i will try to fix you (chloé)

Cela faisait deux nuits que Charlie dormait à peine, et il était littéralement épuisé. Se lever ce matin-là fut une véritable épreuve, et lorsqu’il ne versa pas son café dans sa tasse, il décida d’appeler sa secrétaire pour la prévenir qu’il ne pourrait définitivement pas venir aux réunions de la journée. Il était retourné se coucher, s’effondrant sur son lit, ne faisant même pas attention si oui, ou non, Lyn’ était réveillée. Elle était fatiguée elle aussi, et pour cause. Elle était enceinte. Cette simple pensée chassait le sommeil du corps de Charlie, le plongeant dans une profonde angoisse, le genre qu’il ne connaissait pas d’ordinaire, ce qui l’inquiétait énormément. Il ne savait pas quoi faire, lui qui avait déjà une fille de six ans, se retrouver comme un ado de 19 ans apprenant qu’il allait être père. En somme, la pire nouvelle de sa vie. Les nerfs à vif, il faisait de son mieux pour être une sorte de soutien pour Linaëlle, qui était encore plus perturbée que lui, mais il commençait sérieusement à avoir du mal à se contrôler. Il lâchait des jurons beaucoup plus souvent, et avait même demandé à Ellie de garder Lily une semaine de plus. Là, ce n’était vraiment pas le moment pour accueillir sa fille chez lui. Il s’était vraiment senti comme un père horrible en faisant cela, ce qui avait évidemment ramener toutes ses pensées sur le fait que Linaëlle était enceinte, et l’angoisse était encore revenue d’un coup. Dormir était donc totalement impossible.

Il ne put se rendormir que deux heures, et toujours aussi fatigué, se leva néanmoins. Il avait besoin de parler, à quelqu’un en qui il avait confiance, qui avait déjà connu la situation et qui le savait, serait capable de le booster suffisamment pour qu’il redresse la tête et affronter cette situation avec courage. En premier, il avait pensé parler à Julia, puis il s’était dit que parler de tout cela à un médecin n’était pas la meilleure idée. Du coup, pour éviter sa famille, il envoya un message à Chloé pour la prévenir de son arrivée. À 8h30 du matin. Oui, il était vraiment un meilleur ami horrible en plus d’être un père indigne et un petit-ami lâche, mais s’il ne parlait pas à quelqu’un, il allait très certainement exploser. Il avait juste pris le temps d’enfiler un jean et un t-shirt, écrit un mot pour Lyn’ qui avait finalement réussi à s’endormir, et était partit chez sa meilleure amie, se donnant de petites claques sur le visage pour se réveiller un peu plus et ne pas faire un accident dans les rues de Londres.

Heureusement, Chloé n’habitait pas très loin de chez lui, et il arriva assez rapidement, et ce sans tuer personne. Trouver une place ne fut pas chose aisée, comme toujours à Londres en somme, mais il y parvint également, manquant d’emboutir la voiture derrière lui dans la manœuvre. Oui, il manquait vraiment de sommeil, car il était normalement le pro des créneaux. Baillant une énième fois, il s’extirpa de la voiture et pénétra dans l’immeuble un peu plus loin, celui où habitait sa meilleure amie. Il tenta de ne pas faire trop de bruit dans le couloir pour ne pas réveiller tout le monde, des fois qu’il y ait encore des gens en train de dormir, et sonna chez Chloé. Il s’appuya contre le mur, attendant un petit moment et deux bâillements avant que la porte ne s’ouvre sur la femme brune. Il lui offrit un sourire désolé. « Franchement navré de te déranger à cette heure-ci, mais j’ai besoin de parler. Vraiment. »

Une chose était certaine, Chloé n’allait pas comprendre son état. Même après lui avoir dit la raison. Il la connaissait depuis suffisamment longtemps après tout, et en même temps, il était un peu aberrant qu’il soit aussi perturbé par l’annonce d’une grossesse alors qu’il avait déjà vécu ça. Mais la situation était tellement différente qu’il gérait tout cela très, très mal. Alors oui elle allait se moquer un peu de lui, mais elle allait bien finir par comprendre que quelque chose n’allait vraiment pas. En fait, Charlie avait peur. Il avait peur que tout cela les brises Linaëlle et lui, qu’ils ne soient pas capables de surmonter cela, que leurs avis ne divergent trop et qu’ils finissent par séparer pour le bien d’un enfant qu’ils n’avaient même pas voulu. Charlie n’était même pas encore certain de vouloir le garder. Il détestait penser cela, mais il fallait être réaliste. Un enfant non-désiré était radicalement différent d’un enfant désiré. Il ne savait pas s’il allait être capable d’agir comme il avait agi avec Lily. Et Lyn’ bon sang. Elle n’allait pas y arriver. Il l’aimait de tout son cœur, mais le rôle de maman, ce n’était pas pour elle. Pas encore. Si jamais elle tombait alors qu’elle était enceinte ? Si jamais elle faisait une fausse-couche en étant toute seule à l’appart’ ? Si jamais elle s’évanouissait en pleine rue ? C’était définitivement trop d’inquiétude pour le pauvre Charlie.

Parler de tout cela avec quelqu’un allait lui faire du bien. Vraiment. Et puis, Chloé avait ce franc-parler et cette façon de lui remonter le moral qui n’appartenait qu’à elle. Dans le fond, ils avaient des tonnes de différences, mais ils se ressemblaient aussi et c’était cela qui rendait leur amitié unique. Il ne s’était pas tourné vers elle pour rien, il savait qu’elle était capable de l’écouter comme de lui mettre un coup de pied dans le derrière, et il avait bien besoin de cela. En général, il était du genre éternel optimiste, mais là, cela le touchait de tellement près qu’il n’y arrivait juste pas. Pour une fois, il avait besoin que quelqu’un soit derrière lui pour le guider et lui dire quoi faire. Il allait lui-même devoir faire ça pour Lyn’, mais avant, il devait se reprendre. Et ce n’était pas chose facile, surtout vu son état de fatigue. En s’asseyant sur le canapé confortable de sa meilleure amie, il hésita franchement à juste s’effondrer et se reposer. Mais non. Il fallait qu’il tienne le coup. Il dormirait plus tard, il avait le reste de la journée pour ça. Il jeta un coup d’œil circulaire au grand appartement de Chloé qu’il connaissait plutôt bien, notant quelques petites choses qui avaient changé de place – ou alors c’était juste son cerveau fatigué qui avait du mal à se souvenir des détails. Il laissa plutôt sa tête retomber sur le dossier, fixant le plafond un bref moment. « Hors donc, tu as besoin de parler. Eh bien, je t'écoute dis-moi ce qui ne va pas. C'est pas grave au moins ? » Il tourna sa tête vers elle, se demandant si c’était grave ou non. Pour lui, oui. Pour elle, cela ne l’était sûrement pas, alors autant ne pas l’inquiéter plus que de raison. « Lyn’ est enceinte. » D’ordinaire, ce genre d’annonce se faisait avec un grand sourire et des larmes pleins les yeux, un peu comme quand il lui avait annoncé qu’il allait être papa pour la première fois, mais là, c’était surtout des larmes de fatigue et un visage défait. « Et je ne sais pas quoi faire. » Vraiment, vraiment pas.

Il avait été fort deux jours durant. Le pilier nécessaire pour soutenir Lyn’, sa pauvre Linaëlle qui n’avait aucune idée de ce qu’était réellement une grossesse, des enjeux que cela comportait. Sa Linaëlle mignonne, fragile et maladroite, qui n’était vraiment pas prête pour cela. Lui non plus ne l’était pas, il avait beau déjà être père, il n’avait pas pour autant sauté au plafond en ayant entendu la nouvelle. La situation était bien différente, et cela changeait. Ce n’était ni désiré, ni au bon moment, et la plus grande peur de Charlie était que leur couple n’y survive pas. Pourtant il voulait y croire. Il devait y croire. Il fallait que cela fonctionne, car sinon, il ne savait pas si la catastrophe qui allait se produire était supportable. Il avait peur. Vraiment. Il ne l’avait pas dit à Lyn’, tentant par tous les moyens de la rassurer, mettant son bonheur avant le sien comme toujours, s’inquiétant de son bien-être. Mais là, il commençait à saturer et il avait besoin de parler, d’extérioriser auprès de quelqu’un en qui il avait une confiance complète. Avec Chloé il savait qu’il pouvait se laisser aller, qu’elle serait là pour l’aider à récupérer les morceaux de lui qui s’effondraient, qu’elle l’aiderait à se reconstruire. Mais surtout, elle n’allait pas tout de suite comprendre l’état de Charlie. Parce que oui, dis comme ça, une grossesse était normalement une bonne nouvelle, et pas l’inverse. Or, ici, c’était le cas.

« Lyn' est enceinte ?! Mais c'est une merveilleuse nouvelle ça. Alors pourquoi fais-tu cette tête d'enterrement ? Dans mes souvenirs, tu étais plus festif le jour où tu as appris la grossesse d'Elisabeth. » Charlie poussa un soupir, passant sa main sur son visage, se sentant horrible de détester le fait que Lyn’ lui ait annoncé qu’ils avaient créé une nouvelle vie ensemble. Mais il ne pouvait juste pas s’en empêcher. C’était tellement une mauvaise chose. C’était tellement loin de l’annonce d’Ellie, six ans plus tôt. Il aurait tout donné pour à nouveau ressentir cette joie pure, cette joie le transportant loin du plancher des vaches, ce sentiment incroyable de savoir qu’il allait avoir un petit bébé avec la personne qu’il aimait. Cette sensation n’était pas là, et c’était sûrement le pire. Imaginer un enfant comme un poids. Il était une personne horrible. Vraiment horrible. « La situation est complètement différente. Je voulais Lily. Vraiment. On était marié, c’était la suite logique des choses, fonder une famille. Mais Lyn’… On est ensemble que depuis deux ans, on est pas prêt pour ça. » Vraiment pas. C’était douloureux de le dire, douloureux d’imaginer qu’une nouvelle, annoncée trois ans plus tard, aurait pu être prise complètement différemment. Pourquoi cela n’arrivait-il pas plus tard ?

« Déjà, il faut que tu te poses les bonnes questions. Est-ce que tu te sens d'être père pour la seconde fois ? Avec une femme de douze ans ta cadette ? Et surtout, maintenant ? Tu sais ce que je pense de l’avortement, mais si Linaëlle et toi vous jugez bon de le faire. Eh bien, sache juste que je serais là pour vous soutenir dans cette épreuve. » Il écouta patiemment Chloé, assimilant ses paroles, ses paroles pleines de sagesse et ses questions auxquelles il avait déjà songé, mais auxquelles il avait encore du mal à répondre. Tout se bousculait dans sa tête. Malgré tout, il tenta d’éclaircir un peu cela, car il était aussi venu là pour ça. « J’aime Lily. Et j’aimerai avoir au moins un autre enfant, je pense. Mais maintenant… on est pas prêt Chloé, vraiment pas. Et Lyn’ est jeune encore, et elle peut encore décider que je lui conviens pas et se trouver un mec de son âge, elle doit encore profiter d’avoir vingt ans pour s’amuser et être libre, pas pour avoir un enfant à charge. Elle n’est pas prête pour ça, vraiment pas. » La main de sa meilleure amie se posa sur son épaule et il posa la sienne par-dessus, la serrant légèrement, la remerciant de sa présence et de son soutien. Elle parlait d’avortement, et Charlie aussi y pensait, mais lui aussi détestait cette idée. Il ne voulait pas tuer un enfant innocent. « Je n’aime pas l’idée d’avorter non plus. Je préfère encore le garder et assumer mes actes tu vois. »

« On est jamais prêt à être parents ça arrive comme ça sans crier gare. Moi même, je ne l'étais pas. Mais lorsque j'ai été faire ma première échographie et que j'ai vu ce petit être pas plus gros qu'un haricot blanc, j'ai pleuré. C'est comme ça, que j'ai compris que j'étais prête à être mère. » Chloé n’avait pas tort, évidemment. Même si Ellie et lui avaient fait cherché à avoir Lily, il avait malgré tout paniqué à l’idée d’être père, alors que c’était vraiment ce qu’il voulait. Comme sa meilleure amie le disait, le moment de la première échographie était toujours un moment fort, c’est là qu’on se rendait compte qu’il y avait bien un être vivant en train de grandir, que tout devenait bien plus réel qu’il ne l’était quelques secondes auparavant. C’était un magnifique sentiment. Regarder avec des yeux pleins de larmes la personne qu’on aime et le fruit de son amour. Charlie pourrait vivre ça avec Lyn’ évidemment. Mais pas aussi tôt. C’était ça le problème. À ses yeux, ils n’étaient pas près du tout. Et ce n’était pas le simple stress d’être père à nouveau, c’était juste un regard lucide sur la situation. Ils n’en étaient pas encore à ce stade. Cette grossesse imprévue bouleversait tout, leur relation toute entière, l’équilibre qu’ils étaient parvenus à mettre en place. Il allait falloir tout recommencer, et Charlie avait sincèrement peur du résultat. « Il m'a suffi de poser les yeux sur ce petit haricot blanc pour me faire prendre conscience que j'étais prête à sauter le pas. » Charlie espérait que pour cette deuxième fois, le sentiment allait être le même, autant chez lui que chez Linaëlle. Il n’en savait rien. Il ne savait même pas ce qu’elle souhaitait réellement faire avec ce bébé, et tant qu’il ne savait pas cela, et bien il ne pouvait pas se projeter réellement. Mieux valait qu’il ne le fasse pas tant qu’il n’avait pas tous les éléments en main, car sinon cela risquait de faire plus de mal que de bien, c’était certain. « Tu sais en deux ans de vie de couple, beaucoup de choses évolues et les perspectives d'avenir de chacun commencent à changer. Alors comment pouvez-vous savoir si vous êtes prêts ou pas ?! » « Je le sais Chloé, c’est tout. C’est trop tôt. » Et ça, il y croyait dur comme fer. Jamais elle ne pourrait le faire changer d’avis sur ce point. Ils n’étaient pas prêts, mais s’il fallait l’assumer, et bien ils n’avaient plus trop le choix. Mais cela n’empêchait pas que ce n’était pas le moment.

« Inconsciemment, tu as retracé à travers Linaëlle ma propre vie. Mère à 16 ans, je n'ai pas vu profiter de ma jeunesse et aujourd'hui, j'essaye de la retrouver, même si pour y parvenir je dois m'attirer les foudres de ceux que j'aime. Je comprend que tu veux la préserver de tout ça, mais tu sais tu ne peux pas décider pour elle. C'est elle seule qui doit peser le pour et le contre. Car après tout, c'est elle qui devra le porter durant neuf mois. » Charlie hocha la tête, écoutant les paroles sages de sa meilleure aime. C’était vrai qu’elle avait déjà vécu une situation quelque peu similaire, alors elle pouvait comprendre. Mais Charlie avait tellement peur de gâcher la jeunesse de Lyn’, tellement peur de la voir regretter d’être avec lui et de ne plus pouvoir partir au final. Il ne lui parlait quasiment jamais de ça, souriait quand on lui faisait remarquer qu’il était plus vieux et envoyer simplement balader les mauvaises langues, mais à chaque fois cela lui rappelait qu’elle pouvait finir par se lasser de lui, et ça c’était vraiment effrayant. « Je sais que sa décision est importante, et je l’attends et la respecterai. Mais j’ai peur qu’elle se sente obligé de le garder ou je ne sais pas quoi. Lyn’ a le chic pour se faire passer en dernière, alors que là, elle doit à tout prix penser à elle d’abord, et j’ai peur qu’elle ne le fasse pas. » Il la connaissait, elle n’avait pas confiance en elle et voulait constamment faire plaisir. Il ne voulait pas que cela la mène à prendre de mauvaises décisions, surtout dans une telle situation. « Tu sais, si elle avait vraiment voulu se trouver un mec de son âge, je pense qu'elle l'aurait fait depuis longtemps. Et puis, il faut être complètement folle pour jeter un aussi bel homme que toi. » Il eut un petit sourire en entendant le compliment placé là pour le dérider, ce qui eut l’effet escompté. Il lui donna un petit coup de coude pour la taquiner, appréciant malgré tous les paroles rassurantes qu’elle avait proféré à son égard. « Oui, tu as sûrement raison. » Il avait du mal à le croire, mais vivre avec la peur de se faire remplacer dans le cœur de la personne qu’on aime devait être une chose que toute personne amoureuse vivait non ?

« C'est une sage décision que de vouloir assumer tes actes, mais cet enfant vous l'avez fait à deux. Et je pense que Linaëlle n'acceptera pas de te laisser assumer tout seul. C'est à deux que vous devez les assumer. À deux, ont est plus fort. » « Je savais que j’avais raison de venir te demander conseil. Merci. » Il serra sa main dans la sienne, reconnaissant de ses mots apaisants et bien placés. Elle avait à nouveau raison, c’était une décision qui se prenait à deux. Certes chacun avait son avis sur la question, mais ils allaient devoir conjuguer ceux-ci pour prendre une décision finale. Une décision de couple, ensemble.