours le cas mais nous ne nous laissions plus l’occasion de le vérifier. « Pas de toi une battante ? Je monte les escaliers, je suis essoufflée. Il me faut un quart-d’heure pour m’en remettre. Alors je pense que tu peux te l’accorder. » lui répondis-je avec l’ombre d’un sourire sur les lèvres. Lui avouer ceci quelques minutes plus tôt, lui révéler que je l’avais toujours perçue comme tel, une battante, m’aurait sans doute écorché la bouche. Même si je le pensais, même si elle en doutait. À présent, ma gorge s’était serrée mais je suis satisfaite, apaisée de réussir à le lui dire, enfin, sans me cacher aussitôt derrière un sarcasme senti ou une remarque cinglante. « Nos vies ont été tristes. Puis elles se sont améliorées avant de devenir … ce qu’elles sont aujourd’hui. Nul doute qu’elles s’enjoliveront encore, d’ici quelques temps. C’est un cercle infernal, nous n’avons qu’à attendre. » reprenais-je quelques secondes plus tard, d'une voix monotone. Il ne s’agissait pas là du discours le plus optimiste qu’il soit. Je n’avais jamais été une optimiste, ni une pessimiste. Si Eugenia ne l’avait pas oublié, cela ne la surprendrait pas. J’avais plutôt tendance à m’amuser de cette noirceur, cette réalité qui se jouait de nous. Tout ce qui nous avait été donné, nous le recevrons à nouveau. Tout ce que nous avions perdu, nous en serions privés une nouvelle fois. « Je veux bien croire cependant que mon absence ait laissé un certain vide. » me risquais-je doucement à cette raillerie, en étirant mes jambes endolories devant moi. Je ne sais plus quelle position adopter, perdue entre ce que je voudrais lui dire, ce que je lui aurais dit il fut un temps, et ce que je ne sais plus être.
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(✰) message posté Dim 16 Nov 2014 - 20:34 par Invité
in the end, we will remember not the words of our enemies, but the silence of our friends. ✻✻✻ Une existence pavée de désillusion. J’avais l’impression que ma propre vie ne m’appartenait plus. Je n’étais plus maîtresse des évènements. Je me retrouvais piégée dans ma rancœur et mes pensées, piégée par mes désirs et la réalité. Plus rien ne semblait me convenir. Mon existence avait pris des tournures mélancoliques et je m’égarais dans mes sentiments. Je vivais dans le passé. J’en avais conscience et je ne faisais rien, absolument rien, pour que cela change. Je savais que je n’aurais jamais le droit à une fin heureuse. Un pan entier de mon existence m’avait filé entre les doigts et je ne cherchais même plus à le récupérer. Je ne parvenais pas à m’imaginer dans cinq ans. Dans dix ans. Dans cinquante ans, lorsque l’âge aurait fini par prendre possession de mes traits. Quelque part, malgré mon jeune âge, j’avais déjà l’impression d’être veille ; je me retrouvais emprunte d’une nostalgie que les autres individus de mon âge ne devait pas connaître et je me surprenais, parfois, à souhaiter que les choses finissent par s’arrêter. Je voulais mourir. Je savais que je le désirais. J’y pensais sans cesse. Je vivais pour finalement rendre mon dernier souffle. Je me demandais à chaque fois si la journée que je vivais était la dernière ; je refusais de m’attacher pour ne pas blesser les autres, pour ne pas être un fardeau qu’il ne méritait pas. Je repensais régulièrement à mes jeunes années, plus heureuses ; à chaque dispute avec Julian, je me réconfortais dans mes souvenirs, persuadée que cela était la chose la plus importante. A chaque réplique acerbe d’Alexandra, je m’étais souvenue de notre amitié, tentant de faire la part des choses. Ma vie était triste et remplie de désillusion. Je me trouvais incroyablement faible et pathétique, motivée par la simple retenue qui m’empêchait d’en finir réellement. Les jours s’écoulaient tous aussi ternes ; mes projets me paraissaient bien fades lorsque je songeais à ce que j’avais bien pu désirer, un jour. Cependant, je me gardai d’admettre tous mes ressentiments à voix haute, la pudeur venant m’empêcher d’affliger mes proches à cela. Mais, la vérité était que je ne parvenais plus à garder toutes ces choses pour moi. Mais, la vérité était que j’avais l’impression de me noyer et je ne supportais plus le silence assourdissant que je m’infligeais par moi-même. Je ne m’étais pas attendue à le dire à voix haute, faire part de mes pensées à Alexandra. Je ne m’étais pas attardée mais j’avais l’impression d’en avoir déjà bien trop dit ; je redoutais sa réaction et ses paroles, ses pensées et son avis. Du coup de l’œil, je la vis esquisser un sourire ; je demeurai silencieuse, en proie aux spéculations de mon esprit qui refusait de s’arrêter. « Pas de toi une battante ? Je monte les escaliers, je suis essoufflée. Il me faut un quart d’heure pour m’en remettre. Alors je pense que tu peux te l’accorder. » me lança-t-elle et je sentis mon cœur se réchauffer. Cela était sans doute le premier compliment qu’elle me faisait en des mois de rancœur. Je ne savais si elle avait prononcé ces paroles dans l’espoir d’enterrer notre hache de guerre de cette manière ou simplement parce qu’elle pensait réellement que je méritais ce titre de battante, mais je sentis mes joues rosir par une gêne passagère et agréable que je ressentais. Je m’étais attendue à tout sauf à cela. J’esquissai un sourire à mon tour, tournant la tete dans sa direction. « J’ai toujours été sportive, tu sais. Le tennis fauteuil ne représente rien par rapport à tout ce que je pouvais bien faire avant. » lançai-je. Je repensais aux joggings que j’avais eus l’habitude de faire, chaque matin. Puis mon esprit papillonna vers les entrainements intensifs que j’avais infligés à mon corps, sollicitant l’aide de Julian, mettant en jeu mon esprit de compétition pour repousser à chaque fois mes limites. Je secouai la tête. Cela appartenait désormais à mon passé, loin de tout ce que je pouvais bien être capable de faire le quart de toutes ces choses. Bien au-delà de me rendre dépendante des autres, mon handicap avait effacé une partie de mon identité. Je n’étais plus Eugenia, la sportive obsessionnelle prête à se dépenser de n’importe quelle manière. J’avais fini par n’être qu’Eugenia, la demoiselle prisonnière de son propre corps. « Nos vies ont été tristes. Puis elles se sont améliorées avant de devenir… Ce qu’elles sont aujourd’hui. Nul doute qu’elles s’enjoliveront encore, d’ici quelques temps. C’est un cercle infernal, nous n’avons qu’à attendre. » finit-elle par me dire. Sa voix était monotone, reflétant à merveilles le côté terne de nos vies. Je savais qu’elle avait raison, quelque part. Je lui adressai un sourire en songeant à ce cercle infini qui continuerait à se dérouler durant nos deux existences. Il ne pouvait pas avoir de hauts sans bas. Il ne pouvait pas avoir de bonheur sans malheur. De rire sans larmes. A la manière du ying et du yang, chaque chose se complétait, nous promettant des avenirs plus heureux et plus tristes encore. Je déglutis, avant de pousser un soupir. L’entendre admettre cela à voix haute m’attristait plus qu’autre chose. « Je veux bien croire cependant que mon absence ait laissé un certain vide. » J’esquissai un sourire en coin, ne sachant si j’avais le droit de rire ou non ; je l’observai s’étirer, ne tenant plus réellement en place. J’observai mon fauteuil, notant à quel point je n’avais pas à subir les impatiences de mon corps. Je passais ma vie assise. Une heure de plus ou une heure de moins ne changeait rien à mon quotidien. « Je pense que cela n’a pas aidé, effectivement. » lui répondis-je doucement, un même sourire flottant toujours sur mes lèvres. « Mais tu n’étais pas la seule à manquer à l’appel dans ma vie, tu sais. Pendant de longs mois mes seules fréquentations se sont résumées à ma mère, mon père, ma sœur et le corps médical de diverses cliniques. Je n’ai jamais reparlé… Aux autres. J’ai tourné le dos à énormément de personnes, toi incluse, Julian y compris. Je me suis enfermée dans une bulle. Il n’y avait que moi… Que moi et mon handicap. » Je continuais de me mordre l’intérieur de ma joue, ne sachant pas si lui admettre cela était une bonne idée. Je me focalisai sur ma respiration, sachant mes pensées, chassant mes craintes et mes doutes. Lorsque je repensais à cette période de mon existence, à cette période où j’avais rejeté le monde et les autres, je ne parvenais pas à réellement me souvenir de ce qu’il s’était passé dans mon existence ; la seule chose qui me revenait était un brouillard, un brouillard noir et dense. Je m’étais perdue dedans. Et je peinais encore à retrouver mon chemin.
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(✰) message posté Lun 17 Nov 2014 - 20:18 par Invité
L’espace proche semblait s’être rétréci. Nous étions coincées dans celui-ci, dans un ailleurs empreint de nostalgie, de rancoeurs enfin dévoilées et de misérables tentatives de composer avec ces dernières. J’aurais aimé tout effacer. J’aurais aimé tout envoyer valser dans un espace lointain, moins clair, plus brouillé encore que mes souvenirs d’enfants. Le mal-être d’Eugenia me paraissait incroyablement familier, me renvoyait au mien. Il était de plus en plus compliqué de faire semblant. Les marges de manœuvre se réduisaient de jour en jour. Je ne pouvais que me résigner à tenir debout, faire face le moins mal possible et apprendre à marcher, un trou dans le cœur et du vent dans la poitrine. Je n’avais pas pu réaliser qu’il en était de même pour Eugenia. « J’ai toujours été sportive, tu sais. Le tennis fauteuil ne représente rien par rapport à tout ce que je pouvais bien faire avant. » me répondit-elle et je hochais la tête simplement. Il y a quelques années encore, le sport représentait pour moi un échappatoire aux tensions quotidiennes qui parsemaient mon existence. Je me souvenais accompagner Sam à ses entraînements pour son concours. Je me souvenais me démener, m’épuiser, puis rentrer chez moi vidée, accomplie, satisfaite. Bien avant que tout me tombe dessus. Bien avant cet état d’affaiblissement permanent, de diminution, d’exténuation. Bien avant ces crampes musculaires déchirantes qui prenaient d’assaut mes jambes, mon dos à tout moment de la journée et se déchaînaient un peu plus encore la nuit. Bien avant tout le reste. Je serre les dents en sentant un nouveau spasme parcourir ma jambe droite. Je n’étais plus capable de tenir quelques heures sans me brancher à une machine pour me maintenir en vie, faire fonctionner mon corps. Je n’étais certainement pas capable de réaliser le tiers de ce que Eugenia accomplissait dans sa pratique. J’espérais pourtant en être arrivée à un certain stade. Je m’imaginais capable de lutter dans des situations inattendues. Longtemps partagée entre cet instant où je sentais la violence du mal qui me rongeait, et celui où je choisissais, de façon immédiate, ce qui me paraissait le plus nécessaire : surmonter le pathétique pour laisser place à l’orgueil, au rejet des supplices imposés. J’espérais avoir atteint ce palier où, après avoir tant subi, j’avais finalement réussi à rejeter cette posture de victime que j’avais si longtemps détesté. Ce n’était cependant pas possible pour tout. Alors, à mes yeux, elle l’était, oui, une battante. « Je pense que cela n’a pas aidé, effectivement. » m’accorda-t-elle comme réponse à ma tentative de plaisanterie. Je laisse échapper un rire silencieux. J’aurais voulu y croire. J’aurais voulu croire que nous étions sur la bonne voie. Que nous réussissions ici, pour une raison inexplicable et pour la première fois depuis des mois, à nous écouter. Que nous nous donnions une chance de faire les choses différemment, de modifier la fatalité qui s’était emparée des liens qui nous unissaient il n’y a pas si longtemps. Que nous nous étions toutes les deux accordées silencieusement pour décider d’une trêve. « Mais tu n’étais pas la seule à manquer à l’appel dans ma vie, tu sais. Pendant de longs mois mes seules fréquentations se sont résumées à ma mère, mon père, ma sœur et le corps médical de diverses cliniques. Je n’ai jamais reparlé… Aux autres. J’ai tourné le dos à énormément de personnes, toi incluse, Julian y compris. Je me suis enfermée dans une bulle. Il n’y avait que moi… Que moi et mon handicap. » Je retenais ma respiration. Je voulais faire face aux confidences qu’elle m’accordait. J’aurais voulu être à la hauteur, dans l’immédiat. Mais je peine à réaliser ce qui se passe. Je peine à retrouver les réflexes. Je crains de me laisser aller à me remémorer notre amitié, nos mécanismes, seulement pour devoir les abandonner sitôt libérées de cet habitacle. Je m’autorise à la regarder quelques secondes. Je la regarde, tentant d’y percevoir ce qui me manquait pour m’orienter. Ses mains semblent chercher en vain un endroit où se poser. Sa voix est basse, j’y perçois une vulnérabilité familière. J’aurais voulu être étonnée que cela me touche autant. Mais ça ne l’était pas. Je n’ai jamais considéré Eugenia comme une nouvelle ennemie, jamais, même si cela aurait été plus simple. Elle était mon amie, une de mes plus proches amies. Cette appellation avait seulement été complétée avec le temps ; elle était devenue une amie qui n’avait plus eu besoin de moi. Du moins, je l’avais cru. Et à présent, je ne crie pas victoire. Je n’ai rien gagné en l’écoutant me confier ses tourments. Je partage sa défaite. Je sais ce qu’est la perte. Je me mords la joue en l’entendant évoquer Julian. Je sais également comme elle nous habite, nous grandit, puis nous brise et nous laisse sans vie. Je me penche légèrement en avant, m’extirpant de l’obscurité. « Il aurait suffi d’un seul appel de ta part. » commençais-je, entre brisure et conviction. « Je comprends, maintenant. Ce n’est pas un reproche. Et puis, je ne t’ai pas laissé le voir, je me suis satisfaite de nos disputes, par fierté. Mais je sais, au fond, que je serais venue au premier appel. Encore aujourd’hui. » J’esquisse un sourire, presque imperceptible mais présent car je le pensais. Je n’ai pas eu peur de le lui dire. Pendant longtemps je m’en étais persuadée, je n’avais pas manqué à l’appel, il n’y en avait pas eu. J’avais été aveuglée. Je pouvais renoncer à mon orgueil pour le lui confier. « Je suis fatiguée. » murmurais-je après une pause. Aussitôt, je serre la mâchoire, consciente d’en dévoiler plus que d’ordinaire, confondue de l’avoir laisser échapper. « De me battre contre tout. » reprenais-je aussitôt. Je l’étais, j’avais beau me débattre, m’agiter, m’obliger. Je ne pouvais nier que l’épuisement gagnait peu à peu du terrain, il allait bientôt prendre toute la place si je le laissais faire. Et je n’étais pas comme elle. Je ne pouvais pas m’éloigner de mes proches, je n’arriverais à rien seule. Même si je ne le disais pas.
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(✰) message posté Sam 6 Déc 2014 - 11:09 par Invité
in the end, we will remember not the words of our enemies, but the silence of our friends. ✻✻✻ Des âmes brisées. Cela était ce que nous étions, au fond, sous nos grands airs et sans notre fierté perpétuelle. Des poupées de porcelaine brisées. Des pantins à qui on avait fini par couper les fils, tombés à terre sans vie, sans maître, sans aide. L’arrogance était sans doute la seule chose qui nous permettait encore d’avancer. La seule chose qui nous permettait encore de nous relever. Je ne savais pas si nous avions réellement du mérite à en être arrivées là où nous étions. Je ne savais pas si nos combats et nos batailles pouvaient être salués ou s’ils étaient vains, perdus dans l’oubli et le néant. Au fond, nous continuions d’avancer, mais qu’il y avait-il, au bout du chemin ? Je n’étais même pas sûre d’avoir la possibilité de nous reposer après avoir déposé les armes sur la ligne d’arrivée. Je n’étais même pas sûre d’avoir la chance d’un avenir meilleur, de comprendre que tout cela avait valu la peine. Je battis des paupières plusieurs fois avant de me contraindre à songer à autre chose. Mais je n’y parvins pas. Dans nos oppositions et nos disputes, dans notre relation qui s’était effritée peu à peu entre nos doigts, je me rendais compte que nous étions les mêmes. Que, malgré nos différences, ces mêmes similitudes nous reliaient, quoi que l’on fasse, quoi que l’on se dise. Nos situations étaient singulières mais animaient le même feu au fond de nos êtres. Nos situations étaient singulières mais nous étouffaient de la même façon, de la même manière. Je me mordis l’intérieur de la joue. Je me sentais aussi démunie face à elle que face à moi. Il n’y avait pas de solution pour nous. Les miracles n’existaient pas. Nos choix étaient limités ; soit nous nous accrochions, soit nous lâchions prise. Il n’existait pas de juste milieu. Il n’existait pas de solution alternative. Nous étions prisonnières de nos vies et de nos conditions, condamnées à avancer ou s’arrêter. La vie n’attendait personne, après tout. Elle ne veillait pas sur les personnes laissées sur le bord de la route ; malgré la chute d’un monde, malgré toutes les horreurs d’une existence, l’horloge de la vie ne connaîtrait jamais de pause. Il n’y aurait pas de répit pour moi. Ni même pour Alexandra. Nous étions condamnées. Condamnées à être fortes. Condamnées à continuer. Je ne connaissais pas son état d’esprit, mais je savais que, personnellement, je ne faisais pas tout cela pour moi. Mais pour ma famille. Pour les autres. Je dédiais le combat de ma vie à d’autres personnes plutôt qu’à ma propre âme. « Il aurait suffi d’un seul appel de ta part. » finit-elle par dire, coupant court à l’enchainement de pensées qui tourmentait mon esprit. Je sentis ma gorge se serrer. Mon cœur s’emballer. J’avais conscience de mes torts. Mais cela n’était qu’après, lorsque tout était déjà trop tard, que je m’étais rendu compte de l’étendue de mes erreurs. « Je comprends, maintenant. Ce n’est pas un reproche. Et puis, je ne t’ai pas laissé le voir, je me suis satisfaite de nos disputes, par fierté. Mais je sais, au fond, que je serais venue au premier appel. Encore aujourd’hui. » Il y eu un silence dans l’habitable. Un silence durant lequel mes pensées en profitèrent pour s’entrechoquer les unes contre les autres. Un silence durant lequel je songeais à toutes ces fois où j’avais bien failli céder afin de reprendre contact. J’avais cru être forte en m’empêchant de n’appeler personne. J’avais cru faire les bons gestes et les bons choix. Mais je m’étais trompée. Julian s’était bien appliqué à me faire comprendre, depuis, que je ne prenais jamais les bonnes décisions. J’avais fini par me faire à cette vérité blessante. « Je pensais bien faire. » lâchai-je dans le silence, renfermant mon cœur et mon visage. J’aurais pu pleurer de frustration. Pleurer de colère. Pleurer, pleurer toutes ces choses qui m’animaient. Je sentais mon cœur fondre en larmes dans ma poitrine tant toutes ces choses me paraissaient insurmontables. Irréparables. Des âmes brisées. Au fil des secondes, cette appellation me semblait de plus en plus appropriée. Le silence semblait presque réconfortant. Je tentais de réorganiser mes idées mais la confusion dans laquelle je me trouvais était singulière. Je ne savais pas par où commencer. Je ne savais pas comment trier mes idées. Comment trier mes pensées. La réalité, une nouvelle fois, semblait me dépasser, et mon esprit refusait de suivre le rythme effréné de mes émotions. « Je suis fatiguée. » La voix d’Alexandra, dans un murmure, s’éleva. « De me battre contre tout. » compléta-t-elle. Alors, je m’autorisais un regard vers elle pour détailler son visage fatigué. J’avais noté ces signes dans un creux de mon esprit. J’avais noté ses hantés et sa peau pâle. Cependant, la rancune m’avait forcé à ne pas y songer. La rancœur m’avait convaincu d’oublier, d’oublier encore et encore, d’oublier parce que cela était bien plus facile. Je comprenais ses mots et ses sous-entendus. Je comprenais que son combat était de plus en plus difficile à mener. Qu’être courageuse, malgré tous les mots d’encouragement de ses proches, n’était pas une chose aisée et facile. Je déglutis avec difficulté. Malgré la bonne volonté que l’on pouvait y mettre, avancer semblait si insurmontable, parfois. « Bientôt, ça ne sera plus que de mauvais souvenirs. » lui lançai-je doucement, hésitante quant à mes paroles, guère habituée de m’autoriser de tels mots. Je contrôlai ma respiration. Je m’intimai au calme et au silence, agitée par la difficulté de l’exercice. « Prouve au monde que tu ne te laisses pas abattre, Alexandra. Prouve au monde qu’il en faut dix fois, cent fois plus pour t’achever. Parfois, c’est la seule chose qui nous reste, à laquelle on peut encore se raccrocher. » Ma gorge se noua. Elle se noua parce que je savais à quel point il était plus facile d’arrêter que de continuer. Elle se noua parce que je ne souhaitais cela à personne et que, malgré tout, cela touchait quand même les autres. La vie était dure. La vie était difficile. Et, parmi tout cela, nous n’étions que des êtres fragiles. Des âmes brisées. Brisées en mille morceaux, mille éclats rependus au plus profond de notre cœur.
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(✰) message posté Jeu 11 Déc 2014 - 17:18 par Invité
Je n’étais pas sûre de pouvoir expliquer ce qui était en train de se passer dans cet ascenseur si l’on me le demandait à la sortie. Je n’étais pas certaine de suivre les embranchements que nous saisissions, je n’étais pas sûre non plus de comprendre où ils nous conduisaient et ce qu’il adviendrait une fois dehors, une fois de nouveau propulsées dans nos réalités, ce qu’il en resterait. Le temps passait et creusait en moi un vide douloureux. Pour la première fois depuis dix-huit mois, nous tentions de nous le faire comprendre, au travers de sous-entendus et de révélations plus crues. Il fallait réussir à voir clair dans ce brouillard, il fallait réussir à s’en imprégner avec justesse, cette justesse qui nous avait manqué. « Je pensais bien faire. » me répondit-elle sobrement. Et ces simples mots suffirent pour clore le sujet. Je ne savais plus très bien ce que nous pouvions nous dire de plus sur les raisons de nos affrontements. Il y avait tout ce temps écoulé que les mots ne combleraient jamais. Les fautes étaient partagées. Je pouvais toujours m’acharner à le penser, une petite voix résonnait dans le fond de mon esprit. Une petite voix me murmurant que, si Eugenia pensait bien faire, ça n’avait pas été mon cas. J’avais su dès le début, j’avais su dès le premier coup bas infligé à son encontre que tout ceci était injuste. Je ne pensais pas bien faire, j’avais été blessée et j’avais voulu blesser à mon tour. Je n’avais pas pensé bien faire. Et Eugenia ne me le reprochait pas. Pas à haute voix tout du moins. Cela ne faisait qu’accroitre ma culpabilité. Je peux également percevoir cette envie de pleurer sur ses traits. Cette expression qu’elle efface aussi vite qu’elle s’est infiltrée. Je laisse mon regard errer sur le haut de la cabine. Je comprenais cela aussi. Je comprenais finalement beaucoup de choses lorsque je m’en laissais l’occasion. J’aurais voulu pleurer également, de nombreuses fois. Sangloter sans retenue, sans pudeur, laisser couler ma peine et mes douleurs sans que personne ne me voit ou ne m’entende. Et je ne le faisais jamais. Car je savais ce qui se passait dans ces moments là, quand on se risquait à ouvrir cette boîte, quand on se laissait aller. Je sais que les larmes en appellent d’autres, qu’on s’habitue au goût de leur sel. Alors je ne pleure plus. Et c’est le cas de nombreuses autres personnes. Comme si personne n’osait être vraiment triste, affecté. Personne n’osait être heureux non plus. Personne n’osait ressentir quoi que ce soit. J’ai cette impression d’être coincée dans un espace de la mort et de la vie, coincée dans une halte dans le temps dont je voudrais m’extirper plus que tout. Et les mots s’échappent d’entre mes lèvres sans que je n’ai le temps de les retenir. Je m’arrête aussitôt, me demandant si Eugenia les avait entendus, si elle les avait compris. Mon coeur bat si fort, j’ai l’impression qu’on ne peut entendre que lui dans l’ascenseur et je me concentre pour le calmer. « Bientôt, ça ne sera plus que de mauvais souvenirs. » Je souris vaguement à l’entente de ses paroles et m’autorise un regard dans sa direction, tentant de percevoir chez elle le moindre signe indiquant qu’elle y croyait réellement. C’était le genre de phrases que j’accordais à ma sœur, à oncle Bob ou à mes anciens camarades de promo lorsqu’ils me demandaient de mes nouvelles. C’était le genre de phrases que je balançais à tout va, un sourire accroché aux lèvres, pour rassurer tout le monde autour de moi. En vu des confessions d’Eugenia quelques minutes plus tôt, je pouvais deviner qu’il en était de même pour elle. Et étrangement, je lui en étais reconnaissante. Entendre ces paroles sans en être l’auteur était plus rassurant que je ne l’aurais imaginé. « Prouve au monde que tu ne te laisses pas abattre, Alexandra. Prouve au monde qu’il en faut dix fois, cent fois plus pour t’achever. Parfois, c’est la seule chose qui nous reste, à laquelle on peut encore se raccrocher. » rajouta-t-elle enfin. Je passe une main dans mes cheveux, rejetant les quelques mèches tombant sur mon visage, pour me donner une contenance. Tout ceci était étrange, singulier, inhabituel. La maladie, la souffrance, l’ombre de la mort, jamais je ne les évoquais. Je m’y employais, même dans mes plus grands débordements. Et je m’observais à présent le faire en compagnie d’Eugenia. J’avais cette impression d’être en dehors de mon propre corps, flottant au dessus de l’habitacle, m’épiant, moi assise à même le sol, face à elle dans son fauteuil en face. Le temps était passé, nous avions toutes les deux changé, évolué et plus les minutes passaient, plus je me rendais compte que nous n’étions finalement pas si éloignées. La vie était faite ainsi, la vie avait fait en sorte que nous évoluions dans la même direction, combattions les mêmes combats. Tout ceci remuait en moi de vieux souvenirs et d’anciennes mélancolies. « Mais c’est ce que je crois vraiment. » lui répondis-je après une inspiration, allant dans son sens avec plus de facilité que je ne l’aurais cru. « Je suis fatiguée et peut-être qu’on a le droit de l’être finalement. Mais il en faudra plus pour nous mettre à terre. Toi comme moi. » Je hoche la tête doucement. Ceci je n’en avais jamais douté. C’était dur, de plus en plus ardu, de plus en plus de déceptions et de coups infligés à nos corps et nos esprits. J’étais fatiguée, harassée mais je ne n’irais pas à terre, pas tant que j’en avais le choix, tant qu’il me restait un tant soit peu de libre arbitre. « Je ne dis pas ce genre de choses normalement. Je suis désolée que ça soit tombé sur toi. » rajoutais-je en haussant les épaules. J’avais l’habitude de m’excuser pour chacune de mes faiblesses, à chaque fois que je considérais faire un écart de ma ligne de conduite, celle qui exigeait de moi que je ne laisse jamais rien paraître. Les autres n’avaient pas à l’endurer, alors je m’excusais. Il y avait beaucoup de choses pour lesquelles je devais demander pardon.