lorella (+) i'm awesome. that's my second name.

27 mars 2013.

Il arrivait à Lorella de ne pas vraiment savoir pourquoi elle sortait – et encore moins toute seule. Ce n’était pourtant pas les amis qui lui manquaient : son portable passait son temps à vibrer toute la journée, croulant presque sous la masse de textos qu’elle recevait. Sans mentir, la jeune femme avait un cercle de connaissances plus que larges, il lui arrivait même parfois de penser qu’elle ne voyait pas vraiment l’intérêt de connaître autant de monde si ce n’était au final pour n’avoir personne avec qui sortir.
La jolie brune avait cependant décidé que ce soir, elle sortirait seule. Et alors que les New-Yorkais parcouraient les rues autour d’elle, l’air plus pressés les uns que les autres, elle s’arrêta quelques instants, avant de consulter sa montre, puis sa tenue. Elle n’était certainement pas assez habillée pour se permettre d’aller à une soirée sur Manhattan, donc elle allait plutôt opter pour un quartier plus modeste…Fouillant sa mémoire pendant plusieurs minutes, plantée là sur le macadam, elle tâchait de se rappeler le nom du pub qu’elle avait fréquenté lors de l’une de ces soirées…La façade du bar lui revenait parfaitement, mais elle était incapable de se souvenir du nom pour le moment. En revanche, elle était certaine de se rappeler qu’il se trouvait dans Brooklyn, quartier de New York où elle habitait. Elle sourit. Elle pourrait peut-être même se permettre de revenir à pied jusque chez elle en essayant de ne pas se faire agresser. Puis elle jeta un œil sur sa tenue, qui se composait d’un pantalon noir moulant – mais pas trop – et d’un joli pull bleu clair décolleté. Du moment qu’elle n’arborait pas de jupe ou de robe, tout irait bien. Dans le pire des cas, elle se résoudrait à reprendre un taxi…
Elle en héla justement un au passage, regrettant de ne pas avoir pris sa voiture ce matin-là pour se rendre à l’université. Elle avait eu une courte journée, mais elle était restée sur le campus après les cours pour travailler un peu, profitant du fait que c’était l’un de ses jours de congés au Disney Store.

Lorella se laissa bercer par la circulation new-yorkaise et par les mouvements du taxi qui se faufilait entre les voitures. New York était parfois un calvaire pour les automobilistes, mais la jolie Italienne avait fini par s’y faire – cela dit, si elle était complètement honnête, il lui arrivait plus d’une fois d’en avoir ras-le-bol des bouchons interminables, et c’était l’une des raisons pour lesquelles elle optait parfois pour le taxi et plus rarement, pour le métro. Ses parents continuant de lui envoyer de l’argent pour ne pas se sentir coupable de l’avoir éjectée d’Italie, elle ne voyait pas pourquoi elle se priverait de le dépenser, à fortiori lorsqu’ils ne lui demandaient pas de leur rendre de comptes.

18 mai 2013.

Il y avait beaucoup d’Italiens à New York, Lorella avait largement eu le temps de s’en rendre compte depuis qu’elle était arrivée. A quinze ans cependant, on remarque surtout la différence, ce qui nous démarque des autres, pour avancer la tête haute. C’était un peu sa mentalité à l’époque – être différente, c’était bien, elle se faisait remarquer et c’était tout ce qu’elle voulait.
Au fur et à mesure du temps qui passe cependant, l’Italienne se rendait rapidement compte que finalement, « être comme tout le monde » avait ses avantages. Elle se fondait aujourd’hui volontiers dans la masse, et retrouvait avec plaisir ses compatriotes Italiens exilés à New York, pour une raison ou pour une autre.
Parmi ses amis Italiens, Lorella retrouvait une large variété de caractères et elle avait plus ou moins d’affinités avec les uns ou les autres, même si généralement ils se contentaient de parler tous en même temps dans leur langue natale et d’éclater de rire bruyamment, comme seuls les Italiens savent le faire. Mais parmi cette bande d’amis, la brune adorait retrouver une jeune fille en particulier. Camelia et Lorella n’étaient pas forcément parties sur une base réellement amicale au début, mais avec le temps elles avaient fini par se rapprocher. Aujourd’hui elle n’aurait guère su comment qualifier sa relation avec la jolie brune aux yeux bleus, mais elle adorait la retrouver et passer des heures à parler avec elle. Les repas qu’elles se concoctaient prenaient généralement très difficilement fin, puisqu’étant toutes les deux plutôt bavardes, une fois lancées il était quasiment impossible de les arrêter.

Debout dans son appartement, Lorella sourit toute seule et ouvrit les portes de son dressing, l’œil critique. Leurs dîners étaient toujours détendus et relaxants, mais elles aimaient toutes les deux à s’habiller avec soin. Après tout, l’Italie était le pays de la mode, et elle n’allait certainement pas partir chez Camelia vêtue d’un jogging. L’Italienne soupira ; c’était un jour où visiblement, elle serait mécontente quelque soit la tenue qu’elle porterait. Elle jeta plusieurs robes sur son lit, et finit par s’asseoir dessus, dépitée. Elle aurait pu avoir trois mille robes en sa possession, c’était toujours le même combat au moment d’en revêtir une.
Elle passa plusieurs minutes à repasser la robe bleu ciel qu’elle avait fini par choisir, après avoir déniché la parfaite paire de chaussures qui irait avec, et prit la direction de la salle de bains. Elle n’était peut-être pas du genre à y passer une heure, mais lorsqu’elle en ressortit, ses cheveux bouclaient légèrement au milieu de son dos, encore un peu humides, laissant quelques gouttelettes perler sur le tissu fin et soyeux de la robe. Elle se planta devant le miroir en pied et sourit à son reflet. Elle était prête.

21 juillet 2013.

Lorella se sourit à elle-même à cette pensée, à des kilomètres de penser que le cours de sa soirée allait bientôt changer radicalement. Elle empaqueta tranquillement ses affaires, jeta les restes de son repas à la poubelle et passa une main dans ses cheveux, cet air décontracté qu’elle arborait souvent s’installant de nouveau sur ses traits harmonieux. Elle vérifia un instant l’état de son visage dans un miroir de poche, son côté coquet revenant à la charge, lissant légèrement la peau de son front, remettant en place une mèche rebelle. Elle se sourit de nouveau, satisfaite de son apparence, l’humeur légère et joyeuse comme c’était souvent le cas ces derniers temps. Il lui semblait que sa vie new-yorkaise se déroulait de mieux en mieux et si ce n’était que le début des évènements, elle avait réellement hâte de savoir ce que l’avenir lui préparait.

Elle n’eut pas besoin de se poser la question bien longtemps, alors que le bruit caractéristique des talons claquant contre le parvis se fit entendre. Intriguée, elle entendit tout juste son prénom prononcé dans son dos et se retourna, un large sourire aux lèvres, persuadée de faire face à Viviane, la Française avec qui elle allait passer les quelques heures à venir. Aucun son ne sortit de sa bouche, pourtant grande ouverte alors que la jeune femme devant elle n’était autre que Samira. Son ancienne meilleure amie de lycée, Samira. Celle-là même à qui elle avait confié une tonne de choses, sur sa vie personnelle et familiale, plus ou moins importantes…Samira. La seule et l’unique, celle qui avait quitté New York et les Etats-Unis en toute hâte après l’obtention de leur bac.
Lorella chancela presque sous le coup de la surprise, n’arrivant pas à croire ce qui lui disaient ses yeux ; l’espace d’une seule seconde elle crut halluciner. Elle ferma lentement la bouche, et entendit la Brésilienne face à elle lui demander si elle la reconnaissait. Malgré elle, un léger rire s’échappa de ses lèvres, sur lesquelles elle plaqua aussitôt la main. Son ancienne amie avait semblé légèrement déstabilisée l’espace d’un instant, mais l’Italienne ne s’attarda guère sur les réactions de Samira et ferma un bref instant les paupières. La période du lycée…Son combat pour s’accepter complètement, ses doutes vis-à-vis de Meylin, sa copine de l’époque. Le soutien sans faille de sa meilleure amie. Son bonheur, aussi temporaire qu’il ait été, d’être enfin en couple et bien dans ses chaussures, ne plus avoir à se cacher…
Lorella ouvrit les yeux, un sourire nostalgique sur les lèvres, les traits de son visage exprimant le même sentiment.

« Samira…Mon Dieu, ça fait tellement longtemps… »

Elle en aurait presque été mal à l’aise de revoir la jolie Latina tant d’années après leur première rencontre, mais Lorella était rarement autre chose que joyeuse et épanouie, il fallait bien l’avouer. Elle ne réfléchit pas plus de deux secondes, et la joie finit par s’imprimer sur son visage, ne laissant place à aucune autre émotion. Spontanément, elle franchit les quelques pas qui les séparaient, et enlaça Samira, tout simplement ravie de la revoir.

27 décembre 2013.

Une énième fête auquelle Lorella avait été invitée, une énième fête auquelle elle n’avait pas la moindre envie d’assister. A vrai dire, la jeune femme n’avait envie de strictement rien ces derniers jours, et ce depuis le départ de Samira auquel elle ne s’habituerait probablement jamais. La Brésilienne avait fait irruption dans sa vie d’une manière brutale et inattendue, elle avait disparu de ses journées de la même façon. Avec une longue lettre sur laquelle Lorella avait longuement pleuré, elle avait même dû la poser et aller faire un tour dans son quartier pour se changer les idées – enfin…essayer. Elle était rentrée, avait contemplé longuement l’idée de déménager en Australie, puisque c’était là-bas que Samira était retournée, retrouver son ex probablement, Marina, celle avec qui elle était restée pas mal de temps.
Le simple fait de voir les feuilles de papier couvertes de l’écriture fine et arrondie de sa meilleure amie, là, sur la table de sa cuisine, lui donnait envie de se rouler en boule et de pleurer pendant des années en ne pensant à rien d’autre. Lorella avait mal au cœur et mal à l’âme. Elle était persuadée qu’elle ne serait plus jamais la même, puisque la femme qui lui avait enfin donné l’envie de s’engager dans une relation, une vraie relation ; s’était envolée à l’autre bout du monde, la laissant seule pour réparer les morceaux.
Et ce n’était pas chose facile.

Lorella quitta en hâte son appartement, se promettant de boire un maximum et de rentrer tard pour essayer d’oublier la courbe des reins de Samira, les formes de son corps qui lui manquait tant, ses yeux et son sourire à se damner. Elle entra donc chez Brittany, appréciant la foule et le bruit, la musique poussée à son maximum. Pile ce qu’il lui fallait pour se fondre dans la masse et essayer de s’amuser un maximum.
Elle se faufila jusqu’au bar, commanda une première boisson dont le degré d’alcool était interdit dans certains pays, et avala la première gorgée avec satisfaction. A sa gauche, elle remarqua vaguement un jeune homme brun qui ne manqua pas de la regarder des pieds à la tête, et elle sourit pour elle-même. Avec ce regard-là, finalement, peut-être qu’elle allait redevenir hétéro… ?

5 mars 2014.

Depuis le début de toute cette histoire, Lorella se sentait pire que mal à l’aise. Elle avait peur en permanence, elle dormait mal et il lui arrivait parfois même de réveiller involontairement sa coloc, Joan, qui avait heureusement la gentillesse de ne pas lui faire de réflexions. Mais son sommeil était tellement précaire, peuplé de cauchemars angoissants, que l’Italienne hurlait dans ses rêves et aurait pu réveiller le bâtiment entier.
Elle prit une grande inspiration et regarda son amie droit dans les yeux, la peur lui nouant le ventre. Elle était terrifiée. Elle ne voulait pas annoncer à voix haute ce genre de nouvelles, de peur qu’elle devienne vraie et se réalise. Elle ne voulait pas être enceinte, pas maintenant, pas comme ça, pas de ce mec qu’elle ne connaissait même pas, c’était une horreur à imaginer.
Lorella se sentit soudainement encore plus mal que quelques secondes auparavant, et elle savait aussi qu'elle était sûrement devenue aussi blanche qu’un lavabo. Elle se rua vers la salle de bains, et vida le contenu de son estomac dans les toilettes.
Lorsque sa crise fut passée, elle posa une main sur son front, qui devait être verdâtre étant donné son état, tira la chasse d’eau et se mit à pleurer. Elle qui ne voulait pas avoir la confirmation de son hypothétique grossesse, se surprenait tout à coup à prier pour qu’elle ait simplement attrapé une banale intoxication alimentaire, un truc bateau. Même une gastro aurait fait l’affaire, du moment qu’elle n’était pas enceinte.
Elle se releva et alla misérablement toquer à la porte de sa coloc. Lorsque Joan lui ouvrit, elle soupira. « Je crois que je suis malade. Camelia est dans le salon, elle doit se demander ce qu’il m’arrive…Je me sens super mal. »
Sa colocataire était au courant de sa mésaventure. Lorella laissa tomber sa tête sur son épaule, et murmura quelques mots à peine audibles. « Putain, Joan, j’espère que je ne suis pas enceinte… » Ses yeux se remplirent à nouveau des larmes, et elle eut un accès de pitié pour elle-même. Voilà ce qui arrivait lorsqu’on ne prenait aucune précaution et qu’on buvait jusqu’à oublier son propre prénom à une fête d’anniversaire, dont elle se fichait complètement à la base.

1er mai 2014.

« Je me fiche de ce que tu penses, Natalia, honnêtement je ne me vois pas juste annoncer à Juan qu'il m'a mise enceinte. Je ne suis pas ce genre de femme, et je ne veux pas qu'il se sente obligé de me supporter financièrement, point barre ! »
Lorella raccrocha violemment le téléphone après sa conversation houleuse avec sa soeur; et essuya brusquement ses yeux. A ses pieds, des vêtements et des chaussures, des livres, des magazines, des ustensiles de cuisine, de la vaisselle et des CDs gisaient éparpillés un peu partout dans le salon qu'elle partageait avec Joan.
C'était décidé, Lorella quitterait New York d'ici quelques jourss, et pour être honnête ce n'étaient pas les merveilleuses compétences organisationnelles de la jeune femme qui allaient l'aider à faire ses valises - mais elle avait pris sa décision.
Un nouveau départ, c'était pile ce qu'il lui fallait.