great expectations - harley

one. Harley, c'est le menton relevé et la marche assurée, les yeux qui roulent et la voix qui porte, la répartie inégalée et l'attitude bossy d'une Meryl Streep. Parce qu'elle a toujours eu ce complexe d'infériorité qui lui bouffe l'estomac mais qu'elle planque sous les répliques cinglantes, les sourcils froncés dans une mimique inquiète lorsqu'elle ne faisait pas assez bien, et surtout pas aussi bien. C'est les cocktails impossibles et les vins hors de prix, dans un effort inutile pour paraître mieux, la pression constante et le regard rivé sur son aînée, depuis toujours.

two. Petite dernière, la royale, elle n'a jamais su se contenter de son statut de petite princesse. Parce qu'il y avait les jumeaux, et leurs regards échangés, suffisants pour se comprendre quand elle peinait à se faire écouter; les jumeaux et les rires qui brisaient le silence des nuits qu'elle passait à s'imaginer jumelle. Harley, elle avait cette lueur dans le regard, jamais malsaine mais toujours trop malicieuse, lorsqu'elle entendait les disputes qu'elle avait intentionnellement causées, parce qu'elle réussissait à briser temporairement ce lien auquel elle n'aurait jamais droit. Pourtant, elle aime profondément sa famille.

three. Si ses doigts sont aujourd'hui occupés à claquer sur le bois de son bureau, il fut un temps où ils s'activaient sur le piano du salon de la maison familiale. Elle a pratiqué pendant des années, et renoue de temps à autre avec cet amour d'enfance dont elle oublie parfois la saveur. Elle ne sera jamais aussi douée et passionnée que Vince, mais elle se complaît dans l'idée qu'ils partagent quelque chose de spécial.

four. Première de la classe sans merci, de l'école primaire à l'école de journalisme, elle écrasait ses adversaires sans scrupules lorsqu'il le fallait. Elle avance, seule, l'âme et le cœur usés par ce besoin constant d'être la meilleure, en tout, pour tout. Elle le regrette souvent, lorsque ses pensées vagabondes jusqu'à ces jours où elle ne reculait devant rien pour ce sentiment éphémère d'avoir réussi. Elle n'est pas méchante, Harley, elle a juste ce besoin constant d'attirer l'attention et la fierté de ceux de son sang. Les autres importent peu. La pression est interne, imposée par l'enfant qu'elle a été et qu'elle n'arrive pas à abandonner.

five. Harley, elle ne parle pas. Elle regarde, se tait et espère naïvement qu'on entendra son cri silencieux. Ses yeux supplient quand ses lèvres achèvent, elle n'a jamais su exprimer ses émotions autrement qu'en les ignorant. Elle n'a besoin de personne, affirmera-t-elle d'une moue outrée. En vérité, elle n'a juste jamais su s'ouvrir réellement aux autres. Elle balaie la vague qui menace d'un mouvement las de la main, ça ira, mais ça n'est pas toujours vrai.

six. Le journalisme a été une évidence dès le moment où on lui a posé un stylo entre les doigts. L'encre a tâché sa peau diaphane tant elle a passé des nuits à se briser les phalanges sur le papier. Elle est critique et curieuse, passionnée et adroite, sa plume en a séduit plus d'un, l'ascension vertigineuse d'une jeune étudiante, assise aujourd'hui dans le fauteuil du responsable de la section finances et politiques du Times britannique. Elle a depuis longtemps troqué l'encre pour le clavier, mais l'ardeur est restée la même.

elle fait du kick-boxing et du yoga – elle ne mange pas de viande – elle se ronge les ongles, mauvaise habitude qu'elle n'a jamais réussi à abandonner – elle ne va jamais se coucher sans une tasse de thé et un roman – elle se rend tous les dimanches chez ses parents – elle mange ses émotions, parfois s'en rend malade, il y a un moment où c'est trop, mais elle n'a jamais su faire autrement – elle chante sous la douche, fredonne en cuisinant, siffle en travaillant – souvent, elle regarde des émissions de télé-réalité en avalant des pots de Ben & Jerry's, enroulée dans un plaid en fausse-fourrure – elle s'endort presque toujours sur le canapé, s'oblige à se traîner jusqu'à son lit lorsqu'elle s'y réveille à trois heures du matin – elle porte des lentilles de contact – elle possède une collection impressionnante de livres de cuisine, elle n'a testé qu'un quart des recettes, mais ça a un côté satisfaisant qu'elle n'essaie jamais de nier – elle dort peu, mais lorsqu'elle est endormie, il est quasi-impossible de la réveiller sans user de la manière forte – elle a une vilaine cicatrice sur le genou d'un accident de vélo lorsqu'elle avait sept ans – il lui arrive souvent de sortir la nuit, errer dans les rues de Londres jusqu'à ce que ses jambes n'en puissent plus