“f I am what people find in the shadows, am I a monster of the night or a light in the dark?” ✻ Dans cette poitrine qui s’angoisse, qui se déchire, qui suffoque sous les vacillations de l’air, la vie reprend son élan pour régner sur le silence. Il n’y avait pas de sentiment plus grand que l’esprit qui succombait dans l’oubli. Jasmine était lovée contre mon torse. Elle dormait paisiblement, lestant sa tête sur ma chemise, crispant ses doigts autour de l’écharpe qui maintenait l’équilibre entre mon étreinte et les souffles du vent. Je marchais lentement, rasant le sol à contre-sens, détournant les allées courtes, empruntant les chemins sinueux et perdus du quartier résidentiel. Je prenais le temps d’arriver. J’enflammais les secondes avant qu’elles ne se consument volontairement. Mes pensées étaient nombreuses. Mes émotions quant-elles, coulaient sur l’expression évangélique de ma fille. Elle avait grandi. Elle était resplendissante à chaque instant, marmonnant d’une voix fluette les syllabes entrecoupées d’un mot qu’elle voulait m’adresser mais que j’écoutais qu’à moitié.
Dadda, voilà la présence qu’elle espérait.
Dadda, c’était l’homme qu’elle voyait, celui qu’elle méritait. Je crispai ma mâchoire en fixant l’horizon. La déchirure s’étendait sur mon flanc, brûlante et asthénique. Je voyais le bout. Mes prunelles effleuraient les contours nuageux des bâtiments qui pointaient gracieusement vers le ciel. Il ne servait plus à rien de tendre les bras. Je ne voulais plus retisser les liens avec les autres. Je devais être seul pendant un moment. J’avais besoin de rejeter la communauté afin de m’imprégner de la douleur qui fourmillait dans mon corps. C’était étouffant de
ressentir. La mafia avait frappé à ma porte. Bugsy et Babi étaient là, prêts à lutter à mes côtés, à protéger le germe maudit qui avait naquit de mes passions insouciantes. J’avais vu nos dépouilles s’en aller, englouties par les vagues de la mer. J’avais compris que protéger Jasmine, nous mettait tous en danger. Je soupirai en posant mon doigt sur son front. Ma paume était engourdie par les traces de l’encre. C’était stupide de perpétuer cette tradition. Pourtant, je continuais de tatouer les prénoms des êtres que j’avais perdu pour mieux supporter le deuil. Jamie. Abigail. Et maintenant Jasmine. Les arabesques de l’écriture celtique auréolaient les lignes fourchues sur ma peau mutilée. Toutes mes peurs s’étaient écrasées dans un bruissement strident. J’étais reconnaissant d’avoir ouvert la porte ce soir-là. J’étais reconnaissant parce qu’elle m’attendait dans un couffin. Le miracle, c’était l’une des caractéristiques principales de son existence. Je n’avais pas de rêves, seulement une petite fille. Son regard était bienveillant. Elle avait hérité sa noblesse de quelqu’un d’autre. Pourtant, je l’avais créé. Je l’avais façonné de manière infaillible pour qu’elle brille dans un univers solitaire et ombrageux. Le souffle me manquait. J’avais mille choses à lui confier. Mais j’aurais été contraint d’élever la voix, d’exprimer des phrases. Je déglutis en m’arrêtant devant l’immeuble d’Olivia. Mes jambes étaient léthargiques, refusant de tracer les limites de la frange où se croisaient l’illusion et la réalité. Je me redressai en saluant le concierge. Il avait un visage modelé. Son expression était sereine, il ne lui manquait ni la flamme ni l’air concentré qui affleurait sur ses traits. Les rides creusaient de longs sillons sur ses joues, comme les gravures argentés d’un artiste qui avait pris un soin particulier à dessiner un tabeau. Je soupirai en m’avançant vers l’ascenseur. J’entendais les échos de ma conscience qui tombait à l’agonie. J’entendais les chants macabres, les sifflements des cornemuses qui accompagnaient les cortèges funestes vers le cimetière. Je baissai les yeux vers Jasmine, et me demandais lequel de nous deux, était mort le premier. Je lui souris alors qu’elle s’éveillait lentement. Elle grommela en tendant les mains vers ma barbe. Elle tirait sur ma bouche en hoquetant. Elle voulait jouer. Elle me reconnaissait. Mais je me détournai. Je fermai les yeux. Je cessai de respirer. Et bientôt, je n’existerais plus.
D’un geste mécanique, j’appuyai sur la sonnette. Olivia apparu dans le vestibule, l’allure resplendissante, le sourire franc et sincère. Je demeurai abîmé dans mes émotions. Comment lui dire que je ne reviendrais plus ? Je déglutis en m’avançant légèrement. «
Je sais, tu ne m’attendais pas.» Déclarai-je avec une voix excessivement polie. Ma visite était fortuite. Nous avions élaboré un programme de garde précis. Il y avait ses journées et mes nuits. Isaac était souvent absent mais nous avions trouvé un l’équilibre. J’étais venu pour le rompre de manière définitive. C’était si injuste, pourtant j’avais accepté ma sentence. J’étais condamné à une vie éphémère qui n’atteignait jamais sa pleine dimension. Le clan m’avait appris à mourir. Il m’avait conditionné à suivre cette voie. Et j’y trouvais du plaisir. Faire le mal. Traquer le diable. Rogner les stalles de l’église afin de supplier une divinité surréelle de pardonner mes pêchers. J’aimais toutes ces choses. Mon existence était dilettante, mais la courte aventure embrasait mon âme de mille nuances de rouge. J’étais exalté dans l’imminence de ma tragédie et je ne voulais pas transmettre cet héritage à Jasmine. Je ne voulais pas qu’elle grandisse dans le mensonge. L’ignorance était plus accomodante. «
Je suis désolé Olivia mais ça ne peut plus durer.» Commençai-je en frottant ma mâchoire. Mes mouvements devenaient fébriles. Ma respiration était sifflante, célébrant la victoire de la mafia. J’avais essayé de m’extirper de son emprise. J’avais réellement essayé de prendre la fuite. Mais j’étais un mauvais gars. Je m’adossai sur le mur en lui tendant la petite. Je la regardais s’éloigner sans parvenir à maîtriser la douleur.
Mon cœur se brisait.
Mon cœur.
C’était elle.