(✰) message posté Sam 12 Déc 2015 - 22:53 par Invité
"Et sur votre droite, la Tiffany Fountain. Vous pourrez apercevoir sur l'eau les célèbres pélicans qui peuplent le parc."
Tous les touristes tournèrent la tête en même temps. Machinalement, Alaunus tourna la tête avec eux. Puis il sourit. Dire qu'au Japon, c'était lui qui était à leur place, et eux, à la sienne : installés confortablement, sédentaires et affairés, indifférents aux beautés du paysage urbain alentour. Du moins, c'était presque sa situation. Il gardait l'oeil aux aguets pour toute forme imaginable d'inspiration inédite. Déformation professionnelle. Et les jupes plissées des écolières en voyage scolaire, qui virevoltaient toutes à la fois pour suivre les indications du guide, mariées à la perfection au son bruissant des carnets de notes qui n'avaient déjà plus rien de vierge, lui inspiraient effectivement quelque chose. Un toit d'ardoise. Un toit devait toujours avoir l'air couvert de volées d'oiseaux, même lorsqu'ils étaient absents. Il leva les yeux vers le magnifique dôme des frondaisons dorées, vivantes comme une mer agitée par la brise. Voilà le genre d'éclat, le genre de fascination paisible qu'il aurait voulu que ce toit communique. Il y réfléchirait.
Pour l'heure, la petite capricieuse assise à ses côtés boudait car il ne tournait pas la page assez vite. Il lui sourit, avec toute l'affection du monde. Ces petits diables, sans même connaître leur prénom, il leur passait tout. Et ils le savaient. Les habitués du parc allaient parfois jusqu'à lui apporter leurs devoirs pour qu'il les fasse à leur place. Cette gamine-là voulait seulement lire son livre. Et elle n'appréciait guère qu'il se laisse distraire par le paysage : elle avait besoin de ses indications pour la poursuite de sa lecture. Le vénérable Stevenson avait une manière de retranscrire l'accent Ecossais profond qui ne pouvait arriver jusqu'à une petite fille de cinq ans, si brillante soit-elle, que par le truchement d'un traducteur concentré sur sa tâche. Tout comme il devrait lui expliquer bien des choses sur l'Australie avant de lui montrer le film qu'elle lui avait réclamé - si, du moins, les parents de la demoiselle acceptaient son invitation ; or, à en juger par les regards dubitatifs qu'ils lui jetaient depuis leur banc, tout en surveillant leur benjamin qui s'essayait à la balançoire, ils n'étaient pas encore disposés à franchir ce pas.
"Et ça, ça veut dire quoi ?" "Pardon. Un tromblon. Un vieux fusil."
Le regard de l'adulte se détacha bientôt de la couverture verte et noire qu'il connaissait par coeur, et s'égara en direction des bassins, une fois de plus. Brusquement, ses sourcils se froncèrent. Il dégagea le bras sur lequel sa jeune amie avait pris un appui nonchalant, lui remit l'ouvrage, et se leva. La petite le menaça d'une colère, mais il l'ignora si bien qu'elle en fut elle-même étonnée : de toute évidence, la matière était sérieuse. Sa mère en profita pour la rappeler, tandis qu'Alaunus marchait sans hâte en direction d'un passant, comme s'il était l'heure de se rendre à un important rendez-vous.
"Pardon, monsieur ? Vous auriez l'heure ?"
Arrivé à sa hauteur, il abandonna son masque d'amabilité badine, et baissa la voix. "Il y a là un homme qui prend des photographies... indécentes de ces jeunes touristes. Regardez sa main." Il pointa discrètement dans la direction d'un promeneur d'aspect inoffensif, entre deux âges, la moustache toute britannique, et traînant un petit chien grognon au bout d'une laisse de cuir jaune ; mais qui, effectivement, balançait au bout de son bras un petit appareil qui, par un providentiel hasard, se trouvait régulièrement en position de photographier les jeunes filles inattentives, droit sous leurs jupes couleur d'ardoise. Il faisait mine de suivre le discours du guide, mais suivait en réalité le groupe des jeunes japonaises. En l'observant quelques instants avec attention, on devinait un éclat répété qui était celui d'un flash.
"Voulez-vous bien me donner un coup de main ? Je vais lui parler. Approchez-vous derrière lui lorsqu'il sera distrait, et arrachez-lui l'objet du crime. Je parle de son téléphone."
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(✰) message posté Dim 13 Déc 2015 - 14:14 par Invité
L'état d'esprit de Lior aujourd'hui était tout à fait étrange. Étrange, parce qu'il s'était levé du bon pied. Mais qu'il avait eu ses petites crises. Tantôt joyeux, tantôt colérique, il n'avait encore une fois pas su se contrôler. Et ça avait été d'un geste vif et violent qu'il fit voler sa tasse à café dans les airs, la laissant s'écraser en mille morceaux sur le mur de son appartement. Le café éclaboussa le mur tandis que Lior avait arraché ses lunettes de son visage pour les jeter sur la table sans douceur. Personne ne savait comment il était possible pour un homme aussi gentil d'habitude, aussi serviable que Lior de passer de la joie à la colère en si peu de temps. Il suffisait d'un rien pour que dans sa tête, dans son corps, un frisson le parcourt et s'énerve brusquement. Aujourd'hui allait être une journée difficile pour lui, ou pour les gens qu'il croisera dans la rue. Il allait devoir faire attention bien qu'il n'en sera pas capable pour un sou. Il fera simplement de son mieux pour rester calme.
Alors, il décida de partir faire une balade au parc, espérant ainsi pouvoir calmer son état irrégulier. Skate sous les pieds, il parcourut la ville, tantôt rapidement, tantôt en prenant soin de jeter un regard autour de lui. Il ne savait même pas de quoi il avait envie, il respirait juste, et cela lui était suffisant pour vivre, selon lui. Pourtant, la tempête à l'intérieur de sa tête ne se calma pas pour autant. L'air pollué de la ville ne lui suffisant plus, aller au parc lui semblait être une bien meilleure idée maintenant. Il souffla alors tout l'air que contenaient ses poumons et prit brusquement la direction du parc. Et comme si son skate n'allait pas assez vite pour lui, il reposa les pieds à terre, prit sa planche en main et avança d'un pas rapide jusqu'à entrer dans le parc. Lior observa quelques instants les alentours, notant le calme brisé par des cris d'enfants, des paroles d'adultes, des aboiements de chiens, du bruissement du vent dans les arbres. Une magnifique journée, pourtant Lior se sentait tellement oppressé qu'il passa nerveusement une main dans ses cheveux, se mordillant la lèvre tout aussi nerveusement alors que ses pieds avançaient machinalement vers le centre du parc.
Il fut bien vite arrêté par un homme qui lui demanda l'heure. Il fronça alors les sourcils en le dévisageant avant de regarder dans la direction qu'il lui indiquait le plus discrètement du monde. Un vieux pervers prenait des photos des dessous des petites étudiantes japonaises, Lior ne voyait pas ce qu'il avait affaire avec ça, mais il comprit bien vite que l'homme qui était venu l'interpeller avait voulu quémander un coup de main pour arrêter le malfrat. Le brun laissa son regard examiner quelques secondes l'homme près de lui, puis reposa son regard froid et dur sur l'individu. Il ne laissa pas le temps à son interlocuteur d'intervenir, il lui laissa sa planche de skate tandis qu'une colère noire l'envahit sans préavis. Le regard rivé sur le vieux pervers et son chien, il alla attraper l'appareil du vieux pour le jeter au sol alors que le propriétaire de l'objet s'était mis à gronder. Lior écrasa plusieurs fois l'appareil de son pied pour bien le détruire, qu'il n'en reste que des miettes et qu'il soit irréparable, puis attrapa le vieux pervers par le col de sa chemise pour l'emmener en dehors du parc, jurant entre ses dents. « T'as que ça à foutre, connard ! J'vais te faire passer tes envies pédophiles, les types comme toi mériteraient juste un aller simple à l'asile ! Dégage de là enfoiré, et la prochaine fois que j'te revois, sois certain que ça se passera pas aussi bien. » Il le jeta alors en dehors du parc alors que le chien couinait, étranglé par la laisse.
Après s'être assuré qu'il soit loin, Lior revint vers l'homme qui l'avait abordé en prenant tout de même le temps de souffler, histoire d'évacuer quand même un peu la colère qu'il ressentait. Il reprit sa planche et hocha la tête vers l'homme, lui adressant un sourire poli. « Faut pas hésiter quand c'est comme ça. Vous savez, les vieux de nos jours se croient tout permis sous prétexte qu'ils sont nos aînés. Il faut juste les remettre à leur place de temps à autres. Enfin, celui là était un cas quand même. » Le jeune brun passa de nouveau la main dans ses cheveux, il n'était pas totalement à l'aise après ce qu'il venait de faire puisqu'on pourrait le juger un peu trop violent. Néanmoins, il se fichait un peu de ce qu'on pouvait penser de lui. On lui avait demandé de l'aide, il avait fait sa BA de la journée. Cela aurait peut-être dû l'apaiser, mais il n'en était rien.
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(✰) message posté Mer 16 Déc 2015 - 10:36 par Invité
Alaunus s'apprêtait à improviser sur le thème du chien. Le propriétaire d'une telle petite boule de poils devait être habitué à ce qu'on l'aborde pour gagatiser sur le compte de la créature. C'était un phénomène sociologique assez vaste pour qu'il puisse se cacher derrière, et s'approcher à couvert. Il inventait rapidement un couplet adapté, lorsque son interlocuteur disparut à la manière d'un boulet de canon.
Alaunus ressentit la pénible impression d'un déclenchement précoce : à partir de cet instant, il ne contrôlait plus rien. Mais il conservait un faible espoir, l'inconnu était peut-être un flic en civil ou en balade, et saurait intervenir avec l'efficacité d'un aventurier solitaire. Espoir rapidement déçu ; en quelques secondes, il regarda se déchaîner toute l'irrationalité du Hulk et la puissance de King Kong, tandis que lui-même appliquait une main pensive sur le côté de son visage, à la fois accablé de sa propre erreur et fasciné par celles de son allié.
Ce dernier mit la main sur le suspect, terrifia l'ensemble des badauds, détruisit les preuves, et finalement mit lui-même le suspect en fuite avec un bon bottage de postérieur pour l'accélérer, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Passé au statut de victime, le malfaiteur disparut derrière les grilles où Alaunus l'entendit glapir quelque chose d'indistinct. Mais il était prêt à parier que ce serait dans la veine d'un "Monsieur l'agent !" Les couinements des jeunes élèves, mi-inquiètes, mi-séduites, couvraient ses mots. La traduction de la tirade du vengeur masqué se répandait dans leur groupe comme une traînée de poudre, éveillant une légitime indignation, mais aussi quelques regards en coin assez dubitatifs. L'une d'elle montra discrètement Alaunus du doigt : elle avait vu d'où partait le coup. Et il n'était pas loin de penser comme elle. Tout ça, c'était de sa faute. Il aurait dû agir lui-même, quitte à échouer par manque de discrétion ou de force physique. Préjuger de la stabilité d'un type rencontré dans la rue, c'était un loto vraiment trop hasardeux, littéralement inconsidéré.
Le jeune homme était revenu dans sa direction pour apporter à son exploit de cow-boy la conclusion qu'elle méritait. Alaunus lui sourit avec gêne, détournant le regard pour ne pas croiser le sien. Ce brave garçon, un sportif probablement, allait avoir des ennuis, et lui en voudrait certainement beaucoup de l'avoir entraîné dans cette galère.
« J'avoue que, remettre mes aînés à leur place... je ne suis pas très doué là-dedans. Ecoutez, sachez que si vous avez des ennuis, je m'occupe de tout. Je paie votre caution, les amendes, tout ce qui sera demandé. Alors restez bien calme, et surtout, surtout n'insultez personne. »
Cette injonction sibylline trouva son explication alors que le quidam à l'appareil photo réapparut dans l'enceinte du parc, à demi caché derrière un agent de la force publique à qui il désignait Alaunus et sa nouvelle connaissance... surtout sa nouvelle connaissance. Tout le monde avait les yeux braqués sur eux après la petite scène de la tornade, impossible de disparaître discrètement. Essayer ne ferait qu'empirer les choses. Alors qu'Alaunus, dépassé, tentait vainement de réfléchir, une toute petite voix s'éleva à ses côtés : la gamine, à qui ses parents avaient dit de rendre le livre au monsieur, car c'était l'heure de partir.
« Je le connais, lui. Il prend les petites filles en photo, sur les balançoires. Mais chut : c'est un secret... »
« Il t'a prise en photo aujourd'hui ? » Un vague témoignage d'enfant que ses parents intimideraient sans doute, ça ne les sauverait pas. Mais un autre appareil... D'autres clichés...
« Oui, avant que tu arrives. Avec son gros appareil photo noir. On dirait un oeil de mouche. »