"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici Journée d'automne | River Kipling 2979874845 Journée d'automne | River Kipling 1973890357
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Journée d'automne | River Kipling

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() message posté Dim 1 Nov 2015 - 12:44 par Invité
L'air était frais cette après-midi là. Le vent faisait voleter en douceur ses longs cheveux, tandis que les arbres se débarrassaient peu à peu de leurs feuilles orangées. Janis avait encore quelques heures devant elle avant de reprendre son poste au cinéma, qu'elle avait trouvé, presque par chance, quelques semaines auparavant. Elle aimait errer dans St James' Park en semaine lorsque les allées étaient presque désertes, en vagabondant d'un pas lent tout en admirant le paysage. Elle s'arrêta un instant pour contempler les quelques canards nageant sur l'eau paisible. L'automne avait pointé le bout de son nez depuis plusieurs semaines déjà, et la nature commençait peu à peu à se transformer en attendant l'hiver. Janis s'en était aperçue en regardant les feuilles qui étaient désormais d'un gris plus clair que durant l'été. Elle se demandait parfois à quoi ce changement ressemblait pour les personnes normales. Avaient-elles une couleur différente ces feuilles, ou était-ce toujours la même, simplement d'une plus faible intensité ? Elle se souvenait avoir plusieurs fois posé cette question dans son enfance, mais aucune tentative de réponse ne l'avait jamais vraiment conquise. Elle détourna le regard de l'eau et des oiseaux et surprit le regard une petite fille pointé directement sur elle. Janis lui sourit brièvement et reprit son chemin de son pas nonchalant, tandis qu'un petit sourire neutre s'était installé sur son doux visage.

Le ciel couvert la mettait d'excellente humeur. Elle avait toujours eu les yeux trop sensibles à son goût face à une lumière trop vive, et pouvoir regarder tout autour d'elle sans éprouver le besoin de mettre des lunettes de soleil, qu'elle détestait, ou de se cacher les yeux avec sa main était pour elle le signe d'une très bonne journée. Le léger bruissement des arbres avait quelque chose d'apaisant, bien loin de l'agitation de la ville marquée par les allées et venues incessantes des passants ou des voitures, et loin aussi de celle de sa propre famille. Les moments de calme, Janis en avait peu connu durant son enfance, parce qu'elle n'avait jamais osé quitter la maison familiale toute seule pour une promenade et surtout parce qu'il s'y passait de toute façon toujours quelque chose d'assez intéressant pour que sortir devienne synonyme d'ennui. Mais depuis que chacun était plus ou moins parti de son coté, elle appréciait découvrir de nouveaux modes de vie.

Et soudain, River Kipling apparut. Le sourire de Janis s'élargit et elle se pressa d'aller à sa rencontre. Voir son frère lui rappela sa mère qu'elle n'avait pas vu depuis une ou deux semaines déjà, non pas par manque de temps mais parce que voir le regard de plus en plus perdu de cette femme qu'elle aimait tant devenait une épreuve en elle-même. Elle se promit néanmoins d'y passer dans la semaine, même si ces visites étaient plus pour elle que pour sa mère. Elle se demanda si son état s'était détérioré ces derniers temps, mais chassa immédiatement cette pensée de son esprit. « Bonjour monsieur, passez-vous une bonne journée aujourd'hui ?» fit-elle d'un ton espiègle à son frère.
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() message posté Lun 2 Nov 2015 - 22:57 par Invité
Je m’arrêtai en haut de la pente, observant le point de fuite sur la ligne d’horizon. Le trottoir était parsemé de feuilles pourpres qui donnaient à la ville une autre allure, comme lorsque l’on observait une photo en sépia. Je humai l’air avec satisfaction : l’automne était là, embaumant le ciel de ses nuages lactés. J’avais envie de les toucher, de les goûter, comme nous aimions mordre dans la neige avec Gloria en hiver, même si ça faisait mal aux dents. Je clignai des paupières : les odeurs avaient des couleurs chaudes, les arbres flamboyaient presque mais la température était encore douce. J’étais ravi de ne pas travailler aujourd’hui et de pouvoir me perdre comme un enfant dans chaque ruelle de Londres. Je commençai à les connaître par cœur. Je pouvais fermer les yeux et suivre mon instinct, j’étais certain de retourner chez moi. C’était comme un fil brodé sur mon cœur, un fil d’or qui ne quittait jamais l’immeuble où nous avions grandi et qui nous reliait tous les uns aux autres. Je sentais le chagrin et la joie de mes frères et sœurs. Je sentais leur courroux et ils sentaient mes tourments. Ces émotions vibraient sous ma peau comme si le vent entrait en moi pour m’élever, pour me rendre plus léger encore. Je contractai mes muscles et mes appuis se raffermirent sur la planche de mon skateboard. J’attendis encore quelques secondes, le fameux vent coulant le long de mes oreilles, creusant son nid dans mon cou et hérissant les poils de mes bras. Je me ramassai tel un chat puis bondis dans la pente, à l’assaut d’un horizon qui ne commençait jamais, qui ne finissait jamais non plus, dont la ligne imaginaire s’accordait avec la forme de mes cheveux et la trajectoire de ma course folle.

J’esquivai les passants mais la vitesse me donnait l’impression de les traverser, de leur voler un morceau d’eux-mêmes en les frôlant simplement. Je dérapai et me concentrai sur la fin de la ligne droite, m’appliquant à écouter attentivement le bruit que les roues faisaient sur le bitume, recouvrant dans mes oreilles jusqu’aux sons les plus ferrugineux, les plus stridents des automobiles. Cela ne m’atteignait plus, et c’était dans des moments pareils que j’avais l’impression de m’envoler. Je n’étais plus vraiment un homme, si j’avais eu un jour l’envie de me nommer ainsi, j’étais une espèce d’oiseau sauvage et difforme qui ne pensait qu’aux cieux et qui parlait la langue des nuages. Il était si difficile de décrire cette sensation et on m’avait toujours appris, ou bien j’avais toujours pensé qu’il ne fallait pas essayer d’exprimer l’inexprimable, de peur de faire brûler l’essence-même de sa vérité. Arrivé en bas de la pente, je glissai sur la chaussée et écartai les bras pour en profiter. On klaxonna et je repérai même au passage quelques regards outrés de la part des passants, mais je m’en moquais. C’était ça, être un scandale : on faisait tourner la tête aux bourgeois des trottoirs. Je pris de l’élan en poussant sur mon pied, sentant le sol bouillonner sous la semelle épaisse de ma chaussure et gagnai à nouveau en vitesse. Je plaquai ma main dans mes cheveux pour retenir mon bonnet, mais mes amples vêtements avaient des airs de voiles, comme les drapés d’un bateau clandestin qui naviguait en zone interdite. C’était l’adrénaline, bien plus que l’effort, qui me maintenait debout, et je continuai ainsi, rebelle sur la chaussée, jusqu’aux premières silhouettes végétales de St James’ Park. Je descendis de la planche et atterris : c’était cette même sensation d’éveil encore plongé dans les échos du rêve qui m’enveloppait à cet instant. Je secouai la tête et entrai finalement.

Janis ne devait pas traîner loin et j’arpentai les lieux à sa recherche, mais tout était si coloré. Je me perdais dans mes propres observations car j’avais toujours eu l’œil pour ce genre de choses. J’étais la vision de ma sœur. Je tentai de lui décrire les couleurs qu’elle ne voyait pas par d’autres moyens. Comment imaginer le bleu sans savoir d’avance quelle était la couleur de l’océan ? Le rouge sans connaître celle du sang ? Je n’osais trop me mettre à sa place, je tentais néanmoins de me dire que ce n’était pas aussi terne que je me le représentais. Du blanc, du noir et, au milieu, un million de teintes grises qui capturaient les véritables nuances. Et pourtant, cela nous faisait douter de la certitude des sens. A bien y repenser, la majorité avait-elle toujours raison ? Peut-être que nos couleurs étaient un leurre et que Janis voyait la vérité. Je pouvais facilement m’accommoder à cette idée. Après tout, ma sœur avait toujours eu un discours plein de justesse à propos de ce qui l’entourait, et tous ne pouvaient pas prétendre posséder une vertu similaire. « Bonjour monsieur, passez-vous une bonne journée aujourd’hui ? » Je reconnus le ton léger de Janis sans même avoir à me retourner, ce que je fis immédiatement tout le même, affichant un large sourire. Elle resplendissait de tons vifs sans même le savoir, il y avait une certaine beauté à cela. « Absolument ma chère. » répondis-je avec un faux accent d’aristocrate, mais le mien, un timbre de la basse société à couper au couteau, était bien trop audible pour que je reste sérieux. Un sourire étincelant apparut sur mon visage et je finis par m’esclaffer avant de la gratifier d’une accolade fraternelle. « Bon, faut qu’on aille piquer des pommes chez le primeur. » Je me tournai vers le parc. « Mais d’abord faut choisir ta prochaine teinture. Un truc bien automnal. Bien orangé. » Je passai une main dans mes cheveux et penchant la tête. Elle n’avait jamais vu quoique ce soit d’orangé. « Imagine la chaleur d’un bon feu, et genre … toi, nous, la famille autour de ce feu. Et il s’éteint au fur et à mesure que la nuit passe, mais on ressent toujours la chaleur, jusqu’à ce que le soleil se lève. » Je hochai la tête et la regardai de nouveau. « L’orangé c’est ça. C’est une douce lumière qui ne s’éteint jamais, qui revient toujours, mais elle n’est pas aveuglante, elle est réconfortante. » Nouveau sourire. J’aurais pu décrire des tableaux entiers à Janis sans jamais m’en lasser. La synesthésie était probablement l’une de mes expériences sensorielles préférées et elle n’était jamais autant sollicitée qu’en la présence de ma sœur. Qu’est-ce qu’était l’orangé si elle voyait l’aube blanche ? Un souvenir qui ne lui appartenait pas. Un secret qu'elle ne pouvait exprimer.
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() message posté Mar 3 Nov 2015 - 19:37 par Invité
Voir son frère rire de la sorte la fit sourire à nouveau. Il semblait lui aussi passer une bonne journée, ce qui était une bonne chose. « Bon, faut qu’on aille piquer des pommes chez le primeur. » Toujours ce ton pressé, si spontané, comme s'il avait toujours quelque chose de prévu quelque part. River semblait pouvoir emporter n'importe qui dans ses aventures qui paraissaient être planifiées depuis toujours. Janis aimait ça, suivre son frère sur un coup de tête sans réfléchir, peu importe dans quelle direction il l'entraînait, elle désirait découvrir, connaître de nouvelles choses, tout le temps. Elle était toujours partante pour tout, embrassant la vie et tout ce qu'elle avait à lui offrir. Elle portait évidemment en son frère une confiance totale, mais elle était bien consciente de devoir toujours rester sur ses gardes, malgré tout. En un sens, passer du temps avec lui la rassurait. Elle pouvait être certaine que tout se passait bien pour lui, ou faire tout son possible pour le protéger si tel en était le besoin.
River ne la laissa pas répondre et enchaîna comme souvent sur un tout autre sujet, mais visiblement tout aussi important. « Mais d’abord faut choisir ta prochaine teinture. Un truc bien automnal. Bien orangé. » Cette fois Janis garda volontairement le silence, et son regard se porta presque instinctivement sur les quelques feuilles restant accrochées aux arbres. Elle avait souvent associé l'orange avec l'automne, car on lui avait toujours dit qu'il s'agissait de la couleur des feuilles à cette période de l'année. Elle laissa alors vagabonder son esprit, comme si son imagination pouvait lui apporter une réponse précise et réelle de ce qu'était vraiment cette chose nommée orange qu'elle ne verrait jamais. Mais River l'avait encore devancée. « Imagine la chaleur d’un bon feu, et genre … toi, nous, la famille autour de ce feu. Et il s’éteint au fur et à mesure que la nuit passe, mais on ressent toujours la chaleur, jusqu’à ce que le soleil se lève. L’orangé c’est ça. C’est une douce lumière qui ne s’éteint jamais, qui revient toujours, mais elle n’est pas aveuglante, elle est réconfortante. » Elle resta de nouveau silencieuse, pensive. « L'idée me plait. Mais est-elle éclatante pour autant ? Peu de gens semblent vraiment aimer l'automne, même si j'ai du mal à les comprendre. Peut être parce que les journées deviennent plus courtes, que le soleil n'apparaît pas souvent et laisse plutôt place à la pluie ou parce que que voir les arbres décharnés les plongent dans une certaine tristesse. Je ne voudrais pas que mes cheveux reflètent ce coté là de l'automne, tu vois ? » Elle reporta son regard vers lui et passa brièvement la main dans les siens, sans manquer, comme toujours, de les lui désordonner un peu plus au passage. « De quelle couleur sont les tiens, d'ailleurs, tu me disais ? »
Elle pensa une nouvelle fois aux paroles de son frère. Une couleur pouvait elle apporter du réconfort ? Tel qu'il le présentait, l'orange semblait être une teinte des plus paisibles et chaleureuses. La mention du feu lui rappela son enfance, les histoires qu'elle lisait où les personnages se réunissaient à Noël autour d'un feu de cheminée. Si elle n'avait jamais vécu ce type de situation, imaginer les flammes inoffensives crépiter et danser gaiement tout en éclairant une pièce remplie par la joie d'une famille réunie l'avait en effet toujours réconfortée. Qu'une simple couleur puisse provoquer ce type de sensation lui semblait être assez fantastique, mais aussi et surtout irréaliste. Néanmoins, elle aimait à penser que les couleurs pouvaient véritablement provoquer quelque chose chez les gens. C'était une autre façon de voir le monde. « Ah, et autre chose, je voudrais des nuances comme la dernière fois, pas seulement une seule et même teinte. Il n'y a qu'une sorte d'orange je crois, et je sais que le jaune est plus clair, et le rouge plus foncé. Ce sont toujours des couleurs de l'automne, non ? ». Elle posa les mains sur ses épaules, le fit pivoter puis pointa les feuilles d'un gros arbre de l'index. « Comme ça, regarde-les, elles sont presque toutes différentes. Qu'en penses-tu ? »
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() message posté Sam 14 Nov 2015 - 18:56 par Invité
Je sentis le silence de Janis à travers mes mots. Je le voyais mais je tentai tout de même de passer outre. Comme si je voulais parler pour deux, voir pour deux. Être ses yeux puisque les siens avaient décidé de s’éteindre en lui laissant malgré tout une once de teintes différentes. Je n’osais pas imaginer le monde gris. Pour moi, les rires avaient une couleur et les larmes aussi. Il n’y avait pas de transparence mais des reflets sur nos cœurs et dans nos prunelles. Le percevait-elle, elle aussi ? J’osais espérer que oui. « L’idée me plait. Mais est-elle éclatante pour autant ? Peu de gens semblent vraiment aimer l’automne, même si j’ai du mal à les comprendre. Peut-être parce que les journées deviennent plus courtes, que le soleil n’apparaît pas souvent et laisse plutôt place à la pluie ou parce que voir les arbres décharnés les plongent dans une certaine tristesse. Je ne voudrais pas que mes cheveux reflètent ce côté-là de l’automne, tu vois ? » J’acquiesçai pensivement, mais gardant le sourire. Je n’étais pas triste. Les saisons étaient un cycle et plus l’été était long, plus l’hiver le serait à son tour. L’arrivée de l’automne était comme un renouveau, à chaque fois, et même si l’on se plaisait à penser que le printemps était la véritable renaissance, il fallait mourir avant de renaître. Je me plaisais dans la poésie avant qu’elle ne devienne mélancolie. Je me plaisais dans les couleurs avant qu’elles ne disparaissent puisqu’elles étaient vouées à se ternir, à s’estomper. Mais les couleurs avaient déjà disparu pour Janis. Elle subissait la mélancolie sans goûter à la poésie et malgré ma bonne humeur, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir envers elle une profonde tristesse. Ferme les yeux. Imagine. Et rien ne venait, comme si les saisons se mélangeaient en elle : les troncs noirs de l’hiver se découpant sur le blanc de la neige, c’était son paysage. Et pourtant, elle gardait le sourire. Le mien était contagieux, il fallait l’avouer.

Je secouai finalement la tête pour la contredire. « Moi j’aime l’automne. On dirait que les arbres brûlent sans blesser quiconque. » Comme ces fois où Leo et moi avions trainé dans les rues de Londres, la nuit, et que nous finissions toujours par nous asseoir sur les toits et observer la ville s’endormir et se réveiller sans qu’elle ne s’éteigne jamais. Les fenêtres éclairées étaient comme des milliers d’yeux encore ouverts et le brouillard se mêlait à la fumée de nos cigarettes comme si la ville respirait avec nous. « On se lasserait de l’été s’il durait trop longtemps, crois-moi. Il ressemble à l’hiver, il est immobile, quelque part. L’automne, non. L’automne coule, l’automne change et nous changeons avec lui. » Le vert éclatant des arbres filtrant la lumière du ciel estival finissait toujours par m’aveugler. L’automne, c’était comme si le monde changeait de peau, comme un serpent qui muait, et les feuilles jonchaient le sol de la même manière que les résidus de son corps usé. N’était-il pas plus fluide et agile une fois régénéré ? « De quelle couleur sont les tiens, d’ailleurs, tu me disais ? » Je passais mes doigts dans ma chevelure. Je l’avais laissée pousser tout l’été et d’habitude, Janis se chargeait de me coiffer à nouveau. Ma tignasse blonde et bouclée luisait sous le soleil du jour et j’accentuai mon sourire en prenant une grande inspiration. « Ils sont blonds de nature. Comme de l’or, ce qui brille. La couleur de la joie que tu vois dans les regards des autres lorsqu’ils sont heureux. » Je tournai mon visage vers elle comme pour illustrer ma définition. Je sentais mes yeux pétiller, crépiter comme les flammes d’un feu doux et chaleureux. Pouvait-elle au moins voir son foyer se refléter au fond de mes iris ? Je ne souhaitais que cela. Nous avions une manière à nous de parler, à la fois pleine de poésie et de simplicité. Décris-moi les couleurs comme des sentiments. La synesthésie, à son comble, là, dans le fil transparent qui liait nos prunelles. Voyait-elle ce qui nous était invisible, alors ? J’avais toujours voulu croire ça : on inventait une autre réalité pour remplacer celle qui nous échappait. Cela me semblait être évident et ce contact bref avec Janis me permettait de goûter à ce monde parallèle dans lequel elle vivait. Je voulais en découvrir les plus beaux côtés. Tout n’était pas gris. Tout était imaginé.

« Ah, et autre chose, je voudrais des nuances comme la dernière fois, pas seulement une seule et même teinte. Il n’y a pas qu’une sorte d’orange je crois, et je sais que le jaune est plus clair, et le rouge plus foncé. » Elle attrapa mes épaules et me fit pivoter pour me désigner ensuite la silhouette imposante d’un noisetier déjà essoufflé mais se teintant d’une couleur cuivrée que j’appréciais particulièrement, moucheté également d’or et d’orangé, de la couleur sanguine des nuages au crépuscule. « Comme ça, regarde-les, elles sont presque toutes différentes. Qu’en penses-tu ? » Je me détachai de son emprise et me retournai pour lui faire face, un air malicieux sur le visage : « Je pense que vous êtes bien exigeante, mademoiselle Kipling. » Je pris le même ton un peu pompeux qu’auparavant pour prononcer ces mots avant de me rattraper : « Mais vos désirs sont des ordres. » conclus-je solennellement en portant la main à mon cœur. Puis je lui tendis pour qu’elle la prenne et je posai un pied sur la planche de mon skate-board. « Allez viens, c’est toi qui choisis la couleur des pommes qu’on va voler. » Je lui désignai la rue dans laquelle se trouvait le primeur le plus proche. Et si elle n’avait pas d’idée, il lui suffisait d’imaginer.
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() message posté Lun 16 Nov 2015 - 18:02 par Invité
« On se lasserait de l’été s’il durait trop longtemps, crois-moi. Il ressemble à l’hiver, il est immobile, quelque part. L’automne, non. L’automne coule, l’automne change et nous changeons avec lui. »
Elle opina du chef. La stabilité avait quelque chose d'ennuyant. L'été et l'hiver sont toujours constants dans leur climats comme dans leurs paysages, tandis que le printemps et l'automne sont des périodes de transition, qui varient selon les mois. Il était important d'évoluer et de ne jamais refuser à se tourner vers de nouvelles expériences. Janis aimait l'inconnu, il y avait quelque chose de grisant à partir sur un coup de tête sans savoir vers quoi ni vers où nos pas nous mèneraient. Elle veillait autant qu'elle pouvait à ne pas se laisser emprisonner par la routine et sortir le plus possible de sa zone de confort, ce qui requérait une forme de courage qu'elle n'avait pas toujours. Mais elle essayait, et c'était le plus important. « Ils sont blonds de nature. Comme de l’or, ce qui brille. La couleur de la joie que tu vois dans les regards des autres lorsqu’ils sont heureux. » Janis sourit à nouveau, convaincue par les paroles de son frère. Oui, c'était exactement ça. Une parfaite définition de ce qu'elle recherchait. «Très bien River, il me faudra du blond alors, quelque part. Sauf si j'en ai déjà, ce serait dommage de refaire la même chose. »

Exigeante, elle ? Cette remarque la fit rire. Elle ne se rendait pas vraiment compte de ce qu'elle demandait, mais elle faisait entièrement confiance à River. Elle était certaine que le résultat serait à la hauteur de ses espérances. « Mais vos désirs sont des ordres. » Elle s'inclina, comme l'aurait fait une personne de haute importance. « Allez viens, c’est toi qui choisis la couleur des pommes qu’on va voler. » Avec joie. Elle prit sa main et ils se dirigèrent ensemble vers ce fameux primeur.

Tout un étalage de fruits de toutes sortes s'étalait devant eux, ce qui lui donna presque faim. Elle avait grand intérêt à choisir les plus belles pommes. Janis se posta donc devant ces dernières, qui étaient dans l'ensemble de couleur assez sombre, ce qu'il lui semblait être une bonne chose. Elle n'y connaissait pas grand chose en fruits, n'était d'ailleurs pas une grande cuisinière et elle n'avait pas souvent eu l'occasion ni le luxe de pouvoir choisir précisément quels fruits elle mangerait. Elle se contentait sans aucun problème de ce qui lui passait par la main, et prenait généralement les premières qu'elle voyait. Pourquoi être difficile quand d'autres n'ont même pas la possibilité de manger à leur faim ? Mais elle n'était pas seule cette fois et mit un point d'honneur à choisir les meilleures pour son partenaire de crime.
Alors elle fit mine de savoir exactement ce qu'elle faisait et tâta brièvement quelques pommes au milieu du bac, comme pour juger de leur qualité ou de leur niveau de maturité. Une vraie experte. Elle se retint presque de fredonner un air quelconque. Janis jetait entre temps quelques coups d'oeil furtifs sur les cotés, comme si elle effectuait une reconnaissance de terrain. Elle jeta finalement son dévolu sur les plus sombres mais continua de regarder les autres afin de ne pas paraître suspecte, et s'adressa en même temps à River par dessus son épaule. « On a un plan ? ». Elle savait qu'il en avait un, il en avait toujours. Elle était de son coté prête à tout.
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() message posté Dim 20 Déc 2015 - 11:17 par Invité
« Très bien River, il me faudra du blond alors, quelque part. Sauf si j’en ai déjà, ce serait dommage de refaire la même chose. » J’acquiesçai et souris. Oui, il lui faudrait du blond. Elle s’harmonisait si bien avec ce qui l’entourait, sans le savoir vraiment, ne suivant que mon opinion et mes affirmations, sans pouvoir se faire la sienne. Je me souvenais d’avoir longtemps voulu imaginer ce qu’elle voyait, ce qu’elle voyait vraiment. Lorsque nous étions plus jeunes et que j’avais compris qu’elle était malade. Je me souvenais de ses cheveux simplement bruns qu’elle n’avait pas encore voulu teindre. Elle n’avait pas eu l’idée d’extérioriser la couleur et je trouvais cela si juste aujourd’hui qu’il était rare de me rappeler de ces instants où on ne se retournait pas dans la rue lorsqu’elle passait, rien que pour contempler le travail qu’elle avait fait de ses cheveux. Je remarquais la fascination de tous et j’étais fier de ma sœur, comme si je reconnaissais ma propre fascination en celle de tous les autres et que j’étais heureux de la partager. Il y avait de ces individus dont on se lassait, malgré leur intelligence, malgré leur talent ou leur brillance. Mais Janis n’était pas de ceux-là. Elle se réinventait chaque jour et c’était bien assez pour renaître. Elle était un phénix bariolé dont les cendres brouillaient la vue, grisaient le ciel et la terre sous ses pas flamboyants. Je me demandais comment elle faisait pour faire brûler un tel feu en elle-même. C’était pourtant celui-là même qui la maintenait debout, et elle marchait en dansant comme une flamme. Sa lumière captivait le reste d’un monde dans lequel elle ne vivait plus vraiment. Mais il y avait quelque chose de tragique à cette histoire : elle ne devait pas s’en rendre compte. Elle devait être la seule à encore chercher cette lumière qui pourtant coulait dans ses propres veines.

Nous nous approchâmes de l’étalage et elle observa les fruits avec un doux sourire aux lèvres. Il en fallait probablement au moins trois – nous deux, et puis dans l’hypothèse où Richie et Gloria traînaient à la maison en rentrant, ils pouvaient s’en partager une. C’était ça, les Kipling. Une grande solidarité avant tout. On vivait tous dans la même galère alors on remontait tous la pente en même temps, comme si nous étions un même être capable de se démultiplier en six, de séparer chacun de ses talents et chacun de ses traits de caractère pour composer plusieurs représentations de lui-même, mais chacune œuvrant pour un intérêt commun à toutes, n’allant que dans un seul sens, celui de la plénitude. On aurait pu penser que je ne ressentais cela qu’avec Gloria, mais c’était faux. Chacun de mes frères et sœurs me complétaient. Je n’osais pas imaginer ma vie sans eux : c’était un vide dans ma poitrine rien que d’y penser. Comme lorsque je songeais à notre mère, ou bien l’ombre qui planait sur elle, dans le creux de ses joues, entre ses phalanges froides et ses côtes fragiles. Je clignai des yeux. Nous n’étions pas à l’abri du risque. Après tout, la maladie d’Alzheimer resterait ancrée dans les gènes de notre famille pour des générations à venir. Toute cette plénitude n’était qu’une illusion ? Je refusais de le croire. Je refusais de revivre le cauchemar de voir la vie s’échapper d’un corps alors qu’il bougeait toujours. Je refusais de devoir imaginer des sourires qui ne venaient plus, des gestes qu’on ne faisait plus, des regards qu’on ne lançait plus, tout ça parce que je nageais dans un espoir auquel on ne croyait plus. Il ne suffisait plus que je reste accroché à cet espoir : il était comme une fumée blanche et volatile. Il était incontrôlable et imprévisible.

« On a un plan ? » s’enquit Janis. Je fronçai les sourcils, sceptique. Il se formait dans ma tête, mais il me fallait encore improviser. Ce que je faisais toujours. « Non. » lui glissai-je silencieusement avant de la dépasser et d’entrer dans le primeur en lui faisant signe de rester devant l’étalage et de se tenir prête. Je sortis mes baguettes de batterie de mon sac et me raclai la gorge pour attirer l’attention des quelques clients et des employés. « Mesdames, messieurs. » Je m’installai sur un escabeau qui siégeait dans un coin et m’humectai les lèvres avant de reprendre, plaçant ma cheville droite sur mon genou gauche afin de rendre la semelle de ma chaussure accessible. « Je suis batteur amateur et j’ai composé le début d’un solo cette nuit. » Je souris d’un air assuré alors que tout le monde s’arrêtait, curieux. Ce n’était pas habituel, pas dans cet environnement-là. A côté de moi était posé une planche de fer. Cela ferait l’affaire. « Je m’appelle River, j’ai vingt-deux ans et je ne vous demande pas votre argent mais un simple avis. Une ou deux minutes de votre vie. » C’était joué d’avance. Ils m’écouteraient. Je glissai un regard complice à Janis, hochai la tête discrètement dans sa direction et fis tourner l’une de mes baguette entre mes doigts avant de frapper le fer d’un coup sec et de jouer mes premiers rythmes, étonnamment effrénés, sur la semelle de ma chaussure. J’utilisai ma force et je sentis les coups traverser le caoutchouc jusqu’à mon pied, mais je restai concentré, repérant autour de moi en une poignée de secondes les objets qui pouvaient me servir de percussion. Je commençai par le châssis de l’escabeau, avant de me relever pour claudiquer jusqu’au bois d’un étalage. Je laissai mes baguettes glisser partout et, très vite, un rythme particulier mais vif s’échappa de mes mains, de mon cœur, alors que je sentais en moi vibrer une mélodie que j’imaginais mes frères et sœurs jouer pour moi. Je mémorisais les notes que les objets m’offraient lorsque je les touchais, avec plus ou moins de délicatesse, et je parvins même à jouer une gamme, à moitié chromatique, dont la fausseté, bien qu’elle m’arrachât une fine grimace, avait un charme singulier dans le contexte donné. Puis, après avoir fait le tour du magasin et usé de ma minute, de mes deux minutes que j’avais dérobées au public, je m’en retournai vers mon escabeau et ma plaque de fer, y concluant mon improvisation avec modestie. Je saluai d’un air amusé et me glissai à l’extérieur, échappant ainsi aux quelques applaudissements qui résonnèrent autour de moi. Je retrouvai Janis et lui fis un signe de tête. « T’en as profité j’espère. » Je me tournai vers l’intérieur du primeur : il était déjà un peu plus plein qu’avant. « Regarde, on paye en leur rapportant des clients. On est tout de même honnêtes. » Je souris. Je devais m’asseoir, mon pied me faisait mal. C’était ça, se donner corps et âme. Il fallait bien que le corps s’en prenne une un jour ou l’autre.
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() message posté Lun 21 Déc 2015 - 10:03 par Invité
River fronça les sourcils, Janis en conclut que rien n'était encore décidé. Elle jeta un coup d’œil aux pommes qui semblaient n'attendre qu'elle et ordonna à son esprit de trouver une solution rapidement. "Réfléchis." Mais déjà River s'était mis en mouvement. Il entra dans le primeur et lui fit subtilement comprendre ce qui allait venir. Un sourire complice se forma sur les lèvres de Janis, presque imperceptible. Oui, elle se tiendrait prête. « Je m’appelle River, j’ai vingt-deux ans et je ne vous demande pas votre argent mais un simple avis. Une ou deux minutes de votre vie. »  Tous les regards se portaient vers lui. Janis attendait le moment propice et regardait River comme si elle le voyait pour la première fois, imitant les regards étonnés des clients et des passants qui s'étaient tout juste arrêtés en chemin en entendant l'annonce de son frère. Janis s'était avancé de sorte à être contre l'étalage des pommes, des inconnus l'entouraient sans la voir, tous attendaient un premier geste du jeune homme. Il était probable que la plupart des passants dans la rue continuent leur chemin dès les premières notes du musicien, un jeune qui tapait sur tout ce qu'il pouvait trouver ne devait pas les passionner assez pour qu'ils lui accordent deux minutes de leur précieuse attention. Néanmoins ce petit attroupement improvisé était parfait pour elle. Elle attendit les premiers battements de musique pour mettre son plan en marche.

Janis avait positionné son sac contre le bord de l'étalage. Sans quitter son frère des yeux, elle toucha de la pointe du doigt la première pomme qui s'offrait à elle et, d'un mouvement lent et léger, la fit doucement glisser par dessus le bord afin que le fruit tomba directement dans le sac. Cela n'avait duré que quelques secondes, son bras avait à peine bougé. Le succès semblait être au rendez-vous. Janis procéda à la même opération deux autres fois en espaçant chaque vol de quelques secondes pour être certaine de ne pas attirer l'attention. Elle n'avait plus la notion du temps, chacun de ses gestes étaient contrôlés, elle faisait en sorte de respirer le plus normalement possible tout en ignorant son cœur qui commençait à battre la chamade. C'était si facile qu'elle eut envie de rire. Son regard se tourna brièvement sur les gens autours d'elle, la plupart regardaient River d'un air amusé tandis que d'autres attendaient simplement qu'il termine son spectacle avec un agacement plus ou moins bien contenu. A la quatrième pomme, Janis s'arrêta. Son sac n'avait presque plus de place et elle ne voulait pas laisser toute la première ligne de pommes vide, cela serait étrange. Il était vrai que la jeune femme aurait voulu choisir avec soin ses fruits mais avait préféré opter pour la sûreté. Comme son regard n'avait pas quitté son frère une seule fois elle n'avait aucune idée de la qualité des quatre pommes mais cela n'était pas important. Ils auraient quelque chose à manger ensemble et n'avaient de toute façon jamais été regardants sur ce genre de chose. Et si son frère avait à redire, Janis se chargerait bien de le remettre gentiment à sa place. Des applaudissements ne tardèrent pas à se faire entendre lorsque River eut terminé, et chacun put reprendre le cour de sa journée.

Le jeune homme sortit du primeur et elle l'accueillit avec un sourire triomphant. « T’en as profité j’espère. »  Elle ouvrit discrètement son sac. « A ton avis ? » Un coup d’œil vers les pommes lui confirma que les quatre étaient bien rondes et en bon état. Tout s'était déroulé à merveille. Elle se tourna vers l'intérieur du primeur. En effet, il s'était rempli un peu plus qu'il ne l'était quelques minutes auparavant, Janis pouvait imaginer sans peine la joie des vendeurs. « Franchement, ils pourraient te remercier. Ah les gens de nos jours... » Elle leva les yeux au ciel et éclata de rire. Janis lui fit signe de la suivre et se dirigea vers un banc situé un peu plus loin, bien assez pour qu'ils soient à l'abri des regards. Elle s'assit et tendit une pomme à son frère en souriant. « Tiens, tu l'as bien mérité. C'était plutôt intense là dedans, ce sont les fruits qui t'ont inspiré ? A savoir ça on t’emmènera dans un supermarché la prochaine fois, tu pourras composer tranquillement. C'est peut être une idée de carrière ça, musicien dans les grandes surfaces. » Elle se choisit elle aussi une pomme et croqua sans attendre dedans. Elle avait du jus, Janis était ravie. « Tu sais que dans certaines plantations on met de la musique pour que les plantes poussent mieux ? Cela ne te dirait pas de jouer pour elles ? Ce serait un public attentif, à n'en pas douter ! Je suis sûre qu'elles apprécierait ton style. » Pas sûr en revanche que les autres Kiplings soient d'accord avec l'idée de jouer dans des champs. Janis ne suivrait son frère que pour le filmer, la situation serait bien trop comique pour la laisser passer. Elle fit de son mieux pour ne pas rire et garder une expression sérieuse. « Tout se passe comme tu veux au restaurant ? Il faudra que je passe te voir à l'occasion. » La jeune femme ne pouvait s'empêcher d'être soucieuse du bonheur de son frère.
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() message posté Jeu 28 Jan 2016 - 8:38 par Invité
Janis m’observa sortir en trottinant et j’aperçus son sourire malicieux avant même que les échos des dernières notes n’eussent cessé de résonner sur les parois de mon crâne. Les improvisations en terrain inconnu, c’était une histoire de famille. On se jetait toujours dans la gueule du loup pour lui prouver qu’on savait comment le domestiquer et il me suffisait simplement d’ignorer les regards agacés de certains passants, dérangés dans leur routine et leur silence, ce même silence qui parfois me vidait complètement l’esprit jusqu’à m’effrayer, comme si je me trouvais devant un gouffre et que le vent hésitait sur la direction dans laquelle il voulait souffler : s’accrocher ou tomber ? Les moindres détails prenaient vie dans mon esprit et ce jusqu’à ce qu’il explose, mais ce n’était jamais arrivé encore. Il était grand, comme doté du don d’ubiquité et cachant en son sein un millier d’espaces encore vierges, comme une ruche rutilante. « A ton avis ? » marmonna-t-elle à mon adresse une fois que je fus à sa hauteur. J’imitai son air fier et discret, taquin. C’était ma façon d’aimer les gens : avec malice. « Parfait. J’ai faim. » indiquai-je avec emphase, mimant une autorité qui ne convenait guère aux membres de notre famille. Peut-être que Lou l’avait, à la limite, mais c’était bien la seule. Le reste de la fratrie Kipling s’était toujours contenté d’une harmonie tout à fait singulière. On savait toujours quoi faire pour aller dans le sens de l’autre et Janis venait une nouvelle fois de me prouver que j’avais vu juste. Je jetai un coup d’œil aux pommes dans son sac pour constater qu’elles étaient tout à fait appétissantes et cela accentua mon sourire déjà esquissé. « Franchement, ils pourraient te remercier. Ah les gens de nos jours … » Je tournai la tête vers le primeur dont nous nous étions échappés et remarquai qu’en effet, il y avait affluence – chose qui n’aurait pas été vraie lorsque j’étais moi-même entré à l’intérieur. Je haussai les épaules. « J’ai l’habitude des gens ingrats. » m’amusai-je d’une voix entendue. Ce n’était pas grave. On venait de leur voler des pommes, c’était notre manière de les rembourser – nous étions enfin quittes.  

Janis me fit signe de la suivre vers un banc et je m’exécutai en trottinant allégrement jusqu’à celui-ci. Nous nous y installâmes. Je posai ma planche contre le bois et grimpai sur le banc pour venir m’assoir à-même le dossier, surplombant ainsi ma sœur qui ne se laissait pas aller à de telles frasques – il n’y avait bien que moi pour les faire, n’est-ce pas ? Elle me tendit l’un des fruits. « Tiens, tu l’as bien mérité. » Je le pris et m’empressai de croquer dedans goulument.   Cette pomme était juteuse. Elles l’étaient toujours lorsqu’elles avaient un goût d’interdit. Je me penchai en avant pour dissimuler mon regard aux passants : je m’étais fait remarquer chez le primeur, je ne voulais tout de même pas que l’on m’accuse de vol maintenant. Cela aurait été trop navrant de ma part. « C’était plutôt intense là-dedans, ce sont les fruits qui t’ont inspiré ? A savoir ça on t’emmènera dans un supermarché la prochaine fois, tu pourras composer tranquillement. C’est peut-être une idée de carrière ça, musicien dans les grandes surfaces. » Je ricanai en remarquant son sourire, caché derrière son fruit à elle. C’était une idée comme une autre, mais en vérité il y avait du vrai dans ce qu’elle disait avec tant de sarcasme : tout m’inspirait. Je regardais des couleurs et y voyais des sons. Je sentais le souffle du vent faire danser mes cheveux ou bien le courant de la Tamise se briser contre les piliers du pont et j’y lisais une portée, une tonalité et un rythme. On me mettait au milieu d’une grande surface et j’étais certain que toutes les voix, tous les bruits, tous les froissements de plastique saccadés et dont la singularité et la mélodie restaient encore méconnues pouvaient me donner des envies de musique. J’étais ainsi. Je ne parvenais pas à me contenter de la simplicité des choses : je voulais leur pureté, leur essence cachée. « Oui tu vois, je m’entraîne pour si je me fais virer du resto ou du bar où j’ai le droit de jouer. Faut bien nourrir Leo quand il est pas en prison. » ironisai-je alors pour lui répondre. Son regard s’était éclairé à mesure qu’elle mangeait sa pomme, comme si c’était là tout ce qu’elle préférait au monde – et pourquoi pas, après tout ? « Tu sais que dans certaines plantations on met de la musique pour que les plantes poussent mieux ? Cela ne te dirait pas de jouer pour elles ? Cee serait un public attentif, à n’en pas douter ! Je suis sûre qu’elles apprécieraient ton style. » Je secouai la tête et la gratifiai d’un sourire amusé. « Je tenterai ! Mais ça va être dur de mettre l’ambiance, tu peux pas les faire chanter avec toi ou taper le rythme … c’est une autre culture, quoi. » Je haussai les sourcils et la fixai d’un air bêta pour souligner mon jeu de mot puéril. Plantations, culture, allez, c’est drôle quoi, non ? Je ne changeais pas : j’étais capable de surprendre, parfois, mais on n’était jamais vraiment débarrassé de mon humour de choix.

« Tout se passe comme tu veux au restaurant ? Il faudra que je passe te voir à l’occasion. » Je repris à la fois mon sérieux et mon enthousiasme pour hocher la tête plusieurs fois, ravi. C’était vrai, ils n’étaient pas souvent venus. Mais, de toute façon, je n’étais pas vraiment de service en salle, je m’activais aux cuisines et il y avait beaucoup à faire. Graham était déjà bien indulgent de mes manières de marginal à l’accent trop prononcé, je ne voulais pas le décevoir sur quoi que ce soit. Il était la figure paternelle que j’avais perdu une quinzaine d’années plus tôt. Je doutais qu’il sache réellement ce qu’il représentait pour moi. « Oui, ça va plutôt bien ! On a trouvé nos repères depuis l’incendie, et même si j’ai un nouveau patron, l’ancien est toujours là donc je n’ai pas perdu confiance. » Car c’était ça, l’important. L’incendie de la pâtisserie de Graham était celui de nos cœurs et de notre assurance. J’avais eu peur de perdre les deux à jamais, de ne pas m’en remettre, mais finalement le Beth’s Bistrot m’offrait des opportunités uniques que je saisissais sans hésiter. Après tout, je n’avais pas mon bac. Je n’avais pas le loisir ni le temps n’hésiter. « Et tu dois passer. C’est une obligation. Parce que tu vois, j’peux pas ramener les pâtisseries à la maison, il faut qu’elles soient fraîches sinon ce n’est pas bon. Donc tu comprends, c’est à toi de faire le déplacement. » Je lui adressai un sourire taquin avant de reprendre. « Par contre c’est cher. Je crois que je devrais vendre l’un de mes bras pour me payer le menu. Donc viens quand tu n’as pas faim. » Je plaisantais, et puis on pouvait s’arranger pour faire un prix à la sœur du grand River. Quoique, finalement je n’en étais pas si sûr. C’était un restaurant français, restait à vérifier si le personnel avait aussi hérité des manières d’outre-Manche.
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() message posté Jeu 31 Mar 2016 - 11:13 par Invité
River s'installa sur le banc, au dessus d'elle. Elle ne put s'empêcher de sourire, il fallait toujours que son frère fasse les choses différemment. Plus sage, Janis s'adossa confortablement contre le dossier et ramena ses genoux vers elle, de manière à se protéger du petit vent frais qui venait de se lever. Elle appréciait le calme du parc. Son regard fixe devant elle contemplait le paysage et elle savourait avec plaisir son excellente pomme. Elle se sentait parfaitement heureuse. « Oui tu vois, je m’entraîne pour si je me fais virer du resto ou du bar où j’ai le droit de jouer. Faut bien nourrir Leo quand il est pas en prison. » Elle tourna la tête vers lui. « C'est sûr ! Quelle responsabilité. » Ces Kipling alors. Pourtant, une autre idée germa soudain en elle et assombrit quelque peu sa bonne humeur. Tout en mangeant sa pomme, elle se mit à réfléchir à ce qu'il venait de dire et sentit naître une petite pointe de culpabilité. Elle hésita, chercha les bons mots puis prit finalement la parole sur un ton plus sérieux. « Tu sais, tu n'es pas tout seul à endosser cette responsabilité. Je veux dire, si par malheur tu venais à être viré, ce qui n'arrivera jamais parce que tu es génial, nous on est là. Mon salaire n'est peut être pas très élevé mais il est suffisant pour qu'on ne meure pas de faim. » Elle avait cette déplaisante sensation de ne pas parvenir à exprimer véritablement sa pensée. « Je sais que ce n'était pas du tout le sujet, mais si quelque chose devait arriver, ne t'inquiète pas pour nous. » Même si ils étaient une famille soudée qui avançait comme elle le pouvait dans la vie, Janis ne voulait pas que River ou un autre membre de ses frères et sœurs se sacrifie pour eux. Chacun devait être libre de vivre sa vie, il n'y avait pas d'urgence.

« Je tenterai ! Mais ça va être dur de mettre l’ambiance, tu peux pas les faire chanter avec toi ou taper le rythme … c’est une autre culture, quoi. »  Elle tenta de garder son sérieux quelques secondes mais éclata de rire devant la tête de son frère et rentra dans son jeu. « Une culture complètement différente oui. Mais justement, tu devrais voir ça comme un challenge. » Elle secoua brièvement la tête. Ils pouvaient avoir des sujets de conversation bien perchés parfois. Ils enchaînèrent sur le sujet du restaurant et Janis fut contente de savoir que les nouvelles étaient bonnes. « Tant mieux ! J'espère qu'il ne te fait pas bosser comme un fou, ton nouveau patron. » Un nouveau sourire apparu sur son visage. Elle savait qu'elle n'avait pas à s'inquiéter à ce sujet, son frère n'était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds même si il mettait du coeur à l'ouvrage. « Bien monsieur, c'est noté, je ferai le déplacement ! » Et elle le ferai avec joie même si elle ne savait pas encore quand, bien curieuse de découvrir ce fameux Beth's Bistrot. « Par contre c’est cher. Je crois que je devrais vendre l’un de mes bras pour me payer le menu. Donc viens quand tu n’as pas faim. » Elle sortit une nouvelle pomme et croqua dedans sans plus attendre pour souligner son propos. « T'en fais pas, niveau nourriture je crois que je suis parée. » Elle sourit.

Un petit silence s'installa et Janis chercha un nouveau de sujet de conversation. Elle se souvint brusquement de quelque chose et se redressa sur son banc. « J'ai vu Elsa dernièrement. Tu sais, Elsa St Claire. Je lui ai dis qu'elle pouvait passer nous voir dès qu'elle le voulait. Il faudrait qu'on fasse quelque chose tous ensemble un jour, genre un repas ou un truc dans le genre. D'ailleurs il faudra que je lui fasse une nouvelle coloration alors, à y être, si tu veux que je m'occupe de tes cheveux aussi, n'hésite pas ! » Elle se demanda si le nouveau patron de River pouvait lui reprocher d'avoir des cheveux de couleurs sortant de l'ordinaire. Si c'était le cas, elle trouvait cela bien dommage.
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