It was love at first sight, at last sight, at ever and ever sight. (Andrew)

L'odeur des mets asiatiques chatouille mes narines. Un sourire me vient, si large qu'il fend mon visage en deux. Ses plis sincères et francs ne sont néanmoins pas causés par le nom du nouveau restaurant asiatique qui s'affiche sous mes yeux, mais bel et bien par l'homme que j'ai à mes côtés et qui me tient la main. Qui me tient la main. Oui. Je crois que c'est la première fois qu'il s'autorise à faire ça en public. Ou plutôt, qu'il m'autorise à le faire, puisqu'à peine descendu du taxi, je n'ai pas pu résister. Me tournant vers lui, j'observe un instant le profil d'Andrew et me souvient des sms échangés plus tôt dans la journée. Dire qu'elle commençait de la pire des manières, par lui m'annonçant qu'il avait un rendez-vous avec Caecilia. Caecilia qui, en plus d'être ma soeur jumelle tant détestée, n'est autre que son ex fiancée. Autant dire que ça ne m'a pas plu du tout et que j'ai passé de bonnes heures à me morfondre en imaginant les pires scénarios possibles, crispant mes doigts sur le téléphone en espérant y voir s'afficher des messages de réconfort. Et ils sont apparus. Je ne sais pas comment il a fait pour supporter la crise que j'ai fait et pour garder un semblant de sang-froid face à mes réponses sèches et désagréables, mais il a réussi à me rassurer assez rapidement. Il a su... Je ne sais pas, trouvé les mots qu'il fallait. Et trouver ce qu'il faut pour m'amadouer, également, puisqu'il m'a promis une soirée à deux. Une vraie. Une sortie en couple comme tous les couples font mais que nous, nous n'avons jamais fait. Il a toujours eu du mal à assumer, à exhiber notre histoire. C'est la première fois ce soir et je crois que je suis encore nerveux. J'ai le coeur qui bat fort, l'estomac qui se contracte et mes yeux qui n'arrêtent pas d'aller chercher les siens, comme pour confirmer que je ne rêve pas. On dirait une pucelle, ça en devient pathétique.
Mais je l'avoue, oui, j'aime bien ça. J'aime me sentir comme ça. Ma main s'affirme dans la sienne, le bruit du taxi s'éloigne et s'évapore dans la ruelle agitée. Il fait sombre, mais les lampadaires permettent sans aucune difficulté de distinguer nos doigts entrelacés. Pourtant, il ne me lâche pas, et c'est tout ce qui compte. On a sorti nos plus belles fringues, il est venu me chercher comme le ferait un gentleman. Notre discussion dans le taxi a été ponctué de regards en coin et de sourires cachés. C'est enfin une vraie sortie entre lui et moi. Inspirant doucement, je tire sur ma prise et l'entraîne jusqu'au restaurant où nous avions convenu le rendez-vous. Je n'ai pas mangé de toute la journée en sachant que nous nous rendions dans le nouvel endroit à la mode et je ne sais toujours pas si c'est par nervosité ou par envie de découvrir le maximum de choses possibles avec lui ici. Mais tout ce que je sais, c'est que j'ai faim. Et une furieuse envie de commencer cette soirée, de pouvoir ne pas me cacher et laisser libre court à mes pulsions. Savoir que je n'aurais pas à les réprimer me fait déjà un bien fou.
Le silence est calme, apaisant entre nous. Il souligne la complicité qu'on entretient depuis le premier jour. Plusieurs groupes sont déjà agglutinés devant les portes, nous ne serons visiblement pas seuls ce soir. Et j'espère que ça ne fait pas tomber nos plans à l'eau, même si je doute qu'il ose faire ça après ce qu'on vient de traverser une fois de plus. Alors je m'appuie un peu contre lui une fois figé dans la file d'attente, me tournant vers ses yeux, y fouillant une réponse positive. Je sens ses muscles crispés sous sa veste. « Tout ira bien » Murmuré-je sans le contrôler, laissant mon pouce venir caresser le haut de sa main. J'aimerais l'embrasser, pouvoir enfin profiter de cette nouvelle liberté, mais je ne le fais pas. Je ne veux pas le brusquer et même si c'est son initiative à lui, je sais qu'il fait ça aussi pour moi. Alors je peux au moins faire ça pour lui et ne pas me comporter comme un gosse pourri gâté pour une fois.
La file avance plutôt rapidement, alors que quelques fines gouttes de pluie viennent s'ajouter à la scène. Elles sont froides, me glacent les joues malgré mon long manteau noir. Et pourtant, à la lumière des réverbères, j'ai presque envie de rester là, à lui tenir la main.

La main chaude qui avait capturé la sienne à peine s’étaient-ils retrouvés l’un à côté de l’autre sur le trottoir l’avait fait se figer sur le coup, son cœur ratant un battement alors qu’il restait immobile. Juste une fraction de seconde, dans l’attente de ce qui lui semblait inévitable, de ce mouvement de retrait instinctif qui aurait brisé le contact à peine initié entre eux. Mais rien n’était venu, à sa grande surprise et à son grand soulagement : Son corps ne le trahit pas et au contraire il se détendit lentement. La nervosité était là, le nœud dans l’estomac également et son autre main ne pouvait s’empêcher de passer et repasser sur ses vêtements en un mouvement empreint d’une nervosité bien visible… Mais il ne l’avait pas repoussé. En fait… En fait, ça lui donnait du courage, ce contact. Ça lui donnait suffisamment de courage pour qu’il se permette de lui sourire doucement lorsque le plus jeune chercha son regard, comme s’il cherchait un signe indiquant qu’effectivement ils étaient bien tous les deux sur ce trottoir, devant un restaurant pour leur première sortie en couple. Il lui sourit, sincèrement, ses doigts se resserrant à son tour sur les siens, puisant dans ce lien toute la force qu’il lui fallait pour continuer. Il n’avait pas proposé cette sortie sur un coup de tête, bien au contraire. Il avait bien compris que Clarence n’était pas bien à cause de cette histoire de rencontre avec son ex fiancée, il avait bien compris qu’il avait peur également. De ce qui pourrait ressortir de ce rendez-vous, de cette discussion. De ces sortes de retrouvailles, en réalité. Il ne pouvait qu’imaginer les nombreuses pensées qui avaient pu traverser l’esprit jamais tranquillisé de son petit ami : Toutes négatives, et toutes finissant sans doutes très mal pour lui, pour eux. Mais cette sortie… Ce rendez-vous, cela faisait longtemps qu’il y réfléchissait, qu’il l’envisageait sans jamais oser franchir le pas et lui proposer. Sans trouver le courage qu’il fallait pour surmonter ses propres craintes et ses démons qui ne cessaient que lentement de le tourmenter. Sentir à travers les sms échangés toute l’inquiétude dissimulée sous les mots agressifs, ça avait été le déclic qu’il lui avait fallu, le bouton sur lequel il fallait appuyer pour qu’enfin il le fasse, pour qu’il envoie balader tous les « Mais » qui pullulait dans son esprit.
Et les voilà, maintenant. Le voilà en train de faire l’un des plus grands pas qu’il avait encore jamais fait dans cette relation : Tout simplement l’exposer aux yeux inconnus en essayant tant bien que mal de faire abstraction de ces derniers. Sans résister, il se laissa entrainer par son cadet, vers les portes du restaurant. Il se mordit l’intérieur de la joue en apercevant les quelques groupes déjà présent, et il lui fallut prendre sur lui pour ne pas simplement baisser les yeux sur ses chaussures à la teinte brillante, sous la faible lumière des lampadaires. Il résiste, parce qu’il n’y a aucune faute dans ce qu'ils font n’est-ce pas ? Rien dont il devait avoir honte, bien au contraire. Il se raccrochait aux minutes ayant précédé, à son sourire lorsqu’il était passé le prendre, aux mots échangés lorsque le taxi les protégeait encore de l’extérieur, à sa main dans la sienne, là, maintenant. Il se raccrocha fermement à la sensation de bien-être qui avait tout d’abord dominé toutes ses autres émotions, cette sensation d’enfin agir correctement pour eux deux, et il releva un peu plus la tête, se payant même le luxe d’observer ceux qui allaient manger ici aussi ce soir. Il renvoya silencieusement le regard curieux de l’un des hommes qui avait effleuré leurs mains liées avant de les observer simplement. Sa prise s’était crispée mais n’avait pas bougée et il se laissa finalement bercer par l’ambiance calme, par sa présence, appréciant simplement l’idée d’un futur repas qui allait sans doute s’avérer excellent vu la réputation que se faisait déjà l’établissement, et vu les odeurs qu'ils pouvaient percevoir et qui faisaient franchement saliver. En sa compagnie. Il le senti s’appuyer contre lui et ses lèvres s’étirèrent à nouveau sans qu’il ne cherche à le retenir, son regard déviant vers le sien alors qu’il appréciait beaucoup cette position. « Tout ira bien » Il baissa un peu la tête, ses yeux fouillant les siens pendant les quelques courtes secondes que leur laissa la file d’attente immobile, et il acquiesça finalement doucement. « Je sais. Je suis content qu’on soit là, tous les deux. » Enfin. Il souffla, sur le même ton que le sien, sincèrement. Il était vraiment heureux et il força peu à peu son corps à se relaxer sans le quitter des yeux, hésitant. Il n’était pas capable de l’embrasser – pas là, tout de suite, pas encore – mais il pouvait faire autre chose. Il raffermit ses doigts entre les siens et remonta sa main, venant y déposer un léger baiser avant de détourner les yeux, avançant lui-même en l’entrainant à sa suite. Gêné malgré lui mais ne regrettant absolument pas le geste.

Ils finirent par arriver dans l’entrée du restaurant, accueillis par une hôtesse au sourire commerciale mais qui se voulait le plus sincère possible alors qu’elle les étudiait rapidement du regard. « Bonsoir messieurs, c’est pour ? » Il retint de toutes ses forces le Manger, évidemment. qui voulut franchir ses lèvres et blâma intérieurement l’insolence dont pouvait faire preuve Clarence et qui, à l’évidence, commençait à l’influencer. Comprenant cependant le but de la question, il y répondit rapidement. « Une table pour deux, merci. » Elle sourit une nouvelle fois, ne semblant pas plus perturbée que ça – ou peut-être n’avait-elle pas vu leurs mains, mais il se rendit compte avec surprise qu’il s’en moquait, pour une fois. « Bien sûr, suivez-moi je vous prie. » Et elle les guida à travers les tables qui commençaient lentement à se remplir les menant vers une qui semblait plutôt bien placée sans être trop au milieu des autres, parfaite pour un couple en fait. Peut-être qu’elle avait vu leurs mains, finalement, et peut-être qu’elle s’en moquait. C’était assez étrange à envisager pour l’esprit encore un peu tendu du jeune homme mais ça ne l’empêcha pas, alors qu’ils approchaient de leurs places, de se tourner à moitié vers son petit ami qu’il n’avait toujours pas lâché, lui lançant un léger sourire. « Dois-je te tirer ta chaise, ou est-ce que ça ira ? » Il avait lâché ça d’un ton taquin, naturel, voulant lui prouver à cet instant qu’effectivement, ça allait bien se passer. Qu’ils allaient passer une bonne soirée, leur première vraie soirée à deux.